HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE VINGT-TROISIÈME.

 

Éléazar, les Maccabées, Judas Maccabée et ses frères

Au milieu de cet abattement général, on vit briller des traits de courage qui durent faire pressentir au roi la révolte que fait toujours naître l’excès de l’injustice, et lui apprendre qu’il est plus facile de tuer les hommes que de changer leurs opinions et leur culte.

Un vieillard âgé de cent ans, Éléazar, fut un des premiers à donner le signal d’une sainte résistance[1]. On employa, tour à tour, la force et l’adresse pour lui faire manger des viandes immondes, mais il préféra une mort glorieuse à une vie infâme : Je demande moi-même le supplice, dit-il ; j’aime mieux périr que dissimuler. J’échapperais à la main des hommes, mais non pas à celle de Dieu. Je ne veux pas ternir le peu de jours qui me restent à vivre ; j’espère en mourant laisser aux jeunes gens un exemple de fermeté qui leur apprendra à préférer la loi de Dieu à leur propre vie. Sa vertu irrita ses bourreaux qui le firent périr sous leurs coups. Le dévouement et la piété d’Éléazar eurent bientôt des imitateurs.

On exposa à des épreuves plus cruelles sept frères, que leur martyre rendit fameux et que l’Écriture nomme Macchabées. Ils étaient jeunes et de famille distinguée ; on louait généralement leur ardente piété. Antiochus crut que leur jeunesse céderait à sa puissance ; qu’il les forcerait à sacrifier aux idoles, et que leur exemple porterait le peu de Juifs restés fidèles à les imiter. Il les fit venir en sa présence ; mais, les trouvant insensibles à ses séductions et à ses menaces, il espéra que la douleur affaiblirait leur courage, les livra tour à tour aux plus affreux tourments, et rendit leur mère témoin de leurs supplices[2]. On leur coupa les mains et les pieds ; et, lorsqu’ils n’étaient, plus qu’un tronc informe, ils furent jetés dans une chaudière pour y trouver la fin de leur existence. Aucun d’eux ne céda au tyran ; tous lui parlèrent avec une fière liberté ; ils attribuèrent leurs malheurs aux péchés du peuple, et prédirent au roi qu’il serait puni et terrassé par ce Dieu qu’il osait combattre.

Antiochus, pensant que sa cruauté lui serait plus nuisible qu’utile si aucun d’eux ne cédait à son autorité, parut s’attendrir un moment en faveur du plus jeune des Macchabées. Il employa pour le séduire les caresses et les promesses, lui fit envisager le sort le plus brillant, s’il voulait lui obéir, et engagea sa mère à sauver le seul fils qui lui restât. Mais cette femme courageuse ne parla à son fils que pour l’affermir contre toute crainte, et pour l’empêcher de renoncer à la gloire de ses frères par une lâcheté. Le jeune enfant demeura fidèle, et le roi furieux le fit périr ainsi que sa mère.

Tandis que toutes les villes de la Judée et des pays circonvoisins voyaient leurs habitants consternés livrés au fer des bourreaux ou à la honte de l’apostasie, Mathathias, prêtre de la famille d’Aaron, révéré dans sa patrie par sa naissance et ses vertus, s’échappa de Jérusalem avec ses fils, non pour fuir le martyre, mais dans l’espoir de défendre l’indépendance de sa nation, son culte, ses lois, et de la venger de tant d’injures et de cruautés.

Il se réfugia sur une montagne déserte, près de la ville de Modin. Ses enfants s’appelaient Jean, surnommé Gaddès ; Simon, surnommé Thaci ; Judas, appelé Macchabée ; Éléazar, nommé Abbaron ; et Jonathas, surnommé Appus. Jamais, dans aucun pays, on ne vit d’hommes dont les noms fussent plus dignes d’être conservés dans la mémoire de leurs compatriotes.

La Judée était esclave ; on avait exterminé ses guerriers, pillé ses richesses, renversé ses autels et ses lois. L’empire d’Asie pesait tout entier sur elle ; les troupes d’Antiochus occupaient toutes ses forteresses. Le peuple, fatigué de massacres et de persécutions, n’avait pus, dans sa ruine totale, d’autre bien à conserver que la vie ; et, pour la racheter, tout obéissait au vainqueur.

Dans un tel état d’abaissement et de consternation, il parait prodigieux qu’un seul homme, sans autre secours que son courage et sa famille, ait pu former le projet d’affranchir sa nation, de chasser l’étranger, de rétablir la république des Juifs, et de relever un temple dont toutes les nations avaient conspiré et consommé la ruine. C’est cependant ce projet glorieux que conçut Mathathias, et qu’accomplirent ses héroïques enfants.

Il commença d’abord par un de ces coups hardis, qui seuls peuvent électriser des âmes abattues en les étonnant par une grande audace et en les enflammant par un grand exemple.

Il entra dans la ville de Modin, parla au peuple, lui rappela si gloire passée et son humiliation présente, mais chercha vainement à lui faire, préférer une mort glorieuse au sacrilège et à l’apostasie. Les officiers d’Antiochus se présentèrent, ordonnèrent de sacrifier aux idoles ; tous gardaient un honteux silence. Un Juif, plus corrompu ou plus effrayé que les autres, s’avance au pied de l’autel pour faire son sacrifice ; Mathathias, indigné, lui plonge une épée dans le sein, tue l’officier persan qui le protégeait, et renverse aux yeux de sa troupe et l’autel et l’idole[3]. Il représente ensuite aux habitants qu’après une telle action, il n’y a plus de salut à espérer pour la ville qui en a été le théâtre, et qu’il ne reste plus qu’à vaincre ou à mourir. La foule, faible et indécise, se disperse ; les hommes courageux entourent Mathathias, et se retirent avec lui sur la montagne déserte qu’il habitait. Son parti s’y grossit peu à peu de tous ceux qui conservaient quelque religion et quelque vaillance. Les troupes d’Antiochus vinrent l’attaquer ; mais, animés par le désespoir, les Juifs battirent leurs ennemis et les mirent en fuite.

Ce premier succès augmenta les partisans du vengeur d’Israël qui fut bientôt en état de s’étendre hors de sa retraite, de remporter de nouveaux avantages et d’affranchir plusieurs villes du joug honteux des Syriens.

Mathathias, fort avancé en âge, termina bientôt sa glorieuse carrière : il chargea, en mourant, son fils aîné Simon de l’administration, et Judas de la guerre.

Judas, comme on l’a vu plus haut, portait le nom de Macchabée, heureux présage de ses victoires. Cet illustre guerrier devint la gloire d’Israël qui lui dut sa délivrance. Une valeur indomptable, une piété sans bornes, une justice inflexible, une célérité inconcevable dans ses entreprises formaient les principaux traits du caractère de ce héros, qui défit et ruina, à la tête de six mille hommes, les innombrables armées de la Syrie ; conquérant d’autant plus fortuné que son pays fut sa seule conquête, et que la justice conduisit toujours ses armes. Il se revêtit,  dit l’Écriture, de ses armes comme un géant, et son épée mettait à couvert toutes ses troupes. Il parut dans les combats comme un lion qui court à sa proie, et répandit, de toutes parts, la terreur de son nom.

Apollonius fut le premier des généraux d’Antiochus dont il triompha[4]. Dès le commencement de la bataille, il se précipita sur le général ennemi, le tua et s’empara de son épée. Cette prompte victoire de Judas jeta la consternation et l’épouvante dans l’armée syrienne ; privée de son chef, elle prit la fuite, et laissa aux Juifs un immense butin. Judas comptait plus sur  le courage que sur le nombre de ses soldats. Il ne voulait en avoir près de lui que de dévoués, renvoyait ceux qui montraient quelque crainte, et punissait avec la dernière rigueur tous les Juifs qui violaient la loi de Moïse.

On appelait Assydéens les Juifs dispersés dans les pays étrangers ; ils avaient une synagogue séparée de celle de Jérusalem, et, on y observait avec plus de zèle et de régularité la loi de Dieu. Dès que les Assydéèns furent informés des succès de Judas, ils se rallièrent à lui ; mais leurs secours ne faisaient que réparer les pertes occasionnées par la guerre, de sorte que ses troupes, dans une lutte si terrible des armées de vingt, de quarante et de cent mille hommes, ne devinrent jamais assez fortes pour qu’il pût montrer en campagne plus de huit mille guerriers.

Sérop, général des troupes de Syrie, marcha contre Judas, pour venger Apollonius[5] ; mais il ne fit qu’augmenter la gloire de Judas par sa défaite. Antiochus, apprenant ces deux victoires, tenta les plus grands efforts pour se venger. Ptolémée, Nicanor et Gorgias les trois plus renommés de ses généraux, marchèrent en Judée à la tête d’une armée de quarante-sept mille hommes choisis. Judas se prépara à soutenir cette attaque. Quoique Jérusalem l’eût reçu sans résistance, il ne jugea pas convenable, dans l’état où était le temple, d’y sacrifier encore. Il réunit les lévites à Maspha, après y avoir invoqué le Seigneur, il renvoya dans leurs foyers les hommes mariés et tous ceux que leurs propriétés, leurs affaires ou leur timidité rendaient plus faibles et plus inquiets des évènements. Ensuite, il dit à la petite troupe qui lui restait : Fortifiez votre courage ; demain nous combattrons ces nations rassemblées pour nous perdre et pour renverser notre religion. Songez tous qu’il vaut mieux mourir dans le combat que d’être témoin des malheurs de sa patrie et de la destruction de son culte. Gorgias, à la tête d’un gros détachement, avait fait une marche rapide pour surprendre Judas dans son camp d’Emmaüs et toute la grande armée de Syrie croyait que cette entreprise allait terminer la guerre. Macchabée, informé de ce projet, quitta ses retranchements et par une autre, route courut, à la tête de trois mille hommes, surprendre et attaquer l’armée syrienne, pendant que Gorgias trouvait le camp juif vide et désert.

Les Syriens, surpris de cette attaque imprévue et des prodiges se valeur que faisaient trois mille hommes sans boucliers, sans épées, et armés seulement de massues, prirent la fuite, malgré les efforts de Ptolémée et de Nicanor. Les Juifs se saisirent des armes des vaincus, les poursuivirent, et leur inspirèrent une telle terreur qu’ils évacuèrent entièrement la Judée.

Gorgias, revenant alors et voyant la déroute de la grande armée, n’opposa aucune résistance à Judas, et prit aussi la fuite avec sa troupe. Les Juifs, délivrés de leurs ennemis, trouvèrent dans le camp syrien une grande quantité d’or, d’argent, d’étoffes de pourpre et d’autres richesses.

Dans ce temps Antiochus, quittant sa capitale pour faire la guerre en Perse, avait laissé la régence de Syrie à Lysias. Celui-ci n’eut pas plus tôt appris la nouvelle victoire de Macchabée, qu’il résolut, pour éviter le courroux du roi, de venger promptement un si sanglant outrage. Il se mit lui-même à la tête d’une armée de soixante mille hommes, et, se croyant certain du succès, emmena avec lui des marchands de Tyr, auxquels il promit de vendre pour esclaves tous les Juifs qu’il comptait prendre. Il marcha sur Béthoron, et, Judas vint au-devant de lui avec dix mille hommes. Lysias fût battu, on tailla en pièces cinq mille de ses soldats. Le régent, ne pouvant rallier son armée, courut à Antioche pour y faire de nouvelles levées.

Macchabée, profitant du repos que lui laissaient tant de triomphes, conduisit l’armée à Jérusalem, et alla avec elle sur la montagne de Sion. Là ils’ virent les lieux saints déserts, l’autel profané, les portes brûlées, le parvis rempli d’épines et d’arbrisseaux. Les Juifs déchèrent leurs vêtements, firent un grand deuil, et se couvrirent la tête de cendre. Ils se prosternèrent le visage contre terre, et les airs retentirent du son de leurs trompettes et du bruit de leurs gémissements. Judas, ayant placé une partie de ses gens autour de la citadelle, pour y contenir les Syriens et les apostats qui y étaient demeurés, employa tout le reste des Juifs à purifier le temple, à le rebâtir ainsi que le sanctuaire, à relever l’autel du Seigneur, à replacer dans le lieu saint de nouveaux vases, de nouveaux voiles et de nouveaux ornements. Tous ces travaux terminés, on célébra solennellement la dédicace du temple, on immola des holocaustes, et Macchabée offrit un sacrifice en action de grâces pour la délivrance d’Israël.

Lorsqu’il eut rempli ce pieux devoir, il fortifia la montagne de Sion, environna la ville de murs et de tours et fit construire des forteresses dans le pays.

Les Iduméens, les Ammonites et les Galiléens voyaient d’un oeil jaloux Jérusalem se relever de ses ruines. Ils rassemblèrent une grande armée sous les ordres de Timothée. Simon et Judas, son frère, livrèrent plusieurs combats à ces peuples, les battirent, prirent d’assaut plusieurs villes, et firent beaucoup de butin et d’esclaves.

Les Arabes grossirent encore le nombre des ennemis et des victoires des Juifs. Un seul échec troubla le cours de tant de prospérités : tandis que Judas, Jonathas et Simon poursuivaient leurs succès, deux généraux juifs, Joseph et Azarias, voulant aussi leur part de gloire, attaquèrent imprudemment à Jamnia, les Syriens commandés par Gorgias. Il battit les Juifs, leur tua deux mille braves, les mit en déroute, et les força de fuir et de retourner en Judée.

Cependant Antiochus Épiphane, après avoir attaqué sans succès Élymaïde et Persépolis, dont les richesses avaient tenté son avarice, retournait tristement à Babylone, lorsqu’il reçu la nouvelle de la défaite de ses armées en Judée. Furieux de voir que Jérusalem reprenait son indépendance, et que l’autel du Dieu d’Israël s’était relevée sur les débris de l’idole de Jupiter, il jura qu’il irait lui-même dans cette ville, et qu’il en ferait le tombeau de tous les Juifs ; mais, pour le punir, dit l’Écriture, le Seigneur frappa ce prince d’une plaie incurable qui déchirait ses entrailles. Loin d’être détourné de son dessein par cette maladie[6], et ne respirant que vengeance, il voulut qu’on accélérât sa marche, mais, lorsque ses chevaux couraient avec impétuosité, il tomba de son char, et tous ses membres furent meurtris par cette chute.

Bientôt sa maladie empira ; toute sa chair se pourrissait, et il sortait des vers de son corps. Accablé de douleurs, humilié et ne conservant plus d’espérance, Antiochus se repentit de ses fureurs. Les livres saints assurent qu’il dit ces paroles : Il est juste que l’homme soit soumis à Dieu, et que celui qui est mortel ne s’égale pas au Dieu souverain.

Ce monarque expirant nomma pour son successeur Antiochus Eupator, en lui recommandant de se conduire avec modération et justice ; il écrivit ensuite une lettre aux Juifs pour les engager à être fidèles à son successeur, et pour les assurer qu’ils seraient traités avec douceur. Après avoir fait ces dispositions, reconnu la puissance de Dieu et témoigné un tardif repentir, Antiochus mourut. Lysias, parent du jeune roi, fut chargé de l’administration du royaume.

Le nouveau monarque de Syrie écrivit à Lysias qu’il savait que les Juifs n’avaient jamais voulu consentir à changer de coutume et de religion, que c’était là le seul objet de leur révolte et que voulant que ce peuple jouit de la paix comme les autres, il ordonnait que leur temple leur fût rendu, et qu’on leur permit de suivre les lois de leurs ancêtres. Il chargeait Lysias d’envoyer des députés à Jérusalem afin d’y conclure un traité. Il joignit à cet ordre une lettre pour les Juifs, qui contenait les mêmes dispositions.

Judas, aussi habile politique que brave guerrier, crut nécessaire de se donner une garantie de la solidité de cette paix, et il implora à cet effet la protection des Romains. Quintus Memmius et Titus Manlius, envoyés du sénat, qui se rendaient à Antioche, écrivirent au peuple juif, et lui confirmèrent les promesses de Lysias et du roi.

La méfiance de Macchabée n’était que trop fondée. Antiochus trompé par des Juifs apostats, et par l’avidité de ses courtisans qui renonçaient avec regret à leur domination et à leurs pillages dans la Judée, déclara de nouveau la guerre aux Juifs, dont il voyait avec jalousie les victoires récentes sur les Arabes et les Galiléens.

L’auteur de tous les maux de Jérusalem, le perfide Ménélaüs excitait de tous ses efforts la vengeance des Syriens ; mais il se vit enfin victime de sa trahison, Lysias apprit au roi que les cruautés et les débauches de cet homme avaient donné naissance aux troubles de la Judée, et à tous les malheurs qui en étaient résultés ; il fut condamné à mort, et précipité du haut d’une tour.

Bientôt le roi vint attaquer Judas avec son armée que commandait Nicanor ; elle était composée de cent dis mille hommes de pied, cinq mille chevaux, vingt-deux éléphants, et trois cents chariots armés de faux.

Macchabée, plein de confiance dans la protection du Seigneur, après avoir ordonné des prières générales, marcha sans crainte au-devant du roi, et donna pour mot d’ordre la victoire de Dieu. Ayant pris avec lui les plus braves de ses jeunes guerriers, il attaqua la nuit le quartier d’Antiochus, passa au fil de l’épée quatre mille hommes, tua le plus grand nombre des éléphants, et répandit l’effroi dans le camp.

Quelque temps après, il remporta une autre victoire sur l’armée royale, ce fut dans cette seconde bataille qu’un Juif nommé Éléazar, et que quelques versions disent être un des frères de Judas, fit l’action la plus héroïque avec la certitude d’y perdre la vie. Ayant aperçu de loin un superbe éléphant que la richesse de son harnois fit reconnaître pour l’éléphant du roi, il s’élança, s’ouvrit un passage au travers des ennemis, se jeta entre les jambes de cet animal, lui perçât le ventre avec son épée, le renversa et mourut écrasé[7] sous son poids. Le roi ne montait point cet éléphant ; mais l’éclat d’un coup si hardi augmenta le courage des Juifs et la cruauté des Syriens. Cependant Judas, ne pouvant exterminer un si grand nombre d’ennemis, se vit obligé de s’enfermer, les uns disent à Bethsura, les autres à Jérusalem, où le roi vint l’assiéger. Sa perte paraissait assurée, lorsque, sur ces entrefaites le roi apprit que Philippe, auquel il avait confié le gouvernement de la Syrie, venait de se révolter, probablement à l’instigation des Romains qui voulaient favoriser le jeune Démétrius, fils de Séleucus, et le placer sur le trône. Ces nouvelles forcèrent Antiochus à renoncer à ses projets. Il se réconcilia avec Macchabée, l’embrassa, le déclara prince de la Judée, enrichit le temple saint de ses présents, et y offrit un sacrifice.

Les craintes d’Antiochus ne tardèrent pas à se vérifier. Démétrius Soter s’empara de la plus grande partie de la Syrie, après avoir vaincu Antiochus et Lysias.

Sous ce nouveau règne, la paix dont les Juifs jouissaient depuis si peu de temps fut troublée par la trahison d’un habitant de Jérusalem, nommé Alcime, qui avait usurpé autrefois la grande-prétrise, et qui était souillé d’idolâtrie. Cet homme vint trouver Démétrius, lui fit de riches présents, et le trompa sur l’état de la Judée en lui disant que Macchabée et les Assydéens opprimaient le peuple par leurs rigueurs, et le portaient sans cesse aux séditions et à la guerre. Démétrius, persuadé, d’après les faux avis de ce traître, que la tranquillité publique était inconciliable avec l’autorité de Judas, ordonna à Nicanor d’entrer à la tête d’une armée en Judée, de se saisir de Macchabée, et d’investir Alcime du sacerdoce. Nicanor obéit à regret ; il estimait Judas, et l’avait trouvé en bon état de défense, il persuada au roi de renoncer à sa vengeance, et conclut un nouveau traité avec les Juifs.      

Le libérateur de Jérusalem parvenu à une paix qu’il croyait durable, se maria, et jouit quelque temps de son repos et de sa gloire. Mais Alcime parvint à aigrir de nouveau le monarque syrien, en lui faisant croire que Nicanor le trahissait. Le général reçut de nouveaux ordres ; il ne lui fut plus possible d’en différer l’exécution, et la guerre recommença.

Judas, suivant sa coutume, étant venu au-devant de l’ennemi, déclara à son armée que l’ombre d’Onias lui était apparue et lui avait promis la victoire en lui donnant une épée d’or. Les Juifs, rassurés par ce prodige et affermis par leurs prières, ne comptèrent plus leurs ennemis, et se précipitèrent sur eux, les mirent, en déroute et leur tuèrent trente-cinq mille hommes. Nicanor périt dans cette bataille, Judas célébra sa victoire par un sacrifice solennel et ordonna qu’elle serait toujours fêtée dans la suite des temps. Les Juifs, irrités suspendirent la tête de Nicanor aux murs de la forteresse, et sa main à la porte du temple. A cette époque, Démétrius était devenu le maître de toute la Syrie par la mort d’Antiochus et de Lysias. Judas, instruit de la grande puissance des Romains, envoya à Rome deux ambassadeurs, nommés Eupolime et Jason. Ils conclurent avec le sénat un traité d’alliance, dont les principales dispositions furent que les Juifs ne donneraient aucun secours aux ennemis des Romains, mais qu’au contraire ils fourniraient des troupes aux armées de la république, sans recevoir ni solde ni munitions. Le sénat promettait de son côté que s’il survenait une guerre au peuple juif, il l’assisterait de bonne foi, selon que le temps le permettrait. En conséquence le sénat écrivit à Démétrius pour le menacer de ses armes s’il ne cessait de persécuter les Juifs. Malheureusement cette lettre arriva trop tard en Asie. Démétrius, irrité de la défaite de Nicanor, chargea de sa vengeance Bacchide et Alcime. Ces deux généraux entrèrent en Judée, s’emparèrent de Massaloth, et attaquèrent à l’improviste, Judas qui s’était campé à Laïse, et qui n’avait avec lui que trois mille hommes choisis. Macchabée sans espoir de vaincre, mais incapable de crainte, résista aux conseils de ceux qui l’engageaient à fuir. Il chargea l’ennemi, enfonça l’aile droite que commandait Bacchide ; mais l’aile gauche des Syriens ayant tournée, les efforts de sa vaillance devinrent inutiles. Le combat avait duré depuis le matin jusqu’au soir. Judas, après avoir longtemps résisté, à la foule qui l’entourait, tomba percé de coups. Il expira, et peu de ses braves guerriers échappèrent à la mort par la fuite[8].

Jonathas et Simon emportèrent le corps de Judas à Modin, et l’enterrèrent dans le sépulcre de leurs pères. Tout Israël pleura sa mort en s’écriant : Nous avons perdu l’homme invincible qui seul avait sauvé le peuple de Dieu.

Bacchide, vainqueur, exerça de grandes Vengeances sur les Juifs et donna le gouvernement du pays aux plus impies. Israël fut accablé d’une si grande affliction qu’on n’en avait pas vu de pareille depuis la captivité.

Les amis de Judas, indignés et persécutés, se rassemblèrent et prirent Jonathas, frère de Macchabée, pour leur chef. Jonathas, à la tête d’une troupe intrépide, marcha contre Bacchide, le battit, et le força de se retirer. L’impie Alcime s’était emparé du sacerdoce, mais, au moment où il voulait profaner et dégrader le temple, Dieu, dit l’Écriture, le frappa de paralysie, et termina ainsi sa coupable vie. Jonathas, délivré de ses deux ennemis, gouverna deux ans Israël en paix. La guerre recommença de nouveau ; mais Bacchide ayant encore été vaincu par les Juifs que commandait Simon, frère de Jonathas, le général syrien conclut la paix, et ne revint plus depuis en Judée. Ainsi la guerre cessa. Jonathas établit sa résidence à Machmas, ramena la justice en Judée, et en bannit toute’ impiété.

Après de si longues guerres, il aurait été difficile aux juifs de se relever, si les dissensions de leurs ennemis ne fusent venues à leur secours. Alexandre Bala, fils d’Antiochus Épiphane, voulut s emparer du trône de Syrie. Démétrius Soter rassembla toutes ses forces contre lui ; et, dans le dessein d’être secondé par les Juifs, rechercha l’amitié de Jonathas, lui permit de rebâtir Jérusalem, et de lever des troupes. Toutes les forteresses élevées par Bacchide furent évacuées par les Syriens. Jonathas profita rapidement d’une circonstance si heureuse et si imprévue ; il vint à Jérusalem, en répara les fortifications, rétablit l’ordre dans l’état, et rassembla des troupes.

Alexandre Bala, qui connaissait la vaillance des Juifs et les maux que leur avait faits Démétrius, espérait qu’il viendrait facilement à bout de les engager à faire cause commune avec lui[9]. Il donna le grand sacerdoce à Jonathas, lui envoya une robe magnifique et une couronne d’or, en lui proposant de s’allier à lui. Démétrius fit de vains efforts pour traverser cette négociation ; il affranchit la Judée d’impôts, remit la forteresse de Jérusalem entre les mains de Jonathas, lui céda la ville de Ptolémaïde, et offrit de prendre à sa solde trente mille Juifs pour leur confier la garde de forteresses. Jonathas et tout le peuple ne pouvaient oublier ce qu’ils avaient souffert sous la domination de ce roi ; ils se déterminèrent à embrasser le partir d’Alexandre, et leur armée joignit la sienne.

Les deux rois se livrèrent une grande bataille qui dura tout un jour. Démétrius y périt ; la victoire d’Alexandre fut complète.

Devenu maître du royaume, il s’empressa de rechercher l’alliance de Ptolémée Philométor, roi d’Égypte, et lui demanda pour épouse sa fille Cléopâtre. Le mariage, et le traité, furent conclus par les deux rois à Ptolémaïde ; ils invitèrent Jonathas à y venir. Il parut avec un grand éclat et confondit les calomnies que les Juifs apostats avaient répandues pour le perdre dans l’esprit d’Alexandre. Ce monarque, reconnaissant, le revêtit de pourpre, le fit asseoir près de lui, et le reconnut comme chef et prince de la Judée.

Alexandre ne jouit pas longtemps de son triomphe. Démétrius Nicanor, fils de Soter, rassembla le parti de son père, et réunit bientôt assez de forces pour l’attaquer, et pour envoyer une armée en Judée sous les ordres d’Apollonius.

Jonathas et Simon battirent ce général, mirent son armée en déroute, poursuivirent ses débris à Azoth, et brûlèrent le temple de Dagon. Alexandre, ayant appris ces brillants succès, combla Jonathas d’honneurs, et lui envoya l’agrafe d’or que portaient les princes du sang royal.

Le roi d’Égypte, informé des troubles de la Syrie, conçut le projet de s’en emparer. Il accusa son gendre Alexandre Bala d’avoir voulu attenter à sa vie ; et, s’étant rendu maître par surprise d’une partie des villes de ce royaume, il fit alliance avec Démétrius Nicanor, et lui donna pour femme Cléopâtre sa fille, qu’il venait d’enlever à Alexandre. Jonathas ne prit point de parti dans cette guerre et sut adroitement apaiser Ptolémée, qu’il vit à Joppé, et qu’on avait cherché à irriter contre lui. Alexandre, apprenant l’invasion des Égyptiens, marcha contre eux ; mais, vaincu dans une bataille, il s’enfuit en Arabie. Zabdiel, prince des Arabes, lui fit couper la tète, et l’envoya à Ptolémée qui prit le titre de roi d’Égypte et d’Asie : cependant il paraît que ce prince se contenta de ce titre, et qu’il laissa le gouvernement de l’Asie à Démétrius. Celui-ci fut bientôt attaqué par Triphon, l’un des généraux du dernier roi Alexandre. Une partie des troupes de Démétrius, soulevées, mettaient la vie de ce prince en danger. Il fut sauvé par des Juifs que lui envoya Jonathas. Ils exterminèrent ses ennemis, et lui rendirent la liberté.

Démétrius oublia bientôt ce grand service, et fit la guerre au frère de Macchabée ; mais cette ingratitude ne tarda pas à être punie. Tryphon reprit les armes contre lui, le mit en fuite, et plaça sur son trône le jeune Antiochus Théos. Jonathas et Simon profitèrent de cet évènement pour exterminer tous les Syriens qui se trouvaient en Judée, et pour reprendre toutes les places dont ils s’étaient emparés.

Ce fut à peu près dans ce temps, que Jonathas renouvela l’alliance des Juifs avec les Romains et les Lacédémoniens. Jusque-là son gouvernement n’avait été qu’une suite de triomphes et de prospérités ; mais un grand malheur l’attendait à la fin de sa carrière. Apprenant que Tryphon voulait détrôner Antiochus et se faire roi d’Asie, il marcha contre lui à la tête d’une armée de quarante mille hommes. Tryphon n’espérant pas vaincre par la force, employa l’artifice, et trompa Jonathas par ses promesses et ses négociations. Jonathas, sans défiance et croyant la paix faite, congédia son armée, ne garda avec lui que trois mille hommes, et se rendit, sur la foi jurée, à Ptolémaïde, pour y conférer avec Tryphon ; mais, dès qu’il y fut entré, on ferma les portes, on le tua[10], et on passa au fil de l’épée tous ceux qui l’accompagnaient.

A la nouvelle de sa mort, tous les anciens ennemis de la Judée joignirent leurs efforts à ceux de Tryphon pour détruire Israël ; mais Simon, héritier des talents et des vertus de son frère, ne perdit pas courage dans une circonstance si critique. Les Juifs l’élurent pour prince ; il fortifia promptement les places menacées, fit de grandes levées de troupes, et s’allia, avec Démétrius Nicanor qui lui donna le sacerdoce. Tous ses efforts furent couronnés de succès : il chassa définitivement de la forteresse de Jérusalem les étrangers et les impies qui s’en étaient emparés de nouveau. Hyrcan son fils, auquel il avait donné le commandement de l’armée, défit ses ennemis en plusieurs rencontres ; et s’empara de Gaza et de Joppé.

Simon renouvela les alliances contractées par ses frères, et, sous son administration, la république jouit enfin d’une assez longue paix.

La Syrie, moins heureuse, se voyait toujours déchirée par des guerres civiles. Démétrius continuait à se battre contre Tryphon, mais il fût vaincu et fait prisonnière. Antiochus Sydètes, son fils, le vengea, et vainquit Tryphon par le moyen des secours que Simon lui envoya. Affermi sur le trône, Antiochus ne songea qu’à rétablir l’antique domination de ses pères en Judée, et y envoya une grande armée sous les ordres de Cendebée. Simon, averti de la marche de ce général, dit à ses enfants : Nous avons, mes frères et moi délivré trois fois notre patrie ; et l’orgueil de tous nos ennemis s’est humilié devant nous. Je suis vieux : c’est vous maintenant qui devez combattre, défendre votre culte, vos lois, et sauver votre pays. Marchez. Hyrcan et Judas obéirent promptement à  leur père et réalisèrent complètement toutes ses espérances. Ils marchèrent contre les Syriens, et livrèrent bataille à Cendebée. Judas fût blessé dans cette action : Jean Hyrcan, son frère, le vengea, mit l’ennemi en fuite, le poursuivit, et lui tua dix mille hommes : c’est ainsi que la paix fut rétablie en Judée.

Quelque temps après, Simon, accompagné dé deux de ses fils, Mathathias et Judas, parcourut tout le pays pour établir universellement l’exécution des lois, des règlements, et pour réformer les abus. Arrivé à Jéricho une abominable trahison y termina sa glorieuse vie. Ptolémée, son gendre et fils d’Abobus, était gouverneur de cette contrée. L’ambition avait corrompu son cœur, il aspirait au grand sacerdoce, et crut l’acquérir par un grand crime. Au milieu d’un festin, il poignarda Simon, ses deux fils, et leurs serviteurs, et demanda au roi de Syrie sa protection et son secours. Il envoya en même temps des assassins pour se défaire de Jean Hyrcan ; mais celui-ci, heureusement instruit de ce complot, fit arrêter et tuer ceux qui en voulaient à ses jours[11]. Il marcha ensuite promptement contre Ptolémée, qui lui échappa en fuyant et se retira dans le château de Dagon, où il tenait renfermés la mère et les frères d’Hyrcan. Lorsque celui-ci voulut prendre d’assaut la forteresse, le cruel Ptolémée lui montra, sur le haut des murs, sa mère et ses frères qu’il faisait frapper de verges, et qu’on se préparait à précipiter si l’attaque continuait. La courageuse veuve fit dire à son fils de ne point songer à la sauver, et de ne penser qu’à la vengeance qu’il devait aux mânes de son père et de Judas. Hyrcan ne put supporter l’idée de voir périr sa mère : il changea le siège en blocus et dès que la septième année, qui était celle du repos pour les Juifs, fut arrivée, il se retira.

Ptolémée, hors de péril, ne devint pas plus généreux ; il massacra la famille d’Hyrcan et courut chercher un asile près de Zénon Cotylas, prince de Philadelphie.

Antiochus, irrité des victoires de Simon, crut pouvoir profiter de ces troubles : il entra en Judée, et vint assiéger Jérusalem. Le grand sacrificateur, Hyrcan, pour se délivrer d’un tel danger, fit ouvrir le sépulcre de David, d’où il tira plus de trois mille talents. Il en donna trois cents Antiochus qu’une révolte appelait dans la Médie. Après avoir sauvé ainsi sa capitale, il employa le resté de son trésor à solder des troupes étrangères qu’il joignit à son armée. Ce fut la première fois que les Juifs permirent à leurs chefs ce moyen si utile pour l’autorité du prince, et si dangereux pour la liberté du pays.

Hyrcan sut habilement profiter de la guerre qu’Antiochus avait à soutenir contre la Médie. Il entra en Syrie, où il s’empara de plusieurs places. Pendant ce temps Aristobule et Antigone, ses fils, assiégèrent Samarie, en chassèrent lés Syriens et contraignirent tous les étrangers à évacuer la Judée.

Hyrcan jouit en paix le reste de ses jours, du sacerdoce et de la principauté. Il gouverna pendant trente-trois ans son pays, y maintint l’ordre et la discipline, et laissa une mémoire glorieuse et sans reproche.

Les Juifs croyaient qu’il avait le don de prophétie, il prédit que les deux plus âgés de ses cinq fils ne régneraient pas longtemps. Cette prédiction s’accomplit[12]. Aristobule lui succéda, et du consentement du peuple prit le titre de roi.

Ainsi finit la république juive, qui avait duré quatre cent soixante et onze ans et trois mois depuis le retour de la captivité.

 

 

 



[1] An du monde 3837. — Avant Jésus-Christ 167.

[2] An du monde 3837. — Avant Jésus-Christ 167.

[3] An du monde 3837. — Avant Jésus-Christ 167.

[4] An du monde 3838. — Avant Jésus-Christ 166.

[5] An du monde 3838. — Avant Jésus-Christ 166.

[6] An du monde 3841. — Avant Jésus-Christ 163.

[7] An du monde 3841. — Avant Jésus-Christ 163.

[8] An du monde 3843. — Avant Jésus-Christ 161.

[9] An du monde 3852. — Avant Jésus-Christ 152.

[10] An du monde 3861. — Avant Jésus-Christ 143.

[11] An du monde 3869. — Avant Jésus-Christ 135.

[12] An du monde 3897. — Avant Jésus-Christ 107.