HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE VINGT-DEUXIÈME.

 

République juive, gouvernement des pontifes. Fin de la république juive

LES JUIFS, revenus de leur captivité, reprirent le gouvernement théocratique, sous lequel ils avaient vécu du temps de Moïse, et avant que Samuel, cédant à leurs prières, leur eût donné un roi. Ils n’étaient point indépendants puisqu’ils reconnaissaient l’autorité des rois de Perse, successeurs des rois d’Assyrie, qui les avaient conquis. Ils payaient des tributs, fournissaient des troupes à leurs vainqueurs, et ne pouvaient faire d’alliance sans leur consentement ; mais on les laissait libres dans leur administration intérieure sous la conduite de leurs anciens qui formaient une espèce de sénat. Ils suivaient sans empêchement leur culte dans le temple qu’on leur avait permis de rebâtir, leurs grands-prêtres étaient les chefs de cette république, et l’on voit par plusieurs lettres parvenues jusqu’à nous que c’était à ces pontifes que les rois étrangers s’adressaient dans leurs relations avec la Judée.

Presque tous les Israélites des douze tribus, fidèles à leur religion, se trouvaient réunis à Juda et Benjamin dans le pays de Jérusalem.

Samarie avait été peuplée par des Mèdes, des Perses, des Assyriens, et par les Hébreux tombés dans l’idolâtrie. Il résultait de cet état de choses une grande jalousie, une haine constante entre Samarie et Jérusalem ; et Josèphe reprochait aux Samaritains de prétendre toujours qu’ils étaient Israélites, lorsque la république des Juifs prospérait et de le nier, lorsque les rois d’Egypte ou de Perse l’opprimaient.

Nous avons déjà dit combien d’efforts les Samaritains firent du temps de Cambyse pour empêcher ou retarder la construction du temple de Salomon ; et depuis on vit continuellement ces deux parties du royaume de David se livrer à des querelles souvent suivies d’hostilités.

Malgré ces dissensions intérieures, la république des Juifs se peupla, s’accrut, s’enrichit et jouit d’une prospérité assez éclatante jusqu’à la mort d’Alexandre le Grand ; mais elle devint en suite le théâtre des combats que se livrèrent les successeurs de ce conquérant, et finit par être la victime de leurs sanglants démêlés.

Les temps où les peuples sont heureux et paisibles sont ceux qui laissent le moins de souvenirs à la postérité. Ce sont les jours d’orages qui brillent dans la nuit des temps : à une si grande distance, nous ne distinguons ce qui se passait dans ces contrées antiques qu’à la leur de la foudre qui les ravageait. Aussi l’histoire ne nous à conservé presque aucun détail certain de la longue époque où les Juifs ont vécu tranquilles, depuis Cyrus et ses deux successeurs jusqu’au partage de l’empire d’Alexandre.

Le calme dont jouissait Jérusalem fut d’abord interrompu sous le pontificat de Jean, fils de Juda et petit-fils d’Éliazib. Jean imita le crime de Caïn ; excité par l’envie et la haine, il massacra Jésus, son frère, dans le temple. Ce meurtre et ce sacrilège indignèrent les étrangers comme les Juifs. Artaxerxés envoya des troupes à Jérusalem, fit périr le prêtre coupable dans le temple qu’il avait profané et imposa sur la Judée de nouveaux tributs. Jaddus remplaça Jean, son frère, dans le sacerdoce, usurpé par celui-ci sur Jésus. Dans le même temps, Sanaboleth, Cutéen de nation et nommé par Darius, roi de Perse, gouverneur de Samarie, donna pour époux à sa fille un des prêtres de Jérusalem nommé Manassé, espérant que ce mariage lui concilierait l’affection des Juifs ; mais cette alliance d’un lévite et d’une idolâtre produisit une très grande fermentation dans la ville sainte ; et cette infraction aux lois de Moïse, excita le courroux du grand-prêtre Jaddus, qui ordonna à Manassé de répudier sa femme. Manassé n’y voulant pas consentir, se retira à Samarie, où son beau-père lui fit espérer que Darius le protégerait, et lui permettrait de bâtir sur la montagne de Garizim un temple rival de celui de Salomon, et dont il serait le grand sacrificateur.

Darius ne put réaliser cette espérance ; il fut vaincu par Alexandre et périt. Ce dernier après avoir conquis la Perse, attaqua les Tyriens, et demanda des troupes aux Juifs. Jaddus, lié par le serment prêté à la famille de Darius refusa fièrement les secours qu’exigeait ce conquérant. Sanaboleth et Manassé, profitant de cette circonstance, lui amenèrent huit mille Samaritains. Pour prix de ce service, Manassé obtint le sacerdoce, dressa un autel à Garizim et commença la construction d’un temple.

Malgré cette querelle, l’Écriture rapporte, et tous les historiens s’accordent à dire qu’Alexandre, loin de persécuter les Juifs, les protégea, et montra une grande vénération pour le Dieu, qu’ils adoraient. Josèphe va plus loin ; il prétend que ce prince vint lui-même à Jérusalem, et rendit hommage au Dieu d’Israël. Nous allons faire connaître cette anecdote, comme curieuse, et non comme un fait avéré.

L’auteur juif assure qu’Alexandre s’étant approché de Jérusalem à la tête de son armée, le grand-prêtre Jaddus, au lieu de lui opposer quelque résistance, fit joncher de fleurs les rues et les chemins. Revêtu de ses ornements sacerdotaux, il sortit en pompe de la Ville à la tête des prêtres et des lévites, et marcha ainsi à la rencontre du vainqueur de l’Orient : Alexandre, saisi de respect à la vue de ce cortège auguste et religieux, s’inclina profondément devant le pontife. Parménion lui en ayant marqué sa surprise, le roi lui répondit : Ce n’est point le prêtre ; c’est son Dieu que je salue. Ce Dieu m’est apparu lorsque j’étais encore en Macédoine ; il m’a encouragé dans mon entreprise, en m’annonçant la victoire et me promettant la conquête de la Perse. Josèphe dit qu’Alexandre, entré pacifiquement à Jérusalem, sacrifia lui-même dans le temple du Seigneur, et que Jaddus lui montra la célèbre prophétie par laquelle Daniel annonçait ses triomphes et l’établissement de son empire. Il ajoute que le héros accorda aux Juifs beaucoup de faveurs, de privilèges et de liberté.

Jaddus termina sa carrière, et fut remplacé par son fils Onias.

Après la mort, d’Alexandre à Babylone, les chefs de son armée partagèrent son empire et l’ensanglantèrent par des guerres longues et cruelles. La Judée devint souvent le théâtre de ces combats ; mais pendant les trente années qui s’écoulèrent depuis cette époque jusqu’au règne d’Antiochus Épiphane, la république, tantôt favorisée, tantôt maltraitée par les vainqueurs, conserva son indépendance. Nous n’avons point de guides certains pour nous conduire au milieu de cette multitude d’événements, Josèphe est le seul historien qui les rapporte avec détail, et sa partialité a souvent fait doute de la vérité de ses récits.

Nous dirons seulement que Ptolémée Soter traita les Juifs avec rigueur : il en envoya cent vingt mille en Égypte.

Ptolémée Philadelphe, son successeur, protégea la république, lui rendit ses bannis ; et, comme il s’occupait avec soin d’enrichir la bibliothèque d’Alexandrie et tous les manuscrits curieux, il demanda au grand-prêtre Éléazar de lui envoyer soixante douze Hébreux pour traduire la loi de Moïse.

On lut publiquement cette traduction, et le roi d’Égypte fit de riches présents au temple de Jérusalem. Il survint entre l’Égypte et la Syrie de longues guerres qui désolèrent la Judée. Le grand-prêtre Onias, neveu d’Éléazar, mécontenta les Égyptiens par son avarice, leur refusa le tribut ordinaire, et attira de grandes calamités sur son pays.

La Judée fut conquise par Antiochus le Grand qui protégea les Juifs, leur témoigna une grande confiance, se servit de leurs troupes avec succès, et accorda le droit de bourgeoisie à Antioche et dans plusieurs villes de l’Asie.

Ptolémée Épiphane reprit la Judée sur Antiochus, qui s’en empara de nouveau, et la céda ensuite pour faire partie de la dot de Cléopâtre sa fille, qui devint la femme de Ptolémée et le gage de la paix.

Ptolémée Évergètes, ne pouvant obtenir d’Onias l’argent qu’il demandait, menaça Jérusalem d’une destruction totale. Un riche Hébreu, nommé Joseph, fils de Tobie, apaisa son courroux par de magnifiques présents, et acquit un grand crédit en Égypte et en Judée, malgré la rigueur avec laquelle il leva des impôts pour satisfaire le roi.

Hyrcan, fils de Joseph, rendit de grands services à sa patrie, et lui conserva la faveur de Ptolémée, mais sa puissance et ses richesses excitèrent la haine de ses frères qui voulurent l’assassiner. Il leur résista, en tua deux, sortit de Jérusalem, et se retira au-delà du Jourdain près de Hessédon, où il construisit une forteresse, d’où il sortait souvent pour faire la guerre aux Arabes. Il conserva sept ans son indépendance, mais lorsque Antiochus Épiphane conquit la Judée, craignant le courroux de ce prince, il se tua.

Les Romains ayant déclaré la guerre à Antiochus le Grand, ce prince perdit contre eux une bataille dans laquelle il fut fait prisonnier. On l’obligea de payer un tribut énorme, et de trois fils qu’il avait, le premier et le dernier restèrent à Rome pour y être élevés, et pour y répondre de la fidélité de leur père

Antiochus, obligé d’accabler la Syrie d’exactions, pour acquitter son tribut, périt de la main de ses sujets. Séleucus Épiphane, le second de ses fils, lui succéda, et laissa régner en son nom la reine Laodice, sa mère.

Dans ce temps, la république des Juifs était gouvernée par le grand-prêtre Onias, troisième pontife de ce nom. Onias par sa piété, sa justice et son inflexible fermeté, maintenait l’ordre dans la république, et la faisait respecter au dehors ; sous son administration, la Judée vivait heureuse et florissante.

Un lâche factieux troubla cette tranquillité. Ce misérable, nommé Simon, de la tribu de Benjamin, n’était ni lévite ni prêtre ; mais chargé de la police extérieure du temple, son emploi lui donnait quelque crédit. Il voulût s’en servir pour favoriser  des juifs corrompus, et pour introduire quelque relâchement dans l’exécution des lois : la rigueur d’Onias fit avorter ses projets. Simon, irrité, vint trouver Apollonius, gouverneur de Phénicie, et lui dit secrètement que le temple de Jérusalem renfermait d’immenses trésors qui n’étaient point employés au  service public. Séleucus, informé de cette nouvelle, résolut d’en profiter. Il chargea Héliodore, intendant de ses finances, d’aller à Jérusalem, et de s’emparer de ce trésor.

En vain le grand-prêtre Onias s’efforça de persuader à l’envoyé que Simon l’avait méchamment trompé ; Héliodore voulut s’en assurer par ses propres yeux, et déclara qu’il entrerait lui-même dans le temple au mépris des lois divines qui défendaient à tout profane l’accès de ce lieu sacré.

A cette nouvelle, toute la ville de Jérusalem est remplie de consternation. Ses habitants jettent des cris, versent des larmes ; les prêtres sont prosternés au pied de l’autel ; toutes les mains sont levées vers le ciel ; toutes les voix adressent au Seigneur d’ardentes prières. Héliodore, à la tête de ses gardes, se prépare à forcer la porte du temple. Tout à coup paraît un cavalier d’un aspect formidable, couvert d’une armure d’or ; son coursier frappe Héliodore des deux pieds de devant et le renverse[1]. Deux jeunes hommes pleins de majesté et richement vêtus, le frappent sans relâche à coup de fouet ; l’impie est jeté à demi-mort hors de l’enceinte du temple, et Jérusalem passe subitement du désespoir à la joie.

Héliodore, saisi de la crainte de Dieu, le remercia d’avoir épargné sa vie. Il  revint près de Séleucus, le détrompa, et fut depuis aussi zélé pour servir les Juifs qu’il s’était montré d’abord ardent pour les persécuter.

Simon ne fut point découragé par le mauvais succès de son entreprise. Appuyé par le crédit d’Apollonius, il se mit à la tête de tout ce qu’il y avait de Juifs infidèles et d’hommes perdus dans Jérusalem. Par ce moyen, il y excita tant de troubles que le grand-prêtre Onias ne trouvant plus d’autre remède contre ces désordres, sortit de Judée, et courut implorer le secours et l’autorité du roi Séleucus. Il fut reçu à sa cour avec la vénération qu’inspirait sa vertu. Mais les dispositions favorables de Séleucus restèrent sans effet. Ce monarque mourut et ne put assurer le trône à son fils Démétrius. Les Romains, suivant les maximes de leur politique artificieuse et dominatrice, envoyèrent en Syrie le frère aîné du feu roi, Antiochus Épiphane, qui avait été élevé à Rome ; et que Dieu destinait à être le fléau de la Judée.

Jason, ’indigne frère du grand-prêtre Onias, profita de son absence pour usurper le pouvoir. Il se lia avec Sinon et avec tous les hommes adonnés à la débauche et à l’idolâtrie ; enfin, pour consommer sa perfidie, il vint trouver Antiochus, lui donna trois cent soixante talents d’argent pour obtenir le sacerdoce, et lui en promit deux cents autres, si le roi lui permettait d’établir à Jérusalem les usages des Grecs, des lieux publics d’exercices, et des académies pour la jeunesse. Antiochus, qui avait besoin d’argent pour combattre le parti de son neveu Démétrius, accorda à Jason tout ce qu’il lui demandait.

Dés que celui-ci se vit revêtu du souverain sacerdoce, appuyé d’une troupe d’apostats et de gens débauchés, il persuada au peuple que tous ses malheurs venaient de la loi de Moïse, dont la rigueur isolait les Juifs des autres nations, en leur défendant toute alliance avec elles et tout rapport de culte et de moeurs.

Bientôt Jérusalem fut remplie de jeux, de fêtes païennes, de profanations ; et ce grand-prêtre lui-même envoya de l’argent à Tyr, pour y faire un sacrifice à Hercule.

Antiochos, après une longue guerre interrompue par une paix et par un partage de peu de durée, triompha de son neveu Démétrius, l’envoya en otage à Rome, devint le seul maître de la Syrie, et, enivré de ses sucrés, entreprit la conquête de l’Égypte que gouvernait alors Ptolémée Philométor, dont le père, Philopator,  avait eu tant de guerres à soutenir contre le grand Antiochus. Son ambition l’aveuglait au point de lui faire oublier que Rome s’était toujours opposée à la réunion des empires d’Égypte et d’Asie.

Antiochus remporta de grandes victoires en Égypte ; mais la résistance de cette nation et la politique romaine le forcèrent de renoncer à cette conquête. Il se contenta de faire une paix glorieuse, et tourna ses vues du côté de la Judée, dont il médita dès lors la ruine. L’accueil qu’il reçut à Jérusalem et les présents que lui fit la république, ne changèrent point ses projets ; ils en retardèrent seulement l’exécution.

Le pontife Jason jouissait tranquillement du fruit de ses crimes, mais une perfidie semblable à la sienne le punit bientôt de sa trahison. Il avait chargé son frère Ménélaüs de porter le tribut des Juifs à Antiochus. Ce frère perfide capta la faveur du roi par des louanges, des présents et des promesses. Jason fut déposé, et Ménélaüs le remplaça. Fier de son succès, il crut pouvoir éluder les engagements pris avec le roi, il ne paya point le tribut aux époques prescrites. Le roi le destitua, et donna sa place à son frère Lysimaque.

Peu de temps après, les villes de Tarse et de Mallo en Cilicie se soulevèrent contre Antiochus, parce que le roi les avait cédées à une de ses concubines. Ménélaüs, furieux de sa déposition, voulut profiter de ce soulèvement ; il vendit des vasés d’or volés par lui dans le temple, et porta le prix de ce sacrilège à Andronic, gouverneur d’Antioche, pour l’aider à apaiser la révolte de la Cilicie. L’ancien grand-prêtre, le vertueux Onias, apprenant dans le fond de sa retraite cette profanation des vases sacrés, éclata en reproches contre son frère, Ménélaüs. Celui-ci, craignant que la voix d’Onias, ne réveillât l’indignation des Juifs, engagea Andronic à se défaire d’un censeur si austère et si dangereux. Andronic, déguisant son barbare dessein, invita Onias à une conférence et lui enfonça un poignard dans le cœur. Malgré la dépravation qui existait alors à Jérusalem, la mort de ce vieillard révéré répandit parmi les Juifs une extrême désolation ; les païens mêmes partageaient leur douleur ; et tous, malgré la diversité de leurs intérêts et de leurs cultes, adressèrent à Antiochus de violentes plaintes contre l’auteur de cet attentat. Antiochus, informé de cet événement, donna des regrets à la mémoire d’Onias, et le vengea en ordonnant la mort d’Andronic.

Cependant le pontife Lysimaque continuait à Jérusalem ses pillages et ses sacrilèges lorsque tout à coup le bruit se répandit dans la ville qu’il avait enlevé et caché les trésors du temple. La multitude s’enflamma de colère, et se souleva contre lui. Il voulut en vain résister à la tête de trois mille hommes, qui lui étaient dévoués ; sa troupe fut dispersée, et on le massacra lui-même à la porte du temple. L’anarchie suivit cette sédition. On s’adressa au roi pour la faire cesser ; mais, à la grande surprise des gens de bien qui réclamaient son autorité, il rendit le sacerdoce à Ménélaüs, l’auteur et l’instigateur de tous les crimes commis depuis plusieurs années. Dès ce moment le vice triompha, la vertu fut proscrite ; on outragea l’innocence ; on opprima la pauvreté ; on supposa des crimes  à la richesse. Ménélaüs protégea tous les brigands, extermina tous les hommes de courage et de mérite ; et Jérusalem, sans défense et sans protection, devint le théâtre des vengeances et des cruautés de ce tyran féroce.

Cependant tous ces malheurs, qui accablaient Jérusalem, n’étaient encore qu’un faible présage des calamités qui devaient bientôt fondre sur la Judée.

Dieu, dit l’Écriture, voulut encore porter son peuple au repentir, et l’avertir par des prodiges de sa prochaine destruction[2]. On entendit un bruit affreux sans le ciel ; on vit dans les airs une multitude d’hommes, armés de casques et d’épées, des cavaliers qui se livrant des combats et se lançaient des dards. Mais ces sinistres augures ne touchèrent point le cœur de l’impie Ménélaüs et de ses partisans. Dans ce temps, Antiochus Épiphane, ayant accru ses forces, ses richesses et sa puissance, revint à ses premiers projets contre l’Égypte, et entra dans ce royaume à la tête d’une très forte armée, espérant que la faiblesse de Ptolémée Philométor lui opposerait peu de résistance. Mais la prédiction faite autrefois par Daniel s’accomplit. Les Romains unirent leurs forces à celles des Égyptiens, et le roi de Syrie, vaincu par eux, fut obligé de renoncer à son entreprise. Pendant son expédition, le bruit de sa mort courut dans la Judée et Jason, l’ancien grand-prêtre, qui n’ignorait pas combien les cruautés de son frère Ménélaüs excitaient de haine contre lui, crût le moment favorable pour rentrer dans Jérusalem, et pour s’emparer dé nouveau du sacerdoce. Son projet réussit Ménélaüs, enfermé dans Jérusalem, se trouva contraint de se retirer dans la citadelle. Jason aurait pu jouir longtemps de sa victoire, s’il en eût usé avec modération ; mais il se comporta en vainqueur irrité, et se livra à la vengeance. Cette conduite révolta les habitants de Jérusalem, assez malheureux pour n’avoir que le choix des tyrans. Ils préférèrent Ménélaüs, fort de la protection du roi. Jason, vaincu, s’enfuit précipitamment dans son ancienne retraite : Arétas, roi des Arabes, le fit arrêter et mettre en prison. Jason s’échappa et chercha un asile en Égypte. Odieux à tous les partis, il ne put y rester ; mais enfin il se réfugia chez les Lacédémoniens, qui se croyaient descendant d’Ésaü, et fraternisaient avec les Israélites. Il mourut bientôt de misère dans ce pays où il était si méprisé, qu’on lui refusa la sépulture.

Antiochus, revenant d’Égypte, apprit les nouveaux troubles que Jason avait excités en Judée. Il crut qu’un peuple si remuant ne pourrait jamais être constamment soumis. Ennemi du culte des Juifs, redoutant leur bravoure et leur esprit d’indépendance, méprisant la perfidie de leurs chefs et leur basse ambition, il résolut, dans sa colère, de réduire la Judée en servitude, d’anéantir la loi de Moïse, de livrer aux faux dieux le temple de Salomon, d’obliger tous les Juifs à n’avoir que le même culte et les mêmes lois, et de faire périr tous ceux qui résisteraient à ses volontés. Pour exécuter ce barbare projet, il marcha rapidement sur Jérusalem. Les habitants de cette ville ne purent lui opposer qu’une faible résistance. Ménélaüs et son parti lui en ouvrirent les portes ; ce vainqueur féroce livra cette grande cité au pillage, et y fit périr quatre-vingt mille personnes de tout âge et de tout sexe ; quarante mille furent mises aux fers, et quarante mille vendues. Le roi entra dans le temple, et profana le sanctuaire. Conduit par le sacrilège Ménélaüs, il fit enlever l’autel d’or, le chandelier, les lampes, la table de proposition, les bassins, les vases, les encensoirs d’or, les voiles, la draperie dorée qui couvrait la face du temple, s’empara de tous les trésors amassés dans ce saint lieu et emporta dans ses états ce honteux et sacrilège butin. Plus fier de sa barbarie qu’Alexandre de sa générosité. Loin de laisser respirer les Juifs, après tant de massacres, il confia le soin de les opprimer à Philippe, Phrygien, qu’il chargea du commandement de Jérusalem ; et il envoya à Samarie Andronic et Ménélaüs.

Jamais peuple n’éprouva une plus terrible désolation, et cependant les malheurs des Juifs n’étaient pas encore à leur comble.

Bientôt après, Antiochus publia un édit qui abolissait le culte du vrai Dieu, et ordonnait à tous ses sujets de se soumettre aux lois, et au culte des Grecs. Il consacra le temple de Garizim à Jupiter Hospitalier, et, le temple de Jérusalem à Jupiter Olympien. Apollonius, aussi cruel que son maître, fut chargé de l’exécution de cet édit.

Pour mieux assurer la vengeance du roi, Apollonius déguisa d’abord sa fureur sous une feinte modération, il attendit, pour assouvir sa colère, le jour de la célébration du Sabbat. Presque tous les Juifs, qui avaient conservé dans leur cœur le culte de leurs pères, se réunirent autour des autels du Seigneur. Apollonius les fit tous passer au fil de l’épée ; livra la ville aux flammes, au pillage et fit raser ses murailles. Au milieu des débris de la cité sainte Apollonius fit fortifier un quartier appelé Ville de David, et y assembla tout ce qui voulut s’y rendre d’hommes perdus et de Juifs apostats, qu’il joignit à ses soldats idolâtres. Ce fut là qu’il renferma toutes les richesses dont il s’était emparé, et cette citadelle, dit l’Écriture, devint ainsi le siége du démon et de la tyrannie. Tous ceux qui échappèrent au fer des assassins abandonnèrent la ville sainte ; elle ne fut peuplée que d’étrangers.

Apollonius vint rendre compte à Antiochus de l’horrible succès de sa mission ; mais le roi, qui voulait étendre partout les malheurs tombés sur Jérusalem, fit publier, dans toutes les villes et les bourgs de la Judée, la défense de célébrer le Sabbat, de circoncire les enfants, et d’offrir des holocaustes au Dieu d’Israël. On y ajouta l’ordre de manger des viandes immondes, d’élever des autels aux faux dieux, et de sacrifier des pourceaux.

Les Juifs, jusque-là restés fidèles, furent tellement effrayés par la ruine de Jérusalem et par la rigueur des supplices qu’attirait toute résistance, qu’on les vit presque universellement céder partout à la contagion, abjurer leur Dieu et sacrifier aux idoles.

 

 

 



[1] An du monde 3828. — Avant Jésus-Christ 176.

[2] An du monde 3834. — Avant Jésus-Christ 170.