HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE VINGTIÈME.

 

Isaïe, Jérémie, Baruch, Ézéchiel, Daniel, prophètes.

LA RELIGION des Juifs est inséparablement attachée à leur histoire, et comme en parlant des autres peuples on doit parler des magistrats, des guerriers, des ministres qui ont paru avec le plus d’éclat, et qui ont servi avec le plus d’utilité, de même on doit faire connaître les prophètes, puisque ces hommes, que l’Écriture dit inspirés par Dieu lui-même, eurent la plus grande influence sur les événements. Les Hébreux, en se soumettant à des rois, avaient conservé la loi de Moïse : ainsi leur gouvernement était, théocratique. C’était au nom de Dieu qu’on déclarait la guerre, qu’on décidait la paix, et tout devait se faire par ses ordres, dont les prophètes et les pontifes étaient regardés comme les interprètes.

ISAÏE, le premier dans l’ordre des prophètes, et prince de la maison royale, vivait sous les règnes d’Osias, de Jonathan, d’Achaz, d’Ézéchias et de Manassé. Aucun homme de son temps ne le surpassait en vertu, en piété, en éloquence. Dieu lui apparut dans toute sa gloire ; il l’avait vu assis sur un trône élevé, environné de chérubins qui chantaient le fameux cantique que l’Église répète aujourd’hui. Dans son humilité, il ne croyait pas ses lèvres assez pures pour annoncer aux hommes la parole de Dieu. Comme il priait, un ange saisit un charbon ardent sur l’autel et en toucha sa bouche pour la purifier. Il prédit ce qui devait arriver jusqu’à la fin des temps ; il découvrit les choses secrètes avant qu’elles arrivassent[1]. C’est de tous les prophètes celui dont les prédictions ont annoncé le plus clairement la naissance et le règne de Jésus-Christ. Il fit des miracles, ajouta plusieurs années à la vie du roi Ézéchias, annonça la ruine de Babylone, celle de Jérusalem, et la conversion des gentils. Il consola ensuite ceux qui pleuraient sur Sion, il reprocha aux peuples leurs égarements, aux rois leur fautes ; il fut courageux et persécuté. Manassé le fit périr ; on le scia avec une scie de bois, supplice qui devait rendre sa mort plus horrible. Saint Paul a fait de lui un magnifique éloge.

JÉRÉMIE commença à prophétiser six cent vingt-neuf ans avant Jésus-Christ[2], sous le règne de Josias ; sa mission dura quarante-cinq ans, jusqu’à la onzième année du gouvernement de Sédécias.

L’Écriture rapporte que Dieu lui dit : Je vous ai connu avant que je vous eusse formé dans les entrailles de votre mère ; je vous ai sanctifié avant que vous fussiez sorti de son sein, et je vous ai établi mon prophète parmi les nations.

Jérémie, plein de l’affliction que lui causait la dépravation des Israélites, leur annonça la vengeance de Dieu, prévit leur destruction et partagea leurs malheurs. Ses éloquentes lamentations l’ont rendu célèbre, et sont venues jusqu’à nous. Les princes et les prêtres, irrités de ses reproches et de ses menaces, le persécutèrent et voulurent le faire condamner à mort par le peuple ; mais le péril redoubla son courage et son éloquence. Il parla avec tant de fermeté, qu’il confondit ses ennemis. Le roi Joachim, qu’il avertit de sa perte prochaine, fit brûler ses prophéties, qu’il écrivit ensuite de nouveau et qu’il publia avec le même zèle pour exécuter les ordres du Seigneur. Sédécias, trompé par les ennemis du prophète, le fit jeter dans une citerne ; mais il ordonna ensuite qu’on le lui amenât en secret, et lui promit de lui sauver la vie s’il voulait lui dire la vérité, et lui conseiller ce qu’il devait faire. Jérémie lui annonça, au nom de Dieu, qu’il vivrait et que Jérusalem serait sauvée, s’il consentait à se rendre au roide Babylonie ; mais que, s’il prétendait résister, la ville serait prise, livrée aux flammes, et que tous les Hébreux retomberaient dans la servitude. Le roi n’osa pas suivre les avis du prophète, et Jérémie demeura en prison jusqu’au jour de la prise de Jérusalem. Nabuchodonosor le mit en liberté. Après avoir pleuré les malheurs de sa patrie, il prédit la ruine des Iduméens et le rétablissement d’Israël.

BARUCH, aussi distingué par ses talents que par sa naissante, fut le disciple de Jérémie, dont il imita le courage et la piété[3]. Il fit des efforts continuels pour ramener les Israélites à Dieu, et pour les empêcher de sacrifier aux idoles des Babyloniens. Il lut publiquement ses prophéties devant Jéchonias, fils de Joachim ; et l’Écriture rapporte  que le peuple se montra si touché de cette lecture qu’il passa plusieurs jours dans le jeûne, les larmes et la prière.

ÉZÉCHIEL prophétisa pendant vingt-deux ans, dont les onze premiers concourent avec les onze derniers de Jérémie. Il était de la race sacerdotale, et fut un des premiers captifs qu’on transporta à Babylone avec Jéchonias. Il eut des visions très mystérieuses, qu’on trouva si obscures, qu’il était autrefois défendu à tous les Juifs de les lire avant l’âge de trente ans. On a beaucoup et vainement disserté pour expliquer ce que signifiaient les quatre animaux qu’il avait vus dans le ciel, les roues mystérieuses qui les suivaient, et le firmament de cristal qui soutenait le trône de Dieu. Il reçut du Seigneur un livre qu’il mangea et qui devint, dit l’Écriture, doux à sa bouche comme miel. Ses prophéties sont, comme toutes les autres, remplies de menaces contre les Juifs, auxquels il annonce tous les fléaux qui doivent punir leurs péchés ; il composa plusieurs paraboles, dans lesquelles il compare Jérusalem et Samarie à des femmes corrompues et à des vases impurs, gâtant tout ce qu’on y renfermait. De toutes les visions du prophète Ézéchiel, une des plus fameuses est celle où l’esprit de Dieu le transporta dans une vaste campagne remplie d’une quantité immense d’os de morts, desséchés depuis longtemps[4]. D’après l’ordre du Seigneur, il commanda à tous ces os de rentrer dans leurs places naturelles. Rien ne résiste au pouvoir du Très-Haut ; l’exécution de son commandement se fit avec un effroyable bruit ; tous ces os se réunirent, les nerfs, la chair et la peau les couvrirent ensuite, et formèrent des corps parfaits auxquels il ne manquait plus que la vie. Ce prophète, par un nouvel ordre de Dieu, ayant attiré, des quatre parties du monde le même esprit qui anima autrefois le premier homme, ces corps se levèrent tout à coup vivants. C’est ainsi que Dieu traça aux regards d’Ézéchiel l’image de la résurrection qui doit un jour avoir lieu.

DANIEL. Ce prophète était de la race des princes de Juda[5] ; emmené très jeune à Babylone par Nabuchodonosor, il fut attaché au service du roi, ainsi qu’Ananie, Misaïl et Azarie, trois jeunes Juifs de familles distinguées. Leur piété, dans un âge si tendre, résista aux séductions des idolâtres, et aucune autorité ne put leur faire rompre les jeûnes prescrits par la loi.

Nabuchodonosor fit dans ce temps un songe qui l’effraya. Il avait vu une statue colossale, dont la tête était d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre et les cuisses d’airain, les jambes de fer, et les pieds du même métal mêlé d’argile. Une pierre tombée d’une montagne, sans être poussée par la main d’aucun homme, était venue frapper la statue, et l’avait réduite en poudre. Aucun des devins ne pouvant expliquer ce rêve, le roi ordonna leur mort.

Daniel demanda qu’on suspendit l’exécution de cet arrêt ; il invoqua Dieu, se présenta au roi, lui raconta mot à mot son songe, et lui apprit que la tête d’or de sa statue représentait son empire qui serait, détruit et remplacé par un autre d’argent et moins puissant que le sien ; qu’ensuite il en viendrait un troisième d’airain, et ensuite un quatrième qui serait de fer, et qui briserait tout.

Cette prédiction donna un grand crédit à Daniel et à ses jeunes amis ; ils devinrent très puissants à Babylone. Leur élévation excita l’envie, leur suscita des ennemis qui résolurent de les perdre.

Nabuchodonosor avait ordonné à tous ses sujets d’adorer sa statue. Daniel et ses compagnons refusèrent de se soumettre à l’édit du roi, et lui déclarèrent qu’ils ne rendraient jamais cet hommage qu’au vrai Dieu. Le monarque, irrité, les fit jeter dans une fournaise ardente[6]. Mais, un ange vint à leur secours. Il les environna au milieu des flammes d’une douce rosée ; le feu respecta leurs corps ; leurs vêtements et leurs liens furent seuls brûlés. Ils sortirent de la fournaise, rendirent grâce au Seigneur de leur délivrance ; et le roi, frappé par ce miracle, publia un édit pour ordonner à ses sujets d’adorer le Dieu d’Israël.

Ce prince eut encore un autre songe envoyé du ciel, pour lui annoncer le jugement qui le menaçait. Il vit un grand arbre dont la tête s’élevait jusqu’au ciel et couvrait toute la terre. Un ange parut et dit : Abattez cet arbre, gardez-en la racine. Il faut qu’elle soit trempée de rosée, et qu’elle demeure sept ans au milieu des animaux des forêts. Daniel, interprétant ce songe, prédit au roi qu’en punition de l’orgueil que lui avaient inspiré ses conquêtes et ses monuments, il serait chassé de la société des hommes, qu’il vivrait avec les bêtes et comme elles ; et qu’il serait ainsi pendant sept années exposé aux injures de l’air et à la rosée du ciel. Cette prédiction, dit l’Écriture s’accomplit ; le roi demeura le temps prescrit au milieu des bêtes farouches[7]. Ses cheveux devinrent grands comme le plumage de l’aigle, et ses ongles comme les griffes des oiseaux de proie.

Daniel fit une prédiction encore plus funeste au roi Balthasar, petit-fils de Nabuchodonosor. Ce prince, étant à un festin magnifique dans son palais voulut profaner les vases sacrés de Jérusalem en les employant à ses débauches ; mais, au moment où il versait du vin pour ses femmes et ses officiers, il parut tout à coup une main qui écrivit sur la muraille sa condamnation en trois mots, dont personne ne pouvait déchiffrer le sens[8], Toute la cour était dans le trouble et dans le saisissement. La reine se souvenant alors des anciennes prédictions de Daniel, le fit venir et lui offrit des présents ; le prophète les rejeta, et dit au roi avec une sainte liberté que, n’ayant pas profité de la leçon terrible donnée à son aïeul, Dieu voulait punir son orgueil et son impiété, et avait écrit lui-même ces trois mots, Manè, thecel, pharès ; le premier marquait que le Seigneur avait compté les jours de son règne, et qu’ils étaient accomplis ; le second signifiait qu’il avait été pesé dans la balance céleste et trouvé trop léger ; enfin le mot pharès annonçait la destruction de son royaume par les Mèdes et les Perses qui le partageraient.

Le roi, loin de punir son courage le récompensa. Cyrus, à la tête de son armée, parut bientôt devant les murs de Babylone et surprit la ville. Balthasar périt, et la prédiction du prophète s’accomplit entièrement.

Sous le règne de Darius Médus, la piété de Daniel fut encore mise en une forte épreuve. On avait ordonné, sous peine de mort, à tout le peuple d’adorer les images du roi. Lé prophète refusa cet hommage impie, et Darius, oubliant l’estime qu’il lui portait autrefois, céda au désir de ses ennemis, et le fit descendre dans la fosse aux lions pour y être dévoré par ces animaux[9]. Se repentant de sa cruauté, ce prince espérait un miracle. Il arriva ; car le lendemain on trouva Daniel plein de vie. Darius, surpris de cette merveille, délivra le prophète, et fit jeter à sa place ses accusateurs qui furent aussitôt dévorés.

L’Écriture rapporte qu’on jeta une seconde fois ce saint homme dans la même fosse ; que les lions respectèrent toujours sa vie, et, que le prophète Habacuc, qui était en Judée, fut transporté à Babylone par un ange qui le tenait par les cheveux et le descendit dans la fosse, où il apporta à Daniel des aliments dont il était privé depuis plusieurs jours.

Tant de merveilles lui attirèrent enfin une confiance et une vénération universelle, et, pour compléter son triomphe, il démasqua la fourberie des prêtres de Bel, et découvrit au roi comment ces imposteurs enlevaient secrètement, la nuit, du temple, les victimes qu’on croyait consommées par l’idole.

Dès l’âge de douze ans Daniel annonça la sagesse qui devait un jour éclater en lui.

 

 

 



[1] An du monde 3219. — Avant Jésus-Christ 785.

[2] An du monde 3375. — Avant Jésus-Christ 629.

[3] An du monde 3404. — Avant Jésus-Christ 600.

[4] An du monde 3420. — Avant Jésus-Christ 584.

[5] An du monde 3398. — Avant Jésus-Christ 606.

[6] An du monde 3417. — Avant Jésus-Christ 587.

[7] An du monde 3434. — Avant Jésus-Christ 570.

[8] An du monde 3466. — Avant Jésus-Christ 538.

[9] An du monde 3466. — Avant Jésus-Christ 538.