Esther (An du monde 3495. - Avant Jésus-Christ 509) UNE AUTRE femme, aussi célèbre que Judith, illustra encore l’histoire des Juifs. Artaxerxés, que l’Écriture nomme Assuérus, régnait en Perse ; ses états contenaient cent vingt-sept provinces, et s’étendaient depuis les Indes jusqu’à l’Éthiopie. Suze était la capitale de son empire. La troisième année de son règne, voulant montrer sa grandeur et sa puissance, il rassembla les princes, les grands, et les plus braves de ses officiers, et leur donna un festin magnifique qui dura cent quatre-vingts jours. Ceux qui avaient été invités étaient couchés sur des lits d’or et d’argent, dans de vastes galeries meublées en lin, brillantes d’écarlate, et dont les pavés étaient de porphyre et de marbre ; on distribuait des vases et des plats d’or aux convives. Dans d’autres appartements, la reine Vasthi traitait avec la même magnificence les femmes les plus distinguées de l’empire. Le roi dans la chaleur du vin qu’il avait bu avec excès, s’écartant de l’usage, qui défendait aux femmes de se montrer en public, ordonna à des eunuques de faire venir devant lui la reine Vasthi, parée de son diadème, pour faire admirera tousses convives son extrême beauté. La reine refusa de s’y rendre. Le roi irrité de sa résistance, la répudia d’après le conseil de ses ministres, et envoya dans toutes les provinces l’ordre de faire venir à Suze les plus belles filles de tout l’empire, pour choisir parmi elles une épouse. Dans ce temps, les Juifs vivaient dispersés sur tout le territoire d’Assyrie. Une jeune fille de cette nation, nommée Esther, nièce de Mardochée, fut au nombre des personnes que leur beauté devait faire présenter à Assuérus, suivant les ordres de ce monarque. Sa grâce modeste et l’éclat de ses charmes la firent préférer à ses rivales. Assuérus l’épousa et l’éleva sur son trône à la place de Vasthi. Fidèle au conseil de son oncle, Esther n’avait pas encore appris au roi sa naissance et son origine. Un heureux hasard augmenta bientôt l’estime et la tendresse de son époux. Mardochée découvrit un complot tramé par deux eunuques pour assassiner le roi ; il le dit à Esther, qui en informa Assuérus. Ce prince fit inscrire ce fait dans ses annales, avec le nom de l’homme, qui venait de lui rendre un si grand service. Quelque temps après, Assuérus éleva au-dessus de tous ses ministres un de ses favoris nommé Aman, Amalécite de la race d’Agag. Le superbe Aman jouissait d’un crédit et d’un pouvoir sans bornes : son orgueil égalait sa puissance et il voulait que tout le monde fléchît le genou devant lui. Le roi eut la faiblesse de l’ordonner. Mardochée seul refusa de rendre à un mortel un hommage qu’il ne devait qu’à Dieu. Aman, transporté de fureur, résolut de se venger, non seulement de Mardochée, mais de toute la nation juive. Il dit à Assuérus : Il existe dans vos provinces un peuple dispersé et indocile, qui méprise nos lois, notre religion, et vos ordres. Cet exemple peut être contagieux ; ordonnez donc que ce peuple périsse. Le roi consentit à donner cet ordre cruel, et l’on envoya des courriers dans tout l’empire pour commander aux gouverneurs des provinces de faire massacrer, le treizième jour du mois Addar, tous les Juifs, sans distinction d’âge ni de sexe. Mardochée, ayant appris cette fatale nouvelle, déchira ses vêtements et se couvrit la tête de cendre. Il jetait de grands cris au milieu de la place publique, il faisait éclater la violence de son affliction. La consternation se répandit dans toutes les tribus. Les Juifs prosternés adressaient au ciel leurs prières, leurs larmes et les accents de leur désespoir. Esther, informée de ce malheur, fit venir Mardochée, qui lui annonça la ruine de ses frères, et la supplia de parler au roi et de sauver les Juifs. Elle lui répondit que personne, sans risquer sa vie, ne pouvait parler au roi, à moins d’être appelé par lui : Vous devez, lui dit Mardochée, braver ce péril. Pouvez-vous croire, pouvez-vous désirer que votre vie soit seule épargnée, quand votre nation périt. Si vous restez dans le silence, Dieu trouvera quelque autre moyen de délivrer son peuple ; songez que le Seigneur ne vous a élevée sur le trône que pour vous faire l’instrument de notre salut. Esther se rendit à son avis, et lui demanda seulement d’ordonner à tous les Juifs de jeûner et de l’assister par leurs prières. La reine, revêtue de ses ornements royaux, s’arrêta à la partie intérieure de l’appartement du roi, vis-à-vis du trône sur lequel il était assis. Assuérus, plus touché de sa beauté que surpris de son audace, étendit vers elle son sceptre d’or : c’était le signe de sa clémence. Il lui dit : Que voulez-vous ? Quand vous me demanderiez la moitié de mon royaume, je vous la donnerais. Esther lui répondit qu’elle le suppliait de venir à un festin qu’elle lui avait préparé, d’y inviter Aman, et que là elle lui déclarerait ce qu’elle souhaitait de lui. La fierté d’Aman redoubla lorsqu’il sut qu’il devait être admis à la table de ses maîtres ; et, plus irrité encore contre Mardochée qui refusait toujours de lui rendre hommage, il commanda qu’on dressât une potence pour y pendre ce Juif, tandis qu’il serait au festin du roi. Cette nuit-là même, ne pouvant dormir, se fit apporter les annales de son règne : il tomba, par hasard, sur l’endroit où la conspiration découverte par Mardochée était racontée. Le roi demanda à ceux qui l’entouraient quelle récompense avait reçue cet homme pour un si grand service, et apprit avec étonnement qu’on ne lui en avait accordé aucune. Il fit appeler Aman qui attendait avec impatience le moment favorable pour faire signer l’arrêt de mort de Mardochée. Lorsqu’il parut, Assuérus lui demanda comment on devait traiter l’homme qu’il voudrait combler d’honneurs. Aman, croyant qu’il était question de lui-même, répondit : Il faut qu’il soit revêtu des habits royaux, monté sur le cheval du monarque, qu’il porte le diadème sur sa tête, et, que le premier des princes de la cour marche à pied devant lui, en criant : C’est ainsi qu’on rend hommage à celui qu’il plaît au roi d’honorer. — Hâtez-vous donc, répliqua Assuérus ; tout ce que vous m’avez conseillé, faites-le pour le Juif Mardochée, et n’oubliez rien de tout ce que vous m’avez dit. L’orgueilleux Aman obéit, la rage dans le cœur et la honte sur le front. Ses amis aigrirent sa douleur en lui annonçant qu’il ne pourrait échapper à la vengeance des Juifs. Le roi se rendit avec Aman au festin de la reine. Après le repas, il la pria de lui dire ce qu’elle désirait. Esther prosternée lui répondit : Si j’ai trouvé grâce devant vos yeux, je vous demande ma vie et celle de tout mon peuple. L’esclavage le plus affreux serait préférable à notre sort. Nous devons être égorgés, exterminés : cependant je supporterais cette horrible destinée avec résignation, si je ne savais pas que nous sommes victimes d’un ennemi dont la cruauté retombe sur le roi lui-même, en lui attirant la haine de ses peuples. Assuérus lui demanda : Quel est l’homme assez puissant pour faire tant de mal ? Esther répliqua : C’est cet Aman que vous voyez ; c’est là notre ennemi implacable. Assuérus, irrité, se leva, et entra dans un jardin. Pendant son absence, Aman se jeta aux pieds d’Esther, pour la supplier de lui sauver la vie. Mais le roi étant entré dans le même moment, crut que cet indigne favori voulait outrager la reine ; il ordonna sa mort ; et Aman fut pendu à la même potence préparée pour Mardochée. Esther obtint de son époux, non seulement la révocation de l’ordre gui devait détruire les Juifs, mais encore la permission de se venger de ceux qui les avaient persécutés, et de s’emparer de leurs dépouilles. On leur désigna pour cette vengeance deux jours, qui furent depuis célébrés chez les Juifs par des fêtes solennelles. Mardochée devint la seconde, personne de l’empire. Esther vécut heureuse, et Assuérus, en suivant leurs conseils, parvint au comble de la puissance et de la gloire. Cette histoire d’Esther a été traduite de l’hébreu par saint Jérôme. |