HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE DIX-SEPTIÈME.

 

Judith (An du monde 3348. — Avant Jésus-Christ 656)

APRÈS avoir fini l’histoire de Tobie, l’Écriture raconte ainsi celle de Judith.

Le roi d’Assyrie, que les Juifs appellent Nabuchodonosor ayant vaincu le roi des Mèdes, Arphaxad, et pris sa capitale Ecbatane, acquit une grande puissance, et, devint redoutable dans tout l’Orient. Son ambition s’accrut avec sa fortune ; il envoya des ambassadeurs en Judée, en Syrie, pour ordonner à ces peuples de reconnaître sa domination. Leur refus excita sa colère et il jura d’en tirer une vengeance éclatante. Holopherne, général de ses troupes, se mit à la tête d’une armée de cent trente-deux mille hommes. Il s’empara de Tarsis, de Méloth, parcourut la Mésopotamie, pilla tout le pays de Damas, de Madian, et fit passer au fil de l’épée ceux qui lui résistaient. Tous les peuples se soumirent enfin pour le désarmer. Les Israélites seuls, malgré leur effroi, voulant sauver Jérusalem, leur temple et leur culte, s’emparèrent des défilés des montagnes, fortifièrent leur ville, y formèrent des magasins, et, par les ordres du grand-prêtre Éliachim, s’humilièrent devant Dieu, cherchèrent à le fléchir par le jeûne et par la prière, et couvrirent même d’un cilice l’autel du Seigneur. Holopherne, irrité de leur résistance, voulut savoir quels étaient l’origine, les lois, le culte et la force de ce peuple rebelle. Achior, prince des Ammonites, lui dit que les Juifs venaient de la Chaldée, qu’ils avaient abandonné les dieux de ce pays pour en adorer un seul, qu’ils nommaient le Dieu du ciel ; qu’ils avaient été longtemps esclaves en Égypte ; que leur Dieu les avait délivrés de cette servitude ; qu’il leur avait soumis tout le pays de Chanaan ; que leur population était nombreuse et guerrière ; qu’ils étaient vainqueurs tant qu’ils demeuraient fidèles à leur Dieu, et vaincus dès qu’ils péchaient contre lui ; qu’ainsi, avant de les attaquer, il fallait s’informer s’ils n’étaient pas coupables de quelque faute, parce que s’ils n’avaient pas offensé leur Dieu, il prendrait leur défense, et couvrirait les Assyriens de honte aux yeux de toute la terre.

Holopherne, transporté de fureur de ce que le prince ammonite paraissait croire qu’une si petite nation pût braver la puissance du vainqueur de l’Orient, ordonna que ce prince fut envoyé chez les Juifs, dans la ville de Béthulie, en lui jurant qu’il le convaincrait bientôt de la fausseté de ses prédictions, et qu’il périrait sous ses coups avec ces Israélites dont il vantait insolemment la force et la religion.

Holopherne fit le siége de Béthulie. Sa nombreuse armée entoura la ville, et il s’empara de toutes les fontaines et de l’aqueduc qui lui fournissaient de l’eau. Bientôt les citernes de Béthulie furent à sec, et les habitants réduits à une telle extrémité qu’Osias qui les commandait, convint avec Holopherne d’une suspension d’armes de cinq jours, au bout desquels il se rendrait s’il ne lui arrivait point de secours.

Il y avait alors dans Béthulie une femme nommée Judith, estimée généralement par sa vertu, par sa piété, et remarquable par sa beauté. Elle reprocha à ses compatriotes leur peu de confiance en Dieu, et leur déclara qu’inspirée par lui elle méditait un grand projet pour leur délivrance ; elle ne leur demanda que de prier pour elle pendant qu’elle s’occuperait de l’exécution de son dessein.

Judith, après avoir invoqué le Seigneur, se revêtit d’habits magnifiques, répandit sur son corps des parfums, ajouta de riches bijoux à sa parure, et sortit de la ville pour se rendre dans le camp des Assyriens, accompagnée d’une seule fille qui portait pour elle un peu d’huilé, de vin, de farine et de figues. En arrivant dans le camp ennemi elle dit aux officiers qui la rencontrèrent qu’elle venait donner au prince Holopherne le moyen de s’emparer de la ville sans perdre un seul homme de son armée. On la conduisit dans la tente du général, au pied duquel elle se prosterna. Holopherne, séduit par ses charmes, trompé par ses paroles, s’enflamma pour elle, et crut tout ce qu’elle lui disait. Judith lui persuada que les Juifs seraient abandonnés par le Seigneur, parce qu’ils avaient osé se servir, pour leur usage, de l’huile, du vin et du froment consacrés.

Holopherne lui promit la plus grande fortune, le destin le plus heureux. Elle demeura quatre jours dans son camp, il ne put la décider à manger à sa table, mais elle lui promit d’ailleurs de condescendre en tout à ses désirs.

Holopherne s’enivrait  d’amour et de joie. Le soir du quatrième jour étant venu, il se coucha accablé de sommeil par l’excès du vin. Judith, seule avec lui dans sa chambre, se tenait au pied du lit, et adressait à Dieu d’ardentes prières. S’armant enfin de tout son courage, elle saisit un sabre attaché à la colonne de son lit, prit Holopherne par les cheveux, lui coupa la tête, l’enferma dans un sac, et sortit du camp avec sa servante.

Les soldats, qui la voyaient passer tous les jours pour aller prier, la laissèrent sortir. Dès qu’elle fut aux portes de la ville, elle appela ceux qui la gardaient, et, montrant la tête d’Holopherne, leur dit : Dieu a tué cette nuit par ma main l’ennemi de son peuple ; rendez grâces au Seigneur qui vous a délivrés. Suspendez cette tête aux créneaux de vos murailles ; dès que le soleil sera levé, sortez de vos murs pour attaquer l’ennemi ; l’aspect de cette tête les épouvantera ; ils fuiront, et le Seigneur vous les livrera pour les fouler aux pieds. On suivit le conseil de Judith ; sa  prédiction s’accomplit ; les Israélites taillèrent en pièces les Assyriens et s’emparèrent de toutes leurs richesses.

Judith fut comblée de louanges et de gloire dans Israël. On répète encore le cantique qu’elle composa pour chanter son triomphe. Elle mourut à Béthulie, à l’âge de cent cinq ans ; le peuple la pleura pendant sept jours ; et le jour de sa victoire a été depuis ce temps compté par les Hébreux au nombre de leurs fêtes.