HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE QUINZIÈME.

 

Godolias, Zorobabel, Esdras

NABUCHODONOSOR n’avait laissé en Judée que les plus pauvres des Hébreux et en nombre seulement nécessaire pour que les terres ne fussent pas sans culture. Il chargea un Juif, nommé Godolias, du commandement du pays. Quelques Israélites, qui habitaient au-delà du Jourdain, vinrent le rejoindre à Maspha avec tous leurs serviteurs ; mais ils n’osaient y rester, craignant la mort ou la captivité. Godolias leur assura par serment que s’ils servaient fidèlement les Chaldéens, ils pourraient vivre en paix dans le pays. En effet ils y demeurèrent sept mois tranquilles. Mais l’indocilité des Hébreux n’était pas corrigée par tant de malheurs : ils ne surent pas, dans l’excès même de leur infortune, conserver l’union qui seule pouvait sauver leurs débris ; Ismaël, de la race royale, devint jaloux de Godolias. Il arma ses serviteurs contre lui, le tua, et massacra les Chaldéens qui le défendaient. Quand leur fureur fut satisfaite, la frayeur les saisit. Redoutant la vengeance de Nabuchodonosor ils sortirent tous de la Judée avec leurs officiers et tout ce qui restait du peuple, et s’en allèrent en Égypte.

Les enfants d’Israël et de Juda vécurent trente-sept ans dispersés dans les états du roi de Babylone, exposés à tous les mauvais traitements et à tous les outrages que leur attiraient la haine et le mépris de Nabuchodonosor. Mais, après la mort de ce prince, leurs malheurs commencèrent à s’adoucir ; et Vilmérodac, la première année de son règne, tira de prison le roi Joachim, le logea dans son palais, l’admit à sa table, lui assigna des revenus, et le traita avec plus d’honneurs que les autres rois étrangers qui venaient à sa cour[1].

Enfin, Cyrus régna. Ce grand monarque éleva son âme jusqu’à l’idée du vrai Dieu. Il voulut protéger le seul peuplé qui l’adorait, et ordonna qu’on rebâtit son temple à Jérusalem[2]. Nous allons faire connaître son édit tel que l’Écriture le rapporte : Voici ce que dit Cyrus, roi de Perse. Le Seigneur, le Dieu du ciel m’a donné tous les royaumes de la terre et m’a commandé de lui bâtir une maison dans la ville de Jérusalem, qui est en Judée. Qui d’entre vous est de son peuple ? Que son Dieu soit avec lui, qu’il aille à Jérusalem qui est en Judée et qu’il rebâtisse la maison du Seigneur, le Dieu d’Israël. Ce Dieu, qui est à Jérusalem, est le vrai Dieu. Et que tous les autres en quelque lieu qu’ils habitent les assistent du lieu où ils sont, soit en argent et en or, soit de tous les autres biens et de leurs bestiaux, outre ce qu’ils offriront volontairement pour le temple de Dieu, qui est à Jérusalem.

Conformément à cet édit, les chefs des familles de Juda et de Benjamin et les lévites se préparèrent à retourner à Jérusalem. Ils recueillirent les dons des Hébreux ; et Cyrus leur remit tous les vases que Nabuchodonosor avait emportés ; Sassabar, prince de Juda, les reçut en compte, et e fût dépositaire.

Ils revinrent donc en Judée, sous la conduite de Zorobabel, au nombre de quarante-deux mille trois cent soixante personnes, emmenant avec eux sept mille trois cents serviteurs, sept cent trente-six chevaux, deux cent quarante-cinq mulets, quatre cent trente-cinq chameaux et six mille sept cent vingt ânes.

Zorobabel s’empressa de relever l’autel des holocaustes et de poser les fondements du temple. Ce travail excitait la joie des jeunes Hébreux, tandis que les anciens répandaient des larmes à la vue des ruines du temple de Salomon. L’évidence de l’intérêt commun ne frappe jamais l’aveugle esprit de parti ; la haine de Samarie contre Jérusalem survivait à leur destruction commune. Les Israélites, jaloux de la résurrection de Juda et du rétablissement du temple, employèrent toutes sortes d’intrigues pour en empêcher la réédification. Pendant le règne de Cyrus, ils ne firent que retarder ses travaux ; mais lorsque Artaxerxés fut sur le trône, ils renouvelèrent, contre les Juifs, une accusation qu’ils avaient déjà adressée à Cambyse, fils de Cyrus. Ils persuadèrent à ce prince que, s’il laissait rebâtir Jérusalem ses habitants rebelles ne paieraient plus d’impôts et se rendraient indépendants. Artaxerxés, trompé par ces dénonciations, défendit de continuer les travaux commencés. Cette suspension dura jusqu’au règne de Darius. Ce prince, plus éclairé, imita l’exemple de Cyrus ; il ordonna d’achever le temple, fournit ce qui était nécessaire à sa construction ; de sorte que ce grand ouvrage se termina en quatre années. Darius voulut que la religion, fût rétablie comme le temple ; il envoya à Jérusalem le prêtre Esdras, descendant d’Aaron, que suivirent un grand nombre de Juifs. A son arrivée, Esdras fit de longs reproches aux habitants de Jérusalem sur les mariages contractés avec des femmes idolâtres. Il rassembla le peuple, lut devant lui le livre de la loi, et lui en fit jurer l’observation. Il ordonna ensuite la célébration de la Pâque ; enfin il persuada aux Juifs d’expier leurs fautes par leur repentir let par le renvoi des femmes idolâtres.

La ville était bâtie, le temple relevé ; Zorobabel et Esdras avaient rendu aux lois quelque vigueur, et réglé les mœurs en rétablissant la sainteté du mariage ; mais les murailles de Jérusalem avaient été détruites, et la ville restait ouverte et exposée aux attaques des Arabes et de tous ceux qui auraient voulu l’insulter.

Il existait dans ce temps à la cour d’Artaxerxés un Juif nominé Néhémias ; cet homme occupait la charge d’échanson du roi. Il profita de sa faveur pour veiller aux intérêts de sa patrie : ayant obtenu les ordres qu’il sollicitait, il vint à Jérusalem, releva ses murs et rétablit ses fortifications[3], malgré les efforts des Samaritains qui obligèrent les Juifs à tenir à la fois la truelle et l’épée.

C’est à cette époque que les auteurs sacrés attachent la fin de la captivité, dont le commencement remontait au règne de Joachim. Depuis ce temps-là les Juifs, sans être indépendants, jouissent, sous la protection des rois d’Assyrie, de leurs lois et de leur culte ; mais une grande partie d’entre eux resta encore dispersée dans le pays de leur vainqueur.

L’Écriture interrompt ici l’Histoire pour raconter la vie pieuse, héroïque, miraculeuse ou prophétique de quelques personnes dont elle a cru l’exemple utile aux progrès de la morale et de la religion. Nous allons en retracer, en peu de mots, les particularités les plus remarquables.

 

 

 



[1] An du monde 3442. — Avant Jésus-Christ 562.

[2] An du monde 3468. — Avant Jésus-Christ 536.

[3] An du monde 3550. — Avant Jésus-Christ 454.