HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE DIXIÈME.

 

Roboam, roi de Juda. Jéroboam, roi d’Israël

ROBOAM, fils de Salomon et de Naama, monta sur le trône, âgé de quarante et un ans[1]. Dès que son père eut terminé sa vie, il fut reconnu sans contestations, et proclamé roi par la tribu de Juda, dans laquelle on avait fondu depuis longtemps celle de Benjamin ; mais les autres tribus que dirigeait Éphraïm, la plus puissante et la plus séditieuse de toutes, prétendaient ne s’être soumises que conditionnellement à la famille de David. Elles craignaient sa préférence pour Juda où il était né ; au moindre mécontentement, elles étaient toujours disposées à la révolte. Salomon les avait accablées d’impôts pour embellir Jérusalem et pour payer son luxe et ses maîtresses. Elles se rassemblèrent à Sichem résolurent de ne reconnaître Roboam qu’après avoir obtenu de lui des garanties pour leurs droits et pour leur liberté. Leurs députés portèrent au roi leurs plaintes, et le supplièrent d’adoucir leur sort. Les anciens ministres de Salomon conseillèrent au nouveau roi de dissimuler son mécontentement, et d’assurer d’abord son autorité, en cédant momentanément aux demandes de ses sujets ; mais ce prince nourri dans l’orgueil du trône, n’écouta que les avis inconsidérés des jeunes et présomptueux courtisans qui l’entouraient. Il répondit aux dix tribus qu’il saurait les contenir dans le devoir, qu’il leur apprendrait à ne plus vouloir lui dicter des lois, et qu’il punirait leur audace en doublant les charges qui leur avaient été imposées par son père ; enfin, il poussa l’imprudence et la dureté au point de leur dire : C’est avec des verges que mon père vous châtiait comme des enfants, moi, je vous ferai battre comme des esclaves. A ces paroles, la révolte éclata et les tribus lui répondirent : Vous n’êtes pas encore notre roi, jamais vous ne le serez. La tribu de Juda et celle de Benjamin peuvent continuer à vous prendre pour maître ; mais nous, nous voulons un roi qui nous gouverne en père : nous le choisirons hors de la famille de David. Régnez à Jérusalem, nous retournons à Sichem et dans nos tentes pour délibérer sur l’établissement de notre monarchie.

Roboam sentit trop tard les fautes qu’il avait commises. Il voulut négocier et chargea Adhiram, un de ses officiers, d’adoucir le peuple par des promesses ; mais il n’était plus temps. Ce que les rois accordent volontairement à leurs sujets excite leur amour, comme preuve de bonté ; ce qu’ils sont forcés de leur céder ne prouve que leur faiblesse et n’inspire que le mépris.

Dès qu’Adhiram parut, les Israélites se jetèrent en tumulte sur lui et le lapidèrent. Après une telle violence, il n’y avait plus d’accommodement à tenter. Roboam, effrayé perdit tout espoir ; il quitta le lieu de l’assemblée, et monta précipitamment sur son char, pour retourner à Jérusalem.

Cette révolution, ouvrage d’un moment, fut consolidé par la haine qui l’avait causée, et la division des deux royaumes dura jusqu’à leur ruine entière.  

Les dix tribus, assemblées à Sichem, s’occupèrent du choix d’un prince. Jéroboam, de la tribu d’Éphraïm, autrefois persécuté par Salomon, arrivait alors d’Égypte. Sa puissante tribu entraînait la plus grande partie des suffrages ; les autres s’y réunirent. Il fut élu presque unanimement roi d’Israël. Ainsi s’accomplit la prédiction d’Ahias ; et, de sujet fugitif, Jéroboam devint tout à coup égal à son maître, et plus puissant que lui[2].

Le roi de Juda excita le peuple, qui lui était resté fidèle, à prendre sa défense. Il rassembla cent quatre-vingt mille hommes, et marcha contre son rival ; mais Séméhias, prophète envoyé de Dieu, s’avança à la tête du camp, et parla ainsi à toute l’armée, en présence du roi : Voici ce qu’a dit le Seigneur à la maison de Juda, à celle de Benjamin et à leurs princes : Vous n’irez pas combattre vos frères, les enfants d’Israël ; que cette grande armée se sépare ; retournez dans vos foyers, et apprenez tous que c’est moi, souverain arbitre des royaumes, qui ai disposé de celui d’Israël en faveur de Jéroboam.

Ces paroles pathétiques changèrent l’esprit du peuple et des troupes. Le roi lui même se résigna aux ordres de Dieu. Tous revinrent à Jérusalem ; et Jéroboam qui se hâtait de fortifier la montagne d’Éphraïm, et de rassembler les moyens nécessaires contre une si puissante attaque, n’eut plus à s’occuper que de la consolidation de son trône et de l’administration paisible de son peuple.

Jéroboam devait son trône à la Providence ; mais la crainte de perdre ses états le rendît bientôt infidèle à sa religion, et une fausse politique l’emporta sur la piété. Il craignit que le temple de Dieu qui était à Jérusalem, les solennités des fêtes, le respect pour l’arche et la coutume n’attirassent ses sujets dans la capitale du royaume de Juda. Il voulut rompre ce dernier lien qui existait entre les deux nations : il crut que l’apposition entre les cultes affermirait la séparation des peuples. Il fit donc faire deux veaux d’or ; il plaça l’un à Béthel et l’autre à Dan, priva du sacerdoce et de ses privilèges les enfants d’Aaron et de la tribu de Lévi, créa des prêtres de son  choix, et persuada au peuple d’adorer les  idoles, avec une facilité qu’explique suffisamment l’inconstance des Israélites, qui jadis dans le désert et sous les yeux de Moïse, avaient adoré le veau d’or.

Au moment où ce prince offrait son premier sacrifice aux faux dieux, il parut un prophète qui s’écria : Autel, autel, voici ce que dit le Seigneur : Il naîtra dans la maison de David un fils nommé Josias. Ce prince immolera sur toi les prêtres, successeurs de ceux qui te chargent aujourd’hui d’un encens profane. Pour preuve de la vérité de ces paroles, cet autel va se briser à vos yeux. Le roi furieux de cette audace, étendait la main en ordonnant d’arrêter ce téméraire ; mais sa main se sécha dans l’instant, l’autel s’écroula, et couvrit la terre de ses débris et de la cendre des holocaustes.

Jéroboam, puni et perclus, parut se repentir, demanda et obtint du prophète, sa guérison, et n’en retomba pas moins dans son idolâtrie.

Le prophète lui-même, qui avait porté les ordres de Dieu, enfreignant la défense de prendre aucune nourriture avant la fin de sa mission, reçut la mort pour châtiment, et fut étranglé par un lion[3].

Les lévites qui habitaient les états de Jéroboam abandonnèrent ce prince impie, et se rallièrent auprès de l’arche à Jérusalem.

Comme le roi d’Israël persécutait tous ceux qui tenaient au culte du vrai Dieu ; un si grand nombre d’Israélites vint s’établir dans le royaume de Juda, qu’on vit sa population s’accroître avec une inconcevable rapidité. En peu de temps Roboam fit bâtir plus de quinze villes, et se trouva en état d’entretenir une nombreuse armée.

La richesse et la force de son peuple pouvaient lui faire oublier ses premiers malheurs ; mais il s’en attira de nouveaux en imitant la corruption de son père, son luxe, sa débauche, et même son idolâtrie. Séduit par ses femmes, et surtout par la reine Maacha, il dressa des autels aux idoles, en présence de l’arche sainte.

Sézac, roi d’Égypte, fut l’instrument des vengeances de Dieu. A la tête d’une forte armée, il se précipita sur le royaume de Juda que Roboam ne sut pas défendre. Le roi d’Égypte arriva bientôt aux portes de Jérusalem. Le prophète Séméhias annonça au roi Roboam que Dieu l’abandonnait ; mais, touché de sa soumission, il fléchit le Seigneur qui promit d’avoir encore pitié de lui, et sans consommer sa ruine, de le soumettre seulement pour un temps au roi d’Égypte.

Sézac entra vainqueur à Jérusalem. Il ne permit à ses soldats ni meurtres ni violences ; il respecta le temple de Dieu et tout ce qui était destiné aux sacrifices ; mais il s’empara du trésor de Salomon, des fameux boucliers d’or que ce monarque avait fait faire ; et, chargé de ces richesses, il laissa le trône à Roboam, et retourna triomphant dans son empire.

Le roi de Juda, frappé par cette terrible leçon, parut converti ; mais au bout de quelques années, il retomba dans ses égarements.  Peu d’événements marquèrent la fin de son règne qui dura en tout dix-sept ans. Les guerres presque continuelles que se firent Juda et Israël pendant ce temps n’eurent d’autre résultat que la souffrance des deux peuples.

Roboam mourut à cinquante-huit ans, et fut enterré à Jérusalem[4]. Il n’avait ni la gloire ni les talents de son père, et il n’hérita que de ses vices, de ses faiblesses et de ses malheurs.

On a vu déjà, par l’élévation de Salomon, que le trône était héréditaire dans la famille, mais non dans la ligne aînée, et que les rois se réservaient le droit de se choisir un successeur parmi leurs enfants.

Le choix de Roboam tomba sur Abias, fils de Maacha, celui de tous ses fils qu’indépendamment de son amour pour sa mère il jugeait le plus digne du trône. Sa prédilection était méritée. Abias montra toujours autant de courage que de prudence, et l’estime du peuple justifia le choix du roi[5].

Abias signala le commencement de son règne par une victoire complète sur Jéroboam. Ce début promettait une vie glorieuse ; mais la mort en interrompit le cours. Il ne régna que trois ans et dans ce peu d’années, il aurait pu servir de modèle à ses successeurs ; s’il avait su résister totalement à l’exemple de son père, et s’il ne s’était laissé entraîner aussi aux erreurs de l’idolâtrie.

Jéroboam chérissait particulièrement un de ses fils qui se nommait aussi Abias. Ce jeune prince, âgé de seize ans, tomba dangereusement malade. Le roi, tremblant de le perdre ; et n’osant, à cause de son idolâtrie, faire venir le prophète Ahias, chargea la reine sa femme de le consulter sans se faire connaître. Cette malheureuse mère courut à Silo, déguisée ; mais elle trouva le prophète qui l’attendait à sa porte ; et qui lui dit, sans lui laisser le temps de parler : Entrez, femme de Jéroboam. Pourquoi vous cacher ? Moi, je ne vous dissimulerai rien. Voici ce que dit le Seigneur ; rapportez fidèlement ces paroles à votre époux : Je vous ai tiré de la foule pour vous établir roi d’Israël ; je ferai tomber sur votre maison les fléaux de ma colère ; je n’épargnerai aucun homme de cette famille impie ; j’exterminerai depuis les vieillards jusqu’aux enfants à la mamelle ; je purgerai Israël du sang de Jéroboam. Ceux de cette maison qui mourront dans la ville seront mangés par les chiens, et ceux qui périront dans la campagne seront la pâture des oiseaux du ciel. Retournez maintenant épouse de ri Jéroboam dans votre palais ; et, pour preuve de la vérité de mes prédictions, apprenez que votre fils mourra au moment où vous mettrez le pied dans Sichem.

Tout ce qu’avait dit le prophète s’accomplit. Jéroboam, quoique accablé de douleur, s’opiniâtra dans son égarement et brava le courroux céleste. Ce fut alors qu’Abias, roi de Juda, vint l’attaquer. Jéroboam à la tête de huit cent mille hommes, marcha au devant de lui. Les deux rivaux se rencontrèrent aux environs de Semeron, dans la tribu d’Éphraïm.

L’armée d’Israël était deux fois plus nombreuse que celle de Juda. Abias, s’étant avancé entre les deux camps, reprocha à Jéroboam son infidélité et ses blasphèmes, et lui déclara, pour animer son peuple et pour effrayer ses ennemis, qu’il venait combattre Israël par les ordres, et sous la protection du vrai Dieu. Jéroboam, fier de sa force, méprisa ces paroles et commença le combat. Bientôt Juda fut enveloppé ; sa perte semblait inévitable ; mais le Seigneur se mit du côté du plus faible. Le roi Abias et ses officiers jettent de grands cris, et implorent le secours du ciel ; les prêtres font retentir leurs trompettes. Le Très-Haut répand la terreur dans l’âme des Israélites ; ils fuient au lieu de combattre. On en tua cinq cent mille avant la fin du jour, et Abias s’empara des importantes places de Sézanne, Éphron et Béthel, avec leur territoire.

Jéroboam, vaincu, ne fut ni découragé ni converti. Il recueillit les débris de son armée, et fortifia les villes qui lui restaient. Abias, amolli par la victoire et séduite par l’amour, lui laissa le temps de respirer. Le roi Jéraboam était devenu vieux ; il régnait depuis vingt ans, lorsque Aza succéda, dans Jérusalem, à Abias, son père. Jéroboam voulut aussi assurer le trône à son fils Nadab, et prévenir les troubles d’une élection ; il l’associa donc à la couronne, et, le fit reconnaître par les dix tribus pour seul, et légitime héritier du trône. Il, mourut un an après, dévoré de chagrins et de remords, laissant au monde une mémoire honteuse et un exemple funeste[6].

 

 

 



[1] An du monde 3029. — Avant Jésus-Christ 975.

[2] An du monde 3030. — Avant Jésus-Christ 974

[3] An du monde 3030. — Avant Jésus-Christ 974.

[4] An du monde 3046. — Avant Jésus-Christ 958.

[5] An du monde 3046. — Avant Jésus-Christ 958.

[6] An du monde 3051. — Avant Jésus-Christ 953.