Salomon Salomon prit possession du royaume de David, et, pour assurer sa tranquillité’ il suivit les conseils de son père. Il commença son régne par des actes de sévérité. La conjuration d’Adonias qui avait voulu se faire roi avec le secours du grand-prêtre Abiathar, et de Joab, général de l’armée, fut le motif, et l’excuse de ses rigueurs. Le sacre et l’installation de Salomon avaient surpris et troublé Adonias, sans cependant le faire renoncer à ses projets. Il conçut l’idée de se donner un droit nouveau à la succession de David en se mariant avec la jeune Abisag de Sunam, que le roi avait épousée peu de temps avant sa mort. Il employa, pour l’obtenir, le crédit de Bethsabée, lui persuadant que cet hymen le rendrait heureux et tranquille, et lui ferait oublier la perte du trône que son droit d’aînesse aurait dû lui assurer. Bethsabée, touchée par sa prière, et trompée par sa feinte résignation, voulut engager son fils Salomon à lui accorder la main d’Abisag ; mais le roi, apercevant le piége qu’on lui tendait, et informé des intrigues des conjurés, ordonna à un de ses officiers de tuer Adonias. Joab, condamné au même sort, voulut, en vain se réfugier près de l’autel : il Y fut immolé, comme chef véritable de la conspiration. Salomon épargna la vie du grand-prêtre, parce qu’il avait porté l’arche sainte ; mais il ne conserva que les honneurs de sa charge, et Sadoch en remplit les fonctions. Séméi, cet Israélite qui avait autrefois maudit David et soulevé le peuple contre lui, éprouva aussi la vengeance de Salomon. Il ne le condamna d’abord qu’à rester dans Jérusalem sans pouvoir en sortir ; mais ce rebelle, ayant enfreint sa clémence, il ordonna sa mort. Après ces exemples de sévérité qui firent craindre la fermeté d’un roi dont la jeunesse aurait pu difficilement, par d’autres moyens, contenir l’esprit indocile et turbulent des Israélites, ce prince fit de grands présents, et décerna de grandes récompensés à tous ceux qui avaient servi son père avec zèle et fidélité, et il donna le commandement de son armée à Bonanïas, fils de Joïada. Le royaume jouissait d’une paix profonde. Tous les peuples voisins d’Israël étaient soumis. Le célèbre Hiram, roi de Tyr, ami de David, conserva les mêmes sentiments pour son fils. Le trésor public se remplissait des richesses conquises sur les nations vaincues ; et son opulence grossissait encore par le commerce considérable que les flottes israélites faisaient dans la mer Méditerranée, dans la mer Rouge, sur les côtes de l’Inde et de l’Afrique. La puissance de Salomon lui attirait déjà une telle considération que Pharaon, roi d’Égypte, lui accorda sa fille en mariage, en lui donnant pour dot la ville de Gazer[1]. Salomon rassembla tout le peuple, pour offrir au Seigneur, sur les hauts lieux, près de Gabaon, un sacrifice solennel, suivant l’usage antique. Ce fut là que Dieu lui apparut une nuit, et lui permit de lui demander tout ce qu’il voudrait, promettant d’exaucer son voeu. Le jeune roi ne désira point une longue vie, un pouvoir absolu, de grandes conquêtes, d’immenses richesses ; il demanda la sagesse. Le Seigneur la lui accorda ; et, en récompense d’un voeu qui en prouvait déjà tant, il lui promit tous les biens qu’il n’avait pas demandés, mais en même temps il lui annonça que s’il devenait infidèle il éprouverait les plus grands malheurs. Salomon, revenu dans sa capitale, ne tarda pas à manifester la sagesse dont il venait d’être doué. Deux femmes de mauvaise vie se présentèrent dans son palais. L’une d’elles dit : Nous habitons toutes deux dans le même appartement, et nous avions deux enfants, âgés tous deux de trois jours. Cette femme que vous voyez, seigneur, ayant étouffé son enfant dans son lit, s’est levée doucement, et est venue le porter à la place du mien qu’elle m’a enlevé. A mon réveil, je n’ai trouvé au lieu de mon fils qu’un cadavre, et j’ai bien reconnu que ce n’était pas mon enfant. J’en demande justice ; ordonnez, de grâce, que mon fils me soit rendu. L’autre femme soutint alors que cette dénonciation était une imposture que c’était son accusatrice qui avait fait mourir son propre enfant, et qui voulait lui ravir le sien. Cette affaire, s’étant passée sans témoins, paraissait si obscure qu’on croyait impossible de découvrir la vérité. Le roi commanda qu’on lui apportât un sabre, et l’enfant que ces deux femmes se disputaient ; ensuite il ordonna à l’un de ses officiers de couper l’enfant en deux, et d’en donner une moitié à chaque femme. Dès que le glaive fut levé, une d’elles se précipita aux pieds de Salomon, le conjurant d’épargner la vie de cet enfant, et de le donner plutôt à sa rivale ; l’autre femme, au contraire, applaudissait à l’équité de l’arrêt porté contre cette innocente victime. Alors le roi dit : L’enfant ne mourra pas ; la nature a parlé, il appartient à celle qui s’est opposée à sa mort[2]. De vives et universelles acclamations exprimèrent l’admiration du peuple et son étonnement d’avoir un jeune roi si sage et si pénétrant. Le brave et victorieux David avait eu toutes les peines de la royauté, et n’en laissait à Salomon que le pouvoir, les honneurs et les plaisirs. Les bases de la félicité publique paraissaient alors si solides que, pendant quarante ans, on n’entendit parler dans Israël ni de guerre, ni de sédition, ni de disette, ni d’indigence ; et Salomon put consacrer paisiblement tout son règne à l’embellissement des villes, à l’accroissement du commerce, à l’encouragement des arts. Sa première, et sa principale occupation, fut la construction de ce temple magnifique qui devait renfermer l’arche sainte. David en avait donné tous les plans, réglé la distribution, et préparé les matériaux. Salomon acheva cet ouvrage en sept ans. Il y employa cent cinquante mille ouvriers. Les travaux furent dirigés par un fameux architecte que le roi de Tyr avait envoyé à Salomon et qui s’appelait Hiram comme son prince[3]. L’ivoire de l’Inde, les cèdres du Liban, les marbres de Paros et l’or d’Ophir ornèrent, et enrichirent ce célèbre monument qui fut regardé comme une des merveilles du monde. Tous les Israélites s’empressèrent de fournir l’argent et les bras nécessaires à sa construction, et des rois puissants contribuèrent à augmenter sa richesse par des présents magnifiques. Le moment de la dédicace de ce temple arrivé, le roi ordonna aux anciens d’Israël, aux princes des tribus, aux chefs des familles, de se rendre tous à Jérusalem. Ainsi le cortège qui accompagnait l’arche lorsqu’elle descendît de la montagne de Sion était immense. On la conduisit dans le temple au son des instruments, auxquels répondaient les choeurs des Israélites[4]. Chaque fois que l’arche s’arrêtait on immolait des victimes. On arriva enfin à la porte du temple. Le bruit des trompettes, l’harmonie des instruments, le chant des psaumes et les sacrifices recommencèrent. Le grand-prêtre et les lévites, ayant placé l’arche dans le sanctuaire, se disposaient à en sortir, lorsque Dieu tout à coup signala sa présence par un prodige. Une nuée brillante sortit du tabernacle, se répandit dans toutes les parties du temple et après avoir causé un moment d’effroi, excita dans tous les coeurs autant d’admiration que de reconnaissance. Salomon dans cet instant monta sur une tribune, rappela au peuple les promesses et les bienfaits du Seigneur, et se prosterna, en lui adressant les voeux des Israélites et les siens. Les sacrifices recommencèrent et par un nouveau prodige, on vit un feu sacré descendre du ciel et consumer les victimes. Les fêtes durèrent sept jours, et l’assemblée du peuple vingt-trois. Le roi ordonna qu’on fournirait aux dépens de son trésor les victimes qui devaient être immolées dans les jours suivant la loi de Moïse, comme celles qu’on devait offrir dans les grandes fêtes de l’année. Le peuple se sépara, admirant la générosité du roi et bénissant sa sagesse. Quelque temps après, Dieu apparut à Salomon, et lui dit : J’ai accepté, la demeure que vous m’avez bâtie à Jérusalem. Si dans ma colère contre mon peuple, je lui envoie quelques fléaux pour punir ses fautes, je pardonnerai à ceux qui seront animés d’un sincère repentir, et qui viendront m’invoquer dans mon temple. Pour vous que j’ai fait roi, si vous êtes fidèle, la couronne ne sortira pas de votre maison ; mais, si vous violez mes lois, si vous et mon peuple adorez des idoles, j’enlèverai à Israël la terre qu’il possède, j’exposerai les Juifs rebelles à la risée de toutes les nations, ils deviendront la fable de l’univers ; mon temple même sera renversé, détruit et pillé, et les nations apprendront par là mes bienfaits pour mon peuple, son ingratitude et mes vengeances. Après avoir achevé le temple, Salomon bâtit auprès, pour lui-même, un palais magnifique. David en avait construit un sur la montagne de Sion, qu’il appelait sa ville, Salomon ajouta à ces édifices une maison pour la reine, qui communiquait aux deux palais, et qu’on nomma la maison du Liban. Ces bâtiments étaient d’une richesse immense, l’or, l’argent et les pierres précieuses y éclataient de toutes parts. Le trône de Salomon, composé d’ivoire enrichi d’or, et sur les marches duquel on voyait des lions du même métal, était placé dans une immense galerie. Là ce prince rendait la justice à ses sujets ; on regardait ses arrêts comme des oracles. Salomon, savant en astronomie, en histoire naturelle, était surtout célèbre comme moraliste. Ses proverbes et ses paraboles sont encore admirés de nos jours. Sa poésie égalait celle de David ; et, de toutes les parties du monde, on accourait pour contempler sa magnificence, et pour consulter sa sagesse. Une princesse célèbre dans ce temps, la reine de Saba, vint elle-même rendre hommage à la puissance et aux lumières de Salomon[5]. Quelques autres pensent que ce fut elle qui, éclairée par ce voyage, porta le culte du vrai Dieu dans l’Abyssinie. Pendant plusieurs années Salomon avait employé ses immenses richesses à la construction du temple, aux fortifications de Jérusalem, à l’embellissement des villes, enfin à tous les travaux qui pouvaient être utiles au peuple. Mais qui peut résister longtemps au double poison du pouvoir et de l’opulence ? Son orgueil effaça bientôt sa vertu, et il commença par surpasser en magnificence toutes les cours de l’Orient. Il entretenait dans ses écuries douze mille chevaux de main, et quarante mille pour ses chariots. On était obligé de lui fournir tous les jours, pour la nourriture de sa maison, des troupeaux entiers, et une quantité immense de poissons, de gibier et de volailles. Il avait créé beaucoup de grandes charges, et comblé de richesses une multitude d’officiers qui faisaient le service dans son palais. La corruption ne tarda pas à suivre le luxe. Bientôt il crut convenable à sa magnificence d’avoir un grand nombre d’épouses et de maîtresses, il en porta le nombre jusqu’à mille, dont sept cents avaient le nom de reines, et trois cents celui de concubines. Au mépris des ordres que le Seigneur avait donnés à Moïse, Salomon s’attacha des femmes moabites, ammonites, iduméennes, sidoniennes, héréennes. L’amour que lui inspirèrent les idolâtres égara sa raison et corrompit son coeur[6] ; et le roi, qui le premier bâtit un temple au vrai Dieu, finit par brûler un sacrilège encens au pied des autels d’Astarté, de Moloch et de Chamos. Chacune des femmes de Salomon adorait son Dieu, et Salomon adorait les dieux de toutes ses femmes. Le Seigneur, irrité de sa désobéissance, résolut de le punir ; et ce châtiment, qui s’étendit sur ses successeurs et sur ses sujets, divisa d’abord la monarchie, et finit par la ruiner entièrement. Le roi, plongé dans l’ivresse des voluptés, fut réveillé tout à coup par la voix de Dieu, qui lui rappela ses promesses, ses menaces, et lui dit : Vous avez rompu l’alliance que j’avais faite avec vous ; vous avez déshonoré mon nom et scandalisé mon peuple. Je diviserai vos états, j’en ferai tomber la plus grande partie dans les mains de vos sujets ; vos désordres mériteraient que je vous rendisse témoin de cette vengeance ; mais, en mémoire de David, je la suspends jusqu’à votre mort. Votre fils paiera vos iniquités ; mais il ne perdra pas totalement le trône. Je lui laisserai une tribu et la ville de Jérusalem. Ce sera désormais le seul partage de la maison de David. Le repentir de Salomon n’est pas aussi connu que ses
fautes. Il mourut bientôt ; mais avant de terminer sa carrière, la révolte d’Adad,
prince des Iduméens, qui souleva Le superbe Israélite, enflammé par cet oracle, se rendit dans sa tribu, et se mit à la tête des mécontents, qui adressèrent au roi des remontrances menaçantes. Salomon, accablé par les nouvelles qui lui annonçaient la ruine de sa maison, mourut à l’âge de soixante-quatre ans, peu de temps après la révolte et la fuite de Jéroboam. On l’enterra dans la ville de David[7]. Ce monarque célèbre, dont on admire encore la sagesse, et dont on blâmera éternellement la folie, donna aux hommes des préceptes qu’ils ont sans cesse répétés, et des exemples qu’ils n’ont que trop suivis. Son élévation et sa chute, sa grandeur et son humiliation, offrent aux rois les leçons les plus utiles qu’on puisse trouver dans l’histoire des peuples. Sa vie leur démontre à la fois la puissance et la gloire que donnent la science et la vertu, et les mépris et les malheurs qui accablent l’homme dégradé par les passions. Salomon dans sa jeunesse était sage, juste et pieux : il fût adoré par ses sujets, redouté par ses ennemis, et considéré par tous les rois de l’Orient comme leur maître et leur modèle. Dans sa vieillesse, enivré par le pouvoir, corrompu parla richesse, énervé par les plaisirs, égaré par l’idolâtrie, il vit ses voisins quitter son alliance, les nations vaincues secouer son joug ; la patience de son peuple s’épuisa ; ses sujets se révoltèrent, son trône s’ébranla ; enfin, pour dernier malheur, il laissa en mourant, pour gouverner son royaume, un fils perverti par ses exemples, et plus capable de précipiter la ruine d’Israël que d’en retarder la chute. |
[1] An du monde 2991. — Avant Jésus-Christ 1013.
[2] An du monde 2991. — Avant Jésus-Christ 1013.
[3] An du monde 3000. — Avant Jésus-Christ 1004.
[4] An du monde 3001. — Avant Jésus-Christ 1003.
[5] An du monde 3013. — Avant Jésus-Christ 991.
[6] An du monde 3023. — Avant Jésus-Christ 981.
[7] An du monde 3029. — Avant Jésus-Christ 975.