Il serait honteux à tout honnête homme, disait Bossuet, d’ignorer le genre humain et les changements mémorables que la suite des temps a faits dans le monde. Apprenons donc à la jeunesse à les connaître : préparons la, par un précis de l’histoire universelle, à l’étude de l’histoire particulière de chaque peuple. Nous lui proposerons un grand spectacle : elle y verra tous les siècles précédents se développer, pour ainsi dire, en peu d’heures devant elle. Elle trouvera dans la naissante, dans l’élévation, dans la chute des empires, d’éternels monuments de la puissance de Dieu et des faiblesses des hommes. Elle y apprendra, non par des maximes abstraites, mais par des exemples convaincants, à respecter là religion qui fonde et conserve la morale ; à chérir la vertu et la justice, sans lesquelles il n’existe ni gloire ni puissance durables ; et à détester les vices, les lâchetés et les crimes qui entraînent la décadence des nations, et tous les malheurs dont l’homme se plaint, et dont il est à la fois lui-même cause et victime. L’antiquité nous cache, sous un voile épais, l’origine et l’enfance de presque tous les peuples de la terre. En voulant percer la nuit des temps, chaque philosophe s’est fait un système, chaque peuple s’est créé des fables. On ne trouve, à cet égard, dans les auteurs les plus anciens, que des romans dépourvus de liaisons et de vraisemblance. Moïse est le seul qui nous ait donné une histoire suivie. Ainsi c’est en apprenant l’Histoire de notre religion que nous apprenons celle des premiers temps du monde. Une source si sacrée nous commande le respect, et nous fait un devoir de présenter les lumières qu’on y puise sans discussion. Il serait imprudent de vouloir sonder les mystères et la profondeur des livres saints, et de prétendre en expliquer les obscurités. Ces livres, au reste, nous ont transmis peu de détails sur les événements qui ont précédé le déluge. On ne peut donc que rappeler comme eux, en peu de mots, que Dieu, par sa parole créa le ciel et la terre en six jours, et qu’il fit l’homme à son image[1]. Le dernier jour, la femme fut tirée de l’homme pour être son éternelle compagne. Placés tous deux dans le paradis terrestre, ils devaient y jouir d’une parfaite et constante félicité. Le démon, sous la forme d’un serpent, les tenta : l’orgueil les séduisit. Ils voulurent connaître le bien et le mal, et manger le fruit défendu : ils succombèrent. Leur chute fut punie par l’exil : leurs corps célestes devinrent sujets à la douleur et à la mort. Ils sortirent du lieu de délices qui les avait vus naître, sans espoir d’y retourner jamais ; et leur âme, privée de l’appui divin, fut depuis exposée aux séductions des sens, à l’entraînement des passions. Tous les peuples, en regrettant l’âge d’or, semblent conserver quelques antiques images de la perfection primitive de l’homme, de la félicité qu’il a perdue, et du jardin dont il s’est vu banni. Bientôt la terre se peupla, et les premiers enfants d’Adam l’ensanglantèrent par le premier crime. L’innocent Abel, le féroce Caïn, donnèrent le premier exemple des vertus et des vices qui ont partagé l’empire du monde. Le ciel reçut les offrandes d’Abel, et rejeta celles de Caïn. Caïn n’écoutant que sa fureur tua son frère. Ce premier homicide fut puni par une réprobation éternelle[2]. Caïn, poursuivi par la vengeance divine et par les tourments de sa conscience, chercha vainement, en errant d’asile en asile, à calmer son effroi et à fuir la haine du genre humain. Partout il trouvait la colère céleste ; partout l’image de son frère le poursuivait. Ses enfants, objets, ainsi que lui, du courroux divin se laissèrent entraîner par les passions et les vices. Ils fondèrent des états, inventèrent les arts et introduisirent le luxe sur la terre. Seth et sa nombreuse famille échappèrent à cette dépravation : ils demeurèrent fidèles à Dieu et à la vertu. Hénoch se distingua tellement par la pureté de ses mœurs et la sainteté de sa vie, qu’excepté, de la loi commune, Dieu l’enleva, dit-on, dans le ciel sans lui faire subir la mort. Le mélange des enfants du ciel et des enfants des hommes, c’est-à-dire, des bons et des méchants, répandit la corruption dans le monde. La vertu fut immolée aux passions, la vérité à l’erreur : on oublia l’Être suprême ; l’idolâtrie et le crime régnèrent, et la perversité devint telle que Dieu résolut de détruire le genre humain. La terre fut submergée : tout périt sous les eaux[3]. Noé seul et sa famille, dont les vertus allaient trouver grâce devant l’Éternel, se sauvèrent dans l’arche que le patriarche avait construite par l’ordre céleste. Voilà tout ce que nous ont appris les auteurs sacrés de l’histoire des mille six cent cinquante-six années qui se sont écoulées depuis la création jusqu’au déluge. Les différents peuples de la terre ont presque tous conservé la tradition de ce grand désastre, et néanmoins leurs fables historiques ne sont pas toujours d’accord entre elles. Cependant elles, attestent toutes que, dans l’enfance du monde, l’homme était plus heureux que sa félicité était le fruit de ses vertus et de sa piété, et que les criminels dérèglements du genre humain devinrent la cause de sa perte. |