HISTOIRE DE LA GRÈCE

 

TROISIÈME ÂGE DE LA GRÈCE

 

 

TABLEAU LITTÉRAIRE DE LA GRÈCE, PENDANT LE TROISIÈME ÂGE

NOUS avons vu la Grèce, dans ce troisième âge, briller de l’éclat de sa jeunesse, déployer la force de sa maturité, et nous montrer enfin de tristes signes de sa vieillesse, et de funestes présages de sa décadence.

Puissantes par leurs vertus, riches par leur industrie, invincibles par leur amour pour la liberté, toutes les républiques grecques, rivales de gloire, et réunies par leur dévouement à la commune patrie, bravèrent, défirent les armées des deux plus grands monarques de l’Asie ; et la Grèce prouva qu’elle contenait plus de héros que Suze, Persépolis et Babylone ne renfermaient de satrapes, de courtisans et d’esclaves.

Tout était légitime dans la cause, tout fut grand et pur dans le triomphe ; mais l’orgueil de la victoire fit naître l’ambition. Athènes et Sparte, ne sentant plus le besoin de se défendre, conçurent le désir de dominer. La discorde, la jalousie, la haine détruisirent l’esprit public. La richesse produite par les conquêtes, corrompit les mœurs. Les Grecs non seulement souffrirent, mais appelèrent l’intervention de l’ennemi commun dans leurs différends ; et les rois de Perse remportèrent, par l’intrigue et par la corruption, des victoires que n’auraient pu obtenir leurs armes.

Cependant les talents, les sciences, les arts firent toujours de rapides progrès, mais ils contribuèrent à l’amollissement des mœurs ; et comme les vertus mâles des anciens temps s’affaiblissaient de jour en jour, on sacrifia les devoirs aux plaisirs ; on ne rivalisa plus de gloire, mais de luxe. La vanité remplaça la fierté ; la passion pour les jeux et pour les théâtres devint telle qu’on y sacrifia les besoins des armées et les trésors des états.

L’amour de la patrie retentissait encore à la tribune dans les harangues des orateurs ; mais on ne courait plus avec la même ardeur pour la défendre.

Lorsque la monarchie macédonienne, se levant tout à coup, menaça la liberté de la Grèce, les craintes, les jalousies empêchèrent la réunion des peuples. Le fer de Philippe rencontra peu d’obstacles ; son or trouva partout des partisans. Le souvenir de l’ancienne gloire et la haine de l’oppression firent tenter quelques efforts partiels ; mais une seule défaite découragea les descendants des héros de Salamine, de Marathon et de Platée ; et toute la Grèce, soumise à la domination réelle d’Alexandre, reçut avec transport l’ombre de la liberté que lui laissait un vain décret en échangé du sacrifice de son indépendance.

Tandis que le conquérant de l’Asie parcourait l’Orient, les Grecs jouirent d’un profond repos ; Sparte leva seule un moment l’étendard de la liberté ; mais on le vit aussitôt abattu qu’arboré ; et la Grèce ne fut, pendant le règne du héros macédonien, que le théâtre paisible des arts, des sciences, des lettres, des jeux et des plaisirs.

Cette dernière partie du troisième âge était encore brillante ; la puissance avait disparu ; la renommée restait : on avait moins de grandeur, mais plus de repos. La Grèce avait cessé de porter au loin ses armes ; mais de toutes parts on accon- ; rait dans cette heureuse contrée pour assister à ses jeux, pour admirer ses poètes et ses artistes, pour consulter ses philosophes et pour s’enrichir de ses lumières. C’est ainsi qu’elle se préparait une nouvelle domination qui survécut longtemps à sa ruine : elle devint l’école du monde, le centre des lumières et de la civilisation ; et les Grecs se firent admirer par leur urbanité, par leur philosophie, par leur éloquence et par leurs chefs-d’œuvre, autant qu’ils l’avaient été jadis par leurs vertus et par leurs exploits.

Mais avant de parvenir à cet empire si doux, ils eurent à soutenir de longs et de terribles orages ils rivaient perdu leur puissance ; la mort d’Alexandre leur enleva leur tranquillité.

Les tyrans qui lui succédèrent, sans le remplacer, ne respectèrent plus le fantôme de liberté que le héros macédonien leur laissa ; ils violèrent tous les droits, et renversèrent toutes les institutions : leurs discordes sanglantes répandirent sur ces belles contrées tous les maux de la guerre civile et de la tyrannie : Quelques étincelles de liberté éclatèrent encore au milieu de ces excès ; mais cette lueur passagère s’éteignit bientôt sous les foudres romaines.

Les nouveaux maîtres du monde rendirent enfin la tranquillité à la Grèce ; ces fiers conquérants respectèrent l’antique gloire du peuple conquis, et lès vainqueurs devinrent les disciples des vaincus ; ils adoucirent leur joug, et leur conservèrent les formes de la liberté.

Avant de passer à l’histoire du quatrième âge qui vit périr l’indépendance des Grecs, jetons encore un dernier regard sur l’époque glorieuse que nous venons de parcourir. Les événements nous ont fait connaître les guerriers et les orateurs qui l’illustrèrent ; donnons a présent, quelque idée des poètes, des philosophes, des historiens et des artistes qui contribuèrent autant qu’eux à immortaliser leur patrie.

PINDARE de Thèbes, fut le premier des poètes lyriques ; il est encore le plus fameux ; personne ne l’égalait en force, en élévation, en harmonie. Couronné souvent dans les fêtes de la Grèce, son génie recevait les hommages qu’on n’accorde ordinairement qu’à la puissance. Aux jeux publics de Delphes, on lui avait assigné une place distinguée ; il s’y asseyait sur une sorte de trône, et charmait l’assemblée sur les accords de sa lyre.

Ce grand poète eut cependant un rival redoutable ; ce fut une femme thébaine nommée Corinne, qui lui disputa cinq fois le prix. Malgré leur admiration pour Pindare, les Thébains le condamnèrent à l’amende pour avoir célébré dans ses vers la gloire d’Athènes, leur ennemie. Il vivait du temps de Xerxès.

ESCHYLE, d’Athènes, perfectionna la tragédie que Thespis avait inventée. Nous en avons déjà parlé, parce qu’il brillait dans le second âge.

SOPHOCLE, d’Athènes, naquit vingt-sept ans après Eschyle et quatorze ans avant Euripide. Il se distingua d’abord dans les emplois civils et militaires, et son génie tragique immortalisa. A quatre-vingts ans, accusé par un fils ingrat qui voulait le faire interdire et le disait privé de sa raison, il lut devant le peuple la tragédie d’Œdipe à Colonne, nouvellement achevée. Les juges, indignés, reconnurent ses droits et le reconduisirent en triomphe chez lui.

Son rival Euripide, qui lui avait disputé constamment la palme tragique, mourut avant lui. Sophocle, au-dessus de la jalousie, parut dans l’assemblée publique en habits de deuil.

A l’âge de vingt-huit ans, il avait concouru avec Eschyle pour le prix de la tragédie. Les juges et les spectateurs divisés, ne pouvaient se réunir pour prononcer l’arrêt. Cette lutte dégénérait en tumulte : le célèbre Cimon et dix généraux, qui venaient de remporter une grande victoire, furent choisis pour arbitres, et donnèrent le prix à Sophocle. Eschyle, ne pouvant se consoler de sa défaite, s’exila en Sicile. Sophocle termina ses jours à quatre-vingt-onze ans.

EURIPIDE fut aussi l’ornement d’Athènes, sa patrie. Ce serait peut-être assez pour sa gloire de dire qu’il était l’ami de Socrate, et le digne rival de Sophocle. On trouve moins de force et d’élévation dans ses écrits que dans ceux de son antagoniste ; mais son style a plus de grâce et de délicatesse. Sa morale était pure comme son langage ; il disait en beaux vers de grandes vérités aux rois et aux peuples, ainsi que son ami le poète Agathon.

Celui-ci rappelait à Archélaüs, qu’un roi doit principalement se souvenir de trois choses : Qu’il gouverne des hommes ; qu’il doit les gouverner suivant les lois ; qu’il ne les gouvernera  pas toujours.

Le roi de Macédoine, Archélaüs, fit des reproches à Euripide, parce qu’il n’était pas venu, le jour de sa naissance, lui offrir, selon l’usage, quelques présents. Euripide qui ne sollicitait jamais de grâce, lui dit : Quand le pauvre donne, il demande. Il mourut à soixante-seize ans en Macédoine. Ses concitoyens demandèrent qu’on transportât son corps à Athènes ; mais Archélaüs voulut le garder et lui fit élever un magnifique tombeau.

Après la mort de ces trois grands poètes tragiques, Aristophane, leur contemporain, supposa, dans une de ses comédies, qu’aux enfers on trouvait un trône destiné aux poètes les plus célèbres ; mais qu’ils étaient obligés de le céder lorsqu’il survenait un talent supérieur. Eschyle occupait ce trône tragique : Euripide veut s’en emparer ; Sophocle le leur dispute. Les concurrents combattent avec les traits de la satire. Bacchus, descendu dans cet instant aux enfers avec l’intention de ramener sur terre le meilleur auteur tragique, et de consoler Athènes, des mauvaises tragédies dont son théâtre se voyait inondé, juge le différend, assigne à Eschyle le premier rang, le second à Sophocle, le troisième à Euripide, et conformément à cet arrêt, ramène Eschyle à la lumière.

Ce jugement d’Aristophane, souvent combattu depuis, était alors conforme à l’opinion des Athéniens. Ce qui paraît certain, c’est qu’Eschyle avait plus  d’élévation, de force et d’enflure ; Sophocle plus de perfection ; Euripide plus de naturel.  Le premier, dit Aristote, peignait les hommes plus grands qu’ils ne peuvent être ; Sophocle comme ils devraient être ; Euripide tels qu’ils sont.

ARISTOPHANE, le plus célèbre, le plus mordant et le plus licencieux des poètes comiques, vivait à Athènes dans le beau siècle de Périclès. Il fit oublier ses prédécesseurs, Magnès, Cratinus, Cratès, Eupolis. Il tempéra le fiel de Cratinus par la grâce d’Eupolis : traitant dans ses allégories, les intérêts les plus importants de la république, il attaquait dans ses satires les intrigues du sénat la corruption des magistrats, la jalousie des généraux, l’orgueil des philosophes et la versatilité du peuple.

Quelquefois on voulut réprimer la licence du théâtre mais la passion populaire l’emporta souvent sur l’autorité. Les poètes comiques furent enfin ramenés à la bienséance par l’exemple d’Anaxandride, condamné à mourir de faim pour avoir parodié insolemment des vers d’Euripide. Le poète tragique avait dit : La nature donne a ses ordres, et s’inquiète peu des lois qui la contrarient.  Anaxandride appliqua au peuple d’Athènes, ce qu’Euripide disait de la nature.

ANAXAGOSE disciple de Thalès, enseigna le premier la philosophie aux Athéniens : il distingua l’esprit de la matière, et reconnut positivement une intelligence suprême qui organise, anime et conserve tout. Il fut exilé, comme impie, pour avoir dit que la lune n’était pas une divinité, mais une terre semblable à la nôtre.

EMPÉDOCLE, d’Agrigente, orna les matières les plus abstraites du charme de la poésie. Sa patrie lui offrait la couronne ; il lui préféra la liberté, et il établit l’égalité parmi ses concitoyens. Il disait aux Agrigentins : Vous courez après les plaisirs comme si vous déviez mourir demain ; et vous bâtissez vos palais comme si vous ne deviez jamais mourir.

Son talent le rapprochait d’Homère. Il illustra sa patrie par ses lois, et la philosophie par ses écrits. Son poème de la Nature fut son plus bel ouvrage : il y dit que Dieu, intelligence suprême, source de vérité, ne peut être conçu que par l’esprit.

HÉRODOTE, d’Halicarnasse, regardé comme le père de l’histoire, en fit le premier une générale. Les temps barbares qu’il décrivit présentaient, d’affreux tableaux : partout il avait à peindre le crime triomphant, la vertu persécutée, la liberté opprimée, et la terre inondée de sang par la tyrannie ; il adoucit l’horreur de ces peintures par les charmes de son style ; et son ouvrage, couronné aux jeux Olympiques, occupa presque le même rang que l’Iliade parmi les chefs-d’œuvre de l’esprit humain.

Les troubles de sa patrie et les discordes des Grecs le forcèrent à finir ses jours en Italie.

THUCYDIDE, plus jeune de treize ans qu’Hérodote, commanda les armées athéniennes avec gloire, et lutta contre la puissance de Périclès mais, n’ayant pu prévenir la surprise d’Amphipolis, dont s’emparèrent les Lacédémoniens sous les ordres de Brasidas, il fut banni. Nous devons à cet exil de vingt ans l’histoire de la guerre du Péloponnèse.

La sagesse, l’austère gravité de l’auteur et son amour pour la vérité se montrent dans cet ouvrage. Thucydide aimait mieux instruire que plaire : on ne trouve point dans son histoire les images et les grâces de celle d’Hérodote ; mais aussi jamais la vérité ne s’y montre altérée par des fables.

Son style concis est quelquefois trop dur : mais, ce qui est digne de remarques c’est que dans son livre il ne dit qu’un mot de son exil, sans se défendre et sans se plaindre.

CTÉSIAS, de Gnide, autre historien célèbre fut le médecin d’Artaxerxés. Il raconta les événements dont il avait été témoin, et ce qu’il avait lu dans les archives de Suze. La clarté du style était son principal mérite. Aristote doutait de la vérité de ses récits.

XÉNOPHON, Athénien, célèbre par la retraite des dix mille comme par ses écrits, se montra constamment aussi vertueux citoyen qu’habile général. Il n’écrivit sur la politique qu’après avoir observé les gouvernements, étudié les lois ; dirigé les affaires ; sur l’art militaire qu’après avoir commandé ; sur la morale qu’après avoir pratiqué les vertus qu’il enseignait.

Son but était de rendre les hommes meilleurs en les éclairant. Peu de temps avant la bataille de Mantinée, il se retira à Corinthe, et revint ensuite finir ses jours à Scillonte.

PLATON, disciple de Socrate voyagea en Égypte. Les prêtres lui firent connaître leur histoire, leur philosophie et leurs antiques lois. On croit qu’il avait connu aussi les livres de Moïse.

Son vaste génie embrassa toutes les parties de la philosophie. Il croyait à l’existence d’un Dieu suprême, à l’éternité de l’âme, aux récompenses et aux punitions après la mort. Sa morale était remplie de vérité, sa métaphysique d’imagination, sa législation de chimères sublimes.

Son esprit brillant, son style pur et vraiment attique, la sagesse de ses principes, l’élévation de ses sentiments et l’aménité de son caractère excitèrent l’admiration universelle, et lui firent donner le surnom de divin.

Il ne prit point part aux affaires publique, et leur préféra les lettres. Plusieurs rois, et entre autres Denys, tyran de Syracuse, l’appelèrent près d’eux pour s’éclairer par ses lumières. Il donnait ses leçons à l’extrémité d’un faubourg d’Athènes, dans le jardin d’Académus, d’où son école prit le nom d’académie.

Ses disciples formèrent deux sectes ; les académiciens qui, continuèrent à enseigner dans son jardin, et les péripatéticiens qui donnèrent leurs leçons dans le Lycée.

ARISTOTE, de Stagire en Macédoine, fut le chef des péripatéticiens. A l’âge de dix-sept ans, il étudia la philosophie à l’école de Platon. Retourné, dans la Macédoine, il y jouit d’un grand crédit près du roi Philippe qui le chargea de l’éducation d’Alexandre. Après l’avoir achevée, il revint ouvrir son école dans le Lycée d’Athènes.

Son génie était d’une vaste étendue : il perfectionna la dialectique ; son immense érudition est prouvée par ses nombreux ouvrages qui embrassent toutes les sciences. Sa philosophie, traversant les siècles ; et survivant aux ruines d’Athènes et de Rome fut longtemps la seule doctrine reçue dans les écoles modernes. Ses préceptes étaient. regardés comme des oracles, et on s’exposait à être traité comme hérétique en combattant ses erreurs sui, la physique, que tant de découvertes nouvelles ont fait reconnaître.

Aristote avait acquis trop de gloire pour échapper à l’envie : on l’accusa, d’impiété ; il fut cité en justice par Eurymédon ; et, craignant le sort de Socrate, il se retira dans l’île d’Eubée, où il finit ses jours.

L’indignation que lui causa la mort de Callisthène, et son amitié pour Antipater, le firent soupçonner de complicité avec les meurtriers d’Alexandre ; mais les plus graves historiens révoquent en doute l’empoisonnement de ce prince, et traitent de calomnie l’imputation faite à son instituteur.

XÉNOCRATE, l’un des successeurs de Platon, professait les mêmes principes que son maître, mais avec trop d’austérité dans sa doctrine et de sécheresse dans son style. Platon l’exhortait souvent à sacrifier aux grâces. Philippe et Alexandre voulurent gagner ce philosophe par leurs largesses ; mais ils le trouvèrent incorruptible. On avait une si haute idée de sa probité, qu’étant appelé en témoignage dans une affaire, les juges le dispensèrent du serment, et se contentèrent de sa parole. Il aimait la retraite et se montrait peu en public. Dans un siècle corrompu, sa vertu fit une telle impression, qu’elle arracha au vice quelques jeunes Athéniens.

DIOGÈNE, contemporain d’Alexandre, était de la secte des cyniques, dont Antisthène, disciple de Socrate, fut le chef. Ces philosophes menaient une vie dure, n’avaient pour habit qu’un manteau, et portaient une besace, un bâton et une écuelle : ils faisaient consister le bonheur dans l’indépendance, et celle-ci dans la pauvreté. Diogène outra leur système ; il méprisait non seulement les richesses, mais les lois, les bienséances et les usages de la société : ce mépris s’étendait sur tout le genre humain. Ses railleries étaient mordantes, et son effronterie sans bornes. Il marchait nu-pieds et couchait dans un tonneau.

Lorsque Alexandre arriva à Corinthe, tous les philosophes vinrent lui présenter leurs hommages. Diogène s’en dispensa. Ce monarque alla le voir, et lui demanda ce qu’il désirait de lui. Que tu t’écartes, dit le cynique, ne me cache pas mon soleil. Les courtisans se montraient irrités de son insolence ; le roi sourit et dit : Si je n’étais Alexandre ; je voudrais être Diogène. Leurs vanités s’entendaient.

Ce cynique, plus fou que philosophe, persuadé qu’il était supérieur à l’humanité, parce qu’il la dédaignait, se promenait en plein jour avec une lanterne. On lui demanda ce qu’il cherchait : Un homme, répondit-il.

Comme il se vantait de fouler aux pieds les tapis et l’orgueil de Platon, celui-ci répliqua : Oui, tu foules mon orgueil avec plus d’orgueil encore.

On donnait à ces prétendus philosophes le nom de cyniques, parce qu’ils aboyaient comme les chiens après tout le monde, et n’épargnaient personne.

ZÉNON, stoïcien, avait été d’abord disciple de Cratès le cynique ; mais, choqué de l’impudence de cette secte, dont il garda cependant toujours un peu la dureté, il s’attacha à l’école de Xénocrate.

Ses principaux disciples furent Cléanthe, Chrysippe et Possidonius. On les nomma stoïciens, parce qu’ils donnaient leurs leçons sous des galeries ou portiques, en grec stoa. Ils méprisaient la volupté, bravaient la douleur, et ne faisaient consister le bonheur que dans la vertu : ils appelaient souverain bien la conformité avec l’ordre ; et mal ce qui lui était contraire. Leur doctrine, pure et sublime, entretint la vigueur et l’esprit public chez les peuples qui l’adoptèrent : mais elle était cependant trop austère et trop au-dessus de l’humanité.

ÉPICURE donnait ses leçons Athènes, dans un jardin. Il ne nous reste rien de ses nombreux ouvrages ; mais sa grande renommée dure encore. Lucrèce et Cicéron nous ont fait connaître son système, développé dans les temps modernes par Gassendi. Opposé aux stoïciens, il faisait consister le mal dans la douleur, et le bonheur dans la volupté. Il attribuait la formation du monde au hasard, et ne croyait pas que les dieux s’occupassent de la terre. Le souverain bien se trouvait selon lui dans le repos et dans l’absence des peines ; aussi fit-il de cette impassibilité l’attribut des dieux.

Sa conduite était austère et sa doctrine relâchée. Pour éviter les maux qui suivent les excès, et les peines qui dérivent des vices, on le vit toujours vertueux tempérant et frugal,

On n’imita point ses vertus ; on abusa de son système ; et il est bon de remarquer que sa philosophie amollit les mœurs et corrompit les peuples qui abandonnèrent la doctrine de Zénon pour suivre la sienne.

PYRRHON, citoyen d’Élide. Sa doctrine était celle du doute ; son école fut appelée sceptique. Ce philosophe soutenait qu’il n’existait rien de certain, et qu’on devait toujours suspendre son jugement. Les conséquences de ce système sont très dangereuses, puisqu’il fait douter de la justice et de la vérité, de l’honnêteté et de l’infamie ; et que, conformément à ses principes, la justice et l’injustice dépendent, non de l’ordre éternel établi par Dieu, mais de l’intérêt et des conventions des hommes. Ce système conduisait nécessairement à l’indifférence pour le bien et pour le mal, et à la destruction de tout esprit public ; car il ne peut exister de bons citoyens là où l’on ne croit pas fermement à la vertu.

ARISTIPPE, disciple de Socrate, fut accusé par les stoïciens et les académiciens d’être novateur, et de vouloir, établir une alliance monstrueuse entre la vertu et la volupté. Faisant consister le bonheur dans une suite d’impressions douces, il rapportait tout à lui, et ne tenait à l’univers que par son intérêt : les devoirs ne lui paraissaient que des échanges ; il enseignait à respecter les lois pour n’être pas inquiété, et faisait du bien pour en recevoir.

Selon sa doctrine, on devait oublier le passé, ne point craindre l’avenir, et ne penser qu’au présent.

Sa complaisante, philosophie lui valût la faveur du tyran de Syracuse, qu’il flatta bassement ; et, comme on lui reprochait de s’être mis aux genoux de Denys afin d’obtenir une grâce pour un de ses amis, il répondit : Est-ce ma faute si cet homme a les oreilles aux pieds ?

MÉNANDRE était un poète athénien qui, selon le jugement de Quintilien, effaça ses prédécesseurs, et se montra aussi comique qu’Aristophane, avec un goût plus fin et plus délicat.

PHIDIAS. Cet artiste est immortel comme les monuments d’Athènes qu’il dirigea. Ses ouvrages avaient un si grand caractère que, selon la remarque de Quintilien, il réussit mieux à représenter les dieux que les hommes.

La statue de Minerve, haute de vingt-six coudées, fut son chef-d’œuvre. Il voulait la construire en marbre, et dit au peuple qu’en la faisant ainsi elle durerait plus, et coûterait moins. La vanité du peuple, choquée de cette économie, lui ordonna de se taire ; et on décida que la statue serait en or et en ivoire.

Son génie fut la victime de l’envie : on l’accusa de vol et d’impiété ; la puissance et l’amitié de Périclès ne le sauvèrent pas de la mort.

MÉTON, célèbre astronome, dix mois avant la guerre du Péloponnèse ayant observé le solstice d’été, produisit une période de dix-neuf années solaires, qui renfermaient deux cent trente-cinq lunaisons l et ramenaient le soleil et la lune à peu près au même point du ciel.

Les auteurs comiques l’attaquèrent vainement dans leurs satires ; il obtint un succès éclatant. Les Athéniens gravèrent les points des solstices et des équinoxes sur leurs murs, et fixèrent le commencement de l’année, ainsi que le renouvellement des archontes, à la lune qui suit le solstice d’été.

POLYGNOTE employa son talent à consacrer la gloire de la Grèce : il fut remercié par un décret des amphictyons, pour avoir peint dans un portique d’Athènes les événements de la guerre de Troie ; on décida qu’il devait être partout nourri gratuitement.

ZEUXIS surpassa peut-être tous ses rivaux en force et en coloris : il disait avec fierté qu’il donnait ses ouvrages, parce qu’on ne pouvait pas les payer.

PROTOGÈNE acquit aussi beaucoup de gloire par ses pinceaux. Il était ami d’Aristote.

PRAXITÈLE fut l’un des plus habiles sculpteurs son chef-d’œuvre était un Cupidon, dont il fit présent à la courtisane Phryné. Cette femme, célèbre par sa beauté et par ses vices, s’était engagée à payer la reconstruction de la ville de Thèbes, pourvu qu’on mit cette inscription : Alexandre a détruit Thèbes ; Phryné l’a rebâtie.

POLYCLÈTE se distingua par la beauté de ses statues d’airain.

APELLE, dont le nom retrace la gloire, perfectionna la peinture par ses écrits autant que par ses tableaux : il fit plusieurs portraits d’Alexandre ; le plus admiré était celui qui le représentait un foudre à la main.

Lorsqu’il vint à la cour de Ptolémée, roi d’Égypte, l’envie se déchaîna contre lui ; ses ennemis voulurent le perdre. Revenu à Éphèse, il s’en vengea en composant son fameux tableau de la Calomnie. On dit que sa Vénus sortant de la mer était la plus belle de ses productions.

LYSIPPE, immortel parmi les sculpteurs, fut un des ornements de Sicyone, sa patrie. Alexandre avait défendu à tout autre qu’à lui de faire sa statue ; comme à tout autre qu’à Apelle de peindre son portrait. Son chef-d’œuvre fut une statue en bronze de ce héros, que dans la suite Néron eut le mauvais goût de vouloir faire dorer.

Nous ne comprenons point dans ce tableau les orateurs célèbres, tels que Périclès, Alcibiade, Démosthène, Eschine, Lycurgue. Dans ces siècles de liberté, l’éloquence était le premier moyen pour arriver à la tête des gouvernements, et tous les hommes qu’on vient de nommer, se trouvent acteurs principaux dans les événements politiques : ils ont paru assez souvent sur la scène de l’histoire pour n’en pas faire mention dans cette notice.

Le célèbre Pythagore appartient aussi aux mêmes époques ; mais, comme législateur et philosophe, il trouvera sa place lorsque nous parlerons de la Grande Grèce.