HISTOIRE DU BAS EMPIRE (période antique)

 

EN OCCIDENT, VALENTINIEN II, MAXIME, EUGÈNE ; EN ORIENT, THÉODOSE (383) ; ENFIN, THÉODOSE SEUL (392)

 

 

MAXIME, proclamé par l’armée de Gratien, et maître, sans obstacle, de la Gaule, de la Bretagne et de l’Espagne, craignait Théodose et méprisait la jeunesse de Valentinien II. Il envoya une ambassade à l’empereur d’Orient, et, dans le dessein de justifier son élévation qu’il lui demandait d’approuver, il lui représentait que toutes les légions, indignées de se voir livrées par Gratien à l’ambition des officiers barbares, avaient déposé ce prince, et qu’il s’était trouvé contraint par elles de se revêtir de la pourpre.

Théodose, dissimulant son courroux et ses projets, fit aux ambassadeurs une réponse vague, et les renvoya chargés de présents.

Peu de temps auparavant, Théodose attaqué d’une maladie grave, s’était fait baptiser. Un édit solennel qu’il publia prouva bientôt son zèle trop ardent pour son culte. Par cet acte, il ordonnait à tous ses sujets, comme si la foi pouvait se commander, d’embrasser la religion enseignée par saint Pierre, professée par le pape Damase et par le patriarche d’Alexandrie. Il voulait qu’on reconnût un seul Dieu en trois personnes, donnait le titre de catholiques à ceux qui se conformaient à cette loi, et flétrissait les autres du nom d’insensés et d’hérétiques, privait leurs assemblées des privilèges accordés aux églises, les accusait de sacrilège, et les menaçait, s’ils persistaient dans leur erreur, de la vengeance divine et de la sienne.

Par un autre décret, il suspendit toute procédure criminelle pendant le carême, et, pour honorer la fête de Pâques, fit grâce à tous les criminels, hors aux adultères, aux homicides, aux magiciens, aux faux monnayeurs et aux conspirateurs. Cette amnistie, annulée, comme tant d’autres, par un si grand nombre d’exceptions excita cependant la reconnaissance publique. Tout adoucissement, après une odieuse tyrannie, est reçu comme un bienfait.

Théodose, naturellement juste lorsqu’il ne se laissait point entraîner par la colère ou égarer par le fanatisme, mérita, par plusieurs actes de son règne, l’affection de ses peuples et les éloges de la postérité.

Ennemi des proscriptions, il parlait avec autant de haine que de mépris de Marius, de Sylla, et des cruels triumvirs : il publia une loi sévère contre les délateurs, prescrivit aux geôliers la douceur et l’humanité, ordonna aux juges, sous peine de fortes amendes, de visiter fréquemment les prisons, de recevoir les plaintes des prisonniers, et de garder des notes exactes sur les causes de leur détention.

Attentif à tout ce qui pouvait intéresser l’ordre, la tranquillité et la sûreté publiques, il maintint et releva les municipes, répara les anciens édifices, en fit construire de nouveaux, rendit pendant quinze ans les entrepreneurs responsables de la solidité de ces bâtiments, et défendit d’enterrer les morts dans l’enceinte des villes.

Trop éclairé pour ne pas sentir que le luxe et là corruption des mœurs étaient les principales causes de la décadence de l’empire, il publia des lois somptuaires que son pouvoir ne put faire exécuter, et nota vainement d’infamie toute veuve qui se remarierait avant une année de deuil révolue.

L’empereur pouvait, par son exemple, par ses grandes actions, par le respect qu’il inspirait, ralentir la chute de l’empire romain, mais non l’empêcher. La liberté perdue, l’habitude d’obéir au glaive,  les grands sentiments éteints, les grands souvenirs effacés, le titre de citoyen prodigué, avili, le nom de patrie oublié, le mélange honteux des Goths, des Francs et des Romains dans tous les emplois civils et militaires, le dégoût des travaux, l’amour des richesses et des plaisirs, tels étaient les maux incurables qui minaient le colosse romain : un grand homme pouvait les pallier, mais non les guérir.

Théodose, le dernier des empereurs qui tint d’une main ferme les rênes de l’état, fit non ce qui était désirable, mais ce qui était possible. Il releva les armes romaines, rétablit momentanément la discipline, effraya les vices, réprima les crimes par la justice de son administration, et rendit quelques années de repos aux peuples si longtemps opprimés par de faibles tyrans et par leurs vils favoris.

L’impératrice Flaccilla, fille d’un consul nommé Antoine secondait Théodose dans ses nobles travaux ; on la regardait comme un modèle de piété, de modestie, de tendresse, de chasteté, et jamais on ne citait d’elle que des actes de bienfaisance et de générosité. Attentive à calmer son époux naturellement prompt à s’irriter, elle lui répétait souvent ces paroles : Rappelez-vous toujours ce que vous êtes, et n’oubliez jamais ce que vous avez été.

L’empereur parvint plus difficilement à faire cesser les troubles religieux qu’à repousser les barbares. Dans ce temps, ce n’était plus le partage des terres, l’égalité politique, l’élection d’un consul, d’un tribun, ou même celle d’un empereur, qui réveillait les citoyens de leur indolence ; ils souffraient toute tyrannie, et ne reprenaient leur fureur et leurs armes que pour le choix d’un évêque ou pour l’interprétation d’une formule inintelligible.

Les Orientaux surtout se livraient avec passion aux disputes religieuses. A Constantinople elles étaient devenues les seuls objets d’intérêt public et privé, et, parmi toutes les classes, comme le remarquait un voyageur du temps, on ne s’occupait que de controverses. Priez-vous un marchand, disait-il, de vous changer une pièce d’argent, il vous dira quelle différence existe entre le père et le fils. Questionnez un boulanger sur le prix du pain, il vous prouvera que le fils est inférieur au père. Demandez au baigneur si le bain est prêt, il vous dira que le fils a été tiré du néant.

Toutes ces querelles d’opinions n’eussent été que ridicules, si l’esprit de parti ne les avait souvent changées en combats sanglants. L’autorité du prince semblait encore, en s’en mêlant, croître leur animosité ; et lorsque Théodose, décidé à terrasser l’arianisme, rétablit saint Grégoire de Naziance sur le siège patriarcal, si nous en croyons cet évêque, Constantinople, le jour de son installation, présentait le spectacle d’une ville prise d’assaut par les barbares, tant fut opiniâtre la résistance des ariens, qui s’opposaient à son retour.

Ce vertueux évêque, fatigué de ces dissensions chargé d’honneurs et d’années, révéré par la vertu, persécuté par l’envie, vint, peu de temps après, trouver Théodose et lui adressa, au milieu de sa brillante cour, ce langage noble et modeste, digne d’un apôtre de l’Évangile : Prince, vous aimez à donner, je vous demande une grâce : ce n’est pas de l’or pour moi ni des ornements pour mon église ni des gouvernements pour mes amis ; tous ces biens n’ont point de prix à mes yeux ; je les abandonne à ceux qui les estiment ; mon ambition s’élève plus haut que la terre : accordez-moi la permission de céder à la haine qui  me poursuit. Je respecte le trône épiscopal, mais je ne veux le voir que de loin ; je suis las de déplaire aux hommes en cherchant à plaire à Dieu : puissiez-vous rétablir la concorde entre les évêques ! Dieu veuille qu’ils terminent leurs querelles en écoutant votre voix, s’ils ne veulent pas attendre celle de la justice. Je désire que, vainqueur des barbares, vous le soyez aussi de ceux qui troublent et ensanglantent l’église ; mais vous voyez mes cheveux blancs ; j’ai consumé, pour servir le Seigneur, les forces qu’il m’avait données ; je succombe sous le fardeau dont vous m’avez chargé malgré moi, et la seule faveur que je vous demande, c’est de me laisser terminer mes jours en liberté.

Théodose, lui permit de se retirer ; mais, irrité de l’opiniâtreté des sectes, il n’écouta que son ressentiment, et donna par une loi despotique un funeste exemple à ses successeurs. Il défendit les sacrifices, priva les hérétiques et les apostats du droit de tester, publia un décret qui menaçait de mort les manichéens, fit poser à deux pieds de terre, dans la place publique, les bustes de Sabellius, d’Arius et de Macédonius, pour les exposer à la risée et aux outrages du peuple.

On voit avec peine le célèbre Bossuet accorder des éloges à ces actes tyranniques, tant l’esprit de corps égare ceux qui, plus que tout autre, devraient être remplis de l’esprit de tolérance et de charité !

Théodose, entraîné par les prêtres hors de son caractère, lorsqu’il croyait soutenir la cause de Dieu, se montrait bien différent, quand il n’était question que d’injures contre m personne.

Si quelqu’un parle mal de nous ou de notre gouvernement, écrivait-il à Rufin, préfet du prétoire, nous ne voulons pas qu’on le punisse : s’il l’a fait par légèreté, il faut le mépriser ; si c’est par erreur, il faut le plaindre ; si c’est par dessein de nous faire une insulte, il faut lui pardonner. Au reste, quels que soient les délits dont les citoyens soient accusés, en tout ce qui peut concerner la sûreté du gouvernement, avant de prendre aucune décision, vous nous en donnerez connaissance, afin que nous jugions la gravité de l’offense par la moralité des personnes, et que nous examinions avec sagesse si nous devons la tolérer ou la soumettre au jugement des tribunaux.

Malgré son zèle trop emporté pour favoriser tout ce qui était empreint d’un caractère religieux, il voulut mettre un frein aux intrigues des moines, qui devenaient déjà nombreux et dangereux. Il leur défendit de sortir de leur retraite, et surtout de paraître au milieu des cités ; mais, obsédé par eux, deux ans après il révoqua son édit. Cette faiblesse rendit ces corporations plus hardies et plus puissantes ; leur ambition, si opposée à leur état, ne contribua que trop dans la suite aux troubles et aux désordres de l’Orient ; et, par leurs intrigues, ils y acquirent un tel crédit, qu’il devint presque impossible de parvenir à l’épiscopat sans être entré dans leur communauté.

Tandis que Théodose faisait triompher dans ses états l’église orthodoxe sur les ruines de l’arianisme, les ariens, en Italie depuis la mort de Gratien, se voyaient protégés par Justine, mère et tutrice de Valentinien II. Un tel appui ranimait leur espoir et semblait devoir relever leur parti ; mais ils rencontrèrent près de la cour d’Occident un ennemi formidable dont rien ne put ébranler la fermeté. Saint Ambroise, né à Rome, de race patricienne, devait le jour à un personnage consulaire ; il surpassa son père en talents, en fortune, en dignités. Il se trouvait gouverneur de la Ligurie, au moment où la fureur des sectes, portant le peuple à la sédition, allait faire de la ville de Milan un champ de carnage. Dans ce moment de danger, tous les vœux cherchaient un pacificateur, et Ambroise inspirait tant de respect à toutes les classes de citoyens, que, quoiqu’il fût laïque et n’eût pas même encore reçu le baptême, il se vit porté par les suffrages unanimes au siége épiscopal, justifia le choix du peuple, apaisa les troubles, et devint le conseil et le guide des empereurs.

Ce fut pour l’instruction de Gratien qu’il composa son traité sur la foi chrétienne.

Quand Justine se déclara en faveur de l’arianisme, et voulut donner une église aux partisans de cette secte, Ambroise résista opiniâtrement à ses ordres ; il osa même, dans les transports d’un zèle exagéré, comparer l’impératrice à Jésabel. On peut disposer de ma vie, disait-il, mais non de ma foi ; je souffrirai tout hors, les offenses faites à la religion ; je m’exciterai point la fureur du peuple, mais je la prévois : la cour nous prépare de grands malheurs, mais j’espère ne pas survivre à la ruine de ma patrie.

L’impératrice l’exila, il refusa d’obéir ; une partie du peuple prit sa défense, s’enferma avec lui dans l’église, l’y garda et l’y nourrit : un nombreux corps de soldats goths voulut vainement forcer cet asile.

Ce fut pendant ce siège que, pour garantir de l’ennui le peuple qui l’entourait, et pour entretenir son zèle, il introduisit l’usage de chanter des psaumes. Ambroise, profitant habilement de quelques circonstances imprévues, prétendit que le ciel signalait par des prodiges la protection qu’il lui accordait. Justine se moqua de ses miracles supposés, mais la multitude y crut, et la puissance se vit forcée de céder à la crédulité.

Un danger plus pressant menaçait le trône du jeune Valentinien ; Maxime, qui n’avait trouvé de résistance que dans la fidélité courageuse de saint Martin, évêque de Tours, était devenu le tyran des Gaules. Grossissant son armée d’une foule de Germains et de Francs, il s’approcha des Alpes et s’efforça de tromper Justine par des assurances de paix et d’amitié.

Ambroise découvrit le piège et en avertit l’impératrice. Elle ne voulut pas le croire, et Maxime partit aux portes de Milan avant qu’on eût pris aucune mesure pour le repousser. La terreur fut aussi grande que l’avait été la confiance. Justine et son fils, au lieu de tenter quelques moyens de résistance, coururent à Aquilée, et de là à Thessalonique, pour implorer la protection de Théodose.

Maxime parcourut en maître l’Italie, entra triomphant dans Rome, et se fit un grand nombre de partisans, en protégeant l’idolâtrie et en relevant les autels des dieux.

Dés que Théodose apprit l’infortune et la fuite de Valentinien, il vint trouver ce jeune prince à Thessalonique, accompagné d’une grande partie du sénat. Après avoir reproché à Justine son hérésie, à laquelle il attribuait ses malheurs, il lui promit de rétablir son fils sur le trône et resserra les liens qui Punissaient à lui, en épousant sa sœur Galla. Lorsqu’il eut réuni ses légions, il s’avança en Pannonie où il rencontra près de Siscie, sur les bords de la Save, Maxime, qui venait le combattre à la tête de toutes les forces de l’Occident. Cette guerre ne dura que deux mois, la cavalerie formidable des Huns, des Alains et des Goths, qui servaient alors Théodose passe intrépidement la Save à la nage, enfonce, épouvante et met en fuite les Germains et les Gaulois de l’armée de Maxime. Marcellinus, son frère, rétablit le combat avec un corps d’élite ; la bataille se prolonge jusqu’à la nuit, qui laisse la victoire indécise. Le lendemain, au moment où l’action recommence, une partie des troupes de l’Occident jette les armes, Maxime prend la fuite ; Théodose le poursuit si rapidement, qu’il arrive presque en même temps que lui aux portes d’Aquilée. Le peuple de cette ville se révolte, dépouille Maxime de ses ornements, l’enchaîne et le traîne aux pieds de l’empereur. Théodose, touché de ses prières, est tenté de lui pardonner ; mais se rappelant, après quelque hésitation, qu’il doit une victime aux mânes de Gratien, il livre ce tyran aux soldats qui lui tranchent la tête. Un Franc, nommé Arbogaste, que sa bravoure et les suffrages des soldats avaient élevé de grade en grade à celui de général, poursuivit les débris de l’armée vaincue, et tua Victor, fils de Maxime, qui la commandait.

Théodose, après avoir apaisé les troubles auxquels la ville de Milan se trouvait en proie, et replacé Valentinien II sur son trône, entra en triomphe dans Rome, comme le grand Constantin.

En prononçant l’éloge de l’empereur, la flatterie parla le langage de la vérité. L’opinion publique approuvait les louanges données à un prince dont on admirait l’activité, la bravoure, l’habileté, la gloire, et dont on respectait la justice, la bienfaisance et la chasteté ; mais il n’est pas de vertu sans mélange ; la sienne fut souvent ternie par le fanatisme et par un penchant à la colère qu’il travaillait continuellement à vaincre, mais qu’il ne put pas toujours dompter.

La ferveur de ce prince pour la religion chrétienne semblait alors augmentée par les efforts que son ennemi, Maxime, avait tentés pour relever l’idolâtrie. L’empereur, trouvant à Rome les autels parés de fleurs, les sacrifices rétablis, les statues des dieux entourées d’offrandes et d’encens ; en fit de violents reproches au sénat et plaida dans cette assemblée la cause du christianisme, avec une chaleur plus convenable peut-être au chef de l’église, qu’au chef de l’état.

Les sénateurs, attachés à l’ancien culte, osèrent lui résister, et dans cette discussion firent entendre, pour soutenir l’erreur, un langage hardi dont on avait perdu l’habitude depuis plusieurs siècles.

La liberté, muette pour les affaires terrestres, se montrait encore lorsqu’on voulait comprimer les opinions religieuses. Ils opposèrent aux volontés de l’empereur douze cents ans de coutume, la puissance de Rome fondée sur des oracles, tant de triomphes dus à la protection des dieux, et le danger, après tant de prodiges, d’embrasser une nouvelle religion qui n’offrait point le même espoir, et n’était point appuyée par une si longue et si heureuse expérience.

Théodose leur déclara solennellement que Valentinien et lui avaient en horreur le culte du mensonge et des vices déifiés, et que, s’ils voulaient persister dans cette croyance sacrilège, le trésor public ne paierait plus les frais du culte scandaleux des idoles. L’empire, ajouta-t-il, environné de périls, menacé de tous côtés par les barbares, a plus besoin de soldats que de victimes.

On avait répondu à ses arguments, on se tut, dès qu’on entendit ses ordres ; et comme le nombre de ceux qui ne mêlent aucun intérêt humain à leurs opinions est toujours et partout le plus faible, lorsque le trésor fut fermé, les sacrifices cessèrent.

Cependant en Égypte l’autorité éprouva plus de résistance. Le peuple défendit ses temples ; il poussa des cris de rage, lorsqu’on porta la hache sur la statue de Sérapis ; mais dès que l’idole fut tombée, la multitude mobile l’insulta : inconstante pour les puissances du ciel comme pour celles de la terre, elle méprise bientôt ce qu’elle cesse de craindre.

L’empereur, pour réparer les malheurs de Valens, pour vaincre les Goths, pour affranchir l’Orient et pour rétablir la tranquillité dans l’Occident, s’était vu forcé de lever partout des impôts, dont une si évidente nécessité pouvait seule faire supporter le poids. Partout on s’y soumit avec résignation, excepté à Antioche.

Cette ville, par la licence de ses mœurs, se montrait toujours portée à la sédition : son peuple léger, frondeur et corrompu, prodiguant ses trésors avec joie pour les fêtes, pour les jeux, pour les pantomimes et les bateleurs, éclatait en murmures, lorsqu’il fallait contribuer aux charges publiques et à la défense de l’état.

Quand les commissaires de l’empereur se présentent pour lever la taxe de guerre, tous les citoyens, riches ou pauvres, se plaignent, résistent, s’attroupent, s’animent, se soulèvent, menacent les magistrats, se répandent en invectives contre l’empereur : des injures la multitude emportée passe bientôt à la violence, et dans sa fureur elle brise les statues de Théodose, de sa mère et de ses enfants, les outrage et les traîne avec mépris dans les rues.

Plus l’empereur avait montré jusque là de prédilection pour la ville d’Antioche, plus son ingratitude l’irrita : dans le premier mouvement de sa colère, il envoya des troupes contre les séditieux avec des commissaires chargés de sa vengeance, armés d’un pouvoir sans limites, et qui devaient châtier les habitants et raser la ville.

Le peuple rebelle, revenu de son emportement, en considérait avec effroi les suites funestes ; la consternation succédait à la fureur ; on attendait les commissaires dans un silence morne, semblable au calme effrayant qui précède et annonce souvent la tempête ; les plus riches habitants prenaient la fuite. Saint Chrysostome, qui s’était opposé à leur délire, qui les consola dans leur douleur, et qui les soutint dans leurs périls, présente ainsi l’image de leur terreur.

Cette cité florissante, dit-il, est devenue tout à coup déserte ; une frayeur mortelle nous chasse tous et nous éloigne, comme la fumée chasse les abeilles ; notre ville, rappelant ce que le prophète dit de Jérusalem, est comme un chêne dépouillé, comme un jardin privé de ses eaux salutaires, qui n’offre aux regards que des arbres desséchés, sans fleurs et sans fruits. Le courroux du prince, ainsi qu’un incendie fatal, menace de venir bientôt fondre sur nous ; chacun l’évite et s’empresse de sauver ses jours avant que le feu n’arrive jusqu’à lui. Étrange calamité ! sans que l’ennemi nous poursuive, nous fuyons ; sans avoir livré de combats, nous abandonnons nos foyers ; sans avoir soutenu les assauts des barbares, nous éprouvons les mêmes maux que les captifs d’un vainqueur superbe.

Ces craintes n’étaient que trop fondées ; les troupes approchent ; les envoyés de l’empereur arrivent ; ils montent sur leur tribunal ; insensibles aux larmes, sourds aux prières, environnés de soldats farouches, ils commencent des informations rigoureuses ; les prisons se remplissent ; on emploie sans pitié les verges, les chaînes, la torture pour forcer les accusés à confesser leur crime, à dénoncer leurs complices ; l’air retentit des cris de la douleur, des accents de la colère, des gémissements de la nature et de l’amitié ; les femmes et les en fans éplorés entourent, pressent et supplient vainement les magistrats, les soldats, les bourreaux. Les ombres de la nuit redoublent la terreur du jour ; frappée par un juge insensible, toute cette ville coupable semble menacée d’une entière destruction.

Des citoyens en foule étaient traînés de leurs foyers dans les cachots, de là aux tortures, à l’échafaud. Ils y marchaient ; soudain un homme, couvert des lambeaux de la misère, s’avance, saisit par son manteau le premier dès magistrats, et lui ordonne impérieusement de l’écouter. Cette témérité excite l’indignation des juges, mais elle se change en respect, lorsqu’ils entendent proclamer le nom de Macédone, ermite saint et révéré, qu’on voyait suivi de plusieurs autres pieux solitaires, l’autorité s’abaisse devant sa vertu : Portez mes paroles au prince, s’écrie cet homme courageux, vous êtes homme, vous commander à des hommes ; ils sont l’image de Dieu, et Dieu ne veut pas qu’on la détruise. Insulter l’ouvrage, c’est irriter l’ouvrier. Quel est le crime commis ? On a offensé des figures inanimées, cet égarement justifie-t-il votre colère ? Pour une statue détruite, nous pouvons vous en rendre vingt, mais songez que vous ne pouvez reproduire un seul cheveu d’une tête que vous aurez fait tomber. Ce langage noble et fier, qui semblait inspiré, étonne et touche les ministres de l’empereur ; le glaive s’arrête, les supplices sont suspendus ; on permet au peuple d’implorer la clémence de Théodose. Ce prince était alors revenu à Constantinople.

Cézaire court lui porter les vœux d’Antioche ; l’évêque Flavien, malgré son âge, retrouve des forces pour l’accompagner et pour désarmer le courroux du prince offensé.

Les Syriens respirent, mais ne démentent point dans de si graves circonstances, la légèreté de leur caractère ; ils passent subitement d’une lâche terreur à une joie folle et licencieuse, et se livrent à la débauche à la vue des échafauds encore dressés.

Ce fut alors que Chrysostome, remplissant avec éclat les devoirs d’un saint ministère, déploya contre leur coupable ivresse, la même éloquence qu’il avait opposée à leur désespoir, et prononça ces homélies célèbres que le temps a respectées.

Cézaire, arrivé dans la capitale de l’Orient, se jette aux pieds de Théodose, s’efforce de réveiller sa générosité, lui peint les malheurs, le repentir des coupables, ébranle son cœur, mais ne le fléchit pas. L’empereur rappelle, sa munificence et sa prédilection pour Antioche, et il se plaint avec emportement de l’ingratitude d’un peuple comblé par lui de bienfaits.

Le vénérable Flavien s’avance alors : loin de prétendre justifier les coupables, il avoue, il exagère même adroitement leurs délits, et, après avoir déclaré que les châtiments les plus sévères pour de tels crimes seraient conformes à la justice humaine, il ajoute : Dieu fut, comme vous, outragé par les hommes ; il leur a ouvert les cieux, imitez son exemple. Si nous devons notre salut à votre clémence, vous devrez à nos erreurs une gloire nouvelle. Gratien ne vous a transmis qu’une couronne passagère, et vous pouvez, par votre vertu, en mériter une immortelle. Vous n’avez perdu que des statues muettes, remplacez-les en élevant dans nos cœurs des monuments parlants et éternels.

Lorsque les courtisans de Constantin, offensé comme vous, l’excitaient à venger les injures faites à ses images, il leur répondit : Rassurez-vous, je ne me sens pas blessé. On a déjà oublié plusieurs de ses victoires, mais les siècles répéteront ces paroles généreuses, comme ils n’oublieront pas ce mot qui vous échappa lorsque, pardonnant un jour à quelques condamnés, vous vous écriâtes : Que n’ai-je aussi le pouvoir de ressusciter les morts ! Une seule parole peut vous donner la plus belle conquête et celle de l’amour de tous vos sujets ! Vous avez résisté aux prières de vos magistrats, à la voix de vos généraux ; cédez à celle d’un vieillard qui vous présente l’Évangile, pour vous rappeler que Dieu ne vous pardonnera pas vos offenses, si vous êtes inflexible pour les nôtres. Au lieu de détruire Antioche, effacez le souvenir de ses crimes, et j’irai bénir votre nom au milieu du peuple que vous aurez sauvé.

Théodose ne put résister à ces nobles accents de la vieillesse, de la vertu et de la piété ; il pardonna, et ce triomphe sur un juste ressentiment, fut célébré comme la plus belle de ses victoires.

Une autre révolte, qui eut lieu à Thessalonique, produisit de plus grands malheurs ; rien ne put calmer le courroux de l’empereur, et la vengeance qu’il en tira devint une tâche éternelle pour sa gloire.

Un conducteur de char, insolent et débauché, s’était livré à des désordres scandaleux ; le gouverneur de la ville le fait jeter en prison : le peuple, qui favorisait cet homme, veut le délivrer, se révolte, et, dans sa fureur, assassine le général et les officiers qui l’entourent.

Le ressentiment de Théodose éclate ; vainement les évêques de la province le supplient de pardonner ; il ne veut rien entendre : par son ordre tous les habitants de cette ville infortunée sont rassemblés dans le cirque sous le prétexte perfide d’y assister à des jeux. Les soldats goths, qui servaient dans l’armée impériale, entourent ces malheureux et les massacrent tous, sans distinction d’âge ni de sexe.

Effrayé de sa propre cruauté, Théodose, tourmenté par sa conscience qui lui parla trop tard, écrivit à saint Ambroise, lui demanda d’implorer en sa faveur la clémence divine ; et, dans l’espoir d’adoucir le pontife irrité, il se rendit à Milan, voulut se justifier, et se présenta, suivi de son cortège, aux portes de l’église. L’inexorable Ambroise lui en défendit l’entrée, et, rappelant dans cette circonstance l’exemple de David : Vous avez, dit-il à l’empereur, vous avez imité ce roi dans son crime, imitez-le dans son repentir. Il lui imposa la pénitence publique ; Théodose s’y soumit, et le maître du monde, dépouillé de ses ornements, prosterné au pied de l’autel, s’humilia devant Dieu en présence de son peuple. Ce ne fut qu’après huit mois de prières et de douleurs qu’il rentra dans la communion des fidèles.

 On ne peut qu’admirer la fermeté d’un ministre de l’Évangile qu’aucun danger n’effraie, lorsqu’il doit soutenir la cause de la morale outragée, et faire craindre à la puissance terrestre la justice divine ; mais trop de prêtres ambitieux, interprétant mal ce grand exemple, abusèrent, depuis, de la parole sacrée pour servir un orgueil profane, et, sous prétexte d’abaisser les princes devant Dieu, s’efforcèrent d’élever le sacerdoce au-dessus de l’empire.

Ambroise lui-même si sévère lors du massacre de Thessalonique, ne parut point animé du même esprit de justice, lorsqu’une populace séditieuse, excitée par des moines fanatiques, s’emporta au point de brûler une synagogue. L’empereur voulait châtier les incendiaires. Ambroise s’y opposa ; et, par son influence, obtint que les moines coupables resteraient impunis.

Tel est l’esprit de secte et de parti ; il égare la vertu même, il la rend inflexible pour l’erreur qui lui nuit, et indulgente pour le crime qui le sert.

Peu de temps après la défaite de Maxime et le rétablissement de Valentinien II sur son trône, la mort de l’impératrice Justine enleva aux ariens leur plus ferme appui.

Valentinien, par reconnaissance pour Théodose, et par soumission pour Ambroise, devint orthodoxe. Ce jeune prince se montrait chaste, tempérant, appliqué, ennemi de l’injustice mais ces belles qualités n’étaient accompagnées d’aucune force ; la faiblesse a le danger de tous les vices qu’elle n’autorise pas, mais qu’elle ne sait pas réprimer.

L’empereur d’Occident laissa prendre trop de crédit dans sa cour, trop d’influence sur les troupes, à un Franc distingué par ses exploits, mais dont l’ambition coupable ne connaissait aucune borne.

Arbogaste élevé au grade de général par Gratien, et qui, sous les ordres de Théodose, venait de contribuer si efficacement à la chute de Maxime, commandait alors les légions de la Gaule. Ce guerrier intrigant, perfide, hautain, avide de pouvoir et de richesses, était regardé par Valentinien, comme le soutien de son trône.

Abusant de sa confiance et disposant de ses trésors, il séduit les troupes, distribue toutes les places à des barbares qui lui sont dévoués ; sous, différents prétextes il éloigne du prince ses plus fidèles serviteurs, l’environne de ses agents, l’entoure de ses satellites, cesse bientôt de feindre, commande au lieu de conseiller, et règne au lieu de servir.

L’empereur n’est plus qu’un captif couronné ; il ouvre tardivement les yeux, frémit de son danger ; et, secrètement, écrit à Théodose que son palais n’est plus qu’une prison dont il le supplie de le tirer. Cependant son péril s’accroît, son humiliation devient insupportable. Trop impatient pour attendre le secours qu’il avait invoqué, il veut tenter un coup d’état, et compromet son autorité.

Environné de toute sa cour, assis sur son trône, espérant que son sceptre fera tomber l’épée du barbare, il fait venir devant lui le fier Arbogaste, et lui ordonne de lire un décret qui le destitue. Mon autorité, répond l’audacieux guerrier, est fondée sur mes services, et ne dépend point des caprices d’un faible prince. Après ce peu, de mots, il jette l’édit à terre et le foule aux pieds, Valentinien, transporté de fureur ; tire son glaive et veut frapper le barbare ; mais les amis nombreux d’Arbogaste l’entourent et désarment l’empereur. Peu de jours après, on trouva ce malheureux prince étranglé dans son lit[1]. Arbogaste, voulant se laver de ce crime, s’efforça de faire croire que Valentinien, dans un accès de désespoir, s’était tué : il fit conduire en pompe à Milan les restes de l’empereur. Saint Ambroise prononça son panégyrique, et, dans l’intention de consoler les sœurs de ce prince, s’écartant cette fois de la sévérité ordinaire de ses maximes, il leur fit espérer que Valentinien serait reçu dans le ciel par la clémence divine, quoiqu’il n’eût pas encore reçu le baptême.

Arbogaste, par sa trahison, maître de l’Occident, excepté de l’Afrique, pouvait disposer du trône, mais il n’osa ou ne voulut pas s’y placer, préférant un pouvoir réel à un vain éclat, ou craignant peut-être l’indignation des Romains s’ils voyaient la couronne impériale sur la tête d’un barbare, il se contenta de régner sous le nom d’un fantôme d’empereur, et décora du titre d’Auguste, Eugène, son ancien secrétaire. Ce nouveau prince, par son mérite et par la faveur d’Arbogaste, était parvenu de l’emploi très inférieur de professeur de rhétorique à la haute dignité de maître des offices.

On estimait son érudition, son éloquence ; on aimait sa douceur et sa modestie. Ne pouvant résister à la, puissance d’Arbogaste, il obéit en gémissant, et accepta le sceptre avec regret. Ses ambassadeurs, chargés par lui de demander à Théodose la confirmation de son élection, n’obtinrent que des réponses évasives. L’empereur d’Orient était doublement disposé à la vengeance, par l’intérêt de sa couronne et par la douleur de sa femme Galla, sœur de Valentinien.

Il réunit toutes ses forces pour combattre Eugène, ou plutôt Arbogaste ; mais, avant de commencer la guerre, cédant à la superstition, qui, chez les hommes, ne fait que changer d’objet, à défaut d’oracles et d’aruspices, il consulta un moine égyptien de la Thébaïde et la réponse favorable de ce solitaire augmenta la confiance de l’armée.

Cette armée, exercée par Timasius, Promotus, Stilicon, généraux habiles, présentait un spectacle imposant. On en admirait la force, la discipline ; mais, en même temps, il était impossible d’y voir sans douleur une foule d’Arabes, de Goths, d’Alains, de Huns, et à leur tête ce célèbre Alaric, qui semblait alors apprendre à l’école de Théodose, l’art qu’il employa depuis à la destruction de Rome.

On eût dit que les Romains, frappés alors d’aveuglement, conduisaient avec eux des légions de barbares pour les aider à faire la reconnaissance de toutes les parties de l’empire qu’ils devaient bientôt conquérir et ravager.

Arbogaste, informé des préparatifs de l’empereur d’Orient, réunit, pour lui résister, toutes les légions de l’Occident.

Eugène et lui tentèrent un dernier effort pour relever le polythéisme ; ils entrèrent dans Rome, et, à la grande satisfaction, des idolâtres et de la multitude avide de changements, ils rétablirent momentanément le culte des dieux.

Si l’on en croit Claudien qui, dans ses descriptions poétiques, donne plus de détails sur cette courte guerre que les historiens du temps, Théodose, étendit sa ligne, et dissémina ses troupes, dans le dessein d’envelopper et de tourner l’ennemi. Arbogaste, suivant un plan contraire, concentra ses forces près d’Aquilée, pour opposer aux Orientaux une masse plus redoutable, et les enfoncer par son poids. Ces deux systèmes, soutenus dans tous les temps par des hommes de génie, ont fait alternativement la gloire ou causé la ruine de ceux qui les ont suivis selon que la fortune l’a voulu.

Théodose, marchant avec sa rapidité ordinaire, traversa la Pannonie ; Arbogaste qui, voulait l’affaiblir en divisant ses moyens lui laissa passer les Alpes Juliennes et s’étendre dans la plaine. Les deux armées se trouvèrent en présence près d’Aquilée.

Toutes deux étaient animées, l’une par le désir de venger Valentinien et de punir le crime, l’autre par l’espérance de couvrir de lauriers les coupables, et de légitimer l’usurpation par la victoire.

Le signal est donné : Théodose marche contre l’ennemi et charge les Goths d’attaquer le camp retranché. Son dessein était d’obtenir le succès par leur courage bouillant, et d’affaiblir en même temps leur nombre par un combat meurtrier. Il n’atteignit que ce dernier but. Dix mille de ces barbares, et leur chef Baccurius, périrent sur le champ de bataille, sans pouvoir franchir les fossés et les remparts du camp.

Théodose, repoussé, se retire sur une montagne escarpée ; Eugène, fier de cet avantage, le regarde comme une victoire complète : sa garde partage son erreur et se livre à la débauche. Cependant l’habile Arbogaste, qu’un premier succès ne pouvait endormir, fait occuper tous les défilés par dès corps nombreux. Théodose se voit cerné, pressé, sans vivres ; sa perte paraît inévitable ; mais ce qui devait achever sa ruine causa son salut.

Les chefs des corps qui l’entouraient confèrent avec ses officiers, écoutent ses propositions, traitent avec lui, quittent le parti des rebelles et se rangent soies ses drapeaux. Fortifié par ces nouveaux auxiliaires, Théodose s’élance de nouveau contre l’ennemi, et l’attaque avec ses propres forces. Les éléments, dit Claudien, semblèrent alors conspirer en faveur de Théodose ; une tempête venue de l’Orient soulève contre les Gaulois des tourbillons de poussière qui les aveuglent et qui les épouvantent. Les païens, pour défendre leurs montagnes, y avaient placé les statues des dieux. La superstition fut appelée des deux côtés au secours du courage.

L’empereur, après un premier choc sans succès, répondit à ceux qui lui conseillaient la retraite : Non, la croix de Jésus-Christ ne reculera pas devant les images d’Hercule et de Mars.

Il se jette à genoux en présence de l’armée, déclare qu’il voit dans les nuages saint Jean l’évangéliste et l’apôtre Philippe qui combattent pour lui. Cette fable, répandue, est adoptée par les soldats crédules ; ils marchent avec une confiance nouvelle, comme autrefois les Romains couraient à la victoire, se croyant guidés par Castor et Pollux.

Après une vive résistance, les Germains et les Gaulois sont enfoncés ; leur camp est pris. Eugène, et dépouillé de la pourpre, est conduit aux pieds de l’empereur ; il fléchit le genou, et cherche par son éloquence à toucher le cœur et à calmer le courroux de Théodose. Mais les soldats qui l’écoutaient interrompent sa harangue et lui tranchent la tête sans attendre les ordres de l’empereur.

Arbogaste, vaincu et perdant l’espoir de rallier ses troupes, se jette sur son épée. Ce barbare mourut en Romain.

Saint Ambroise, qui avait cru devoir céder à l’usurpation de Maxime, s’était montré plus ferme contre celle d’Eugène., et malgré ses instances il avait fui les regards de ce nouveau maître. Théodose, vainqueur, suivit les conseils de ce vertueux pontife, et traita avec clémence les partisans d’Eugène.

Maître paisible de tout l’empire, il décora de la pourpre Arcadius et Honorius, ses fils. L’histoire a conservé les paroles qu’il adressa à l’un d’eux. Si vous aviez reçu le jour dans la Perse, lui dit-il, votre naissance serait un titre suffisant pour assurer vôtre trône ; mais si vous voulez que les Romains vous trouvent digne de régner sur eux, vous devez apprendre à régner sur vous-même. Un simple citoyen n’a pour but que son propre bonheur ; celui de l’univers doit être le vôtre. Si les vices sont vos maîtres, vous ne serez qu’un esclave décoré du diadème. Tenez-vous en garde contre les passions ; les autres hommes les suivent ; elles viennent au-devant des princes. Si vous désirez qu’on vous regarde comme l’image de Dieu, imitez sa clémence. Suivez toujours la voix de la justice, sans vous inquiéter des louanges ou du blâme d’un monde léger. Soyez par votre vertu une loi vivante ; votre exemple aura plus de force que votre autorité. Ce n’est point l’orgueil, c’est la bonté, qui peut rendre les Romains dociles. Laissez le luxe aux rois d’Asie. L’éclat qui convient aux empereurs romains, c’est celui des talents et des vertus. Si vous faites la guerre, montrez, pour être obéi, que vous savez commander. Partagez tous les périls avec les soldats ; alors ils ne les craindront plus. Mais surtout étudiez l’histoire de vos prédécesseurs, leurs succès et leurs revers, leur gloire ou leur infortune : ils vous apprendront ce que vous devez faire ou ce que vous devez éviter.

L’empereur n’était alors âgé que de cinquante ans ; sa puissance, sa gloire, ses vertus, son expérience, donnaient l’espoir d’un règne long et paisible ; mais son corps, épuisé par ses travaux, et, selon quelques historiens, par les plaisirs, succomba aux fatigues de cette dernière campagne. Des symptômes d’hydropisie firent prévoir sa fin prochaine.

Conformément à la politique du temps, il partagea l’empire entre ses deux fils. Honorius gouverna l’Occident, Arcadius régna dans l’Orient. L’empereur, ayant voulu célébrer à Milan les jeux du cirque, fit un dernier effort pour y assister, et mourut la nuit suivante, respecté par les barbare et regretté par ses sujets. Les citoyens louaient sa justice, les guerriers son courage, l’église sa piété.

On reproche justement à sa mémoire des actes d’intolérance, de fanatisme et de cruauté ; mais ses qualités surpassaient ses défauts. Il se rendit justement célèbre par de grandes victoires, par de sages lois, et arrêta sur le bord de l’abîme, par sa main puissante, la chute de l’empire qui vit disparaître avec lui sa grandeur et sa gloire.

 

 

 

 


[1] An de Jésus-Christ 392.