ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE DE LA DEUXIÈME DIVISION  - ANTIQUITÉS RELIGIEUSES.

CHAPITRE QUINZIÈME. — LES GRANDS MYSTÈRES.

 

 

Les cultes secrets que l’on peut désigner par le nom de grands mystères, pour les distinguer des mystères orphiques et autres de même famille, étaient beaucoup plus haut placées dans l’estime générale. Tandis que les mystères orphiques n’étaient qu’une occasion de réunir privément un plus ou moins grand nombre d’adeptes, les grands mystères formaient une partie essentielle du culte public, dont l’administration distincte était remise aux mains d’un clergé entouré de respect. Il doit être tenu pour certain que partout en, Grèce il existait de ces cultes mystiques, bien qu’on ne puisse l’établir pour chaque État en particulier. Les mystères sur lesquels nous possédons quelques renseignements, se divisent en deux classes principales, suivant la façon dont on y procédait. La première comprend ceux où tout se passait entre un très petit nombre d’assistants ; ils n’étaient célébrés que par les prêtres qui en avaient reçu mission spéciale et par les quelques personnes attachées au culte ; tout le reste était tenu à l’écart. A la seconde appartiennent les mystères qui, sans être publics, avaient cependant une nombreuse clientèle. Cette classe se subdivisait elle-même en deux : ou bien les mystères étaient accessibles uniquement à une certaine catégorie de citoyens, par exemple aux femmes mariées et jouissant du droit de bourgeoisie, à l’exclusion de toutes les autres, ou bien ils comprenaient indifféremment tous ceux qui s’y étaient fait initier, moyennant certaines conditions. Mais une même loi était imposée à tous ; rien de ce qui se passait dans ces cérémonies, ni les usages sacrés qui leur étaient propres, ni les invocations adressées aux dieux, ni même les noms sous lesquels les dieux étaient pris à témoin, rien enfin de ce qui avait trait à la liturgie, ne pouvait être révélé aux profanes. Quiconque transgressait cette défense était poursuivi comme coupable d’asébie. De là vient que nous sommes si mal informés de ce qui concerne les mystères. Les points les plus importants, que l’on tiendrait le plus à connaître, sont précisément ceux sur lesquels nous devons renoncer à donner aucun détail certain, heureux encore lorsque nous sommes en mesure de proposer des conjectures vraisemblables. La question de savoir quelle était la cause du secret dont s’enveloppaient certains cultes n’est susceptible non plus d’aucune réponse satisfaisante. On a tenté de l’expliquer par cette considération que la prospérité des états et -la protection des dieux étaient attachées à l’observance de ces cultes et qu’on refusait de les divulguer, afin de se réserver le privilège des faveurs divines, sans que les étrangers ou les malveillants en pussent rien distraire. Assurément cette interprétation s’applique à plusieurs religions secrètes[1] : On admettait volontiers que les dieux avaient jadis contracté une sorte d’alliance avec les hommes, leur avaient enseigné certaines coutumes et confié certains gages qui, conservés mystérieusement, devaient préserver les dépositaires de tout danger. Mais, outre que l’on pouvait toujours se demander à quoi tenait cette différence entre les divers cultes, on ne saurait expliquer par là que les mystères enfermés dans un cercle étroit d’adeptes ou du moins dont la connaissance était réservée aux seuls nationaux, non ceux auxquels pouvaient prendre part les étrangers, sous des conditions faciles à remplir. Parmi les derniers, les plus célèbres étaient les mystères d’Éleusis et de Samothrace. On rapporte, il est vrai, que les Éleusinies, qui étaient originairement une fête spéciale aux Athéniens, devinrent plus tard accessibles aux étrangers ; l’ancienne loi aurait donc été méconnue. Mais alors, pourquoi le secret eût-il toujours été commandé avec la même rigueur ? En tout cas, il n’y a nulle raison de croire que les mystères de Samothrace aient été dans le principe révélés aux seuls habitants de ce pays[2]. Si donc l’explication est valable pour plusieurs mystères, elle ne peut l’être universellement, et il faut chercher ailleurs. Pour quelques-uns, on peut supposer que le culte des divinités qui s’entouraient de ces voiles remontait à des temps où le pays était occupé par d’autres populations, que lorsque la contrée fut envahie par des races nouvelles, il rentra dans l’ombre et s’enveloppa peu à peu d’une obscurité religieuse[3]. Il est vraisemblable qu’il en fut ainsi en particulier pour les mystères d’Éleusis et de Samothrace. Enfin, on peut admettre qu’une religion empruntée à l’étranger, et par suite enfermée entre un petit nombre d’adhérents intéressés au secret, ait passé à l’état de mystère[4]. Laquelle de ces raisons s’applique le mieux à tel ou tel culte, nous serions fort embarrassé de le dire. Même dans l’antiquité, les croyants ne s’en inquiétaient guère ; il leur suffisait de penser que les choses divines différaient en elles-mêmes et par la nature des divinités de qui elles émanaient, que les unes devaient être révélées à tout le monde et d’autres à un certain nombre seulement d’initiés ; ils ne se mettaient pas en peine de chercher le pourquoi. Les choses étaient ainsi ; ils n’en demandaient pas davantage, et il faut bien que cela nous suffise.

§ 1. - Les Éleusinies.

Parmi tous les mystères de l’antiquité, si nombreux qu’ils fussent, aucun n’obtint plus de renom que les Éleusinies ; aussi leur donnons-nous la première place. Les Éleusinies appartiennent à cette catégorie de cultes secrets, auxquels ne prenaient pas seuls part les prêtres et le personnel chargé de vaquer au soin des cérémonies, et qui étaient célébrées en commun par de nombreuses assistances. Ces fêtes étaient considérées comme particulièrement sacrées et, agréables aux dieux, si bien qu’en plus d’un État des cultes secrets furent institués sur le même modèle et sous la même invocation. Dans ce cas, on s’adressait aux métropolitains d’Éleusis, et on leur demandait d’envoyer un ou plusieurs prêtres, versés dans la connaissance des rites, pour établir des institutions conformes. Ainsi furent fondées des succursales à Phlionte, à Messine, à Mégalopolis et ailleurs[5]. Il est clair que ces établissements de seconde main ne pouvaient atteindre à l’éclat du sanctuaire primitif. On préféra toujours puiser les grâces à la source originaire plutôt qu’aux ruisseaux qui en étaient dérivés, et l’initiation aux mystères d’Éleusis eut jusqu’à la fin une vertu que ne put obtenir nulle autre consécration.

La ville d’Éleusis emprunta peut-être son nom aux cérémonies mystiques par lesquelles, suivant l’hymne attribué à Homère, y fut fêtée la bienvenue de Déméter[6]. Il n’est pas douteux que la fondation de ces mystères ne remonte à la plus haute antiquité[7]. Les Athéniens commencèrent, dit-on, à y prendre part lorsqu’ils s’annexèrent le territoire d’Éleusis, événement que la légende fait remonter au règne d’Érechtée[8]. De cette coïncidence que Déméter Éleusinia avait aussi des temples dans les colonies fondées par les Athéniens sur les côtes de l’Asie-Mineure, et que les prêtres étaient choisis, à Éphèse, parmi les descendants des anciens rois[9], on peut au moins conclure que ce culte existait à Athènes avant la migration ionienne. D’après l’hymne homérique, il avait été institué à Éleusis par la déesse elle-même qui, sous la figure d’une femme venue de Crète, reçut l’hospitalité dans la maison du héros éleusinien Kéléos. Cela semble indiquer que le culte de Déméter Éleusinia était originaire de Crète[10] ; et en effet il est établi que l’on célébrait dans cette île, à Cnossos, des fêtes semblables à celles d’Éleusis[11], avec cette seule différence que le culte, au lieu d’être secret, était public, c’est-à-dire qu’on n’avait pas besoin d’une initiation particulière pour y être admis. Peut-être, cette cérémonie avait-elle été obligatoire à Éleusis dans le principe ; mais là même, depuis que la ville fut devenue athénienne, l’accès aux mystères fut rendu facile, non seulement pour tous les Athéniens, mais pour les étrangers. Les grâces promises aux initiés étaient de telle nature qu’on pouvait en faire profiter tous ceux qui s’en montraient dignes, sans craindre que la part de chacun en fût diminuée. Lorsque Athènes eut pris place à la tête de la Grèce, cette prééminence ne contribua pas peu à augmenter le renom des mystères, déjà si haut placés dans l’estime publique, et par suite le nombre des adhérents[12].

Le soin de veiller à l’ordonnance extérieure des fêtes célébrées à l’occasion des mystères rentrait, chez les Athéniens, dans les attributions de la magistrature suprême. Après l’institution des neuf Archontes, il échut à l’Archonte-roi, chargé de la surintendance de tout ce qui tenait au culte officiel. Ce magistrat était assisté par quatre Épimélètes, dont deux pris dans la bourgeoisie et deux choisis, à mains levées, parmi les Eumolpides et les Céryces[13]. La race des Eumolpides avait emprunté son nom à un ancêtre fabuleux, Eumolpus, sur l’origine et l’histoire de qui couraient des récits très divers. Il en était de même pour les Céryces, considérés par les uns comme une branche des Eumolpides, par d’autres comme descendants de Céryx, fils d’Hermès et d’Aglauros[14]. Ces deux gentes fournissaient aussi les principaux fonctionnaires sacerdotaux, auxquels incombait la partie liturgique du culte. Enfin on choisissait parmi les Eumolpides l’Hiérophante à qui était confié, ainsi que son titre le dénote, le soin de révéler aux initiés le sens caché des cérémonies. Sans doute, il devait aussi joindre sa voix au concert des chants liturgiques, d’où la race toute entière avait tiré son nom[15]. Une femme revêtue de la même qualité, ίεροφάντις, lui prêtait son concours : peut-être même y en avait-il une seconde, prise dans un autre gens[16]. Parmi les Céryces était choisi le héraut, dont la mission consistait, entre autres offices du même genre, à inviter l’assistance au recueillement par des paroles sacramentelles, à énoncer les formules de prières que les fidèles devaient répéter, à opérer par le Dioscodion les lustrations réglementaires. La même gens, ou quelque autre qui lui tenait de près, fournissait le Dadouchos ou porte-flambeau, dont on ne sait rien, si ce n’est ce que son nom indique[17]. Lorsque, vers l’an 200 avant Jésus-Christ, la famille dans laquelle il était choisi vint à s’éteindre, l’office de la Dadouchie fut transféré à la gens des Lycomicles, la même qui, depuis une haute antiquité, était en possession d’un sanctuaire de Déméter, et fournissait des prêtres à cette déesse dans le dème de Phlya[18]. Sans doute avant d’avoir hérité de la Dadouchie, les Lycomides avaient rempli quelque office dans la célébration des mystères, peut-être celui d’altaristes ou de sacristains, car on peut traduire ainsi l’expression : ό έπί βωμώ. De leur fonction nous ne pouvons rien dire de plus que ce que ces termes signifient, à savoir que les titulaires étaient chargés du service de l’autel. Il existait sans doute encore un nombre considérable de subalternes on cite en particulier un Iakchagogos, sur lequel nous aurons à revenir plus loin, et un Hydranos[19], chargé des purifications et des ablutions imposées aux initiés. Peut-être faut-il mentionner encore un Daïritès, dont le nom semble, en effet, indiquer des attributions spéciales au culte de Perséphone, adorée aussi sous le nom de Daïra, et un Kurotrophos, dont le titre seul nous est connu[20], sans compter les chantres et les musiciens, dont on ne pouvait se passer pour les processions et les autres cérémonies.

Quiconque voulait être admis à la participation des mystères devait réclamer le patronage d’un citoyen d’Athènes déjà initié, qui le présentait à un fonctionnaire sacerdotal ou à un prêtre chargé de recevoir et de contrôler les inscriptions[21], après quoi, s’il n’y avait pas d’opposition[22], il indiquait au candidat ce qui lui restait à faire. L’intermédiaire est appelé Mystagogos ; son rôle est désigné par les mots μυεΐν ou μυσταγωγεΐν[23]. Tous les Grecs avaient droit à l’initiation, sans acception de race et de patrie ; mais les barbares en étaient exclus. Étaient seuls exceptés de cette prohibition ceux qui étaient en mesure d’invoquer des raisons très particulières. Ainsi Anacharsis, qui ne pouvait plus guère d’ailleurs passer pour un Barbare, reçut l’initiation ; encore avait-il dit obtenir auparavant le droit de cité[24]. Il est faux cependant, du moins pour les temps historiques, que les Grecs n’aient pas été admis aux épreuves, sans être citoyens d’Athènes[25]. La seule chose vraisemblable, c’est que, d’après certaines légendes, il en aurait été ainsi primitivement. Les Romains, depuis qu’ils furent entrés en relations étroites avec la Grèce, ne furent plus considérés comme Barbares, et on les accepta au même titre que les hellènes. On ne pouvait refuser l’initiation même aux esclaves, pourvu qu’ils ne fussent pas des Barbares[26]. Il ne fallait pas toutefois que les postulants fussent convaincus de meurtre ou sous le coup de quelque grave accusation. — Rien n’établit que l’on exigeât une confession[27].

L’ensemble des mystères comprenait deux solennités dépendantes l’une de l’autre, mais séparées par un intervalle de six mois. La première, que l’on appelait les petits mystères, était célébrée dans le mois d’Anthestérion, correspondant en partie au mois de février, c’est-à-dire dans la saison où, en Grèce, la nature commence à se réveiller et renaît à une nouvelle vie. La seconde avait lieu dans le mois de Boédromion ou de septembre, par conséquent durant l’automne, lorsque les récoltes étaient déjà engrangées. Les petits mystères étaient consacrés surtout à Dora et à Dionysos[28], autrement dit à Iakchos, suivant le nom que ce dieu porte dans les mystères, où, conformément à la théogonie orphique, il est présenté comme le fils ou le frère de Perséphone[29]. Les renseignements que nous possédons sur ces fêtes se bornent à ceci qu’elles étaient célébrées sur les bords de l’Ilissus, au milieu d’un faubourg d’Athènes nommé Agra ou Agræ, où était situé un temple de Déméter et de Kora, qu’elles étaient précédées d’ablutions auxquelles on faisait servir l’eau du fleuve ; enfin qu’une représentation ayant pour sujet Dionysos et son enfantement par Perséphone paraît avoir tenu la place principale dans la partie liturgique de la solennité[30]. Les petits mystères n’étaient qu’une préparation aux grands ; personne n’était admis aux seconds sans avoir été préalablement initié aux premiers[31]. Les initiés de grade inférieur étaient appelés μύσται ; ils n’acquéraient le titre d’έπόπται ou voyants qu’après avoir passé par les épreuves des grands mystères. Les Mystai pouvaient s’en tenir là et se désister de toute prétention à l’Époptie ; c’est ce que faisaient surtout les étrangers[32].

Tout ce que les témoignages anciens nous apprennent des grands mystères se borne à quelques indications éparses et douteuses, qui ne sauraient donner une idée même obscure et incomplète de la façon dont on procédait[33]. Il est certain toutefois que les fêtes commençaient vers le milieu du mois de Boédromion, le 16 au plus tard[34]. On peut admettre aussi qu’elles ne finissaient pas après le 27 ; elles duraient donc environ douze jours. Le premier s’appelait άγυρμός, c’est-à-dire le jour de la réunion[35]. Il est probable que tous les Mystai, épars en différents lieux, qui désiraient assister aux fêtes, s’assemblaient dans la ville et notifiaient leur présence. L’archonte-roi faisait une proclamation (πρόρρησις, προαγόρευσις[36]), invitant tous ceux qui n’étaient pas dans les conditions voulues, c’est-à-dire non seulement les hommes convaincus de meurtre ou d’autres crimes, mais ceux mêmes qui étaient simplement frappés d’atimie à se tenir à distance, et l’Hiérophante, assisté du Dadouchos, prononçait solennellement, suivant le rite traditionnel, l’exclusion de toutes les personnes entachées d’impureté, ainsi que des Barbares[37]. Cela se passait sous le Pœcile[38], et il est probable que ce portique était aussi le rendez-vous des Mystai. Les assistants étaient ensuite mis en demeure de se purifier, ce qu’ils devaient faire en se plongeant dans la mer ; aussi, le seizième jour de Boédromion était-il désigné par les mots άλαδε μύσται, les initiés à la mer[39]. Nous ne savons pas bien en quel lieu s’opérait la purification. Généralement on choisissait l’endroit où la voie sacrée, conduisant à Éleusis, commence à côtoyer le rivage, non loin des Rheitoi, à un mille et demi d’Athènes[40] ; mais on était libre de se baigner ailleurs ; au Pirée, par exemple[41]. Il parait que, en dehors de ces ablutions, on avait, sinon le devoir, du moins l’habitude d’offrir des sacrifices de purification, où l’on immolait de jeunes porcs, purifiés eux-mêmes dans l’eau de la mer. Les jours suivants étaient remplis sans doute par divers exercices de piété, par des processions et des sacrifices dans les sanctuaires des dieux, héros de la fête ; sur ce point les détails nous manquent. Comme il y avait aussi un Éleusinion à l’intérieur de la ville[42], on est autorisé à croire que ce monument était le point central de la fête urbaine, à laquelle se rattachaient sans doute les Épidauries. C’était le jour des Épidauries que l’on admettait ceux qui étaient arrivés trop tard pour prendre part aux cérémonies de l’Agyrmos, coutume qui s’expliquait par cette légende qu’une fois Asclépios d’Épidaure ne se serait pas trouvé au rendez-vous de l’Agyrmos,et que l’on aurait en son honneur institué ce sursis[43]. Le vingt de Boédromion, les Mystai se rendaient solennellement en procession d’Athènes à Éleusis, pour y accomplir l’acte principal de la fête[44]. La statue de Iakchos était tirée hors de son temple et conduite aux deux déesses, le long de la voie sacrée, par un prêtre ou par un auxiliaire nommé Iakchagogos, sous l’escorte de tous les Mystai, parés pour la circonstance et couronnés de myrte[45]. Il était permis aux profanes de suivre la foule, bien qu’ils ne pussent faire partie de la procession elle-même. Ce jour-là, plusieurs milliers de personnes encombraient la voie sacrée. Comme la distance était bien de quatre lieues, les gens aisés et surtout les femmes, se faisaient conduire en voiture, mais ce luxe fut interdit par une loi de l’orateur Lycurgue, contemporain de Démosthène[46]. Sur tout le parcours existaient de nombreux sanctuaires ; il est vraisemblable que l’on faisait des stations à plusieurs d’entre eux et qu’on y accomplissait certaines cérémonies. Presque au sortir de’ la ville, on montrait l’endroit où Phytalus avait donné jadis l’hospitalité à Déméter, qui lui marqua sa reconnaissance en lui faisant présent du figuier[47]. Dans le même lieu se trouvait un temple de Déméter et de Cora, où étaient honorées, conjointement avec ces deux déesses, Athéna et Poseidon, et à peu de distance était le tombeau de Phytalus. On traversait ensuite le Œphise sur un pont ; ce passage était signalé par des plaisanteries échangées fort librement, car, quoique ces cérémonies eussent surtout un caractère sérieux, on ne se faisait pas faute d’y mêler quelques notes gaies, d’autant plus qu’on était à l’automne, et que les récoltes étaient rentrées. Près du pont, le cortège rencontrait un petit temple, consacré à Kyamitès, nom sous lequel il faut entendre Dionysos lui-même ou un héros dionysiaque. Bien que l’origine de cette appellation soit douteuse, elle éveille le souvenir des divinités éleusiniennes. En avançant, on voyait un autre temple, placé dans le principe sous l’invocation d’Apollon, mais où l’on avait ajouté depuis les images d’Athéna, de Déméter et de Cora, puis un autre élevé en l’honneur d’Aphrodite, après quoi l’on arrivait aux réservoirs salés, appelés 'Ρειτοί, où commençait le territoire d’Éleusis. A partir de là, le premier objet que l’on apercevait était le palais de Crocon, héros mythique, désigné comme le gendre de Kéléos, et d’où était sortie la race sacerdotale des Croconides. Nous reviendrons plus loin sur le lien qui rattachait vraisemblablement les Croconides aux mystères. Venait ensuite le tombeau d’Eumolpus. Tout près croissait un figuier sauvage, à côté duquel on montrait l’ouverture par laquelle Pluton avait jadis entraîné Perséphone dans les enfers. De là, on arrivait à un temple de Triptolème, le favori de Déméter et son premier élève en agriculture, et à la source de Callichoros, où les femmes avaient, dit-on, pour la première fois formé des chœurs de danses et de chants en l’honneur de la Déesse. Le voyage se terminait enfin au champ Rharion qui, d’après la légende, avait reçu avant tous les autres des semences de céréales. Aussi choisissait-on l’orge qu’il produisait pour la répandre sur la tête des victimes et en composer les gâteaux des sacrifices. C’est là que se trouvaient l’aire de Triptolème et un autel dédié à ce héros.

Pour peu que le cortège s’arrêtât à chacun de ces sanctuaires ou seulement aux principaux, pour accomplir quelque acte religieux, comme ont coutume de faire nos processions aux reposoirs, le trajet, bien que la distance ne fût que de deux milles, pouvait bien prendre toute la journée, et les initiés, même en partant de borine heure, ne devaient être rendus à Éleusis que très avant dans -la soirée. Une fois à destination, la première cérémonie consistait à porter la statue de Iakchos dans le temple, à côté des deux divinités éleusiniennes. Les Perses avaient incendié, durant la seconde guerre médique, l’ancien édifice, bâti, suivant la légende[48], par Kéléos, d’après l’ordre de Déméter ; sur la hauteur qui dominait la source Callichoros ; il fut remplacé, sous l’administration de Périclès, par un autre nommé Télestérion, dans lequel s’accomplissaient la plupart des actes qui, à proprement parler, pouvaient être qualifiés de mystiques, sinon tous. Le péribolos du Télestérion formait un pentagone irrégulier, long de trois cent quatre-vingt-sept pieds et large de trois cent vingt-huit ; il était lui-même entouré d’une double enceinte de murs[49].

Nous sommes dans l’impossibilité absolue de retracer en détail les cérémonies des jours suivants. Tout ce que nous apprennent les témoignages anciens, c’est qu’elles étaient de nature très diverse et pratiquées, tantôt avec une gaieté fon libre, tantôt avec un recueillement religieux, les unes en pleine campagne et dans le voisinage du temple, les autres dans le périboles et à l’intérieur du Télestérion. Celles-ci seules avaient, à proprement parler, le caractère mystique, et on n’y admettait que les adeptes ayant le titre d’Epoptai ou de Voyants, parce que seuls ils avaient droit de contempler les sanctuaires mystérieux et les actes qui s’y accomplissaient. Il est difficile de croire qu’il fût interdit aux profanes d’assister, du moins comme témoins, aux autres fêtes : la seule chose qu’ils ne pouvaient faire était d’y prendre une part active. C’était là le privilège des Mystai, qui se distinguaient des profanes, non seulement par les branches de myrte dont ils étaient couronnés, mais aussi par des fils, peut-être bien couleur de safran, enroulés autour du bras droit et du pied gauche[50]. Ces fils étaient appelés κρόκαι, d’où l’on peut conclure sûrement qu’ils avaient emprunté leur nom au héros Crocon, et ce qui autorise aussi à supposer que le soin de les attacher (κροκοΰν) était dévolu aux Croconides, opération qui sans doute leur valait une rémunération. Dans Euripide[51], le chœur dit qu’il a honte pour Iakchos, le dieu célébré par des hymnes sacrés, de ce que, près de la fontaine Callichoros, un jeune inconnu, Ion, voit briller le flambeau des Icades[52], tandis que le ciel étoilé, la lune et les Néréides se livrent à des danses, pour honorer la déesse qui porte une couronne d’or et sa mère Déméter, objets de la vénération des mortels. Chez Aristophane[53], un chœur d’initiés adresse, en dansant, cette invocation à Iakchos : Iakchos, toi qu’on adore dans ce temple[54], viens parmi les sectateurs de tes mystères, présider à leurs danses sur le gazon, agite au tour de ta tête la couronne de myrte aux fruits abondants, et d’un pied hardi figure cette danse libre, joyeuse, pleine de grâces et sacrée à tes adeptes... Ranime la flamme des torches, en les secouant dans tes mains, Iakehos, Iakchos, astre brillant de l’initiation nocturne. La prairie est éclairée de mille feux ; le jarret des vieillards se met en branle ; ils oublient leurs peines et les soucis de leur existence, pouf s’associer à tes solennités ; à toi, Dieu étincelant de lumière, de conduire sur cette prairie fraîche et émaillée de fleurs, les chœurs agiles de la jeunesse.

A côté de ces joyeuses fêtes de nuit, il est parlé de jeûnes imposés aux initiés pendant plusieurs jours, en souvenir des cruelles souffrances de Déméter qui, errant à la recherche de Perséphone, ne but ni ne mangea, jusqu’au moment où une fille de bonne humeur, Iambé, servante dans la maison de Kéléos, la réconforta par sa gaieté et la décida à boire le Cycéon que lui offrait la reine Métanira. On ne sait combien de temps durait l’abstinence des initiés[55] ; mais sans doute elle n’était observée que le jour, comme chez les musulmans, durant les fêtes du Ramadan. A la tombée de la nuit, on prônait le Cycéon, mélange d’eau et de farine, avec assaisonnement de pouliot et d’autres ingrédients, et l’on mangeait ce qu’on voulait, à l’exception des mets spécialement défendus[56]. Le Cycéon donnait lieu à l’application d’un usage symbolique : on tirait d’une cassette certains objets à manger, puis après y avoir goûté, on les replaçait, d’abord dans une corbeille, puis de nouveau dans la cassette. Cette coutume ressort de la formule qui paraît avoir servi aux initiés de signe de ralliement : J’ai jeûné, j’ai bu le Cycéon, j’ai pris dans la ciste, j’ai jeûné, j’ai mis dans la corbeille, j’ai replacé dans la ciste[57]. Quel était le sens de ces paroles ? que contenait la cassette ? ce sont des questions que peuvent chercher à résoudre ceux qui prennent plaisir à deviner des énigmes. Peut-être, la cassette représente-t-elle la terre d’où l’homme tire sa nourriture ; de la récolte qu’il obtient, il consomme une partie et en conserve l’autre dans le grenier, pour la rendre au sol comme semence ; mais on est libre d’imaginer bien d’autres choses, avec aussi peu de chance de trouver la véritable explication. Rien n’empêche de croire, dans tous les cas, que la formule précédente fût un signe de reconnaissance entre les adeptes, bien que la chose ait été mise en doute[58]. On aurait tort de croire qu’en entrant dans les sanctuaires ouverts seulement aux initiés, chacun d’eux ait été tenu à justifier de sa qualité, et cependant l’absence dé précautions pouvaient ouvrir la porte aux profanes[59]. Il est probable que si quelqu’un était soupçonné de s’être introduit indûment, on lui demandait la preuve du contraire et, dans ce cas, les paroles citées plus haut pouvaient, entre autres formules, servir à prouver son identité.

Dans les lieux abordables aux seuls initiés, s’accomplissaient les actes liturgiques qui formaient la partie essentielle des mystères. Si peu que nous possédions de détails à ce sujet, le nom d’Hiérophante et l’expression δεικνύναι τά ίερά indiquent tout d’abord que des objets sacrés étaient exposés aux regards des Mystai[60]. Ces objets, à Éleusis comme ailleurs, étaient en partie des images des dieux ou des symboles représentant les forces naturelles et leurs manifestations[61], en partie des reliques de diverse nature, dont la possession et la contemplation étaient un gage de la bénédiction céleste. Il existait sur toutes ces choses des traditions sacrées (ίεροί λόγοι), rappelant leur origine et leur vertu secrète, et dont une partie, revêtue de la forme poétique, était chantée tantôt par l’Hiérophante seul, tantôt par des chœurs nombreux, avec accompagnement d’instruments. Représentons-nous un temple rempli de fidèles, dans l’attente des mystères qui doivent leur être révélés : l’obscurité et le recueillement y règnent encore ; soudain le voile qui cachait le saint des saints est écarté, une lumière éclatante s’en échappe et les prêtres apparaissent dans leurs costumes pompeux et caractéristiques[62] ; au fond se font entendre des chœurs de chanteurs et d’instrumentistes ; l’hiérophante s’avance et montre chaque relique séparément, en donnant sur leur signification les détails susceptibles d’être portés à la connaissance des initiés ; les chœurs glorifient les dieux et célèbrent leur puissance bienfaisante. Ce tableau suffit à faire comprendre les sentiments de vénération profonde dont pouvaient être saisis au fond de leur âme les initiés pour qui ces reliques étaient vraiment des reliques, pour qui ces dieux étaient vraiment des dieux. Mais des renseignements précis ne nous permettent pas de supposer que cette exhibition des objets sacrés, les révélations et les chants dont elle était accompagnée fussent les seuls moyens mis en œuvre : des représentations animées faisaient revivre sous les regards des spectateurs tout ce que les légendes racontaient dés actions et des épreuves des dieux[63]. Les scènes devaient consister, tantôt en des espèces de tableaux vivants auxquels les prêtres et des chanteurs joignaient des hymnes et des prières inspirées par les mêmes sujets, tantôt en de véritables pièces de théâtre où les personnes divines jouaient des rôles. Parmi ces drames, on peut citer la descente de Perséphone, aux enfers et son retour en ce monde[64]. Au tableau du sombre royaume se rapporte la question que, dans Lucien, un nouveau débarqué parmi les ombres adresse à l’un de ses compagnons[65] : Dis-moi, toi qui as été initié aux mystères d’Éleusis, les enfers sont-ils bien tels que tu les as vus représentés ? Ailleurs il est question d’apparition merveilleuse, de passage soudain de la lumière aux ténèbres, de voix étranges[66], et cette fantasmagorie, sans nous donner une idée complète de ce qui devait se passer, nous permet d’affirmer que les prêtres n’épargnaient aucun artifice pour agir sur les sens et sur l’esprit des initiés. Il paraît même que, à la place occupée par le Télestérion d’Éleusis, on trouve encore les traces d’un mécanisme employé dans ces représentations[67].

Il est présumable que l’exhibition des emblèmes mystiques et la reproduction des légendes sacrées duraient plus d’une nuit, que tous les Mystai n’étaient pas admis ensemble à l’Époptie, mais étaient promus à ce grade par fournées. Nous avons déjà remarqué que nul ne pouvait être initié aux grands mystères, sans avoir passé par les petits. On exigeait, entre les deux épreuves, un intervalle de six mois. Cette seconde initiation ne conférait pas même l’Époptie de plein droit ; il fallait encore attendre au moins une année[68] ; et ainsi s’explique qu’un grand nombre de Mystai, surtout parmi les étrangers qui ne pouvaient retourner à Athènes, ne soient jamais devenus Époptai. Nous ignorons si cette dignité pouvait être ajournée ou refusée pour des motifs autres que les délais nécessaires. Il n’est pas impossible, ainsi qu’on l’a vu plus haut, que des esclaves aient reçu l’initiation. Il n’y avait pas de raison pour en exclure les femmes, mais cette tolérance est plus difficile à comprendre pour de jeunes enfants. Elle est attestée pourtant, entre autres témoignages[69], par la mention d’un enfant du sanctuaire (παΐς άφ έστίας), sur lequel nous ne savons rien de particulier, si ce n’est qu’il était chargé d’accomplir, au nom de tous les initiés, certaines prescriptions religieuses, destinées à faire descendre sur eux la protection divine[70]. Il y avait à Athènes peu de citoyens qui ne fussent pas initiés, et beaucoup l’avaient été dans leur jeunesse. Ceux qui avaient attendu ne laissaient pas de recourir plus tard à ce moyen de s’assurer les bénédictions célestes, dans ce monde et dans l’autre[71].

Cette considération nous amène à examiner ce qui a fait le mérite des mystères aux yeux des hommes éclairés, aussi bien qu’à ceux de la foule superstitieuse et ignorante : ils fortifiaient l’espérance dans une autre vie, promettaient des récompenses proportionnées aux œuvres et par là exerçaient une influence morale, propre à soutenir les courages dans les traverses de la vie. Cette influence, attestée par de nombreux témoignages[72], ne saurait être mise en cloute ; il ne nous reste qu’à l’expliquer. Il est incontestable que Déméter, Perséphone et Iakchos, en l’honneur de qui étaient célébrés les mystères, étaient des divinités complexes, dont la puissance se manifestait de diverses manières. Elles régnaient à la fois sur le monde d’en haut et sur celui d’en bas. Des profondeurs de la terre, elles envoyaient une plénitude de vie qu’elles ramenaient à elles, pour la dispenser de nouveau. Les régions inférieures étaient devenues le séjour de la vie, aussi bien que le séjour de la mort ; les dieux qui les gouvernaient s’intéressaient non à la mort,.mais à la vie. Gomme dans les phénomènes de la nature auxquels ils président directement, la vie renaît de la mort, comme d’après les légendes sacrées, eux-mêmes, bien que frappés dans leur existence, sont éternellement vivants, ils ne peuvent permettre à la mort d’anéantir la vie humaine, et conservent la vie dans le royaume souterrain avec autant de sollicitude qu’ils en ont mis à la soigner et à l’entretenir sur la terre. L’homme ravi par la mort ne fait que passer d’une vie à l’autre, et cette nouvelle existence, malgré le changement de formes qu’elle entraîne, contient plus de vérité que la première. Si d’ailleurs d’autres dieux obtenaient des hommages, en raison des bienfaits particuliers que l’on était en droit d’en attendre, ou si l’on se croyait tenu vis-à-vis d’eux à des obligations spéciales, les divinités chthoniennes des mystères étaient mêlées plus intimement encore et d’une façon plus générale à l’ensemble de la vie humaine ; d’elles surtout dépendait la perte ou le salut ; elles étaient les dispensatrices universelles des grâces et les juges que l’on devait le plus craindre d’irriter, puisqu’on se trouvait en leur puissance eu deçà et au delà du tombeau. Que cette puissance divine, qui embrassait tout ce qui existe, sans négliger la vie terrestre, ne fût nulle part rendue aussi présente à l’esprit de l’homme que dans le culte des divinités chthoniennes et singulièrement dans les mystères d’Éleusis, cela est certain. En l’absence d’un enseignement dogmatique, qui n’existait pas plus là qu’ailleurs, les purifications et les consécrations rappelaient à l’obligation de la pureté morale, en même temps que les chants, les prières et les représentations des légendes sacrées faisaient naître la confiance que tout n’était pas fini en ce monde, que chacun était puni, ou récompensé selon ses mérites. A la vérité, comme l’instruction religieuse ne se communiquait guère qu’à l’aide d’images symboliques, les idées que ces emblèmes éveillaient dans les esprits dépendaient surtout des sentiments personnels, et l’influence religieuse ou morale dont on faisait honneur aux mystères témoignait plutôt des dispositions favorables que chacun apportait de chez soi que des effets réellement produits sur la foule des adeptes. Pour le grand nombre, les mystères étaient une source de grâces, comme le sont les sacrements dans l’Église chrétienne. On croyait, par l’observance de formalités extérieures, se créer un titre à la bienveillance divine et se l’assurer d’une manière durable par l’initiation, sans avoir à s’inquiéter de, l’état intérieur. Cela explique pourquoi beaucoup de gens, qui n’étaient pas des esprits forts et des libertins comme Alcibiade et ses compagnons de plaisir, mais des hommes pieux, se montraient indifférents ou mêmes hostiles aux mystères[73]. Ils ne pouvaient rien en attendre que ce qu’ils trouvaient en eux-mêmes ; ils voyaient que ces cérémonies ne produisaient, au moins sur le grand nombre, aucun effet sensible, et que les adeptes se distinguaient des autres par une confiance déraisonnable dans la vertu de l’initiation, non par une conscience plus sévère. Les emblèmes que l’on offrait aux regards, les mythes que l’on interprétait ou que l’on représentait ne répondaient pas assez aux idées religieuses dont ils étaient censés être le voile. Les images étaient trop grossières, les scènes trop bouffonnes pour que la multitude ne s’attachât pas plutôt à l’apparence extérieure qu’au germe idéal qu’elles recouvraient. Même parmi les hommes réfléchis, il y en avait pour qui les expositions et les représentations mystiques étaient moins l’expression sensible des idées religieuses que l’histoire d’hommes divinisés, embellie et altérée par les légendes fabuleuses, à ce point qu’elles se prêtaient aussi à l’interprétation évhémérique, ainsi que le prouvent le témoignage de Cicéron[74] et plus clairement encore divers passages des apologistes chrétiens.

Il n’est pas douteux que les mystères d’Éleusis n’aient subi avec le temps les changements auxquels sont soumis toutes les institutions humaines. Au cycle mythologique qui avait été jadis exposé aux initiés, sans le secours d’aucun artifice, se mêlèrent peu à peu de nouveaux éléments, empruntés à la théogonie orphique[75]. C’est ainsi que Iakchos fut admis dans la société des divinités éleusiniennes. Sa naissance, ses faits et gestes, sa mort et sa résurrection fournirent matière à des chants et à des représentations. Ces changements remontent au temps où Onomacrite et ses adhérents avaient perfectionné et popularisé la doctrine mystique, non sans porter atteinte au sacerdoce d’Éleusis. Bientôt aussi les représentations imitatives des légendes sacrées revêtirent une forme plus artistique ; le progrès de la mise en scène et du mécanisme, qui ajouta tant à l’éclat du théâtre athénien, ne fut pas perdu non plus pour la célébration des mystères d’Éleusis[76]. Enfin, à mesure que les Mystai et les Époptai, plus éclairés et plus religieux, sentirent le besoin de relever le sens des mystères, les prêtres, parmi lesquels existaient aussi des hommes éclairés et religieux, durent nécessairement s’efforcer de donner à leurs όργιαι, aux discours et aux chants qui s’y faisaient entendre, aux actes que l’on y accomplissait, une forme qui les rendit susceptibles de conceptions et d’interprétations plus profondes[77]. Ce sont là des conjectures qui, sans être confirmées par des témoignages positifs, portent en elles-mêmes le caractère de la vérité. Sans doute dans la période classique, et en général dans tout le laps de temps qui précéda l’introduction du christianisme, il n’y a pas trace d’explications instructives et d’allégories développées devant les assemblées des Mystai et des Époptai : C’est ce que les recherches de Lobeck démontrent clairement pour tout esprit non prévenu ; mais plus tard, lorsque le paganisme livra sa dernière bataille contre la religion nouvelle, et que des traités religieux furent introduits dans les écoles et dans les temples, ainsi qu’on l’a vu plus haut, il est présumable que les mystères fournirent la matière d’ouvrages analogues, et que ces ouvrages n’étaient autre que le développement des allégories, approprié à l’état de la philosophie religieuse et an mode d’interprétation qui en était la conséquence pour la masse des initiés. L’exégèse devait se borner, pour le commun des fidèles, à de simples indications, destinées à rappeler qu’il y avait un sens caché au fond des mystères, et que le l’intelligence en était réservée à un petit nombre d’élus[78].

La célébration des mystères se terminait par l’accomplissement d’un rite symbolique. On remplissait deux vases d’argile de forme arrondie (πλημοχόαι), et on les vidait, en les tournant l’un vers l’orient, l’autre vers le couchant, avec accompagnement de formules mystiques[79]. Nous ne savons ni de quel liquide on se servait ni quelles paroles on prononçait ; le champ est donc ouvert aux conjectures, sur le détail aussi bien que sur le sens symbolique de ces cérémonies[80].

Après que les initiés étaient rentrés dans la ville, où probablement ils retournaient aussi en procession, l’Archonte-roi demandait aux Prytanes un rapport sur les fêtes. Les Prytanes rassemblaient le lendemain le Conseil des cinq cents, dans l’Eleusinion d’Athènes, pour lui soumettre les incidents qui pouvaient être de sa compétence[81]. S’il s’agissait de délits se rattachant à la fête secrète, les membres du Conseil non initiés ne pouvaient rester en séance, non plus que les Héliastes dans des cas analogues[82]. Des inscriptions relativement récentes font mention d’un Conseil sacré (ίερά γερουσία, ίερόν συνέδριον) qui se recrutait parmi les personnages les plus considérables du clergé éleusinien[83]. Ce Conseil n’a pas laissé de traces dans les documents antérieurs ; mais il est constaté que les Eumolpides pouvaient évoquer à leur tribunal les actes de violence portant atteinte à la sainteté des mystères, et qu’ils rendaient leurs arrêts en vertu de dispositions non écrites[84].

La considération attachée aux mystères d’Éleusis se conserva longtemps, même chez les Romains. Les plus illustres personnages ne dédaignèrent pas de se faire initier : nous le savons pertinemment pour les empereurs Auguste, Hadrien et Marc-Aurèle[85]. Les inscriptions qui mentionnent l’ίερά γερουσία sont contemporaines de Commode, de même que le discours d’Aristide sur les Eleusinies. Lorsque l’empereur chrétien Valentinien interdit les fêtes nocturnes, les Eleusinies furent exemptées de cette prohibition, grâce à l’intervention du proconsul d’Achaïe, Prétextat[86], et quelque temps après, quand la race des Eumolpides vint à s’éteindre, un archiprêtre de Mithra fut appelé de Thespies, pour exercer les fonctions d’Hiérophante[87].

On a vu déjà que des mystères éleusiniens étaient célébrés ailleurs qu’à Éleusis, et nous avons signalé trois cultes principaux. D’après une légende qui peut avoir un fondement historique, un prêtre de Kéléos, nommé Dysaulès, passait pour avoir institué celui de Phlionte[88]. Les mystères étaient pratiqués en Messénie avant la conquête des Spartiates ; on disait même qu’ils y avaient été apportés de l’Attique à une époque de beaucoup antérieure. Plus tard, lorsque Épaminondas rendit à la Messénie son indépendance, ils furent restaurés par l’Athénien Méthapos[89]. Enfin, vers le même temps, des mystères furent établis dans la ville récemment fondée de Mégalopolis, en Arcadie, toujours à l’imitation de ceux d’Éleusis. En outre, Déméter portait le surnom d’Eleusinia en différentes localités de la Laconie, de l’Arcadie, de la Béotie[90], et ainsi que l’indique le mois Eleusinios, dans l’île de Théra et à Olus, en Crète[91]. Il n’y a pas lieu de croire que ce surnom soit originaire de l’Éleusis voisine d’Athènes ; il semble bien plutôt une bienvenue souhaitée à la déesse ; dans cette hypothèse, l’Éleusis attique, aussi bien que son homonyme située en Béotie sur lei, bords du lac Copaïs, et qui fut détruite plus tard par un cataclysme, auraient emprunté leur nom au culte déjà établi de Déméter[92]. Il n’est pas vraisemblable toutefois que les fêtes célébrées en l’honneur de Déméter Eleusinia aient eu partout un caractère secret[93]. Déméter avait bien aussi ses mystères à Lerna en Argolide, qui assurément se rattachaient à ceux d’Éleusis[94], mais il n’est pas prouvé que cette déesse y fût adorée sous le surnom d’Eleusinia. Il en était autrement à Phénée, en Arcadie, où Déméter Eleusinia présidait à des mystères, institués, disait-on, par l’arrière-petit-fils d’Eumolpus, appelé Naos, qui aurait développé en ce sens le culte dont Déméter était déjà l’objet[95].

Les fêtes de la grande initiation qui, par opposition à la petite, représentait les mystères proprement dits, revenaient tous les deux ans. Les prêtres retiraient les écritures sacrées d’un monument situé près du temple de la Déesse et appelé πέτρωμα, parce qu’il se composait de deux pierres exactement adaptées l’une à l’autre ; il en donnait lecture aux Mystai, puis les renfermait dans leur cachette. On voyait dans le même lieu un masque de Déméter Cidaria, qu’un prêtre se posait sur le visage, après quoi il frappait la terre à coups de verges ou de bâton et invoquait les divinités souterraines. La légende racontait que, à Thelpousa, située également en Arcadie, Déméter, pour échapper aux poursuites de Poseidon, avait pris la forme d’une jument, que le dieu, changé lui-même en cheval, avait abusé d’elle, et que de ce commerce était né le cheval Arion, ainsi qu’une fille dont le nom ne pouvait être révélé qu’aux initiés[96]. — Il existait encore plusieurs cultes secrets, rendus à des divinités autres que Déméter. Dans tous les temples qui n’étaient ouverts qu’aux prêtres et où les prêtres eux-mêmes n’étaient admis qu’à certains moments, on pratiquait des cérémonies mystiques. Nous avons dit sur ce sujet tout ce que nous pouvions en dire. Pour ce qui concerne les cultes également secrets, auxquels n’avaient accès qu’une partie de la population, par exemple les hommes à l’exclusion des femmes, ou les femmes à l’exclusion des hommes, et dont non seulement la participation mais la connaissance même était refusée aux profanes, il sera plus à propos d’en traiter dans l’un des chapitres suivants, et de rattacher ces cérémonies à l’ensemble des fêtes religieuses. Actuellement, il convient de nous borner aux cultes pour lesquels, de même que pour les Eleusinies, l’initiation était soumise à certaines conditions, mais devenait de droit, une fois ces conditions remplies. En dehors des mystères de Déméter, nous ne connaissons dans cette classe, durant la période classique de l’histoire grecque, que les mystères de Samothrace et ceux d’Isis.

§ 2. — Les Mystères de Samothrace.

Hérodote, le plus ancien des écrivains à nous connus qui rosse mention de ces mystères, les appelle les orgies des Cabires[97] ; mais qu’était-ce, à proprement parler, que les Cabires ? Les anciens nous fournissent sur leur compte des renseignements si contradictoires qu’aucune argutie ne saurait les concilier. Pindare cite Cabiros, né du sol sacré de Lemnos, parmi les êtres considérés en différents pays comme les souches de la race humaine, et l’associe aux Curètes de la Crète et aux Corybantes de Phrygie, à Dysaulès d’Éleusis ; au géant Alcyonée des champs Phlégréens, au béotien Alalcoméneus, au libyen Iarbas et aux hommes produits en Égypte par le limon du Nil[98]. De ce passage il semble ressortir que le poète a vu dans le Cabiros lemnien non pas un dieu créateur, mais un homme primitif, d’où serait sortie la race actuelle, abâtardie dans la suite des temps et devenue si peu semblable à ses ancêtres. Pindare est, il est vrai, le seul témoin qui tienne ce langage, mais il est aussi le plus ancien que nous puissions citer. Les écrivains postérieurs qui ont également rapproché les Cabires, les Curètes et les Corybantes ne présentent les premiers ni comme des hommes ni comme des dieux. Ils voient dans les Cabires des êtres intermédiaires, à la suite ou au service de divinités plus puissantes[99]. D’après cette façon d’envisager les choses, les mystères des Cabires, au lieu d’être célébrés en leur honneur, auraient été institués par eux pour honorer les grands dieux à qui ils étaient subordonnés[100]. D’autres au contraire, et il faut avouer que ce sont les plus nombreux, reconnaissent dans les Cabires les dieux mêmes adorés dans les mystères. Mais quelle espèce de dieux étaient-ils, quel était leur nombre, à quelles divinités populaires répondaient-ils ? Sur tous ces points, les vues s’écartaient à l’infini. On ne peut donc s’étonner que ce qui se passait dans les mystères et transpirait au dehors ait été susceptible d’interprétations très diverses et ait éveillé des souvenirs qui reportaient les esprits tantôt vers un dieu, tantôt vers un autre. Naturellement aussi les critiques modernes ont émis les opinions les plus opposées sur les Cabires et leurs mystères, tout en trouvant moyen de s’appuyer, chacun de son côté, sur les témoignages des anciens. Plus on cherche à scruter ces témoignages, plus on se persuade qu’il est impossible d’en tirer des conclusions certaines. En présence de ce fait indéniable que, dans les temps reculés, les Phéniciens ont fondé sur les rivages et dans les îles de la mer Egée des établissements plus ou moins considérables, et en tenant compte des traces manifestes qu’ont laissées les cultes implantés par eux, on est autorisé ou plutôt forcément amené à conclure que. le nom de Cabires, qui ne peut être dérivé du grec que par un procédé violent, s’explique au contraire de la manière la plus simple par l’étymologie sémitique. Le mot Kabirim en effet signifie les grands, les puissants, et ce sens est expressément attribué au nom des Cabires par plusieurs textes anciens[101]. Sans rechercher si leurs mystères furent en effet institués par les Phéniciens, on peut au moins admettre comme très vraisemblable que lorsque les Phéniciens furent repoussés par les Grecs des lieux où ils avaient institué le culte des Cabires, ce culte ne disparut pas avec eux et conserva des adhérents obstinés. Il rentra toutefois dans le demi-jour et ne fut plus pratiqué qu’en secret par une minorité de fidèles. Mais ce secret même et d’autres raisons qu’il est plus facile d’imaginer que de démontrer, lui valurent un renom de sainteté qui, bientôt lui rendit et au delà Son Ancien prestige. Nous savons en particulier que les Cabires étaient de puissants protecteurs contre lés dangers dé la navigation ; aussi les marins furent-ils les premiers à se ranger parmi leurs adorateurs. A mesure que de toutes les parties de la Grèce surgirent de nouveaux initiés au culte de ces dieux, les prêtres s’attachèrent à remplir l’attente des néophytes, en renouvelant la forme et le sens des mystères. Beaucoup d’emprunts furent faits ; soit aux mystères d’Éleusis, soit à d’autres cultes établis en différentes contrées, de sorte que les initiés pouvaient reconnaître dans les Cabires quelqu’une de leurs divinités mystiques ou populaires. Ainsi s’explique la variété des aperçus que l’on rencontre chez les anciens. Le critique qui s’attache exclusivement à telle ou telle opinion, sans prendre connaissance des autres ou en les rejetant de parti pris, et qui remplit tant bien que mal les lacunes par des hypothèses peut bien construire sur les Cabires quelque chose ressemblant à un système ; mais si fier qu’il soit de ce succès, et en admettant qu’il fasse partager sa satisfaction à d’autres, nous avouons préférer notre ignorance à ce faux semblant de savoir et la croyons plus correcte[102].

Le côté extérieur du culte ne nous est pas mieux connu pour les mystères de Samothrace que pour ceux d’Éleusis. Il va de soi que l’initiation devait être précédée de purifications minutieuses. Nous savons de plus que le prêtre chargé de procéder à la purification des meurtriers était appelé Κόης ou Κοίης, nom d’où l’on peut inférer que le feu et les fumigations jouaient un rôle dans cette cérémonie[103]. Il paraît aussi que l’on exigeait des postulants une sorte de confession, car nous lisons quelque part[104] qu’un Spartiate, interrogé par le prêtre sur ce qu’il avait fait de mal dans sa vie, lui demanda à son tour : Est-ce à toi, est-ce à la divinité que je dois le dire ? Et comme le prêtre répondait : A la divinité. Retire-toi donc, dit le Spartiate, afin que je puisse m’entretenir avec là divinité seul à seul. Plutarque a négligé de nous apprendre si l’initiation fut conférée à ce pénitent difficultueux. Enfin nous savons que non seulement les adultes, hommes et femmes, mais aussi les enfants étaient susceptibles d’être initiés[105], et que les adeptes recevaient une bandelette couleur de pourpre, qu’ils se passaient autour du corps, comme un préservatif efficace surtout contre les dangers de la navigation[106].

Les mystères des Cabires étaient célébrés ailleurs que dans l’île de Samothrace. A Amphissa, dans la Locride, une fête secrète était consacrée aux άνακτες παΐδες, qui passaient auprès de quelques-uns, soit pour les Dioscures, soit pour les Curètes, mais dans lesquels ceux qui se prétendaient mieux instruits croyaient reconnaître les Cabires[107]. Il existait en Béotie, près de Thèbes, un bosquet appartenant aux divinités cabiriques Déméter et Cora, où les initiés seuls pouvaient entrer, et à sept stades de là, s’élevait un temple des Cabires. La légende faisait remonter ce culte à la plus haute antiquité. Une population désignée sous le nom de Cabiréens avait, disait-on, habité ces lieux, et Déméter avait révélé ses mystères à Prométhée, issu de cette race, et à Ætnaios, fils de Prométhée ; mais les Cabiréens avaient été expulsés dans la guerre des Epigones, et le culte avait disparu avec eux. Il fut rétabli par une prêtresse nommée Pélarge, assistée de son mari Isthmiadès, non pas toutefois sur le même emplacement. Plus tard Télondas, et d’autres débris de la race cabiréenne le restaurèrent à l’endroit où il avait été pratiqué à l’origine[108]. Suivant un autre récit, ces mystères auraient été dans le principe apportés d’Athènes par Méthapus, le même qui établit aussi les mystères d’Éleusis chez les Messéniens remis par Épaminondas en possession de leur territoire[109]. L’inscription d’Andania permet en effet de supposer que le culte des Cabires était joint à celui de Déméter et de Cora, de sorte qu’il y aurait eu aussi, dans cette contrée, une Déméter Cabiria[110]. Les Cabires étaient encore honorés à Lemnos, à Imbros, à Pergame, en Macédoine, partout sous la forme mystique[111].

§ 3. — Les Mystères d’Isis.

Depuis que le culte d’Isis eut pénétré en Grèce, la Déesse, outre ses solennités publiques, eut ses mystères, auquel nul ne pouvait être admis sans une initiation spéciale. Pausanias cite un assez grand nombre de temples consacrés à Isis[112], sans toutefois marquer pour aucun d’eux l’époque où il fut construit. Malgré ce défaut d’indications, on peut être assuré que tous étaient postérieurs à l’avènement des Lagides, et aux relations plus actives qui par suite s’établirent entre l’Égypte et la Grèce. Dans le temple de Phlionte, l’image d’Isis ne pouvait être contemplée que par les prêtres. A Tithorée, en Phocide, deux fêtes populaires étaient célébrées annuellement en son honneur, l’une au printemps, l’autre à l’automne, mais il n’était permis de pénétrer dans l’intérieur du temple qu’à ceux qui en avaient reçu l’invitation de la Déesse elle-même, par la voie des songes. Les postulants devaient exprimer leur désir aux prêtres, qui se chargeaient d’examiner si l’autorisation venait bien réellement d’Isis, après quoi il fallait encore, pour être admis dans le sanctuaire de la Déesse, être initié suivant les rites et prendre rang parmi ses serviteurs d’élection. Si, en effet, ceux qui témoignaient leur dévotion à Isis par des prières et des sacrifices, étaient en très grand nombre, il existait au milieu d’eux- une communauté plus intime d’affiliés, voués exclusivement à son culte et se rattachant à elle par un lien plus étroit, d’où leur venait le nom d’Ίσιακοίa[113]. L’admission parmi les religiosi, comme les appelle Apulée[114], était précédée d’un bain ; le prêtre consécrateur, escorté d’un certain nombre d’adeptes, lavait lui-même le néophyte, en invoquant les dieux, puis on retournait au temple et le prêtre donnait lecture des passages des livres saints où étaient formulées les prescriptions relatives aux épreuves préparatoires. Pendant dix jours on devait s’abstenir de nourriture animale et de vin. A la fin de la dernière journée, le prêtre conduisait dans la partie la plus reculée du sanctuaire le postulant, qui voyait alors et entendait ce qu’il n’était permis qu’aux seuls initiés de voir et d’entendre. Aussi l’écrivain chez qui nous puisons les détails qui suivent et qui avait reçu lui-même l’initiation dans le temple d’Isis, à Corinthe, n’a-t-il dit que ce qu’il a cru pouvoir révéler sans encourir de blâme, et nous laisse-t-il exprès incertains de ce que nous devons admettre ou rejeter dans son récit : Écoute, dit-il, et crois ce qui est vrai : J’ai approché du royaume de la mort ; j’ai foulé le seuil de Perséphone, et j’ai traversé tous les éléments, pour revenir sur mes pas. Une fois de retour, j’ai vu le soleil briller en pleine nuit de tout son éclat ; je me suis trouvé face à face avec les dieux du ciel et ceux des enfers et je les ai adorés sans que rien nous séparât. Les paroles que je prononce et que tu entends, il ne t’est pas donné de les comprendre ; je passe maintenant aux choses que je puis, sans pécher, faire connaître même aux profanes. Ce qui suit a trait à des détails matériels d’un intérêt médiocre : Les cérémonies achevées, je m’avançai couvert de douce robes sacerdotales (stolæ), et l’on me fit gravir une estrade dressée devant la statue de la déesse. Sur mon vêtement de lin étaient peintes des fleurs ; de mes épaules descendait derrière moi jusqu’aux talons une chlamyde précieuse, sur laquelle étaient figurés des animaux de diverses couleurs, dragons de l’Inde et griffons hyperboréens les prêtres donnent à ce vêtement le nom d’olympioca stola. Je portais de la main droite une torche enflammée ; ma tête était couronnée de palmes qui rayonnaient tout autour. Un rideau tomba subitement et je me trouvai exposé aux regards de la foule assemblée. Je fêtai ensuite mon initiation par un banquet, et le troisième jour les mêmes cérémonies se renouvelèrent, terminées également par un repas religieux. Si à la suite de ce récit d’Apulée, on se demande en quoi consistaient proprement les mystères d’Isis, on doit reconnaître qu’au fond ils ressemblaient beaucoup à ceux d’Éleusis. Toute la différence consiste en ce qu’aux noms de Déméter, de Perséphone et de Iakchos sont substitués ceux d’Isis, d’Osiris et d’autres divinités égyptiennes, soit que ces divinités aient été identifiées d’une manière plus ou moins complète avec les grecques, soit que l’on ait reconnu en elles une expression plus vraie et plus caractéristique des idées que personnifiaient les unes et les autres. Isis surtout était pour ses adorateurs la déesse qui embrasse toutes choses, à laquelle sont soumis le ciel, la terre et les enfers, qui commande à la vie et à la mort ; d’elle dépendent les destinées humaines ; c’est elle qui récompense et punit les hommes selon leurs mérites. Ceux qui s’étaient voués à son service et s’étaient fait admettre dans la société secrète de ses Mystai, étaient tenus d’observer pour leur vêtement et pour leur régime des règles ascétiques. L’affiliation, telle qu’elle vient d’être décrite, ne pouvait évidemment être octroyée à un grand nombre. Ceux-là seuls y pouvaient prétendre, que la Déesse avait choisis, en envoyant un songe aux néophytes et aux prêtres ; il fallait en outre avoir les moyens de subvenir aux frais de la cérémonie, qui étaient assez considérables pour entrer en ligne de compte. Aussi les initiés étaient-ils admis non par centaines comme dans les Éleusinies, mais isolément, comme cela se passait pour les Orphéotélestes, dont il a été parlé plus haut. Il y avait cependant cette différence que, dans les mystères des Orphéotélestes, les dépenses étaient mises à la portée des classes inférieures, auxquelles il s’adressaient de préférence Les Mystères orphiques avaient eux-mêmes, dans le principe, un caractère plus exclusif et plus élevé et n’étaient tombés que peu à peu dans l’état d’abjection où nous les avons vus. Même dans le culte d’Isis, il y avait, à côté des affiliations auxquelles ne pouvaient aspirer qu’un petit nombre d’élus, des cérémonies accommodées à toutes les fortunes. Les prêtres faisaient des tournées comme les Orphéotélestes et les Métragyrtes, et offraient à prix réduit les consécrations, les purifications et ce qui s’ensuit, à savoir les bénédictions et les indulgences. D’un ordre plus élevé, les mystères d’Isis, auxquels se rattachaient ceux d’Osiris et de Sérapis[115], étaient recherchés aussi par des hommes d’un esprit cultivé qui, ne trouvant pas dans les cultes traditionnels, dépouillés peu à peu de leur sens profond par la poésie et l’art anthropomorphiques, la satisfaction de leurs aspirations religieuses, cherchaient des formes plus intellectuelles et dès images plus propres à représenter l’essence divine dans son unité et sa diversité[116]. Les mystères étaient la dernière ressource du paganisme aux abois, le dernier refuge où il pût tenter de se défendre contre le christianisme triomphant.

 

 

 



[1] Cela était vrai en particulier pour le culte de Sosipolis, à Elis ; voy. Pausanias, VI, c. 20, § 3.

[2] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 278.

[3] Voy. O. Muller, Ægineten, p. 172, et Proleg. zu einer Wissenschaftl. Mythologie, p. 253.

[4] Voy., dans le Philologus (t. XIV, p. 388), le mémoire où Th. Bergk a soutenu cette thèse que, en Grèce, les mystères sans exception ont été, à l’origine, des cultes étrangers.

[5] Pausanias, II, c. 14, § 7 ; IV, c. 1, § 5, et VIII, c. 31, § 1.

[6] Elle se nommait auparavant Σαισαρία, et l’une des filles de Kéléos est appelée par Pamphus Σαισάρα ; voy. Pausanias, I, c. 38, a 3.

[7] La fête des Eleusinies, dans laquelle on célébrait des jeux, et qui, à vrai dire, n’avait rien de commun avec les mystères, était généralement considérée comme la plus ancienne des fêtes de la Grèce. Voy. Aristote cité par le scholiaste d’Aristide, p. 105, éd. Frommel.

[8] Pausanias, I, c. 38, § 3.

[9] Strabon, IX, p. 633.

[10] Cela n’est pas impossible, même si l’on admet avec Curtius (Histoire grecque, t. I, p. 370), que les mystères de Déméter ne sont pas venus directement de la Crète dans l’Attique, mais qu’ils y ont été introduits par les Messéniens fugitifs, à la suite de l’invasion des Héraclides. Sauppe (zu der Mysterieninschr. v. Andania, p. 220) déclare controuvée l’opinion contraire, à savoir que ces mystères auraient été transportés de l’Attique en Messénie.

[11] Diodore, V, c. 77.

[12] Le renom des mystères d’Éleusis ne parait pas s’être étendu bien loin avant l’hégémonie d’Athènes, puisque, dans la seconde guerre médique, le Spartiate Demaratus n’en savait rien ou en savait fort peu de chose. Voy. Hérodote, VIII, c. 65.

[13] Harpocration, s. v. έπιμεληταί.

[14] Pausanias, I, c. 38, § 3. Un passage du discours du Dadouque Callias, dans les Hellenica de Xénophon (VI, c. 3, § 6), prouve que les Cérvices se donnaient pour les descendants de Triptolème, car les Dadouque ; étaient proches parents des Céryces. D’ailleurs Eumolpus passait pour un petit-fils de Triptolème, par sa mère, Deiopée (Schol. de Sophocle, Œdipe à Colone, v.1046), et Céryx était, pour quelques-uns, fils d’Eumolpus.

[15] Philostrate, Vitæ Sophist., II, c. 20, p. 98, éd. Kayser ; Arrien, Dissert. Epicteteæ, III, c. 24. Voy. aussi Lobeck, Aglaophamus, p. 117.

[16] Sur l’Hiérophantis de la race des Phyllides, on peut consulter Photius et Suidas ; s. v. Φιλλεΐδαι. Mais il résulte d’un passage d’Istros, cité par le scholiaste de Sophocle (Œdipe à Colone, v. 681), qu’il y avait plus d’une femme remplissant les fonctions d’Hiérophante.

[17] Peut-être le Dadouque avait-il aussi auprès de lui une femme portant également des flambeaux, comme cela se passait ailleurs ; voy. Lenormant, Recherches archéologiques à Éleusis, 1862, p. 189 ; Mommsen, Heortologie, p. 237.

[18] Voy. Meier, de Centibus atticis, p. 49. Du nom de τελεστήριον, sous lequel est désigné ce sanctuaire, on peut tirer la conséquence que l’on y célébrait aussi des fèces mystiques et que l’on y procédait à des initiations. De plus, un passage du pseudo-Origène ou d’Hippolyte, Adv. Hæreticos, p. 144, permet de conclure, bien qu’on y lise Phlius au lieu de Phlya, que ces fèces se rattachaient aux Eleusinies, sans que l’on puisse toutefois reconnaître clairement les rapports qui existaient entre elles. Sur le Télesterion de Phlya, voy. Sauppe, Mysterieninschr. v. Andania, p. 223.

[19] Hesychius, s. v.

[20] Pollux, I, c. 35.

[21] C. F. Hermann (Gottesdienst. Alterth., 5 55, 177) rattache avec raison à cette présentation les συστάσεις, dont parle Olympiodore, dans son commentaire sur le Phédon de Platon, p. 289, éd. Fischer.

[22] On sait, d’après un passage de Philostrate (Vita Apollonii, IV, c. 18, p. 156), que les personnes présentées par le Mystagogue pouvaient être refusées par l’Hiérophante.

[23] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 29. Mais la conjecture de F. Lenormant (Recherches archéol. à Éleusis, p. 195), au sujet d’une instruction sur la doctrine mystique, professée par les Mystagogues, et de Mystagogues pris spécialement dans le personnel sacerdotal d’Éleusis, ne peut résister à un examen impartial.

[24] Lucien, Scytha, c. 8. Dion Cassius (LIV, c. 9) cite une autre exception faite au temps d’Auguste, en faveur de l’Indien Zarmarus.

[25] D’après Soranus (Vita Hippocratis, éd. Westermann, p. 451), Hippocrate n’aurait été initié aux mystères qu’après avoir obtenu le droit de bourgeoisie chez les Athéniens, mais il est difficile de croire à l’authenticité du décret produit à cette occasion (ibid., p. 453).

[26] Le passage emprunté par Lobeck au comique Théophile (Aglaoph., p. 19) ne prouve pas le contraire, ainsi que Lobeck lui-même l’a remarqué, et on ne saurait non plus tirer aucune conclusion certaine de ce qui est raconté au sujet de Métanire, dans le discours contre Neæra (§. 21, p. 1352) puisqu’on a vu auparavant (§ 19) que Nicarète, qui avait acheté Métanire, la présentait comme sa fille, par conséquent, comme une femme libre.

[27] Cette condition était exigée toutefois pour l’initiation aux mystères de Samothrace, ainsi qu’on le verra plus loin.

[28] Scholiaste d’Aristophane, Plutus, v. 846 ; Origène, Philosophumena, p. 116, éd. Miller.

[29] Cicéron, De Natura Deorum, III, c. 23. Voy. aussi Lobeck, Aglaophamus, p. 547, et Dœllinger, Heidenthum und Judenthum, p. 159.

[30] Étienne de Byzance, s. v. Άγρα ; Polyen, Stratag. V., c. 17 ; Himerius, Orat. III, p. 432, éd. Wernsdorf. Voy. aussi Leake, Topographie of Athens, London, 1841, t. I, p. 250, et Dœllinger, ibid., p. 162.

[31] Plutarque, Démétrius, c. 26 ; Platon, Gorgias, p. 597 C, avec les scholies. Voy. aussi le scholiaste d’Aristophane, Plutus, v. 845 et 1013.

[32] Autant, du moins, que l’on en peut juger d’après la légende rapportée par le scholiaste d’Aristophane, Plutus, v. 846 et 1013 ; Ranæ, v. 501, ainsi que par Tzetzès, dans son commentaire sur Lycophron, v. 1327 et ailleurs encore, légende suivant laquelle Héraclès, ne pouvant, comme étranger, prétendre aux grands mystères, en fut dédommagé par les petits. On ne peut dire cependant, comme le pense Hermann (Gottesdienstl. Alterthümer, § 53), que les petits mystères aient été à l’usage des étrangers plus que des nationaux, puisque les nationaux mêmes ne pouvaient atteindre le second degré sans passer par le premier ; voy. Platon, Gorgias, p. 497 C. Quand à l’hypothèse que semble adopter Gerhard (ueber die Anthesterien, p. 174), à savoir que les étrangers seuls pouvaient être admis aux petits mystères ; elle est absolument fausse.

[33] La plupart dés détails cités dans le texte ne reposent que sur des conjectures ; pour le fond des choses, je suis d’accord avec Preller ; voy. son article Eleusinia, dans la Real-Encyclopædie de Pauly, t. III.

[34] Polyen, Stratag., III, c. 11 ; et Plutarque, Phocion, c. 6.

[35] Hesychius, s. v.

[36] Lucien, Demonactis Vita, c. 34, et Alexander s. Pseudomantis, c. 38 ; Pollux, VIII, c. 90.

[37] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 15.

[38] Scholiaste d’Aristophane, Ranæ, v. 369.

[39] Polyen, Stratag., III, c. 11, § 2 ; Hesychius, s. v.

[40] Etymolog. Magn., p. 479, 19 ; Hesychius, s. v. 'Ρειτοί.

[41] Plutarque, Phocion, c. 28 ; scholiaste d’Æschine, c. Ctésiphon, 130.

[42] Sur la situation de ce monument, voy. Leake, Topographie of Athens, t. I, p. 119 et 296.

[43] Philostrate, Vita Apollonii, IV, c. 18 ; Pausanias, II, c. 26, § 7.

[44] Une inscription de la période romaine, insérée dans le Philistor, t. II, p. 238, mentionne une procession fixée au 19 Boédromion, dans laquelle figuraient les éphèbes. La date du jour où l’on portait en triomphe la statue d’Iakchos est donnée par le scholiaste d’Aristophane, Ranæ, v. 324.

[45] Plutarque, Thémistocle, c. 15, et Alcibiade, c. 34 ; Pollux, 1, c. 33 ; voy, aussi divers rapprochements faits par Sintenis et par Bæhr, à l’occasion du texte de Plutarque.

[46] Aristophane, Plutus, v. 1913 ; Pseudo-Plutarque, Vitæ decem oratorum, c. 7.

[47] Sur tous les sanctuaires qui bordaient la voie sacrée ; voy. Pausanias, I, c. 37 et 38.

[48] Hymne à Déméter, v. 270. il existait naturellement diverses traditions ; voy. Kruse, Hellas, t. II, 1, p. 191.

[49] Voy. Sainte-Croix. Recherches sur les Mystères dit Paganisme, 1817, t. I, p. 134.

[50] Lexicon Seguerianum, p. 273, 25 ; Photius, s. v. κροκοΰν.

[51] Ion, v. 1074 et suiv., éd. Didot.

[52] On appelait vingtièmes (είκάδες), les jours du mois qui commençaient au 20 et allaient jusqu’à la fin. Si souvent le pluriel désigne spécialement le 20 du mois, par exemple sous cette forme πρώτη μετ' είκάδες, au moins ne doit-il pas toujours être pris dans ce sens restreint.

[53] Ranæ, v. 324, éd. Didot.

[54] Ce séjour est le temple d’Éleusis où Iakchos avait été transporté d’Athènes.

[55] L’hymne homérique à Déméter semble indiquer que le jeûne devait durer neuf jours, mais cette conséquence pourrait paraître fort contestable, si c’était ici le lieu de la discuter.

[56] Voy. Sainte-Croix, Mystères du Paganisme, p. 280 et 318.

[57] Clément d’Alexandrie, Protreptica, c. 2, 21. C’est avec raison que, dans ce passage Klotz admet la correction proposée par Lobeck : έγγευσάμενος au lieu de έργασάυενος, contre laquelle Dœllinger (p. 168) n’eut pas dû s’élever.

[58] Voy. Lobeck, Agloaphamus, p. 25, il est indubitable que les initiés se servaient en général, dans les mystères, de formules ou de signes convenus, pour se faire reconnaître et justifier de leur qualité. Voyez à ce sujet Apulée, Apologia, c. 55 ; Aristide, Orat. IV, p. 47, éd. Dindorf, et Plaute, Miles gloriosus, a. IV, sc. 2, v. 25.

[59] Cela résulte du récit de Tite-Live (XXXI, c. 14), mais il ne faut pas tirer d’autre conséquence de ce passage.

[60] Lysias, c. Andocide, p. 107 ; Plutarque, Alcibiade, c. 22 ; voy. aussi Lobeck, Aglaophamus, p. 51.

[61] Il est très douteux que le phallus et le κτείς aient eu à Éleusis un sens symbolique ; voy., dans les Mystères du Paganisme de Sainte-Croix, t. I, p. 368, une note de Sylvestre de Sacy.

[62] De l’assertion de Porphyre rapportée par Eusèbe (Præpar. evang., III, c. 12, p. 127), à savoir que l’Hiérophante était habillé en Démiurge, que le Dadouque, par la richesse de ses vêtements, représentait le soleil, l’Epibomios la lune, et que le Céryce figurait le personnage d’Hermès, il n’y a qu’une seule conséquence à tirer, c’est que leurs costumes et leurs insignes pouvaient être interprétés ainsi par Porphyre et par des esprits semblables au sien.

[63] Le faux prophète de Lucien raillait aussi de la belle façon, dans la description de ses mystères, les représentations dramatiques ; voy. Alexander, c. 38 et 39.

[64] Clément d’Alexandrie, Protreptica, c. 2, § 12. Les personnes que ces détails intéressent pourront trouver des conjectures sur toutes sortes de représentations dans l’ouvrage déjà cité de Dœllinger, p. 164 et suiv.

[65] Dans le Cataplus, c. 22.

[66] Dion Chrysostome, orat. XII, t. I, p. 387 ; Plutarque, cité par Stobée, Florilegium, tit. 120, 28, p. 466.

[67] Voy. Preller, Eleusinia, p. 89.

[68] Plutarque, Démétrius, c. 26. Schæfer a déjà reconnu la nécessité de changer dans ce passage les mots άπό τών μικρών en άπό τών μεγάλων.

[69] Apollodore, dans le commentaire de Térence par Donatus (Phormion, a. I, sc. 1, v. 15).

[70] Porphyre, de Abstinentia, IV, c. 5, p. 307. Il y a lieu de rapprocher de ce passage ce qu’on lit dans le Lexicon Seguerianum, p. 204, 20. Isée pouvait donc dire, dans un fragment conservé par Apostolius (Proverb., cent. IV, n° 61), que ce fait d’avoir été initié άρ' έστίας, était une preuve du droit de cité ; mais quel était le sens de ces mots άρ' έστίας. On peut voir des conjectures à ce sujet dans Bœckh (Corpus Inscript. græc., t. I, p. 1145), et dans Welcker (Gerhard’s Archæol. Anzeigen, 1861, n° 147, p. 166), où on lit que des filles figuraient aussi parmi les παΐδες άρ' έστίας, et que ces enfants, désignés d’abord par le sort, furent choisis plus tard avec le concours de l’Aréopage. Peut-être faut-il entendre par έστίας le foyer commun, κοινή έστία έν πρυτανείω, auquel cas, άρ' έστίας signifierait au nom de l’État. Telle est l’hypothèse de Lobeck (Aglaophamus, p. 1290), à laquelle se rallie R. Schöll (Hermès, t. VI, p.16).

[71] Aristophane, Pax, v. 376.

[72] Les principaux témoignages se trouvent dans Pindare, Fragm. Threnica, 8, dans un fragment de Sophocle conservé par Plutarque, de audiendis Poetis, c. 4, dans le Panégyrique d’Isocrate, c. 6, § 28, dans Diodore, V, c. 48, et dans Cicéron, de Legibus, II, c. 14 ; voy. aussi Lobeck, Aglaophamus, p. 51-64, 69 et suiv.

[73] Lucien, Vita Demonactis, c. 11 ; Diogène Laërte, VI, § 39 ; voy. aussi Wyttenbach, dans ses notes sur le de audiendis Poetis de Plutarque (t. I, p. 161, Lipsiæ). Touchant le sentiment de Platon, voy. Hermann, Gesch. und System. der Platon. Philos., p. 302.

[74] On lit dans les Tusculanes (I, c. 13) : Quære quorum demonstrantur sepulcra in Græcia ; reminiscere, quoniam es initiatus, quæ traduntur in mysteriis. Il n’est pas douteux que ce passage ne se réfère aux mystères d’Éleusis.

[75] Voyez Preller, Demeter und Perseph., p. 138, et Eleusinia, p. 92.

[76] Athénée rapporte (I, c. 39, p. 22) que les prêtres d’Éleusis avaient pris pour modèle !e costume tragique introduit par Æschyle. On peut supposer, d’après cela, qu’ils faisaient aussi servir aux mystères les machines, les décors et autres accessoires usités sur la scène.

[77] L’opinion de Lobeck a été combattue, mais non réfutée par plusieurs critiques, entre autres par Völcker (Neue Jahrbücher für Philol. und Pædaq., t. IX, p. 31).

[78] C’est ce qui résulte du passage de Théodoret (Therapeutica, p. 119, éd. Gaisford).

[79] Athénée, XI, c. 93, p. 496.

[80] Le célèbre κόγξ όμπαξ, que Le Clercq (Cléricus) avait déclaré d’origine sémitique, dans la Bibliothèque Universelle, t. VI, p. 85, et qu’il reconnut plus tard comme sanscrit, a été ramené à sa véritable valeur par Lobeck, que beaucoup de gens se sont refusés à comprendre, comme d’habitude.

[81] Andocide, de Mysteriis, p. 55 et 111.

[82] Andocide, ibid., § 28 et 31 ; Pollux, VIII, c. 123.

[83] Corpus Inscript. græc., n° 399 et 402.

[84] Démosthène, c. Androtion, p. 601 ; Lysias, c. Andocide, p. 204 ; Ps. Plutarque, Vitæ decem Oratorum, p. 256. Il est question, dans ce dernier passage, d’un έξηγητής έξ Εύμολπιδών, de même que dans le Corpus Inscr. gr., n. 392.

[85] Voy Lobeck, Aglaophamus, p. 37 et 38. On peut voir, dans le Corpus Inscr. gr., t. I, n°434, et dans l’appendice de l’Anthologie palatine, n° 234, une inscription en vers élégiaques, dans laquelle un hiérophante se vante d’avoir conféré l’initiation à l’empereur Hadrien.

[86] Zosime, IV, c. 3, p. 176, éd. Bonn.

[87] Eunape, Vita Maxim., p : 52, éd. Boissonade.

[88] Pausanias, II, c. 14, § 2.

[89] Pausanias, IV, c. 1, § 5, et c. 26, § 6. A cette rénovation des mystères se rapporte l’inscription d’Andania, dont Sauppe a donné une interprétation approfondie dans les Mémoires de l’Académie de Gœttingue, t. VIII, p. 217-274. C’est avec raison que Sauppe combat la conjecture de Welcker d’après laquelle Méthapos serait plus ancien, et à peu près contemporain d’Onomacrite ; voyez aussi Bergk, dans les Jahrbücher f. Philologie, t LXXIX, p. 192.

[90] Pausanias, III, c. 20, § 5 ; VIII, c. 25, § 2 et c. 29, § 5 ; IX, c. 4, § 3 ; Plutarque, Aristide, c. 11.

[91] Corpus Inscript. græc., n° 2448 et 2554.

[92] Strabon, IX, c. 2, p. 407.

[93] Sur le culte établi en Crète, voy. Diodore, V, c. 77.

[94] Voy. Preller, Demeter und Perseph., p. 211.

[95] Pausanias, VIII, c. 14, § 12, et c. 15, § 1 et suiv.

[96] Pausanias, VIII, c. 25, § 5-7.

[97] Hérodote, II, c. 51.

[98] Dans un fragment conservé par Origène (Philosophumena, p. 96, éd. Miller) et publié avec corrections par Schneidewin, dans le Philologus, t. I, p. 423.

[99] Strabon, X, p. 466, 470 et 472.

[100] Voy. Lobeck, Aglaophamus, p. 1246.

[101] Varron, de Lingua latina, V, c. 53, p. 23 M ; Macrobe, Saturn., III, c. 4, p. 4-22, éd. Zeun ; mais voyez surtout Sauppe, Mysterieninscrift c. Andania, p. 259, et Zeyss, dans le Philologus, t. XXXI, p. 299.

[102] Voy. Lobeck, Aglaoph., p. 1109.

[103] Hesychius, s. v. Κοίης ; voy. aussi Lobeck, ibid., p. 1290.

[104] Plutarque, Apopht. lacon. (Antalcidas, n. 1, Lysandre, n. 10, Incerti, n. 65).

[105] Donatus, dans son Commentaire sur Térence, Phormion, a. I, sc. 1, 15.

[106] Schol. d’Apollonius, I, v. 917.

[107] Pausanias, X, c. 38, § 7.

[108] Pausanias, IX, c. 25, § 5 et suiv.

[109] Pausanias, IV, c. 1, § 7.

[110] Voy. Sauppe, Mysterieninsch., p. 222 et 259.

[111] D’après Jamblique (Vita Pythagoræ, I, c. 28), Pythagore se fit initier aussi à Imbros.

[112] A Mégare (I, c. 41, § 3), à Corinthe (II, c. 4, § 6), à Phlionte (II, c. 13, § 7), près de Trézène (II, c. 32, § 6), à Méthane (II, c. 34, § 1), à Hermione (II, c. 34, § 10), à Bœæ, en Laconie (III, c. 32, § 13), à Messène (IV, c. 32, § 6), à Bura, en Achaïe (VII, c. 25, § 9), à Tithorée, en Phocide (X, c. 32, § 7). Une inscription d’Orchomène, en Béotie, publiée par Conze et Michaelis (Rapporto d’un viaggio, etc., p. 81) signale un prêtre de Sérapis, d’Isis et d’Anubis. Sur la manière dont s’est propagé en Grèce le culte d’Isis et de Sérapis, voy. Preller, dans les Berichte der Sæchs. Gesells. der Wissensch., 1854, p. 196. Une inscription datant de la quatrième année de la CXIe olymp. et insérée dans l’Hermès, t. V, p. 351, montre que les métèques égyptiens possédaient déjà un ίερόν d’Isis à Athènes.

[113] Plutarque, de Iside et Osiride, c. 3.

[114] Métamorphoses, XI, c. 16 ; d’après ce passage, les religiosi sont, par opposition avec les profani, ceux qui venerandis penetratibus pridem fuerant initiati. Le récit suivant est également extrait d’Apulée.

[115] Apulée, Métam., XI, c. 26 et 27. Le fait d’avoir fait venir de Thespies un prêtre de Mithra, prouve que le culte de cette divinité avait aussi trouvé accès en Grèce. Sur la façon dont il se répandit dans d’autres parties de l’empire romain, voy. Preller, Rœm. Mythol., p, 759.

[116] Outre les mystères que nous avons mentionnés, il y en avait d’autres moins célèbres, dont le nombre ne fit qu’augmenter avec le temps. Apulée (Apol. s. de Magia, c. 55) se vante de s’être fait initier à la plupart des cultes secrets de la Grèce : Sacrorum pleraque initia in Græcia participavi, et presque aussitôt après : Multi juga sacra et plurimos ritus et varias cerimonias studio veri et officio erga deos didici. Une inscription de Lemnos, publiée par Conze (Rapporto, etc., p. 96) prouve qu’il existait des mystères d’Hermès, et Varron, cité par Nonius (p. 409, éd. Jos. Mercier) mentionne des mystagogues de Zeus, à Olympie, et de Minerve à Athènes. Dès le temps de Théophraste (Charakt., c. 25), le fait de n’être initié à aucun mystère était un indice de sentiments irréligieux.