ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE DE LA DEUXIÈME DIVISION  - ANTIQUITÉS RELIGIEUSES.

CHAPITRE DEUXIÈME. — L’ÉTAT ET LE CULTE.

 

 

On raconte que le législateur locrien Zaleucus plaça en tête de ses lois un préambule par lequel il se proposait de faire pénétrer dans l’esprit de ses concitoyens des idées plus justes sur les dieux et le culte qui leur agrée[1]. Il y était dit que tous les hommes doivent préserver leur filme des mauvaises pensées, car les dieux ne sauraient accepter les hommages des méchants. On les sert mal par des offrandes coûteuses et de fastueuses prodigalités ; ce qui leur plait, c’est la pratique de la vertu et une volonté ferme de chercher en toutes choses le juste et le bien. Chacun doit donc s’efforcer d’être aussi bon qu’il peut l’être, s’il veut se faire bien venir des dieux, penser que l’injustice n’échappe pas au châtiment, se rappeler qu’un jour viendra où il ne sera plus temps de se repentir, où l’on regrettera amèrement de n’avoir pas mieux vécu. Si l’esprit tentateur nous visite pour nous induire à mal, les temples, les autels et les sanctuaires nous offrent un refuge où l’aide des dieux invoquée peut nous soustraire à l’empire du vice impie et malfaisant. Il n’est pas douteux que ce prélude, bien qu’antérieur à Cicéron[2], n’ait été ajouté après coup, comme du reste tout ce qui nous est rapporté des lois de Zaleucus ; mais il est tout aussi certain que des vues analogues n’étaient étrangères ni à la pensée du législateur, ni en général au système religieux de l’antiquité. La conviction que la, loi morale était aussi la loi divine, que les dieux voulaient le bien et punissaient le mat, peut seule faire comprendre comment on plaçait sous leur sauvegarde l’État et l’ordre politique, qui recevaient ainsi, suivant le sentiment général, la plus haute et la plus réelle sanction. Par la même raison on s’explique que l’incrédulité ries sophistes ait abouti à l’hypothèse d’après laquelle la religion ne serait qu’une invention des habiles ; destinée à retenir le vulgaire par la crainte de Dieu et à refréner la violence des passions[3]. D’autre part, si l’on considérait en effet la religion comme le plus sûr fondement de la moralité, si la crainte des dieux paraissait être la meilleure garantie de l’esprit de justice chez les hommes, il est d’autant plus étonnant que les anciens législateurs ne se soient pas préoccupés, pas plus Zaleucus que Solon et les autres, de fonder pour le peuple un enseignement religieux conforme à la raison et à la vérité, et de faire pénétrer dans les masses le sentiment pur du respect dû aux dieux, à l’aide d’institutions en rapport avec le culte ; ils ne paraissent pas même l’avoir cru possible[4]. Nous ne trouvons pas plus trace de semblables institutions chez les Athéniens et chez les Locriens, qu’en aucune contrée de la Grèce. Partout les lois civiles se référaient uniquement au côté extérieur de la religion et ne visaient les rapports des hommes avec les dieux qu’au point de vue de la légalité. La partie intime de la religion, c’est-à-dire les sentiments et les croyances, était laissée au libre arbitre et à la conscience des citoyens. Or, ce qu’on peut appeler le côté extérieur de la religion, comprend les cérémonies du culte ; le culte, tel que l’entend la loi, est donc pour ainsi dire le règlement de ce que les dieux sont en droit d’exiger et de ce que les hommes doivent accomplir, les uns et les autres au nom de la justice. L’État se charge de veiller à ce que le pacte soit observé par ses membres et de punir toutes les infractions commises. La part faite aux dieux, les temples et les trésors qui leur appartiennent, les hommages et les sacrifices qui leur sont dus, tout enfin ce qui les touche de près est réputé chose sacrée, ερόν[5]. L’homme qui respecte les choses sacrées est aux yeux de la loi όσιος et εύσεβής ; celui qui les viole encourt l’accusation d’impiété, άσέβεια. Naturellement l’άσέβεια peut se produire sous différentes formes et est susceptible de divers degrés. Le droit des Dieux, par exemple, est violé, si lés objets voués à leur culte, de quelque nature qu’ils soient, sont détériorés, détruits ou soustraits, Ce sacrilège, ίεροσυλία, est puni ordinairement des peines les plus sévères il entraîne à la rigueur la mort, la confiscation et le refus de sépulture dans la patrie du coupable[6]. Une autre atteinte au droit divin est la profanation des lieus consacrés, soit que des personnes, à qui, pour des méfaits antérieurs, il était interdit de les fréquenter, s’y introduisent[7], soit qu’il s’y fasse des choses qu’il ne convient pas d’y faire[8]. Les formes extérieures du culte étant établies de temps immémorial et agréées des dieux, celui qui s’en écarte blesse aussi la majesté divine, et s’il est prêtre, c’est-à-dire d’autant plus obligé à observer les formes prescrites, il doit être puni[9]. Se rend également coupable du crime clé lèse divinité, le citoyen qui mêle au culte des dieux des pratiques qui leur font horreur, des sortilèges par exemple[10]. Enfin comme les honneurs divins ne pourraient se maintenir, si l’on cessait de croire aux dieux, c’est encore les offenser que de porter atteinte à la foi. Pour ce qui est de la pensée intime de chacun touchant leur nature et leur existence, cela ne regarde pas l’État, pourvu que l’on fasse ce que l’on est tenu de faire et que l’on s’abstienne des choses défendues ; mais si l’incrédulité et le mépris des dieux s’affichent publiquement, si le culte est tourné en dérision, si les libertins s’efforcent de faire partager leurs sentiments à d’autres, l’État se croit avec raison obligé de réprimer cette propagande et de sévir contre les coupables. Le sophiste Protagoras s’était borné à déclarer qu’il était impossible de- savoir s’il y a ou non des dieux ; pour ce seul fait il fut traduit devant le tribunal et banni d’Athènes ; ses écrits furent saisis entre les mains de tous les détenteurs et brûlés sur la place publique[11]. Diagoras de Mélos, qui niait et raillait les dieux, put se dérober au châtiment par la fuite, mais sa tête, dit-on, fut mise à prix[12]. Entre autres motifs qui firent accuser Anaxagoras d’asébie, on cite son opinion sur le soleil, qu’il déclarait n’être qu’une masse embrasée, ce qui parut équivaloir à la négation de sa nature divine[13]. On raconte que le philosophe Stilpon fut aussi mis en accusation et banni d’Athènes pour une plaisanterie qu’il s’était permise sur Athêna[14], et Théodoros courut risque d’être traité de même, à la suite d’une parole imprudente qu’if avait laissé échapper au sujet des mystères, en présence de l’hiérophante[15]. Enfin chacun sait que le principal grief reproché à Socrate fut de s’être élevé contre la religion d’État et d’avoir cherché à introduire des divinités nouvelles.

Tous ces exemples sont empruntés à l’histoire d’Athènes, qui est généralement citée comme l’État le plus religieux de la Grèce[16]. Nous ignorons comment les autres s’étaient comportés dans des cas analogues ; les différences essentielles existant sur d’autres points entre les divers pays font supposer qu’il y avait aussi des degrés dans la tolérance ou l’intolérance religieuse. Il est certain toutefois qu’en cette matière, comme en plusieurs autres, le principe : sans accusateurs pas de juges, était généralement appliqué. Il ne paraît pas qu’il y ait eu nulle part d’accusateurs chargés de poursuivre d’office les actes d’impiété. A Athènes, tout citoyen honorablement connu avait le droit d’intenter une accusation. Ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas remplir eux-mêmes ce rôle avaient la ressource de dénoncer les coupables au magistrat et de provoquer de sa part les mesures qui rentraient dans sa compétence. Il n’existait pas de tribunaux spécialement affectés aux affaires religieuses. Il est vrai que les Eumolpides paraissent avoir connu de certains cas intéressant les mystères[17] ; mais on ne sait rien de certain à cet égard. Les accusations d’asébie étaient quelquefois portées devant l’aréopage, plus souvent devant les tribunaux héliastiques, avec cette restriction que, si le secret des mystères était en jeu, les initiés seuls étaient appelés à prononcer.

L’étude attentive des procès religieux dont le compte rendu nous a été conservé est loin de confirmer le reproche d’intolérance adressé à plusieurs reprises et tout récemment encore aux Athéniens[18]. Ces procès prouvent seulement qu’on voulait conserver le culte intact, et qu’il n’était pas permis de violer ouvertement le contrat passé avec les dieux. La liberté de conscience était respectée ; on ne demandait de profession de foi à personne ; nul n’était tenu de déclarer sous quel aspect il envisageait les choses divines, s’il visitait assidûment les temples, s’il avait souvent recours aux prières et aux sacrifices. Comme il n’y avait pas à vrai dire d’orthodoxie, que personne ne se vantait d’avoir des notions certaines sur les dieux, on ne recherchait pas les opinions, non plus que les manières de les manifester. Le champ était ouvert aux spéculations philosophiques les plus éloignées des croyances populaires, pourvu qu’elles ne s’attaquassent pas à des conventions qui avaient force de loi, c’est-à-dire au culte et aux institutions religieuses. Jusqu’à quel degré d’invraisemblance pouvaient être portées les facilités laissées pour tout le reste, c’est ce que nous révèlent les poètes de l’ancienne comédie ; on sait les aspects ridicules sous lesquels ils ne craignaient pas de faire paraître les dieux. Chez Aristophane, les habitants de l’Olympe bloqués par lit ville de Néphélococcygie, que les oiseaux ont bâtie entre ciel et terre, souffrent misérablement de la faim, faute d’être réconfortés par les sacrifices et les offrandes des mortels. Ils envoient en ambassade Posidon et Hermès escortés d’un dieu barbare, pour négocier avec les oiseaux, et la conclusion de ces pourparlers est qu’ils doivent renoncer au gouvernement des hommes. Dans Plutus, la famine sévit encore en haut lieu, parce qu’on ne sacrifie plus sur la terre qu’au seul dieu de la richesse, qui vient de recouvrer la vue ; Hermès est réduit à déserter l’Olympe et à louer ses services dans ce bas monde, afin de gagner sa vie. Enfin dans les Grenouilles, Dionysos est le plastron de la populace athénienne, charmée des coups de bâton qu’attirent à un dieu sa sottise et sa poltronnerie. L’Amphitryon de Plaute, imitation d’un original grec, reproduit sous les formes les plus légères les amours de Zeus et d’Alcmène. Zeus entre en scène sous la figure d’Amphitryon, et Hermès joue son rôle de valet de la façon la plus bouffonne. On se demande comment la comédie pouvait user de telles licences, sans être accusée de blasphémer ; et ce n’était même pas là un simple divertissement de société. La comédie faisait partie d’une fête religieuse instituée au nom de l’État. Les pièces étaient soumises à la censure, avant d’être jouées, et l’État fournissait les moyens d’exécution. Une seule explication est admissible, à savoir que l’on croyait n’avoir rien à redouter pour la religion de ces spectacles irrévérencieux, et en effet des hommes intelligents ne pouvaient croire que le poète comique s’imaginât les dieux tels qu’ils les faisait paraître sur la scène, et qu’il voulût en donner cette idée grotesque au public. Il était dans le caractère de l’ancienne comédie de pousser à la caricature ; elle vivait surtout de plaisanterie et de gaieté, et de même que l’on peut faire la charge des hommes des plus considérables sans leur rien ôter de leur dignité, plus les dieux étaient confiants et assurés dans leur majesté, plus ils étaient en droit de dédaigner ces travestissements burlesques. On croyait n’avoir à craindre ni qu’ils en prissent outrage ni que la bonne opinion du peuple en pût être diminuée[19]. Avait-on raison de penser ainsi ? C’est une autre question, à laquelle on peut être tenté de répondre négativement. Quoi qu’il en soit, l’ancienne comédie est le produit d’un temps où la religion avait déjà reçu de nombreuses atteintes, et elle a aidé à lui porter les derniers coups[20].

L’État voyait avec moins d’indulgence les innovations apportées au culte. Le principe exprimé dans un vers d’Hésiode[21] que, en fait de service divin, il faut s’en tenir aux principes adoptés par l’État, et que l’ancienne coutume est la meilleure (ώς κε πόλις ρέζησι νόμος δ' άρχαΐος άριστος) fut recommandé par les anciens législateurs comme Dracon, aussi bien que par l’oracle de Delphes[22]. Tel est aussi le sens des paroles que Xénophon met dans la bouche d’Euthydémos, à savoir que la meilleure manière de témoigner aux dieux sa reconnaissance est de les honorer conformément aux lois fondées sur la tradition[23] : il serait facile de multiplier ces témoignages[24]. En y regardant de près, on s’aperçoit vite que, dans l’application, cette règle ne réussit pas à préserver le culte rte tout changement. Sans doute, il n’était pas permis d’abolir ou même de modifier un culte traditionnel, et pareille entreprise n’était jamais tentée par l’État, sans consultation préalable de l’Oracle et sans autorisation de sa part. On se décidait difficilement aussi à introduire un nouveau culte qui n’avait pas obtenu d’avance la sanction des dieux, mais à côté des cultes publics, officiellement reconnus par l’État, il y avait dans chaque pays des cultes privés, pour lesquels les innovations n’étaient pas et ne pouvaient être aussi sévèrement interdites[25]. Strabon dit des Athéniens qu’ils étaient amateurs des choses étrangères, des religions comme du reste, et les poètes comiques s’amusent souvent de ce que tant de dieux barbares ont trouvé chez les Athéniens un asile et des temples[26]. Rien en effet ne s’opposait à cette hospitalité : Athènes renfermait, sans compter les voyageurs, un grand nombre d’étrangers domiciliés, que l’on ne pouvait empêcher d’honorer les dieux de leur patrie, suivant leurs coutumes, alors même que ces dieux et le culte dont ils étaient l’objet, n’étaient pas d’accord avec la religion et les traditions athéniennes. Une pareille proscription n’eût été justifiée que si l’on avait eu la conviction que ces dieux ne devaient pas être tenus pour des dieux ou, s’ils s’identifiaient avec les dieux nationaux, que le culte apporté du dehors ne leur était pas aussi agréable que celui auquel ils étaient habitués dans Athènes. Or, en l’absence d’un enseignement religieux pouvant prétendre à une orthodoxie exclusive, il n’était pas naturel que ni l’une ni l’autre de ces hypothèses vînt à l’esprit des anciens Grecs : ils devaient plutôt s’avouer que, en dehors des dieux reconnus de tout temps par l’État, il pouvait y en avoir d’autres, aussi dieux que les leurs, ou bien que les divinités étrangères n’étaient pas, malgré la diversité des noms, différentes de celles qu’ils adoraient eux-mêmes, et que les hommages des barbares ne leur étaient ni plus ni moins agréables. Aussi était-ce un acte réputé impie chez les Athéniens, comme en général dans toute la Grèce, d’interdire aux étrangers le libre exercice de leur culte héréditaire et d’enlever ainsi aux dieux une part des hommages qui leur revenaient. La tolérance de l’État en pareille matière était donc parfaitement d’accord avec le sens religieux des anciens. Il dut en résulter naturellement que des citoyens furent touchés par quelqu’un de ces cultes exotiques et les adoptèrent. A la condition que l’on remplit d’ailleurs ses devoirs envers la religion établie, l’État n’avait rien à y voir et ne pouvait que laisser faire. Il n’y aurait eu lieu de sévir que si l’on était parti de là pour attaquer les dieux des ancêtres et en établir de nouveaux, ou si quelque chose dans les cérémonies des cultes étrangers eut trahi une pensée impie et criminelle. Tout ce que nous savons sur la manière dont on honorait à Athènes les dieux d’adoption prouve que les choses s’y passaient bien ainsi ; pour les autres cités, les données nous manquent ; mais nulle part il n’est question d’une interdiction générale[27]. Les cas très rares que l’on a tenté d’interpréter dans ce sens prouvent seulement que les ministres des dieux étrangers pouvaient être punis, quand ils attaquaient ou profanaient le culte de l’État[28], ou bien encore lorsque, sous le voile de la religion, ils cachaient des pratiques criminelles, telles que la sorcellerie et les maléfices.

De nombreux exemples prouvent aussi que les religions étrangères, après être restées un certain temps à l’état di, cultes privés et avoir vécu de tolérance, pouvaient être officiellement reconnues et admises dans le culte national. Parmi ces exemples, le plus connu est celui d’une déesse de Thrace, nommée Bendis, que l’on a comparée ou identifiée avec Artémis, Hecaté et Perséphone. Sans doute son culte avait été apporté chez les Athéniens par des Métèques venus de Thrace, dont il existait un grand nombre à Athènes et particulièrement au Pirée. Bendis trouva, même chez les citoyens, un accueil tel que du temps de Platon son culte fut élevé à la dignité de culte officiel et que l’on institua en son honneur une fête publique, les Bendidées, dans laquelle se déployaient, au Pirée, deux processions, composées l’une d’Athéniens, l’autre de Thraces[29]. Quelques dizaines d’années auparavant, sous l’administration de Périclès, le culte de la Grande Mère que l’on avait coutume de confondre avec Rhéa, avait passé de la Phrygie dans l’Attique. Il avait été apporté par un Métragyrte phrygien, ou frère quêteur, dont les pratiques firent scandale, et qui, accusé d’avoir profané les mystères, fut précipité dans le Barathron, comme uni impie et un forcené[30]. Mais peu de temps après, les Athéniens pris de scrupule à propos de cette exécution, s’adressèrent à l’Oracle, qui leur ordonna d’élever un temple à Cybèle[31], ce qui naturellement entraîna l’adoption de son culte par l’État, à la condition qu’il serait purgé des cérémonies choquantes qui avaient coûté la vie au Métragyrte. Ce culte n’obtint pas pour cela la considération publique et ne fut guère pratiqué que par certaines confréries (θίασοι). Il en fut de même d’ailleurs pour les Sabazies, les Adonies, les Kotytties, dont il est parlé presque toujours en termes méprisants, et qui ne trouvaient faveur que dans les couches inférieures de la population, surtout auprès des femmes[32].

Les résolutions qui faisaient entrer dans la religion d’État le culte de divinités nouvelles ne pouvaient émaner que de la puissance législative, c’est-à-dire, en ce qui concerne l’Athènes historique, que de l’assemblée souveraine du peuple. C’est une erreur de croire que l’Aréopage fut chargé de trancher ces questions. Bien qu’aucune loi ne l’ordonnât, la coutume était de consulter l’Oracle[33]. Les passages des écrivains anciens qui ont trait à ces innovations ne nous fournissent pas de détails précis sur la procédure en usage ; il est dit seulement d’une manière expresse, à l’occasion des honneurs divins rendu, par Athènes à Alexandre et à Démétrius Poliorcète, que des orateurs en firent la proposition dans l’Assemblée, qui les décréta[34]. Naturellement on suivit la même marche, lorsqu’il s’agit de les abroger[35]. En remontant dans les temps antérieurs, nous devons citer encore, parmi les exemples empruntés à l’histoire d’Athènes, celui du dieu Pan. Ce dieu, d’origine arcadienne, ou chez qui du moins cette provenance semble dominante, paraît n’avoir eu dans l’Attique, avant la première guerre contre les Mèdes, d’autres adorateurs que quelques groupes d’habitants de la campagne, épars surtout dans le voisinage de Marathon. Après le combat livré près de cette ville, et à l’occasion de la victoire que remportèrent les Athéniens, il fut admis au nombre des dieux reconnus par l’État. Un sanctuaire lui fut ménagé dans une grotte située au nord de l’Acropole ; et une fête instituée en son honneur avec une course aux flambeaux[36]. Dans la seconde guerre médique, l’Oracle conseilla aux Athéniens d’appeler à leur aide leur gendre, désignant par là Borée, qui avait épousé Orithye, fille du roi Erechthée. Conformément à ces instructions, ils offrirent un sacrifice à Borée et à Orithye, tandis que leur flotte était retenue à Chalcis, et une fois de retour, ils consacrèrent à Borée un sanctuaire, un autel et un téménos sur les bords de l’Ilissus[37]. Le dieu égyptien Ammon qui, comme on sait, était appelé aussi Zeus, appartient également à la classe des divinités dont le culte fut adopté à’ Athènes durant les temps historiques ; on ne peut toutefois préciser quand ni comment il y fut introduit[38]. Nous passons sous silence d’autres emprunts moins importants, faits aux religions étrangères, et nous bornons à remarquer que les cultes mêmes qui existaient déjà dans la période la plus reculée n’avaient pas tous le même âge et ne remontaient pas tous à la fondation de la cité ; c’est là non pas une hypothèse, mais un fait certain. Le culte d’Apollon Pythien fut sans contredit institué à la suite des migrations qui mirent les anciens Ioniens de l’Attique en relations plus étroites avec les Amphictyonies Helléniques, bien que peut-être ils n’aient pas considéré ce dieu, étranger jusque-là à leur nation, comme un nouveau venu, et qu’ils l’aient identifié avec celles de leurs anciennes divinités dont cette confusion a rendu la figure complètement méconnaissable[39]. — Aphrodite Urania fut, suivant la tradition athénienne, une importation d’Ægée[40]. Le germe historique de la légende est que le culte de cette déesse doit son origine à la partie du peuple athénien dont Ægée est le représentant ; or le nom de ce prince est rattaché à file de Scyros, vraisemblablement parce qu’elle est le point de départ d’où il avait gagné l’Attique. C’étaient des Phéniciens qui, en établissant leurs comptoirs, avaient amené à Scyros, à Cythère et dans d’autres îles l’Aphrodite céleste ; et dans l’Attique même, cette déesse avant d’avoir gagné de nombreux adhérents grâce à Ægée, avait déjà dans le dème Athmonon un sanctuaire dont la fondation est attribuée à un certain Porphyrion, l’homme de pourpre, qui paraît avoir été la personnification des Phéniciens. — La légende établissait aussi que le culte de Dionysos n’avait pas existé de tout temps en Attique et y avait été transporté par les Béotiens. Accueilli d’abord dans le dème Ikaria, il dut une impulsion nouvelle à la ville d’Eleutheræ, d’origine béotienne, mais qui fut de bonne heure réunie à l’Attique. On citait encore, au temps de Pausanias, un prêtre de ce dieu, Pégasos, qui avait pris l’initiative et dont les efforts avaient été secondés par l’oracle de Delphes[41]. — Déméter et Coré ne trouvèrent place dans la religion d’Etat qu’à partir de l’accession d’Eleusis au territoire de l’Attique. A quel moment cette adoption eut-elle lieu, on l’ignore ; il paraît, cependant qu’elle devança la migration des Ioniens de l’Attique en Asie[42]. Puisque, en général, les états se formèrent par la réunion de communes distinctes, possédant chacune leurs cultes particuliers, il était tout simple que plusieurs de ces cultes fussent acceptés par la nouvelle patrie. Si tous ne trouvaient pas asile dans la capitale, ils subsistaient du moins comme cultes locaux dans les différents districts, et l’État témoignait l’intérêt qu’il y prenait, en envoyant ses théories aux solennités et par d’autres manifestations dont nous donnerons plus loin quelques exemples.

Les migrations qui se produisirent si souvent dans les temps reculés durent nécessairement avoir sur le culte une influence considérable. Il ne pouvait se faire que les relations politiques fussent changées, que les anciennes peuplades fussent refoulées ou soumises, et que de nouvelles races arrivassent à la domination, sans que les choses religieuses subissent aussi de nombreuses révolutions. Les vainqueurs amenaient avec eux leurs dieux et leurs cultes, qui étouffaient les cultes indigènes on les rejetaient dans l’ombre. A défaut de divinités nouvelles ou d’anciennes divinités déguisées sous des noms inconnus, les conceptions du moins étaient autres, de même que les mythes et les usages. Des éléments d’âges différents se mêlaient comme ils pouvaient, et de ces influences réciproques naissait la diversité des fictions mythologiques et des institutions religieuses. Hérodote, entre autres, témoigne des changements produits par le déplacement des races, et qui forçaient les anciens cultes à reculer devant elles. Celui de Déméter Thesmophoros, dit-il, était très répandu dans le Péloponnèse, mais à la suite de l’invasion dorienne, il se perdit, excepté chez les Arcadiens et vraisemblablement aussi chez les Messéniens[43]. Le culte d’Apollon, tel qu’il s’établit définitivement eu Laconie, est un exemple du mélange qui s’opérait entre des éléments divers. Le Dieu dorien de la Lumière s’identifia, dans les Hyacinthies et dans les Carnéennes, avec l’ancienne divinité nationale, le Dieu de la Nature. A Corinthe, des traces que l’on ne saurait méconnaître, prouvent qu’anciennement Hélios, de même que Zeus dans d’autres contrées, était honoré comme le plus puissant des dieux, d’où était venu à la ville le nom de Ville du Soleil[44]. Mais lorsque les Doriens furent devenus les maîtres, le culte d’Hélios déclina, et les anciens mythes qui retraçaient, dans des histoires saisissantes, les gestes et les effets du Soleil ne furent plus que le récit des actions héroïques attribuées à (les personnages auxquels on avait donné pour noms les antiques surnoms d’Hélios. Les grandes solennités de Corinthe, autant que nous en pouvons juger, étaient instituées exclusivement en l’honneur de Posidon, d’Athêna, d’Artémis et d’Héra. Nulle part il n’est fait mention d’une fête du Soleil ; tout ce que nous savons, c’est que ce dieu avait des autels sur l’Acrocorinthos[45]. Ce que l’on dit de Corinthe n’était pas moins vrai d’Élis : là, aussi Hélios avait été incontestablement le premier des dieux. On a même dérivé le nom d’Ήλις, ou en suivant la prononciation des habitants Ϝάλις, du mot ήλιος[46]. Le roi Augeias, c’est-à-dire le resplendissant, est fils du Soleil, et sa fille Agamède, versée dans la connaissance des simples[47], correspond à Médée fille d’Aéétès, qui avait aussi pour père le Soleil. Plus tard cependant, Hélios n’a pas même, à Olympie, une place parmi les douze dieux, au nombre : desquels sont toujours rangés le fleuve Alphée et Cronos, qui avait partagé jadis avec Hélios la souveraineté de la contrée[48]. — L’annexion d’un pays conquis donnait lieu ainsi à des innovations religieuses, soit que l’on fit entrer dans le culte officiel des divinités pour lesquelles on n’avait eu auparavant aucune dévotion, comme nous venons de le voir pour l’Attique, après qu’elle se fût incorporé Éleusis, soit qu’on laissât an moins s’introduire des rites inconnus jusque-là. Le fait d’abolir dans un pays conquis les honneurs rendus à tel ou tel dieu était une profanation qui ne pouvait manquer d’attirer la colère céleste. L’état victorieux trouvait au contraire une garantie dé sa conquête dans l’alliance qu’il contractait avec les divinités de la nation vaincue, et dans la piété avec laquelle il conservait leur culte. Cette adoption pouvait se faire de deux manières : ou bien les vainqueurs transportaient chez eux l’image du dieu, avec le service du temple[49], tout en laissant au culte une place dans l’ancien séjour, ou bien encore cette localité restait le siège principal du nouveau Dieu, où l’on allait le visiter. Quelquefois aussi les conquérants instituaient dans leur capitale un culte copié sur celui des vaincus, et qui s’y rattachait par une sorte de lien filial. Enfin il arriva parfois que les états dépendants qui secouaient le joug ne voulaient pas pour cela rompre avec le culte qui était le leur, et ne reculaient pas, pour le conserver, devant les moyens violents. Ainsi firent les Æginètes : soumis dans l’origine à leur métropole Epidaure, ils ne voulurent pas, lorsqu’ils s’affranchirent de cette subordination, renoncer à la religion des divinités Damia et Auxésia ; ils enlevèrent leurs images, leur construisirent un nouveau sanctuaire à Ægine et instituèrent en leur honneur des fêtes sur le modèle de celles qu’ils avaient célébrées à Épidaure[50]. — La fondation des colonies fut également l’occasion de nombreux changements apportés aux cultes traditionnels : les émigrants emportaient naturellement leurs dieux dans leur nouvelle patrie, nais il était rare qu’ils pussent les servir exactement comme ils le faisaient autrefois. D’ordinaire les colonies étaient un mélange de populations différentes ; cette diversité d’origine est en particulier attestée pour les colonies éoliennes et doriennes. Chaque peuplade tenant à conserver ses croyances et ses pratiques religieuses, il était inévitable que les cultes communs se divisassent, que les cultes distincts se confondissent. Nous avons parlé plus haut d’un culte fondé en l’honneur des οίκισται. Souvent aussi les dieux vénérés dans le pays dont on prenait possession entraient en partage avec les nouveaux venus, et de là résultaient, dans la façon de concevoir les uns et les autres, des accommodements conformes à l’esprit du polythéisme. Dans les divinités que l’on voyait pour la première fois, on croyait reconnaître des divinités nationales, envisagées simplement sous un autre aspect ; on leur appliquait les mêmes noms, on se rattachait à leur culte, et on se faisait un tel scrupule d’y apporter aucun trouble qu’on laissait les sanctuaires mêmes aux mains des anciens desservants. Ainsi les Branchides, sans doute d’origine carienne, étaient restés, à Milet, en possession du sanctuaire d’un dieu dans lequel les Grecs croyaient retrouver leur Apollon[51]. La déesse d’Éphèse fut prise pour une Artémis, et ses prêtres étaient des eunuques, d’après une coutume étrangère aux. Grecs, mais qu’ils avaient trouvée établie. Enfin, à Samos, le culte dominant de Héra, qui n’avait jamais eu cette prépondérance chez les Ioniens, ne s’expliquerait pas, si l’on ne savait que les nouveaux occupants n’avaient fait que se rallier à une religion antérieure[52].

Ajoutons, pour terminer, que des circonstances particulières et souvent accidentelles pouvaient encore avoir pour résultat de faire instituer de nouvelles religions, de modifier celles qui existaient, de faire prédominer un culte ou au contraire de le subordonner à d’autres. Dans la deuxième guerre de Messénie, une prêtresse de Thétis, nommée Cléo, qui portait sur elle une image de la déesse, étant tombée aux mains du roi Anaxander, fut donnée par lui à sa femme Læandris. Avertie par un songe, Læandris obtint que l’on fonderait à Sparte un temple en l’honneur de Thétis, où cette image serait conservée et honorée dans un lieu secret[53]. Ce fut aussi à l’occasion d’un rêve de Pindare, confirmé par l’oracle, que fut introduit à Thèbes le culte de la Mère des dieux[54]. Les Athéniens consacrèrent un autel à la Renommée, Φήφη, en reconnaissance de la rapidité avec laquelle était parvenue la nouvelle de la victoire remportée par Cimon, sur les bords de l’Eurymédon[55], victoire à la suite de laquelle le même honneur fut rendu à la déesse de la Paix[56].

L’histoire du tyran de Sicyone, Clisthène, nous offre un exemple de l’intervention de la politique dans les affaires religieuses[57]. Jusque-là les Sicyoniens avaient grandement honoré un héros argien du nom d’Adrastos, ou plutôt un dieu dégénéré en héros, et cette vénération était un des liens qui rattachaient encore la colonie à la métropole. Clisthène, résolu à rompre l’union des deux villes, tenta pour arriver à ses fins d’abolir le culte d’Adrastos. Interrogé, l’oracle de Delphes blâma le projet de Clisthène, qui imagina d’opposer dans Sicyone à Adrastos un autre héros du camp ennemi, le thébain Ménalippos qui, suivant la légende, devait un jour triompher de son rival argien. A cet effet, il s’adressa aux Thébains et les pria de mettre Ménalippos à sa disposition, ce à quoi ils consentirent. Il fonda donc à Sicyone un culte en l’honneur de ce personnage et reporta sur lui les honneurs rendus antérieurement à Adrastos, dans l’espoir, dit l’historien, que ce dernier céderait la place de lui-même, c’est-à-dire que les Sicyoniens n’y penseraient plus. Ce fut aussi Clisthène qui établit le culte de Dionysos ou qui du moins l’éleva à une dignité nouvelle, en affectant à son service les chœurs qui avaient célébré jusque-là les louanges d’Adrastos. La même transformation du culte de Dionysos se produisit dans d’autres contrées, et peut être considérée comme un effet du soulèvement populaire coutre les prétentions de l’aristocratie. Dionysos était une divinité rustique, beaucoup plus en faveur auprès des paysans qu’auprès de la classe aristocratique des chevaliers[58].

On voit, d’après tout ce qui précède, que les révolutions religieuses n’ont pas fait défaut en Grèce, et qu’elles ont atteint les cultes officiellement reconnus par l’État, aussi bien que les cultes privés, au mépris de ce principe que le meilleur parti était de s’en tenir aux anciennes traditions. Aussi lorsque l’oracle, consulté par les Athéniens sur les formes religieuses qu’ils devaient observer de préférence, se prononça pour celles qui étaient usitées chez les ancêtres, ne manquèrent-ils pas de répliquer que leurs ancêtres en avaient souvent changé[59]. Interrogé de nouveau, l’oracle conseilla de garder les meilleures, leur laissant le soin de démêler quelles étaient celles qui en réalité valaient le mieux. On devine que les appréciations durent varier souvent dans le cours des siècles. Un grand nombre de cultes anciens, très haut placés jadis dans l’estime des peuples, s’ils ne furent pas complètement abolis, du moins perdirent beaucoup de leur considération. Une génération incrédule ou plus éclairée tourna en ridicule ce qui avait semblé respectable à ses devancières. Au siècle d’Aristophane, le mot διπολιώδη[60] servait à désigner les choses surannées et niaises ; ainsi l’antique fête des Dipolies et ses usages symboliques étaient devenus un objet de mépris et de risée.

 

 

 



[1] Stobée, Florileg., tit. 44, 20.

[2] Cf. Platon, Leges, p. 722 D-E.

[3] C’est ce que dit par exemple Critias, dans Sextus Empiricus, IX, c. 54. Voy. aussi Platon, Leges, X, p. 889 E ; Polybe, VI, c. 56 et Markhauser, der Geschichtschreiber Polybius, Munich, 1858, p. 111.

[4] L’empereur Julien parait être le premier qui, pour protéger le paganisme contre les progrès de plus en plus menaçants de la religion chrétienne, fit disposer dans les temples et les écoles des espèces de traités religieux, où les légendes mythologiques, interprétées allégoriquement, servaient à faire passer des principes de morale ou de physique. Voy. Grégoire de Naziance, Or. III, adv. Julianum, p. 103 D, éd. Billig, Cologne, 1690 ; saint Augustin, ep. 202 (t. II, p. 825 des Œuvres complètes), et de Civit. Dei, II, c, 6 et 26, d’où il résulte que cet usage ne devint jamais général et qu’il cessa bientôt.

[5] Autrefois on dérivait ordinairement ίερός de ίημι, et l’on en concluait que ce mot désigne ce qui est offert et consacré aux dieux. La philologie comparée tient aujourd’hui pour certain que ίερός ; n’est autre que le mot sanscrit isharas, qui n’a pas cependant le sens de ίερός ; et signifie simplement actif, fort, puissant. Voy. Kuhn’s Zeitschrift, t. III, p. 154, et G. Curtius, Griech. Etymol., t. II, p. 131 et 368.

[6] Xénophon, Memor., I, c. 2, § 62, cf. Apolog., c. 25 ; Lycurgue, c. Léocrate, § 65 ; Ælien, Var. Hist., V, c. 17 ; voy. aussi Meyer et Schœmann, att. Process, p. 361. Sur le respect qu’inspirait généralement le droit de propriété des dieux et sur les atteintes qu’il cul à subir des états ou des tyrans. Vov. Bœckh, Staatshaush., t. I, p. 774.

[7] Andocide, de Myster., p. 17, 34, 511 et 55.

[8] Thucydide, IV, c. 97.

[9] Disc. c. Neæra, p. 1384, Hypéride, dans les Orat. att., Zurich, t. II, p. 302.

[10] Schol. de Démosthène, de falsa Legat., p. 431, et c. Aristogiton, I, p. 793.

[11] Diogène Laërte, IX, c. 8 ; Cicéron, de Nat. Deorum, I, c. 23.

[12] Krateros, cité par le Schol. d’Aristophane, Ranæ, v. 323 ; Diodore, VIII, c. 6.

[13] Diogène Laërte, II, c. 3 ; Plutarque, Nicias, c. 23.

[14] Diogène Laërte, II, c. 11.

[15] Diogène Laërte, II, c. 8, § 101.

[16] Lycurgue, c. Léocrate, § 15 ; Pausanias, I, c. 24, § 3 ; Acta Apostol., c. 17, v. 22.

[17] Démosthène, c. Androtion, p. 601 ; Lysias, c. Andocide, p. 204.

[18] Ils sont énumérés dans Meier et Schœmann, Att. Process, p. 301 et suiv. On peut voir aussi, sur les poursuites dirigées contre Æschyle, Schneidewin, dans le Philologus, t. III, p. 366, et sur l’accusation dont Aristote fut l’objet, A. Schæfer, Demosthenes und Seine Zeit, t. III, p. 329

[19] On peut rappeler à cette occasion les mystères chrétiens du moyen âge : Dans ces mystères, dit Lewes (über Gœthe, t. II, p. 370 de la trad. allem.), on est surpris de voir à côté de choses qui révèlent un sens moral très élevé, des grossièretés qui, dans les idées modernes, pourraient être facilement prises pour une injure faite à Dieu. Les choses sacrées étaient livrées en pâture à la bouffonnerie populaire et devenaient la matière de plaisanteries et de contes qui de nos jours feraient frémir les lecteurs dévots. Assurément personne ne songeait à mal. Les mystères étaient des couvres naïves, que les assistants accueillaient avec la même naïveté. Ce que dit Bernhardy (Griech. Litter., t. II, p. 548) contre le rapprochement des mystères et de l’ancienne comédie n’empêche pas qu’il n’y ait analogie sur ce point. Voy. aussi Welcker, Gœtterlehre, t. II, p. 97.

[20] Voy. Nægelsbach, Nachhomer. Theologie, p. 475, et Zeller, Philos. der Griechen, t. II, p. 23.

[21] Porphyre, de Abstin., II, c. 18 ; voy. aussi Gœttling, dans son édit. d’Hésiode, fr. n° 185, p. 293.

[22] Sur Dracon, on peut consulter Porphyre, ibid., IV, c. 22 ; sur l’oracle de Delphes, Cicéron, de Legibus, II, c. 16 et 40.

[23] Xénophon, Memorab., V, c. 3, § 16.

[24] Voy. Nægelsbach, ibid., p. 201, et Welcker, ibid., t. II, p. 33.

[25] Strabon, X, p. 471.

[26] Voy. Schœmann, de Comitiis Athen., p. 299, et Th. Bergk, de Relig. Comœd. atticæ, p. 109.

[27] Excepté peut-être dans un passage du traité de Josèphe contre Apion, II, c. 37, mais j’ai eu l’occasion, dans ma dissertation de Religionibus exteris ap. Athen., Gryphiæ, 1857 (Opusc., t. III), de montrer combien ce témoignage a peu d’autorité.

[28] Démosthène, de falsa Legat., p. 431, § 281, et c. Aristogiton, I, p. 793 ; Plutarque, Démosthène, c. 14 ; Photius et Suidas, v. s μητραγύτης. Ces exemples ont été discutés aussi dans la dissertation de Relig. exter.

[29] Platon, de Republ., I, init. ; il est question dans ce passage d’une course aux flambeaux, exécutée par des cavaliers dans les fêtes solennelles : mais cet usage parait avoir cessé bientôt et les témoignages concernant la période classique ne parlent de courses aux flambeaux qu’à l’occasion des Panathénées, des Héphæsties et des Prométhées ; voy. les remarques de Schœmann sur Isée, p. 350, et Preller, ad Polemonem, p. 41. Plus tard, ces courses paraissent s’être multipliées, car des inscriptions datant de la période macédonienne et de la période romaine nous apprennent que des exercices de ce genre étaient pratiqués aussi dans les fêtes en l’honneur de Thésée et dans l’έπιτάφιος άγών ; voy, le Philistor, t. II, p. 132 et 187.

[30] Schol. d’Aristophane, Plutus, v. 431.

[31] Le Schol. de Démosthène (p. 47, édit. de Zurich) dit aussi que le Métroon fut construit διά τήν αίτίαν έκείνου τοΰ Φρυγός.

[32] Sur les Kotvtties, voy. Lobeck, Aglaoph., t. II, p. 1007 et suiv. Nous reviendrons plus loin sur les Sabazies et les Adonies.

[33] Platon, de Republ., IV, p. 427 B.

[34] Ælien, Var. Hist., t. V, c. 12 ; Athénée, VI, c. 58, p. 251 ; Plutarque, Démétrius, c. 10 et suiv.

[35] Tite-Live, t. XXXI, c. 44.

[36] Voy. Schœmann, de Relig. exter. (Opusc., t. III, p. 439.) L’usage des courses aux flambeaux ne paraît pas s’être conservé dans cette fête, non plus que dans celle qui était célébrée en l’honneur de la déesse Bendis.

[37] Hérodote, VII, c. 189. Sur l’introduction du culte de Borée à Thurii, amenée par les mêmes motifs, voy. Ælien, Var. hist., XII, c. 61.

[38] Voy. Bœckh, Staatshaush., t. II, p. 132. Dans une inscription athénienne, datant de la guerre du Péloponnèse, vers l’olymp. 93, 3, est mentionné un θεός ξενικός έν... (l’indication du lieu manque), au trésor duquel l’État aurait emprunté de l’argent ; il est impossible de deviner de quel dieu il s’agit. On peut supposer cependant que son sanctuaire était situé non pas à Athènes, mais dans quelque dème, ainsi que ceux de plusieurs autres divinités citées dans la même inscription. Leur culte n’était donc pas adopté par l’État. L’inscription a été publiée et commentée par Bœckh, dans les comptes rendus mensuels de l’Académie de Berlin, 1853, p. 557 et suiv. et reproduite par Rangabé, Antiq. hellen., t. II, n° 2253.

[39] Voy. Schœmann, de Apoll. custode Athen., dans les Opusc., t. I, p. 321, et 348 ; Welcker, Gœtterl., t. I, p. 492, et t. II, p. 44.

[40] Pausanias, I, c. 14, § 7.

[41] Pausanias, I, c. 2, § 4. Gerhard, dans une dissertation sur les Anthestéries (Mémoires de l’Acad. de Berlin, 1858, p. 156) mentionne dans l’Attique un dieu du vin cécropique, que nous avouons nous être complètement inconnu. Tous les indices que l’on peut relever en dehors de ceux dont il est question ci-dessus, et qui tendraient à prouver que le culte de Dionysos aurait été introduit plus tôt en Attique, ont été recueillis et très savamment discutés par O. Ribbeck, Anfänge und Entwick, des Dionysoscultus in Attika, Kiel, 1869.

[42] Voy. Preller, Demeter und Persephone, p. 29.

[43] Hérodote, II, c. 171. Voy. aussi Sauppe, ueb. die Mysterien-inschr, von Andania, dans les Mémoires de l’Académie de Gœttingue, t. VIII, p. 220.

[44] Étienne de Byzance, s. v. Κόρινθος ; Eustathe, ad Iliadem, Il, v. 570. Voy. aussi Schœmann, Opusc., t. II, p. 191.

[45] Voy. E. Curtius, Peloponnesos, t. II, p. 533.

[46] Lex. de Spirit., p. 223 b ; voy. aussi Lentz, dans le Philologus, suppl. I, p. 657 ; O. Muller, Proleg., p. 224 ; Duncker, Gesch. des Alterth., t. III, p. 176. A vrai dire, cette conjecture est très incertaine, et l’autre explication, d’après laquelle le nom d’Ήλις, serait dérivé de έλος, vallis, a plus de chance d’être vraie ; voy. G. Curtius, griech. Etymol., t. I, p. 327, n° 530.

[47] Iliade, XI, v. 740.

[48] Dans l’Etymol. Magnum, p. 426, 18, est mentionné un autel commun à ces deux divinités, qui n’a aucun rapport avec le Dodekathéon.

[49] Par exemple, les habitants de Cyzique, lorsqu’il s’annexèrent l’île de Proconnèse, transportèrent chez eux la statue de la mère des Dieux (Pausanias, VIII, c. 46, § 2). Les Argiens, après la destruction de Mycène, firent de même pour la statue de Véra et probablement aussi pour celles d’autres dieux. (Ibid, II, c. 17, § 5.)

[50] Hérodote, V, c. 83. Damia et Auxésia ont été reconnues être les mêmes que Déméter et Perséphone ; voy. le Schol, d’Aristide, Panalhen., p. 598, éd. Dindorf ; Preller, griech. Mythol., t. I, p. 588, On peut douter cependant que le premier nom dérive de δά identique à γή. D’autre part, l’opinion que j’ai émise dans le Philologus (t. XXI, p. 597), à savoir que Δαμίς équivaut à Ζημίς et signifie la déesse vengeresse, me parait aujourd’hui manquer aussi de vraisemblance.

[51] Voy. Schœmann, Opusc., t. I, p. 338.

[52] Voy. Duncker, Gesch. des Allerth., t. IV, p. 104. D’après Athénée, (XV, c. 12, p. 672), le culte de Héra n’existait plus à Samos, dès le temps des Lélèges. La conjecture de Welcker (Gœtterl., t. I, p. 385), touchant l’introduction de ce celte par les Epidauriens que Proclès conduisit à Samos, repose sur l’opinion que ces Épidauriens étaient de souche dorienne, tandis qu’ils étaient des Ioniens refoulés par les Doriens.

[53] Pausanias, III, c. 14, § 4.

[54] Schol. de Pindare, Pyth., III, v. 137.

[55] Schol. d’Æschine, c. Timarque, p. 742.

[56] Plutarque, Cimon, c. 13. Bœckh (Staatshaush., t. II, p. 131) a démontré l’erreur de Cornélius Nepos (Timothée, c. 2). Il résulte toutefois d’un passage d’Isocrate (de Permut., § 110) que le culte de la déesse Έιρήνη était florissant au temps de Timothée ; voy. Stark, dans les Mémoires dell’ Inst. di Corresp. archeol., t. II, p. 255.

[57] Hérodote, V, c. 67. Voy. aussi Duncker, Gesch. des Alterth., t. IV, p. 43.

[58] Voy. Duncker, ibid., p. 20.

[59] Cicéron, de Legibus, II, c. 16.

[60] Aristophane, les Nuées, v. 984.