ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — TROISIÈME SECTION. — CONSTITUTIONS DES PRINCIPAUX ÉTATS DE LA GRÈCE.

CHAPITRE PREMIER. — CONSTITUTION DE SPARTE.

 

 

§ 7. — Les Assemblées du Peuple.

Il n’est pas douteux qu’il y ait eu des Assemblées du peuple à Sparte, ayant Lycurgue ; on en a vu déjà dans les temps héroïques. Lycurgue n’eut qu’à régler leurs attributions et les conditions de leur existence. Les citoyens étaient convoqués à des époques fixes, qui, suivant le témoignage d’un grammairien, revenaient tous les mois à la pleine lune[1]. Les réunions avaient lieu dans l’espace qui enfermait les cinq cômes de Sparte, espace compris lui-même entre la rivière du Knacion et, le pont Babyka[2]. Plus tard, on ne sait au juste en quel temps, le peuple s’assembla dans un bâtiment attenant à l’Agora et appelé Skias, qui avait été construit par un architecte samien, Théodoros, vers la XLVe olympiade. A l’origine, les Assemblées se tenaient en plein air, dans un emplacement dépourvu de tout ornement architectural, où il n’y avait pas même de sièges pour s’asseoir. Les citoyens romains restaient aussi debout dans leurs comices, mais l’usage contraire s’était établi dans la plupart des villes grecques. A partir de leur 30e année, tous les Spartiates en possession de leurs droits civiques étaient admis à fréquenter les Assemblées. Cette prérogative n’était pas non plus complètement refusée aux descendants des Colons envoyés dans les villes des Périèques, bien qu’ils ne fussent plus Spartiates dans toute l’acception du terme, c’est-à-dire όμοΐοι : ils pouvaient assister à certaines réunions ; peut-être était-il besoin d’une invitation spéciale[3]. Les convocations extraordinaires, sinon les autres, étaient faites par les rois ; plus tard elles le furent aussi par les éphores. Une seule fois il est fait mention d’une réunion restreinte (μικρά έκκλησία)[4]. On aurait tort d’entendre par là, comme l’ont proposé plusieurs critiques, un Conseil composé seulement des sénateurs, des éphores et de quelques autres magistrats, que les Grecs n’auraient probablement pas désignés sous le nom d’έκκλησία ; il s’agit sans aucun cloute d’une assemblée à laquelle n’assistaient que les όμοΐοι présents à Sparte, et peut-être seulement les plus âgés. L’ordre du jour était fixé par le travail préparatoire de la γερουσία, soit que les sénateurs eussent pris eux-mêmes un parti que l’Assemblée était mise en demeure d’accepter ou de rejeter, soit que le peuple eût à choisir librement entre plusieurs propositions. Souvent aussi l’Assemblée se bornait à discuter, sans passer au vote ; c’était un moyen d’éclairer le peuple ou de sonder ses dispositions pour plus tard soumettre la question au Sénat, qui la renvoyait à l’Assemblée[5]. Le droit de faire des motions ou de prendre une part active aux débats n’appartenait légalement qu’aux rois, aux sénateurs et plus tard aux éphores ; les autres assistants ne pouvaient le faire sans une autorisation spéciale[6]. Parmi les objets laissés à l’arbitre de l’Assemblée, les historiens citent les élections des magistrats et des sénateurs, les conflits entre les prétendants au trône, les questions de paix ou de guerre, les traités, enfin diverses mesures législatives, entre lesquelles nous ne pouvons distinguer les dispositions qui dès l’origine étaient soumises au peuple et celles qui devinrent plus tard de son ressort, non plus que les questions qui devaient être portées devant la grande et devant la petite assemblée[7]. La législation proprement dite était si peu mobile à Sparte que le peuple avait beaucoup moins à faire de ce chef que partout ailleurs. Si nous laissons de côté les attributions dont s’accrut peu à peu l’autorité des éphores, et qui purent difficilement se passer de la sanction populaire, nous ne trouvons, jusqu’au temps d’Agis et de Cléomène, d’autre mesure législative devant émaner du peuple que l’autorisation de conserver de l’or et de l’argent dans le trésor royal, et la loi d’Epitadeus, qui permit d’aliéner les biens patrimoniaux. — Le peuple ne manifestait son sentiment ni par des jetons ou des cailloux ni, suivant un usage général dans les autres pays, où levant la main, mais de vive voix, par acclamations. Dans le cas seulement où le vœu de la majorité n’apparaissait pas assez clairement, le public se partageait en différents groupes[8]. D’après les dispositions de Lycurgue, l’Assemblée n’avait que le droit d’accepter ou de rejeter purement et simplement les motions du Sénat. Plus tard, on se relâcha de cette rigueur : le peuple put modifier les projets de loi ou en proposer de contraires, mais Théopompos et Polydoros établirent que dans ce cas les rois et le Sénat avaient la ressource de couper court aux débats en retirant leurs propositions, ce qui fit rentrer dans ses anciennes limites la puissance des Assemblées populaires[9]. L’institution des éphores, qui fait l’objet dit paragraphe suivant, dut être un dédommagement à cette diminution d’autorité.

 

 

 



[1] Plutarque (Lycurgue, 6) cite les termes textuels de la ρήτρα : ώρας έξ ώρας άπελλάζειν ; or le Scholiaste de Thucydide (I, 67) déclare que le temps exprimé par le mot ώρα est la pleine lune. Άπελλάζειν, de άπελλά, se rattache à άόλλης, de Ϝείλω, par le changement du Ϝ en π ; voy. Ahrens, de Dial. Dor., p. 54. De la même racine provient le mot άλία, par lequel était habituellement désignée l’assemblée populaire chez les Doriens, et qu’Hérodote applique à celle des Spartiates (VII, 434).

[2] Voy. Urlichs, dans le Neues Rhein. Museum, VI, 1847, p. 216, où il est question aussi de l’emplacement appelé σκίας, dans lequel l’assemblée se réunissait, d’après Pausanias (III, 13, § 8).

[3] A cette circonstance se rapporte peut-être l’expression οί έκκλητοι τών Λακεδαιμονίων, bien qu’elle puisse aussi s’expliquer autrement.

[4] Xénophon, Hellen., III, 3, § 8.

[5] A propos de cette manière de procéder qui ne s’appuie pas sur des témoignages précis, mais peut se déduire de passages épars, voy. Schœmann, de Eccles. Lacedæm., Gryphiæ, 1836, p. 20, ou Opusc., Academ., I, p. 106.

[6] Voy. Hermann, Staatsalt., § 25.

[7] L’affranchissement des Hilotes et la concession du droit de cité aux étrangers rentraient vraisemblablement aussi dans la compétence de l’Assemblée, bien qu’aucun texte ne l’établisse.

[8] Thucydide, I, 87.

[9] Voy. Urlichs, Rhein. Museum, 1847, p. ?31.