ANTIQUITÉS GRECQUES

DEUXIÈME PARTIE. — LA GRÈCE HISTORIQUE — PREMIÈRE SECTION. — CARACTÈRE GÉNÉRAL DE LA CITÉ GRECQUE.

CHAPITRE TROISIÈME. — DES FORMES PRINCIPALES DE GOUVERNEMENT.

 

 

La participation aux trois pouvoirs politiques est susceptible d’être réglée de différentes manières, d’où résultent, différentes formes de gouvernement qui peuvent se ramener à trois divisions principales : Monarchie, Oligarchie, Démocratie. La Monarchie est le gouvernement où les trois pouvoirs sont réunis aux mains d’un dépositaire unique. Sans doute, un seul homme ne saurait exercer tous ces pouvoirs dans leur plénitude : il doit s’entourer de ministres et de délégués ; des Conseils délibèrent avec lui sur les mesures à prendre ; il installe des tribunaux, pour punir les infractions aux lois et régler les différends ; mais comme tous ceux qu’il appelle à son aide sont ses agents, qu’ils n’ont d’autre autorité que celle dont il les investit, et sont responsables envers lui de l’usage qu’ils en font, il est bien en réalité le maître unique et souverain de l’État. A vrai dire, il n’y a pas d’exemple chez les Grecs de cette puissance absolue qu’Aristote appelle παμβασιλεία[1]. Elle n’a existé à l’origine que dans les contrées de l’Orient, et plus tard chez les Romains, sous la forme du césarisme. La monarchie grecque, telle que la représente Homère ou que la décrivent les historiens, était un gouvernement très tempéré. De toute part, le souverain était entouré d’hommes admis à partager ses honneurs et sa puissance. La royauté consistait uniquement en ceci, que le roi était le premier des dignitaires, et que certaines fonctions, comme le commandement des armées et la présidence des sacrifices publics, lui étaient exclusivement dévolues. La monarchie absolue n’a jamais fait en Grèce que des apparitions passagères, lorsque, au milieu des partis déchaînés, un citoyen s’emparait du pouvoir par force ou par adresse, quelquefois aussi avec l’assentiment du peuple. Nous aurons l’occasion plus tard de citer des exemples de ces révolutions. — L’Oligarchie, ou gouvernement de quelques-uns, est celui dans lequel une partie des citoyens, relativement peu nombreuse, est en possession du pouvoir, par privilège exclusif, ou en détient au moins la majeure partie. La faveur dont les oligarques sont l’objet repose sur la naissance ou sur la fortune, quelquefois aussi sur ce double avantage, ce qui explique assez leur infériorité numérique[2]. — Enfin, on appelle Démocratie le gouvernement d’où tous les privilèges sont bannis, où tous les citoyens ont des droits égaux à exercer une part de la puissance publique.

L’Oligarchie et la Démocratie sont susceptibles de telles modifications que l’on ne voit pas toujours avec netteté dans quelle division rentrent certaines formes de gouvernement composées d’éléments divers. Dans l’Oligarchie, par exemple, quelques privilégiés peuvent seuls exercer les fonctions supérieures, mais le peuple a le droit de choisir parmi eux ceux qui doivent les exercer, ou bien la Constitution réserve au peuple une part dans les délibérations, de telle. sorte que la classe dominante n’a que l’initiative et la direction des débats, avec le droit de sanctionner les décisions prises en commun, Enfin, il existe une troisième combinaison, d’après laquelle une partie au moins du pouvoir judiciaire appartient à la classe non privilégiée. De même dans la Démocratie, tous les citoyens participent en principe à la puissance publique, mais non pas indistinctement. Il existe des classes plus ou moins favorisées, sans que toutefois personne soit exclu, et avec la latitude laissée à tous les citoyens de s’élever d’une classe à une autre. Dans telle Démocratie, où chacun peut, il est vrai, prétendre aux magistratures, participer au pouvoir exécutif ou judiciaire, des précautions sont prises pour que nul n’y parvienne, sans s’être créé des titres aux yeux de ses concitoyens par son habileté ou son mérite. De ces dérogations à la rigueur des principes sont sorties plusieurs dénominations qui gardent toujours quelque chose de flottant et d’indéterminé. Ainsi, lé terme d’Aristocratie, qui signifie, comme on sait, le gouvernement des meilleurs, s’applique souvent à la dernière des formes démocratiques citées plus haut, mais plus souvent encore à l’Oligarchie, pour cette raison que les riches et les nobles ont par surcroît la prétention d’être les plus dignes et les meilleurs. Aristote lui-même concède à l’Oligarchie le nom d’Aristocratie, sous la condition, d’ailleurs assez difficile à remplir, que les privilégiés useront de leurs droits dans l’intérêt général, et non pour leur satisfaction propre[3]. Lorsque l’aptitude des citoyens est calculée d’après les fortunes, le gouvernement est une Timocratie ; on l’appelle même Ploutocratie, quand un cens élevé est la condition des premières magistratures[4]. Dans le cas où toute gradation est supprimée, sans qu’aucune mesure soit prise pour que les plus dignes aient chance d’être les maîtres, où la voie est aplanie à tout le monde, la Démocratie prend le nom d’Ochlocratie, parce qu’elle livre à la foule (όχλος) la direction des affaires[5]. Au contraire, la Démocratie tempérée, celle qui admet des catégories censitaires et prend d’utiles précautions contre les entraînements de la multitude, est désignée par préférence sous le nom de πολιτεία, c’est-à-dire gouvernement de la bourgeoisie[6]. Malheureusement l’insuffisance des témoignages et les altérations successives qu’ont subies les diverses constitutions rendent très difficile de faire rentrer chacune d’elles dans la classe à laquelle elle ressortit.

 

 

 



[1] Politique, III, X, § 2.

[2] Voy. Aristote, Polit., IV, XI, et VI, I, § 2. L’Oligarchie dans laquelle quelques privilégiés exercent une autorité arbitraire, et où les fonctions publiques se transmettent de père en fils, s’appelle proprement δυναστεία. Voy. ibid., IV, V, § 1 et 8 ; V, V, § 9.

[3] Polit., III, V, § 2 ; IV, V, § 2 ; IV, V, § 10 ; morale à Nicomaque, VIII, 12. Voy. Luzac, de Socrate Cive, p. 66-74. Aujourd’hui, on a tellement abusé du mot aristocratie que l’on en a oublié le vrai sens.

[4] Xénophon, Memorab., IV, VI, § 12. On comprend que, dans des gouvernements de ce genre, il était nécessaire d’évaluer périodiquement les fortunes et de modifier les taxes censitaires ; sans ces précautions, le progrès ou la diminution du bien-être public aurait pu avoir pour résultat d’altérer, contrairement au principe de la constitution, la répartition des droits attribués à la qualité de citoyen. Les témoignages précis l’ont défaut en ce qui concerne les gouvernements particuliers, mais la nécessité de ces mesures est reconnue d’une manière générale par Aristote (Polit., V, V, § 11, et VII, § 6. Cf. Platon, les Lois, VI, p. 574 E, et XII, p. 955 E.

[5] Ce nom se présente pour la première fois dans Polybe (VI, IV et VII) ; cependant on trouve déjà dans Thucydide (VI, 89) le mot όχλος opposé à δήμος.

[6] Aristote, Polit., IV, VII, § 1 ; Morale à Nicom., VIII, 12, et IX, 10. Voy. aussi Wesseling, dans ses Notes sur Diodore, XVIII, 74.