ANTIQUITÉS GRECQUES

 

PREMIÈRE PARTIE. — LA GRÈCE HOMÉRIQUE.

 

 

Le sujet des poèmes homériques, la guerre de Troie avec les événements qui s’y rattachent, appartient évidemment au domaine de la fable plus qu’à celui de l’histoire. On a même agité la question de savoir s’il y avait derrière ces traditions un fond de vérité historique ; nous ne partageons pas ce doute. Dans la légende d’un État, proche parent de la Grèce, qui, après avoir jeté un grand éclat en Mysie, finit par succomber sous les coups des Grecs, nous entrevoyons, paré par une imagination brillante, le récit de faits réels, mais remontant à des temps reculés, dont il ne subsistait plus aucune notion précise, et que la poésie seule avait le don de faire revivre. Cette mise en œuvre poétique est de beaucoup antérieure à l’épopée d’Homère. Les aèdes dont les chants nous ont été conservés dans l’Iliade et dans l’Odyssée avaient devant eux une matière sur laquelle s’étaient déjà exercés un grand nombre de devanciers, et qu’ils se bornèrent à reproduire sous une forme appropriée à leur génie. Depuis combien de temps les premiers chanteurs avaient-ils commencé à célébrer ces événements, il est impossible de le dire, aussi bien que de marquer L’intervalle qui les séparait de l’époque à laquelle les faits s’étaient accomplis. Tous les essais des anciens pour fixer les temps de là guerre de Troie reposent sur des généalogies de races nobles ou princières qui prétendaient descendre des héros homériques[1], et sont fondés par conséquent sur deux hypothèses également peu sûres : que ces héros étaient réellement contemporains de la guerre de Troie, et que les généalogies étaient authentiques. Il n’y a pas à s’étonner que des calculs partant de semblables suppositions ne s’accordent pas entre eux ; l’écart était d’environ deux siècles[2]. Ératosthène et Apollodore, dont l’opinion est généralement suivie, fixaient la prise de Troie à l’an 1183 on 1184. Même en s’en tenant à cette date, dont il est d’ailleurs impossible d’admettre l’exactitude, il se serait encore écoulé de deux à trois siècles entre la guerre de Troie et l’époque homérique, puisqu’on est convenu de placer cette période au commencement du IXe siècle, hypothèse qui non plus n’est rien moins que certaine. Ce qui est bien sûr, c’est que les poèmes d’Homère parlent de la guerre de Troie comme de faits déjà lointains, que l’écho de la légende avait seuls révélés aux poètes qui les chantaient[3], et que les héros qu’ils mettent aux prises représentent une génération de beaucoup supérieure à celle dont eux-mêmes faisaient partie[4]. Ces héros sont en commerce direct et intime avec les dieux ; quelques-uns sont leurs fils. Que les aèdes retracent les événements avec la précision de témoins oculaires, que leurs descriptions nous affectent comme des images prises sur le vif, cela prouve non pas le scrupule avec lequel ils se sont conformés à la tradition, mais les facultés poétiques dont ils étaient doués. La poésie, en effet, s’attache à présenter des formes individuelles et vivantes ; elle laisse l’exactitude à l’histoire. Nous avons beau être convaincus que l’âge héroïque auquel remonte la guerre de Troie diffère par beaucoup de côtés essentiels du tableau que nous en donnent les poèmes d’Homère, nous serions fort embarrassés d’en tracer un autre. Sans doute, les premiers aèdes n’ont pas complètement effacé certains traits caractéristiques d’une société différente de la leur, mais en somme l’image qu’ils ont esquissée devait répondre aux conditions dans lesquelles ils vivaient, plutôt qu’à un état de choses depuis longtemps évanoui. Ce que nous pouvons attendre de l’Iliade et de l’Odyssée, c’est donc le tableau poétique de temps plus anciens, reflétés dans la fantaisie des chanteurs, non pas une reproduction fidèle au point de vue de l’histoire[5] ; mais dans l’impossibilité de nous en créer une idée plus exacte, il faut bien nous contenter de celle que nous donne la poésie.

Avant tout, le peuple grec nous parait, chez Homère, aussi loin qu’à aucune époque postérieure d’être uni en un corps politique. Il est vrai que des efforts ont été combinés en vue d’une entreprise commune, la vengeance à tirer de Troie, et le roi de Mycènes, Agamemnon, est généralement reconnu comme le chef suprême d’une armée rassemblée sur tous les points de là Grèce. Cependant, ce prince ne gouverne qu’une partie de la péninsule qui emprunta plus tard le nom de son aïeul Pélops[6], et des îles[7]. Le reste de la Grèce est soumis à des princes indépendants, chacun dans son domaine, qui se sont associés librement pour un but commun, et ne sont tenus de suivre l’armée qu’en raison de l’engagement qu’ils ont pris[8]. Homère toutefois, nous fournit peu d’indications sur la nature du traité qui les lie, non plus que sur les motifs qui ont mis tant de princes en mouvement ; il se borne à nous faire soupçonner que l’enlèvement d’Hélène, et le refus de rendre cette princesse ; bien qu’elle ne demandât pas mieux, furent ressentis non seulement par l’époux outragé, nais par la Grèce entière, comme une injure qu’il fallait venger à tout prix[9]. Les peuples et les chefs alliés sont énumérés par leurs noms dans la partie de l’Iliade connue sous le nom de Catalogue des vaisseaux. On y voit le compte des navires, souvent aussi celui des troupes amenées par chaque prince. D’après le texte que nous possédons, les navires sont au nombre de 1.186, et montés par 102.000 hommes, si l’on adopte les calculs de Thucydide[10]. Toutefois, il ne faut pas demander à ce catalogue d’indications précises sur les divisions de la Grèce et sur les forces de l’armée confédérée, telles que devaient se les représenter, en se reportant à la guerre de Troie, les Rapsodes qui l’ont chantée, car il contredit, en plusieurs passages, celles que nous fournit l’Iliade elle-même, à laquelle il a manifestement été ajouté après coup ; il donne donc tout au plus l’appréciation de l’interpolateur, nullement celle des premiers Rapsodes. On ne peut même supposer que le catalogue ait un auteur unique, car on y relève aussi des contradictions. Il est plus vraisemblable qu’avant le travail de rédaction d’où est sortie l’Iliade dans sa teneur actuelle, des Rapsodes récitaient le dénombrement des vaisseaux de diverses manières, suivant les lieux et les passions de leurs auditeurs, et qu’il a été arrêté dans sa dernière forme, après une recension trop peu attentive des différents textes[11].

La forme de gouvernement que les poèmes homériques présentent comme généralement établie en Grèce est la forme monarchique. Si un État peut subsister tant bien que mat sans roi, comme c’est le cas pour Ithaque, pendant les vingt années que dure L’absence d’Ulysse, c’est que, en vertu d’une sorte de droit divin, cette île est toujours considérée comme placée sous l’autorité du souverain. La royauté, en effet, était de fondation divine. C’est Zeus qui, à l’origine, a institué les rois, les conserve sous la garde de sa providence, et transmet l’autorité de père en fils. Tous les rois d’ailleurs descendent de Zeus ou d’autres divinités, d’où leur vient l’épithète de διοτρεφέες ou διογενέες. Il y a cependant dans chaque Etat, à côté des rois, des chefs en sous-ordre, honorés aussi du nom de dont l’autorité est également placée sous la protection des dieux et consacrée par les mêmes épithètes[12]. Il est impossible de constater historiquement l’origine de la royauté, non plus que de la noblesse qui se groupe autour d’elle ; mais il est facile de comprendre, même sans témoignages explicites, qu’en tous pays, par des moyens divers, suivant les occasions, certains hommes ont dît s’élever au-dessus de la foule, et transmettre à leurs enfants la situation privilégiée qu’ils s’étaient faite. La définition d’Aristote, que la noblesse est une possession héréditaire de richesse et de vertu, s’applique aussi à la noblesse des temps héroïques[13] ; mais la séparation des classes nobles et du peuple (δήμος) parait, chez Homère, moins absolue et moins blessante qu’elle ne le devint plus tard. Dans plusieurs États, les mêmes qualifications honorifiques s’appliquent aux nobles et à des hommes de condition inférieure, le nom d’ήρως par exemple, quoique réservé de préférence aux princes et aux nobles, est aussi attribué à tout membre honorable de la classe populaire[14], et des hommes de condition servile, tels qu’Eumée, chargé de la garde des pourceaux, et le bouvier Philétios, sont appelés δΐοι et θεΐοι, c’est-à-dire doués de l’excellence qui est une marque de la faveur divine[15]. Ces exemples montrent assez que la valeur personnelle paraissait digne de respect, même dans les conditions les plus infimes. Le commerce des grands et des petits est exempt aussi de hauteur et d’obséquiosité ; les relations sont libres, naturelles et humaines. Nulle part on ne sent de barrière infranchissable entre les nobles et les gens du commun. Le droit au mariage entre les différentes classes parait avoir été admis, bien qu’il ne s’en présente pas d’exemples[16].

L’Iliade et l’Odyssée fournissent peu de renseignements précis sur la position faite au roi, en face de la noblesse et du peuple. Ce silence s’explique facilement : dans l’Iliade, le roi n’apparaît que sous un seul aspect, comme chef de l’armée, et l’Odyssée nous montre Ithaque, le seul État, à vrai dire, sur lequel les détails abondent, dans des circonstances très particulières, puisque Ulysse est absent depuis plusieurs années, et que le trône en fait est vacant. Mais enfin, d’après le peu de renseignements que nous donnent ces poèmes, le roi n’est que le premier parmi ses pairs. Les chefs des maisons nobles forment le conseil du souverain (βουλή), et s’appellent βουληφόροι ou βουλευταί ; ils sont aussi désignés sous le nom d’Anciens qui s’applique non pas seulement aux vieillards, mais à tous les hommes considérables. Les affaires importantes sont soumises au conseil des Anciens. Lorsque les Étoliens, pressés parles Curètes, appellent à leur secours Méléagre, ce sont les Anciens qui lui dépêchent une ambassade. Ce sont eux aussi qui, convoqués par Agamemnon, sous les murs de Troie, envoient des députés pour fléchir la colère d’Achille[17]. De même, quand les Messéniens ont enlevé dans Ithaque des troupeaux et des pasteurs, les Anciens, d’accord avec le roi Laërte, chargent Ulysse de les réclamer[18]. Il est difficile de ne pas reconnaître les mêmes personnages dans les ήγήτορες qui, à Pylos, partagent entre les intéressés le butin conquis sur les Éléens, en représaille de leurs brigandages. Enfin, le serment qu’Hector songe un instant à demander aux Troyens, de payer, chacun pour sa part et sans rien céder, la rançon destinée à désarmer les Grecs doit vraisemblablement s’entendre d’un serment prêté par les Anciens au nom du peuple[19].

C’est habituellement à sa table que le roi délibère avec les Anciens. Invite les anciens à un banquet, dit Nestor au fils d’Atrée, dans une des circonstances rapportées plus haut. Lorsque le roi des Phéaciens songe à renvoyer Ulysse dans sa patrie, il dit aux Anciens déjà réunis autour de lui : Demain nous convoquerons les Anciens en plus grand nombre, nous ferons fête à l’étranger, et nous tiendrons conseil, après avoir sacrifié aux dieux. Les choses se passent en effet ainsi le lendemain, et, d’après ce que dit Alcinoüs, on ne fait que se conformer à l’usage[20]. Ce n’est cependant pas toujours ce prince qui exerce l’hospitalité. Dans l’île Schéria, l’autorité est partagée. Alcinoüs parle de douze chefs ; lui-même est le treizième, et sans doute le plus puissant, ce qui n’empêche pas que, dans une autre occasion, il avait été appelé par d’autres à tenir conseil et naturellement invité à un banquet[21]. De même que tout sacrifice suppose un festin, il n’y a pas de festin sans sacrifice[22]. On est autorisé à penser que cette communauté du repas et du service divin concourait à rapprocher dans une entente amicale les hommes appelés à délibérer. Aussi, voyons-nous, en tout temps, les personnages ayant mission de discuter les affaires d’État observer fidèlement la coutume de se réunir dans des banquets.

Souvent aussi on convoque le peuple, moins, il est vrai, pour le consulter sur les circonstances présentes et provoquer un plébiscite que pour lui faire connaître la décision prise par les Anciens. Ainsi Agamemnon assemble les guerriers, afin de leur notifier le départ auquel il feint d’être résolu[23]. Quelquefois aussi on réunit le peuple pour discuter devant lui les mesures à prendre en vue de circonstances importantes, qu’il s’agisse de repousser une attaque de l’ennemi, ou de conjurer un fléau, comme le fait Achille à l’occasion de la peste qui vient d’éclater dans l’armée[24]. Télémaque, dans l’Odyssée, convoque les habitants d’Ithaque, sur le conseil de Mentès, uniquement pour dénoncer eu public les entreprises des prétendants et les forcer de quitter sa demeure[25]. Halithersès témoigne de son intérêt pour Télémaque et conseille aux prétendants de renoncer à leurs violences. Mentès reproche au peuple son inertie, sans parvenir à la secouer. L’un des prétendants, Leocritos, répond par des injures et des menaces, et enjoint à l’assemblée de se séparer ; elle se sépare en effet, sans qu’aucune résolution ait été prise. Ce n’est donc évidemment, de la part de Télémaque, qu’une tentative vaine pour appeler le peuple à son secours[26]. Mentor seul donne suite à la demande qu’a faite Télémaque d’un vaisseau pour le mener à Pylos, et lui cherche des compagnons. Ailleurs les deux Atrides, qui se sont divisés, après la prise de Troie, sur l’opportunité du départ, convoquent aussi une assemblée[27] ; chacun a ses partisans, et l’on se retire sans s’être entendu. On a vu plus haut qu’Alcinoüs réunit les Phéaciens pour leur présenter et leur recommander Ulysse[28]. Il invite les princes et les chefs, à préparer les choses nécessaires pour reconduire ce héros dans sa patrie ; il n’y a ni débats ni conclusion. Enfin, après le massacre des poursuivants, leurs parents en appellent au peuple[29]. L’un demande vengeance ; d’autres prêchent la paix, et sont d’avis que les victimes n’ont eu que ce qu’elles méritaient. Plus de la moitié des assistants se rangent à cet avis et retournent chez eux ; le reste prend les armes. Ulysse et les siens vont à leur rencontre, une bataille s’engage, plusieurs succombent, jusqu’au moment où Athéna intervient entre les combattants et met fin à la mêlée.

Généralement, c’est le roi qui convoque le peuple, après avoir pris conseil des Anciens. Cependant nous voyons dans l’Iliade qu’Achille se charge de ce soin, sans avoir demandé préalablement l’avis d’Agamemnon, et Agamemnon ne se plaint pas que ses droits aient été méconnus. Il n’est pas douteux cependant que les chefs particuliers fussent vis-à-vis du chef suprême à peu près dans le même rapport de subordination que les Anciens. Jusqu’où pouvaient aller leurs prérogatives en pareille occasion ? Homère ne le dit pas. Pour ce qui est d’Ithaque, on ne peut s’étonner qu’en l’absence du roi que personne n’avait mission de remplacer, d’autres prennent sur eux d’assembler le peuple, quand les circonstances le comportent. — La convocation se fait par des hérauts que l’on envoie de tous côtés. On se réunit près du palais ou en tout autre endroit convenable à cet effet : à Ilion, c’est dans la citadelle ; dans l’île de Schéria, sur le port[30]. L’emplacement choisi est pourvu de sièges, sinon pour tout le monde, du moins pour les princes et les nobles[31]. Celui qui veut parler devant le peuple reçoit de la main du héraut un sceptre en forme de bâton, indice de la fonction publique que remplit l’orateur[32]. Il n’y a pas de tribune ; on se place pour parler à l’endroit d’où l’on doit être le plus facilement entendu. Il n’est pas vraisemblable que le droit de tenir le sceptre et de haranguer le peuple appartienne exclusivement aux nobles ; du moins, Homère ne fournit aucun exemple qui le prouve. Ce n’est pas, en effet, comme orateur que Thersite prend la parole ; il ne s’avance pas le sceptre en main ; son discours n’est qu’une sortie arrogante, qu’Ulysse lui fait expier par des injures et des coups, aux applaudissements de toute l’assemblée[33]. Thersite eût-il encore été coupable d’inconvenance, s’il se fût exprimé librement et décemment ? La scène de l’Iliade ne permet pas de se prononcer sur ce point. Ce qu’ailleurs Polydamas dit à Hector, qu’il ne convient pas à un simple citoyen de blâmer l’avis des chefs, ne saurait trancher la question. Il est cependant hors de doute que, dans la règle, les nobles seuls prennent la parole, que le peuple ne vaut que comme multitude, et qu’isolément, aucun de ceux qui le composent ne compte, suivant l’expression d’Ulysse, ni dans les batailles ni dans les Conseils[34]. Nulle part il n’est question d’un vote auquel le peuple ait été formellement admis. L’assemblée ne manifeste que par des cris son assentiment ou son blâme ; toutefois, lorsqu’il s’agit d’une entreprise qui exige le concours du peuple, rien dans Homère ne fait soupçonner que l’on ait un moyen de l’y contraindre.

La seconde fonction de la royauté consiste à rendre la justice. En raison de leur autorité dans le Conseil, les rois sont appelés βουληφόρι ; comme justiciers, ils portent le nom de δικασπόλοι. Ici, encore, les Anciens ont part aux attributions royales ; mais on ne peut discerner, d’après Homère, les questions que le roi se réserve pour lui seul et celles qu’il doit trancher avec l’assistance des Anciens, pas plus qu’on ne peut décider si le choix des Anciens admis à juger appartient au roi ou aux parties. Plusieurs passages prouvent que le droit de rendre la justice est le privilège qui rehausse le plus la royauté aux yeux du peuple. Ulysse ne connaît rien au-dessus de la gloire d’un prince irréprochable et craignant les dieux, qui fait régner la justice parmi ses sujets : , dit-il, le sol fertile produit l’orge et le blé, les arbres sont chargés de fruits, les troupeaux prospèrent, la mer fournit des poissons en abondance ; le peuple est heureux sous les lois bienfaisantes du souverain[35].

La description du bouclier d’Achille contient une scène dont il n’existe pas un autre exemple, et qui peut donner une idée de la forme en laquelle était rendue la justice[36]. Deux hommes plaident pour la rançon d’un meurtre ; l’un affirme avoir tout payé, l’autre nie avoir rien reçu. Les Anciens siègent dans l’enceinte réservée, que l’on peut supposer être une partie de l’Agora. Autour se tient une foule nombreuse qui, bien que sans fonctions judiciaires, prend une part active à ce qui se passe. Aussi les plaideurs ne s’adressent-ils pas uniquement aux Anciens, mais à tous les assistants, qui ne craignent pas de se prononcer par des signes bruyants en faveur de l’une ou l’autre partie, d’où leur vient le nom d’άρωγοί, auxiliaires[37]. Cet usage rappelle les garants du serment dans l’ancien droit germanique[38], avec la différence que les άρωγοί d’Homère n’encourent pas de responsabilité, et que leur intervention n’est soumise à aucune forme régulière. Les plaideurs sont d’accord pour s’en rapporter à la déclaration d’un témoin. Les juges, tenant à la main le bâton des hérauts, se lèvent pour opiner, dans l’ordre des sièges qu’ils occupent. Au milieu d’eux sont placés deux talents d’or, destinés sans doute au vainqueur[39]. Nous retrouvons là quelque chose d’analogue à la παρακαταβολή, que, chez les Athéniens, chacune des parties déposait à l’ouverture des débats, et dont la perte aggravait, à titre d’amende, la situation du plaideur malheureux (pœna temere litigandi). On peut s’étonner que le poète spécifie la matière des deus talents ; il y a là probablement une fiction poétique. L’épopée attribue à l’antiquité héroïque une richesse en métaux précieux au moins fort exagérée. Rien, en tout cas, ne peut nous éclairer sur la valeur réelle de ces talents d’or dont la poésie dispose si libéralement[40].

Une autre fonction des rois est le commandement de l’armée. Suivant quelques critiques, dont nous adoptons volontiers l’avis, c’est au commandement militaire que fait allusion le nom de βασιλεύς, de βάσις et de λεώς[41]. Partout dans l’Iliade, nous voyons l’autorité militaire aux mains des rois. Chacun d’eux conduit les forces de son peuple ; c’est seulement lorsqu’il en est empêché par la maladie ou par l’âge qu’il cède la place à quelque autre prince. Ainsi Achille commande pour son père Pélée, et Médon, fils d’Oïlée, devient provisoirement le chef des troupes placées sous les ordres de Philoctète, lorsque ce prince est laissé malade à Lesbos. Quelques populations cependant obéissent à plusieurs chefs ; mais il y en a d’ordinaire un, le Roi, qui doit être considéré comme le chef suprême, et dont les autres ne sont que les lieutenants. Homère dit expressément que telle est la situation de Sthénélos et d’Euryale vis-à-vis de Diomède[42]. Plusieurs passages établissent que les mêmes rapports existent entre Idoménée et Méryon. Parfois aussi cependant un peuple a plusieurs rois à sa tête ; tel parait avoir été le cas des Épéens[43]. C’est aussi ce que le Catalogue donne à entendre des Minyens d’Orchomène et d’Asplédon, commandés par Ascalaphos et par Ialménos, des insulaires qui reconnaissaient pour chefs Phidippos et Antiphos, et des populations thessaliennes soumises à la double autorité de Podalirios et de Machaon[44]. Pour les cinq chefs des Béotiens, il y a lieu de tenir compte de la tradition conservée par les poètes cycliques, suivant laquelle, après la mort du roi Thersandros, tué en Mysie, son successeur Tisaménos fut laissé dans sa patrie, en raison de son extrême jeunesse ; de sorte que les cinq chefs sont non pas : des rois mais les lieutenants du roi[45]. Il va de soi que les lieutenants et les chefs en sous-ordre étaient toujours pris dans la classe des nobles, auxquels s’applique aussi le nom de βασιλήες. — On ne saurait douter que l’autorité royale, ainsi que le remarque Aristote, ne s’exerçât d’une manière moins absolue dans la guerre que dans la paix. Cela, en effet, est naturel et, si les mots empruntés au poète parle philosophe ne se retrouvent pas dans le texte actuel de l’Iliade, d’autres passages ont au fond le même sens[46]. L’obligation de suivre les rois à la guerre est un devoir auquel on ne peut se refuser, sans encourir le déshonneur et les peines les plus sévères[47]. Chaque maison doit, à ce qu’il paraît, fournir un soldat ; s’il y a plusieurs enfants ; le sort décide[48]. Il n’est cependant pas impossible de se racheter du service militaire[49].

Aux attributions énumérées plus haut il faut joindre, d’après Aristote[50], le soin de présider à ceux des sacrifices publics qui n’avaient pas un caractère sacerdotal. On verra plus tard ce qu’il faut entendre parles sacrifices sacerdotaux. Il est souvent question dans Homère d’offrandes faites par les rois, mais les circonstances varient. Les prémices des champs, que le roi de Calydon, Œnée, négligea d’offrir à Artémis, devaient être l’objet d’un sacrifice solennel[51]. Lorsque, à Pylos, quatre mille cinq cents hommes sont réunis autour du roi, et que l’on offre à Poséidon neuf fois neuf taureaux[52], c’est encore une fête populaire, où il est difficile toutefois de dire dans quelle mesure le roi agit comme sacrificateur. Cérémonie publique aussi, immolation par laquelle le roi des Phéaciens propose de détourner la colère de Poséidon[53]. D’autre part, nous voyons Agamemnon égorger de sa main un taureau, avant la première bataille[54] ; plus tard, c’est lui aussi qui, pour sanctionner la trêve entre les Grecs et les Troyens, coupe de la laine sur la tête des agneaux et les immole[55]. Parmi les sacrifices accomplis par des rois, celui qu’offre Pélée, lorsqu’il envoie Achille à l’armée, et, plus sûrement encore, celui dans lequel Nestor se partage les rôles avec ses fils[56], sont des cérémonies purement domestiques, et rentrent dans le culte intérieur qui partout doit être entretenu, sans le ministère d’un prêtre, par le maître de la maison. On n’immole pas non plus un animal pour la prospérité de la maison, sans y joindre un hommage et une sorte de redevance à la divinité[57]. Alors donc que le roi offre un sacrifice public au nom du peuple, il ne faut pas en conclure qu’il unit à sa qualité de souverain la dignité sacerdotale. Il agit comme chef de l’État, et parce qu’il est vis-à-vis de ses sujets dans le même rapport que le chef de la maison est aux membres de la famille. La constitution de l’État, telle que nous la représentent les poèmes homériques, ne comporte pas une royauté théocratique. On peut, il est vrai, retrouver dans la tradition mythique quelques traces obscures et douteuses de cette double consécration[58] ; mais si, chez Homère, l’autorité souveraine est représentée comme quelque chose de sacré, cela vient uniquement de ce que l’État est marqué de l’empreinte divine, et que les hommes placés à sa tête sont les élus des dieux. De là découle la transmission héréditaire de la royauté, qui ne peut plus être enlevée à la maison que les dieux en ont investie. Le principe généralement admis est que le fils succède au père[59]. S’il y a plusieurs fils, le trône est dévolu à l’aîné. Cependant d’anciennes traditions parlent de partages entre frères ; mais, dans ce cas, l’un d’eux conserve sur les autres une certaine suprématie[60]. Une égale répartition du pouvoir était toujours considérée comme un danger : ούκ άγαθόν πολυκοιρανίη, dit Homère. A défaut de fils, la souveraineté passe au gendre. C’est ainsi que Ménélas est devenu le successeur de Tyndare, par son mariage avec Hélène[61]. A la rigueur, il peut se faire que l’héritier légitime soit exclu du trône ; c’est là toutefois une dérogation grave à l’ordre établi, et la tentative ne peut réussir, à moins que le peuple ne soit désaffectionné et que les dieux ne témoignent leur assentiment par des signes non équivoques[62]. Le roi, une fois en possession du sceptre qu’il tient des dieux, est lui-même considéré comme un dieu, à la condition cependant d’exercer paternellement son autorité ; car il est le pasteur des peuples[63]. Les violences en paroles et en actions auxquelles il peut se laisser aller vis-à-vis de ses inférieurs ne sont acceptées que s’il se montre d’ailleurs énergique et capable du gouvernement[64]. A défaut de ces qualités, mieux vaut pour lui renoncer au trône, comme fit Laërte à Ithaque, lorsque, affaibli par l’âge, il laissa le pouvoir à son fils. Il s’abstint de le reprendre durant l’absence d’Ulysse, content de mener à la campagne un genre de vie qui n’était rien moins que royal. Achille témoigne aussi la crainte que l’âge et la faiblesse de Pélée ne lui permette plus d’exercer le pouvoir[65].

Si, en général, les chefs ne peuvent pas, sans de grandes richesses, maintenir leur situation, à plus forte raison le roi a besoin d’un état considérable pour faire honneur à sa dignité et subvenir aux exigences de ses fonctions. Sans compter sa fortune particulière, les revenus du domaine royal, les impôts et les offrandes de ses sujets lui en fournissent les moyens. Le domaine royal est désigné sous le nom de τέμενος qui proprement signifie enceinte, et est distingué nettement du domaine privé. Sarpédon cite le τέμενος dont il jouit en commun avec Glaucos parmi les avantages attachés à la royauté. Lorsque le roi Iobate accorde à Bellérophon sa fille et le partage de l’empire, les Lyciens offrent à ce prince un τέμενος[66]. Dans l’Iliade, Agamemnon promet de remettre à Achille sept villes, dont les habitants devront lui faire des présents et lui payer des tributs. De même, dans l’Odyssée, Ménélas déclare que si Ulysse fût venu lui demander asile, il eût volontiers distrait une ville de ses États, sauf à en transporter ailleurs les habitants, pour la lui donner comme un lieu de refuge à lui et aux siens[67]. Ces deux passages supposent bien que Ménélas et Agamemnon avaient aussi un domaine privé, dont ils disposaient selon leur bon plaisir. Il n’est, pas impossible que les poètes aient eu connaissance de ce qui existait dans le Péloponnèse, où les Pélopides, qui régnaient sur des populations conquises, possédaient en propre de vastes étendues de territoire ; mais l’abandon que fait Iobate à Bellérophon de la moitié de son empire, et la concession d’un τέμενος que les Lyciens joignent à cette faveur, doivent s’entendre en ce sens que Bellérophon est associé comme vice-roi à la souveraine puissance’ avec l’assentiment des Anciens. C’est sans doute en la même qualité que Phénix obtient de Pélée de régner sur une partie de ses États. Enfin, dans le royaume de Ménélas, à Phères, nous trouvons encore un vice-roi, Dioclès, fils d’Orsilochos[68].

Les tributs que les sujets doivent payer aux rois sont appelés δωτΐναι et θέμιστες. Le dernier de ces mots désigne sans doute les impôts régulièrement établis, tandis que le premier s’applique de préférence aux dons volontaires et accidentels, tels que ceux que Polydecte, roi de Sériphe, réclame à l’occasion de son mariage avec Danaé[69]. D’après un témoignage plus récent, les rois auraient perçu la dîme[70]. Il était assez naturel, en effet, que, si des villes entières et de vastes étendues de terrain étaient la propriété personnelle des rois, les habitants de ces contrées versassent entre leurs mains une part de leur revenu, tandis que l’on en était quitte ailleurs pour des présents offerts dans des occasions solennelles. Il est à noter aussi qu’en temps de guerre le roi prélevait une part honorifique sur le butin et que, dans les repas en commun, il avait droit non seulement à une place distincte, mais aussi à des portions plus copieuses et à des coupes plus larges[71].

Nulle part, il n’est question de vêtements ou d’ornements spéciaux, comme signes extérieurs de la royauté. Souvent, il est vrai, on cite des vêtements et des tapis de pourpre, et d’autres objets de même couleur. Télémaque et Ulysse se présentent couverts de manteaux de pourpre. Ulysse raconte qu’il a reçu de son hôte une tunique de pourpre, lorsqu’il visita la Crète[72]. Hélène fait étendre des couvertures de pourpre sur le lit de ses hôtes. Achille prend le même soin pour Priam, lorsque ce prince vint à lui en suppliant[73]. Les sièges, dans la tente d’Achille, comme dans le palais de Circé et dans la maison d’Ulysse, sont recouverts de tapis de pourpre[74]. Dans l’île de Schéria, la reine Arêtê file une quenouille teinte en pourpre, et de jeunes Phéaciens jouent avec un ballon de même couleur. Enfin les Nymphes tissent des étoffes de pourpre[75] ; mais de tous ces exemples une seule chose est à conclure, à savoir que cette couleur était, comme la plus belle et la plus chère, attribuée de préférence aux rois et aux dieux. Nulle part il n’est dit qu’elle fut une marqué distinctive à laquelle ne pouvaient prétendre ceux qui avaient le moyen de la payer. — Il n’y a pas trace non plus de diadèmes, de couronnes ou autres ornements semblables. On sait d’ailleurs, que les princes grecs n’ont porté aucun ornement de ce genre jusqu’au règne d’Alexandre et de ses successeurs[76]. Le sceptre est le symbole unique de la, puissance royale, ainsi que l’indiquent l’épithète de σκηπτοΰχοι et les passages dans lesquels le mot σκήπτρον est envoyé comme synonyme de souveraineté. Les peuples sont soumis au sceptre ; c’est devant le sceptre qu’ils déposent leurs tributs[77]. Le souverain ne se sépare pas de son sceptre, même lorsqu’il ne fait pas fonction de roi. Sur le bouclier d’Achille, un roi est représenté regardant travailler des moissonneurs ; il a son sceptre à la main[78]. Mais comme le mot σκήπτρον, de même que scipio en latin, désigne, à proprement parler, un bâton, dont l’usage ne pouvait être interdit à personne, comme le bâton du mendiant s’appelait de ce nom aussi bien que le bâton du roi[79], il fallait bien que le second se distinguât par sa forme et les ornements qui le rehaussaient. Le sceptre royal est en or, mais un passage de l’Iliade permet de supposer qu’il faut simplement entendre par là : orné de clous ou de reliefs d’or[80]. Les prêtres, les devins et les hérauts portaient le sceptre, et celui des prêtres était aussi orné d’or ; il est donc évident que le sceptre était en général la marque à laquelle on reconnaissait les hommes élevés eu dignité et revêtus d’un office public. Il y aurait peu d’intérêt à rechercher l’origine de cette attribution, et la question, d’ailleurs, serait difficile à résoudre[81]. Comme Ulysse se sert une fois de son sceptre pour en frapper Thersite, on a supposé que ce pouvait être un signe extérieur de la puissance vengeresse ; cette interprétation s’appliquerait difficilement au bâton des hérauts, moins encore à celui des prêtres et des devins. D’autres ont voulu y voir une houlette, par la raison que les rois sont les pasteurs des peuples. Nous serions plutôt tenté de croire, puisque le bâton est surtout un appui pour les vieillards et que l’âge est une sorte de dignité, que l’idée de dignité s’est naturellement attachée au sceptre. Ajoutons que, lorsque l’occasion se présente de haranguer la foule ou de traiter avec elle, il peut être commode d’avoir un bâton, soit pour accentuer la parole, soit simplement pour se donner une contenance. — L’ancien sceptre était un bâton d’une certaine longueur, assez semblable à une lance d’où lui est venu le nom grec de δόρυ, et en latin celui de hasta pura[82].

Il n’y a point de trace, dans Homère, de domesticité attachée à la personne du roi, en tant que roi ; il est servi par ses esclaves, ainsi que tout riche particulier. Cette simplicité s’est conservée à travers les âges, car Tacite remarque que, même à Rome, les premiers Césars n’entretenaient que de modesta servilia[83]. Seuls, les hérauts peuvent être considérés comme les serviteurs publics et officiels du souverain. Ils sont rangés parmi les hommes dont les fonctions ont un caractère d’utilité générale. Ils sont libres, quelquefois même opulents, comme le Troyen Eumède, le père de Dolon. Ils ne vivent pas chez le roi, confondus avec les esclaves, et habitent leur propre maison. D’après le degré d’intelligence que de telles fonctions exigent, et qui est expressément reconnu à plusieurs d’entre eux, il est probable que l’on choisissait, c’est-à-dire que le roi choisissait ceux qui y paraissaient le plus propres[84]. D’anciens critiques ont supposé que ces charges étaient héréditaires[85], les poèmes homériques ne confirment pas cette conjecture. Plus tard cependant, on trouve des familles dont les membres se succèdent en qualité de hérauts. La mission du héraut, comme celle du roi, est spécialement placée sous la surveillance et sous la protection de la divinité. Il est chéri de Zeus ; il est le messager de ce dieu, et, comme tel, réputé inviolable, même chez les ennemis[86] ; aussi est-il envoyé en ambassade dans le camp opposé, soit seul, soit avec d’autres. Ce sont les hérauts qui convoquent les assemblées, veillent à ce que tout se passe avec calme et présentent le sceptre aux orateurs qui se lèvent pour prendre la parole. De même ils assistent aux débats judiciaires, et c’est de leurs mains aussi que les juges reçoivent leur sceptre. Enfin ils ont leur place marquée dans les sacrifices offerts par les princes : ils amènent les victimes et prêtent leur concours à la cérémonie. Cela n’empêche pas qu’ils soient chargés d’œuvres serviles dans les habitations des rois, en particulier à l’occasion des festins. Il est vrai que ces soins sont partagés par des hôtes choisis entre les Anciens. En un mot, les hérauts sont, dans la plus large acception, les compagnons et les suivants des rois[87].

Ce même nom de Thérapontes sert à désigner des hommes de race noble et même de famille princière, admis dans l’intimité du roi et toujours prêts à lui témoigner leur dévouement à la guerre. Tandis que le roi, monté sur un char, tient les rênes, ce sont eux qui conduisent les chevaux. Ainsi fait Méryon pour Idoménée, bien que lui-même ait des troupes auxquelles il commande ; ainsi Patrocle et Automédon pour Achille, et Thrasymèle pour Sarpédon[88]. Durant la paix, les Thérapontes assistent le roi dans ses fonctions. Il n’existe pas encore d’administration organisée. Le roi est, avec les Anciens, le dépositaire de l’autorité administrative et de la puissance exécutive ; tous délibèrent et cherchent ensemble le moyen d’accomplir les résolutions communes.

C’est seulement pour les affaires religieuses qu’il existe un personnel distinct du roi et de ses conseillers. Les prêtres qui président au culte dans le sanctuaire de telle ou telle divinité peuvent être considérés, jusqu’à un certain point, comme des fonctionnaires publics. Les sanctuaires sont ou des temples ou des autels dressés en plein air, entourés ordinairement  d’un bosquet et toujours d’une enceinte qui est la propriété du dieu. Les poèmes d’Homère ne mentionnent que le temple d’Athéna dans Athènes, et celui d’Apollon à Pytho ou Delphes[89]. On peut cependant inférer sûrement d’un passage de l’Odyssée qu’il n’y avait pas de ville sans temple. Le poète raconte en ces termes comment la ville des Phéaciens fut fondée par Nausithoos : Il traça une enceinte, bâtit des maisons et des temples, et partagea les terres[90]. Les compagnons d’Ulysse promettent d’élever un jour un temple magnifique au soleil, en réparation de l’injure qu’ils se préparent à lui faire[91]. L’histoire mythique fait remonter aux âges héroïques la fondation de plusieurs temples célèbres. Pour nous borner à la Grèce, un autel entouré d’une enceinte consacrée avait été élevé au fleuve Spercheios, dans la Phthiotide ; deux autres existaient à Ithaque, en l’honneur des Nymphes et d’Apollon[92]. Les prêtres président à ces sanctuaires dans lesquels ils vaquent au service divin, et sans doute leur intervention est nécessaire pour les sacrifices qui y sont accomplis par d’autres, mais leur compétence sacerdotale expire hors de ces limites. La présence d’aucun prêtre n’est signalée dans les cérémonies extérieures, qu’il s’agisse de sacrifices domestiques ou même de sacrifices publics, offerts pour le peuple par les rois, en tant que chefs de l’État. Leur importance se mesure à la vénération dont jouit le sanctuaire auquel leur office est borné. Il n’existe d’ailleurs nulle trace d’influence politique exercée par eux dans les conseils des rois ou dans les assemblées du peuple. A Ithaque, aucun prêtre n’est placé en évidence, il n’est pas même bien clair que quelqu’un d’entre eus ait été présent à l’armée réunie sous les murs de Troie[93]. Ils n’y auraient, dans tous les cas, figuré que comme combattants, non comme prêtres, puisqu’ils perdaient ce caractère, en quittant l’enceinte consacrée. Le silence du poète rend vraisemblable, alors même que des témoignages anciens ne confirmeraient pas cette conjecture, que les prêtres étaient dispensés de suivre l’armée, hors du pays, bien entendu, car un prêtre de Zeus Idéen combat dans l’armée troyenne[94]. Naturellement le prêtre devait être en rapport plus intime que les autres hommes avec la divinité qu’il servait, et dont il était le commensal ou le voisin. Aussi reçoit-il de préférence les communications divines. C’est à lui que l’on s’adresse pour désarmer le dieu ou implorer sa protection, de là le nom d’άρητήρ qui signifie proprement prieur[95]. A défaut de crédit politique, il jouit d’une grande considération, pour peu qu’il appartienne à un sanctuaire vénéré ; le peuple l’honore à l’égal d’un dieu[96].

Les poèmes homériques sont muets sur les conditions imposées pour remplir les fonctions sacerdotales ; il est toutefois permis de supposer que dans les temps héroïques, comme plus tard, les vices corporels étaient une cause d’exclusion. L’exemple de Théano, la prêtresse troyenne d’Athéna, prouve qu’il était pourvu à certaines dignités sacerdotales par l’élection ; dans ce cas assurément, le chois portait sur des membres de familles illustres. Il n’y a pas même de raison de douter que quelques-unes de ces fonctions fussent dès lors héréditaires, et par conséquent inféodées à des familles ou à des races privilégiées, car les raisons qui ont fait adopter cette hérédité se présentaient plus fréquemment alors que depuis. Si par exemple un sanctuaire était fondé par des particuliers, si un culte spécial à certaines familles et à certaines races acquérait de l’importance et s’élevait à la hauteur d’un culte public, les familles intéressées étaient naturellement investies du droit d’en remplir les fonctions[97], ce qui n’entraînait d’ailleurs aucune autre prérogative ; il n’y avait pas de caste sacerdotale.

A côté de la distinction déjà signalée entre la noblesse et la classe inférieure, il y a trace d’une autre division en tribus et en phratries sans toutefois que l’on puisse rien établir de certain sur la composition et la portée politique de ces catégories. A propos du passage dans lequel Nestor engage Agamemnon à ranger l’armée par tribus et par phratries, d’anciens commentateurs ont prétendu que le premier de ces noms s’appliquait à l’ensemble des populations, telles que les Crétois, les Béotiens, dont le mot phratrie désignait les subdivisions[98]. Cette conjecture est peu probable ; du moins elle ne s’accorde pas avec un autre passage, où les Rhodiens qui composaient un peuple unique, commandé par un seul chef, Tlépolème, et par conséquent auraient dû former une seule tribu, sont divisés en trois parties dont l’une habitait à Lindos, une autre à Ialysos, la troisième à Camiros[99]. On sait en outre, par un passage de l’Odyssée, que la Crète était habitée simultanément par des Achéens, des Crétois autochtones, des Cydoniens, des Doriens et des Pélasges[100]. Il est difficile d’admettre que cette agglomération composât une seule tribu ; il devait y en avoir au moins cinq, peut-être davantage, si l’épithète de τριχάϊκες, appliquée aux Doriens, suppose qu’ils en formaient trois à eux seuls, ce qui d’ailleurs n’est pas bien certain. Dans la plaine pélasgique, les sujets de Pélée portent les trois noms de Myrmidons, d’Hellènes et d’Achéens[101] ; ils devaient donc composer au moins un égal nombre de tribus. Enfin dans l’île de Syrié, qui appartient, il est vrai, à la géographie mythique, deux villes sont soumises au même roi. Il faudrait ainsi, à l’exemple de ce qui avait lieu à Rhodes, distinguer à Syrié deux tribus[102]. De ce qui précède, concluons simplement que le mot φΰλον s’applique aux divisions les plus générales des populations, que la phratrie est une subdivision de la tribu, et que ces mots, dans Homère, n’ont pas d’autre sens que celui qu’ont eu plus tard les expressions correspondantes de φυλή et de φρατρία.

Les paroles d’Achille se plaignant d’être traité par Agamemnon comme un manant et un intrus supposent l’existence d’une classe d’hommes considérés comme étrangers et qui ne faisaient pas, à proprement parler, partie de la nation[103]. Μετανάστης répond exactement à ce qu’on a exprimé plus tard par μέτοικος, et l’épithète qui accompagne ce mot prouve que ces malheureux, mis hors la loi du pays, étaient impunément exposés aux mauvais traitements.

Nous n’avons pas le moyen de savoir si, durant les âges héroïques, il exista, dans quelque contrée de la Grèce, des serfs tels que furent plus tard les Hilotes de Sparte et les Pénestes de Thessalie. Quelques critiques l’ont supposé ; mais Homère ne dit rien de semblable, quoiqu’il ne fournisse non plus aucune preuve du contraire. Les hommes non libres sont appelés δμώες, οίκήες, δοΰλοι[104] ; ce dernier terme toutefois est rarement employé. Δμώες désigne littéralement, à l’origine, les hommes soumis au joug dans la guerre ou du moins par la violence, et serait très propre à désigner les populations primitives, subjuguées par de nouveaux occupants, comme les Hilotes et les Pénestes. Le mot οίκήες, de même que οίκέται qui l’a remplacé, signifie en général gens de la maison, domestiqués ou commensaux, et peut s’appliquer aussi à des hommes libres. Lorsqu’il sert à désigner des hommes de condition servile, il doit être pris pour une expression adoucie, qui s’accorde d’ailleurs avec ce que nous savons des relations entre les maîtres et les esclaves[105].

On ne trouve en effet dans les poésies homériques aucune trace des traitements durs et méprisants dont plus tard les exemples se multiplient. Les esclaves et les hommes libres ne sont pas séparés par un abîme. On fait entrer souvent en compte la valeur personnelle des esclaves ; on ne refuse même pas à quelques-uns d’entre eux la qualification honorifique de divin. Eumée, qui à la vérité n’est pas esclave de naissance, mais un fils de roi enlevé et réduit en servitude par des pirates phéniciens, se montre vis-à-vis de Télémaque sous le jour d’un ami paternel, plutôt que dans l’attitude d’un valet. Il est le porcher en chef, et, dans l’exercice de ces fonctions, on peut le prendre pour un conducteur d’hommes. Il possède un pécule, a lui-même un esclave, et était en droit de compter qu’Ulysse, s’il n’avait pas quitté Ithaque, lui eût donné une maison, un champ et de plus une femme recherchée par un grand nombre de prétendants, faveurs qui sans doute entraînaient l’affranchissement. La même supposition est permise dans le passage où Ulysse promet aux esclaves qui lui sont restés fidèles des richesses, des épouses, et des maisons voisines de la sienne, ajoutant qu’ils seront traités comme les frères de Télémaque[106]. Rien, d’ailleurs, ne prouve que les esclaves formassent une classe nombreuse ; il n’y en avait guère que chez les princes et les chefs, soit qu’ils leur eussent été adjugés comme leur part de butin, soit qu’ils eussent été vendus par les Phéniciens ou les Taphiens qui faisaient la traite[107].

Les hommes libres, de rang inférieur, qui louaient leurs services s’appelaient θήτες. Eurymaque demande à Ulysse, qui se présente en mendiant, s’il veut servir sur son domaine en qualité de Ores, moyennant un bon salaire. La fable de Poséidon et d’Apollon, envoyés par Zeus pour servir Laomédon comme mercenaires, pendant une année, prouve que ces accords comprenaient d’ordinaire un laps de temps certain, plus ou moins prolongé ; quelquefois aussi elles embrassaient la vie entière et se transmettaient même aux enfants. Dans la maison d’Ulysse, les mercenaires sont mentionnés à côté des esclaves. Les étrangers qui, mêlés aux esclaves, font paître ses troupeaux sur le continent situé en face d’Ithaque, doivent être aussi des θήτες[108]. Ceux qui dans quelques passages sont appelés έριθοι paraissent en général travailler à une tâche commune, qui entretient en eux l’émulation, soit qu’il s’agisse de labourer un champ, de faire la lessive ou de filer une certaine quantité de laine. Ils peuvent être libres, mais ils peuvent aussi être esclaves[109].

Naturellement, les propriétaires abandonnent d’ordinaire à leurs esclaves les travaux les plus grossiers, tels que le labour ou le soin des troupeaux, et se bornent à les surveiller, comme le prince que le bouclier d’Achille représente assistant à la moisson. Le vieux Laërte, il est vrai, ne ménage pas sa peine dans son jardin, mais il ne travaille de ses mains que pour ne pas rester oisif, et parce qu’il n’a rien de mieux à faire[110]. Lorsque des princes, Anchise, Énée, Antiphos et les frères d’Andromaque font paître des troupeaux de bœufs et de brebis, ils ne sont là certainement que comme surveillants, et au besoin comme protecteurs[111]. Toutefois, les reines ne dédaignent pas de filer et de tisser de la toile avec leurs esclaves : la fille du roi, Nausicaa, va laver le linge à la rivière, en compagnie de ses suivantes, auxquelles sans doute elle laisse faire le gros de la besogne, et la plus jeune fille de Nestor aide Télémaque à se baigner[112]. II n’est pas surprenant que les fils de Priam attellent son chariot, et que les frères de Nausicaa détellent le sien[113] ; on sait que le soin des chevaux et des équipages a été de tous temps considéré comme une occupation noble, et que c’est aujourd’hui encore le plaisir favori des sportmen. On s’explique aussi que, lorsqu’il s’agit d’égorger des animaux et de préparer les viandes, les princes et les nobles ne craignent pas d’y meure la main ; l’immolation est un sacrifice, et le repas n’est préparé que pour leurs égaux[114]. Des travaux manuels qui demandent de l’adresse ne sont pas non plus jugés malséants. Ulysse se fabrique seul un lit artistement travaillé, et se montre non moins habile à construire un vaisseau[115]. Pâris aussi s’était bâti une demeure, avec l’aide des plus habiles ouvriers existant alors à Troie[116]. Les artistes et les artisans de profession étaient, en raison de leurs services, rangés parmi les hommes publics (δημιουργοί), aussi bien que les hérauts, les aèdes, et les médecins ou plutôt les chirurgiens, car on ne trouve aucune trace de remèdes appliqués à des maladies internes[117]. Les δημιουργοί, lorsqu’ils sont réputés pour leur habileté, sont considérés comme chéris des dieux qui président aux arts, en particulier d’Athéna et d’Héphaïstos[118]. Ainsi, celui qui a besoin d’un objet qu’il ne peut ni faire lui-même ni faire exécuter par ses esclaves, a la ressource de s’adresser à quelque artisan démiurgique, moyennant salaire[119]. Il ne paraît pas que le travail manuel entraînât de défaveur.

Les objets d’art qui dépassent l’habileté des ouvriers nationaux, sont tirés de l’étranger. Ceux qui tiennent la place d’honneur dans les trésors des héros, les vases d’or ou d’argent et les tissus richement brodés sont attribués à des artistes de Sidon[120]. Nous rechercherons plus tard si toutes ces marchandises étaient apportées en Grèce par des navigateurs phéniciens, ou si des Grecs allaient aussi les chercher en Phénicie. Il est plus à propos d’aborder la question que Nestor pose à Télémaque, et que le Cyclope, à son tour, adresse, dans les mêmes termes, à Ulysse : Parcourez-vous les mers pour l’intérêt de votre négoce, ou êtes-vous des pirates qui, au risque de votre vie, allez porter le ravage chez les étrangers ?[121]

Thucydide voyait dans cette question la preuve que la piraterie ou, plus exactement, le brigandage exercé par des étrangers sur les côtes, n’était pas à cette époque ; considéré comme une entreprise honteuse, au contraire[122]. Cette opinion, soutenue et exagérée même depuis par des historiens, d’après lesquels les relations avec les étrangers n’auraient été réglées suivant aucun principe de justice, n’est nullement autorisée par les poèmes homériques, et a pour contradicteur Aristarque, qui n’est pas seulement le critique le plus subtil, mais aussi le meilleur connaisseur et l’interprète le plus sûr de ces poèmes[123]. Au moins faudrait-il faire cette restriction, que les actes de piraterie étaient permis seulement entre les nations que n’unissaient aucun lien d’amitié. C’est ainsi que le père d’Antinoüs, l’un des poursuivants de Pénélope, avait failli être mis à mort, parce qu’il s’était joint à des pirates Taphiens, pour ravager les côtes des Thesprotes, alliés aux habitants d’Ithaque[124]. L’expression d’άρθμιοι, employée en cette occasion par le poète, suppose-t-elle une alliance fondée sur les traités, ou simplement les rapports amicaux existant naturellement entre des nations qu’aucune hostilité ne divisait ? La réponse est difficile. Il est certain toutefois que, sauf raisons contraires, les peuples voisins étaient amis ; et, pour revenir à Thucydide, des témoignages formels prouvent qu’en général la piraterie, loin d’être glorieuse, était réprouvée comme un attentat qui encourait la vengeance des dieux[125]. Les ravages exercés par Ulysse sur les côtes des Ciconiens ne sauraient être invoqués en faveur de l’opinion contraire, ce peuple appartenant à la ligue troyenne[126]. Comment d’ailleurs aurait-on pu honorer ou seulement excuser des violences commises au dehors contre les étrangers, quand on proscrivait chez soi toutes les injustices dont ils pouvaient être les victimes, comme des infractions au droit de l’hospitalité et au droit des gens, et des attentats envers la divinité[127] !

Entre les citoyens d’un même État, la justice ne repose pas non plus sur des dispositions légales, mais sur les mœurs. La conscience morale a créé un ordre traditionnel, que les rois et les princes ont la charge de maintenir, et comme l’État ordonné est d’institution divine, la conscience est empreinte elle-même d’un caractère religieux. Quiconque méconnaît sa voix encourt la colère de Zeus, et si la justice est violée par ceux qui ont mission de la rendre, des calamités publiques fondent sur les peuples. Le parjure n’échappe pas au châtiment. Celui qui, enivré de sa puissance, se placé au-dessus du droit, reconnaît bientôt dans les coups qui le frappent la vengeance divine : Il arrive aussi que les dieux descendent de l’Olympe, sous la forme humaine, et parcourent le monde en étrangers, pour observer par eux-mêmes la bonne ou la mauvaise conduite des mortels[128]. Les manifestations de la puissance céleste remplissent les poèmes d’Homère, et si l’on considère attentivement l’aspect sous lequel ces poèmes nous représentent la société des temps héroïques, il est difficile de soutenir que les hommes aient été alors moralement inférieurs à ce qu’ils sont devenus plus tard, sous l’empire d’une législation nettement formulée, bien que sans doute les mœurs aient dei s’adoucir dans le cours des siècles, et que l’on ait été amené à se faire des idées plus saines du juste ou de l’injuste. Nulle part la vie des Grecs n’est grossière ou désordonnée. La soumission à la justice et à la morale sont la règle ; les infractions à ces principes sont des exceptions, et les exceptions ne sont pas devenues moins fréquentes avec le progrès du temps.

On est généralement tenté d’apprécier la civilisation d’un peuple d’après l’horreur qu’il ressent pour le meurtre. Plusieurs passages des poèmes homériques ont trait à cette question, mais ne sont pas de nature à résoudre tous les doutes qu’elle soulève. Ce qu’on peut en conclure, c’est que la punition du meurtrier est obligatoire seulement pour les parents de la victime, et que l’autorité publique n’a pas à intervenir. Nous serons couverts d’opprobre jusque chez les races futures, si nous ne vengeons pas le meurtre de nos enfants et de nos frères ; ainsi s’expriment les parents des prétendants mis à mort par Ulysse[129]. Ce n’est pas encore là le vrai principe de la loi mosaïque non plus que celui qui plus tard prévalut en Grèce : L’homme qui répand le sang innocent souille la terre, et la terre n’est purifiée du sang versé que par le sang de celui qui l’a versé[130]. Chez les Grecs d’Homère, comme dans l’ancien droit germanique, le sang est plutôt mis à prix. L’homicide doit payer une rançon à la famille de la victime, moyennant quoi il est libre de toute poursuite. A défaut de cette satisfaction, il est obligé de quitter le pays : On accepte la rançon d’un frère ou d’un fils immolé, dit Ajax pour fléchir Achille ; le meurtrier, lorsqu’il a sacrifié ses richesses, demeure au milieu du peuple, et les parents laissent reposer la vengeance dans leur âme généreuse[131]. On lit aussi dans l’Odyssée : Pour avoir tué un seul homme du peuple, qui ne laisse pas après lui un grand nombre de défenseurs, on est forcé de fuir et d’abandonner sa famille et sa patrie[132]. Ces paroles d’Ulysse à Télémaque, après la mort des prétendants, permettent de conjecturer que la fuite du meurtrier n’avait pas pour cause unique la crainte de la vengeance. L’infériorité de ses adversaires eût pu, en effet, rassurer un homme puissant, et il est dit que l’homicide doit s’enfuir, alors même qu’il n’a pas à redouter beaucoup d’ennemis. Rien ne fait supposer cependant qu’en pareil cas l’autorité publique vînt au secours de la famille offensée. La religion non plus n’est pas mise en jeu ; il n’est pas dit que le meurtrier frît tenu pour impur, et contraint d’abandonner le sol qu’il a souillé de sang, sous peine d’attirer la colère céleste sur lui et sur tous ceux qui auraient commerce avec lui. Cette idée d’impureté parait étrangère à l’âge homérique. Nulle part on ne rencontre ni dans l’Iliade ni dans l’Odyssée les mots άγος, μύσος, μίασμα, qui plus tard sont d’un emploi si fréquent. L’opinion émise par quelques critiques, et à laquelle je m’étais moi-même rangé autrefois[133], à savoir que la purification du coupable était nécessaire, et n’était rendue possible que par un accommodement avec les parents de la victime et l’accomplissement de certaines cérémonies, faute de quoi il était forcé de céder la place, même à des adversaires peu redoutables, cette opinion, dis-je, ne me paraît plus soutenable. La seule explication admissible, c’est que le danger suspendu sur la tête de l’homicide, si pela nombreux que fussent les parents du mort, autorisés, poussés même à la vengeance, était toujours assez grand pour le contraindre à s’exiler. Le péril, en effet, était accru par l’appui que l’opinion publique portait à la famille. Le meurtre commis sur le meurtrier qui, sans réparation, s’obstinait à rester dans le pays, était un acte de justice, dont il était interdit de tirer vengeance. C’est bien là encore un sentiment religieux, mais ce n’est pas la croyance à une impureté contagieuse, à une offense directe envers la divinité, qui ne peut s’effacer que par des cérémonies expiatoires. C’est le sentiment qui nous porte à croire que tout crime est réprouvé par les dieux ; conviction trop générale pour pouvoir être mise en doute, alors même qu’elle n’est pas formellement exprimée[134]. Lorsque Phénix dit, qu’il n’a pas frappé son père, parce qu’il a redouté les reproches des hommes et n’a pas voulu être appelé parricide[135], il n’est pas parlé de la colère céleste ; personne assurément n’en tirera la conséquence que le meurtre d’un père n’est pas un crime haï des dieux.

Il est très regrettable que les meurtriers fugitifs dont parle Homère ne nous donnent pas l’occasion de démêler si l’on faisait la distinction, autorisée par la loi mosaïque et plus tard par la loi grecque, entre les crimes prémédités et les crimes irréfléchis, entre les meurtres permis et les meurtres défendus. Nous ne savons pas davantage si les intéressés pouvaient à leur gré accepter une rançon et abjurer leur vengeance, ou si leur conduite était réglée suivant les cas. Parmi les six exemples de meurtriers fugitifs que nous présentent les poèmes homériques, il y en a quatre, dans lesquels l’homicide est, lui-même, parent de la victime[136]. Il est permis de supposer que cette circonstance aggravante excluait la faculté de la rançon. On ne sait pas, d’ailleurs, si les meurtres étaient prémédités. Le cinquième exemple est celui de Patrocle, tuant, tout jeune encore et sans le vouloir, un garçon avec lequel il s’était querellé en jouant[137] ; on ne voit pas clairement s’il n’y avait pas aussi entre eux quelque lien de parenté. Il n’en existait certainement aucun entre Théoclymène et sa victime[138]. Prit-il la fuite parce que les parents n’avaient pas consenti à recevoir le prix du sang, ou bien parce que lui-même n’avait pas la volonté ou les moyens de le payer ? Les paroles par lesquelles Ajax s’efforce de désarmer Achille prouvent au moins qu’un refus obstiné de la part de la famille était jugé sévèrement[139]. L’indemnité était fixée sans doute à l’amiable, suivant les circonstances ; on ne dit pas qu’elle fut fixée d’avance, comme dans l’ancien droit germanique. Le procès que représente le bouclier d’Achille ne porte pas sur la quotité de la somme à payer, mais sur le point de savoir si elle a été réellement payée ; le meurtrier l’affirme, son adversaire le nie ; il n’y a là qu’une affaire de droit civil.

Bien d’autres questions intéressant aussi le droit civil devaient être soulevées dans les temps héroïques, à propos de l’achat, de la vente, du louage et autres contrats semblables ; mais Homère en parle rarement et est très sobre de détails. La règle posée par Hésiode, qu’on ne doit pas traiter même avec son frère sans témoins, ne devait pas être moins applicable à cette époque[140]. On a vu plus haut porter devant la justice une contestation dont l’issue dépend des témoins. Dans la course des chars, Ménélas, par une invitation extra-judiciaire, il est vrai, défère le serment à Antiloque, et le somme de jurer, comme cela est juste, qu’il n’a pas usé de ruse pour s’assurer la victoire. Un peu auparavant, Idoménée avait proposé de prendre Agamemnon pour arbitre, et de lui soumettre la question de savoir quel char était arrivé le premier, le sien ou celui d’Ajax[141]. L’arbitre est désigné par le mot ΐστωρ, celui qui sait ; mais la même expression peut aussi s’appliquer au témoin, appelé plus habituellement μάρτυρ ou μάρτυρος ; ce double sens est d’ailleurs facile à expliquer[142]. Ou rencontre dans l’Odyssée une gageure pour laquelle les dieux sont pris à témoin : Eumée désespère de revoir Ulysse ; si son maître revient, il promet de renouveler la garde-robe du mendiant, qui n’est autre qu’Ulysse lui-même, et de le conduire à Dulichium ; Ulysse, dans le cas contraire, offre sa vie comme enjeu[143].

Le mariage est aussi un contrat passé entre le pèse de la fiancée, ou telle autre personne de qui elle dépend, et celui qu’elle doit épouser. Le fils laisse ordinairement à son père le soin de lui choisir une femme. Pélée, dit Achille en refusant la fille d’Agamemnon, se chargera de me trouver une épouse. C’est Ménélas qui unit son fils Mégapenthès avec la fille d’Alector[144]. L’histoire mythologique contient plusieurs exemples de pères instituant des luttes dont leur fille doit être le prix ; quelquefois aussi, ils en font la récompense d’un service rendu. A ces exemples, l’Odyssée ajoute celui de Nélée, offrant sa fille Péro à celui qui lui amènera les génisses d’Iphiclès[145]. Cependant l’usage est que le prétendant offre au père de la jeune fille des présents, consistant en bétail ou autres objets précieux[146]. C’est par exception que l’on obtient une femme sans en payer le prix. Ainsi Agamemnon, lorsque pour apaiser Achille il lui donne à choisir entre ses filles, non seulement le dispense des présents de noce, mais lui fait offrir une dot magnifique[147]. Le père qui a reçu le prix de sa fille fait de son côté des présents, désignés aussi sous le nom d’έδνα[148]. Le mot προΐξ n’est pas employé par Homère dans ce sens particulier qu’il n’a eu que plus tard, et φέρνη, lui est complètement inconnu. Les dons que promet Agamemnon, si Achille consent à devenir son gendre, sont appelés μείλια[149]. On a prétendu à tort que cette expression avait habituellement le sens de dot[150] ; elle n’est employée ici que parce qu’Agamemnon se propose d’adoucir la colère d’Achille, ce qui explique aussi la magnificence des présents. Toutefois aucun homme considérable ne mariait sa fille sans faire à l’époux des cadeaux proportionnés à sa fortune ; aussi les έδνα offerts par le fiancé étaient-ils moins un présent destiné à payer sa femme, bien qu’à l’origine ils aient eu ce caractère[151], qu’une indemnité de la dot qu’il comptait recevoir, ce qui n’empêchait pas que pour les filles très recherchées, lorsque les prétendants enchérissaient les uns sur les autres, il pouvait arriver souvent que le père donnât beaucoup moins qu’il n’avait reçu. Si, après la mort du mari, les héritiers ne permettaient pas à la femme de rester à la maison, ils devaient lui rendre son apport[152] ; en revanche, dans le cas où le mari la renvoyait pour adultère, il était en droit de reprendre ce qu’il avait donné[153].

La femme légitimement mariée s’appelle κουριδίη άλοχος. De nombreux exemples prouvent que des unions régulières et valables peuvent avoir lieu entre personnes de classes différentes. La captive d’Achille, Briséis, pouvait donc se flatter de devenir la femme de son maître[154]. Les mariages assortis sont naturellement les plus fréquents, parce qu’un gendre riche peut seul faire des présents dignes d’être offerts à une famille opulente ; mais de même que parfois un homme riche épouse une fille pauvre, il peut arriver que des parents riches marient leur fille à un homme sans fortune, pourvu qu’il se distingue par de brillantes qualités. Ulysse, se donnant pour un navigateur crétois, raconte à Eumée que, bien que bâtard et réduit à une très faible part de l’héritage paternel, il a pu, grâce à son mérite, prendre une femme dans une riche famille[155].

Nulle part il n’est parlé formellement de degrés de parenté faisant obstacle au mariage. La fable d’Œdipe prouve cependant que l’union entre ascendants et descendants était réputée criminelle[156]. L’Odyssée apprend, il est vrai, que dans l’île d’Éolie les frères et les sœurs se marient ensemble[157] ; mais cela peut s’expliquer par cette circonstance qu’ils vivent séparés du resté du monde. On sait toutefois que plus tard les mariages entre frères et sœurs issus de mères différentes n’étaient pas considérés en Grèce comme incestueux. Homère ne nous offre aucun exemple de ces unions ; il nous apprend seulement qu’Iphidamas, fils d’Anténor, avait épousé la sœur de sa mère[158].

La monogamie est la loi. Une seule exception est signalée, non pas chez les Grecs mais chez les Troyens : outre Hécube, Priam a pour femme Laothoé, fille d’Altès, roi des Lélèges, et les termes dans lesquels on en parle prouvent qu’elle est épouse légitime. Il n’est pas interdit au mari de prendre une concubine parmi ses esclaves, mais l’épouse, surtout si elle est mère, a le droit d’y trouver à redire. C’est pour ce grief que la femme d’Amyntor excite une haine implacable entre son fils Phénix et son mari[159]. Laërte s’abstient d’Euryclée, malgré son amour pour elle, pour ne pas chagriner sa femme Anticlée[160]. Les femmes sans enfants voyaient sans doute ce désordre avec plus d’indulgence.

A l’occasion du mariage, avait lieu un festin dont le père de la fiancée faisait les frais[161] ; et comme il ne peut y avoir de festin sans sacrifice, il va de soi, sans qu’il soit besoin de témoignage exprès, que les dieux étaient nominativement invités à bénir l’union. La description des noces représentées sur le bouclier d’Achille nous apprend que la fiancée était conduite en pompe à la maison de son époux, sans doute dans un chariot, comme c’était encore la mode plus tard, que le cortège était éclairé par des torches, et qu’on faisait entendre un chant d’hyménée tandis que les jeunes gens formaient des danses[162]. Un autre passage prouve que l’épouse donnait des habits de tète aux invités[163]. On peut juger des prières que l’on adressait aux dieux par l’allocution d’Ulysse à Nausicaa : Puissent les dieux vous accorder ce que vous désirez dans votre cœur, un époux et une maison où règne la concorde, car il n’y a pas de plus grand bonheur que celui d’un homme et d’une femme qui gouvernent leur maison, unis dans les mêmes pensées ; ils sont le désespoir de leurs ennemis, la joie de leurs amis, et pour eux-mêmes un sujet de gloire[164]. Si l’on ajoute à ces souhaits le bien-être et la bénédiction que les enfants apportent au foyer domestique, on a en effet toute la félicité conjugale qu’il est raisonnablement permis de demander à la divinité. La pensée que les unions, sont conclues dans le ciel, n’est- pas non plus étrangère à la société homérique : l’époux et l’épouse sont destinés l’un à l’autre par les décrets du destin[165]. Achille trace les devoirs du mari envers la femme : un homme sage et juste doit à sa femme tendresse et protection[166]. Il est à peine besoin de rappeler que les scènes homériques nous donnent, sous les noms d’Andromaque et de Pénélope, les plus nobles exemples de l’amour et de la fidélité dans le mariage. De toutes les indications que nous pouvons recueillir sur les rapports des époux, il est permis d’inférer que la maîtresse de la maison n’est pas employée seulement au service et aux plaisirs de son mari, elle est vraiment sa compagne ; dans le cercle des attributions fixées par la nature à la femme, elle jouit de la même considération que lui. Un sens droit et de l’adresse dans les travaux de son sexe sont, avec la beauté, les dons les plus appréciés, ceux qui font de la femme une épouse respectable[167].

En général, les rapports des deux sexes sont naturels et moraux, à égale distance du raffinement et de la grossièreté. Tout ce que la nature commande est traité avec réserve, mais sans fausse délicatesse. La liberté, qui nous semblerait très choquante aujourd’hui, avec laquelle non seulement des femmes esclaves, mais des filles de roi, aident un homme à se baigner[168], est une chose toute simple chez Homère, et prouve bien plutôt la haute moralité de l’homme et de la femme. Si on laisse de côté les légendes mythologiques, sans rapport avec la vie réelle, qui racontent l’histoire des mortelles mises à mal par des dieux, il n’y a dans l’Iliade ni dans l’Odyssée aucun exemple d’une fille de noble maison se livrant à un homme en dehors du mariage. Les filles de Tyndare, Hélène et Clytemnestre, sont les seules femmes convaincues d’adultère, et ne sauraient, pas plus que les dieux et les déesses, être invoquées comme un argument contre la moralité générale de l’âge homérique.

Les enfants de l’épouse légitime se partagent l’héritage paternel et tirent les lots au sort. Les filles sont désintéressées par la dot qu’elles ont reçue, sauf les héritières appelées à recueillir toute la fortune. Les enfants illégitimes, ont une moindre part[169] ; il ne paraît pas cependant qu’en dehors de l’héritage ils soient traités autrement que les autres. Tous sont élevés en commun dans la maison paternelle. On raconte, à l’honneur de Théano, femme du Troyen Anténor, qu’elle a, par amour pour son mari, élevé un bâtard, Mégès, comme ses propres enfants[170]. Il n’y a pas trace dans les poèmes homériques de cette haine de marâtres dont l’histoire fabuleuse raconte souvent les effets, et qui est devenue proverbiale chez les Grecs, aussi bien que chez les Romains. Les enfants nés d’une esclave sont libres, ainsi que le prouve Ulysse, lorsqu’il se donne comme issu de Castor, fils d’Hylas et d’une esclave achetée[171]. De même, Teucer, fils de Télamon, occupe un rang honorable parmi les héros assemblés devant Troie, bien que né d’une esclave échue à Télamon dans sa part de butin, qui, à la vérité, était fille de roi. La qualification de νόθος n’était donc pas déshonorante[172]. C’est ainsi qu’au moyen âge, des fils de princes, nés hors mariage, acceptaient volontiers et prenaient eux-mêmes le nom de bâtards.

L’éducation des fils de héros est, comme on peut le croire, très simple et conforme à la nature. Le sein de leur mère leur fournit toujours leur première nourriture ; les reines mômes allaitent leurs enfants[173]. Les passages d’où l’on a conclu à l’existence de nourrices n’ont du moins rien de probants[174]. Dans un état social tel que le décrivent les poèmes homériques, l’éducation des années suivantes doit se faire en grande partie d’elle-même. L’enfant se façonne d’après les exemples qu’il reçoit dans la maison et au milieu du peuple. Pélée confie Achille à Phénix, pour apprendre à bien dire et à bien faire ; mais il ne veut que donner à son fils, en l’envoyant à l’armée, un compagnon et un conseiller, qui mette, dans les circonstances difficiles, son expérience au service de son élève[175]. Il ne peut venir à l’esprit de personne qu’il s’agisse là d’un enseignement suivi. Seuls les travaux de la guerre, les arts chevaleresques et les exercices bienséants aux princes et aux nobles devaient être l’objet de véritables leçons. Ainsi Chiron avait instruit des fils de roi dans la musique et dans la médecine ; c’est de lui qu’Achille avait appris cette dernière science, qu’il transmit à Patrocle[176]. Les fils et les filles des princes ou des nobles s’exerçaient à la danse, soit pour former des chœurs dans les fêtes sacrées, soit pour se divertir entre eux, bien qu’à la vérité on ne trouve pas parmi les héros grecs de danseurs aussi intrépides que les Phéaciens. Les prétendants se donnent aussi le plaisir de la danse, dans le palais d’Ulysse, et après leur mort, Télémaque, Eumée et Philétios dansent avec de jeunes filles, afin que du dehors on puisse croire qu’on célèbre une noce. Ailleurs, la danse est comptée parmi les récréations aimables dont on ne se lasse pas de jouir[177].

L’Iliade nous présente une fois Achille, le plus valeureux des Grecs, jouant de la lyre et chantant les exploits des guerriers[178]. L’auteur de ce passage qui, à la vérité, n’est pas une des plus anciennes parties de l’Iliade, ne considérait donc pas, le chant et le maniement de la lyre comme, des exercices étrangers aux héros grecs , peut-être même reproduit-il des fragments de poèmes plus anciens. Il n’est pas rare, dans l’ancienne épopée germanique, devoir des guerriers aussi célèbres par leurs chants que par leurs exploits ; les choses ne se passent pas tout à fait de même chez Homère. A part l’exemple d’Achille, Paris seul est signalé comme habile à jouer de la cithare. Cet art, aussi bien que le chant, est laissé à des artistes honorés, il est vrai, mais qui ne sont pas rangés dans la classe des nobles, aux aèdes. Nous trouvons des aèdes installés à la cour des princes, dans Schéria et dans Ithaque, où ils sont de tous les festins. On mandait aussi des chanteurs étrangers, de même qu’on faisait venir du dehors des constructeurs, des devins et des médecins[179]. Ils erraient de contrée en contrée, comme le Thrace Thamyris qui, en revenant de chez Eurytos, roi d’Œchalie, à travers le pays. de. Pylos, fut arrêté à Dorion, et privé de la vue par les Muses, pour s’être vanté de remporter sur elles le prix du chant[180]. Le talent des aèdes leur concilie partout le respect et les égards. L’art de chanter est considéré comme un don des Muses ; c’est à elles aussi que leurs favoris doivent la connaissance des choses qu’ils revêtent des ornements de la poésie[181]. Un aède se vante expressément d’avoir tout appris à lui seul, et de ne rien devoir qu’à l’inspiration de la divinité. De cette prétention, il faut bien conclure qu’il y avait généralement des maîtres et, des élèves, ce qui paraît d’ailleurs une chose assez simple[182]. C’est donc en vain que, malgré l’absence de témoignages formels, ou se refuserait à reconnaître l’existence d’écoles destinées à former des chanteurs. Le chanteur s’accompagne avec la φόρμιγξ, grande cithare que l’on porte sur l’épaule, attachée avec une courroie ; il s’en sert d’abord pour préluder, puis y revient de temps à autre, touchant les cordes aux passages les plus expressifs, pour accentuer les paroles ou remplir les intervalles[183]. Le récitatif est quelque chose d’intermédiaire entre la parole et le chant[184]. Les sujets sont empruntés aux exploits légendaires des hommes et des dieux. L’expédition des Argonautes est signalée comme présente à tous les esprits pendant la guerre de Troie, et comme un des sujets auxquels on revient le plus souvent[185]. Quelquefois aussi on célèbre des faits contemporains, car les chants les plus nouveaux, dit Télémaque, sont les plus goûtés des auditeurs[186]. Phémios à Ithaque, Démodocos chez les Phéaciens, chantent, peu d’années après qu’ils se sont passés, les événements accomplis devant Troie et le retour des héros dans leur patrie[187]. A propos de tout ce qui arrive de mémorable, il est dit que ce sera un sujet de chants pour les générations futures[188]. Les aèdes ne sont pas seulement des charmeurs, mais aussi des instituteurs. Avec les antiques légendes, ils conservent ce qui faisait, aux époques qu’ils retracent, le fond des connaissances et des croyances, et éveillent l’amour de la gloire chez les nobles cœurs des temps présents et à venir, jaloux eux aussi de laisser un souvenir honorable à la postérité. C’est ainsi qu’Athéna, sous la figure de Mentor, excite l’émulation de Télémaque, par l’exemple d’Oreste[189]. Deux passages de l’Odyssée prouvent l’existence de cycles épiques, ayant pour sujet commun une vaste matière, telle que la guerre de Troie, d’où l’on extrayait tantôt un épisode tantôt un autre, suivant l’occasion. Il fallait, bien entendu, que l’ensemble de ces chants fût assez familier aux auditeurs pour qu’ils pussent facilement comprendre chacune des parties détachées[190].

Les chants des festins paraissent avoir eu pour objet unique les gestes des dieux et des hommes ; le poète cherchait ailleurs des inspirations pour d’autres circonstances. Un chant d’hyménée, auquel se mêle le son des flûtes et des cithares, accompagne les danses des jeunes gens, dans les noces représentées sur le bouclier d’Achille[191]. Aux funérailles d’Hector les Chanteurs font entendre un hymne funèbre, interrompu par les gémissements des femmes[192]. C’est au contraire un chant joyeux qu’entonnent les Grecs heureux de rejoindre leurs vaisseaux, après la mort d’Hector[193]. On chante aussi un péan, pour désarmer la colère d’Apollon, lorsque Chryséis est ramenée à son père[194]. Calypso et Circé chantent en tissant leur toile, et, pendant la vendange, un jeune garçon récite le chant de Linos en l’accompagnant de la φόρμιγξ, tandis que d’autres frappent la terre en cadence[195].

A l’exception du péan chanté en l’honneur d’Apollon, pour détourner la peste, dans lequel nous devons voir sans contredit une prière, il n’est pas fait mention expresse chez Homère de chants religieux, spécialement destinés aux cérémonies du culte. Toutefois, l’autre péan, par lequel on célèbre la mort d’Hector, est un acte de reconnaissance envers les dieux, et l’ύμέναιος appelle sur les époux la protection céleste. Il est probable que beaucoup d’autres chants étaient marqués du môme caractère, bien que tout ce qui est parvenu jusqu’à nous en ce genre, sous les noms des anciens poètes Pamphios, Orphée, Musée, Linos, soit postérieur à l’âge homérique. Le chant de Linos, mentionné dans l’Iliade, devait avoir aussi un sens religieux ; il célébrait sans doute l’engourdissement de la nature en automne, et son réveil au printemps, figurés par la mort et la résurrection de Linos, divinité tombée en oubli et probablement d’origine orientale, qui avait représenté dans l’ancienne religion le culte de la Nature, comme plus tard Adonis. Même pour les chants que les aèdes faisaient entendre dans les festins, on peut dire que, sans traiter précisément de sujets religieux, ils n’étaient pas sans utilité pour l’intelligence des choses divines.

Il n’est pas douteux que l’enseignement religieux ne fut jamais, chez les Grecs, l’affaire des prêtres, uniquement chargés de la liturgie, c’est-à-dire de faire les prières et d’accomplir les rites. Ce fut donc surtout la façon dont les aèdes parlaient des dieux et les dépeignaient dans leur commerce avec les hommes, qui servit à fixer les croyances populaires. Sans doute, chaque culte, à défaut de dogmes clairement définis, contenait des allusions symboliques au dieu dont il proclamait la puissance ; mais Homère est trop sobre de détails sur les usages religieux de l’antiquité héroïque, pour que nous puissions nous la représenter nettement à ce point de vue. Il ne dit rien des fêtes ni des cérémonies, qui sont ce qui prête le plus à l’interprétation, et ne fait d’exception que pour les solennités célébrées chaque année dans l’Attique en l’honneur d’Érechthée, et pour les Thalysies ou fêtes de la moisson[196]. Encore, tout ce qu’il nous apprend, c’est que, dans les Thalysies, il était sacrifié non pas seulement à Déméter et aux divinités agraires, mais à plusieurs autres dieux, peut-être même à tous ; de là la colère d’Artémis, qui seule a été oubliée par Œnée. On peut supposer un sens mystérieux au sacrifice accompli pour confirmer l’accord des Grecs et des Troyens, après la première bataille[197]. Trois divinités y ont part : Zeus, Hélios et la Terre. Les victimes sont des brebis et des agneaux. La brebis destinée à Zeus est immolée par les Grecs ; les Troyens offrent à Hélios, dieu mâle et resplendissant, un agneau blanc ; à la Terre, divinité femelle, dont la puissance se fait sentir au milieu des profondeurs ténébreuses, une brebis noire. Ce double sacrifice incombe aux Troyens, parce qu’Hélios regarde en ce moment la terre qu’ils habitent. Les Grecs adressent leur hommage à Zeus, comme au dieu de l’hospitalité violée par Pâris et dont ils ont pris en main la vengeance. Agamemnon comprend en outre dans sa prière les fleuves et les puissances souterraines, chargées de veiller à la foi jurée. Les assistants font des libations avec un mélange de vin grec et de vin troyen, puisé dans le cratère, et prononcent cette imprécation : Zeus, et vous tous, dieux immortels, quiconque violera le premier son serment, que sa cervelle et celle de ses enfants se répandent sur la terre, comme ce vin.

Les détails que nous possédons sur les sacrifices appartiennent en général au culte privé. On a vu déjà que chaque animal mis à mort est l’occasion d’une offrande, de même que, chaque fois qu’on vide les coupes, on commence et on finit par une libation[198]. Ainsi l’homme reconnaît qu’il est redevable aux dieux de tout ce dont il jouit, et qu’il a constamment besoin de leur assistance ; car les dieux aussi se laissent gagner ou fléchir par les présents[199]. Les Troyennes promettent à Athéna douze génisses d’un an, qui n’ont point encore porté le joug, si elle a pitié de leur ville et conjure le danger dont les menace Diomède. A son tour, Diomède fait vœu d’immoler à la déesse, pour s’assurer sa protection, une génisse d’un an, aux cornes dorées. Telle est aussi l’offrande par laquelle Nestor espère rendre Athéna propice à lui et aux siens[200]. Les promesses non accomplies ou trop longtemps ajournées excitent le courroux des dieux. On a vu déjà comment Artémis manifesta son ressentiment contre Œnée, en faisant ravager le pays de Calydon par un sanglier farouche. En revanche, on ne craint pas de rappeler aux dieux les sacrifices qu’ils ont reçus, et de s’en faire un droit à leur protection[201].

Le respect dû aux dieux exige qu’on ne les approche qu’après avoir fait disparaître sur soi toute trace d’impureté. On doit se baigner, si cela est possible, et revêtir des vêtements sans tache ; au moins faut-il avoir bien soin de se laver les mains. Achille purifie à la vapeur du soufre, et rince dans une eau limpide la coupe avec laquelle il va faire une libation à Zeus[202]. Ulysse, après la mort des prétendants, purifie aussi avec du soufre sa maison souillée de leur sang, afin d’y pouvoir offrir des libations aux dieux, comme il convient de le faire à chaque repas. L’ordre que donne aux Grecs Agamemnon de jeter leurs souillures à la mer, après la peste, a le même sens religieux[203]. Plongés dans le deuil, tant qu’elle avait sévi, ils n’avaient dû ni se baigner, ni laver leurs vêtements, mais se couvrir la tête de poussière et de cendres, selon l’usage établi dans les grandes calamités[204].

Les offrandes sont presque sans exception des animaux. Une partie est brûlée en l’honneur des dieux, les restes sont consommés par les hommes. Les victimes sont des génisses, des brebis, des agneaux, des chèvres ou des truies ; ainsi l’on choisit de préférence les animaux domestiques et surtout ceux qui servent à la nourriture. Le Scamandre est le seul dieu auquel on sacrifiait des chevaux ; au lieu de les égorger on les précipitait vivants dans le fleuve[205]. A part ce cas, nous ne savons si l’on avait soin de varier les offrandes, suivant les divinités auxquelles elles s’adressaient. De ce que, en plusieurs passages, on immole à Athéna des génisses d’un an qui n’ont pas encore porté le joug, on peut inférer pourtant que ce sacrifice était particulièrement agréable à la déesse[206]. La signification symbolique des animaux choisis pour consacrer l’accord des Grecs et des Troyens a été signalée plus haut ; nous pouvons remarquer aussi que, dans le sacrifice funèbre prescrit à Ulysse par Circé, il doit immoler à Tirésias un bélier noir, aux autres ombres, une génisse stérile. La règle générale est que la victime soit sans défauts[207].

Nous avons vu que les sacrifices n’ont pas lieu seulement dans les temples et dans les enceintes consacrées ; on ne peut cependant se passer d’autel. Dans les habitations, il y a des autels à demeure ; on peut toujours d’ailleurs en dresser pour les besoins du moment. Les Grecs ont des autels sous les murs de Troie, comme ils en avaient à Aulis. En fait d’autels domestiques, Homère cite celui de Ζεύς Έρκεΐος, protecteur des maisons et des enclos, qui était placé dans la première cour ; il n’est pas probable qu’il servît à d’autres dieux[208]. — Avant de consommer le sacrifice, on invite l’assistance au recueillement. Les sacrificateurs lavent leurs mains avec l’eau d’un vase rempli à cet effet, et jettent des grains d’orge broyés et grillés sur l’autel et sur la tête de l’animal (ούλοχύται)[209]. Cela fait, on coupe à la même place quelques poils, et on les partage entre les assistants, qui probablement les jettent dans le feu. L’accomplissement de ces préliminaires était désigné par le mot άπάρχεσαι[210] ; puis venait la prière aux dieux en l’honneur de qui avait lieu le sacrifice, après quoi on procédait à l’immolation de la victime.

S’il s’agit d’un bœuf, on tranche à coups de hache les muscles du cou ; lorsqu’il est tombé, on le relève et on lui coupe les cuisses. Pour un porc ou quelque autre animal de petite taille, on l’abat avec une massue ; parfois aussi on l’égorge sans l’étourdir. Pour immoler l’animal, on ramène la tête en haut. Le sang est recueilli dans un vase, et on en arrose l’autel ; c’est seulement dans les sacrifices offerts aux divinités souterraines, que la tête est tenue baissée, et que l’on fait couler le sang dans une fosse tenant lieu d’autel[211]. La bête dépouillée, on enlève les cuisses, qui sont recouvertes d’une double couche de graisse. Sur cette graisse on pose des parties des entrailles et des autres membres ; c’est la part du dieu, elle est brûlée sur l’autel. D’autres morceaux des intestins sont rôtis à la broche et goûtés par les officiants qui ont préalablement fait une libation. Le reste de l’animal est découpé et sert au festin. C’est seulement par exception que les chairs ne sont ni brûlées ni consommées, comme par exemple lorsqu’il s’agit de consacrer un traité, ou de prendre les dieux à témoin d’un serment. Il paraît que, dans ce cas, la victime était enterrée, lorsque le sacrifice se faisait dans le pays des sacrificateurs, ou jetée à la mer, s’ils étaient étrangers[212]. Homère ne parle pas d’holocaustes, dans lesquels l’animal aurait été brûlé en entier, sans que l’on réservât rien pour les assistants. Les sacrifices où un grand nombre de victimes étaient immolées s’appelaient hécatombes ; en dépit de l’étymologie, ce nom s’appliquait également à d’autres animaux que des bœufs, et il pouvait y en avoir beaucoup moins de cent[213].

Il. n’y a pas trace, dans Homère, de sacrifices sans effusion de sang, tels que des offrandes de gâteaux et de fruits. Il ne faut pas conclure de ce silence que la coutume s’en soit introduite postérieurement à l’âge homérique. Les anciens étaient plutôt disposés à croire que l’on avait commencé par là, et que les sacrifices sanglants ne s’établirent que plus tard : c’est là toutefois une opinion discutable, non une tradition historique. Il est souvent question de matières odorantes que l’on brûlait, pour en faire monter la fumée jusqu’aux dieux[214]. On ne sait au juste si ces parfums étaient l’objet principal de la cérémonie ou s’ils étaient seulement un accessoire, fort utile dans les sacrifices d’animaux. L’épithète de parfumé, souvent appliquée aux temples et aux autels, témoigne des usages multiples auxquels ils servaient.

Une autre espèce d’offrandes était les ex-voto dressés ou suspendus dans les sanctuaires quelques-uns aussi servaient à parer les statues des dieux. Parmi les ex-voto, on peut citer le πέπλος que la prêtresse Théano reçoit des mains des femmes troyennes, et qu’elle étend sur les genoux d’Athéna. Égisthe, sans compter de nombreux sacrifices, offre aux dieux, qui lui ont permis de séduire Clytemnestre, de riches tissus et des vases d’or[215]. Les armes enlevées à l’ennemi sont souvent déposées dans les temples. A la même classe d’offrandes appartient la chevelure des enfants, que les parents, si les dieux prêtent vie à leur progéniture, s’engagent à couper et à consacrer ; cet hommage s’adressait surtout aux divinités fluviales de la contrée[216].

Que souvent l’on invoquât les dieux sans offrandes et sans sacrifices, cela vaut à peine d’être dit. Toutefois on ne trouve pas chez Homère de simples actions de grâces ; les prières n’y ont pour but que de conjurer une calamité ou d’obtenir l’accomplissement d’un souhait. Souvent ces prières s’échappaient spontanément et sans préparation, et n’étaient pas pour cela considérées comme moins efficaces. Lorsque Hécube invite Hector à boire du vin pour réparer ses forces, après en avoir fait libation à Zeus et aux autres immortels, il répond, il est vrai, qu’un homme souillé de sang et de poussière ne saurait implorer Zeus[217] ; mais il est question, dans ce passage, de prières unies à des libations, non d’une invocation soudainement inspirée par la nécessité présente. On ne peut prononcer une prière solennelle et préméditée, avant de s’être lavé au moins les mains, sans prendre le temps de se recueillir et sans accomplir des libations[218].

Les,prières, les vœux et les sacrifices reposent sur la conviction que rien de bon ne saurait arriver à l’homme qu’avec l’aide des dieux, et que de leur colère vient tout le mal. La même croyance produit chez l’homme le désir de connaître leurs volontés, soit pour pressentir le sort qui l’attend, soit, lorsqu’il est frappé, pour chercher les causes de leur ressentiment et les moyens de s’y soustraire. De ce désir naît à son tour la confiance que les dieux ne dédaignent pas de révéler à l’homme par des signes visibles ou de quelque autre manière le secret qu’il lui importe de savoir. Celui qui a l’intelligence de ces signes ou qui obtient des dieux des révélations directes porte le nom de μάντις, dont la signification, d’abord plus étroite, s’est généralisée avec le temps. Μάντις, en effet, ne désignait d’abord que le prophète inspiré et ravi en extase, qui laisse échapper ce que la divinité lui suggère. Dans les poèmes homériques, cette extase ne se manifeste guère, à vrai dire, par des mouvements extérieurs ; tout se passe au dedans de l’âme. On sent cependant qu’un dieu, qui est le plus souvent Apollon, souffle au prophète ses paroles. Les prophéties de Calchas se rattachent, comme l’effet à la cause, à ses invocations et s’appellent les oracles divins d’Apollon[219]. L’inspiration se produit directement sans phénomène visible ; le devin perçoit avec l’oreille de l’esprit la voix de la divinité. Le poète dit d’Hélénos[220] : Il comprit dans son cœur la volonté des Immortels, c’est-à-dire d’Apollon et d’Athénée, lorsque ces dieux, dont les autres hommes ne peuvent entendre la voix, proposent de mettre Hector aux prises avec quelqu’un des héros grec, et Hélénos répète : J’ai été instruit par la voix des Immortels. De là le nom de θεοπρόπος appliqué aux devins, et celui de θεοπρόπιον ou θεοπροπίη, par lequel sont désignées leurs prédictions. Ces expressions, comme celle de prennent un sens plus général, lorsque le devin tire les conséquences des signes divers qu’il a mission d’observer et d’interpréter. Le prodige accompli dans Aulis, d’un dragon dévorant huit passereaux avec leur mère, révèle à Calchas que Troie sera prise au bout de neuf années ; et Polydamas, en voyant la lutte d’un aigle et d’un serpent, devine l’issue d’un combat entre les Grecs et les Troyens[221]. Des phénomènes météorologiques, tels que le tonnerre et les éclairs, l’arc-en-ciel, les étoiles filantes, les pluies de sang, mais surtout le vol des oiseaux, sont aussi des signes éclatants des volontés divines[222]. Le sens de ces augures semble quelquefois si bien défini et si clair qu’il n’est pas besoin pour les comprendre de science spéciale ou des dons particuliers dévolus aux devins ; tout homme sage en sait assez. Quelquefois même un éternuement ou des paroles prononcées au hasard, mais rattachées par celui qui les entend au sujet qui le préoccupe, peuvent avoir un sens augural. Ainsi Ulysse voit une imprécation prophétique dans les paroles par lesquelles une esclave, que les prétendants ont accablée de travail, exhale sa mauvaise humeur, et il en conclut le succès du combat qu’il doit livrer le lendemain[223].

Les diverses espèces de divination sont distinguées par des noms différents : les mots μάντις et θεοπρόπος ont, comme on l’a vu, un sens général ; on appelle οίωνοπόλος et οίωνιστής le devin qui interroge le vol des oiseaux ; l’interprète des songes, celui qui lit l’avenir dans ses rêves ou dans ceux des autres, est désigné sous le nom de όνειροπόλος[224]. On peut encore s’adresser, pour connaître les secrets du destin, aux θυοσκόοι, ou observateurs des sacrifices, et aux prêtres De ces noms on serait tenté de conclure l’existence d’un mode de divination par les entrailles des victimes, s’il y avait une trace quelconque de cette pratique dans les poèmes d’Homère, mais ce n’est pas le cas. Il faut donc croire que les ίερήες et les θυοσκόοι se bornent à observer les indices qui se produisent durant le sacrifice, comme la façon dont le bois s’enflamme, la combustion des chairs, l’attitude des victimes. Ces signes peuvent être interprétés par les prêtres, en raison de l’expérience qu’ils ont des sacrifices, ou par des personnes spécialement versées dans ces matières, que l’on avait coutume d’appeler même aux cérémonies domestiques[225].

Ce n’est que par occasion qu’il est fait allusion cher, Homère aux célèbres oracles de Delphes et de Dodone : il se borne à citer Pytho, l’antique Delphes, comme un riche sanctuaire, où Apollon révèle ses secrets ; de Dodone, il dit qu’Ulysse alla interroger le chêne à la haute cime sur les volontés de Zeus. Ailleurs, il cite comme les interprètes du dieu dans cette ville les Selles qui n’ont jamais lavé leurs pieds, et qui couchent sur la terre[226]. Il est pourtant question d’un mode particulier de prophétie, qui fait penser à ce qu’on a plus tard appelé nécromancie ou psychomancie : on raconte comment Ulysse, sur le conseil de Circé, se rendit dans l’empire d’Hadès, pour interroger l’âme de Tirésias sur son retour dans sa patrie, car, dit le poète, parmi tous les morts qui ne sont que des ombres errantes, celui-là seul a conservé, grâce à la faveur de Perséphone, la pleine conscience et les lumières qu’il possédait durant sa vie. Lorsque Ulysse est arrivé au lieu indiqué par Circé, son premier soin est de creuser une fosse, et de répandre à l’entour des libations pour tous les morts, d’abord avec un mélange de lait et de miel, puis avec du vin et enfin avec de .l’eau. Par-dessus, il jette de la fleur de farine : après quoi, il invoque les morts, promettant, s’il revoit Ithaque, de leur sacrifier une génisse stérile, la plus belle de ses troupeaux, et de mettre le feu à un bûcher rempli d’objets précieux ; Tirésias aura pour sa part une brebis noire. En attendant, Ulysse immole un agneau mâle et une brebis, et les jette dans le gouffre, autour duquel les ombres viennent boire le sang ; mais il les écarte ; c’est seulement quand Tirésias a bu et lui a révélé l’avenir, qu’il les laisse boire à leur tour, et s’entretient avec plusieurs d’entre elles, le sang dont elles se sont abreuvées leur ayant rendu pour quelque temps la conscience et la mémoire[227]. La conscience d’ailleurs n’était pas tout à fait éteinte chez ces ombres ; il ne faut pas prendre à la lettre ce que le poète dit à ce sujet ; autrement le sang des victimes ne les eût pas attirées, pas plus qu’elles n’auraient été arrêtées par la résistance d’Ulysse. Qu’auraient signifié aussi les prières, si ceux à qui elles s’adressaient ne les avaient pas entendues[228] ? Ce qui est vrai, c’est que la conscience des morts est obscure ; elle est une ombre de celle des vivants, comme leur existence dans le royaume souterrain est une ombre de la vie qu’ils menaient sur terre. Leur mémoire a disparu, et s’ils continuent ce qu’ils ont fait en ce monde, c’est uniquement par la force instinctive de l’habitude ; mais après qu’ils ont bu le sang des victimes, l’esprit se réveille en eux ; ils se rappellent clairement le passé et reconnaissent ceux qu’ils ont connus jadis. Ce passage de l’Odyssée est le seul qui offre des traces de nécromancie, ou même qui montre le culte des morts se manifestant par des libations et des sacrifices. Il est permis d’en conclure que le poète a transporté dans l’âge héroïque des pratiques inconnues encore à cette époque. De semblables anachronismes se retrouvent d’ailleurs en plusieurs parties du poème ; malheureusement il est impossible de distinguer quels sont, dans le tableau que nous avons esquissé jusqu’ici, les traits que le poète ou les poètes ont empruntés à des temps antérieurs, et ceux qu’ils ont reproduits d’après la société où ils vivaient. Les mêmes réserves s’appliquent à la suite de ce chapitre sur la Grèce homérique, en particulier pour ce qui concerne les conditions matérielles de la vie, et rentre dans le domaine des questions économiques.

Le pays appartenant à chaque État s’appelle δήμος. Le même mot désigne aussi les habitants, mais cette acception, quoique la plus habituelle, n’est certainement pas le sens originaire[229]. Chaque dème comprend une ou plusieurs villes, et comme l’épopée aime les descriptions complètes, les deux mots sont souvent réunis. La ville est le centre politique de la communauté, soit que cette communauté ait une existence distincte et indépendante, ou qu’elle doive être considérée comme faisant partie d’une plus vaste circonscription. C’est là qu’habitent les rois et les nobles qui participent au gouvernement de l’État. A la ville est opposée la campagne c’est-à-dire le pays plat, entrecoupé çà et là de métairies et de hameaux[230]. Il n’est pas douteux que beaucoup de villes fussent fortifiées et entourées de murs solides ; le fait est attesté par les épithètes εύτείχεος ou τειχιόεσσα, et par des débris de constructions conservés jusqu’à nos jours. Faut-il en conclure que toutes les villes fussent dans ce cas ? Cela est fort douteux. D’anciens écrivains disent au contraire que les villes de la Grèce primitive étaient la plupart ouvertes[231]. Le nom qui servait proprement à distinguer une ville fortifiée est άστυ ; lorsque les deux expressions se trouvent réunies, πόλις désigne la campagne attenant à la ville ou l’ensemble des habitants ; άστυ est la ville elle-même[232].

Le genre de vie des populations et leurs travaux ordinaires se rattachent plus en général aux mœurs rurales qu’à celles de la ville. Le noble ne dédaigne pas l’agriculture et l’élevage des bestiaux ; lorsqu’il abandonne le travail manuel à ses gens, il s’en réserve la direction. Nous avons vu déjà un roi surveillant ses moissonneurs dans son domaine, et des fils de roi gardant des troupeaux. Parmi les richesses des grands, figurent beaucoup d’objets précieux, enfermés dans des magasins ou des trésors[233] ; en général pourtant la fortune se mesure à l’étendue des terres et à l’importance du bétail. Fumée, voulant donner une idée des biens d’Ulysse, ne mentionne que les troupeaux qui paissent dans Ithaque et sur le continent voisin. De même, pour faire ressortir l’opulence de Tydée, on dit qu’il possède de vastes champs, beaucoup de vergers et de troupeaux[234]. Les présents offerts par les gendres aux beaux-pères consistent surtout en bœufs ; n’est ce qu’indique du moins l’épithète d’άλφεσίδοικι qui trouvent des bœufs, appliquée aux jeunes filles recherchées en mariage. Le prix des objets est aussi évalué en bœufs : Euryclée qui éleva Ulysse avait été payée vingt bœufs ; une autre esclave, habile cependant dans les travaux des femmes, n’en avait coûté que quatre. Un grand trépied est estimé douze de ces animaux ; les armes ornées d’or du prince lycien Glaucos sont évaluées au prix de cent bœufs ; celles qu’il reçoit en échange de Diomède n’en valent que neuf[235].

On possédait des troupeaux de chevaux : trois mille juments paissaient dans les pâturages d’Erichthonios, qui régnait sur la Dardanie avant la guerre de Troie et même avant la fondation de cette ville. Suivant la nature du sol, on élevait aussi des brebis, des chèvres et des porcs. Télémaque refuse les chevaux que lui offre Ménélas, parce qu’Ithaque n’est pas un pays propice à ces animaux[236] ; enfin il est question d’aines et de mules, lesquelles sont considérées comme particulièrement propres au labour[237]. Il est rarement question de volailles ; cependant on engraissait des oies à la cour de Ménélas et à celle d’Ulysse, mais dans Ithaque, c’était plutôt, à ce qu’il paraît, pour l’agrément de la reine, que comme une ressource pour les besoins de la vie[238]. Les mentions fréquentes de cire et de miel que l’on rencontre chez Homère ne permettent pas de douter qu’il ait fait remonter la culture des abeilles à l’âge héroïque.

En fait de céréales, sont cités le froment, l’orge et l’épeautre, qui paraît toutefois n’avoir servi que comme fourrage[239]. On laboure avec des bœufs et des mules ; la charrue est appelée πηκτόν άροτρον, ce qui suppose un assemblage de pièces, semblable à celui que décrit Hésiode, dans les Œuvres et Jours, et non à l’instrument simple appelé αύτόγυον qui ne se composait que d’un morceau de bois[240] ; on n’attend pas de nous une description plus complète. La moisson se fait à l’aide de faucilles ; les gerbes, transportées sur une aire ouverte de toute part sont foulées par des bœufs. On vanne le grain avec des pelles, puis des femmes esclaves le broient, orge ou froment, en faisant tourner des meules[241].

La culture de la vigne va souvent de pair avec celle des céréales. Télémaque se vante de ce qu’Ithaque est également fertile en grains et en vins. Un vignoble fait partie du domaine où s’est retiré Laërte. Les Calydoniens offrent à Méléagre un enclos, composé par parties égales de champs et de vignes. Enfin, une joyeuse scène de vendange, où le travail est interrompu par les chants et les danses, est représentée sur le bouclier d’Achille[242]. Le vin est conservé dans de grandes cruches de terre ; on le transporte dans des amphores ou dans des outres de peaux de chèvres. Les diverses épithètes qui servent à caractériser le vin, rouge, foncé, étincelant, doua comme le miel, indiquent qu’on faisait la différence des crus. Quant à déterminer ce qu’était au juste le vin pramnien, et d’où il tirait son nom, la question semblait déjà embarrassante aux anciens interprètes et, à vrai dire, elle peut être négligée sans un grave inconvénient. Les héros d’Homère n’ignoraient pas le mérite que le temps ajoute au vin : Euryclée réserve un vin vieux pour fêter le retour d’Ulysse ; celui que Nestor offre à Télémaque n’a pas moins de onze ans[243]. — Il n’est pas hors de propos de citer ici les fruits qui, dans le domaine de Laërte, sont cultivés avec le raisin : ce sont des ligues, des olives, des poires ; le jardin tant vanté d’Alcinoüs produit en outre des grenades et des pommes[244]. Parmi les légumes, Homère nomme les pois, les fèves et les oignons. Il est question aussi de pavots, mais seulement comme terme de comparaison ; rien n’indique qu’ils servissent d’aliments[245]. Les fourrages connus étaient le trèfle, une espèce d’ache désignée sous le nom de σέλινον, et une graminée qu’il est assez difficile de caractériser, le κύπειρον. Bien qu’il soit souvent fait mention des fleurs, il n’est dit nulle part qu’elle fussent entretenues comme plantes d’ornement, pour la décoration des jardins.

En même temps qu’ils surveillent tout ce qui tient à l’économie domestique, les héros d’Homère s’adonnent activement à l’exercice de la chasse. Artémis elle-même apprend aux chasseurs intrépides à poursuivre toutes les bêtes sauvages que les forêts nourrissent sur les montagnes[246]. Dans les récits de batailles, la chasse est une source abondante de rapprochements. Il y a telles chasses, comme celle du sanglier de Calydon, qui ont acquis une célébrité légendaire. La pêche, au contraire, bien qu’elle fournisse la matière d’une comparaison dans l’Odyssée[247], ne paraît pas avoir eu place parmi les exercices des nobles, et jamais le poisson ne figure sur leur table, qui n’est chargée que de viandes et de pain, car le pain est de tous les repas, alors même qu’il n’en est pas parlé[248]. Cela n’empêche pas que le poisson, si abondant le long des côtes de la Grèce, ait eu une large part dans l’alimentation des pauvres. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les paroles d’Ulysse énumérant les avantages d’un pays gouverné par un prince équitable : le poisson, dit-il, y abonde[249]. On pêchait à l’hameçon et au filet[250]. Il est vraisemblable que les barques des pêcheurs s’étaient aventurées à une assez grande distance des côtes. De tout temps la configuration de leur pays a été pour les Grecs un encouragement à la navigation. Le grand nombre d’îles qui avoisinent le continent et les contours sinueux des rivages rendaient ce mode de communication inévitable ; aussi le nombre des vaisseaux réunis devant Troie n’offre-t-il aucune invraisemblance. Toutefois les Grecs de l’âge homérique ne franchirent pas sur mer des espaces plus vastes que l’intervalle qui sépare la Grèce de l’Asie Mineure et des îles semées sur la côte. L’Italie, si proche, leur est inconnue, et une traversée en Phénicie ou en Égypte est une hypothèse inadmissible. Ce ne sont pas par conséquent des Grecs, mais les Phéniciens mêmes ou quelques intermédiaires qui ont apporté de Phénicie les marchandises phéniciennes dont il est souvent fait mention. On ne cite qu’un seul exemple d’un aventurier crétois, qui se serait mis en route pour l’Égypte, où, favorisé par le vent du Nord, il serait arrivé le cinquième jour. La mer qui sépare la Grèce de la Libye paraît immense à Nestor : un oiseau, dit-il, ne pourrait la franchir en un an. Un voyage d’un jour semble une longue et pénible traversée[251]. Le commerce que des marins grecs auraient entretenu avec l’Orient dès l’âge héroïque est donc une pure imagination. Il ne faut pas même s’exagérer l’activité des relations que dés navigateurs orientaux auraient établies avec la Grèce, attendu que ce pays n’avait à offrir ni produits naturels ni œuvres d’art, capables d’attirer les étrangers. Ce serait une naïveté de voir dans la profusion de riches métaux dont les poèmes homériques font étalage la preuve que les Grecs, chez qui ces métaux étaient en faible quantité ou manquaient complètement, se les seraient procurés par le commerce extérieur[252]. Cette abondance est telle qu’elle ne saurait s’expliquer, alors même que les produits de la Grèce eussent été aussi précieux et aussi recherchés que ceux de l’Inde. Il y a dans l’habitation de Ménélas tant d’or, d’argent et d’électron, que Télémaque s’en étonne : le palais de Zeus, dit-il, ne saurait être plus magnifique[253]. Cependant la maison d’Ulysse, à Ithaque, n’était pas elle-même trop mal pourvue : les aiguières, les bassins à laver les mains, les coupes, tout est en or. Le lit d’Ulysse est rehaussé d’or, d’argent et d’ivoire[254]. Des boucles d’or attachent les vêtements des hommes, aussi bien que ceux des femmes. Les armes mêmes portent des ornements d’or : le bouclier de Nestor est en or massif[255] ; partout l’or est chose toute naturelle. Peut-on sérieusement douter que ce précieux métal ait une existence purement poétique, et n’ait pas coûté plus cher aux chanteurs de la Grèce, que plus tard, aux auteurs des Sagas germaniques l’or rouge, dont ils ont non moins libéralement doté leurs héros ? Les cornes dorées des animaux offerts en sacrifice, dont il est parlé plusieurs fois, sont aussi une fiction, et l’orfèvre chargé d’exécuter ce travail n’a pas plus existé à Pylos, où on ne se fait pas faute de le désigner par son nom, que l’ouvrier qui a forgé le bouclier de Nestor[256].

Un grand nombre de passages contiennent les noms d’ouvriers et d’artistes qui permettent d’apprécier l’activité industrielle des temps héroïques. On y voit des forgerons qui fabriquent dés armes et d’autres instruments de fer ou d’airain, des corroyeurs, des tourneurs en corne, des charrons, des fabricants de sièges, des maçons, des charpentiers, des architectes[257]. Il, ne faudrait cependant pas croire qu’il existât une grande corporation d’artisans exerçant leur profession pour leur compte ; ils étaient en petit nombre, et quelquefois il fallait, en cas de besoin, faire appel à des étrangers[258]. On a vu ailleurs que les nobles mêmes ne dédaignaient pas de vaquer à des travaux manuels ; à plus forte raison, un homme de la classe inférieure fabriquait lui-même les objets usuels, et ne s’adressait que dans une absolue nécessité à un ouvrier de profession. Alors, il le faisait venir, et tous deux travaillaient en commun, ou bien il allait le trouver, et commandait ou achetait ce dont il avait besoin. C’est ainsi que le laboureur qui manque d’outils en fer doit aller à la ville en chercher chez le forgeron[259]. Tout ce qui concernait l’habillement se faisait à la maison ; filer et tisser était, même pour les princesses, une occupation journalière. Homère, de son droit de poète, attribue à quelques-unes d’entre elles une habileté si merveilleuse qu’elles pouvaient non seulement faire entrer dans leurs ouvrages des broderies de diverses couleurs, mais représenter des scènes de bataille ; on tissait des étoffes de laine et de fil[260].

On n’attend pas de moi une énumération et une description complètes des pièces qui composaient l’habillement, dans les âges héroïques. Je ne suis pas, je l’avoue, très curieux de ces recherches, un peu parce qu’aucune description ne peut réussir à rendre les objets saisissables, et que sur plusieurs points il est impossible d’arriver à une entière certitude, mais surtout parce qu’un tel sujet est d’une importance secondaire, et n’offre pas, à vrai dire, d’intérêt scientifique. Je me bornerai donc à des indications sommaires. Le vêtement des hommes se compose d’abord d’une tunique ou vêtement de dessous, semblable à une chemise sans manches, qui s’attache autour des hanches par une ceinture, et descend jusqu’aux genoux. Dans un passage dont, à la vérité, l’authenticité est suspecte, mais qui n’en est pas moins la confirmation d’une mode ionienne, attestée par d’autres témoignages, les Athéniens sont caractérisés par les mots de Ίαόνες έλκεχίτωνες, c’est-à-dire vêtus de tuniques traînantes[261]. Le vêtement de dessus est appelé quelquefois φάρος, mais plus souvent χλαΐνα. La χλαΐνα est à l’usage des grands et des humbles, des riches et des pauvres ; elle peut être double ou simple, en étoffe légère ou en épais tissu de laine. Les princes et les nobles la portent couleur de pourpre ; naturellement chez les pauvres elle n’est pas teinte, ou elle l’est de couleurs moins précieuses. Le φάρος est une autre espèce de manteau, de coupe différente, et seulement à l’usage des rois et des grands. A la χλαΐνα sont adaptées des boucles et des agrafes, qui n’existent pas dans le φάρος. Les chaussures se nomment πέδιλα ; ce sont des semelles de cuir avec un rebord étroit, fixées au pied par des lanières ; les pauvres gens les font eux-mêmes, ainsi que le montre l’exemple d’Eumée[262]. Pour les hommes de condition plus relevée, ces sandales sont faites par le σκυτοτόμος, qui travaille aussi le cuir pour d’autres usages. On ne met de chaussures que pour sortir de chez soi ; on les ôte en rentrant. La tête est toujours découverte, si ce n’est à la campagne et en voyage, où l’on porte un bonnet de feutre ou de cuir. Parmi les habillements des femmes ; Homère cite le πέπλος, sans en décrire la coupe ni la forme. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il était attaché à l’aide d’agrafes ; le πέπλος offert par Antinoüs à Pénépole en avait douze[263]. Bien qu’Homère se taise sur ce point, nous savons, d’après d’autres témoignages, que sous le péplos les femmes portaient aussi une tunique[264], qui ne descendait sans doute jusqu’aux pieds que chez les princesses et les nobles femmes. Au πέπλος dans quelques passages, est substitué le φάρος[265]. Les chaussures des femmes s’appelaient aussi et paraissent avoir été identiques à celles des hommes. Les coiffures féminines sont au contraire variées : les principales sont le κρήδεμνον, qui pouvait être ramené sur le visage, et descendait par derrière jusqu’aux épaules, et un voile dont les plis étaient assujettis autour de la tête et du corps. La chevelure était en outre retenue par les bandelettes dont se composait l’άμπυξ et peut-être aussi par des épingles à cheveux ou quelque chose d’approchant[266]. Homère cite en outre des pendants d’oreilles, des colliers ou des chaînes, des bracelets et autres ornements d’or, d’ivoire ou d’électron.

Les détails qui nous sont donnés sur les habitations se rapportent presque tous aux demeures des princes. Les autres n’obtiennent qu’une mention rapide, et nulle part on ne voit comment pouvait être disposée à la ville la maison d’un pauvre homme. En revanche, il est question d’une Lesché, centre de réunion, où, comme le nom l’indique, les gens s’assemblaient pour converser dans leurs moments de loisir. Les étrangers qui n’ont pas d’hôtes pour les héberger peuvent y trouver aussi asile la nuit[267]. Les habitations de campagne sont, ou bien des maisons de maître, autour desquels se groupent un certain nombre de huttes. pour les esclaves, comme dans le domaine de Laërte, ou des chaumières semblables à celle qu’Eumée s’est construite dans une grande et belle cour, fermée par un mur que surmonte une haie vive, et à l’intérieur de laquelle sont douze étables à porcs[268]. Parmi les palais, on distingue, dans l’Iliade, celui de Priam ; dans l’Odyssée, ceux d’Ulysse, de Nestor, de Ménélas et d’Alcinoüs ; les deus derniers sont les plus magnifiques. C’est naturellement à l’habitation d’Ulysse que l’on revient le plus souvent ; cependant, les descriptions sont si peu précises qu’il est bien difficile de se représenter clairement les objets. Nous nous bornerons à relever les traits principaux, sans en garantir l’exactitude[269]. Ce qui frappe d’abord, c’est un mur élevé et crénelé. Une porte à deux battants donne accès dans une cour spacieuse, dont l’entrée n’offre pas, à vrai dire, un spectacle bien attrayant ; elle est obstruée par un amas de fumier qui sera plus tard transporté dans les champs[270]. Près de là, doivent être aussi les étables et les écuries pour les bœufs et les mulets que l’on peut entretenir à la ville, car le plus grand nombre restent dans les métairies. Une muraille sépare cette cour d’une seconde, fort différente de celle qui la précède[271], le sol est non seulement tenu proprement, mais pavé, ou du moins battu. Autour règne un portique, sur lequel ouvrent des deux côtés de nombreux appartements, consacrés à différents usages : chambres à coucher pour les membres de la famille et les étrangers, salles de bains et dépendances de toutes sortes[272]. En face est le bâtiment principal, dont la partie antérieure est occupée par le μέγαρον, grande pièce supportée par des colonnes, dans laquelle, durant l’absence d’Ulysse, les prétendants ont coutume de s’assembler et de faire bonne chère. Lorsque le maître est présent, c’est là qu’il se tient ; souvent sa femme est auprès de lui[273]. En raison de son étendue, cette pièce est le centre de réunion générale, et sert de salle à manger ; les sièges n’y manquent pas, non plus que les tables, car-ce n’est pas la coutume qu’une même table réunisse tous les convives ; on prend les repas ou seul ou deux à deux[274]. On s’asseoit sur des chaises élevées, munies de dossiers et d’escabelles, ou sur des sièges moins massifs et moins hauts ; ces meublés sont recouverts d’étoffes, quelquefois de tapis de pourpre précieux. Un grand vase contient un mélange d’eau et de vin que les gens de service offrent à la ronde aux assistants. Il y avait .naturellement des tablettes et des armoires pour déposer ou enfermer divers objets : Nous remarquons en particulier un meuble[275], où les hommes serrent leur lance, qui les accompagne partout, comme, à une autre époque, on ne sortait pas sans canne. Du μέγαρον, part un escalier, menant à l’étage supérieur, dans lequel se trouve la chambre des femmes ; c’est là que la maîtresse de la maison travaille à l’écart des hommes, avec ses servantes[276]. La partie supérieure de l’habitation contient encore plusieurs pièces consacrées à différents usages, auxquelles conduisent des escaliers latéraux ; dans l’unes d’elles, Ulysse a établi le dépôt de ses armes[277]. Le jour pénètre par des portes ouvertes ou par des fenêtres qui peuvent être fermées avec des volets. Le mégaron est aussi éclairé par des fenêtres placées assez haut pour qu’on ne puisse les atteindre, sans monter quelques degrés[278]. Il paraît qu’une galerie étroite courait le long des murs, reliant entre eux ces degrés, ainsi que les escaliers qui conduisaient à l’étage supérieur. Le toit était en plate-forme.

La vie journalière des héros homériques se passait beaucoup plus au dehors de la maison qu’en dedans. On a vu que le roi invite souvent les hommes considérables par leur âge ou leur dignité à délibérer avec lui sur les affaires générales. Dans les cas plus importants, mais qui se présentent à de longs intervalles, la masse du peuple est convoquée. Les gérontes ont plus souvent encore l’occasion d’exercer des fonctions judiciaires ou arbitrales. Celui qui échappe à ces devoirs est forcé par l’administration d’un vaste domaine à de fréquentes absences ; il doit inspecter ses métairies ou visiter les troupeaux dans leurs pâturages. On sait que de semblables soins retenaient longtemps hors de chez eux même des fils de roi. La chasse à laquelle dans l’occasion on se livre avec ardeur entraîne aussi de longues absences. A la ville, les moments où l’on n’a rien à faire, et il y en a toujours beaucoup, sont remplis par des plaisirs et des distractions de société, parmi lesquels la gymnastique, les défis au disque ou au javelot, la danse et le jeu de balle, exercices très en faveur, du moins auprès des prétendants et des Phéaciens ; il faut y joindre les jeux de dés et d’osselets[279]. Ulysse déclare à la table d’Alcinoüs que le spectacle le plus agréable est de voir la joie régner parmi le peuple, et les convives assis devant des tables chargées de viandes et de pain écouter les chanteurs, tandis qu’un serviteur puise dans les urnes un vin généreux, pour le verser dans les coupes[280]. Les héros d’Homère savent, en effet, apprécier comme il convient ces agréments de l’existence ; ils boivent et mangent copieusement, et ne manquent pas à faire leurs trois repas par jour : l’άριστον de bon matin, le δεΐπνον au milieu du jour, le δόρπον le soir[281]. S’il se présente un étranger, on lui offre à boire et à manger ; ce serait une inconvenance de le questionner sur son nom et sur ses affaires avant qu’il soit repu. Les banquets reviennent fréquemment, et portent des dénominations diverses qu’il est, à vrai dire, difficile de distinguer. Le mot είλαπίνη parait désigner une réunion de buveurs, c’est le synonyme de συμπόσιον, dont il n’y a pas encore d’exemple dans Homère ; l’έρανος est un pique-nique ; la θοίνη est peut-être bien le festin qui accompagne le sacrifice[282]. Ne sont pas compris sous ces désignations les repas de noces et les repas funéraires. Bien que l’on ne néglige pas le boire et le manger, les plaisirs plus délicats paraissent être l’attrait principal du festin. Ulysse, dans sa réponse à Alcinoüs, n’a garde d’oublier les chanteurs. Le chant et le son des instruments sont les embellissements du festin (άναθήματα δαιτός)[283]. Les convives restent longtemps encore attentifs aux chants du poète, après que les besoins plus grossiers sont satisfaits, et quelquefois, comme aux noces du fils de Ménélas, la danse s’ajoute aux plaisirs des invités[284].

Nous ne pouvons nous détacher du inonde héroïque, sans jeter un coup d’œil sur ce qui est l’objet principal de l’épopée, la guerre. Quel que soit le jugement que chacun porte sur la réalité de la guerre de Troie, il n’y a jamais eu, ni auparavant ni depuis, une autre guerre semblable ou récit qu’on a fait de celle-là. Nous n’avons plus d’ailleurs les anciens chants qui célébraient l’expédition des Argonautes, la ligue des Sept Chefs devant Thèbes et la lutte des Épigones. Il est souvent question, en revanche, d’escarmouches entre diverses peuplades pour des terrains contestés, de troupeaux enlevés, ou d’autres actes de brigandage, et il est probable, en effet, que les accidents de ce genre étaient assez fréquents dans l’âge héroïque ; nous ne pouvons cependant admettre cette absence de toute règle, cet état de guerre universelle et sans relâche que certains critiques ont essayé de reconstruire avec les poèmes d’Homère, interprétés à leur façon. Comme d’ailleurs les coups de main sont mentionnés rapidement et sans détail, il nous faut nous en tenir aux descriptions que nous fournit l’Iliade des grands événements accomplis dans la guerre de Troie. Figurons-nous donc une armée de plus de 100.000 hommes, transportée de toutes les parties de la Grèce, par 1.186 vaisseaux, et réunis sur le rivage, à une assez grande distance de la ville qu’ils viennent assiéger. Les navires, tirés hors de la mer et disposés sur plusieurs files, forment un camp semblable à une grande ville ; il y a en effet une place publique pour les assemblées et les tribunaux, et des autels pour le service divin[285]. Les tentes des princes ont l’apparence de maisons considérables ; il n’y manque ni vestibule ni portique ; la tente d’Achille est désignée par les mots de δόμος et d’οΐκον[286]. Le camp est entouré d’un rempart, défendu de place en place par des tours. D’après le texte de l’Iliade, tel qu’il est constitué actuellement, ce serait seulement dans la dixième année de la guerre que ce rempart aurait été construit ; cependant il subsiste des traces d’un autre récit, suivant lequel les Grecs auraient fortifié le camp dès leur arrivée[287]. Les opérations du siège se bornaient à des tentatives, faites de temps à autres pour escalader les murs de la ville. Quelquefois les Troyens opèrent de leur côté une sortie, et offrent aux assiégeants la bataille en rase campagne. Il paraît cependant, toujours d’après la recension actuelle de l’Iliade, qu’aucune rencontre de ce genre n’avait eu lieu avant la dixième année. Les Grecs, dans l’intervalle de leurs assauts, allaient ravager la contrée environnante ou même les îles voisines, pour se procurer des moyens d’existence, et le héros par excellence, Achille, se vante d’avoir détruit jusqu’à vingt-trois villes dans des expéditions de ce genre, sur terre et sur mer[288]. Outre le butin qu’il se procurent à main armée, les Grecs sont ravitaillés par les insulaires qui ont embrassé leur cause, en particulier par les Lemniens[289]. La cavalerie prend part aux combats, concurremment avec l’infanterie ; mais par cavalerie il faut entendre des hommes montés, non sur des chevaux, mais sur des chars. La Grèce historique ne connaît déjà plus cette manière de combattre ; on ne voit même pas bien de quoi s’autorise l’épopée pour l’attribuer à ses héros. Toujours est-il que les princes et les nobles ne combattent à pied que par exception. Sans décrire minutieusement les chars de combat, rappelons qu’ils portent sur deux roues et sont traînés par deux chevaux, auxquels on en adjoint souvent un troisième, comme cheval de volée, pour servir de réserve[290]. Les chars sont montés par deux hommes, le combattant et le cocher, qui est toujours lui-même choisi dans la classe des nobles, parmi les amis et les compagnons d’armes de celui qu’il conduit. Quelquefois même ils changent de rôle, le combattant prend les rênes, et le cocher prend les armes. Souvent aussi le guerrier descend de son char et combat à pied, auquel cas le conducteur se tient le plus près possible, pour pouvoir le recueillir au besoin.

Le onzième livre de l’Iliade est la meilleure source d’informations, en ce qui touche l’armement des héros, au moins pour les pièces principales. Agamemnon attache d’abord ses jambières, lames de métal doublées de cuir ou de quelque étoffe solide, et fixées par des boucles ou des agrafes sur les jambes, qu’elles recouvrent depuis la cheville jusqu’aux genoux[291] ; puis il revêt sa cuirasse formée de deux pièces d’airain, qui protègent la poitrine et le dos ; la cuirasse est ornée de bandes de différents métaux et de figures. Agamemnon jette ensuite par-dessus ses épaules son glaive, à la poignée ornée d’or en relief, c’est-à-dire qu’il attache autour de lui le baudrier auquel est suspendu le fourreau d’argent également orné d’or, qui enferme le glaive ; après quoi il adapte à son côté, avec l’aide d’une courroie, un bouclier, bordé de dix cercles d’airain et relevé par vingt bossettes, qui le couvre tout entier ; au milieu se détache une effroyable tête de Gorgone. Enfin il se coiffe de son casque, recouvert d’une queue de cheval que surmonte un panache, et prend non pas une lance mais deux[292]. D’autres passages peuvent suppléer à cette description, pour les pièces accessoires qui n’y sont pas mentionnées. Il y a trace d’un ceinturon, servant sans doute à retenir en dessous les deux parties de la cuirasse, et d’une sorte de tablier, probablement en cuir garni de lames métalliques, qui couvrait la partie inférieure du corps et les cuisses[293]. Plusieurs indications prouvent d’ailleurs que les héros d’Homère n’étaient pas toujours équipés de la même façon. Il est souvent question, comme vêtement militaire, d’une tunique, probablement aussi en cuir garni de plaques, ou, peut-être formée de chaînes ou d’anneaux entrelacés, qui paraît avoir rempli l’office de cotte de mailles. D’après le catalogue des vaisseaux, le Locrien Ajax porte une cuirasse de lin, de même que le Troyen Amphios, de Percote[294] ; mais rien de semblable ne reparaît plus dans l’Iliade.

En fait d’armes offensives, outre le glaive et la lance, qui servaient à combattre de près, nous voyons cités la fronde et l’arc dont font usage en particulier parmi les Grecs, Teucer de Salamine ; chez les Troyens, Pâris et Pandaros de Lycie[295] ; le javelot, plus court et plus léger que la lance, qui elle-même cependant est quelquefois dardée sur un ennemi placé à faible distance ; la hache et la massue[296]. Toutefois, cette dernière arme n’est pas mise en usage dans les combats livrés devant Troie. Souvent enfin on se bat à coups de pierres, et Homère remarque qu’il faudrait deux hommes de la génération actuelle, pour soulever les quartiers de roche que ses héros se jettent à la tête[297]. La masse des combattants était plus légèrement armée que les guerriers de marque. Quelques peuplades, telles que les Arcadiens et les Dardaniens, sont signalées comme habituées à combattre de près les Thessaliens de Philoctète se distinguent comme archers ; les Abantes d’Éléphénor sont réputés pour leur habileté à manier la lance. Il y a tels soldats qui ne portent d’autres armes défensives qu’un casque et un étroit bouclier. Les Locriens n’étaient pas, dit-on, capables de combattre de pied ferme et corps à corps, parce qu’ils n’avaient ni casques, ni boucliers, ni lances, mais seulement des arcs et des frondes[298]. Pour livrer bataille, les armées se disposent en rangs et en colonnes ou phalanges, à l’exception de ceux qui combattent avec l’arc et la fronde. Au moment où elles se précipitent les unes sur les autres, le poète les compare à des moissonneurs qui, partis des deux côtés opposés, fauchent les mêmes sillons : les boucliers se heurtent, les lances se croisent, et bientôt la terre ruisselle du sang des morts et des blessés[299]. Le plus souvent, cependant, les armées se tiennent à la distance des traits ; des deux côtés, volent les javelots, les flèches et les pierres. Seuls, les héros qui engagent le combat, montés d’ordinaire sur des chars, quelquefois aussi à pied, s’avancent dans l’espace qui sépare les bataillons ennemis, le pont de la bataille comme dit Homère[300]. Ils appellent et encouragent leurs soldats, d’où leur est venu le nom d’appelants ils s’élancent dans les rangs opposés, et quand ils ont abattu quelque guerrier considérable, les autres se débandent et prennent la fuite. Il n’est pas rare non plus que des combats singuliers s’engagent, pendant lesquels les armées restent spectatrices, et ne semblent plus prendre part à l’action. Ces combats se livrent tantôt en char, tantôt à pied. Les combattants commencent par lancer des javelots, et saisissent ensuite leur glaive ; le vainqueur enlève an vaincu ses armes et quelquefois cherche à s’emparer de son corps pour le livrer aux chiens et aux oiseaux de proie. Aussi les luttes les plus acharnées s’engagent-elles autour des cadavres.

Les morts vulgaires restent couchés sur le sol, jusqu’à ce qu’ils puissent être enlevés et brûlés[301] ; mais les héros sont honorés par les leurs de magnifiques funérailles ; telles sont celles de Patrocle et d’Hector. Le corps de Patrocle, lorsqu’on est parvenu à l’arracher des mains d’Achille, est rapporté au camp, dans la tente du vainqueur. Là, il est lavé avec de l’eau chaude et frotté d’huile, puis porté sur un lit et enveloppé d’un léger linceul, par-dessus lequel on étend un voile blanc. Les Myrmidons entourent le cadavre toute la nuit, en priant et en gémissant. Achille repousse toute nourriture, tant qu’il n’aura pas vengé son ami, et jusque-là se refuse à lui donner la sépulture[302]. Sa vengeance accomplie, après qu’Hector est tombé, les funérailles commencent. Un bûcher est construit, et le corps y est porté, au milieu de tous les Myrmidons, revêtus de leur armure. Cavaliers et fantassins, tous coupent leur chevelure, et la répandent sur le bûcher. Des brebis et des génisses sont immolées ; de leur graisse, on enveloppe le corps, et l’on entasse leurs membres sur les matières inflammables. Des urnes remplies d’huile et de miel sont placées près du lit funéraire ; quatre chevaux, deus chiens et douze prisonniers sont mis à mort, pour être consumés avec les autres victimes. Le feu enfin est allumé, et après que le monceau a croulé, les flammes sont éteintes avec du vin. Les ossements de Patrocle sont rassemblés et recueillis dans une urne d’or, afin d’être réunis plus tard à ceux d’Achille, dans un même tombeau[303]. — Pour Hector, son cadavre, rendu à Priam, est reçu dans Troie avec des gémissements et des pleurs. Il est placé sur un lit funéraire ; des chanteurs entonnent des chants lugubres, auxquels les femmes répondent par des lamentations. Andromaque, Hécube et Hélène adressent au mort un suprême adieu ; puis le bûcher est dressé, et on y met le feu, que l’on éteint aussi avec du vin. Les ossements sont recueillis par les frères et les amis du héros, dans un vase d’or enveloppé avec des étoffes de pourpre, puis déposés dans une fosse que l’on recouvre de pierres, et sur laquelle on élève un monticule. Un repas termine la cérémonie[304].

Ainsi furent célébrées les funérailles du vaillant Hector. Ces mots sont les derniers de l’Iliade ; par là aussi nous pouvons terminer la description du monde héroïque.

 

 

 



[1] Voy. J. Brandis, Comment. de temporum Græcorum antiqua ratione, Bonn, 1857.

[2] Voy. Bœckh, Corpus Inscriptionum græc., t. II, p. 329 ; Clinton, Fasti hellenici, t. III, p. 123.

[3] Il., II, 486.

[4] Il., V, 302 ; XII, 380 et 1147 ; XX, 285. Velleius Paterculus dit judicieusement à ce sujet (l. I, c. 5) : Homerus longius a temporibus belli quod composuit Troici, quam quidam rentur, abfuit... quo nomine non est mirandum quod sæpe illud usurpat : οΐον νΰν βροτοί είσί. Hoc enim, ut hominum, ita sæculorum, notatur differentia. Heuzey (Le Mont Olympe, Paris, 1860, p. 264) établit que les Grecs d’aujourd’hui considèrent encore leurs ancêtres comme une race de géants, ce qui n’a pas empêché des critiques modernes, au moins un, de déclarer interpolés tous les passages d’Homère où cette idée est exprimée.

[5] On a déjà remarqué avec raison, en particulier Curtius (Histoire Grecque, I, p. 162 et suiv. de la trad. franç.) que l’autorité très restreinte à laquelle, d’après Homère, Agamemnon lui-même est borné, ne s’accorde pas avec les monuments grandioses, signalés plus haut, qui témoignent d’un état de choses oublié à l’époque où les poèmes homériques ont vu le jour.

[6] Le nom de Péloponnèse ne se rencontre pas chez Homère, mais bien dans l’hymne homérique en l’honneur d’Apollon Pythien ; il suppose l’existence d’un peuple appelé Pelopes, autre forme du nom des Pélasges, de même que les fables répandues sur Pélops témoignent du lien qui rattachait ce peuple à l’Asie Mineure, Voy. Preller, Mythologie, t. II, p. 379, et Gerhard, Mythologie, t. II, p. 179.

[7] Il., II, 108 ; cf. Thucydide, I, 9, et les notes d’Usteri dans les Vorlesungen ueber Ilias de Wolf, 2e part., p. 108.

[8] Il., II, 286 et 339.

[9] Le poète laisse soupçonner ce motif, mais sans le préciser nulle part. On peut remarquer même qu’il garde le silence dans beaucoup de passages où l’on attendrait des explications.

[10] Thucydide, I, 10 ; voy. Sengebusch, Dissertationes Homericæ, I, p. 142.

[11] On pourrait, si c’était ici le lieu, opposer à la défense du Catalogue, que Mure a tentée dans son History of the Lanquage and Literat. of anc. Greece, plusieurs arguments dont il n’a tenu aucun compte.

[12] Voy. Nitzsch, Anmerk. zur Od., III, 265, et IV, 25.

[13] Aristote, Politique, IV, 6, § 5 et V, 1, § 3 ; Rhétorique, II, 15.

[14] Par exemple, le chanteur Demodocos et le héraut Moulios (Od., VIII, 483, et XVIII, 423 ; toutefois il est à remarquer que les épithètes διογενεΐς et διοτρεφεΐς sont exclusivement réservées aux nobles.

[15] Od., XIV, 48, 401 et 413 ; XVI, 1 ; XXI, 240 et passim. Voy. aussi Nitzsch, Amnerkungen zur Od., III, 265.

[16] Dans l’Odyssée (XIV, 202), un bâtard, fils, il est vrai, d’un homme opulent, mais dont la mère était esclave, et que ses frères, après la mort de leur père commun, avaient réduit à une très petite part de l’héritage, put, grâce à son mérite, trouver une femme dans une riche famille.

[17] Il., XI, 70, 89 et 574.

[18] Od., XXI, 21.

[19] Il., XI, 077, et XXII, 119. Le γερούσιος οΐνος (Il., IV, 259 ; Od., XIII, 8) n’est pas un vin vieux comme on l’a prétendu, mais le vin qui était servi aux γέροντες.

[20] Il., IX, 70 ; Od., VII, 189 ; VIII, 42, et XIII, 8.

[21] Od., VIII, 390 ; VI, 54.

[22] Voy. Athénée, Deipnosoph., V, 19, p. 192.

[23] Il., II, 50 et 86.

[24] Od., II, 30 ; Il., I, 55.

[25] Od., II, 7.

[26] Plus loin (Od., XVI, 376), Antinoüs exprime la crainte qu’une seconde tentative réussisse mieux.

[27] Od., III, 137.

[28] Od., VIII, 5.

[29] Od., XXIV, 420.

[30] Il., VII, 345 ; Od., VIII, 5.

[31] Od., I, 373 ; II, 14 ; VIII, 6 et 16. Dans un autre passage (II, 26), où le poète distingue les mots άγορή et θόωκος, le dernier, qui suppose que l’on était assis, désigne sans doute une réunion à laquelle les chefs seuls prenaient part. Dans les assemblées de l’armée devant Troie (άγοραί), la foule aussi était assise, mais il ne pouvait y avoir de place qu’à la condition de s’asseoir par terre. Voy. Il., II, 96 ; VII, 414 ; XVII, 247.

[32] Il., I, 234 ; XXIII, 567 ; voy. aussi Nitzsch, Anmerkungen zur Od., II, 35.

[33] Il., II, 212 et suiv.

[34] Il., II, 202, et XII, 212.

[35] Od., XIX, 108.

[36] Il., XVIII, 497.

[37] Ailleurs (Il., XXIII, 574), le mot άρωγή exprime la partialité des juges.

[38] Voy. Eichhorn, Staats-und Rechtsgeschichte, I, § 78.

[39] Pour la justification de ce sens, qui n’est pas universellement adopté, voy. Schœmann, Antiquit. juris publ. Græcorum, p. 73 ; voy. aussi Nægelshach, Homerische Theologie, p. 292, 2e édit.

L’interprétation de M. Schœmann est celle que, seuls parmi les traducteurs français, ont choisie MM. Thomas, A. Renouvier et A. de Cambis, dans leur traduction de l’Iliade (Paris, 1810), la meilleure de toutes et malheureusement la plus rare. (G.)

[40] Voy. Bœckh, Metrolog. Untersuchungen, p. 33.

[41] D’autres explications ont été proposées par Kuhn, dans les Indische Studien de Weber, t. I, p. 334 ; par Pott, Etymilog. Forschungen, t. II, p. 250, et par Bergk, dans le Neues Rheinisches Museum, t. XIX, p. 604.

[42] Il., II, 503.

[43] Pausanias, V, III, § 4, et Eustathe, Comment. sur l’Iliade, II, 615.

[44] Il., II, 511, 676, 732.

[45] Il., II, 494 ; Pausanias, IX, V, § 8.

[46] Politique, III, 9, § 2 ; Il., II, 391, XV, 358.

[47] Il., XIII, 669 ; Od., XIV, 258.

[48] Il., XXIV, 400.

[49] Il., XXIII, 297.

[50] Politique, III, IX, §§ 7 et 8.

[51] Il., IX, 534.

[52] Od., III, 5.

[53] Od., XIII, 179.

[54] Il., II, 402.

[55] Il., III, 271.

[56] Il., XI, 772 ; Od., III, 443.

[57] Le mot ίερεύειν est employé comme synonyme de σφάττειν ; voy. Il., XXIV, 125 ; Od., II, 56 ; XIV, 74 ; XVII, 180 ; XXIV, 215, et passim.

[58] Voy. Schœmann, Antiq. jur. publ. Græcor., p. 62. On ne voit pas clairement si Chrysès, dans le 1er livre de l’Iliade, se présente seulement comme prêtre, ou aussi comme souverain de Chryse.

[59] Il., XX, 183.

[60] Il en est en particulier ainsi dans l’Attique, où règnent les quatre fils de Pandion, mais en reconnaissant la suprématie d’Egée ; voy. Strabon, IX, p. 392.

[61] D’après la déclaration de cette princesse (Il., III, 236), ses frères auraient encore été vivants lorsqu’elle s’était laissé enlever par Pâris, mais ce sont là des contradictions sans conséquence.

[62] Od., III, 215, et XVI, 95.

[63] Il., X, 33 ; XIII, 218 ; Od., II, 234 ; V, 8 ; XIX, 109.

[64] Od., IV, 690.

[65] Od., XI, 187 et 497.

[66] Od., XI, 185 ; Il., XII, 313, et VI, 194.

[67] Il., IX, 149 ; Od., IV, 175.

[68] Il., IX, 1179 ; Od., III, 1188, et XV, 186. Voy. aussi Il., V, 446, et Pausanias, II, 4, § 2, et 6, § 4.

[69] Voy. Tzetzès, Comment. sur Lycophron, v. 838, et Welcker, Trilogie, p. 381. Suivant Nitzsch (Anmerk. zur Od., I, 117), le mot θέμιστας ne s’appliquerait qu’aux amendes, interprétation vraisemblablement trop étroite. Dœderlein, dans ses notes sur l’Iliade (IX, 156) est plus près de la vérité. Il y a entre les deux mots la même différence qu’entre φόρος et δώρα ; voy. Hérodote, III, 89 et 97 ; Thucydide, II, 97.

[70] C’est ce qu’affirme l’auteur d’une lettre apocryphe de Pisistrate, citée par Meursius (Pisistratus, c. VIII), qui interprète dans le sens de dîme les ρητά γέρα dont parle Thucydide (I, 13), mais γέρα désigne en général tout ce qui est honneurs, distinctions, émoluments.

[71] Il., VIII, 162, et XII, 311.

[72] Od., IV, 115 et 154 ; XIX, 225 et 242.

[73] Od., IV, 298, et Il., XXIV, 645.

[74] Il., IX, 200 ; Od., X, 352, et XX, 151.

[75] Od., VI, 53 et 306 ; VIII, 373, et XIII, 108.

[76] Justin, XII, 3 ; cf. Eckhel, Doctrina nummaria, I, p. 235.

[77] Il., IX, 156 et 298.

[78] Il., XVIII, 556.

[79] Od., XIII, 437 ; XIV, 31, et XVII, 199.

[80] Il., I, 246.

[81] Voy. C. F. Hermann, De Sceptri regii antiquitate et origine, Gœttingæ, 1851.

[82] Justin, XLIII, 3. Le sceptre d’Agamemnon, conservé comme relique à Chéronée, était désigné sous le nom de δόρυ ; voy. Pausanias, IX, XI, § 6.

[83] Tacite, Annales, IV, 7.

[84] Od., XIX, 135, et XV, 96 ; Il., X, 31 4r et 380 ; VII, 226, XXIV, 282, 325 et 673.

[85] Voy. Eustathe, Comment. sur l’Iliade (X, 314 ; XVII, 323), p. 808 et 1103, et sur l’Odyssée (II, 22), p. 1431.

[86] Il., I, 334 ; VII, 274 ; VIII, 517. Voy. aussi Eustathe, Comment. sur l’Iliade, I, p. 83.

[87] Voy. Kostka, De Præconibus apud Homerum, Lyck, 1844. La distinction que tente d’établir Ameis entre les hérauts publics et les hérauts privés (ad Od., XIX, 135), est une pure hypothèse. C. F. Hermann, dont il invoque l’autorité, ne dit rien de semblable, dans ses Griech. Alterthümer.

[88] Il., XIII, 246 ; XVI, 145, 244, 464 et 865.

[89] Il., II, 549 ; IX, 404 ; Od., VIII, 80.

[90] Od., VI, 9.

[91] Od., XII, 345.

[92] Il., XXIII, 148 ; Od., XVII, 210 ; XX, 278.

[93] Ainsi que le remarque Nægelsbach (Homerische Theologie, p. 201), rien ne prouve, en effet, que les prêtres auxquels Achille s’en réfère (Il., I, 62) soient nécessairement des prêtres grecs.

[94] Il., XVI, 604.

[95] Il., I, 62.

[96] Il., V, 78 ; XVI, 605.

[97] Voy. par exemple Hérodote, III, 142 ; VII, 153 ; et le Scholiaste de Pindare (Pyth., III, 137).

[98] Il., II, 362 ; voy. sur ce passage le Comment. d’Eustathe, et Apollonius, Lexicon Homericum, au mot φρήτρη.

[99] Il., II, 655 et 668.

[100] Od., XIX, 175.

[101] Il., II, 684.

[102] Od., XV, 412. Je me réserve d’établir ailleurs que l’île de Syrié, patrie d’Eumée, n’a qu’une existence mythologique. W. G. Clarck a déjà prouvé, dans son livre intitulé Peloponnesos, qu’elle n’a rien de commun avec l’île de Syros.

[103] Il., IX, 648, et XVI, 59.

[104] C’est probablement par hasard que ce mot se présente uniquement sous sa forme féminine δούλη. Si δούλη, même ne se trouve que deux fois dans les poèmes homériques (Il., III, 409 et Od., IV, 12), cela ne tient pas à la différence de signification entre ce mot et δμώς, malgré ce que dit Nitzsch à propos du passage cité de l’Odyssée. L’expression δουλοσύνην άνέχεσθαι, appliquée à des esclaves appelées δμωαί (Od., XXII, 423), prouve assez que δοΰλος n’exprime pas le passage de la liberté à l’esclavage, ainsi que le faisaient supposer à Nitzsch les mots souvent réunis de δούλειον ήμαρ. Il est difficile d’admettre que les δμωαί dont parle Euryclée fussent nées libres, et l’apparence servile exprimée par les mots δούλειον εΐδος (Od., XXIV, 252) n’est certainement pas celle d’un homme né libre et tombé dans l’esclavage, mais celle d’un esclave de naissance et de condition.

[105] Od., IV, 245 ; XIV, 4 et 63.

[106] Od., XV, 350, 389 et 413 ; XVI, 36 ; XX, 185 et 254 (où l’expression de όρχαμος άνδρών est appliquée aussi au bouvier Philétos), XIV, 449, et XXI, 214. Bien que nulle part Homère ne parle formellement d’esclaves affranchis, ce n’est pas une raison suffisante de rejeter cette conjecture. Suivant les poètes postérieurs, les esclaves restés fidèles à Ulysse furent affranchis et admis dans la classe des citoyens. Deux familles à Ithaque passaient encore, au IIe siècle après J.-C., pour être issues d’Eumée et de Philétios. Vov. Plutarque, Quæstiones græcæ, 14.

[107] Od., I, 398 ; XV, 427 et 483 ; XVII, 426.

[108] Od., IV, 644 ; XIV, 102 ; XVIII, 357 ; Il., XXI, 444.

[109] Il., XVIII, 560 ; Od., VI, 32. Il est certainement plus simple de faire dériver le mot έριθος d’έρις, rivalité, que de έριον, laine ; voy. Od., VI, 92 et XVIII, 365 ; Quintus de Smyrne, VIII, 280, et l’Antholog. palat., VI, 286. Les έριθοι qui, au XVIIIe livre de l’Iliade, font la moisson dans le τέμενος du roi, sont certainement des esclaves, puisque l’on ne saurait supposer que le roi n’ait eu que des travailleurs à gages ; autrement ce n’était pas la peine de les citer.

[110] Od., XXIV, 226.

[111] Il., V, 313 ; VI, 423 ; XI, 106 ; XX, 188.

[112] Od., III, 464.

[113] Il., XXIV, 263 ; Od., VII, 4.

[114] Il., IX, 206.

[115] Od., V, 243, et XXIII, 189.

[116] Il., VI, 314.

[117] Od., XVIII, 382 ; XIX, 135. Les préparations bienfaisantes, telles que le népenthès qui calme les soucis (Od., IV, 221), ou les sortilèges funestes par lesquels Circé change les hommes en pourceaux, supposent la notion de substances agissant à l’intérieur du corps ; mais rien n’indique que l’on s’en soit servi comme de moyens curatifs ; les incantations (έπαοιδή) à l’aide desquelles on arrête le sang (Od., XIX, 457) rentrent aussi dans les sortilèges.

[118] Il., V, 60 ; XV, 411 ; Od., VI, 233.

[119] Suivant Nitzsch, Anmerkungen zur Od. (III, 425), où il s’en réfère à trois autres passages (Il., XVIII, 560 ; Od., XV, 316, et XVII, 383), la rémunération ne consistait ordinairement que dans la nourriture ; mais il n’est pas question, dans le second de ces passages, d’ouvrier démiurgique, et quant au troisième, il n’est pas bien prouvé que καλεΐν signifie inviter à sa table. Dans tous les cas, l’invitation n’exclurait pas cet autre salaire que doit reporter à ses enfants l’ouvrière citée dans l’Iliade (XII, 1135).

[120] Il., VI, 289 ; XXIII, 741.

[121] Od., III, 72 ; IX, 253.

[122] Thucydide, I, 5.

[123] Voy. le Scholiaste d’Homère (ad Od., III, 71), Eustathe, p. 1453, et Sengebusch, Dissertat. homericæ, I, p. 142.

[124] Od., XVI, 427.

[125] Od., XIV, 85. Όπις doit s’entendre ici de la vengeance divine ; voy. Nitzsch, Anmerk. zur Od. (v. 146) et Dœderlein, Glossar. Homer., II, p. 256. Il y a lieu de remarquer aussi le mot μαψιδίως (Od., III, 72, et IX, 253).

[126] Od., IX, 39 ; Il., II, 846 ; XVII, 73. On n’aurait pas dû citer à l’appui de l’opinion contraire les esclaves conquis par Ulysse, dont parle Télémaque (Od., I, 398) ; car il n’est rien moins que certain qu’ils fussent le produit du brigandage et non d’une guerre loyale.

[127] Voy. en attendant de plus amples développements sur ce sujet, Schœmann, Antiq. juris publ. Græcorum, p. 374.

[128] Od., XIII, 213 ; XVI, 384 ; XVII, 485 ; XVIII, 138 ; Il., III, 279.

[129] Od., XXIV, 433.

[130] Les Nombres, XXXV, 33.

[131] Il., IX, 632.

[132] Od., XXIII, 118.

[133] Voy. Schœmann, Antiq. juris publ.. Græcorum, p. 73, et dans ses notes sur les Euménides d’Eschyle, p. 63.

[134] Voy. E. Curtius, Histoire Grecque, t. I, p. 126 de la trad., où l’auteur se prononce un peu plus fortement encore que je n’ai osé le faire.

[135] Il., IX, 461.

[136] Il., II, 665 ; XIII, 696 ; XV, 335 ; XVI, 573.

[137] Il., XXIII, 85.

[138] Od., XV, 224. — On a cité à tort un autre exemple, tiré de l’Odyssée (XIII, 259), qui n’a point de rapports avec les précédents, ainsi qu’on peut s’en convaincre par un examen attentif.

[139] Voy. aussi le passage de l’Iliade sur les prières (IX, 498-508).

[140] Hésiode, les Heures et les Jours, v. 371.

[141] Il., XVIII, 501 ; XXIII, 584 et 486.

[142] Dans les lois de Solon, les témoins s’appelaient ίδυΐοι, ceux qui savent ; témoin se dit aussi Wito, dans la langue des Frisons : voy. Richthof, Friesische Wœrterbuch, p. 1153.

[143] Od., XIV, 393.

[144] Il., IX, 394 ; Od., IV, 10.

[145] Od., XI, 288.

[146] Il., XVI, 178 et 190 ; XXIII, 472 ; Od., VI, 159 ; VIII, 318, et XI, 282.

[147] Il., IX, 146 et 288.

[148] Od., I, 277 et II, 196. Les mots οί δέ, dans ces deux passages, désignent certainement les parents. On trouve aussi dans l’Odyssée (II, 53) έδνοΰσθαι θύγατρα, doter une fille, et dans l’Iliade (XIII, 382) έεδνωτής désigne celui qui donne la dot. Les composés se rencontrent aussi chez les poètes lyriques et tragiques. Vov. par exemple Pindare, Olymp., IX, 11 ; Euripide, Androm., 2, 153 et 942.

[149] Il., IX, 147 et 289.

[150] Voy. Nitzsch, Anmerkungen zur Od., t. I, p. 50, et Dœderlein, dans ses notes sur l’Iliade (IX, 1117). Il n’y a aucune conséquence à tirer du sens que des écrivains postérieurs, Lucien par exemple (Anthol. palat., IX, 367), ont attribué à ce mot.

[151] Aristote, Politique, II, 5, § 11.

[152] Cette obligation peut se déduire sûrement d’un passage de l’Odyssée (II, 132) ; les objections élevées à ce sujet n’ont aucune valeur.

[153] Od., VIII, 318.

[154] Il., XIX, 297.

[155] Od., XIV, 210.

[156] Od., XI, 271.

[157] Od., X, 5.

[158] Il., XI, 221-226. Le fait se passe en Thrace ; mais d’anciens commentateurs citent l’exemple d’Ægialée qui aurait été la femme et la tante de Diomède ; voy. Il., V, 412, et XIV, 121.

[159] Il., IX, 448.

[160] Od., I, 433.

[161] Od., IV, 3.

[162] Il., XVIII, 491.

[163] Od., VI, 28.

[164] Od., VI, 181.

[165] Od., XXI, 162. Dans un autre passage (XX, 74), c’est Zeus qui est l’arbitre des mariages, parce qu’il sait ce qui convient à chacun de nous.

[166] Il., IX, 341.

[167] Il., XXI, 460 ; Od., III, 380 et 451.

[168] Od., III, 464 ; IV, 49, et XVII, 88 ; Athénée, I, 18 ; voy. aussi Nægelsbach, Homer. Theol., 2e édit., p. 152, éd. Scherr, Geschichte der deutschen Frauenwelt, t. I, p. 227, 2e édit., où l’on trouvera des exemples analogues, empruntés aux poètes allemands du moyen âge.

[169] Od., XIV, 203.

[170] Il., V, 70.

[171] Od., XIV, 499.

[172] Voy. Eustathe, Comment. sur l’Iliade (VIII, 284).

[173] Il., XXII, 83.

[174] On sait que le mot τροφός signifie non pas une nourrice, mais une gouvernante, une bonne. Τιθήνη n’a pas non plus d’autre sens, ainsi que le prouve le masculin sous la double forme τιθηνός et τιθνητήρ. Le mot qui proprement veut dire nourrice, τίτθη, n’est pas dans Homère ; voy. Eustathe, Comment. sur l’Iliade (VI, 399) ; l’Etymolog. Gudianum (p. 529, 10), distingue expressément τιθήνη, gouvernante, de τιτθη, nourrice, et il est clair que, dans l’hymne à Déméter (v. 141), la déesse n’entend pas faire fonction de nourrice. L’expression τρέφειν έπί μαζώ (Od., XIX, 482) peut très bien s’appliquer à la bonne qui porte l’enfant dans ses bras et sur sa poitrine, sans pour cela l’allaiter. Voy. Apollonius de Rhodes, III, 734, et Théocrite, III, 118, où il est dit qu’après la mort d’Adonis, Déméter ne put s’empêcher de le presser sur son sein. Il n’est guère vraisemblable en particulier qu’Euryclée ait été la nourrice d’Ulysse. Laërte qui s’était abstenu d’elle ne l’eût pas volontiers abandonnée à un autre ; il est plus naturel de croire qu’elle était restée fille.

[175] Od., IX, 442.

[176] Il., XI, 830.

[177] Od., XVIII, 304 ; XXIII, 134 et 298 ; Il., XIII, 637.

[178] Il., IX, 186.

[179] Od., XVI, 386.

[180] Il., II, 595.

[181] Od., VIII, 479 ; XIII, 38 ; XVII, 518.

[182] Od., XXII, 347.

[183] Od., VIII, 266 ; XVIII, 262.

[184] Voy. Eustathe, Comment. sur l’Iliade, p. 9, 5.

[185] Od., XII, 70.

[186] Od., I, 352.

[187] Od., I, 326 ; VIII, 75 et 492.

[188] Od., VIII, 579 ; III, 204 ; XXII, 198.

[189] Od., I, 301 ; III, 200.

[190] Od., VIII, 73 et 492.

[191] Il., XVIII, 493.

[192] Il., XXIV, 720.

[193] Il., XXII, 391.

[194] Il., I, 472.

[195] Od., V, 61 et X, 210 ; Il., XVIII, 569.

[196] Il., II, 550, et IX, 533. On peut voir dans l’Iliade (XX, 404) une allusion aux fêtes célébrées en l’honneur du Posidon héliconien. Le mot ne se trouve que dans deux vers de l’Odyssée (XX, 156, et XXI, 258).

[197] Il., III, 102 et 276.

[198] Voy. en autres passages Il., IX, 656 et 712.

[199] Od., III, 118.

[200] Il., VI, 305 ; X, 291 ; Od., III, 282.

[201] Il., I, 39 et 65 ; IX, 529.

[202] Od., IV, 750 ; Il., VI, 230, XVI, 228.

[203] Od., XXII, 481 ; Il., I, 313.

[204] Il., XVIII, 23 ; Od., XXIV, 316.

[205] Il., XXI, 132.

[206] Il., VI, 94, 275, 309 ; X, 292 ; Od., III, 382.

[207] Il., I, 66 ; voy. aussi sur ce passage le Scholiaste.

[208] Il., II, 305 ; XI, 774 et 807. Od., XXII, 334.

[209] Il., IX, 171. — Les objections soulevées par Sverdsjœ (De verbor. ούλαί et ούλοχύται Signific., Riga, 1834), ont rendu douteuse l’interprétation de Buttmann (Lexilogus, I, p. 191), sans toutefois la réfuter formellement. Voy. aussi Jahrbuch für Philol., suppl. IV, p. 439.

[210] Il., XIX, 254 ; Od., III, 446 ; XIV, 422. Voy. aussi Heyne, Ad Il., III, 273.

[211] Il., I, 459 ; Od., III, 449 ; XIX, 425 ; X, 517. Voy. aussi Nitzsch, Amnerk. zur Od., 3e part., p. 161.

[212] Il., I, 462 ; voy. aussi le Scholiaste (III, 310).

[213] Il., I, 316 ; VI, 115 ; XXIII, 146 et 864 ; Od., I, 23.

[214] Il., VI, 270 ; IX, 495 ; Od., XV, 261.

[215] Il., VI, 288 ; Od. III, 274.

[216] Il., XXIII, 146.

[217] Il., VI, 268.

[218] Il., IX, 171 ; XVI, 230 ; Od., II, 261 ; XIII, 355.

[219] Il., I, 85, 87 et 385.

[220] Il., VII, 44 et 53.

[221] Il., II, 308 ; XII, 200.

[222] Il., XI, 28 et 53 ; XVII, 543.

[223] Od., XVII, 547 ; XX, 105.

[224] Il., I, 63 (voy. à ce sujet le Schol., v. 950) ; Od., XXIX, 535.

[225] Od., XXI, 144 ; XXII, 321.

[226] Il., IX, 404 ; XVI, 235 ; Od., VIII, 79 ; XIV, 327 ; XIX, 296.

[227] Od., X, 490 et suiv. ; XI, 23, 147, 154 et 390.

[228] Les passages de l’Iliade qui parlent des peines réservées aux parjures (III, 278 ; XIX, 260) ne permettent pas d’admettre chez les ombres une absence complète de conscience.

[229] C’est certainement à tort qu’on a voulu tirer δήμος de δαμάω ; ce mot viendrait plutôt de δέμω, de même que l’on a dérivé pagus de pango.

[230] Od., I, 185 ; XVII, 182 ; XXIV, 308.

[231] Thucydide, I, 5.

[232] Od., VI, 477 ; XVI, 69 ; XVII, 144. Sur ce passage Eustathe dit : οί παλαιοί φασι πόλιν μέν τήν, άστυ δέ τό τεΐχος.

[233] Il., VI, 47.

[234] Od., XIV, 99 ; Il., XIV, 122.

[235] Od., 311 ; Il., VI, 236 ; XVIII, 703 et 705.

[236] Il., XX, 220 ; Od., IV, 602.

[237] Il., X, 352.

[238] Od., XV, 160 et 174 ; XIX, 536.

[239] Όλυρα dans l’Iliade (V, 196 ; VIII, 560), ζέα dans l’Odyssée (IV, 39 et 604) ; ces deux céréales sont identiques, suivant Hérodote (II, 36).

[240] Il., X, 353 ; XIII, 703 ; Od., XIII, 32 ; Hésiode, Œuvres et Jours, 433.

[241] Il., V, 499 ; XVIII, 551 ; XX, 495 ; Od., VII, 103 ; XX, 106 et 108.

[242] Od., I, 193 ; XI, 192 ; XIII, 244 ; Il., IX, 515 ; XVIII, 561.

[243] Od., II, 960 ; X, 365 ; IX, 196 ; Od., II, 340 ; III, 390.

[244] Od., XXIV, 245 ; VII, 195.

[245] Il., VIII, 306.

[246] Il., V, 51.

[247] Od., XXII, 384.

[248] C’est seulement pressés par la nécessité que les compagnons d’Ulysse prennent des oiseaux et des poissons dans l’île du soleil (Od., XII, 330), de même que ceux de Ménélas en Égypte (IV, 268). Sur l’usage des viandes et du pain, voy. Od., IX, 9 ; XVII, 343, et XVIII, 120.

[249] Od., XIV, 113.

[250] Od., IV, 368 ; XVII, 384, il est fait allusion aussi à la pèche des coquillages (Il., XVI, 747).

[251] Od., III, 321 ; IV, 356 et 483 ; XIV, 245-257. La ville de Témèse, où le Taphien Mentès se rend pour échanger du cuivre contre du fer (Od., I, 184), était-elle située en Italie, dans l’île de Chypre ou ailleurs, nous n’avons pas à résoudre ici ce problème. M. Pierson a inséré dans le Neues Rheinisches Museum (t. XVI, 1861) un mémoire sur la navigation et le commerce des Grecs à l’époque homérique, qui mérite d’être lu. Mais ce qui nous intéresse ici ce sont les détails que fournit Homère lui-même ; jusqu’à quel point le tableau qu’il a tracé répond-il au temps même où il vivait, c’est une autre question.

[252] Voy. sur la rareté de l’or, même au temps de Crésus, Bœckh, Slaatshaushaltung der Athener, t. I, p. 6, et Hulmann, Handelsgeschichte der Griechen, p. 31.

[253] Od., IV, 72. On n’a pas réussi encore à bien déterminer ce qu’est l’ήλεκτρον chez Homère. La plupart des critiques le confondent avec l’ambre, et cette interprétation, qui s’est produite tard, convient très hier à quelques passages (Od., XV, 460 ; XVIII, 296), mais elle ne s’applique nullement à d’autres ; et l’opinion d’après laquelle l’électron désignerait d’une manière générale des pierreries me parait la plus vraisemblable. Voy. Hulmann, Handelsgesch. der Griechen, p. 70.

[254] Od., I, 137 ; XVIII, 120 ; XX, 261 ; XXII, 9, XXIII, 200. D’autre part Athénée (Deipnosoph., VI, p. 231) cite, d’après le témoignage de Duris, l’habitude qu’avait prise un prince d’ailleurs prodigue, Philippe, père d’Alexandre, de serrer une coupe d’or sous son oreiller, comme un objet d’une valeur inappréciable. Voy, aussi Müller, Fragm. Histor. Græc., II, p. 470.

[255] Od., XVIII, 293 ; Il., VIII, 193.

[256] Od., III, 425.

[257] Il., IV, 187 ; XII, 295 ; Od., IX, 391 ; Il., VII, 220 ; IV, 110 ; XVIII, 604 ; IV, 485 ; Od., XIX, 56 ; Il., XVI, 212 ; XXIII, 712 ; Od., XVII, 31x0 ; XXI, 113 et passim.

[258] Od., XVII, 382.

[259] Il., XXIII, 834 ; Od., XVIII, 327.

[260] Il., III, 126 ; XXII, 441 ; Od., VII, 107.

[261] Il., XII, 685.

[262] Od., XIV. 23.

[263] Od., XVIII, 292.

[264] On ne peut citer le témoignage d’Homère (Od., V, 736, et VII, 387), car la tunique que revêt Athéna n’est pas la sienne, mais celle de Zeus.

[265] Od., V, 230 ; X, 544.

[266] Od., XXII, 469 : vov. aussi Eustathe, ad Od., XVIII, 401.

[267] Od., XVIII, 320 ; ce passage est d’ailleurs le seul où il soit fait mention d’une Lesché.

[268] Od., XIV, 5 ; XXIV, 208.

[269] Od. On trouvera des détails plus précis sur toutes ces dispositions, dans Rumpf, De Ædibus Homericis, Gissæ, 1844 et 1858.

[270] Od., XVIII, 266 et 297.

[271] Od., XVIII, 102. On peut se représenter la porte du vestibule vers laquelle Ulysse traîne Irus, comme étant celle qui fait communiquer la cour entourée de colonnes avec la cour intérieure.

[272] Od., I, 425 ; 625 ; Il., XI, 243.

[273] Comme fait Arété auprès d’Alcinoüs (Od., VI, 304). Il y a aussi un foyer dans le mégaron de ce prince.

[274] Voy. Nitzsch, Anmerk. zur Od., I, p. 27.

[275] Od., I, 128.

[276] Od., IV, 751, 760 et 781 ; XVI, 440 et passim.

[277] Od., XXI, 5 ; XXII, 123.

[278] Od., XXII, 126 ; voy. aussi Eustathe, sur le même passage.

[279] Od., I, 107 ; IV, 626, VIII, 260 et 372 ; XVII, 605 ; Il., XXIII, 88.

[280] Od., IX, 5.

[281] On est d’accord aujourd’hui que le substantif άριστον n’est pas le neutre du superlatif άριστος, comme beaucoup de gens le pensaient, sous prétexte sans doute qu’un bon déjeuner est le meilleur moyen de commencer la journée. Ce mot a la même racine que έαρ, matin ; la terminaison vient du participe έστόν, mangé ; vov. Pott, Etymolog. Forschungen, I, p. 401, et Benfey, Würzellexicon, I, 28, où il y a toutefois lieu de rectifier cette affirmation que l’α, long ailleurs, est bref dans Homère.

[282] Le substantif θοίνη n’existe pas dans Homère, mais on trouve le verbe θοινηθήναι, Od., IV, 36.

[283] Voy. sur les άναθήματα δαιτός, Od., I, 152, où ils comprennent aussi la danse, et XXI, 430.

[284] Od. , IV, 18.

[285] Il., XIV, 32 ; XI, 867.

[286] Il., XXIV, 471, 572, 645 et 673.

[287] Il., IX, 349 ; voy. aussi les remarques que j’ai publiées à ce sujet dans les Jahrbücher fur Philol. und Pædag., t. LXIX, 1854, p. 16 et 20.

[288] Il., IX, 328.

[289] Il., VII, 467.

[290] Il., XVI, 470.

[291] Le métal avec lequel Héphaïstos fabrique des jambières pour Achille est appelé κασσίτερος (Il., XVIII, 613, et XXI, 592). On sait que chez les écrivains postérieurs ce mot désigne l’étain, mais en était-il déjà ainsi du temps d’Homère ? Plusieurs interprètes sont d’avis qu’il s’agit du produit que donne le minerai d’argent à la suite de la première fusion, lorsque l’argent est encore mêlé de plomb. Le mot κασσίτερος est d’origine sémitique.

[292] Il., XII, 298. — Il n’est pas douteux qu’il y ait eu un temps, en Grèce comme ailleurs, où l’on n’employait que des armes de cuivre ou d’airain ; de là le nom d’âge d’airain attribué par Hésiode à cette période (Œuvres et Jours, v. 144-150) ; mais les héros d’Homère ne se servaient pas uniquement d’armes d’airain, bien que plusieurs anciens, Pausanias par exemple (III, 3), se le soient imaginé. Ainsi il est question dans Homère de flèches dont l’extrémité est en fer (Il., IV, 123) ; de couteaux en fer (Il., XVIII, 34 ; XXIII, 30 et passim), et d’autres instruments de même métal. Les expressions αύτός γάρ έφέλκεται άνδρα σίδηρος (Od., XVI, 294, et XIX, 13) sont aussi à remarquer. Partout où l’on rencontre les mots χαλκός et χάλκεος, à propos d’armes offensives, on peut admettre qu’il s’agit de fer, attendu que χαλκός est employé comme le nom commun de tous les métaux ; de là aussi le double sens du mot χαλκεύς qui désigne indifféremment un orfèvre (Od., III, 425 et 432) et un forgeron (Od., IX, 391 et 393).

[293] Il., III, 134 et 187 ; XI, 236. Voy. Rüstow et Kœchty, Geschichte des griech Kriegswesens, p. 12 ; il est bon toutefois de remarquer que l’imagination des auteurs a été au delà de ce que les documents permettent d’affirmer.

[294] Il., II, 416 ; 529 et 830 ; V, 113 et 736 ; XIII, 439.

[295] Il., III, 17 et 79 ; IV, 105-112 ; VIII, 296 ; XIII, 600 et 717.

[296] Il., IV, 137 ; XV, 646 ; XIII, 612 ; XV, 711 ; XI, 559 et 561 ; Od., XI, 575.

[297] Il., V, 3011 ; XII, 449 ; XX, 287.

[298] Il., II, 604 ; VIII, 175 ; XI, 286 ; II, 536, 718 et 720 ; XIII, 712-722.

[299] Il., XI, 67 ; IV, 446 ; VIII, 60.

[300] Il., IV, 371.

[301] Il., VII, 376, 354 et 408.

[302] Il., XVIII, 315, 334 et 350 ; XIX, 208.

[303] Il., XXIII.

[304] Il., XXIV, 720 et suiv.