LES DERNIERS JOURS DE JÉRUSALEM

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

 

Vespasien, qui s'était mis en route pour Rome, n'apprit qu'à Alexandrie les événements survenus dans la capitale de l'empire. Tout autre que ce prince eût peut-être, devant la grandeur de ces événements, perdu de vue l'intérêt en apparence secondaire qu'il y avait à réprimer l'insurrection judaïque. Le nouvel Auguste comprit qu'il ne pouvait laisser inachevée l'œuvre si bien commencée par lui-même, sans compromettre la gloire de son nom, sans ruiner l'autorité romaine dans les provinces asiatiques. Il fallait en finir avec le foyer de cette formidable insurrection d'une nation jusqu'alors indomptée, et il confia à son fils Titus la mission d'assiéger et de réduire Jérusalem. Des troupes d'élite furent donc mises sous les ordres du jeune César, qui commença immédiatement son mouvement en avant[1].

Nous allons étudier l'itinéraire de Titus, et nous efforcer de démêler ce qu'il y a de vrai dans les indications fournies par Josèphe.

D'Alexandrie, Titus se rendit par terre à Nicopolis, ville située à vingt stades seulement du point de départ[2]. Là, de grandes barques reçurent les soldats romains et les transportèrent par le Nil, dit Josèphe, vers le nome Mendèsien, et jusqu’à Thmouis, d'où ils gagnèrent par terre la ville de Tanis (aujourd'hui Sân), auprès de laquelle ils campèrent. Une seconde journée conduisit Titus à Héracléopolis, et une troisième à Péluse.

L'armée y fit un séjour de quarante-huit heures, et le jour d'après fut consacré à traverser la bouche pélusiaque. Au delà c'était le désert ! Après la première marche, Titus campa en face du temple de Jupiter Casius, et le lendemain il s'arrêta à Ostracine, station dépourvue d'eau potable, et dont les habitants étaient obligés daller s'en approvisionner au loin. D'Ostracine il gagna Rhinocorura (aujourd’hui El-Arich), où il fit séjour. Puis il vint à Raphia, première ville que l'on rencontre en se rendant d'Égypte en Syrie par cette voie. Ce fut à Raphia que Titus et son corps d'armée campèrent pour la quatrième fois. Leur cinquième campement eut lieu devant Gaza. Puis ils traversèrent Ascalon, Iamnia, Joppé, et arrivèrent enfin à Césarée, où le fils de Vespasien avait résolu d'organiser le corps d'armée expéditionnaire placé sous ses ordres.

Je viens de transcrire, sans y rien changer, le récit de Josèphe relatif à la marche de Titus d'Alexandrie à Césarée ; il est bon maintenant d'examiner sérieusement cette liste d'étapes dont nous allons dresser le tableau :

 

ITINÉRAIRE

NATURE DU TRAJET

DISTANCES

CAMPEMENTS

SÉJOURS

indiqués par Josèphe

Alexandrie

. . . . . . . .

. . . . . . . .

. . . . . . . . .

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Nicopolis

Par terre

20 stades (soit moins de 4 kilomètres.)

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Thmouis

Par eau

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. . . . . . . . .

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Tanis

Par terre

. . . . . . . .

1er campement

1

Héracléopolis

. . . . . . . .

2e campement

1

Peluse

. . . . . . . .

3e campement

1 (séjour de 48 heures)

Passage de la bouche pélusiaque

Par eau

. . . . . . . .

. . . . . . . . .

1

Temple de Jupiter Casius

Par terre

. . . . . . . .

Campement

1

Ostracine

. . . . . . . .

1

Rhinocorura

. . . . . . . .

1

Raphia

. . . . . . . .

4e campement

. . . . .

Gaza

. . . . . . . .

5e campement

. . . . .

Ascalon

. . . . . . . .

1

. . . . .

Iamnia

. . . . . . . .

1

. . . . .

Joppé

. . . . . . . .

1

. . . . .

Césarée

. . . . . . . .

1

. . . . .

 

Prenons maintenant les grandes divisions de cet itinéraire.

D'Alexandrie à El-Arich, qui très-certainement a pris la place de Rhinocorura, il y a, à vol d'oiseau, 370 kilomètres en chiffres ronds. D'El-Arich à Césarée il y a encore 200 kilomètres. Cela fait un total de 570 kilomètres que nous pouvons hardiment, et en calculant au plus bas, augmenter de 30 kilomètres pour tenir compte des sinuosités de la route. Voilà cloné 600 kilomètres parcourus par un corps d'armée en marche, et, ne l'oublions pas, en marche la plupart du temps dans le désert, dans des marais, ou tout au moins sur une côte sablonneuse où l'on ne trouve que de loin en loin de l'eau potable. Dans de semblables conditions, les troupes ont da avoir grandement à souffrir, et il est évident à priori que partout où des séjours ont pu leur être accordés, dans des conditions assez favorables pour qu'elles pussent se refaire, ces séjours ont dû être ordonnés par un capitaine aussi expérimenté que Titus. Il me parait donc très-probable que ce que Josèphe désigne sous le nom de campement, signifie un séjour, c'est-à-dire un repos d'au moins une journée.

D'un autre côté, si nous tenons compte des distances kilométriques qui séparent quelques-uns des points d'étapes successives indiquées par Josèphe, nous trouvons :

De Thmouis à Tanis (de Tmi-el-Emdid à Sân), 31 kilomètres, et encore entre ces deux localités rencontre-t-on la plaine de Daqhelieh qui est inondée chaque année pendant huit à neuf mois. C'est une forte étape, sans doute, mais cependant elle n'a rien d'exorbitant.

De Tanis (Sân) à Péluse, à vol d'oiseau, il y a 60 kilomètres. mais cette distance est coupée en deux par l'étape d'Héracléopolis.

De Péluse à Rhinocorura ou El-Arich, avec étapes intermédiaires au temple de Jupiter Casius et à Ostracine, station dépourvue d'eau, nous trouvons, toujours à vol d'oiseau, 129 kilomètres qui, divisés par 3. nous donnent, pour chacune de ces étapes, une moyenne de 4 kilomètres, soit dix lieues et demie.

Cela parait véritablement bien peu admissible.

Enfin d'El-Arich à Gaza il y a 91 kilomètres, et cette distance, partagée en deux par la station de Raphia, nous donne encore une moyenne de 45 kilomètres et demie, ce qui est énorme.

De Gaza à Joppé il y a 75 kilomètres ; mais au moins cette route est parcourue en trois étapes, dont la moyenne n'est plus que de 25 kilomètres. Cette fois donc nous nous trouvons en présence de chiffres raisonnables.

Enfin, de Joppé à Césarée il y a 55 kilomètres, distance qui ne saurait être franchie en un jour. Il est donc à peu près certain que le récit de Josèphe doit être pris pour ce qu'il vaut, c'est-à-dire pour un itinéraire pur et simple, et non pour un journal d'étapes.

Au reste, il y a mieux encore que cela. Dès le début de ce récit, nous lisons que Titus, en quittant Alexandrie, alla s'embarquer sur le Nil à Nicopolis, à 20 stades de son point de départ. 20 stades, c'est moins de 4 kilomètres. Or, le Nil proprement dit, pour former le Delta, se divise en deux branches, celle de Rosette, qui est la plus proche d'Alexandrie, et celle de Damiette. D'Alexandrie à la branche de Rosette, il n'y a pas moins de 60 kilomètres, et il y a loin de là aux 20 stades de Josèphe, on en conviendra. Heureusement l'on peut donner une autre explication à cette partie du texte.

S'il est vrai que Titus se soit embarqué à 20 stades d'Alexandrie, à un point qui s'appelait Nicopolis, ce point, unit le monde sera d'accord pour le retrouver au camp de César, station militaire importante, placée entre Alexandrie et Ramleb, à 4k.350m d'Alexandrie. Le récit de Josèphe s'adapte très-bien à cette localité, et alors il faut de toute nécessité admettre que Titus s'est embarqué sur le canal dit d'Alexandrie. Cc canal, qui va passer un peu au nord de Damanhour, rejoint la branche de Rosette à Er-Rahmanieh. La flottille de Titus, à partir de là, aura remonté le Nil jusqu'à Nekleh, où un nouveau canal part de la rive droite, entre El-Farastaq et Mahallet-Leben. C'est le canal nommé canal de Ch ibin-el-Qoum. Celui-ci se bifurque à Melidj, et la branche qui remonte au nord prend le nom de canal de Melidj. Il incline de l'ouest à l'est, à Mit-el-Edjil, et vient se jeter un peu au sud de Mit-Nabit, entre Sammanour et Mansourah, dans la branche de Damiette. Sur l'autre rive (rive droite), vis-à-vis Mit-Nabit, se détache un canal à moitié desséché aujourd'hui, et qui conduisait jusqu'à Mendès en passant par Thmouis.

Est-ce cette voie fluviale que Titus avec son corps d'armée a suivie ? Je suis tout à fait porté à le croire ; mais, en ce cas, cette navigation a dû lui prendre beaucoup de temps.

Il ne me reste plus qu'à noter le moment de l'année ou dut avoir lieu le départ de Titus d'Alexandrie. Josèphe nous dit que Vespasien, s'apprêtant à s'embarquer pour Rome, à la fin de l'hiver, envoya son fils Titus faire le siège de Jérusalem. Par la fin de l'hiver, aussi bien pour l'Égypte que pour la Syrie, c'est très-probablement la fin de janvier qu'il faut entendre[3]. Cette hypothèse trouvera sa vérification plus loin.

Quoi qu'il en soit, voilà Titus arrivé à Césarée. Voyons maintenant commuent était composée l'armée expéditionnaire placée sous ses ordres et destinée à faire le siège de Jérusalem. En quittant l'Égypte. ce prince avait emmené avec lui deux mille hommes d'élite, pris dans les rangs de l'armée d'Alexandrie, et auxquels étaient venus se joindre trois mille hommes empruntés au corps d'observation placé sur les rives de l'Euphrate.

Quatre légions[4] étaient en Judée, et allaient prendre part aux événements qui se préparaient. C'étaient d'abord les trois légions qui, sous les ordres de Vespasien, et pendant deux étés successifs, venaient de dévaster la Judée ; puis la douzième qui avait éprouvé un si cruel échec peu d'années auparavant, lors de l'expédition désastreuse de Cestius. Cette légion avait fait ses preuves sur d'autres théâtres, et elle brûlait, on le comprend, du désir bien naturel de venger l'injure faite à son aigle. Quant aux trois légions de Vespasien c'étaient : la cinquième, placée sous les ordres de Petilius Cerealis la dixième, commandée par Larcius Lepidus, et la quinzième, par Titus Frugi. La douzième avait pour chef Tyrannius Priscus. Ces deux dernières logions chient à Césarée ; mais les deux autres reçurent l'ordre de venir rallier le corps commandé par Titus. la cinquième en partant d'Emmaüs (aujourd'hui Amoas) et la dixième de Jéricho. Ce prince se mit donc en marche avec la douzième et la quinzième, que renforçaient les auxiliaires royaux envoyés par Agrippa. et ceux qui étaient accourus de tous les points de la Syrie. Les vides faits dans les cadres des quatre légions par le détachement d'hommes d'élite que Vespasien avait envoyés en Italie, sous le commandement de Mucianus, furent comblés aux dépens de la troupe amenée d'Alexandrie par Titus.

Tiberius Alexander, chaud partisan de l'empereur et ancien préfet d'Égypte, était un homme mûri dans les camps et illustre entre tous par sa grande expérience de la guerre et par sa capacité administrative ; le premier, il s'était attaché à la fortune de Vespasien, lorsqu'il pouvait être encore dangereux de partager les chances du nouvel empereur. Titus avait donc tenu à s'adjoindre un capitaine consommé, dont les lumières devaient lui être si précieuses, et il lui confia le commandement supérieur de l'armée. Deux grands personnages de plus- accompagnaient le jeune prince : c'étaient Liternius Fronto, préfet des deux légions alexandrines, et Marcus Antonius Julianus, procurateur de Judée[5], qui avait succédé dans ce poste à Gessius Florus, dont la fatale influence et les exactions avaient fait naître la guerre atroce qui approchait de son dénouement.

Tacite est un peu plus précis que Josèphe sur la composition de l'armée que Titus conduisait au siège de Jérusalem. Suivant lui, trois légions, la cinquième, la dixième et la quinzième, vieilles troupes de Vespasien, reçurent Titus à son arrivée en Judée. Il leur adjoignit la douzième qu'il fit venir de Syrie et des détachements amenés d'Alexandrie et tirés des vingt-deuxième et troisième légions. Il était accompagné de vingt cohortes alliées et de huit ailes de cavalerie ; à sa suite marchaient les rois Agrippa et Sohem[6], des auxiliaires fournis par le roi Antiochus[7], et un corps considérable d'Arabes, ennemis déclarés des Juifs, ainsi que cela a lieu d'habitude entre voisins qui se détestent. Un grand nombre d'hommes étaient venus de Boule et d'Italie, poussés par l'espérance de se concilier les bonnes grâces d'un prince encore sans courtisans. Titus, envahissant le territoire ennemi à la tête de ces troupes rangées en bon ordre, explorant tout sur son chemin, et prêt au combat. vint camper non loin de Jérusalem.

Du reste, voici les propres paroles de Tacite (C. Cornelii Taciti Historiarum, lib. V. cap. I) : Tres eum in Judæa legiones, quinta et decima et quinta decima, vetus Vespasiani miles, excepere. Addidit e Syria duodecimam et adductos Alexandria duo et vicensimanos tertianosque[8] ; comitabantur viginti sociæ cohortes, octo equitum alæ, simul Agrippa Sohemusque reges et auxilia regis Antiochi validoque et solito inter accolas odio infensa Judæis Arabum manus, multi quos urbe atque Italia sua quemque spes acciverat occupandi principem adhuc vacuum. His cum copiis finis hostium ingressus composito agmine, cuncta explorans paratusque decernere, haud procul Hierosolymis castra fecit.

Il n'est pas sans intérêt, du reste, de comparer ce passage de Tacite avec un passage correspondant que nous trouvons au livre III de la Guerre des Juifs (chap. IV. p. 2). Titus, arrivant d'Achaïe à Alexandrie. prit le commandement des troupes qu'il devait conduire à son père, et se rendit à marches forcées à Ptolémaïs (aujourd'hui Saint-Jean-d'Acre). Maintenant laissons parler Josèphe : Ayant trouvé son père dans cette ville, il réunit aux deux légions qui étaient avec lui (c'étaient la cinquième et la dixième, toutes deux des plus illustres) la quinzième qu'il venait d'amener. Dix-huit cohortes étaient rassemblées avec les trois légions ; cinq autres cohortes, accompagnées d'une aile de cavalerie, arrivèrent de Césarée ; puis cinq autres ailes de cavalerie syrienne. Dix de ces cohortes comptaient mille hommes de pied ; les treize autres n'en avaient que six cents. mais elles comportaient chacune cent vingt cavaliers. Les rois alliés avaient aussi levé un nombre considérable d'auxiliaires. Antiochus. Agrippa et. Sohem ayant fourni deux mille archers à pied et mille cavaliers. Enfin l'Arabe Malchus avait envoyé mille cavaliers et cinq mille fantassins, dont la majeure partie étaient des archers ; de sorte que les forces entières de l'armée. y compris les troupes royales, comptaient, tant en cavalerie qu'en infanterie, soixante mille hommes, en outre des serviteurs qui suivaient en très-grande multitude, et qui, en raison de leur habitude de la guerre, ne doivent pas être comptés à part des militaires proprement dits, puisqu'en temps de paix ils assistent à tous les exercices de leurs maîtres et partagent avec eux tous les périls des combats, de telle sorte qu'ils ne sont surpassés que par leurs maîtres en courage et en habileté.

Nous venons de constater que l'armée dont Titus disposait, à son arrivée en Syrie, comportait soixante mille hommes ; au moment du siège de Jérusalem, une nouvelle légion était venue rallier cette armée et augmenter notablement son effectif. On le voit, les vingt-trois mille hommes de guerre au service de l'insurrection judaïque (ainsi que nous l'établirons plus loin), avaient affaire à forte partie.

Maintenant faisons la somme des corps distincts des légions, et inscrits dans l'énumération précédente, en comptant, l'aile de cavalerie à soixante-quatre hommes, comme d'habitude.

Nous trouvons :

 

10 cohortes à 1000 hommes

10.000

13 cohortes à 600 hommes

7.800

13 escadrons à 120 cavaliers

1.560

Contingents royaux, infanterie

2.000

id. cavalerie

1.000

Arabes, infanterie

5.000

id. cavalerie

1.000

6 ailes de cavaliers syriens

384

Une aile de cavaliers, venue de Césarée

64

Total

28.808

 

Il resterait donc trente-un mille cent quatre-vingt-douze hommes pour représenter la force des trois légions réunies, soit dix mille trois cent quatre-vingt-dix-sept hommes par légion, ce qui est beaucoup trop considérable. Il devient donc très-probable que les serviteurs ou goujats qui suivaient l'armée sont compris dans l'énumération totale fournie par Josèphe. En comptant six mille hommes par légion. ce qui est tout à fait raisonnable, il reste treize mille cent quatre-vingt-douze pour le chiffre des serviteurs, soit quatre mille trois cent quatre-vingt-dix-sept par légion. Ce chiffre ne parait pas excessif. Il en résulte que, lorsque Titus arriva devant les murs de Jérusalem, où il fut rallié par la douzième légion, il avait une armée d'environ soixante-dix mille hommes de toutes armes.

Maintenant, comparons l'énumération de Tacite, avec celle de Josèphe ; nous trouvons que le premier désigne les corps suivants :

Ve légion.

XVe légion.

Xe légion.

XIIe légion.

Détachements des IIIe et XXIe légions[9]

20 cohortes alliées.

8 ailes de cavalerie.

Auxiliaires fournis par Agrippa, Sohem et. Antiochus. Auxiliaires arabes.

Il y a donc pour ainsi dire identité entre les deux récits. Josèphe cite vingt-trois cohortes ; Tacite vingt seulement. Si ce dernier estime chaque cohorte à mille hommes, ce contingent est de vingt mille combattants, tandis que les vingt-trois cohortes de Josèphe n'en comptaient que dix-sept mille huit cents, plus treize escadrons de cent vingt cavaliers attachés aux treize cohortes de six cents hommes. Nous avons donc en tout dix-neuf mille trois cent soixante hommes, équivalant, à six cent quarante combattants près, aux vingt cohortes accusées par Tacite.

Josèphe parle de sept ailes de cavalerie, et Tacite de huit, ce qui ne donne qu'une différence en plus de soixante-quatre cavaliers, différence pour ainsi dire insignifiante. C'est donc avec toute raison que j'ai avancé que les énumérations de l'arillée de siège données par Tacite et par Josèphe étaient pour ainsi dire identiques.

Maintenant quittons pour un instant Titus et son armée, et voyons ce qui se passait à Jérusalem, pendant que se formait l'orage qui allait fondre sur cette malheureuse ville.

Titus était auprès de son père à Alexandrie[10], tout occupé de régler avec lui les affaires de l'empire qui venait, de leur échoir, lorsque les divisions intestines qui désolaient Jérusalem s'exaspérèrent encore et créèrent trois partis distincts, toujours en armes et prêts à s'entre-déchirer. Les Zélotes, ces fanatiques qu'Eléazar fils de Simon avait réussi à séparer du peuple, et à renfermer avec lui dans l'enceinte sacrée du temple[11] avaient accueilli dans leurs rangs Jean fils de Lévi, de Giscala, et les plus déterminés d'entre eux s'étaient immédiatement constitués les partisans ardents du nouveau venu. Sous les ordres de celui-ci, ils ne cessaient de porter dans tous les quartiers de la ville le meurtre et le pillage, sous le prétexte de châtier la tiédeur de patriotisme de toute la partie saine et inoffensive de la population. Eléazar, qui avait rêvé pour lui seul la souveraine puissance, Eléazar ne pouvait s'accommoder d'un partage d'autorité, et bien moins encore de l'infériorité flagrante que son rival faisait peser sur lui. Pour recouvrer ce qu'il avait perdu, et détacher sa fortune de celle de Jean de Giscala, il feignit l'indignation la plus grande contre les crimes que les partisans de celui-ci commettaient quotidiennement. Il entraîna de son côté Judas fils de Chelcias, Simon fils d'Ezron, et Ézéchias fils de Chabar. Tous les trois avaient parmi les Zélotes de nombreux amis qui constituèrent immédiatement un véritable parti ; rompant alors avec leurs anciens compagnons, ils se retranchèrent dans le péribole intérieur du temple, et tournèrent leurs armes contre eux, du haut des portes sacrées et. des saintes murailles. Les vivres ne leur manquaient pas, car ils n'étaient pas gens assez scrupuleux pour se priver des ressources que leur offraient en abondance les magasins du temple ; lit donc n'était pas le péril ; mais ils se sentaient en bien petit nombre, et n'osaient franchir les hittites de leur forteresse improvisée.

Jean avait beaucoup plus de monde sous ses ordres ; mais la position dominante occupée par ses adversaires rétablissait en quelque sorte l'équilibre entre les deux, partis en présence. Ivre de fureur, il ne cessait de se heurter, non sans perte, contre l'ennemi qui le frappait de haut, sans courir de dangers réels ; ses assauts sans cesse renouvelés restaient donc sans effet ; ses pertes étaient toujours beaucoup plus considérables que celles des assiégés, et chaque jour les saints parvis étaient pollués par le sang des combattants.

De son côté, Simon fils de Gioras, que dans son désespoir le peuple avait appelé à son aide, en lui offrant en quelque sorte la souveraineté, Simon, maître de la ville haute et d'une grande partie de la ville liasse, s'acharnait avec d'autant plus de rage à assaillir Jean et ses compagnons, qu'il se trouvait par rapport à celui-ci dans la même position désavantageuse, militairement parlant. En effet, Simon était dominé par les troupes de Jean de Giscala, comme celui-ci était dominé par les troupes d'Eléazar. Pris ainsi entre deux feux, Jean recevait d'un côté tout le mal qu'il rendait de l'autre. S'il lui était facile de repousser les assauts de l'extérieur, à cause de sa position dominante, il ne pouvait, qu'à l'aide de machines, répondre aux traits qui lui étaient incessamment lancés du haut du temple. Il était en effet bien muni de scorpions, de catapultes et de balistes, à l'aide desquels il écartait les combattants, en tuant au hasard bon nombre de ceux que leur devoir forçait d'accomplir les cérémonies sacrées. Chose étrange, en effet, et qui à mon sens prouve bien que les prétendus brigands d'Eléazar n'étaient en réalité que des patriotes fanatisés, c'est que tous ceux qui se présentaient pour offrir des victimes sur l'autel des holocaustes étaient admis dans l'intérieur du péribole sacré.

Il est vrai que les gens de la ville qui venaient sous ce prétexte étaient scrupuleusement fouillés avant d'être introduits, tandis que les étrangers obtenaient bien plus facilement l'accès du temple. Les sacrifices n'étaient donc pas interrompus, et il arrivait fréquemment que les hommes pieux accourus de bien loin pour offrir des victimes à Jéhovah tombaient avant elles, écrasés par les projectiles que lançaient les machines de Jean de Giscala. De la sorte, sacrificateurs et dévots périssaient parfois ensemble jusque sur les marches de l'autel. Les cadavres des indigènes et des étrangers, des prêtres et des profanes, étaient entassés pêle-mêle, et leur sang confondu formait de véritables mares sur le pavé sacré du temple.

Les partisans d'Eléazar, maîtres des prémices sacrées emmagasinées dans le temple. se gorgeaient de vin, et ne laissaient de trêve à Jean de Giscala, que lorsque l'ivresse ou la lassitude les forçait à quitter le combat. Aussitôt Jean tournait sa fureur contre Simon : quand il pouvait réussir à le repousser loin des murailles extérieures du temple, il se ruait sur la ville, pillant et incendiant toutes les maisons, tous les dépôts de vivres qui se présentaient sur son chemin. Dès qu'il songeait à la retraite, il avait les soldats de Simon sur les talons ; si bien qu'en peu de temps une partie de la besogne que les Romains auraient dû faire se trouva accomplie du fait des Juifs eux-mêmes. En effet, les alentours du temple étaient rasés par l'incendie, et plus rien ne pouvait gêner la mise en bataille d'une armée, entre le temple et la ville, dans l'espace que la guerre civile s'était pour ainsi dire chargée de niveler. Tous les grands amas de blé avaient été brûlés, les petits dépôts seuls ayant échappé à la destruction, parce qu'ils étaient restés inaperçus. Les provisions perdues ainsi eussent été, dit Josèphe, suffisantes pour bien des années de siège ; mais il était écrit que cette malheureuse population périrait par la famine, et cela ne pouvait arriver que par sa propre faute[12].

Se ligure-t-on ce que devait être le séjour de Jérusalem où avaient afflué les gens sans aveu de tous les points du pays ; où les vieillards et les femmes sans défense étaient réduits à faire en secret des vœux pour la prompte arrivée des Romains. et à souhaiter ardemment que la guerre étrangère vint les délivrer au plus vite de la guerre civile ; où la consternation et la terreur glaçaient tous les cœurs ; où l'on n'avait même plus la suprême ressource de fuir ? Car toutes les issues étaient rigoureusement fermées, et quiconque laissait entrevoir la moindre espérance dans la présence des Romains, ou le 'poindre désir de s'échapper de cet enfer, était mis à mort sans pitié. Le tableau que Josèphe a tracé de cette affreuse situation ce tableau, dis-je, fait horreur[13].

A bout de ressources, Jean de Giscala unit par imaginer de se servir, contre les défenseurs du temple, des bois de construction qui avaient été amassés pour donner au sanctuaire une hauteur de vingt coudées de plus, suivant un plan adopté quelques années avant, par le corps des prêtres et par le peuple. C'étaient des poutres de cèdre que le roi Agrippa avait fait venir à grands frais du Liban ; mais la guerre, en éclatant inopinément, avait empêché de donner suite à ce projet ; les bois, devenus sacrés par leur destination, étaient donc restés empilés dans le péribole, attendant que des temps plus heureux permissent de les employer au seul usage que leur consécration rendait licite. Jean n'était pas homme à reculer devant un pareil sacrilège, et j'avoue humblement que je ne me sens pas disposé à lui en faire un grand crime. Ayant reconnu que ces bois avaient justement la longueur nécessaire pour construire des tours d'approche qui le portassent au niveau de l'ennemi posté sur le haut du temple, il y mit bravement la hache, et lorsqu'il eut construit les tours dont il avait besoin, il les fit amener derrière le temple et adosser à l'exèdre occidentale. Là seulement, en effet, il pouvait utiliser des tours de ce genre, vu que les trois autres côtés étaient protégés par des rampes d'escalier projetées au loin.

Il avait espéré tirer grand parti de ses tours d'approche ; mais la Providence avait décidé qu'elles resteraient inutiles ; personne n'avait encore mis le pied dans l'une d'elles, que l'apparition subite de l'armée romaine fut signalée. A cette nouvelle, les haines intestines devaient s'apaiser ; elles s'apaisèrent en effet.

Maintenant, revenons en arrière et étudions la marelle de Titus sur Jérusalem, à partir de Césarée.

Josèphe, sans y attacher d'importance probablement, a rendu un très-grand service à l'archéologie militaire. Dans deus passages de ses écrits il a pris le soin de détailler l'ordre et la formation d'une colonne en marche en pays ennemi, et c'est là un document qu'on ne trouverait peut-être pas ailleurs. Nous allons donc reproduire scrupuleusement le passage relatif au mouvement en avant de l'armée romaine marchant sur Jérusalem[14].

Titus, à son entrée sur le territoire ennemi, était précédé de tous les auxiliaires royaux et autres ; après eux venaient les pionniers chargés d'ouvrir les routes, et les castramétateurs ; puis les bagages des chefs de corps protégés par une escorte suffisante ; Titus marchait ensuite, accompagné des autres hommes d'élite et des hastaires. Derrière eux était placée la cavalerie légionnaire, qui précédait le convoi des machines de guerre, précédant lui-même les tribuns escortés par des hommes d'élite, et les chefs des cohortes. Suivait l'aigle entourée des manipules attachés à la garde des enseignes, et placée devant les trompettes de ces manipules ; puis marchait la phalange formée en colonne par six. Venaient ensuite les serviteurs des légions, polissant devant eux les bagages de celles-ci. Au dernier rang étaient groupés les mercenaires, et l'arrière-garde qui les surveillait. Cette description d'une armée romaine en marche suffit pour justifier ce que nous avons dit plus haut de l'impossibilité matérielle de faire accomplir à des colonnes ainsi ordonnées des marches trop considérables. Il semble bien difficile, qu'à moins de cas extraordinaires, on ait pu songer à leur faire franchir en une journée plus de vingt milles, c'est-à-dire plus de vingt-neuf à trente kilomètres.

Je vois bien indiquées dans la disposition générale de l'armée une avant-garde et une arrière-garde, mais il n'est pas fait mention d'éclaireurs ni de flanqueurs. Or, il ne viendra à l'idée d'aucun militaire ayant parcouru le pays à travers lequel s'avançait Titus, qu'un capitaine quelconque ait jamais pu concevoir la pensée de s'y aventurer, sans prendre toutes les précautions possibles, et sans faire éclairer sa marche avec la plus grande sollicitude[15].

Le corps d'armée, s'avançant ainsi en bon ordre, traversa la Samarie et vint s'arrêter à Gophna, que Vespasien avait prise antérieurement, et qui était alors occupée par une garnison romaine. La Gophna de Josèphe, c'est la Djifnah de nos jours, gros village situé directement au nord de Jérusalem, et à un peu moins de 20 kilomètres de cette ville. La distance de Césarée à Djifnah est très-grande, et il a fallu nécessairement plusieurs jours pour la franchir, trois au moins, et quatre très-probablement. Josèphe ne précise rien quant à la direction suivie par Titus à son départ de Césarée ; il se contente de nous dire qu'il vint à Gophna à travers la Samarie. Pour ma part, je n'hésite pas à admettre qu'il marcha de Césarée sur Antipatris (Kafr-Saba), et se dirigea de là sur Gophna. Une fois arrivé là, il était à une telle proximité de l'ennemi, qu'il ne pouvait plus s'avancer qu'avec une extrême prudence.

L'armée romaine passa la nuit à Gophna, et le lendemain matin elle fit un nouveau mouvement en avant. Après une journée de marche, elle vint camper le long de la vallée que les Juifs, dans leur langue maternelle, nomment la vallée des Épines, et devant le village appelé Gabath-Saoul (ce qui signifie la colline de Saül). Ce point est distant de Jérusalem de 30 stades[16].

Examinons ce passage. La Gabath-Saoul de Josèphe, c'est la Djebail ou El-Djib moderne placée à 2 kilomètres, au nord de Naby-Samouïl. Ce village de Djebail domine la naissance d'une longue vallée qui se dirige, de l'est à l'ouest. vers les cieux villages de Beit-pour-el-Fouqah, et de Beitbour-el-tahtah, c'est-à-dire vers les Bethoron supérieure et inférieure de l'Écriture sainte. Ce qui ne manque pas d'un certain intérêt, c'est que cette vallée se nomme, de nos jours encore, Ouad-Abou'z-Zàarour, vallée mère des épines. Les Arabes désignent en effet sous le nom de zàarour un arbrisseau épineux tout à fait voisin, comme espèce naturelle, de notre aubépine, qui est le mespylus oxyacantha des botanistes. Voilà donc un renseignement topographique tout à fait satisfaisant. Gabath-Saoul, ajoute Josèphe, n'est qu'a 30 stades de Jérusalem, ce qui fait, à très-peu près. 5,550 mètres. De Djebail à Jérusalem (porte de Damas). il y a en réalité S kilomètres : Josèphe s'est donc trompé de 2 kilomètres et demi. Mais il faut bien vite ajouter qu'il dit environ 30 stades et cette erreur, en conséquence, n'a aucune espèce de gravité.

De Djifnah à Djebaâ, il n'y a que 12 kilomètres ; il est donc évident que cette marche a dû être accomplie par l'armée en trois heures environ, et que bien avant midi l'emplacement du camp devait être choisi. Cette remarque est absolument nécessaire. si l'on veut se rendre compte des événements qui ont marqué la fin de la journée dans laquelle Titus est venu coucher à Gabath-Saoul.

Nous avons dit déjà que les cinquième et dixième légions, arrivant d'Emmaüs et de Jéricho, devaient rallier le corps d'armée principal devant Jérusalem. Nous ne ferons pas à Titus, et encore moins à Tiberius Alexander, l'injure de supposer que les ordres de marche n'avaient pas été transmis avec toute la précision désirable aux chefs de ces deux légions. Leur arrivée devait nécessairement d’être combinée avec celle du gros de l'armée, si l'on ne voulait pas exposer l'une ou l'autre de ces deux légions à subir les graves conséquences d'une marche isolée et sans appui. Les trois corps devaient donc exécuter forcément des mouvements bien calculés. et arriver à destination à jour et heure fixes. C'était évidemment là une précaution élémentaire à prendre et qui seule pouvait écarter les chances d'un engagement et d'un échec partiels. Il n'est pas possible, en effet, d'admettre que les chefs des Juifs fussent assez ignorants de l'art de la guerre. ou assez confiants, si l'on veut, pour ne pas chercher par tous les moyens possibles à obtenir les renseignements les plus précis sur les mouvements des troupes convergentes auxquelles ils allaient avoir affaire. Tout corps en l'air, comme on dit en langage militaire, eût été infailliblement attaqué dans sa marche, nous en aurons bientôt la preuve palpable ; du moment, au contraire, que les trois corps ennemis devaient arriver devant la place, de façon à pouvoir au besoin se prêter un appui mutuel, il n'y avait pas à songer à s'éparpiller pour aller chercher une défaite assurée, et se faire écraser en détail. Les Juifs durent donc se borner à répandre partout des espions, et à observer, du haut de leurs murailles, les mouvements de l'ennemi, se tenant prêts à profiter de la première chance favorable qui se présenterait.

Tout ce que je viens de dire prouve, à mon avis, que ce fut par un ordre de marche parfaitement compris, que dans la nuit du jour même où les Romains vinrent camper à Gabath-Saoul, la cinquième légion, arrivant d'Emmaüs, se mit en route pour rallier le camp de Titus. Pourquoi cette marche de nuit ? Très-probablement pour barrer le passage à tout corps juif qui, débouchant par la vallée et la route que commandait Emmaüs, aurait été tenté de venir prendre en flanc ou en queue la colonne de Titus, et l'empêcher d'asseoir tranquillement son camp devant Djebaâ, à un point certainement déterminé à l'avance, puisqu'il commandait les vallées par lesquelles un corps ennemi aurait eu la possibilité de se faufiler, pour exécuter à l'improviste une attaque dangereuse. Une fois Titus solidement établi à Gabath-Saoul, c'est-à-dire à la fin du Jour, il n'y avait plus d'inconvénient à dégarnir Emmaüs et à opérer la jonction de la cinquième légion avec le gros de l'armée. C'est effectivement ce qui eut lieu.

Quant à la dixième légion, venant de Jéricho, il est également facile de comprendre que son apparition devant Jérusalem devait être subordonnée à l'arrivée du reste de l'armée, sur un point où il serait facile de porter secours à cette légion détachée, dans le cas où une attaque séparée serait dirigée contre elle. Nous verrons en effet tout à l'heure les faits prouver que ce plan fort sage fut réellement conçu et exécuté. Revenons maintenant au récit des événements.

Une fois établi à Gabath-Saoul, Titus ne perdit pas un instant pour pousser une simple reconnaissance vers la ville qu'il venait assiéger. Prenant avec lui six cents cavaliers d'élite, il marcha immédiatement sur Jérusalem, pour s'assurer par ses yeux de la force de la place, et sonder du même coup les dispositions des habitants. Il espérait encore que sa présence seule suffirait pour les amener à composition. Il savait à merveille, en effet, par tous les rapports qu'il avait reçus, que la population de Jérusalem, en haine des séditieux et des brigands qui l'opprimaient, avait soif de la paix. De plus, il supposait que, se montrant à eux avec des forces tout à fait insuffisantes pour qu'ils pussent craindre une attaque, ils se tiendraient tranquilles[17].

Nous trouvons encore ici les défenseurs de Jérusalem traités par Josèphe de séditieux et de brigands, et nous devons, une fois pour toutes, dire nettement ce que nous pensons de ces qualifications outrageantes. Si nous comparons ce qui se passait à Jérusalem à ce qui se passa en France à l'époque de la Terreur, nous sommes tout étonnés de trouver, dans dos événements que dix.-huit siècles séparent, une identité presque absolue. Les males causes, à ces deux époques si éloignées, ont amené les mêmes effets. Dissensions intestines, luttes sanglantes, meurtres, émigrations, égorgement des suspects, échange de dénominations infâmes, tout y est ! Les sicaires, les Zélotes, les brigands, les séditieux tout cela ne rappelle-t-il pas les révolutionnaires, les sans-culottes, les Jacobins et les ci-devant, de quatre-vingt-treize, aussi bien que les brigands de la Loire, de la fin de l'Empire ? Ne nous étonnons donc pas de l'emploi des injures sous la plume de Josèphe, qui s'était vendu corps et âme aux Romains. Pour les patriotes de Jérusalem, les Juifs auxiliaires de Titus étaient ce que furent, pour les patriotes de la France, les émigrés de Coblentz et les soldats de l'armée de Condé. Pour Josèphe et pour les partisans d'Agrippa, les défenseurs de Jérusalem ne pouvaient être que des brigands. Ceci dit, on ne s'étonnera pas que je n'attache aucune importance à ces dénominations passionnées, toutes les fois que je les rencontrerai dans le récit de Josèphe.

Mais reprenons l'exposé pur et simple des faits de guerre.

Quittant le camp de Gabath-Saoul, Titus et son escorte suivirent la voie antique qui est devenue l'une des routes actuelles de Jaffa, et passant devant la position de la moderne Châfat, il ne tarda pas à arriver sur le sommet du Scopus, d'où il descendit vers la ville. Tant qu'il chemina sur la route déclive qui du haut du Scopus conduit devant les murailles, personne ne se montra hors des portes de Jérusalem ; mais aussitôt qu'il eut quitté la route directe pour s'acheminer du côté de la tour Psephina, et fait exécuter ainsi à sa troupe un imprudent mouvement de flanc, d'innombrables défenseurs s'élancèrent en avant des tours des Femmes, par la porte qui est en face du tombeau d'Hélène, et coupèrent en un clin d'œil la colonne de cavalerie romaine[18].

Attaquant de front les cavaliers qui étaient en tête, et refoulant ceux qui se trouvaient encore sur la voie directe, pour les empêcher de rejoindre ceux qui s'en étaient déjà écartés, ils réussirent à séparer du gros de l'escorte Titus et le petit nombre d'hommes placés près de sa personne. Ce prince ne pouvait plus avancer, parce que le terrain cultivé placé devant lui était recoupé dans tous les sens par des haies, des murs et des amas de pierrailles ; revenir sur ses pas et rejoindre les siens paraissait impossible, à cause de la multitude des ennemis qui lui barraient le passage ; la plupart des Romains, d'ailleurs, ignorant le danger que courait Titus, et supposant qu'il battait en retraite avec eux, s'étaient hâtés de tourner bride. La position était des plus périlleuses, et Titus comprit qu'il n'y avait plus pour lui de salut que dans un suprême coup de tête. Faisant donc volte-face, et criant à ses compagnons de l'imiter, il chargea l'ennemi de toute la vitesse de son cheval, espérant ainsi faire une trouée dans cette masse compacte d'assaillants. La Providence lui vint en aide et le tira de ce terrible danger. Sans casque et sans cuirasse, car, ainsi que nous l'avons dit, il était venu faire une reconnaissance et non livrer un combat, il réussit à se faufiler sain et sauf au milieu de la grêle de traits lancés de tous les côtés contre lui, et qui passaient tous en sifflant, sans qu'aucun d'eux lui fit une égratignure. Frappant sans merci de son épée, à droite et à gauche, égorgeant ceux qu'il avait en tête, il faisait bondir son cheval par dessus ceux qu'il avait renversés. Les Juifs, polissant des cris de fureur à la vue d'un pareil acte d'audace, se ruaient à l'envi sur son passage, en s'excitant mutuellement ; mais ils étaient bientôt forcés de reculer et de s'écarter devant lui. Ce qu'il avait de cavaliers autour de sa personne, assaillis à revers et de liane, s'étaient groupés à ses côtés et derrière son cheval, car tous comprenaient qu'il ne leur restait qu'une chance de salut, et qu'elle était de lui ouvrir le chemin, avant qu'il pût être entouré. Parmi les derniers de la troupe, deux périrent ; l'un fut environné et tué avec son cheval à coups de javelot, l'autre jeté à bas de cheval fut égorgé et sa monture fut enlevée. Quant à Titus, il parvint avec les autres à regagner le camp.

Les Juifs, exaltés par l'issue de ce premier combat, conçurent aussitôt une confiance sans bornes, et ne doutèrent plus de la victoire, tant leur orgueil exagérait à leurs yeux un aussi mince succès[19].

De deux  choses l'une : ou le danger couru par Titus en cette circonstance n'a pas été aussi grave que le prétend Josèphe, ou l'escorte romaine a perdu plus de deux hommes. Nous avons là, à mon humble avis, un échantillon remarquable de ce que l'on appelle style de bulletin, et pour que les Juifs aient tiré si grande gloire de ce premier combat, il faut que le résultat final ait été bien autrement grave que la mise à mort de deux hommes et d'un cheval. Au reste, il n'y a pas à se dissimuler que dans cette circonstance Titus a commis une très-grande imprudence, dont il aurait parfaitement pu être victime. Tout bien considéré donc, l'honneur de cette escarmouche est resté aux Juifs, qui cette fois ont fait preuve de plus d'habileté que leurs adversaires.

Dans la nuit qui suivit cette reconnaissance désastreuse, la cinquième légion arriva au camp de Gabath-Saoul et dès le lendemain matin l'armée romaine changea de position et vint s'établir sur le Scopus, où, peu d'années auparavant, Cestius lui-même était venu se poster. Du Scopus, dont le nom est parfaitement significatif, on voyait devant soi toute l'étendue de la ville, et l'on pouvait admirer la splendeur du temple[20]. C'est une colline d'une médiocre hauteur qu'entourent à leur naissance les deux ravins qui, réunis, forment la vallée du Cédron, nommée aussi aujourd'hui vallée de Josaphat. Le plateau a un développement de l'est à l'ouest d'environ mille mètres. Il domine une petite plaine, un peu accidentée, s'étendant sur mie longueur de mille à douze cents mètres jusqu'aux murailles septentrionales de Jérusalem. Du camp jusqu'aux murailles, Josèphe compte sept stades, ou environ treize cents mètres, et cette évaluation de distance est très-suffisamment exacte.

Les deux légions venues de Césarée avec Titus campèrent ensemble. La cinquième, que sa marche de nuit avait dû fatiguer, reçut l'ordre de camper à trois stades en arrière. Cette disposition avait pour but de couvrir des troupes harassées et de leur permettre de tracer les lignes de leur camp. avec une sécurité à peu près complète.

Pendant mon dernier séjour à Jérusalem, j'avais à cœur de retrouver sur le terrain les traces qui seraient encore visibles du siège de Titus ; j'ai donc tout naturellement étudié avec soin le plateau du Scopus, et j'y ai reconnu des mouvements de terre et de longs amas de pierrailles, qui ne laissent guère de doute sur leur destination. Ainsi la crête du plateau faisant face à la ville est couronnée par un long vallum avec retour à angle droit au point où la route actuelle de Naplouse, route qui n'est très-évidemment que la voie antique, recoupe ce vallum. Pendant la traversée de l'emplacement du camp cette route est encaissée entre deux longues branches de terrassement. Elle divise donc le camp en deux portions distinctes. Celle de droite est fermée, à l'est, par MI vallum à l'extrémité duquel se trouve un tumulus ; et en arrière du retranchement extérieur se voit une sorte de redan, à faces parallèles aux côtés regardant le terrain ennemi, et dont la branche orientale est munie extérieurement de deux forts tumulus. La portion de gauche est fermée, à l'ouest, par une ligne en crémaillère à deux crans, dont le saillant extrême est couvert par un tumulus très-considérable. Au centre de cette portion occidentale, se trouve encore un beau tumulus. Quelle a été la destination de ces tumulus, et font-ils partie de la construction du camp lui-même ? Je l'ignore, et je ne pourrais faire sur leur destination que de pures hypothèses, dont j'aime mieux m'abstenir.

A gauche et à deux ou trois cents mètres environ en arrière des retranchements rectilignes faisant face à la ville, se présentent trois grands vallum concentriques, s'appuyant tous les trois sur la crête d'un ravin profond et assez escarpé. Est-ce là le camp de la cinquième légion ? Je suis fort disposé à le croire. Au reste je ne puis mieux faire que de renvoyer à la carte annexée à ce travail, et qui représente les environs de Jérusalem avec leur nivellement. On y trouvera le tracé des restes du camp de Titus, levés avec le plus grand soin par mon ami, M. le commandant d'état-major Gélis.

Au moment où les travaux destinés à mettre le camp à couvert venaient de commencer, la dixième légion arrivait de Jéricho, où elle avait laissé une petite garnison, pour garder le passage dont Vespasien s'était emparé peu de temps auparavant ; la dixième légion, dis-je, paraissait.sur le mont des Oliviers où elle avait reçu l'ordre do s'établir, lorsqu'elle ne serait plus qu'à une distance de six stades des murailles[21]. Le mont des Oliviers, ajoute Josèphe, est placé en face de la ville à l'orient, et en est séparé par une vallée profonde qui se nomme le Cédron. Inutile, je pense, de faire ressortir la parfaite exactitude de ces renseignements top graphiques, car les noms sont restés absolument les mêmes.

On comprend que la venue subite d'une puissante armée ennemie ait mis immédiatement un terme à la guerre civile qui désolait, Jérusalem. Du haut de leurs murailles, les Juifs voyaient avec une vive inquiétude les Romains s'établir et se retrancher sur trois points différents ; il était donc prudent de faire trêve à leurs luttes intestines, et de réunir leurs efforts pour la défense commune de la ville sainte. Ils se demandaient les uns aux autres ce qu'ils attendraient, et s'ils souffriraient qu'on les étouffât dans une triple muraille ; allaient-ils se croiser les bras et mettre bas les armes, pendant que l'ennemi construisait pour lui-même des retranchements grands comme des villes ; allaient-ils tranquillement les regarder Faire, connue s'ils s'occupaient d'une œuvre bonne et utile ? — Nous ne sommes Forts que contre nous-mêmes, s'écriaient-ils, et les Romains, grâce à nos dissensions, s'empareront de la ville, sans verser une goutte de leur sang ! — Certes ils avaient grandement raison, et leur parti fut bientôt pris. Courant donc aux armes d'un accord unanime, ils se ruèrent incontinent à travers la vallée du Cédron et fondirent en poussant de grands cris sur la dixième légion occupée à fortifier son camp[22].

Il est difficile que des soldats qui ont à faire œuvre de terrassiers restent en même temps sous les armes, cela est certain ; mais les légionnaires répartis sur les lignes à couvrir se livraient avec une confiance véritablement inconcevable à leur travail manuel. Probablement les chefs avaient pensé que les Juifs n'oseraient exécuter une sortie pour venir les attaquer. et que si d'ailleurs l'idée leur en venait, ils en seraient fortement distraits par leurs démêlés intérieurs. Et voilà qu'inopinément on avait l'ennemi sur les bras ! Parmi les Romains quelques-mis fuyaient en toute hâte ; le plus grand nombre courait aux armes, mais était mis à mort, avant d'avoir pu faire face aux assaillants.

En vérité, qu'une attaque pareille ait pu s'accomplir comme une véritable surprise, sur un sommet très-élevé, dominant la ville entière, plongeant dans les replis les plus cachés de la profonde vallée qui séparait le camp de cette ville, voyant à merveille toutes les issues par lesquelles les assaillants avaient pu s'écouler hors de l'enceinte, c'est une honte ! Comment ! une légion entière se met tranquillement en face de l'ennemi à remuer la terre, loin de ses armes, et avec la quiétude de laboureurs qui manœuvrent la charrue, et pas un poste avancé, pas une vedette n'éclaire, pour le salut de tous, les mouvements de la place contre laquelle on est venu ! Comment ! les assaillants ont environ un kilomètre à parcourir, en descendant le revers à peu près abrupt de la vallée du Cédron, puis en remontant le revers non moins roide du mont des Oliviers, et, parmi les hommes intéressés à savoir ce que fait l'ennemi, pas un ne s'en doute, pas un n'aperçoit ces masses de soldats qui affluent vers eux et qui leur courent sus, comme tombant du ciel ! Disons-le, une semblable négligence de la part de la dixième légion peut à bon droit être taxée d'ineptie ; elle implique une de ces fautes impardonnables qui à la guerre doivent être sévèrement punies.

Le nombre des Juifs allait toujours grossissant, précisément parce que le succès des premiers engagés donnait confiance aux retardataires ; mais, il faut le dire, leur succès les faisait paraître plus nombreux non-seulement aux yeux des Romains, mais même aux leurs. Ce qui donnait aux légionnaires une infériorité marquée dans cette lutte corps à corps et pêle-mêle, c'était leur habitude de combattre en ligne, de conserver leurs rangs et de recevoir les ordres qu'ils avaient à exécuter. Ici, plus rien de cela ; tout était confusion. Ils fuyaient, puis parfois revenaient individuellement à la charge, lorsqu'ils étaient serrés de trop près ; mais tous ces mouvements exécutés sans cohésion ne pouvaient aboutir, comme ils n'aboutirent en effet, qu'à une déroute. Après une lutte sans direction, et dans laquelle Romains et Juifs perdirent un grand nombre de combattants, les premiers furent rejetés hors de leurs retranchements ébauchés.

La dixième légion, qui n'avait pas su se garder, semblait ainsi vouée par son incurie à une perte certaine, lorsque Titus prévenu en fuite de ce qui se passait, accourut au secours de la troupe si fatalement compromise. Reprocher en termes sanglants leur lâcheté aux légionnaires, et arrêter leur fuite éperdue, ce fut l'affaire d'un instant. Il fit mieux encore, et prêchant d'exemple, il chargea les Juifs à la tête des hommes d'élite qu'il avait amenés avec lui, en tua bon nombre, en blessa un plus grand nombre encore, et rejeta tout le reste au fond de la vallée. Dans leur fuite désordonnée à travers la pente si raide qu'ils avaient à descendre, ils perdirent beaucoup des leurs, mais aussitôt qu'ils eurent franchi le lit du Cédron et mis le pied sur la pente opposée, ils firent volte-face et le combat recommença d'une berge à l'autre du torrent. On se battit ainsi jusqu'au milieu de la journée ; mais peu après midi, Titus. après avoir distribué à la troupe de secours qu'il avait amenée avec lui, et à quelques détachements empruntés aux centuries de la dixième légion, des postes convenables pour repousser toute nouvelle attaque, Titus l'envoya tout le reste de la légion vers le sommet de la montagne, avec ordre de reprendre le travail de campement, interrompu par la sortie des Juifs[23].

On pouvait croire que tout était fini pour ce jour-là ; il n'en fut rien. Le mouvement rétrograde des Romains fut considéré comme une fuite par les Juifs, et un explorateur qu'ils avaient eu le soin de poster sur le haut des murailles, pour épier les mouvements de l'ennemi (ils savaient placer des vedettes, eux !), leur fit, en secouant sa robe, le signal convenu pour indiquer que l'ennemi cédait devant eux. Il n'en fallut pas plus pour qu'une nouvelle masse de combattants se rte, comme une troupe de bêtes féroces, sur les talons des prétendus fuyards. Personne, parmi les Romains, ne put résister à cette charge furieuse ; les rangs furent rompus comme par les coups d'une machine de guerre et chacun s'enfuit à la débandade vers le sommet de la montagne. Titus se vit abandonné vers le milieu de la pente, en compagnie d'un petit nombre d'hommes. Ses amis qui, par respect pour la majesté impériale, s'étaient arrêtés auprès de lui, en oubliant le danger, le supplièrent de reculer devant les Juifs qui aspiraient à mourir ; de ne pas s'exposer aux mêmes dangers que ceux dont le devoir était de protéger sa retraite, en résistant. au péril de leur vie, mais de songer plutôt à la dignité de son rang. et de ne pas courir comme un simple soldat, lui, le chef de l'armée et le maître du monde, les chances d'un événement qui pouvait ruiner la fortune de tous. Titus ne tint aucun compte de ces conseils, et, faisant volte-face, il reçut à la pointe de son épée ceux qui s'attaquaient à sa personne ; les frappant à la face, il se lança, à travers leurs corps entassés, sur la pente que couvrait la multitude ennemie. Celle-ci, comme paralysée par cet acte d'audace, n'essaya pas de reculer, mais s'écartant de chaque côté devant lui, se remit aussitôt à la poursuite des fuyards. Titus alors les chargea en flanc et s'efforça de les arrêter.

Pendant que cela se passait sur la pente du mont des Oliviers, la panique s'empara de ceux qui, un peu plus haut, étaient occupés à retrancher le camp ; voyant fuir leurs camarades placés au-dessous d'eux, ils s'imaginèrent que Titus fuyait aussi, et qu'il leur serait impossible de soutenir le choc formidable des Juifs. Ce fut d'abord un sauve qui peut général ; mais bientôt, heureusement pour l'honneur de la dixième légion, quelques hommes aperçurent l'empereur au milieu de la mêlée ; épouvantés du danger qu'il courait, ils réussirent par leurs cris à faire comprendre ce danger à leurs compagnons. La pudeur militaire fit le reste, et, plus honteux d'avoir abandonné leur chef que d'avoir fui, ils firent face, puis se jetant sur l'ennemi avec fureur, ils réussirent à le rejeter au fond de la vallée, malgré sa résistance désespérée. Titus alors, avec ceux qui seuls avaient pris part à son magnifique fait d'armes, contint l'ennemi et renvoya de nouveau les légionnaires à la construction de leurs lignes. C'est ainsi que par deux fois, coup sur coup, ce vaillant prince réussit à sauver la dixième légion qui, grâce à ce secours, put en définitive achever ses ouvrages de défense[24].

Nous avons vu tout à l'heure que la première attaque des Juifs avait été repoussée peu après midi ; il en faut conclure que la légion avait quitté Jéricho bien avant le lever du soleil ; car de Jéricho au mont des Oliviers il y a six bonnes heures de marche. Selon toute vraisemblance, dès neuf heures du matin la légion avait fait halte sur son point de campement, et entre dix. et onze heures elle avait été attaquée. Il avait bien fallu ce temps pour permettre à Titus, placé sur le Scopus, d'être prévenu du danger, de réunir sa troupe de secours, d'accourir sur le lieu de l'action et de fondre sur les assaillants, qui, du reste, durent céder promptement à cette attaque de flanc, qui les surprenait à leur tour.

Les survivants de la sortie étaient rentrés dans les murailles de Jérusalem, et aussitôt les camps romains mis à l'abri de toute nouvelle insulte, la guerre étrangère s'assoupit, pour faire place aux luttes de l'intérieur. La fête des azymes, tombait le 14 du mois macédonien de Xanthicus, approchait. Eléazar et ses partisans déclarèrent qu'ils ouvriraient les portes du temple et qu'ils admettraient tous ceux qui viendraient y célébrer la solennité du jour[25]. Jean de Giscala était trop habile pour négliger cette occasion de s'emparer de la forteresse de son rival. Les moins connus de ses soldats cachèrent leurs armes sous leurs vêtements, et, se mêlant aux hommes pieux qui se rendaient au temple. ils y pénétrèrent avec eux. Une fois introduits dans la place, ils jetèrent les manteaux qui les gênaient, et se montrèrent tout coup l'épée à la main. A l’instant même, un effroyable tumulte surgit autour du naos ; en effet, la foule inoffensive des dévots, étrangère d'ailleurs aux haines de parti, se figurait que le danger présent menaçait tout le monde, tandis que les Zélotes d'Eléazar comprenaient à merveille que l'on n'en voulait qu'à eux seuls. Désertant en toute bette les portes qu'ils étaient chargés de garder, et sautant à bas des parapets de leurs murailles, ils se réfugièrent, sans en venir aux mains, dans les cloaques du temple. Le peuple, affolé de terreur, s'empilait contre l'autel. ou s'enfuyait autour du sanctuaire. On les assommait à coups de bûche, ou on les passait au fil de l'épée. En ce jour d'horreur bien des haines personnelles furent assouvies, et beaucoup périrent, sous le prétexte qu'ils étaient des Zélotes, mais en réalité, pour expier quelque ancienne offense faite à leurs assassins. Ceux-ci. qui égorgeaient sans pitié des innocents, épargnèrent les ennemis véritables qu'ils étaient venus surprendre. Ils les firent sortir des cloaques, leur laissèrent la vie sauve et pactisèrent avec eux. Une fois devenus maîtres du temple intérieur et de tous ses magasins sacrés, ils n'eurent plus aucun souci de Simon, et il ne resta, à partir de ce moment, que deux partis, au lieu de trois, parmi les défenseurs de la cité sainte[26].

Le récit que je viens d'analyser contient un renseignement curieux. Les Zélotes se réfugièrent. dit Josèphe, dans les souterrains, dans les cloaques du hiéron. Quels peuvent lire ces souterrains, ces cloaques ? Sans nul doute les canaux par lesquels s'écoulaient vers le Cédron les eaux de lavage du temple ; mais où les trouver aujourd'hui ? Je soupçonne, sauf meilleur avis, que leur entrée n'est autre que le puits fermé par une dalle, et qui se voit à fleur du sol, dans le pavé placé au-dessous de la Sakhrah. Ce puits se nomme Bir-el-Arouah, le puits des âmes, et les dévots musulmans se figurent que c'est dans ce puits que prennent leur source les grands fleuves de l'univers, c'est-à-dire le Nil, le Tigre et l'Euphrate. On a souvent prétendu qu'en piétant l'oreille au-dessus de l'orifice on entendait distinctement le murmure d'une eau courante. Je déclare y avoir mis la meilleure volonté du monde, et n'avoir perçu aucun bruit de cette nature. J'aime mieux croire que l'autel des holocaustes était placé au-dessus de la Sakhrah. et que le sang des victimes, entraîné par les eaux que l'on faisait affluer sur le pavé sacré, lors des sacrifices, s'écoulait par le Bir-el-Arotth dans les conduits souterrains que j'ai retrouvés en bas du mur extérieur sud du haram-ech-chérif, au pied de la triple porte murée. Ce n'est là, du reste, je me hâte de le dire, qu'une hypothèse à laquelle je n'attache pas une trop grande importance.

Revenons à Titus.

Campée sur le Scopus, l'armée romaine était trop éloignée de la ville assiégée. Il fallait donc nécessairement se rapprocher, pour rendre les travaux plus expéditifs et plus faciles. Des postes d'infanterie et de cavalerie, en nombre suffisant pour repousser toutes les sorties, furent établis en des points choisis de façon à favoriser leur action immédiate, et le reste des troupes disponibles reçut l'ordre de nettoyer les abords de la place, jusque devant les murailles. Tous les murs et amas de pierrailles, toutes les haies clôturant les jardins, tous les bosquets des habitants furent abattus. Les arbres furent coupés, les cavités furent comblées, et les roches en saillie au-dessus du sol furent entamées et nivelées à coups de pic. Le terrain se trouva de la sorte aplani, depuis le Scopus jusqu'aux monuments d'Hérode, qui sont placés devant la Piscine dite des Serpents[27].

Ce paragraphe a grand besoin d'un commentaire. Il est évident pour qui parcourt les environs de Jérusalem, entre le Scopus et la place, que le récit de Josèphe est fort exagéré. Que les Romains aient abattu les haies et les murs de clôture des jardins, qu'ils aient coupé les arbres, rien de mieux ; mais qu'ils aient comblé toutes les cavités et rasé les rochers saillants, c'est fort loin d'être vrai. Les rochers, une fois coupés, ne repoussent pas, que je sache, et il en existe un certain nombre qui ont été forcément respectés par les Romains. Tel est, par exemple, le pâté de roches sur lequel a existé le tombeau d'Hélène, reine d'Adiabène.

Les limites que Josèphe assigne à ce travail préliminaire des légions sont, d'une part, le Scopus que nous connaissons déjà, et de l'autre les monuments d'Hérode, voisins de la Piscine, des Serpents. Le docteur Schulz a identifié très-heureusement, je le crois, la Piscine des Serpents avec le Birket-Mamillah, et les monuments d'Hérode avec une ruine informe aujourd'hui qui se trouve au sud de la piscine. Au moyen âge, cette ruine, transformée en église, se nommait le Charnier du Lion. J'accepte donc sans scrupule cette double identification, et j'admets que tout le terrain compris entre le Scopus et le Birket-Mamillah fut aplani, autant que la chose pouvait se faire. Ce travail prit quatre jours entiers à l'armée[28].

Pendant que les légions de Titus exécutaient ce nettoyage indispensable, les Juifs n'avaient garde de rester inactifs ; ils essayèrent d'un stratagème assez grossier, il faut l'avouer, pour attirer les soldats romains dans un coupe-gorge. Les plus audacieux des défenseurs de la place, sortant de la ville par la porte ouverte entre les tours des Femmes (c'est, ainsi que je l'ai déjà dit, la porte de Damas, ou Bab-el-Aamoud de nos jours), feignirent d'avoir été jetés dehors par ceux qui désiraient la paix et simulant une grande frayeur d'une attaque possible des Romains, ils se groupèrent en avant des murailles avec toute l'apparence du désespoir. Pendant ce temps-là, une autre troupe garnissait les créneaux, et jouait le rôle d'habitants paisibles, implorant la paix à grands cris, tendant vers les Romains des mains suppliantes, et offrant de leur livrer à l'instant les portes de la ville. Ce disant, ils jetaient des pierres aux prétendus expulsés, comme pour les chasser du voisinage de ces portes. Ceux-ci faisaient semblant de vouloir forcer l'entrée, puis adressaient des supplications à ceux de l'intérieur. Parfois ils paraissaient décidés à passer du' côté des Romains ; mais après avoir fait quelques pas, ils se rejetaient en arrière, comme saisis de terreur. Les légionnaires se laissèrent prendre à cette comédie. Croyant tenir déjà des captifs voués au supplice, et espérant que les portes allaient leur être ouvertes, ils s'ébranlèrent pour mettre la main sur leur proie. Heureusement Titus était plus perspicace que ses soldats. Cet appel et ces supplications lui semblaient d'autant plus suspects, que la veille il avait fait demander aux Juifs, par la bouche de Josèphe lui-même, d'entrer en composition, et n'en avait reçu que des injures pour réponse. Il défendit donc aux soldats de quitter leurs postes. Malgré cet ordre, un certain nombre d'hommes placés en avant de la troupe des travailleurs s'étaient élancés l'épée à la main du côté des murailles. A ce mouvement, ceux qui se faisaient passer pour des expulsés s'écartèrent ; mais aussitôt que les Romains furent arrivés entre les tours qui flanquaient la porte, les Juifs firent volte-face, et fondirent à revers sur les imprudents, pendant que du haut des murs on faisait pleuvoir sur eux une grêle de pierres et de traits de toute nature. Beaucoup d'entre eux. furent tués. et presque tous les survivants titrent blessés. Il n'était pas facile. on le conçoit. de se tirer de là par la fuite ; car ceux d'en bas barraient le passage aux légionnaires, et ceux-ci, d'ailleurs, commençaient à comprendre la faute grave qu'ils avaient commise contre la discipline ; aussi la crainte du châtiment mérité par eux les poussa-t-elle à persévérer dans leur faute. Recevant donc et rendant force coups, pendant un engagement qui fut assez long, ils finirent par s'ouvrir un passage à travers le cercle qui les étreignait et firent retraite en toute hôte. Mais les Juifs les poursuivirent à coups de javelots jusqu'au tombeau d'Hélène[29].

Si le tombeau d'Hélène était à proximité de la porte, comme par exemple au point où je le place aujourd'hui 200 mètres du Bab-el-Aamoud), il est parfaitement admissible que les Juifs aient pu poursuivre à coups de javelots jusque-là les soldats romains mis en fuite. Que si l'on s'obstine à placer le tombeau d'Hélène aux Qbour-el-Molouk, c'est-à-dire à bien près de 800 mètres des tours des Femmes on aura grand peine, je pense, à concilier cette identification avec le renseignement militaire que Josèphe vient de nous fournir, et qui n'a pas encore été utilisé, que je sache, pour arriver à la solution de cette question topographique. En effet, mettons un instant le tombeau d'Hélène aux Qbour-el-Molouk ; les Juifs ont poursuivi jusque-là les Romains, soit ; mais alors où donc étaient les postes chargés de repousser les sorties ? En arrière évidemment du point jusqu'où les Juifs ont pu s'aventurer, avant d'avoir rien à craindre de ces postes. En ce cas, ceux-ci étaient sur le Scopus, c'est-à-dire au camp. On me permettra, j'espère, de déclarer que ce fait seul démontre que l'identification du tombeau d'Hélène avec les Qbour-el-Molouk implique une impossibilité absolue. Je me dispense d'insister d'ailleurs sur le fait tout aussi probant qu'il fallait que les travailleurs romains fussent assez près des murailles, pour entendre les propositions mensongères que leur faisaient les Juifs, lorsqu'ils leur tendaient ce piège grossier. Placez-les aux Qbour-el-Molouk, il aurait fallu qu'ils eussent l'oreille bien fine.

Après le succès de ce stratagème, les Juifs accablèrent les Romains de sarcasmes et leur reprochèrent leur ineptie. Ils dansaient en frappant sur leurs boucliers et faisaient retentir le ciel de leurs cris de joie[30].

Parmi les légions, la disposition des esprits était tout autre. Les soldats qui avaient commis cet acte d'indiscipline furent accueillis par les menaces de leurs officiers, et Titus irrité leur reprocha en termes sévères la faute dont ils venaient de se rendre coupables ; il leur annonça qu'ils en subiraient la peine. Ici Josèphe, suivant la mode du temps, prête à Titus un discours très-élégant, très-pathétique et très-bien pensé. Comme je crois peu qu'en pareille circonstance un général s'amuse à arrondir des périodes. je me dispense de reproduire cette petite œuvre littéraire de l'historien juif. Ce dont il n'est pas possible de douter, c'est que les chefs de corps reçurent la réprimande qu'ils étaient chargés de transmettre à l'armée, et que tous crurent très-sérieusement que la loi militaire allait être appliquée sans pitié aux délinquants. Ceux-ci étaient dans l'abattement et attendaient le supplice qu'ils sentaient avoir mérité. Les légionnaires alors implorèrent en masse la clémence du prince, le suppliant d'accorder à l'obéissance absolue de tous la grâce de la témérité de quelques-uns ; ils lui jurèrent que les coupables sauraient racheter par leurs services futurs la faute qu'ils venaient de commettre[31].

Titus se laissa d'autant plus facilement fléchir par les prières de ses soldats, que ce qu'ils lui demandaient était déjà décidé au fond de sou cœur. Pour lui, en effet, la faute d'un seul devait toujours recevoir son châtiment, tandis que la faute d'une multitude ne devait jamais être punie que par des paroles. Les soldats rentrés en grâce furent néanmoins sévèrement admonestés et engagés à se montrer plus prudents à l'avenir.

Titus cependant avait sur le cœur les ruses des Juifs, et il s'ingéniait à trouver le moyen de les en punir. Lorsque, grâce à un travail opiniâtre de quatre jours, les abords de la place eurent été convenablement nettoyés[32], toutes les dispositions furent prises pour opérer la translation du camp dans le voisinage immédiat des murailles. Comme il fallait transporter en sûreté tous les bagages, un cordon formé des troupes les plus solides fut établi le long des faces nord et ouest de la ville ; il était rangé sur sept files de profondeur ; derrière, la cavalerie était rangée sur trois files de profondeur. Entre ces deux cordons s'en étendait un troisième, composé des archers disposés également sur sept files de profondeur. A la vue de cette triple ligne. qui leur paraissait inattaquable, les Juifs comprirent que toute tentative de sortie serait inutile, et qu'ils viendraient se briser en pure perte contre un pareil ordre de bataille ; ils ne bougèrent donc pas, et les bêtes de charge des trois légions, aussi bien que le reste des troupes, purent opérer leur mouvement dans une sécurité complète. Titus vint ainsi s'établir en personne à deux stades des murailles, et en face de la tour Psephina, tour placée au point où la branche méridionale de l'enceinte s'infléchissait en faisant face à l'occident. Une autre partie de l'armée alla camper un peu plus loin, en face de la tour Hippicus, et à la même distance de deux stades des murailles. Quant à la dixième légion, elle continua à occuper les retranchements qu'elle avait construits sur le mont des Oliviers[33].

Voici comment Tacite raconte les commencements du blocus de Jérusalem, et en déduit les raisons qui forcèrent Titus à prendre le parti de commencer un siégé en règle[34].

Judæi sub ipsos muros struxere aciem, rebus secundis longe ausuri, et, si pellerentur, parato perfugio. Missus in eos eques cura expeditis cohortibus, ambigue certavit. Mox cessere hostes et sequentibus diebus erebra pro portis prælia serebant, donec, assiduis damnis, ultra mœnia pellerentur. Romani ad oppugnandum versi ; neque enim dignum videbatur famem hostium opperiri ; poscebantque pericula, pars virtute, multi ferocia et cupidine præmiorum. Ipsi Tito Roma, et opes voluptatesque ante oculos ; ac ni statim Hierosolyma conciderent, morari videbantur.

Ce premier passage est complété par le suivant[35] :

Hanc adversus urbem gentemque Cæsar Titus, quando impetus et subita belli locus abnueret, aggeribus vineisque certare statuit. Dividuntur legionibus munia, et quies præliorum fuit ; donec cuncta expugnandis urbibus reperta apud veteres, aut novas ingeniis, struerentur.

Il est un fait qu'il n'est plus possible aujourd'hui de révoquer en doute, et que notre immortel D'Anville a le premier soutenu avec son inappréciable sûreté de vue. C'est que l'enceinte actuelle de Jérusalem s'est, pour ainsi dire, substituée à l'ancienne, telle qu'elle était au moment du siège. Sur le terrain les preuves de ce fait surabondent, et si l'on reconnaît, par-ci par-là, quelques petites différences de tracé, elles sont si faibles qu'il serait véritablement minutieux. d'en tenir compte. Dès lors les positions des tours Hippicus et Psephina sont immédiatement déterminées. Hippicus c'est toujours, comme alors, la tour du Oalaah, sur laquelle vient s'appuyer la longue branche rectiligne de muraille dans laquelle s'ouvre, à sa naissance, la porte de Beit-Iehm, ou Bab-el-Khalil ; la tour Psephina se reconnaît dans les vastes décombres aujourd'hui informes et qui portent à Jérusalem le double nom de Qasr-Djaloud (palais de Goliath) pour les musulmans, et de Tour de Tancrède pour les chrétiens.

Deux stades font 370 mètres ; nous avons donc ainsi, avec une très-grande exactitude, la position des deux camps établis par Titus, pour procéder à l'ouverture du siée proprement dit.

Josèphe nous a fort heureusement donné dans une phrase incidente la date du jour où Titus vint camper devant la tour Psephina ; c'est précisément[36] le 14 de Xanthicus (7 mars 70), c'est-à-dire le jour même de la Pique juive, où Jean de Giscala parvint à se rendre maître du temple.

Il ne viendra certes à l'idée de personne qu'en pareil moment les défenseurs de Jérusalem se soient préoccupés de ce qui se passait au dehors.

Cette coïncidence de dates ne peut être fortuite. Titus, sans parler de Josèphe, avait auprès de lui un très-grand nombre de Juifs, adhérents d'Agrippa ; il était donc parfaitement renseigné sur la solennité qui se célébrait à l'intérieur de la ville, et dès lors il n'avait guère à redouter une attaque, contre la possibilité de laquelle il avait néanmoins pris les précautions stratégiques que nous avons rapportées tout à l'heure. Aussi ce jour était-il le plus favorable entre tous, pour transporter son camp du haut du Scopus aux abords immédiats des murailles.

Nous allons voir maintenant que la date de ce jour étant connue, il devient extrêmement facile de déterminer, avec une précision suffisante, les dates de tous les faits de la campagne contre les Juifs entreprise par Titus, et que nous avons racontés jusqu'ici.

En effet, récapitulons ces faits, en remontant à partir du Xanthicus, jusqu'au départ d'Alexandrie, et dressons-en le tableau synoptique :

 

DATES MACÉDONIENNES

DATES DE L'ÈRE CHRÉTIENNE

Faits

Xanthicus

14

Mars

7

Jean de Giscala prend le temple. - Titus vient camper devant Psephina.

 

13

 

6

Ces quatre jours sont employés à nettoyer les abords de la place. - C'est le 11 ou le 12 probablement (4 ou 5 mars) que les Juifs attirent un certain nombre de légionnaires dans un guet-apens.

 

12

 

5

 

11

 

4

 

10

 

3

 

9

 

2

Achèvement des retranchements sur le Scopus et sur le mont des Oliviers.

 

8

 

1

Titus vient camper sur le Scopus. - Combat sur le mont des Oliviers.

 

7

Février

28

Titus campe à Gabath-Saoul. - Reconnaissance repoussée. – Le prince manque d'être enlevé ou tué.

 

6

 

27

Titus campe à Gophna.

 

5

 

26

Titus campe en Samarie.

 

4

 

25

Titus campe à Antipatris ?

 

3

 

24

L'un de ces deux jours Titus part de Césarée.

 

2

 

23

 

1

 

22

Séjour de Titus à Césarée.

Dystrus

30

 

21

Séjour de Titus à Césarée.

 

29

 

20

Arrivée de Titus à Césarée.

 

28

 

19

Étape intermédiaire entre Joppé et Césarée, peut-être à Dora.

 

27

 

18

Arrivée de Titus à Joppé.

 

26

 

17

Arrivée de Titus à Immia.

 

25

 

16

Arrivée de Titus à Ascalon.

 

24

 

15

Arrivée de Titus à Gaza.

 

23

 

14

Arrivée de Titus à Raphia.

 

22

 

13

Arrivée de Titus à Rhinocorura.

 

21

 

12

Arrivée de Titus à Ostracine.

 

20

 

11

Arrivée de Titus au temple de Jupiter Casius.

 

19

 

10

Passage de la Bouche pélusiaque.

 

18

 

9

Séjour de Titus à Péluse.

 

17

 

8

Arrivée de Titus à Péluse.

 

16

 

7

Arrivée de Titus à Héracléopolis.

 

15

 

6

Arrivée de Titus à Tanis.

 

14

 

5

Arrivée de Titus à Thmouis.

 

13

 

4

Ces quatre jours, y compris le jour du départ, où Titus va chercher à Nicopolis, à 4 kilomètres d'Alexandrie, le point d'embarquement, sont employés à se rendre par eau d'Alexandrie à Thmouis. - Départ d'Alexandrie.

 

12

 

3

 

11

 

2

 

10

 

1

 

Du tableau qui précède il résulte forcément que Titus a dû quitter Alexandrie vers le 1er février. Quant à l'erreur commise dans l'appréciation de cette date, je crois pouvoir hardiment avancer qu'elle ne peut porter que sur deux ou trois jours au plus. Dans tous les cas, nous sommes dès à présent en possession d'une date positive, celle du 14 Xanthicus ou 7 mars, pour le jour où l'armée romaine commença, à proprement parler, le siée de Jérusalem.

Nous allons maintenant, comme le fait Josèphe, donner la description de la ville menacée. Quoique cette description ait été déjà nombre de fois empruntée à l'historien des Juifs, je ne crois pas pouvoir me dispenser de la reproduire aussi exactement que possible, en faisant suivre chaque assertion de Josèphe du commentaire indispensable pour appliquer au terrain actuel les indications topographiques que nous fournit le texte de la Guerre Judaïque.

La ville, munie d'une triple muraille, partout où elle n'était pas couverte par des vallées impropres à des travaux de siège (en ces points elle n'avait qu'une seule enceinte), était construite sur deux collines se faisant face, et séparées par une vallée mitoyenne, jusqu'au fond de laquelle étaient étagés de part et d'autre de nombreux édifices. Celle de ces deux collines sur laquelle est assise la ville haute est beaucoup plus élevée que l'autre, et offre une ligne plus droite pour son axe longitudinal. A cause de sa force comme place de guerre, elle fut appelée la Forteresse par le roi David, père de Salomon qui construisit le premier temple ; nous l'appelons le forum supérieur. (Il ne faut pas perdre de vue que c'est Josèphe qui parle.) L'autre colline, nommée Acra, sert d'assiette à la ville basse, et affecte la forme d'un croissant de la lune arrivée à son troisième quartier. En face de cette colline il y en avait une troisième, plus basse qu'Aéra, et séparée de celle-ci par une large vallée. Dans la suite des temps, lorsque les Asmonéens étaient à la tête de la nation, ces princes comblèrent la vallée en question, afin de réunir la ville au temple ; puis rasant le sommet d'Aéra, ils en abaissèrent l'altitude, afin qu'Acra elle-même fût dominée par le temple. Nous avons dit qu'une vallée séparait la ville haute de la ville basse, c'est le Tyropœon (vallée des Fromagers), qui se prolonge jusqu'à Siloam ; nous nommons ainsi une source d'eau abondante. A l'extérieur le pâté formé par ces deux collines était entouré de vallées profondes, et du côté où s'étendaient ces vallées, l'accès de plain-pied vers la ville était impossible[37].

La carte annexée à ce travail démontre l'exactitude topographique de cette première partie de la description de-Jérusalem, rédigée par Josèphe. Nous devons cependant faire ici une réserve essentielle. Le mot entouraient dont cet écrivain se sert en parlant des vallées qui couvraient la place, n'est pas suffisamment exact, car cette défense naturelle n'existe que sur les faces est, sud, et ouest en partie seulement. Au reste. Josèphe savait parfaitement qu'il se servait là d'une expression impropre, puisqu'il commence par déclarer que Jérusalem avait une triple enceinte, partout oh elle n'était pas défendue par une profonde vallée. Par conséquent dire qu'en certains points elle était munie de cette triple enceinte, c'est dire- très-nettement qu'elle n'était pas entourée de ces vallées protectrices. L'étude du plan nivelé de Jérusalem, je le répète une fois pour toutes, fournit au lecteur le meilleur commentaire du récit de Josèphe. Poursuivons donc :

Des trois murailles d'enceinte, la plus ancienne était inexpugnable, tant à cause des vallées qu'elle dominait et de la hauteur de la colline qu'elle couronnait, que parce que David, Salomon et leurs successeurs s'étaient ingéniés à augmenter, par des ouvrages élevés à grands frais, la force naturelle de la place. Du côté du nord cette muraille partait de la tour Hippicus et s'étendait jusqu'au lieu nominé Xystus, puis rejoignant le bâtiment du Sénat venait se terminer contre le portique occidental du temple. L'autre branche de l'enceinte, partant de la même tour Hippicus et faisant face à l'occident, s'étendait à travers le lieu nommé Bethso jusqu'à la porte des Esséniens, puis faisant face au sud et se prolongeant dans la direction de Siloam, s'infléchissait ensuite de nouveau pour faire face à l'est, vers la Piscine de Salomon et s'étendant dans cette direction jusqu'à un certain endroit nommé Ophlas (Ophel), venait se réunir au portique oriental du temple[38].

Il est bon de noter que ce passage n'est intelligible qu'à la condition de supposer que l'enceinte actuelle suit exactement le tracé de l'enceinte décrite par Josèphe, et que par conséquent, au temps où Titus vint faire le siège de Jérusalem. toute la partie sud de l'ancienne ville des Jébuséens avait été déjà laissée en dehors de la ville.

La deuxième muraille partant de la porte nommée porte Djennath (porte des Jardins) qui était ouverte dans la première enceinte, et ne couvrant que la région septentrionale, s'étendait jusqu'à la tour Antonia[39]. Josèphe n'en dit pas plus long sur le tracé de cette seconde muraille, et il serait fort difficile de s'en faire une idée bien précise, sans une étude attentive du terrain. Où était la porte Djennath ? Malheureusement nous n'en savons rien, et il est fort douteux que la vieille arcature aujourd'hui condamnée, et à laquelle M. Pierotti qui l'a découverte a donné le nom de porte Djennath, ait aucun droit à cette dénomination. Ce qui est beaucoup plus probable et plus admissible, c'est que certains débris de muraille judaïque, existant à la lisière orientale du terrain vague des chevaliers de Saint-Jean, et à l'est du Saint-Sépulcre, au point où des fouilles ont été entreprises, il y a quelques années, pour établir le consulat russe, nous offrent des jalons propres à nous faire reconnaître la direction générale de la branche occidentale de cette seconde enceinte. S'il en est ainsi, elle partait d'un point très-voisin de l'angle sud-est du terrain des chevaliers de Saint-Jean, et remontait directement au nord, jusque vers l'endroit où la Voie Douloureuse prolongée en pensée viendrait recouper la rue droite qui, traversant toute la ville du sud au nord, vient aboutir à la porte de Damas. De ce point, la deuxième enceinte, faisant face au nord, venait rejoindre la tour Antonia.

Un renseignement très-intéressant et que je dois à mon ami M. le comte Melchior de Vogué, vient tout à fait corroborer l'opinion de ceux  qui, dans les restes de muraille judaïque retrouvés derrière le Saint-Sépulcre, voient un débris de la seconde enceinte ; c'est que, dans des fouilles pratiquées au pied de cette muraille antique, on a déterré un certain nombre de balles de fronde en plomb, indices d'un combat sérieux. qui aurait été engagé en ce lieu.

Des considérations historiques et militaires tout à la fois démontrent que lorsque le roi Ézéchias fit creuser la grande piscine intérieure qui se nomme aujourd'hui Birket-hannam-el-Batrak (Piscine des bains du patriarche), il fallut de toute nécessité, pour mettre cette piscine à l'abri des insultes d'une armée assiégeante, la couvrir d'une muraille se détachant très-probablement de la première enceinte vers le point où est situé la tour Phasaël (tour de David), et contournant la piscine, pour venir se réunir à la seconde enceinte, peu près vers le milieu de sa branche occidentale. Cette muraille, à laquelle je donne le nom de muraille d'Ezéchias, a dû vraisemblablement disparaître, lorsque la construction du mur d'Agrippa rendit sa présence complètement inutile. C'est du reste ce que la suite de notre étude du siège de Titus nous apprendra.

Passons à la troisième muraille, c'est-à-dire à la muraille dont la construction fut commencée par le roi Agrippa. Nous allons, cette fois encore, suivre à la lettre les indications de Josèphe.

La troisième muraille partait de la tour Hippicus et de là se dirigeant vers la région nord jusqu'à la tour Psephina, se prolongeait ensuite en passant devant le tombeau d'Hélène (c'était une reine d'Adiabène, mère du roi Izates) et à travers les cavernes royales, se recourbait à la tour angulaire placée dans le voisinage du tombeau du Foulon, et rejoignant l'enceinte antique, se terminait contre la vallée dite vallée du Cédron[40].

Si l'on examine la carte, on reconnaitra aisément l'exactitude de cette description concise qui s'applique à merveille à l'enceinte actuelle. La tour Hippicus, c'est celle qui est en contact presque immédiat avec la porte de Beit-Iehm ; la tour Psephina, c'est le Qasr-Djaloud ; le tombeau d'Hélène était au pâté de roches placé à 200 mètres de la porte de Damas et un peu à gauche de la route de Naplouse ; les Cavernes royales sont les immenses carrières dont on a retranché la grotte dite de Jérémie, par le tracé de cette troisième enceinte. La tour angulaire est toujours à sa place, si le monument du Foulon a disparu, et la branche orientale de cette troisième enceinte vient bien se relier, contre la vallée du Cédron, à l'enceinte antique dont il y a un si magnifique reste à droite du Bab-Setty-Maryam, et au-dessus de la Piscine probatique.

Voyons maintenant ce que Josèphe nous dit de la construction de cette troisième enceinte.

Le roi Agrippa fit construire cette muraille pour couvrir tout le quartier dont la ville primitive s'était accrue, et qui était resté ouvert jusque-là. En effet, la population allant en augmentant, la ville avait peu à peu franchi l'enceinte de ses murailles ; et comme le terrain placé au nord du temple, sur le versant d'une colline, s'était rempli de maisons, la ville ne s'étendit pas médiocrement au delà des anciennes collines qui lui servaient d'assiette. De sorte qu'une quatrième colline nommée Bezetha fut couverte d'édifices. Cette colline, placée en face d'Antonia, avait été séparée de la forteresse par un fossé profond (entièrement creusé de main d'homme), de peur que les fondations d'Antonia, si elles continuaient à faire corps avec la colline voisine, ne fussent d'un accès facile et trop peu élevées. Naturellement la profondeur de ce fossé augmenta d'autant la hauteur des tours. Ce quartier, qui s'était enté sur l'ancienne ville, se nommait, parmi les indigènes, Bezetha, et ce mot traduit en grec signifiait Cænopolis (la ville neuve). Comme ceux qui habitaient ce quartier nouveau avaient besoin d'être protégés par une muraille, le père du roi actuel, nommé connue lui Agrippa, commença la construction du mur en question. Mais bientôt craignant que Claudius Cæsar ne vit dans l'exécution de ce vaste projet un indice de mauvais dessein et de rébellion prochaine, Agrippa fit arrêter le travail, lorsque les fondements du mur eurent été jetés. Ce mur dit été inexpugnable, en effet, si on l’eût achevé comme il avait été commencé. Car les blocs qui entraient dans la construction étaient longs de 20 coudées et larges de 10 ; et par conséquent ils ne pouvaient être facilement minés par le fer, ni arrachés par les machines de guerre. Le mur composé de ces blocs avait lui-même une épaisseur de 10 coudées, et il eût naturellement reçu une hauteur plus considérable, si la magnificence de celui qui l'avait commencé n'eût été entravée. Plus tard ce même mur, continué avec ardeur par les Juifs, fut élevé à la hauteur de 20 coudées ; il fut couronné de créneaux de 3 coudées munis de mantelets de 2 coudées. De sorte que la hauteur totale de la muraille était de 25 coudées[41].

Ces renseignements sont fort précis, et, à part l'exagération ridicule, si habituelle à Josèphe, des dimensions données aux blocs de pierre employés par l'ordre d'Agrippa, il n'y a rien que de très-acceptable dans tout ce que je viens d'emprunter à notre historien. La grande coupure taillée dans le roc vif pour isoler Antonia, a été retrouvée dans les travaux entrepris lorsque les dames de Sion sont venues créer leur bel établissement près de l'arc de l'Ecce-Homo ; et cette découverte a donné une bonne preuve de plus de l'exactitude de l'historien des Juifs, en tout ce qui concerne les faits généraux. Mais ne lui demandez pas de chiffres, car il n'a jamais eu, à ce qu'il parait, la moindre aptitude pour se rendre compte des nombres et des dimensions. Y a-t-il rien, en effet, de plus manifestement inadmissible que ces blocs de 20 coudées de longueur et de 10 coudées de largeur, employés à construire une muraille de 10 coudées d'épaisseur elle-même, de telle sorte que cette muraille se serait composée d'une seule rangée de blocs empilés ? Quoi qu'il en soit, poursuivons notre étude de la description des murailles de Jérusalem, d'après le récit de Josèphe.

Au-dessus du mur s'élevaient des tours hautes et larges de 20 coudées, carrées et massives comme le mur lui-même, et ne cédant en rien au temple, pour l'assemblage et la beauté des pierres. La partie massive des tours, ayant 20 coudées de hauteur, était surmontée de magnifiques salles, avec étage supérieur, où se trouvaient des citernes propres à recueillir l'eau des pluies ; de larges escaliers y donnaient accès. Cette troisième muraille était garnie de 90 tours semblables, et ces tours étaient séparées par un intervalle de 200 coudées. Le mur intermédiaire (le second sans doute) était divisé par 14 et le mur antique par 60 tours. Quant au circuit entier de la ville, il était de 33 stades[42].

J'ai dit tout à l'heure ce que je pensais des chiffres que nous fournit Josèphe ; il est bon de justifier mon dédain absolu, par un exemple tiré du passage que je viens de rapporter[43].

Le mille romain était égal à 8 stades olympiques. Or le mille romain est de 1.481 mètres ; divisant ce chiffre par 8 nous avons pour le stade olympique 185 mètres. Est-ce de ce stade et de la coudée royale de 525 millimètres que Josèphe s'est servi ? Quelques simples chiffres vont nous donner la réponse. 33 stades, dit Josèphe, nous représentent le circuit de Jérusalem ; donc ce circuit égale 33 fois 185 mètres, ou 6.105 mètres.

D'un autre côté, le mur d'Agrippa, ou troisième mur, est garni de 90 tours de 20 coudées de largeur. 20 fois 90 font 1.800 coudées, soit 1.800 fois 525 millimètres ou 945 mètres. L'intervalle qui sépare deux tours consécutives est de 200 coudées, ou de 105 mètres. Le troisième mur comporte 89 de ces intervalles, ou 89 fois 105 mètres, ce qui fait un total de 9.345 mètres qui, ajoutés à la somme des largeurs des tours égale à 945 mètres, nous donne 10.290 mètres. Il ne nous en faut pas plus, j'imagine, pour conclure, que les chiffres de Josèphe sont absurdes, ou qu'ils ont été outrageusement altérés, car le résultat immédiat qu'ils donnent, c'est que la partie est plus grande que le tout. Donc nous devons rester dans le doute le plus absolu sur la valeur du stade et de là coudée employés par Josèphe,  ou du moins nous pouvons affirmer, dès à présent, qu'il ne s'est pas servi à la fois du stade olympique de 185 mètres, et de la coudée de 525 millimètres.

Conduits par l'invraisemblance qu'offre la largeur de 20 mètres donnée aux tours, supposons un instant que la coudée qu'emploie Josèphe soit le djamed ou la demi-coudée de 262 millimètres (en négligeant, un demi-millimètre), et recommençons nos calculs, en conservant toujours le stade olympique, c'est-à-dire 6.105 mètres pour le circuit total de Jérusalem.

Dans ce cas, nous avons 1.800 coudées de 262 millimètres, soit 472 mètres pour la somme des faces extérieures des tours. Les 89 intervalles ou courtines, de 200 coudées, nous donnent 4.672 mètres ; je néglige les fractions. 4.672 mètres plus 472 nous donnent pour la troisième muraille seule 5.144 mètres, second chiffre aussi absurde et inadmissible que le premier, puisqu'il ne nous reste, en retranchant 5.144 de 6.105 que 961 mètres pour représenter toute la partie de l'enceinte qui partant de la tour Hippicus va contourner le mont Sion, celle qui couvre Ophel, et la portion de l'enceinte du Haramech-Chérif comprise depuis le milieu de sa face sud jusqu'au Bab-Setty-Maryam. Tout cela mesuré sur le terrain, en suivant le tracé certain de la muraille antique, a un développement de 2.100 mètres à peu près. Ce qui reste de l'enceinte actuelle mesure à peu près 1.800 mètres, ce qui nous donne 3.900 mètres environ pour le circuit total. De quelque manière qu'on s'y prenne, il y aura toujours une différence de plus de 2.000 mètres entre la somme des 33 stades de Josèphe, et le pourtour de l'enceinte réelle.

D'Anville, qui a fait un travail des plus remarquables sur la topographie de Jérusalem, et cela sans avoir visité jamais cette ville illustre, n'a pas été moins embarrassé que je ne le suis, pour se rendre compte des chiffres de Josèphe. Recourant alors aux mesures données par le Talmud, il a constaté, par des textes positifs, que le mille des Juifs était à la fois égal à 7 stades et demi et à 2.000 coudées. Or 2.000 coudées de 525 millimètres nous donnent 1.050 mètres, lesquels, divisés par 7, 5 stades, portent le stade juif à 140 mètres. Essayons donc maintenant ces nouvelles valeurs, puisque nous sommes réduits à tâtonner. Conservons cependant le djamed pour la coudée employée par Josèphe, puisque des tours uniformes de 10m,50 de largeur ne sont guère admissibles. Les tours auront ainsi 5m,25 de largeur, qui, multipliés par 90, nous donnent toujours 472 mètres pour les largeurs des tours, et 4.672 mètres pour la somme des courtines, soit 5,1411 mètres en tout. Nos 33 stades réduits à 140 mètres, valeur du stade hébraïque, ne nous donnent plus que 4.620 mètres, et pourtant cette fois encore la partie devient plus grande que le tout.

De pareils résultats sont bien faits, on en conviendra pour rebuter, et j'abandonne sans regret les chiffres de Josèphe, lesquels d'ailleurs sont en désaccord flagrant avec les mesures prises sur le terrain. Josèphe, dans son Livre contre Apion (I, 22) rapporte le passage où Hécatée d'Abdère parle de Jérusalem comme d'une ville forte, de 50 stades de tour, et contenant 120.000 habitants. Si les 33 stades sont exagérés, ainsi que je viens de le démontrer, que dirons-nous des 50 stades d'Hécatée ? Que nous devons à plus forte raison rejeter ce chiffre, et passer outre.

Eusèbe nous a conservé sur l'étendue du circuit de Jérusalem, deux renseignements, dont un au moins a une valeur que l'on ne peut guère contester. Nous allons les examiner successivement.

Le premier[44] est dû à Timocharès, l'historien d'Antiochus, qui donne à Jérusalem un périmètre de 40 stades. Disons tout de suite que ce chiffre précis de 40 stades est à bon droit suspect. D'ailleurs, 40 fois 185 mètres feraient 7.400 mètres, et il ne m'en faut pas plus pour que je m'attribue le droit de mettre ce chiffre au rebut.

Le second renseignement ne peut pas être traité avec le même sans façon, car celui-ci émane de l'agrimensor ou arpenteur de la Syrie. Le voici[45] : L'arpenteur qui a mesuré la Syrie dit, dans le premier livre de son travail, que Jérusalem est bâtie sur un lieu montueux et raboteux ; il ajoute qu'une partie de ses murailles est construite en pierres polies ; et mais la plus grande partie en moellons ; il dit enfin que le périmètre de la ville est de 27 stades.

27 stades olympiques de 185 mètres nous donnent 4.995 mètres en tout, tandis que 27 stades juifs de 140 mètres seulement ne nous donnent plus que 3.780 mètres. Si nous rapprochons ce chiffre de celui que la mesure directe nous a fourni sur le terrain, soit 3.900 mètres, et si nous tenons compte des petites différences de détail qui existent forcément entre le tracé actuel et le tracé mesuré à la corde par l'arpenteur de la Syrie, nous trouvons un accord tel que nous devons nous tenir pour satisfaits. Nous admettons donc que cet ingénieur, par une raison qu'il ne nous est pas possible de deviner, a donné le circuit de Jérusalem en mesures hébraïques, c'est-à-dire en mesures du pays, et qu'il y a, pour ainsi dire, identité entre le chiffre actuel et celui qu'il a recueilli. Nous nous bornerons à ce qui précède sur le compte des trois mitrailles de Jérusalem, puisque de tous les chiffres que les écrivains de l'antiquité nous ont transmis, il n'y en a qu'un qui soit vraisemblable et digne par conséquent de notre confiance. Tout ce que je viens d'établir à propos des chiffres fournis par Josèphe, nous prouve que nous ne devons jamais utiliser ces chiffres qu'avec une défiance absolue.

Je demande pardon au lecteur de cette longue digression toute technique, et je reviens à la description de l'enceinte de Jérusalem.

Si la troisième mitraille était admirable, il y avait une chose bien plus admirable encore ; c'était la tour Psephina, bâtie à l'angle formé par les branches septentrionale et occidentale de l'enceinte, et devant laquelle Titus était venu asseoir son camp. Comme elle avait 70 coudées de hauteur, on pouvait du sommet apercevoir l'Arabie au lever du soleil, et embrasser de l'œil les limites extrêmes de la terre judaïque, jusqu'à la mer. La tour Psephina était octogonale. En regard de Psephina, la tour Hippicus et deux autres tours avaient été bâties par Hérode sur le mur antique ; toutes les trois surpassaient en grandeur, en beauté et en force toutes les tours de l'univers[46].

Tout le monde sait qu'Hérode avait consacré ces trois tours à la mémoire de Mariamme sa femme qu'il avait fait assassiner par jalousie, de son frère Phasaël, et de son ami Hippicus, qui tous deux avaient bravement péri dans les combats et les armes à la main.

Passons donc immédiatement a la description que Josèphe nous a conservée de ces trois tours, et par suite à leur identification certaine avec les tours actuellement existantes.

Hippicus, qui avait reçu le nom de son ami, était quadrangulaire, ayant en largeur et en longueur 25 coudées, et 30 en hauteur. Elle n'était vide en aucun point. Au-dessus de ce massif formé de blocs liés entre eux, était placé un puits, profond de 20 coudées, et destiné à recueillir l'eau des pluies. Il était couvert par un édifice à deux étages, haut de 25 coudées, et divisé en diverses chambres, au-dessus duquel étaient placés des créneaux de 3 coudées de hauteur, avec parapet de 2 coudées seulement, de sorte que la hauteur totale de la tour était de 80 coudées.

La seconde tour, à laquelle il donna le nom de son frère Phasaël, avait 40 coudées de longueur, de largeur et de hauteur, et était entièrement massive. Elle était couronnée par un portique haut de 10 coudées, entouré d'un parapet à créneaux. Au milieu du portique s'élevait une autre tour contenant des chambres magnifiques et une salle de bains, de sorte que rien ne manquait à cette tour pour paraître une habitation royale. Celle-ci était encore mieux munie de parapets et de créneaux que celle qui lui servait de base. La hauteur totale était de 90 coudées. Elle ressemblait assez par sa tournure au phare d'Alexandrie, mais elle était beaucoup plus grande. A ce moment (à l'arrivée de Titus devant Jérusalem), elle était devenue le siège de la tyrannie de Simon.

La troisième tour, nommée Mariamme (c'était le nom de la reine) était massive jusqu'à la hauteur de 20 coudées, et elle avait 20 coudées de longueur et de largeur. Elle supportait des appartements plus magnifiques et plus riches que les autres, le roi ayant pensé qu'il était convenable de donner à la tour qui portait le nom de sa femme, une ornementation plus splendide que celle qu'il destinait à des tours consacrées à la mémoire de deux hommes. Celles-ci, en revanche, étaient plus fortes que celle à laquelle il avait donné le nom d'une femme. La hauteur totale était de 55 coudées[47].

Ces trois tours, déjà si grandes, le paraissaient plus encore par la nature mène de leur position. En effet, le mur antique, sur lequel elles étaient construites, s'étendait sur une colline élevée, et avait une hauteur de 30 coudées au-dessus de la colline, ce qui faisait paraitre les tours bien plus liantes encore. Les dimensions des pierres employées à leur construction n'étaient pas moins admirables. Ces pierres, en effet, n'étaient pas des blocs vulgaires faciles à remuer, mais bien des blocs de marbre blanc dont chacun avait 20 coudées de longueur, 10 de largeur et 5 de hauteur. Ils étaient si bien reliés entre eux, que chaque tour semblait un rocher naturel que la main de l'homme avait façonné en faces et en angles ; nulle part on ne pouvait apercevoir de joints[48].

Transportons-nous maintenant sur le terrain et voyons à tirer parti des renseignements que Josèphe vient de nous fournir.

Examinons d'abord les dimensions résultant du récit, pour chacune des trois tours dont il s'agit.

Hippicus avait 25 coudées de côté et 30 de hauteur. Elle contenait un puits de 20 coudées de profondeur.

Phasaël avait 40 coudées de côté et de hauteur.

Mariamme enfin avait 20 coudées de côté et de hauteur.

Si nous prenons la coudée hébraïque de 525 millimètres, ces mesures deviennent pour Hippicus 13m,25 de côté et 15m,70 de hauteur, le puits ayant 10m,50 de profondeur.

Pour Phasaël, 21 mètres de côté et de hauteur, et enfin pour Mariamme 10m,50 de côté et de hauteur.

La tour sur laquelle s'appuie toujours l'enceinte extérieure de la ville a 16m,40 sur son plus grand côté, et 13 mètres sur le plus petit ; elle n'est donc pas carrée. Hippicus avait en nombre rond 25 coudées, soit 13m,125. Il y a donc, quant aux dimensions, similitude tout à fait satisfaisante.

Passons à Phasaël : celle-ci avait 21 mètres de côté, selon Josèphe. A la plate-forme supérieure, la tour de David, épaisseur du parapet comprise (laquelle est de 0m,70) a 21m,04 sur 16m,30. Elle n'est donc pas carrée non plus, mais l'une de ses dimensions, la plus grande, est identique avec celle que nous a transmise l'historien des Juifs. Cette fois encore nous pouvons conclure que la tour de David n'est que la tour Phasaël.

Reste la troisième tour, c'est-h-dire Mariamme. Suivant Josèphe, elle avait 10m,50 de côté ; la tour moderne a 11m,60 sur 10m,40. Il y a donc encore accord satisfaisant. Je l'ai déjà dit bien des fois, rien ne change en ce pays. Où il y a eu trois tours dans l'antiquité, trois tours ont toujours été maintenues et avec les mêmes dimensions. Josèphe les cite dans l'ordre suivant : Hippicus, Phasaël, Mariamme ; et une fois Hippicus identifiée, nous retrouvons, dans le même ordre, des tours ayant les dimensions accusées par Josèphe. En vérité il faudrait être bien difficile pour ne pas voir ici autre chose que des coïncidences fortuites.

Reste enfin à trouver le puits signalé par Josèphe comme appartenant à la tour Hippicus. Ce puits avait 20 coudées de profondeur, soit 10m,50. Avec une ficelle et un caillou, nous avons mesuré la profondeur actuelle du puits existant dans la tour qui a remplacé Hippicus. En laissant descendre le caillou, même à travers la vase molle, jusqu'à refus, nous avons trouvé 6m,35. Il y aurait donc, si la mesure donnée par Josèphe est rigoureusement exacte, 4m,15 de décombres et de saletés de toute nature accumulés au fond de ce puits. Non-seulement cela n'est pas étonnant, mais j'ose dire que ce qui l'est à mes yeux, c'est que la couche encombrante ne soit pas plus considérable. Donc le puits lui-même peut à bon droit être reconnu pour celui dont a parlé Josèphe.

Derrière les trois tours Hippicus, Phasaël et Mariamme, établies sur la branche septentrionale de l'enceinte antique, se trouvait immédiatement le palais du roi, dont la splendeur était au-dessus de toute description. Aucun édifice ne pouvait lui être comparé pour l'élégance et la splendeur de la construction. Il était entouré d'un mur de 30 coudées de haut et orné de tours magnifiques réparties à intervalles égaux sur tout son pourtour ; on y voyait des salles de banquet garnies de cent lits destinés aux convives. Elles étaient revêtues des pierres les plus variées et les plus rares. Les toits eux-mêmes et les plafonds étaient admirables, autant par la longueur des poutres que par la richesse de l'ornementation. Il y avait une multitude de chambres, toutes remarquables par l'immense variété des décorations. L'ameublement entier était des plus précieux, et presque tous les vases qui en faisaient partie, étaient d'or ou d'argent. Plusieurs portiques concentriques, supportés par des colonnes de grand prix, l'entouraient. Les intervalles découverts qui les séparaient étaient resplendissants de verdure. On y trouvait de nombreux bosquets coupés par des allées de promenade, longeant de profonds étangs et des citernes peuplés de figures de bronze qui répandaient une eau vive et abondante ; auprès de ces fontaines étaient établis de nombreux colombiers. Enfin il est impossible de décrire toutes les splendeurs de ce palais, et il faudrait d'immenses efforts de mémoire pour se rappeler toutes les richesses dévorées par l'incendie qu'alluma la main des brigands. Ce ne sont pas les Romains, en effet, qu'il faut accuser de la destruction de ces merveilles ; mais c'est la torche de la guerre civile qui, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, anéantit tout cela, au commencement de l'insurrection ; car le feu, mis à Antonia d'abord, gagna de là le palais et dévora les toits des trois tours[49].

Je ne sais si les paroles de Josèphe exagèrent les splendeurs du palais, mais ce que je sais, de visu, c'est qu'il n'en existe aujourd'hui ni la moindre trace, ni le plus mince vestige.

Josèphe passe ensuite à la description du temple, et comme nous aurons amplement à en parler, en poursuivant notre étude du siège de Titus, il est de toute nécessité de reproduire cette description et de nous efforcer de la comprendre.

Après avoir longuement raconté comment Salomon parvint à constituer la plate-forme à moitié naturelle, à moitié artificielle, qui était destinée à servir d'assiette à une des merveilles du inonde, Josèphe arrive à l'ensemble des édifices sacrés, et nous devons maintenant le copier scrupuleusement. Les constructions supportées par ces fondations merveilleuses étaient dignes d'elles. Tous les portiques étaient doubles ; ils étaient soutenus par des colonnes monolithes de marbre blanc, de 25 coudées de hauteur, que couronnaient des plafonds de cèdre. La richesse et le poli des matériaux et la précision des assemblages donnaient à l'ensemble de ces portiques un aspect splendide et dont on ne pouvait perdre la mémoire, quoique la peinture et la sculpture ne fussent point employées à leur ornementation. Ils avaient 30 coudées de largeur, et leur circuit, y compris Antonia, avait un développement de 6 stades. Tout l'espace découvert était pavé d'une mosaïque formée de pierres de toute espèce[50].

Le chiffre de six stades, soit 6 x 185 = 1.110 mètres, n'est pas exact ; suivant toute apparence, il est notablement au-dessous de la réalité. Je n'en veux pour preuve que le calcul suivant. Si nous prenons la description du portique royal ou portique triple bâti par Hérode, le long du grand mur méridional[51], nous pouvons facilement arriver au diamètre des colonnes dont quatre rangées supportaient ce portique ; ce diamètre était de 3 coudées hébraïques, de 525 millimètres. et par conséquent de 1,m575. Il y avait en tout, dit Josèphe, 162 colonnes, et ce nombre n'est pas divisible par 4. Première erreur. Le portique avait 1 stade de longueur, soit 185 mètres. Déduisant la somme des hi diamètres des colonnes de ces 185 mètres, il nous reste 120m,575 pour la somme des entrecolonnements, et ce chiffre divisé par 40 nous donne 3 mètres environ pour chaque entrecolonnement, ce qui, architecturalement parlant, est absurde, avec des colonnes de 1m575 de diamètre. Le chiffre dé G stades donné pour le circuit total des portiques ne mérite donc aucune créance. Dès lors que nous sommes condamnés à nous méfier des chiffres de Josèphe, nous devons nous résigner à ne nous occuper que des dispositions générales qu'il indique, en exprimant notre regret de ne pouvoir rien dire de positif sur les dimensions. Reprenons donc la description qu'il donne du temple, et estimons-nous heureux si nous pouvons en saisir complètement le sens.

Lorsque l'on quittait la partie de l'enceinte sacrée renfermant les portiques et que nous appelons le hiéron extérieur, pour entrer dans le second hiéron, Josèphe nous dit que l'on rencontrait une balustrade de pierre qui l'entourait, haute de 3 coudées (1m,575) et très-élégamment construite. Le long de cette balustrade étaient disposés, à intervalles égaux, des stèles portant en grec et en latin les prescriptions sur la loi de pureté, et interdisant aux étrangers de pénétrer dans le saint Le second hiéron, en effet, se nommait le saint. Une rampe de 14 marches séparait le premier hiéron du second. La plate-forme de celui-ci était tetragonale, et elle avait son propre mur d'enceinte. La hauteur extérieure totale de ce mur était de 40 coudées (21 mètres), mais il était en partie caché par la rampe des 14 marches, et sa hauteur intérieure n'était que de 25 coudées (13m,25) ; et encore, comme il était bâti à un niveau supérieur à celui du sommet de la rampe, on n'en voyait pas tout l’intérieur, celui-ci étant en partie caché par l'élévation de la plate-forme (par la colline). Au delà du sommet de la rampe de 14 marches il y avait, jusqu'au pied du mur, une esplanade large de 10 coudées (5m,25). A partir de là, de nouvelles rampes de 5 marches conduisaient aux portes qui étaient au nombre de 8 pour le nord et le midi de chaque côté ; à l'orient il y en avait forcément, 2. Voici pourquoi : de ce côté étant une place close par une muraille et réservée aux femmes pour les pratiques du culte, il était nécessaire qu'il y eût une seconde porte ; elle était ouverte en face de la première. Il y avait aussi une porte au midi et une au nord donnant accès dans le parvis des femmes. Il était interdit aux femmes de passer par toutes les autres portes, et elles ne pouvaient franchir l'enclos qui leur était attribué. Ce parvis était destiné non-seulement aux femmes qui habitaient la Judée, mais encore à toutes celles appartenant à la nation et qui se présentaient pour accomplir les cérémonies de leur religion. A l'occident, il n'y avait aucune porte, et le mur était continu. Des portiques appuyés contre la face intérieure de la muraille, et entre les portes, tournaient à l'intérieur, en face des garde-meubles, fortement soutenus par de belles et grandes colonnes. Ces portiques étaient simples, et, si ce n'est pour la grandeur, ils ne cédaient en rien aux portiques d'en bas[52].

Jusque-là, tout est intelligible, et la description de Josèphe peut facilement se traduire sur le papier. Poursuivons donc :

Neuf des portes étaient revêtues d'or et d'argent, aussi bien que leurs montants et leurs linteaux. Celle qui était à l'entrée du naos était ornée d'airain de Corinthe, et surpassait en beauté celles qui étaient revêtues d'or et d'argent. Chaque portail ou pylône avait deux baies, ayant chacune 30 coudées de hauteur et 15 de largeur (15m,75 et 7m,875). Au delà du seuil, ce pylône s'élargissait pour former de part et d'autre des salles longues et larges de 30 coudées (15m,75), construites en forme de tours et hautes de plus de 40 coudées (21 mètres). Elles étaient soutenues par des colonnes de 12 coudées de circonférence (plus de 2 mètres de diamètre). Tous ces pylônes étaient de dimensions égales ; mais celui qui couronnait la porte en airain de Corinthe, placée à l'orient, et qui, en avant du parvis des femmes, faisait face directement à la porte du temple, était beaucoup plus grand. Il avait en effet 50 coudées de hauteur (26m,25) et ses portes de 40 coudées (21 mètres) étaient décorées avec bien plus de magnificence, car elles étaient revêtues de plaques épaisses d'or et d'argent. Tous les ornements des neuf portes y avaient été appliqués par Tibère[53]. Quinze marches conduisaient du mur clôturant le parvis des femmes à la grande porte. Elles étaient moins élevées que celles des rampes de cinq marches qui se trouvaient aux autres portes[54].

Tout cela est encore suffisamment clair, et n'a pas besoin de commentaires.

Le naos proprement dit, nommé l'agio-hiéron, était placé au milieu et l'on y accédait par une rampe de douze marches. La façade avait 100 coudées en hauteur et en largeur (52m,50). Par derrière il était plus étroit de 50 coudées (21 mètres), parce que, sur la façade, deux espèces d'épaules de 20 coudées chacune (10m,50) faisaient saillie sur les lianes du temple. La première porte de celui-ci. haute de 70 coudées (36m,75) et large de 25 (13,125), n'avait pas de battants. Elle était en effet le symbole du ciel, visible et ouvert. Son front était entièrement doré, et à travers cette porte on voyait tout l'intérieur de la première salle, qui était très-grande. Tout l'intérieur de la porte était resplendissant d'or. Le naos étant à deux étages[55], la première salle était seule livrée aux regards. Elle avait 90 coudées de haut, 50 de long et 20 de large (47m,25, 26m,25, et 10m,50). Ainsi que je le disais, la porte à l'intérieur de la salle était entièrement revêtue d'or, comme le mur qui l'encadrait. Elle était couronnée d'un cep de vigne d'or d'où pendaient des grappes de la hauteur d'un homme. Le temple étant à deux étages (?), la partie postérieure était plus basse que l'extérieure ; elle avait des portes d'or de 55 coudées (28m,875) de haut et de 16 coudées de large (8m,40). Devant ces portes pendait un voile babylonien, teint de couleurs d'hyacinthe, de byssus (lin), de coccus (écarlate) et de pourpre, d'un tissu admirable, montrant un mélange des matières les plus belles, et symbolisant toutes choses. Le coccus, en effet, semblait représenter le feu. le byssus. la terre, l'hyacinthe, l'air, et la pourpre, la mer : les uns en raison de la similitude des couleurs ; le byssus et la pourpre en raison de leur origine, car le byssus riait de la terre, et la mer engendre la pourpre. De plus, sur le voile était représente tout le ciel à l'exception des signes du zodiaque[56].

Ceux qui pénétraient à l'intérieur se trouvaient dans la partie plane du naos (cela veut-il dire que l'on pénétrait de plain-pied dans l'arrière-temple ? Je le pense). La hauteur et la longueur de cette partie étaient de 60 coudées (31m,50). sa largeur était de 20 coudées seulement (10m,50). Cette longueur de 60 coudées (de l'arrière-temple) était aussi divisée en cieux parties. La première coupure ayant 40 coudées (21 mètres) de longueur, renfermait trois objets d'art merveilleux et célèbres entre tous, dans la mémoire des hommes : c'étaient le candélabre (chandelier à sept branches), la table et l'encensoir. Sept becs se détachant du candélabre représentaient les sept planètes, et douze pains rangés sur la table, le cercle du zodiaque et l'année. Quant à l'encensoir qui était alimenté par treize parfums empruntés à la mer et à la terre habitable, il témoignait ainsi que tout venait de Dieu et devait être consacré à l'usage de Dieu. La partie extrême du temple n'avait que 20 coudées (10m,50) de longueur (elle était donc carrée). Un voile la séparait aussi de la salie précédente. Elle ne renfermait rien. Elle était inaccessible et inviolable, et parce que personne ne pouvait la voir, on la nommait le Saint du Saint. Autour des côtés du temple inférieur étaient appuyées de nombreuses maisons à trois étages, dans lesquelles on passait de l'une à l'autre ; de part et d'autre de la porte du temple était placée l'entrée de ces files de maisons. La partie supérieure du temple n'était pas recouverte à l'extérieur par ces maisons, et paraissait ainsi plus étroite. Elle dominait le reste de l'édifice et était moins large que la partie inférieure, de 40 coudées (21 mètres). De là résultait que hi partie la plus rapprochée du sol ayant 60 coudées de hauteur (31m,50), la hauteur totale de l'édifice était de 100 coudées (52m, 50)[57].

L'aspect extérieur était aussi cligne d'admiration pour l'esprit que pour les yeux. Les parois du temple, en effet, étaient de tous côtés recouvertes d'épaisses plaques d'or, de sorte qu'aux premiers rayons du soleil levant, il resplendissait comme s'il eût été en feu, et que ceux qui jetaient les yeux de son côté, les en détournaient, comme s'ils eussent été frappés par l'éclat de la lumière solaire. Pour les étrangers arrivants il ressemblait de loin à une montagne de neige, parce que partout où les murailles n'étaient pas couvertes d'or, elles présentaient des surfaces du blanc le plus éclatant. À la crête il était hérissé de pointes d'or, extrêmement aiguës, destinées à empêcher les oiseaux de s'y percher et de le souiller. Parmi les blocs qui avaient servi à sa construction, on en comptait qui avaient jusqu'à 45 coudées (23m,625) de longueur, 5 de hauteur (2m,625) et 6 de largeur (3m,15)[58].

Les dimensions que Josèphe attribue ici à certains blocs employés dans la construction du temple, paraitraient singulièrement exagérées, si l'on ne se rappelait que la plate-forme du grand temple de Baalbek : présente des blocs bien plus considérables encore.

L'autel placé devant le temple avait 15 coudées de hauteur (7m,875) et 50 coudées (26m,25) de longueur et de largeur. Cet autel carré avait ses angles façonnés en forme de cornes, et du côté du midi on y montait par un plan incliné assez doux. Il avait été construit sans que l'on y employait le fer, dont il n'avait jamais subi le contact. Enfin le temple et l'autel étaient entourés par une balustrade de pierres, élégante et ornée, haute d'une coudée environ (0m,525), et qui séparait le peuple et les prêtres[59].

Telle est la description suffisamment détaillée du temple, que Josèphe nous a laissée dans son livre sur la guerre des Juifs. Il est bien entendu que je fais bon marché des chiffres parfois incohérents que comporte cette description. Elle nous révèle d'ailleurs assez bien les dispositions générales du saint édifice, pour que cela nie paraisse suffisant. Comme toutefois ce sujet, on en conviendra, je l'espère, ne manque pas d'importance, j'ai pensé ne pouvoir m'abstenir de reproduire également la description du mène monument insérée dans le livre des Antiquités Judaïques. Il est bon, en effet, que ces deux descriptions soient comparées, pour que le lecteur se trouve en mesure de contrôler et de compléter au besoin l'une par l'autre. Voici cette seconde description, qui d'ailleurs est beaucoup moins détaillée.

Ayant arraché les anciennes fondations, et en ayant jeté d'autres, il établit dessus le temple qui avait 100 coudées de largeur (52m,50). La hauteur avait 20 coudées de plus, qu'elle perdit dans la suite, lorsque les fondations se furent tassées, et nous avions décidé, vers le temps de Néron, que nous rendrions au temple cette élévation[60].

Le naos fut construit en pierres blanches et dures. La longueur de chacune de ces pierres était d'environ 25 coudées (13m,125) et la hauteur d'environ 12 coudées (6m,30)[61].

Le temple, comme le portique Royal, avait des bas côtés, et une partie intermédiaire beaucoup plus élevée, de façon que les habitants du pays pouvaient l'apercevoir à une distance de beaucoup de stades, surtout ceux qui habitaient ou se dirigeaient en face de lui. Il avait des portes d'entrée aussi hautes que le naos, armées de portières d'étoffe de couleurs variées, sur lesquelles étaient représentées, dans le tissu, des fleurs purpurines et des colonnes. Au-dessus de ces tentures et au-dessous du chaperon du mur s'étendait une vigne d'or, portant des grappes pendantes, miracle d'art, de grandeur et de richesse, pour le spectateur ; en outre il (Hérode) entoura le temple de portiques si admirables, qu'il semblait que personne avant lui ne l'eût orné. Deux de ces portiques s'appuyaient sur la grande muraille[62].

Vient ensuite le récit abrégé des travaux de Salomon qui fut le constructeur de cette grande muraille et le paragraphe suivant raconte l'histoire de la tour Antonia. Mais ces passages n'ayant rien qui intéresse nos recherches actuelles, je passe outre, et j'arrive à la description du péribole, ou de l'enceinte extérieure.

Sur la face occidentale du péribole existaient quatre portes, dont l'une conduisait au palais, la vallée inter-jacente étant laissée au passage. Deux portes conduisaient dans le quartier placé devant la ville ; la dernière menait à l'autre ville (Bezetha sans doute ?) ; elle était munie de degrés nombreux, les uns descendant au fond de la vallée, les autres gravissant la pente opposée. Car la ville, assise en face du hiéron, et présentant l'aspect d'un théâtre, était enveloppée par une vallée profonde sur toute sa face méridionale. La quatrième face de ce hiéron, celle qui regardait le midi, avait aussi des portes placées en son milieu, et au-dessus d'elles le portique Royal qui était triple et occupait toute la longueur comprise entre la vallée orientale et la vallée occidentale ; il n'était pas possible d'étendre ce portique au delà de ces limites. C'était l’œuvre la plus mémorable qui eût jamais été éclairée par le soleil. En effet, la vallée étant assez profonde pour que d'en haut le regard ne pût pénétrer jusqu'au fond, il (le Roi) construisit au-dessus un portique d'une élévation si prodigieuse que, pour celui qui du haut du toit aurait essayé de sonder de l'œil cette double hauteur, il y avait grand danger d'être pris du vertige. Ce portique avait quatre rangées de colonnes, disposées de manière à se faire face d'un bout à l'autre, et dont la quatrième rangée était engagée dans la muraille extérieure. La circonférence de ces colonnes était telle, qu'il fallait trois hommes pour les embrasser ; leur longueur était de 27 pieds (διπλής σπείρας ύπειλημμένης)[63] ; elles étaient au nombre de 162[64], et supportaient des chapiteaux corinthiens du plus magnifique travail. Les rangées de colonnes étant au nombre de quatre, elles partageaient en trois travées tout l'espace recouvert par le portique. Les deux latérales étaient semblables, elles avaient 30 pieds[65] de largeur et  4 stade de longueur ; leur hauteur était de plus de 50 pieds. La travée intermédiaire avait, en largeur, moitié en sus de la largeur des deux autres ; sa hauteur était double. Les toits étaient ornés de sculptures en bois, profondément ciselées et très-variées. Celui de la partie intermédiaire s'élevait au-dessus des deux autres ; le mur de face qui le soutenait, recoupé par les épistyles, orné de colonnes engagées, et ayant sa surface entière polie, offrait un spectacle qu'on ne pouvait contempler sans admiration, et auquel on ne pouvait croire sans l'avoir vu[66].

Telle était la première enceinte ; au milieu s'en trouvait une seconde à petite distance à laquelle on accédait par quelques degrés et qu'entourait une balustrade de pierre, munie d'inscriptions interdisant aux Gentils de franchir cette limite, sous peine de mort. Le péribole intérieur était muni, au midi et au nord, de pylônes triples (des pylônes à trois portes ?) établis à distance les uns des autres, et à l'orient, d'une grande porte par laquelle nous avions l'habitude de passer avec les femmes, quand nous étions à l'état de pureté. Plus avant à l'intérieur était le hiéron interdit aux femmes ; à l'intérieur de celui-ci se trouvait un troisième hiéron, dans lequel les prêtres seuls avaient le droit de pénétrer. Le naos était dans ce dernier hiéron, et devant lui se trouvait l’autel sur lequel nous offrions des holocaustes à Dieu. Le roi Hérode ne pénétra jamais jusqu'à ces trois choses (le parvis ou hiéron des prêtres, l'autel et le naos, sans aucun doute), leur accès lui étant interdit parce qu'il n'était pas prêtre. Mais il donnait tous ses soins aux portiques et aux périboles extérieurs. Il construisit tout cela en huit ans[67].

Il fut en outre creusé, pour le roi. un souterrain secret conduisant d'Antonia à la porte orientale du hiéron intérieur. Au-dessus de cette porte, Hérode se fit construire une tour dans laquelle il pût se réfugier par cette voie souterraine, au cas où le peuple s'insurgerait contre l'autorité royale[68].

Cette assertion de Josèphe semble assez bizarre. Il ne peut être question du hiéron intérieur où se trouvait le naos, puisque Hérode n'y pouvait pénétrer. Ne serait-il pas possible de soupçonner, comme l'a déjà fait mon savant ami Williams, qu'au lieu d'έσωθεν, il faille lire ici έξωθεν ? De cette façon, il s'agirait de la porte Dorée, et le roi Hérode, en cas d'insurrection, au lieu de s'emprisonner dans un asile fort peu sûr, se serait réservé le moyen de gagner au besoin la campagne. J'avoue que cela ne me semble pas faire question.

Il ne nous reste plus maintenant, qu'à reproduire la description d'Antonia donnée par Josèphe, pour nous trouver enfin en mesure de reprendre notre récit du siège de Jérusalem. Que si quelqu'un de mes lecteurs blâmait d'aventure la longueur de la digression que je me suis permise à propos du temple, je répondrais d'abord : que cet édifice méritait bien, par sa célébrité, que l'on sacrifiât quelques instants au soin de le décrire, et ensuite que le temple ayant été le théâtre de la partie la plus effroyable de la lutte des Romains contre le patriotisme juif. il était bon d'avoir une idée nette et précise des lieux illustres dont nous aurons bientôt à parler.

Antonia était située à l'angle de jonction des portiques nord et ouest, faisant partie du premier hiéron. Elle était construite sur une roche haute de 50 coudées (26m,25) et à pic de tous les côtés. C'était l'œuvre du roi Hérode, qui y déploya toute sa munificence. Du haut en bas, en effet, la roche était revêtue de pierres de taille polies, placées ainsi pour servir de décoration, mais aussi pour empêcher que l'on ne pût monter ou descendre le long de ses parois. Devant la forteresse elle-même régnait un parapet de 3 coudées (1m,575) de hauteur. En dedans de ce parapet toute la superficie occupée par Antonia était un carré de 40 coudées (21m.) ; à l'intérieur elle avait tout le développement et la forme d'un palais. Elle était, en effet, divisée en pièces de toute espèce et de toute destination, telles que portiques entourants, salles de bains, larges places pour les troupes. de sorte que tout ce qui était nécessaire à la vie s'y trouvant réuni, elle ressemblait à une ville, tandis que, par la splendeur de sa construction, elle avait l'air d'un palais. Comme elle affectait l'apparence d'une tour, elle avait ses quatre angles munis d'autres tours, dont les unes avaient 50 coudées de hauteur (26m, 25), tandis que celle qui était placée à l'angle sud-est en avait 70 (36m. 75), si bien que du sommet de celle-ci on plongeait dans toute l'étendue du hiéron. Du côté où elle était en contact avec les portiques du Hiéron, elle était munie de deux escaliers y aboutissant, et par lesquels descendaient les troupes de garde (il y avait toujours dans Antonia une garnison romaine) qui, dans les jours de fête, étaient disposées en armes en différents points des portiques, afin d'observer le peuple et de l'empêcher de faire quelque mouvement imprévu. C'est ainsi que le temple surveillait la ville, et Antonia le temple. Là se tenaient les gardes de ces trois lieux ; mais la ville haute avait également son poste de surveillance, qui était le palais d'Hérode. La colline de Bezetha, ainsi que nous l'avons déjà dit, était détachée d'Antonia ; comme c'était la plus élevée de toutes, elle supportait une partie de la ville neuve, et seule elle couvrait le hiéron du côté nord[69].

 

 

 



[1] L'historien Flavius Josèphe, fait prisonnier à Iotapata, et devenu l'ami des deux princes, devait accompagner Titus dans son expédition (Vie de Josèphe, § 75.) ; il partit avec lui d'Alexandrie, par l'ordre exprès de Vespasien.

[2] Bell. Jud., IV, XI, 5,

[3] Bell. Jud., IV, XI, 5.

[4] Bell. Jud., V, I, 6.

[5] Bell. Jud., VI, IV, 3.

[6] Sohem était roi d'Emèse et tétrarque du Liban.

[7] Antiochus était roi de la Commagène.

[8] Dureau de la Malle a fait ici une énorme méprise dans sa traduction de Tacite. Il a pris ces détachements pour les légions entières.

[9] Ce sont les deux mille hommes d'élite tirés des légions alexandrines, destinés il combler les vides des légions employées au siège, et qui formèrent le corps d'armée à la tête duquel Titus partit d'Alexandrie, suivant le récit de Josèphe ; ils étaient appuyés par trois mille hommes, empruntés au corps d'observation des bords de l'Euphrate.

[10] Bell. Jud., V, I, 1.

[11] Bell. Jud., V, I, 2.

[12] Bell. Jud., V, I, 4.

[13] Bell. Jud., V, I, 5.

Voir la Mischna, IIIe partie, Traité Sotà, ch. IX, § 14.

Bipolemos est ici un grécisme évident. C'est : pendant la guerre que ce mot signifie. Nous avons donc :

Pendant la guerre de Vespasien, on supprima l'usage des couronnes pour les mariés dans les fiançailles ; pendant la guerre de Titus, on supprima l'usage de toutes les couronnes ; pendant la dernière guerre, on supprima entièrement l'usage des litières (évidemment une sorte de chaise à porteurs ou de palanquin) pour aller par la ville.

Ce qui est intéressant dans ce passage talmudique, c'est la distinction qui y est faite entre la guerre de Vespasien et la guerre de Titus. Cette distinction, parfaitement justifiée par l'histoire, se trouve aussi admise dans la chronique du seder-ôlam.

Quant à la dernière guerre, mentionnée sous cette dénomination, ce ne peut être que la guerre faite sous Hadrien, lors de la formidable insurrection juive de Bar-Kaoukab (Bar-Chochebas, Bar-Coziba).

[14] Bell. Jud., V, II, 1.

[15] Il n'est pas sans intérêt de comparer la description que Josèphe vient de nous donner de la colonne dirigée par Titus, avec la description de la colonne dirigée par Vespasien, à son entrée sur le territoire de la Galilée (Bell. Jud., III, VI, 2) : Vespasien, marchant sur la Galilée, quitte Ptolémaïs après avoir fixé, suivant la coutume romaine, l'ordre de l'armée. Les auxiliaires, armés à la légère, et lis archers ouvrent la marche. Ils sont charges de repousser les attaques subites et de fouiller les lieux suspects, ainsi que les forêts propres aux embuscades. Ils sont suivis de l'infanterie romaine et de la cavalerie ; non armées à la légère. Après eux s'avance un groupe formé de dix hommes pris sur chaque centurie, portant leurs armes, leurs bagages et les mesures de campement. Derrière viennent les hommes chargés d'ouvrir les chemins, d'en redresser les sinuosités et d'en aplanir les aspérités, enfin de pratiquer des passages suffisants à travers les forêts. Derrière encore sont les bagages de Vespasien et ceux des légats, protégés par un fort escadron de cavalerie. Puis paraît Vespasien lui-même, accompagné de fantassins d'élite, de cavaliers et de hastiaires, et suivi de la cavalerie légionnaire (composée de cent vingt hommes par légion). Viennent ensuite les mulets portant les hélépoles et les autres machines de guerre. Après eux, les chefs des légions, ceux des cohortes et les tribuns, escortés par des hommes d'élite. Ensuite figure l'aigle, entourée des manipules attachés à la garde des enseignes. Ces étendards sacrés sont suivis des trompettes, derrière lesquelles marche la phalange, disposée en colonne par six. Suivant la coutume, un centurion était préposé au maintien de l'ordre. Les serviteurs de chaque légion suivaient à pied, conduisant les mulets et les bêtes de somme chargés des bagages. Enfin, après les troupes légionnaires, s'avançait la multitude des mercenaires que suivait, par une sorte de précaution, une arrière-garde composée de fantassins et d'hoplites, renforcés d'un escadron de cavalerie.

[16] Bell. Jud., V, II, 4.

[17] Bell. Jud., V, II, 1.

[18] Bell. Jud., V, II, 2.

[19] Bell. Jud., V, II, 2.

[20] Bell. Jud., V, II, 3.

[21] Bell. Jud., V, II, 3.

[22] Bell. Jud., V, II, 4.

[23] Bell. Jud., V, II, 3.

[24] Bell. Jud., V, II, 5.

[25] Nous constaterons un peu plus loin que ce fut le 14 de Xanthicus (7 mars 70), que Titus transporta son camp du Scopus au voisinage immédiat de la tour Psephina. (Bell. Jud., V, XIII, 7.)

[26] Bell. Jud., V, III, 1.

[27] Bell. Jud., V, III, 2.

[28] Bell. Jud., V, III, 5.

[29] Bell. Jud., V, III, 3.

[30] Bell. Jud., V, III, 3.

[31] Bell. Jud., V, III, 4.

[32] Bell. Jud., V, III, 5.

[33] Bell. Jud., V, III, 5.

[34] Hist., lib. V, cap. XI.

[35] Hist., lib. V, cap. XIII.

[36] Bell. Jud., V, XIII, 7.

[37] Bell. Jud., V, IV, 1.

[38] Bell. Jud., V, IV, 2.

[39] Bell. Jud., V, IV, 2.

[40] Bell. Jud., V, IV, 2.

[41] Bell. Jud., V, IV, 2.

Voici la description de Jérusalem conservée par Tacite ; elle est très-concise, mais n'en mérite pas moins d'être prise en grande considération, comme tout ce qui est tombé de la plume de l'illustre écrivain.

Magna pars Judææ vicis dispergitur, habent et oppida ; Hierosolyma genti caput. Illic immensæ opulentiæ templum, et primis munimentis urbs, dein regia, templum intimis clausum. Ad fores tantum Judæo aditus, limine præter sacerdotes arcebantur. (Hist., lib. V, cap. VIII.)

Igitur castris, uti diximus, ante mœnia Hierosolymorum positis, instructas legiones ostentavit (Titus). (Hist., lib. V., cap. X.)

Sed urbem arduam situ opera molesque firmaverant, quis vel plana satis munirentur. Nam duos collis in immensum editos claudebant muri per artem obliqui aut introrsus sinuati, ut latera obpugnantium ad ictus patescerent. Extrema rupis abrupta, et turres, ubi mons juvisset, in sexagenos pedes, inter devexa in centenos vicenosque attollebantur, mira specie ac procul intventibus pares. Alia intus mœnia regiæ circumjecta, conspicuoque fastigio turris Antonia, in honorem M. Antonii ab Herode appellata. (Hist., lib. V, cap. XI.)

Templum in modum arcis propriique muri, labore et opere ante alios ; ipsæ porticus, quis templum ambibatur, egregium propugnaculum. Fons perennis aquæ, cavati sub terra montes et piscinæ cisternæque servandis imbribus. Providerant conditores ex diversitate morum crebra bella : inde cuncta quamvis adversus longum obsidium ; et a Pompeio expugnatis metus atque usus pleraque monstravere. Atque per avaritiam Claudianorum temporum empto jure muniendi struxere muros in pace tamquam ad bellum, magna conluvie et ceterarum urbium clade aucti (*) ; nam pervicacissimus quisque illuc perfugerat eoque seditiosius agebant. (Hist., lib. V, cap. XII.)

(*) Ceci se rapporte certainement à ce que Tacite dit un peu plus haut (Hist., lib. V, cap. X) : Missu Neronis Vespasianus fortuna famaque et egregiis ministris intra duas æstates cuncta camporum omnisque præter Hierosolyma urbis victore exercitu tenebat.

[42] Bell. Jud., V, IV, 3.

[43] Je ne saurais mieux faire que de reproduire textuellement ici les calculs que j'ai insérés dans mon voyage en Terre-Sainte (t. II, p. 43 et suivantes).

[44] Præp. Evang., lib. IX, cap. XXXV.

[45] Præp. Evang., lib. IX, cap. XXXVI.

[46] Bell. Jud., V, IV, 3.

[47] Bell. Jud., V, IV, 3.

[48] Bell. Jud., V, IV, 4.

[49] Bell. Jud., V, IV, 4.

[50] Bell. Jud., V, V, 2.

[51] Ant. Jud., XV, XI, 5.

[52] Bell. Jud., V, V, 2.

[53] Alexander Alabarchas fut procurateur de Judée, puis préfet d'Alexandrie. C'est son fils Tiberius qui fut placé par Titus la tête de l'armée d'expédition contre Jérusalem.

[54] Bell. Jud., V, V, 3.

[55] Τοΰ δέ ναοΰ όντος εϊσω διστέγου. J'avoue que je ne saisis pas bien ce que Josèphe a voulu dire par ces mots.

[56] Bell. Jud., V, V, 4.

[57] Bell. Jud., V, V, 5.

[58] Bell. Jud., V, V, 6.

[59] Bell. Jud., V, V, 6.

[60] Ant. Jud., XV, XI, 3.

[61] On voit que les dimensions assignées cette fois aux blocs du temple ne ressemblent guère à celles que nous trouvons dans la description empruntée à la guerre judaïque, à savoir : 45 coudées de longueur, 5 de hauteur, et 6 de largeur. Il semble que ces chiffres aient été écrits au hasard.

[62] Ant. Jud., XV, XI, 3.

[63] J'avoue ne pas comprendre ce membre de phrase. En tout cas, je n'admettrai jamais qu'il s'agisse de colonnes torses, comme on l'a cru parfois.

[64] Comment se fait-il que ce nombre ne soit pas divisible par 4 ?

[65] Quel étrange changement ! Partout Josèphe emploie la coudée ; et voilà qu'ici il se sert du pied !

[66] Ant. Jud., XV, XI, 5.

[67] Ant. Jud., XV, XI, 5.

[68] Ant. Jud., XV, XI, 7.

[69] Bell. Jud., V, V, 8.