Pendant l'hiver de 1863 à 1864, j'ai fait, pour la seconde fois, un assez long séjour à Jérusalem, et j'ai étudié avec un soin tout particulier les questions de topographie relatives à cette ville illustre. Je puis le dire sans crainte d'être démenti, il n'y a pas un coin de la ville elle-même, pas un pan de sa mitraille d'enceinte, pas un hectare de ses alentours, que je n'aie visité et interrogé avec le désir ardent de me rendre compte de toutes les questions que soulève son histoire antique. Secondé par des amis infatigables et amoureux comme moi de cette besogne intéressante, j'ai tout vu, tout discuté avec eux, et nous sommes arrivés en commun à des résultats qui nous semblent désormais incontestables. Ce n'est en effet que l'étude du terrain qui peut donner la solution d'une foule de problèmes condamnés à rester insolubles pour les travailleurs les plus consciencieux d'ailleurs, mais qui se contentent de les aborder du fond de leur cabinet et les livres à la main. L'œil, le mètre et le niveau en apprendront toujours plus, en huit jours, que des années de travail obstiné, entrepris sur les dires d'autrui. Préparés par notre métier de soldat, M. le commandant d'état-major Gélis et moi, à la discussion de toutes les questions d'archéologie militaire, nous eussions été coupables de ne pas étudier sur place le siège mémorable qui, en 70 de l'ère chrétienne, fit de Jérusalem un monceau de ruines. Je savais par expérience que les grands mouvements de terre effectués pendant un siège laissent sur le sol des traces ineffaçables, et que l'on saisit immédiatement avec tant soit peu d'habitude. Nous avons donc recherché avec passion, j'ose le dire, les vestiges des travaux énormes exécutés par l'armée de Titus, et nous avons été récompensés amplement de notre peine, en retrouvant, à point nommé, mieux encore que ce que nous espérions rencontrer. La science de la guerre de siège a bien pu subir de graves modifications, grâce à l'emploi des armes à feu, mais ses principes essentiels sont restés les mêmes, et les règles sur les points d'attaque, sur les tracés des lignes de contrevallation et de circonvallation, n'ont pas varié, parce qu'elles étaient trop logiques pour pouvoir varier. Il en est résulté forcément que, l'enceinte antique une fois reconnue, la détermination des points d'attaque, et le tracé des lignes de Titus en ont découlé mathématiquement, comme autant de corollaires rigoureux. Il en est résulté aussi qu'après avoir fixé à l'avance, et, je le répète, c'était pour nous pure affaire de métier, les points où devaient avoir existé les aggeres et la contrevallation de Tans, nous avons été constamment payés de notre fatigue, en nous rendant sur place, par la rencontre immédiate d'énormes mouvements de terre qui, depuis dix-huit siècles, semblaient attendre que l'on voulût, bien se donner la peine de les reconnaître. Dans un livre récemment publié en Angleterre par M. Tristram, très-aimable et très-galant homme que j'ai eu l'honneur et le plaisir de rencontrer à mon départ de Jérusalem, je trouve la phrase suivante : We felt less disposed to yield credence to M. de Saulcy when be added that he bas successfully traced the line of the trench which Titus cast up round the city. As this trench was of earth, and, according to Josephus, was completed in three days, it requires large faith in antiquarian acumen to credit this discovery[1]. Aujourd'hui je regrette vivement que le séjour de M. Tristram à Jérusalem n'ait pas coïncidé avec le mien, car j'eusse été véritablement heureux de lui démontrer, sur le terrain, qu'il y a beaucoup moins d'imagination et de fantaisie qu'il ne le suppose, dans l'assertion formelle que je me reconnais le droit d'émettre, sur l'existence de traces nombreuses des travaux de Titus. Une commission scientifique vient d'être organisée à
Londres pour l'exploration minutieuse de On comprendra facilement, je pense, qu'une fois entré dans la voie des recherches d'archéologie militaire à Jérusalem, j'aie immédiatement conçu le projet d'étudier à fond et en soldat le siège de Titus. Aussitôt la relation de mon voyage terminée, je nie suis mis avec ardeur à rassembler les documents antiques concernant ce siège mémorable. J'avais sous la main, comme tout le monde, le récit de Flavius Josèphe, récit qui déjà tant de fois a été utilisé, et que je ne pouvais cependant tronquer, sans courir le risque de me méprendre sur les faits essentiels. Mon plan de travail a donc été promptement fixé ; j'ai suivi pas à pas le livre de Josèphe, m'abstenant le plus souvent possible d'une traduction littérale, mais conservant scrupuleusement la substance de ce livre précieux, sans en rien retrancher. Bien plus, partout où un commentaire quelconque devenait utile, ou simplement intéressant, je nie suis fait un devoir de l'introduire dans le récit. Ai-je réussi à éclaircir toutes les questions ? Je n'ose concevoir cette espérance présomptueuse ; mais je puis du moins affirmer que j'ai fait tout ce qui était dans la limite de mes forces pour traiter le plus compléteraient possible une des questions historiques les plus grandioses qui existent dans la mémoire des hommes. Qu'on ne cherche donc pas dans ce livre une traduction
pure et simple de ll est un fait capital que l'on verra se manifester chaque
page de ce livre, et que je ne puis me dispenser de signaler ici en fort peu
de mots. C'est que la plupart des événements de Je ne pouvais évidemment aborder isolément l'histoire du siège de Jérusalem par Titus ; c'eût été donner une conclusion sans les prémisses. Il m'a donc fallu analyser tous les incidents du drame terrible qui out amené ce dénouement plus terrible encore ; mais on me saura gré, j'espère, d'avoir abrégé le plus que je l'ai pu le récit des faits qu'il ne m'était pas permis de passer sous silence. Un dernier mot ! Je le déclare du fond de ma conscience, jamais nationalité n'a péri d'une manière plus grande et plus digne que la nationalité juive. F. DE SAULCY. Le 7 septembre 1863. |
[1] The Land of Israel, a journal of travels in Palestina, etc., etc., by B. Tristram, London, 1865, page 171. Ce n'est certes pas moi qui ferai un crime au savant naturaliste de montrer une grande réserve à propos des trouvailles d'antiquaires. Il n'eût été que prudent d'user de cette même réserve lorsqu'il s'agissait d'absurdités monstrueuses que m'aura prêtées généreusement devant lui l'un de ces excellents amis que m'ont valus mes deux voyages en Terre-Sainte. En voici un échantillon que j'emprunte au même livre et que je me contenterai de reproduire, sans un mot de justification (page 81) :
We descended by a slope until we stood in a large irregular chamber, with massive circular pillars and elaborately carved capitals, supporting narrow semicircular arches. In the two principal pillars M. de Sau]cy strangely imagined he had found Boaz and Jachin, though it would require some architectural ingenuity to convert these crypts into the porch of the temple, and to imagine a grand approach thereby to the area above. L'invention est vraiment fort originale ! Je veux espérer que sur ce point personne ne croira M. Tristram sur parole.