HISTOIRE D'HÉRODE, ROI DES JUIFS

 

CINQUIÈME PARTIE.

 

 

Pendant son absence les Trachonites, formant une partie notable de ses sujets, s'étaient mis en rébellion, mais les chefs sous la garde desquels ils avaient été laissés, parvinrent

réprimer le mouvement des révoltés qui furent contraints par la force de rentrer dans le devoir. Hérode, après avoir traversé la mer avec ses fils, vint débarquer sur les frontières de la Cilicie, au port d'Élæusa, qui portait depuis peu le nom de Sébasté. Il y rencontra Archélaüs, roi de la Cappadoce, qui lui fit le meilleur accueil et lui témoigna toute la joie qu'il ressentait de ce qu'il était rentré en grâce avec ses fils, et de ce qu'Alexandre, qui était son gendre, avait réussi à dissiper ses soupçons ; puis ils échangèrent de somptueux présent, dignes de deux riches souverains[1].

Une fois rentré en Judée, Hérode se rendit au temple où, devant l'asse-blée du peuple, il raconta tout Ce qui s'était passé pendant son voyage. Il exalta la magnanimité d' Auguste, et fit connaître en détail ceux de ses propres actes qui lui semblaient devoir intéresser toute la nation ; il termina sa harangue en exhortant ses fils, les membres de la cour et le peuple entier, à veiller avec soin au maintien de la concorde. Il déclara que ses fils régneraient après lui dans l'ordre suivant : Antipater le premier, puis les fils de Mariamne, Alexandre et Aristobule. Pour le présent, il ordonna à tous de le regarder comme leur seul roi et leur seul maître, et de se bien convaincre que son âge, bien loin d'être un embarras ; lui donnait dans l'exercice du pouvoir tous les avantages que l'expérience et la maturité seules peuvent procurer à un souverain. Il ajouta qu'il avait en mains tous les droits nécessaires pour bien gouverner et l'État et ses fils. Quant aux chefs des troupes. il leur conseilla de s'en tenir à l'obéissance qu'ils ne devaient qu'à lui seul, s'ils voulaient jouir d'une vie paisible et heureuse, qu'il ne manquerait pas de leur donner, en échange de la sécurité qu'il devrait à leurs services loyaux. Cela dit, l'assemblée fut dissoute ; presque tous se retirèrent pleins d'une joie que quelques autres étaient loin de partager. En effet, la querelle qui venait de s'assoupir, et les espérances qu'Hérode venait de faire concevoir ses fils, faisaient germer dans beaucoup d'esprits le désir de nouvelles révolutions[2].

Quant aux trois princes. chacun d'eux, eu s'éloignant, gardait au fond du cœur toute sa haine. plus vive encore qu'avant cette séance solennelle. Alexandre et Aristobule, en effet, étaient furieux de ce que le droit d'aînesse venait d'être confirmé à Antipater ; celui-ci ne l'était pas moins, parce que ses frères étaient placés sur la même ligne que lui[3].

Ce fut vers cette époque que la construction de Césarée, la ville magnifique fondée par le roi des Juifs, fut complètement achevée ; cette construction avait exigé dix années entières, et l'inauguration en fut célébrée dans la 28e année du règne d'Hérode, coïncidant avec la première année de la 192e olympiade[4].

Rien ne fut négligé par le Roi pour donner à cette solennité tout et tout le faste possibles. Il avait en effet institué pour cette fête un concours musical, des jeux olympiques, des combats de gladiateurs et de biles féroces, des courses de chevaux, en un mot tout ce qui, chez les Romains, paraissait le plus digne de rehausser l'éclat d'une solennité pareille. En outre, les jeux institués à cette occasion furent consacrés à Auguste, et constitués de façon à se renouveler tous les cinq ans. Hérode s'était chargé seul de tous les frais de ces spectacles somptueux, pour augmenter encore le renom de sa libéralité. Mais il fut secondé par la femme d'Auguste, Julie, qui, spontanément, et pour que rien ne manquât à la fête, se chargea d'envoyer d'Italie à Hérode beaucoup d'objets du plus grand prix, dont elle fit l'acquisition de ses deniers. Toutes les dépenses réunies formèrent un total de cinq cents talents.

La foule, accourue de partout à Césarée, et les ambassades envoyées par les populations pour venir rendre grâce à Hérode des services qu'il leur avait rendus, tous les étrangers en un mot, furent hébergés. nourris et rassasiés des plaisirs les plus variés. Pendant toute la durée du jour, en effet, les spectacles se succédaient, sans interruption, et les nuits étaient remplies par les festins et les divertissements de toute nature. Aussi, le nom d'Hérode était-il dans toutes les bouches, comme celui du plus généreux et du plus magnifique des rois. Il mettait le plus grand soin à faire en sorte que les splendeurs d'une journée fussent toujours plus merveilleuses que celles de la journée précédente ; il avait d'instinct compris la portée de ce dicton trivial qui veut que, pour plaire au peuple, on aille toujours de plus fort en plus fort. Hérode, du reste, savait à merveille ce qu'il faisait en s'obérant ainsi ; il comptait semer pour récolter, et l'on raconte qu'il plus d'une reprise Auguste et Agrippa déclarèrent hautement que les États d'Hérode étaient loin de répondre à la magnanimité de sa personne, et qu'il était bien digne de régner sur toute la Syrie et sur l'Égypte réunies[5].

Après l'inauguration de Césarée. Hérode fonda une nouvelle ville dans la plaine dite de Cafar-Saba. Il choisit pour son emplacement un lieu bien arrosé, plantureux et ombragé. Une rivière enveloppait l'assiette de la ville, et un bois sacré remarquable par la beauté de ses arbres, en ornait les alentours. En mémoire de son père Antipater. Hérode lui donna le nom d'Antipatris[6].

Puis, dans le voisinage de Jéricho, Hérode bâtit une forteresse non moins agréable a habiter que propre a la défense, et a laquelle il donna le nom de Cypros, en l'honneur de sa mère. Quant à son frère Phasaël, il témoigna l'amour qu'il avait voué à sa mémoire, en lui consacrant, à Jérusalem même, une tour magnifique qui égalait en dimensions le phare d'Alexandrie, et à laquelle il donna le nom de Phasaël. Pour lui, cette tour devait a la fois assurer la sécurité de la capitale et le souvenir éternel du frère dont il pleurait toujours la perte. Au reste, il ne se contenta pas de cet honneur, et il bâtit au nord de la plaine de Jéricho une ville, à laquelle il donna aussi le nom de ce frère[7]. Cette ville était située de façon a développer par l'industrie de ses habitants la culture d'un riche territoire qui, jusqu'alors, était resté désert. Elle reçut le nom de Phasaëlis[8].

Au reste, il serait long et difficile d'énumérer toutes les largesses que fit Hérode, tant en Syrie qu'en Grèce, aux villes dans lesquelles le hasard le conduisit. Nous en avons déjà parlé plus haut, mais nous devons cependant y revenir encore, parce que cette générosité infatigable, cette prodigalité, veux-je dire, est une particularité plus louable que blâmable ; et cependant, pour pouvoir jeter ainsi l'or à tout venant, il fallait bien que le roi des Juifs s'en procurât, et pour s'en procurer, il n'avait pas d'autre ressource que celle de pressurer ses sujets. Il est certain qu'il consacra des sommes folles à faire des largesses publiques et il achever des monuments somptueux, dont la construction eût été abandonnée faute d'argent, parce que les dépenses déjà faites avaient absorbé tout ce qui y avait été consacré, sur la foi de devis menteurs. Voici, en ce genre, les œuvres les plus grandes et les plus illustres du roi des Juifs. Pour être agréable aux Rhodiens, il fit bâtir, à ses frais exclusifs, le Pythéion, c'est-à-dire le temple d'Apollon Pythien, et il dota richement leur arsenal maritime. A Nicopolis, ville fondée par Auguste auprès d'Actium, il paya la construction de presque tous les édifices publics. A Antioche, qui était la plus grande et la plus illustre ville de Syrie, il fit ouvrir, suivant son axe longitudinal, une large rue ornée de portiques sur ses côtés et offrant aux habitants une splendide voie de communication, pavée de dalles polies[9].

Les jeux olympiques, faute d'argent, n'étaient plus à la hauteur de leur renommée ; Hérode leur rendit leur éclat, en leur assignant des revenus annuels, et il releva ses dépens la splendeur des sacrifices et des Pètes qui les accompagnaient. Aussi cette générosité lui valut-elle l'honneur presque universel d'être inscrit dans les actes publics avec le titre d'Agonothète[10].

Ici nous arrivons, en suivant le récit de l'historien Josèphe, à un paragraphe du plus haut intérêt et que nous ne saurions nous dispenser de traduire aussi fidèlement que possible. Il s'agit, en effet, de l'appréciation du caractère d'Hérode, et nous allons voir que le jugement de Josèphe ne différait pour ainsi dire en rien de celui que, chemin faisant, nous avons développé, à mesure que les faits exigeaient que nous nous rendissions compte du mobile qui les avait engendrés. Il est évident que Josèphe ne se taisait pas plus d'illusion que nous-mêmes sur la valeur de ce prodigue vaniteux. de ce tyran sanguinaire et sans foi ni loi, que l'on a si injustement appelé le Grand !

Je traduis :

Peut-être d'autres que nous s'étonneront-ils des contrastes incroyables que présente le caractère d'Hérode. Si, en effet, l'on ne considère que la libéralité et la générosité pour tous, dont il n'a cessé de donner des preuves, celui-là même qui est le moins disposé à lui reconnaitre un mérite, sera tenté de croire que par nature ce prince était porté à la bienveillance ; si, au contraire, on se rappelle les supplices et les iniquités dont il a accablé ses sujets et même ses proches, si l'on n'oublie pas combien il fut toujours dur et inexorable, on sera forcé d'avouer que cet homme s'est montré un monstre sanguinaire, sur le cœur duquel les sentiments humains n'eurent jamais de prise. Il en résulte qu'on croira tout expliquer en disant qu'il était d'humeur changeante et mobile. Quant à moi, je pense tout le contraire et je crois fermement que ces deux aspects si différents de sa nature tiennent à une seule et même cause. Hérode était souverainement orgueilleux. Satisfaire sa vanité était son unique passion, et cette passion le poussait à la munificence, parce qu'il y trouvait l'espérance du renom dans le présent et de la gloire dans l'avenir. Aussi, pour faire parade de plus de générosité que sa situation ne le comportait, il était contraint de traiter ses sujets avec plus d'âpreté et d'iniquité. Pour donner libéralement aux uns, il n'avait d'autre ressource que d'extorquer aux autres ; et comme il avait parfaitement conscience de la haine que ses mauvais traitements avaient implantée dans le cœur de ses sujets, il ne voyait aucun moyen de corriger cc vice radical de son règne ; il eût fallu pour cela diminuer ses revenus, et c'était tout le contraire qu'il faisait avec persistance, se targuant du mauvais vouloir des Juifs, pour augmenter sans vesse leurs charges à son profit. Quant ses familiers, quiconque parmi eux n'était pas toujours de son avis, ne faisait pas profession de lui obéir aveuglément et se laissait soupçonner de tramer quoi que ce fût contre son autorité, fût-il son parent ou son ami, était persécuté à outrance et traité en ennemi et en coupable de lèse-majesté ; en effet, il n'entendait pas qu'on honorât une autre personne que la sienne. Pour moi, ajoute Josèphe, la meilleure preuve de cet orgueil féroce se trouve dans les honneurs dont il combla Auguste, Agrippa et ses autres amis romains. En effet, il voulait être traité par ses inférieurs comme il traitait lui-même ceux qu'il reconnaissait pour ses supérieurs, et les hommages qu'il leur rendait. prouvaient qu'il était disposé à en exiger autant pour son compte. L'esprit de la nation juive, il est vrai, repoussait tout cela et était habitué à faire plus de cas de la justice que de la gloire ; aussi Hérode ne lui pardonnait-il pas de s'être refusé à l'aduler, en tolérant la consécration des temples et des statues, et les autres actes de servilité par lesquels il pouvait venir en aide à son ambition. Telle est la raison pour laquelle, à mon sens, il ne cessa de maltraiter ses familiers et les membres de ses conseils, tandis qu'il s'ellbrt.ait avec la nième constance de répandre ses bienfaits sur les étrangers[11].

Hérode qui, ainsi que nous venons de le voir, se ruinait en dépenses insensées. au dedans et au dehors de ses États. Hérode se trouva bientôt réduit aux expédients pour se procurer des ressources. Il savait que l'un de ses prédécesseurs, Hyrcan, dans un pressant besoin d'argent. avait violé le sépulcre de David et en avait tiré trois mille talents d'argent ; oui assurait qu'il en avait laissé bien plus encore, et que ce qui restait suffirait. amplement à ses largesses ; aussi avait-il conçu depuis longtemps le projet d'imiter ce détestable exemple. Une belle nuit donc, il fit ouvrir la tombe royale et y pénétra secrètement avec ses amis les plus sûrs, en prenant ses précautions pour qu'on ne s'aperçût de rien dans la ville. Comme cela était arrivé à Hyrcan, il ne trouva pas d'argent monnayé, mais des ornements d'or et une foule de bijoux précieux qu'il enleva tous avec le plus grand soin. Après avoir fureté dans tous les recoins du sépulcre. il voulut pénétrer jusque dans les caveaux dans lesquels étaient placés les sarcophages renfermant les restes de David et de Salomon ; mais au moment où il allait y entrer, des flammes en sortirent, à ce qu'on raconte, et tuèrent deux de ses doryphores. Plein d'effroi, Hérode s'élança hors de la cave funéraire, et pour apaiser la colère divine que son sacrilège avait allumée, il fit élever au-dessus du vestibule un riche monument expiatoire, en pierre blanche.

Nicolas de Damas, dans son livre des Histoires, faisait mention de cette œuvre de son maître, mais il se gardait bien de parler de sa descente dans le tombeau des rois de Juda, sans doute pure qu'il jugeait cette action criminelle. Du reste, c'était là la manière d'écrire l'histoire dont Nicolas a fait constamment usage. Vivant en Judée et dans l'intimité du Roi, il consignait dans ses œuvres tout ce qui pouvait lui être agréable ou utile, et il ne négligeait rien de ce qui pouvait rehausser sa gloire. Quant aux actes iniques et aux crimes de son héros, il s'évertuait à les peindre sous de fausses couleurs ou à les cacher à la postérité. C'est ainsi que, pour excuser l'assassinat de Mariamne et des princes ses fils, il n'a pas eu honte de calomnier cette malheureuse reine en l'accusant d'impudicité, et ses enfants, en prétendant qu'ils avaient conspiré contre la vie de leur père. Tout, dans l'ouvrage de Nicolas, se ressentait de ce parti pris : les actes louables d'Hérode y étaient exaltés outre mesure et ses actions criminelles colorées de façon à paraître véritablement excusables. Au demeurant, on peut pardonner ses inexactitudes à Nicolas, parce que son but n'était en aucune façon de faire de l'histoire, mais bien de plaire à son maître. Quant à nous, ajoute Josèphe, qui nous rattachons par les liens du sang à la race des Asmonéens, et qui, pour cette raison, sommes revêtus de la dignité sacerdotale, nous avons pensé que notre devoir le plus sacré était de repousser les faussetés, et nous exposons en toute sincérité les faits vrais, tout en respectant les princes qui ont hérité des États de leur ancêtre Hérode. et qui les possèdent encore. Mais, nous le déclarons, nous tenons la vérité en plus grande vénération que nous ne les tenons eux-mêmes. Cette conduite loyale et honnête nous a attiré l'animadversion de ces princes ; mais cela ne saurait en rien modifier notre manière d'écrire[12].

A dater du moment où Hérode eut commis l'odieux sacrilège dont nous venons de parler, les affaires ; intérieures de sa maison prirent une tournure plus cruelle de jour en jour ; soit qu'une divinité vengeresse se donnât la tâche d'exaspérer les douleurs morales dont il souffrait déjà depuis longtemps, pour les faire aboutit a une catastrophe sans remède ; soit que la fortune l'abandonnât à partir du jour inique où tout semblait lui réussir à souhait, afin de prouver sans réplique que son impiété seule était la cause de ses malheurs. Les dissensions qui déchiraient toute la population du palais avaient les caractères d'une véritable guerre civile ; les haines mutuelles grandissaient sans cesse et se faisaient jour par les plus odieuses calomnies. Antipater tramait toujours quelque nouvelle infamie contre ses frères, et avec la plus horrible astuce, c'était par les autres qu'il les faisait accuser, gardant pour lui le rôle mensonger de leur défenseur[13]. C'était le plus sûr moyen de leur porter des coups qu'ils ne saliraient parer. Il en était venu à ses lins, et désormais Hérode était convaincu que le seul de ses fils qui eût souci de son salut était Antipater. Ptolémée, qui était le directeur de toutes les affaires de l'État, fut placé par lui auprès d'Antipater, et c'était avec la mère de ce prince qu'il se concertait dans les plus grandes circonstances. En un mot, ils étaient tout-puissants ; tout ce qu'ils voulaient, ils le pouvaient, et, à leur gré, la haine du roi s'appesantissait sur tous ceux qu'ils lui voilaient. Cette situation devenait de jour en jour plus odieuse pour les fils de Mariamme, qui, se sentant nés pour les plus hautes destinées, se voyaient avec indignation repoussés et dépouillés des dignités auxquelles ils avaient droit. Malheureusement, les sentiments réciproques des femmes n'étaient Iris plus pacifiques. Ainsi Glaphyra, fille d'Archélaüs et femme d'Alexandre, détestait Salomé, en partie à cause de sa tendresse pour son époux, en partie à cause de la hauteur avec laquelle elle pensait devoir traiter la fille de Salomé. Celle-ci, nous l'avons dit, était mariée à Aristobule, et Glaphyra, fille de roi, se refusait à traiter sa belle-sœur en égale[14].

Phéroras, le frère du Roi, contribuait de son cillé à envenimer les troubles de l'amine, et il avait au cœur un motif à lui de perfidie et de haine. Il s'était amouraché d'une femme à son service, et il en était si follement épris que, dédaignant la propre fille du Roi à laquelle il était fiancé, il se livrait tout entier à sa passion pour l'autre. Hérode était furieux de l'affront que lui faisait un frère qu'il avait comblé de bienfaits, et pour ainsi dire associé il la tuyauté ; tant d'ingratitude le rendait malheureux au plus haut point[15]. Phéroras ne lui paraissant plus digne de cette alliance, il donna sa fille au fils de Phasaël. Puis, quelque temps après, supposant que la passion insensée de son frère s'était refroidie, il lui proposa la main de sa seconde fille nommée Cypros. Ptolémée s'empressa de conseiller il Phéroras d'oublier ses basses amours, et de cesser de faire injure à son frère. Il lui représenta qu'il était honteux de se priver de l'affection du Roi, pour une femme de vile extraction, et de s'attirer une haine méritée au lieu de cette affection. Phéroras. par pur intérêt, et ravi de ce que sa faute était pardonne, s'empressa de répudier cette femme quoiqu'il en eût déjà un fils ; il promit au Roi d'épouser sa seconde fille, fixa à trente jours de là la célébration de leur mariage, et s'engagea sous serinent à n'avoir plus aucune relation avec celle qu'il venait de répudier. Mais les trente jours écoulés, il se trouva qu'il était plus amoureux que jamais ; il ne tint aucune de ses promesses et reprit sa femme. Du coup, Hérode ne chercha plus à dissimuler ni son chagrin ni son irritation, et beaucoup de courtisans saisirent avec empressement cette occasion de desservir Phéroras[16]. Ainsi le Roi en était arrivé à ce point. qu'il ne se passait plus un jour, plus une heure de sa vie, qui ne fût une heure de tourment et d'angoisses, qui ne vit surgir quelque nouvelle querelle entre ses proches. entre ses meilleurs amis.

De son côté, Salomé, qui exécrait les fils de Mariamme, ne permit pas à sa tille, qui avait épousé Aristobule, de se conduire en loyale compagne de ce malheureux prince, et elle la força de lui dévoiler tous les secrets que son époux lui confierait. Il était impossible qu'il ne s'élevât pas quelque jour entre les deux époux une querelle de ménage[17], et l'abominable créature sut en profiter avec la plus grande habileté, pour jeter dans l'esprit de sa fille des soupçons sur Aristobule. Salomé fit si bien qu'elle découvrit par cette manœuvre tous les secrets des deux frères et finit par complètement aliéner à Aristobule le cœur de sa femme. Celle-ci, pour être agréable à sa mère, lui racontait que souvent, lorsque les deux frères étaient en tête-à-tête, ils parlaient de Mariamne, manifestaient la haine qui les animait contre leur père, et qu'ils se promettaient que, si jamais ils arrivaient au pouvoir, ils feraient de tous les fils qu'Hérode avait eus de ses autres femmes, des scribes de village, parce que c'était bien la profession à laquelle les appelaient les études littéraires auxquelles ils se livraient, et que, quant à leurs mères, si jamais ils les voyaient prendre le costume que Mariamme seule avait eu le droit de porter, ils les traiteraient en servantes et les condamneraient et ne plus revêtir que des cilices et à ne jamais plus se montrer à la face du soleil[18].

Tous ces propos étaient immédiatement reportés- à Hérode par sa sœur Salomé ; et quelque vive que fût la douleur qu'ils lui causaient. il n'essayait pas moins de travailler à rétablir la concorde entre les siens. Du reste. tous ces soupçons l'avaient amené à un tel état d'agitation, que son humeur devenait intraitable et que. désormais, il ajoutait foi à tout et contre tous[19].

Il manquait à cette famille une infamie encore ; elle ne se fit pas attendre. Phéroras vint, trouver Alexandre, le mari de Glaphyra[20], fille d'Archélaüs, et l'avertit qu'il tenait de Salomé, qu'Hérode aimait éperdument Glaphyra et qu'il ne songeait guère à réfréner les désirs qu'elle lui inspirait. Pareille confidence devait porter ses. fruits. Le jeune prince sentit la jalousie lui déchirer le cœur ; son père témoignait souvent, une grande bienveillance à Glaphyra, par pure déférence et pour lui faire honneur ; cette bienveillance fut, dans la pensée du mari, travestie en amour incestueux. Il ne pouvait en être autrement, après la perfide confidence qu'il avait reçue. Alexandre, vaincu par sa douleur, finit par se présenter devant son père. et lui redit en pleurant ce qu'il avait appris de Phéroras. l'érode eut un transport de fureur en s'entendant accuser d'un crime aussi odieux, sans l'avoir mérité ; il perdit pour ainsi dire la tête et se mit à déplorer la perversité de sa famille. reprochant à tous les bienfaits dont il les avait couilles, et l'indignité avec laquelle ils lui témoignaient leur reconnaissance. Il fit bientôt appeler Phéroras, et, après l'avoir accablé d'injures, il lui dit : Ô le plus pervers des hommes ! toi seul pouvais pousser l'ingratitude au point de me supposer capable de pareilles infamies et de tenir de tels propos sue mon compte. Penses-tu que je ne devine pas quel était ton dessein ? Ce n'était pas seulement me couvrit d'opprobre que tu voulais ; ce qu'il te fallait c'était pousser mon fils à attenter à mes jours, à me verser du poison. Qui donc, en effet, s'il n'avait, comme ce pauvre enfant, l'idée de Dieu toujours présente à l'esprit, ne frapperait son père, du moment qu'il le soupçonnerait d'un crime aussi abominable ? Lequel valait mieux pour faire assassiner un père, de tes paroles versées dans le cœur du fils, ou du poignard mis dans sa main ? Quel était donc ton but ? Toi qui détestes mes fils, tu n'as pris le masque de l'affection que pour mieux les salir de tes calomnies, que pour trouver le moyen de dire des choses qu'un impie de ton espèce pouvait seul avoir dans l'esprit et dans la bouche. Va-t-en, ennemi de ton bienfaiteur, de ton frère ; va-t-en, et que, jusqu'à ton dernier soupir, le remords de tes crimes te déchire le cœur. Je ne cesserai pas d'être généreux envers mes enfants, je ne les punirai pas, quand bien même ils devraient l'être, et les bienfaits dont je continuerai de les combler seront toujours au-dessus de leurs mérites[21].

On est tout étonné de trouver dans la bouche d'Hérode des paroles de cette nature. L'âge avait-il donc modifié ce caractère implacable ? Au premier abord, on serait tenté de le croire, et cependant on se tromperait grandement. Nous ne tarderons pas, en effet, à reconnaître, à ses actes, que les bons sentiments dont il faisait parade n'étaient guère dans son cœur.

Lorsque le Roi eut fini de parler, Phéroras, qui se sentait pris en flagrant délit, chercha à s'excuser et ne trouva rien de mieux que de prétendre que Salomé avait menti à son frère, et que tout ce dont elle l'accusait était purement sorti de son imagination. Salomé était présente ; à peine Phéroras eut-il prononcé ces imprudentes paroles, qu'elle se récria sur l'invraisemblance d'une pareille conduite de sa part et sur l'impossibilité de lui imputer de semblables inventions ; tout le monde, ajouta-t-elle, voulait la perdre dans l'esprit d'Hérode et conspirait pour la faire mettre à mort ; la seule cause de cette animadversion était son amour pour son frère, amour qui lui faisait deviner et prévoir tous les dangers. Si, en cette circonstance, on lui en voulait plus que jamais, c'est qu'elle avait conseillé il l'hérons de répudier sa femme et d'épouser enfin la fille d'Hérode ; qu'il n'y avait rien de surprenant dès lors que Phéroras fût animé des plus mauvais sentiments contre elle. Ce disant, elle s'arrachait les cheveux et se frappait la poitrine, voulant témoigner, par sa contenance, qu'elle était en droit de tout nier ; mais la perversité de son esprit ne pouvait laisser de doute à personne sur sa duplicité. Quant à Phéroras, que des gardes maintenaient au milieu de l'assemblée, il ne trouvait aucune excuse il alléguer pour prouver qu'il n'avait pas ténu cos propos calomnieux, et. d'un autre côté, il ne pouvait pas plus prétendre les avoir recueillis d'une autre bouche, car cette assertion n'eût pas été considérée comme admissible. Cette querelle et l'échange des invectives se prolongea donc assez longtemps, jusqu'à ce que le Roi chassait de sa présence son frère et sa sœur, en remerciant son fils de la prudence dont il avait fait preuve et de la sage pensée qu'il avait eue de tout lui révéler. Comme il était déjà tard, Hérode se retira pour se livrer aux soins de sa toilette.

Après cette scène violente, Salomé ne put pas se dissimuler qu'elle devait passer aux yeux du Roi pour le véritable auteur de ces calomnies. Les femmes d'Hérode d'ailleurs l'avaient en horreur, parce qu'elles connaissaient son détestable caractère et la mobilité des sentiments qui, suivant les circonstances, en faisaient tantôt une amie, tantôt une ennemie. Aussi ne cessaient-elles de se plaindre d'elle et de l'accuser devant le Roi. La circonstance suivante vint donner un élément nouveau à toutes ces haines[22].

Obodas était alors roi d'Arabie. C'était un prince d'un esprit lent et paresseux ; aussi avait-il mis à la tête de son gouvernement un certain homme actif, encore jeune, et d'une remarquable beauté. Ce Syllæus venu à la cour d'Hérode, pour négocier nous ne savons quelle affaire ; il vit Salomé dans un festin et s'amouracha d'elle. La sachant veuve, il lui déclara son amour, et lui proposa de l'épouser. Salomé qui se savait moins chère au Roi, et qui d'ailleurs s'était enflammée pour Syllæus, se laissa facilement persuader, et lui promit sa main. Les jours suivants. lorsqu'ils étaient à la table du Roi, ils laissèrent voir, aux yeux de tous, les signes les moins équivoques de leur intelligence. Les femmes d'Hérode ne manquèrent pas d'en prévenir leur époux, en faisant des gorges chaudes de ce qu'elles appelaient une turpitude. Hérode, qui avait déjà pardonné à son frère Phéroras, s'enquit auprès de lui de ce qu'il y avait de vrai en cette affaire, et le chargea de les épier avec soin pendant les repas, afin de savoir au juste quelle était leur tenue réciproque. Il n'était pas difficile de découvrir une intrigue qui n'était plus un secret pour personne, et Phéroras rapporta à Hérode que leur contenance et les signes qu'ils ne cessaient d'échanger, ne prouvaient que trop leur parfaite connivence.

Peu après, l'Arabe, qui se sentait observé, partit. ; mais deux ou trois mois plus tard il revint à Jérusalem, pour s'occuper de la même négociation, et pendant qu'il en entretenait Hérode, il saisit l'occasion pour lui demander la main de Salomé. Il fit valoir à l'appui de ses prétentions que pareille alliance ne serait pas inutile au roi des Juifs, qu'elle développerait les relations commerciales de la Judée, avec l'Arabie, qui devrait, depuis longtemps déjà, faire partie de ses États, si l'on avait eu égard à son mérite, mais qui lui reviendrait bien plus sûrement dans l'avenir.

Comme Hérode communiquait cette proposition à sa sœur, et lui demandait si elle consentirait à ce mariage, elle n'hésita pas à lui répondre affirmativement. Mais il fallait que Syllæus embrassât préalablement le culte judaïque, et c'était là une condition indispensable pour que ce mariage pût avoir lieu. Sommé d'y satisfaire, il s'y refusa, en déclarant que, s'il consentait à une abjuration, ses compatriotes les Arabes le lapideraient ; puis il s'éloigna de Jérusalem. Phéroras saisit aussitôt cette occasion d'accuser Salomé d'impudicité[23], et les femmes du Roi le tirent plus haut encore, en affirmant que des relations coupables avaient existé entre Syllæus et la sœur du Roi.

Un peu plus tard, Salomé demanda pour le fils qu'elle avait eu de Costohare, la main de la jeune princesse qui avait été naguère fiancée à Phéroras, mais non épousée par lui, à cause de sa passion pour la femme qu'il avait refusé de répudier. Hérode se montra d'abord disposé à consentir à cette union, mais son frère Phéroras le fit changer d'idée, en lui représentant que le fils de Costobare ne pourrait jamais aimer la fille du meurtrier de son père, et qu'il valait bien mieux par conséquent la marier à son propre fils qui devait être tétrarque. Cette proposition acheva de faire rentrer en grâce Phéroras qui réussit à changer les projets d'Hérode sur sa fille. Celle-ci fut immédiatement mariée au fils de Phéroras, et elle reçut en dot une somme de cent talents[24].

Tout cela ne portait aucun remède aux querelles de famille.

Il se passa bientôt un fait engendré par une cause fort peu respectable et qui devint la source de grands embarras. Les Eunuques plaisaient fort à Hérode, à cause de l'élégance de leur tournure. L'un de ces malheureux était échanson du Roi, un autre le servait à table, et un troisième, chargé d'endormir Hérode[25], administrait les plus importantes affaires de l'État. Quelqu'un vint avertir Hérode que son fils Alexandre les avait subornés à force d'argent. Le Roi se hâta de les interroger pour savoir s'ils avaient réellement eu des pourparlers avec le jeune prince. et ils n'en tirent pas mystère, déclarant qu'il n'y avait absolument rien en cela qui pin porter ombrage au Roi, et qu'ils ne savaient rien des prétendus machinations du fils contre son père.

Antipater n'était pas homme à laisser échapper une occasion de perdre ses frères. Grâce à lui les malheureux Eunuques furent mis à la torture et vaincus par les douleurs atroces que les bourreaux leur faisaient souffrir, pour plaire à Antipater, ils confessèrent qu'Alexandre était l'ennemi de son père, et que la haine innée qu'il lui portait allait toujours croissant ; qu'il les avait avertis qu'Hérode avait perdu tout espoir de voir son règne se prolonger ; qu'il n'était plus qu'un vieillard inutile, s'efforçant de déguiser sa décrépitude, en se teignant les cheveux, et en cachant de son mieux ses rides. Que s'ils voulaient se mettre de son parti. aussitôt qu'il serait arrivé au trône, sur lequel nul autre que lui ne monterait, quelle que fût la volonté du Roi, il leur donnerait les premières dignités du royaume ; que rien ne lui était plus facile que de s'emparer de la couronne, non-seulement à cause de sa naissance, mais encore grâce à toutes les dispositions qu'il avait prises ; car il avait parmi les chefs de l'armée et dans l'entourage du Roi une foule d'amis dévoués, prêts à tout entreprendre et à tout endurer pour le servir[26].

Ces aveux jetèrent dans l'esprit d'Hérode autant de colère que de peur ; les propos dédaigneux tenus sur son compte l'exaspéraient, et pour lui un soupçon était un danger. Néanmoins quelque grande que fût son irritation, il pensa qu'il devait user d'une extrême prudence, afin d'avoir le temps de se mettre en garde contre tout attentat. Il prit donc le parti d'agir avec dissimulation, de garder le silence et d'entourer d'espions tous ceux qu'il tenait pour suspects. Sa méfiance était devenue telle et si générale, qu'il ne voyait plus que des ennemis et des coupables autour de lui. Il était désormais incapable d'envisager froidement les choses, et celui qui l'approchait le plus souvent, lui paraissait le plus redoutable, parce que celui-là se trouvait ainsi en position de lui faire le plus de mal. Quant à ceux qui ne se présentaient pas fréquemment devant lui, lui rappeler leurs noms, c'était plus qu'il n'en fallait pour les faire envoyer aussitôt au supplice, par précaution ! Aussi les courtisans en vinrent-ils bientôt à s'efforcer de prendre les devants, pour se dénoncer mutuellement. Chacun d'eux avait si peu d'espoir de salut, qu'il essayait de se sauver en perdant les autres. Triste calcul ! Celui qui avait réussi à faire sacrifier son prochain, devenait aussitôt odieux au misérable tyran qui se hâtait de s'en défaire, dans la pensée que ses victimes méritaient leur sort, pour avoir prévenu par leur dénonciation, celle qu'ils redoutaient pour eux-mêmes. On conçoit que cet abominable état de choses ait admirablement servi à assouvir bien des inimitiés personnelles. Personne au reste n'était à l'abri ; chacun guettait l'occasion et s'en servait comme d'un instrument de meurtre, pour se débarrasser de ses ennemis ; mais dans cette lutte odieuse, les vainqueurs d'un moment étaient bientôt pris dans les mêmes filets qu'ils avaient tendus aux vaincus. Hérode, en effet, ne tardait pas à sentir le remords d'avoir ôté la vie à des gens dont le crime n'avait pas été suffisamment prouvé, et chose affreuse à dire, ce remords ne le rendait pas plus circonspect. Il ne servait qu'à le pousser à sévir, avec la même cruauté aveugle, contre ceux qui avaient été les accusateurs de ses victimes[27].

Avec ce monstre insensé sur le trône, le palais était devenu un enfer. Le Roi prit le parti d'interdire à la plupart de ses amis la faculté de se présenter devant lui, pour lui rendre leurs devoirs, ou même de pénétrer dans le palais ; leur présence le gênait pour donner carrière à ses fureurs sanguinaires. Ce fut à ce moment qu'il bannit Andromachus et Gémellus, ses deux amis les plus anciens et les plus dévoués à sa dynastie, qui n'avaient cessé de lui rendre les plus grands services, tant dans l'administration des affaires du royaume, que dans les ambassades et les conseils ; ils avaient été les instituteurs de ses fils, et avaient toujours occupé le premier rang auprès de lui. Andromachus se vit chasser ainsi, parce que son fils Démétrius avait des relations d'amitié avec Alexandre. Quant à Gémellus il était notoire qu'il avait de la bienveillance pour le même Alexandre ; la chose était bien étonnante, en vérité ! Gémellus avait été chargé de l'éducation littéraire du jeune prince, et il l'avait accompagné, en qualité de précepteur, pendant son séjour à Rome. Les deux personnages furent donc expulsés, en punition des crimes que nous venons de dire. Hérode eût bien voulu faire mieux les choses et les envoyer au supplice, mais il ne l'osa pas. Il craignit de paraître user d'arbitraire à l'égard de deux hommes revêtus d'une si haute dignité, et il se contenta de les dépouiller à la fois de leurs honneurs et du pouvoir de mettre obstacle à ses fureurs[28].

Tout cela du reste était l'œuvre d'Antipater. Ce prince qui depuis longtemps assistait à tous les conseils de son père, n'avait pas eu de peine à deviner le naturel irascible du vieillard ; bien loin de le calmer, il l'excitait de toutes ses forces, pensant faire ses propres affaires, en se débarrassant de ceux qui pouvaient quelque jour devenir pour lui des obstacles.

Aussitôt qu'Andromachus et Gémellus eurent été écartés et mis dans l'impossibilité de ramener le Roi à des idées plus saines, celui-ci s'empressa de faire appliquer la question à tous ceux qu'il croyait être des confidents d'Alexandre. clin de leur arracher l'aveu des machinations de ce prince contre  lui. Les infortunés qui n'avaient rien à confesser mouraient dans les tortures[29] et Hérode n'en était que plus furieux, parce qu'il ne parvenait pas à découvrir la réalité de ce qu'il soupçonnait. Quant à Antipater, en homme habile qu'il était, et en digne fils de son père ; il affirmait que ces prétendus innocents n'étaient que des affidés constants et fidèles, et il poussait le Roi à renouveler l'expérience sur le plus de victimes possible. Il arriva que dans le nombre de ceux qui étaient appliqués à la torture, il y en eut un qui déclara savoir qu'Alexandre avait l'habitude de répondre à ceux qui le félicitaient de sa beauté corporelle, de son habileté à tirer à l'arc et de ses autres mérites, que tous ces avantages qu'il ne devait qu'à la nature, étaient plus beaux qu'utiles, puisqu'ils étaient, de la part de son père, un sujet d'envie et de haine. Il ajoutait que lorsqu'il marchait à côté de son père, il avait l'habitude de se courber et de perdre volontairement de sa taille, pour ne pas paraître plus grand que le Roi, et que lorsqu'il était à la chasse avec lui, il avait bien soin de mal diriger ses flèches, parce qu'il savait son père trop vaniteux pour supporter qu'on le complimentait devant lui sur son adresse. Ce malheureux avait répondu tout cela pendant la torture ; lorsqu'on eut fait trêve à son supplice, probablement parce qu'il promettait d'en dire plus long, si on l'épargnait, il déclara qu'Alexandre et son frère Aristobule avaient formé le projet d'assassiner leur père à la chasse, et, aussitôt leur crime commis, de s'enfuir à Rome, pour réclamer la couronne. Sans doute, tout cela était inepte ; et pourtant tout cela fut recueilli comme une indication indéniable.

On découvrit en outre une lettre d'Alexandre à son frère, dans laquelle il se plaignait de ce que son père avait donné à Antipater un domaine qui rapportait deux cents talents de revenu.

Hérode se persuada aussitôt qu'il avait en mains des preuves palpables du crime dont il soupçonnait ses fils, et il donna l'ordre de se saisir d'Alexandre et de le charger de fers. Sa conscience toutefois n'était pas tranquille ; d'abord il n'ajoutait pas grande foi à ce qu'il avait entendu confesser par un homme soumis à la torture ; quand il réfléchissait d'ailleurs, il ne voyait pas trop pourquoi ses fils attenteraient traîtreusement à sa vie ; il entrevoyait bien en tout cela des plaintes et des querelles de jeunes gens, mais quelle apparence que les meurtriers de leur père eussent l'idée de se réfugier à Rome ? Une pareille supposition était absurde. Il aurait donc voulu tenir de meilleures preuves de la culpabilité de son fils Alexandre, et il commençait à craindre qu'on ne l'accusât d'avoir agi inconsidérément en le faisant jeter en prison.

Les tortures recommencèrent de plus belle. Tous les amis d'Alexandre y passèrent ; beaucoup y moururent ; pas un seul n'avoua rien de ce qu'Hérode voulait découvrir. Pendant que le Roi était tout entier à son horrible métier de tortionnaire, qui faisait du palais l'antre redoutable d'un bourreau, un jeune homme appliqué à son tour à la question, avoua qu'Alexandre avait écrit à ses amis de Rome. pour les presser d'obtenir d'Auguste qu'il le fit mander le plus promptement possible, parce qu'il avait à lui révéler des méfaits qui le concernaient. et, entre autres, que son père avait conclu une alliance contre les Romains, avec Mithridate, roi des Parthes ; qu'enfin Alexandre avait en sa possession du poison préparé à Ascalon[30].

Hérode s'empressa d'ajouter foi à ces nouveaux aveux qui avaient le mérite d'excuser à ses propres yeux la précipitation dont il avait fait preuve, et de lui faire croire plus grands qu'ils n'étaient en réalité, ses griefs contre son fils. Il est vrai qu'on ne retrouva pas le poison, malgré la perquisition minutieuse à laquelle on procéda sur l'heure ; mais Alexandre n'en voulut pas nier l'existence, comme s'il eût pris à tache d'aggraver sa position. Il fit pis encore et s'évertua en quelque sorte à justifier la précipitation de son père, dans le but peut-être de le faire rougir de la facilite avec laquelle il accueillait toutes les calomnies. un peu aussi peut-être pour que, si l'on acceptait pour réel ce qu'il allait dire, le !loi et le palais entier fussent bien plus profondément troublés. Il adressa donc par quatre fois au Roi des mémoires[31] dans lesquels il lui déclarait que les tortures étaient superflues et qu'il était inutile de se livrer à une enquête plus développée, puisqu'il avouait qu'il avait conspiré avec Phéroras et les amis les plus intimes du Roi ; que Salomé elle-même était venue le trouver de nuit, et l'avait forcé à la laisser entrer dans son lit ; que les efforts de tous étaient concertés pour amener la mort du Roi, et se délivrer ainsi d'une appréhension perpétuelle. Parmi les autres personnages qu'Alexandre dénonçait ainsi, se trouvaient Ptolémée et Sapinnius, qui passaient pour les serviteurs les plus dévoués d'Hérode.

Que dire de plus ? A tel époque fatale. ceux milite qui avaient été le plus étroitement unis par les liens de l'amitié, comme pris d'un accès de rage, se chargeaient mutuellement des crimes les plus abominables, et maintenant que personne n'avait plus la faculté de se défendre, ni de démentir ses dénonciateurs, la mort, et la mort, sans jugement, planait sur toutes les têtes. Pendant que les uns gémissaient sur leur captivité, ou sur leur condamnation, les autres ne gémissaient pas moins sur ces deux malheurs qui leur étaient infailliblement réservés ; l'isolement et les angoisses avaient remplacé, dans tout le palais, le bonheur d'autrefois.

Hérode n'était pas le moins à plaindre, car sa vie était désormais intolérable.

N'osant plus se fier à qui que ce fût, il n'avait devant les yeux qu'un avenir plein de terreur. Bien souvent il se croyait attaque par son fils, qui lui apparaissait l'épée à la main. Le jour, la nuit, il était en proie à ces hallucinations, et alors il poussait des cris terribles, en se débattant comme un frénétique[32].

De pareils événements ne pouvaient rester secrets. Archélaüs, roi de Cappadoce, en les apprenant, fut rempli d'anxiété sur le sort de sa fille et de son gendre ; d'un autre côté il était sincèrement l'ami d'Hérode et il déplorait l'état mental dont celui-ci souffrait. Il partit donc en hâte pour Jérusalem[33] afin de faire tout ce qui dépendrait de lui pour améliorer une pareille situation. A son arrivée dans la capitale de la Judée, il trouva le Roi dans l'état qu'on lui avait dépeint ; il ne crut pas le moment opportun pour lui adresser des représentations ou des reproches ; il ne pouvait manquer d'arriver en effet que, malade connue il l'était, Hérode ne s'irritât plus encore, et que, plus on ferait d'efforts pour atténuer sa sévérité, plus il ne se laissât emporter par la colère. Archélaüs prit donc un autre moyen pour adoucir toutes ces misères, et il s'efforça de persuader à Alexandre qu'Hérode était un homme équitable et qu'il n'avait rien fait à la légère. Il ajouta qu'il était décidé à rompre le mariage d'Alexandre et de sa fille, et à ne pas épargner son enfant elle-même, si elle avait eu le malheur de cacher quelque chose à Hérode[34]. Dès qu'il vit Archélaüs prendre son parti, au lieu de lui tenir tête, comme il s'y attendait, et exprimer, par pure affection pour lui, un vif sentiment de colère, Hérode commença à se calmer. Ravi de voir que tous ses derniers actes ne semblaient pas à Archélaüs des monstruosités sans excuse, il sentit quelque peu le sentiment de la paternité se réveiller dans son cœur. De tous les côtés, du reste, il n'y avait que douleur pour ce prince. Quelqu'un essayait-il de réfuter devant lui les calomnies dont on avait accablé Alexandre, sa colère se ravivait aussitôt. Archélaüs prenait-il sa défense, et cherchait-il à excuser ses emportements, aussitôt il se mettait à pleurer et se désespérait. Il en vint à supplier le roi de Cappadoce de ne pas rompre le mariage de sa fille, et de ne pas tant en vouloir au jeune prince pour ses méfaits[35].

Archélaüs était habile, et lorsqu'il vit le calme un peu rentré dans le cœur d'Hérode, il détourna les accusations de la tête d'Alexandre, pour les faire retomber sur celle de ses amis : Il était jeune, sans expérience et sans malice ; c'étaient ses amis qui l'avaient fait tourner à mal. Bien mieux encore, il fit adroitement peser les soupçons sur le frère du Roi lui-même[36]. Phéroras, en effet, avait aussi attiré sur lui la colère du Roi ; ne sachant à qui recourir pour plaider sa cause et rentrer en grâce, il se rendit chez Archélaüs dont il savait tout le crédit, et se présenta devant lui en habit de deuil et avec la contenance d'un homme qui désespère de son salut. Archélaüs accueillit les supplications de Phéroras, mais lui déclara qu'il n'était pas possible de calmer incontinent le grand ressentiment d'Hérode. et que le meilleur moyen de l'apaiser, était d'aller lui-même implorer sa clémence, en se reconnaissant l'auteur de tout le mal ; que de cette façon la fureur du Roi tomberait, et qu'il serait là pour lui venir en aide. Phéroras s'étant laissé persuader, tout se passa comme Archélaüs l'avait prévu ; le jeune prince se vit ainsi bien inopinément débarrassé de la prévention qui Pesait sur lui, et Phéroras se réconcilia avec son frère[37].

Après cette heureuse négociation, Archélaüs retourna en Cappadoce ; Hérode en ce moment n'avait pas d'ami plus cher que lui. Aussi le combla-t-il avant son départ des présents les plus somptueux, et déclara-t-il hautement que c'était l'homme qu'il aimait le plus au monde[38].

Hérode avait écrit à Auguste pour lui confier tons ses chagrins ; il crut donc utile de se rendre à Rome, maintenant qu'ils étaient finis. Le roi des Juifs accompagna Archélaos jusqu'à Antioche, où il parvint à apaiser un différend qui s'était élevé entre Archélaüs et Titius préfet de Syrie ; il revint aussitôt après en Judée pour faite ses préparatifs de départ[39].

Nous ignorons malheureusement ce qui se passa pendant ce nouveau voyage d'Hérode, Josèphe n'ayant fait que le mentionner.

Nous savons toutefois qu'au montent de partir, le Roi avait l'espérance de voir renaitre la concorde entre ses enfants ; il fit venir les fils de Mariamme pour leur adresser quelques petites menaces comme roi, mais bien plutôt pour leur donner de bons conseils comme père. Il leur recommanda d'avoir les uns pour les autres une affection fraternelle, et leur pardonna toutes leurs fautes passées, à la condition qu'ils se conduiraient mieux à l'avenir.

Les deux jeunes princes se disculpèrent le mieux qu'ils purent, en jurant que tout ce qu'on leur avait imputé n'était que mensonge et calomnie ; ils dirent que les faits eux-mêmes prouvaient leur innocence, et que leur père devait couper court aux insinuations perfides, en refusant d'y ajouter foi sans examen, parce que jamais les calomniateurs ne manqueraient contre eux, tant qu'il y aurait quelqu'un pour accueillir leurs calomnies[40].

Est-ce à ce voyage que se rapporte un curieux fragment du livre de Nicolas de Damas, publié par Müller dans le recueil de Didot (fragment II, Codex Turensis, fol. 224) ? Nous n'oserions l'affirmer, quoique cela nous semble probable. Ce fragment nous présente Hérode sous un nouvel aspect, auquel nous ne devions guère nous attendre, grâce au silence gardé par Josèphe sur la particularité dont il s'agit.

Hérode avait une passion pour la rhétorique ; sa manie de pérorer en public aurait pu nous le faire deviner. Puis après la rhétorique, l'étude de la philosophie et de l'histoire l'occupèrent sérieusement. Au reste, voici le passage même de Nicolas de Damas :

Hérode, ayant abandonné l'étude de la philosophie — comme il arrive d'ordinaire aux souverains, grâce a l'abondance des biens dont ils jouissent et qui les rendent inconstants, en changeant leurs idées — se mit à aimer l'art de la rhétorique, et l'étudia assidûment avec Nicolas. Après s'être occupé quelque temps de rhétorique, il fut pris tout à coup du désir d'apprendre l'histoire, parce que Nicolas lui vantait ce genre d'étude et lui affirmait que rien n'était plus utile pour bien gouverner, que de connaître à fond les faits de l'histoire antérieure. Hérode s'y mit donc sérieusement et poussa Nicolas à entreprendre un traité d'histoire. Celui-ci entreprit ce travail avec la plus grande ardeur. Recueillant de toutes parts les documents historiques, il commença une œuvre immense que son incroyable persévérance lui fit achever, et à propos de laquelle il déclare que si Eurysthée avait proposé ce travail à Hercule, lui seul n'y aurait pas succombé. Après cela Hérode voulut faire une visite à Auguste ; il s'embarqua pour Rome, emmenant Nicolas, avec lequel il fit de la philosophie pendant la route.

Lorsque Hérode fut de retour à Jérusalem après ce voyage[41] dont les détails nous manquent, une guerre éclata entre les Juifs et les Arabes, pour les raisons que nous allons faire connaître.

Les habitants de la Trachonite, lorsque Auguste eut enlevé cette province à Zénodore pour la donner à Hérode, se virent, ainsi que nous l'avons déjà dit, obligés de renoncer au brigandage, de cultiver leurs terres et de vivre tranquillement. Cette condition nouvelle leur plaisait médiocrement. et d'ailleurs, il faut en convenir, le sol de leur pays était fort peu favorable à la culture. Ils durent donc, bien malgré eux, et sous la main de fer d' Hérode. respecter d'abord leurs voisins. Ce résultat inespéré valut au roi des Juifs un grand renom d'habileté. Mais lorsqu'il fut parti pour Rome, où il allait se plaindre de son fils Alexandre, et demander à César sa protection toute-puissante pour Antipater, les Trachonites firent courir le bruit de la mort d'Hérode. Il se mirent en rébellion ouverte et recommencèrent immédiatement leurs excursions et leurs déprédations sur les territoires de leurs voisins.

Pendant l'absence du Roi, les généraux de son armée parvinrent à réprimer les révoltés. Mais une quarantaine des principaux chefs de ces bandits, effrayés du sort de ceux qui avaient été faits prisonniers, s'expatrièrent et allèrent chercher un refuge dans le pays des Arabes. Syllæus qui s'était brouillé avec Hérode, à la suite de son mariage manqué, accueillit les fugitifs avec empressement et leur donna une place forte pour résidence. De là ces misérables se mirent à faire des expéditions non-seulement en Judée, mais dans toute la Cœlésyrie, grâce l'asile et à l'appui que leur prêtait Syllæus. Hérode, à son retour de Rome, apprit tout le mal qu'ils avaient fait à ses sujets. Comme il ne pouvait mettre la main sur les coupables que la protection des Arabes tenait à l'abri de son juste ressentiment, il envahit la Trachonite et fit mettre à mort tous leurs parents. Ces représailles ne les rendirent que plus furieux, surtout parce que leurs lois nationales leur enjoignaient de se venger des meurtriers de leurs proches ; il en résulta que, sans avoir égard à ce que pourrait leur réserver l'avenir, ils ne cessèrent plus de parcourir et de ravager les États d'Hérode. Ce prince eut alors une entrevue avec Saturninus et Volumnius, chef des troupes d'Auguste, et leur demanda l'autorisation de punir de mort ceux de ces brigands qui tomberaient en son pouvoir. Aussitôt ceux-ci prirent de plus grandes précautions, se recrutèrent, se ruèrent sur tous les points du royaume d'Hérode, et massacrèrent tous les hommes qu'ils prirent. Ce fut alors une véritable guerre, car la troupe de ces malfaiteurs comptait bien près de mille combattants.

Hérode furieux prétendit se faire livrer les bandits et exigea le remboursement de soixante talents qu'il avait prêtés au roi Obodas, par l'entremise de Syllæus, l'échéance de cette créance étant déjà passée. Syllæus, qui avait annihilé l'autorité d'Obodas à son profit, répondit qu'il n'y avait pas de bandits en Arabie, et remit le remboursement demandé à plus tard. Ce débat ayant été de nouveau porté devant Saturninus et Volumnius, ceux-ci décidèrent qu'Hérode serait payé dans le délai de trente jours, et que de part et d'autre on se rendrait les prisonniers. Après enquête il fut reconnu que le roi des Juifs n'avait pas un seul Arabe sous les verrous, sans qu'il y eût un abus de pouvoir à lui reprocher en cette affaire ; quant aux Arabes, il fut prouvé qu'ils donnaient chez eux un asile aux bandits[42].

Lorsque arriva le ternie fixé pour l'entier payement de la somme due, Syllæus n'avait tenu aucun de ses engagements, mais il était parti pour Rome. Quant à Hérode, il poursuivit aussitôt le remboursement exigible par lui et l'extradition des misérables réfugiés chez les Arabes, avec l'assentiment de Saturninus et de Volumnius qui, au besoin, lui permettaient de recourir aux armes. Il envahit donc l'Arabie. en franchissant sept étapes en trois jours. Dès qu'il arriva devant la forteresse qui servait de repaire aux voleurs, il l'enleva du premier coup, les fit presque tous prisonniers, et rasa la place, qui se nommait Raïpta. Pas un seul des autres habitants du pays ne fut ni lésé ni inquiété. Les Arabes, sous les ordres d'un chef nommé Nakeb, accoururent au secours des bandits, et un combat s'engagea, dans lequel Nakeb et environ vingt-cinq des siens perdirent la vie. Tous les autres prirent la fuite, et les Hérodiens ne laissèrent sur le carreau qu'un très-petit nombre des leurs. Les captifs furent ensuite livrés au supplice ; puis trois mille Iduméens avant été transportés dans la Trachonite, les brigandages furent réprimés.

Tout cela fait, Hérode adressa aux chefs romains qui étaient en Phénicie, des dépêches détaillées par lesquelles il les informait qu'il s'était borné à traiter les bandits comme il avait reçu d'eux l'autorisation de le faire. Au reçu de ces dépêches, les destinataires ordonnèrent une enquête sévère qui démontra la véracité d'Hérode[43].

De leur côté les Arabes se hâtèrent de faire passer à Syllæus qui était à Rome, l'avis des événements qui venaient de s'accomplir, et comme cela se fait d'ordinaire, ils racontèrent tout, avec exagération. Syllæus qui avait déjà réussi il se faire présenter à Auguste. était au palais, lorsque ces nouvelles lui parvinrent. Il se luta d'aller prendre des vêtements de deuil, et revint annoncer l'empereur que la guerre avait été portée en Arabie par Hérode, et que celui-ci avait massacré l'armée royale et dévasté le pays. Il ajoutait en pleurant que deux mille cinq cents des personnages les plus distingués de l'Arabie avaient été tués. et avec eux Nakeb leur chef, son ami et son parent ; que leurs trésors, renfermés à Raïpta avaient été pillés au mépris du roi Obodas, trop faible pour résister efficacement à cette guerre injuste, en l'absence de lui, Syllæus, et des forces armées des Arabes. A tous ces mensonges, Syllæus ajouta, pour rendre Hérode plus coupable aux yeux d'Auguste, que certes il n'eût pas entrepris ce voyage, s'il n'avait cru que l'Empereur ne négligerait rien pour faire régner la paix entre tous. et il affirma avec jactance, que s'il avait été présent sur le théâtre de la guerre, elle n'eût pas tourné à l'honneur d'Hérode.

Auguste, irrité par ce qu'il venait d'entendre, ne demanda qu'une chose aux amis du roi des Juifs, qui étaient présents et à ceux des siens qui arrivaient de Syrie. Était-il vrai qu'Hérode fût entré en campagne à la tête d'une armée ? Tous furent obligés de l'avouer, et Auguste qui ne savait ni pourquoi ni comment ce fait avait eu lieu, ne se sentit que plus furieux ; il fit expédier sur l'heure à Hérode une dépêche des plus dures, dont la conclusion était que, s'il l'avait traité autrefois connue un ami, il ne le traiterait plus dorénavant que comme un sujet. Syllæus, de son côté, s'empressa de tout écrire aux Arabes, et ceux-ci rassurés et pleins de joie, se refusèrent à rendre les bandits qui s'étaient échappés, et à payer la somme qui était due à Hérode. Ils tirent mieux encore : celui-ci leur avait loué des pâturages dont ils entendirent user gratis désormais, puisque le roi des Juifs avait été détrôné par la colère d'Auguste. Les Trachonites, de leur côté, saisissant cette occasion, se soulevèrent contre la garnison iduméenne, et courant se joindre aux Arabes voleurs qui dévastaient le territoire des Iduméens, prirent une part active à toutes leurs déprédations, non-seulement par amour du lucre, mais encore pour assouvir leur soif de vengeance[44].

Hérode se vit forcé de supporter tout cela. maintenant qu'il avait perdu la confiance d'Auguste et par conséquent tout ce qui pouvait soutenir son énergie. Voici en effet ce qui s'était passé. Le roi des Juifs avait envoyé à Rome une ambassade chargée d'expliquer et de disculper sa conduite ; Auguste refusa de l'admettre en sa présence ; en vain les envoyés avaient-ils une seconde fois sollicité une audience, l'empereur les avait congédiés, sans vouloir rien écouter. Hérode était clone en proie aux plus terribles inquiétudes, et ce qui le tourmentait le plus, c'était la présence à Rome de ce Syllæus qu'il savait capable de tout, et qui avait un talent merveilleux pour faire accepter ses mensonges. L'ambition de ce fourbe était d'ailleurs en jeu, car Obodas était mort, et Ænéas, qui avait changé son nom contre celui d'Arétas, venait de lui succéder sur le trône d'Arabie. Syllæus s'efforçait de le perdre par ses calomnies, et de se faire donner la couronne, en comblant les courtisans de cadeaux, et en faisant les plus magnifiques promesses à Auguste. Celui-ci d'ailleurs en voulait à Arétas de s'être mis en possession de la royauté, sans avoir préalablement sollicité son assentiment. Heureusement des lettres de lui arrivèrent bientôt avec de somptueux présents, parmi lesquels se trouvait une couronne d'or du poids de plusieurs talents ; dans ces lettres Arétas accusait formellement Syllæus de n'être qu'un serviteur pervers, et d'avoir empoisonné Obodas, pendant la vie duquel il avait été le maître de l'État, corrompant les femmes des Arabes, et amassant, par tous les moyens, de l'argent pour s'emparer du trône. Cette fois encore, Auguste ne voulut rien entendre, et rejeta tous les présents qui lui étaient adressés.

La Judée et l'Arabie, à la fois, étaient donc dans le plus fâcheux état, et la situation de ces deux pays allait s'aggravant de jour en jour, grâce aux discussions qui les déchiraient, sans qu'il se trouvât personne qui pût porter remède à leurs maux et entraver leur ruine. Des deux rois placés en ce moment à leur tête, l'un n'était pas assez sûr de sa royauté pour oser punir les méchants, et l'autre, c'est-à-dire Hérode, sachant qu'il avait excité l'animadversion d'Auguste, en châtiant avec trop de précipitation ceux qui lui avaient fait injure, se sentait réduit à se courber sous tous les outrages. Ne sachant comment sortir de cette cruelle position, ni comment se soustraire à tous les malheurs qui l'accablaient à la fois, il prit le parti de faire une nouvelle tentative et de renvoyer une ambassade à Rome, dans l'espérance que ses prières et les bons offices de ses amis pourraient calmer Auguste et le rendre plus traitable ; ce fut à Nicolas de Damas qu'il confia cette mission délicate[45].

Nous verrons plus loin quelle fut l'issue de cette négociation difficile. Quant à présent il nous faut revenir, quelque dégoût que cela nous inspire. au récit du drame de famille qui devait fatalement aboutir au plus odieux dénouement.

Les querelles intérieures, surtout entre les fils du Roi, avaient toujours été en s'envenimant. Il était évident depuis longtemps que le pire de tous les maux qui peuvent affliger l'humanité, avait élu domicile dans le palais d'Hérode. Il ne manquait plus que la présence d'un mauvais génie pour le faire éclater, et ce mauvais génie fut un Lacédémonien nommé Euryclès[46]. Cet homme, quoique issu d'une famille distinguée, n'avait aucune espèce de moralité ; né avec une nature perverse, il était tout entier aux plaisirs sensuels et passé maître dans l'adulation ; mais il savait assez bien dissimuler ses penchants vicieux, pour se maintenir à l'abri du soupçon. Il arriva à la cour d'Hérode, fit de riches présents au Roi, en reçut de lui de plus riches encore, et réussit promptement à s'insinuer dans l'amitié intime du souverain, dont il avait aisément démêlé les instincts[47] Euryclès était l'hôte d'Antipater, ce qui ne l'empêchait pas de fréquenter assidûment Alexandre, auquel il avait persuadé qu'il était depuis longtemps l'ami le plus cher d'Archélaüs, roi de Cappadoce — on se rappelle que celui-ci était le beau-père d'Alexandre — ; aussi témoignait-il à Glaphyra l'empressement le plus obséquieux. En un mot il s'évertuait à être bien en secret avec tout le monde, observant aveu persistance ce que chacun disait et faisait, pour assurer le succès de ses intrigues. et se faire bien venir de chacun. Il y réussit à souhait ; Antipater et Alexandre l'admirent tous les deux clans leur familiarité, et il passa, aux yeux de chacun d'eux. pour un ami sûr qui ne voyait l'autre, qu'afin de le servir lui-même plus efficacement. Alexandre surtout, qui était encore un jeune homme sans expérience, se vit tellement sous le charme de ce misérable, qu'il fut bientôt convaincu qu'il ne risquait rien à lui ouvrir son cœur, et le prendre pour confident de toutes ses douleurs passées et présentes, lui qui n'eût osé en dire un seul mot à aucun autre homme. Il lui avoua donc le chagrin que lui causait l'animosité de son père ; il lui raconta tous les malheurs de sa mère, toute l'hostilité d'Antipater qui avait accaparé pour lui seul l'autorité souveraine, et l'ai ait fait dépouiller des honneurs qui lui étaient dus. Il ajouta que cela lui paraissait intolérable, depuis surtout que son père avait conçu contre lui et son frère Aristobule une haine si implacable, qu'il ne voulait plus les voir à sa table, ni même échanger une parole avec eux. Il était tout naturel que sa douleur lui arrachât des plaintes de cette nature.

Euryclès, qui avait joué le même rôle auprès d'Aristobule, s'empressa de rapporter tous leurs propos à Antipater, en appuyant perfidement sur ce que ce n'était pas seulement par amitié pour lui qu'il lui faisait une semblable confidence, mais bien parce que la situation lui paraissait si pleine de périls, qu'il ne se croyait pas le droit de se taire. En définitive, il engagea Antipater à prendre garde à lui[48].

Celui-ci, croyant que l'amitié seule d'Euryclès lui dictait. ces délations, le combla de cadeaux à plusieurs reprises, et finit par lui demander de tout répéter à Hérode. Euryclès ne 1h aucune difficulté pour accéder à cette prière, et lorsqu'il vint dénoncer au Roi ce qu'il prétendait avoir entendu de la bouche d'Alexandre, il ne le trouva que trop disposé à le croire sur sa parole. Il enflamma si bien la colère d'Hérode, par ses discours irritants et perfides, que celui-ci n'eut plus dans le cœur qu'une haine sans pitié. L'infamie d'Euryclès fut pillée, sur l'heure, de cinquante talents dont le Roi le gratifia.

Dès que le Lacédémonien eut touché cette somme énorme, il se dépêcha de quitter Jérusalem et se rendit au plus vite à la cour d'Archélaüs, roi de Cappadoce. Là il joua une autre comédie ; il ne tarit pas en éloges sur le compte d'Alexandre, et il se vanta d'avoir contribué de tout son pouvoir à le faire rentrer en grâce avec son père. Il parvint ainsi à extorquer à Archélaüs une nouvelle somme d'argent, et avant que sa perfidie ne pût être dévoilée, il se hâta de déguerpir. Après tant d'infâmes menées, Euryclès rentra à Lacédémone, où il commit de telles énormités, qu'il finit par se faire exiler[49].

Le roi des Juifs en était venu au point qu'il ne lui similisait plus de prêter l'oreille aux calomnies proférées contre Alexandre et Aristobule. Sa haine contre ses deux fils était devenue si ardente, que ceux là male qui ne songeaient pas à les incriminer, il les y poussait, en faisant tout épier, en les questionnant avec insistance, et en offrant à tous la faculté de lui dire ce qu'ils pouvaient imaginer de défavorable à ces malheureux jeunes gens, il réussit à l'aide de ces manœuvres à se faire dire qu'un certain Evarate de Cos conspirait avec Alexandre. Cette dénonciation le charma plus que tout le reste[50].

Ce qu'il y avait de plus fatal pour les deux frères, c'était que chaque jour on les chargeait de nouvelles calomnies ; il y avait, pour ainsi dire, dans tous les esprits, connue un assaut de dévouement, qui poussait chacun à inventer quelque inculpation plus grave encore que toutes les autres, clin de se donner l'air de s'intéresser avec plus de zèle au salut du Roi.

Il y avait deux officiers des cavaliers de la garde d'Hérode, très-remarqués pour la beauté et la vigueur de leurs personnes ; ils se nommaient Jucundus et Tyrannus. Le Roi, irrité contre eux pour nous ne savons quelle faute, les avait chassés de son service ; ils commencèrent alors à monter à cheval avec Alexandre, et comme ils étaient tous les deux de très-habiles écuyers, le prince les honorait de son mieux, et leur faisait souvent des cadeaux de toute nature. Il n'en fallait pas tant pour les rendre suspects au Roi qui leur fit appliquer la question[51]. Ceux-ci après avoir longtemps supporté la torture sans rien avouer, en vinrent, vaincus par la douleur, à déclarer qu'Alexandre avait voulu leur persuader de tuer Hérode à la chasse, s'ils en trouvaient quelque jour l'occasion ; que rien n'était plus facile que de taire croire qu'en tombant de cheval il s'était transpercé avec ses propres armes de chasse ; puisque, en effet, peu de temps avant, Hérode avait réellement couru un danger de cette nature. Ils déclarèrent en même temps que leur or était caché dans l'écurie, et que le grand veneur, sur l'ordre d'Alexandre, leur avait remis à eux les épieux de chasse du Roi, et ses armes aux familiers du prince[52].

Après eux, ce fut le commandant de la forteresse d'Alexandrium qui fut soumis à la torture. Il était accusé d'avoir promis aux jeunes princes de leur livrer la place et le trésor royal qui y était déposé sous sa garde. Cet homme ne voulut rien avouer ; mais survint alors son fils qui affirma que tout cela était vrai et qui livra une lettre écrite. il ce qu'il paraissait, de la main d'Alexandre. Elle contenait ces mois : Lorsque ce que nous avons projeté sera accompli, avec la volonté de Dieu, nous irons à vous ; ne manquez pas à votre promesse, et dominez-nous un refuge dans la forteresse. Après avoir lu ce billet, Hérode ne douta plus que ses fils n'en voulussent à sa vie. Alexandre soutint que son écriture avait été imitée par le grammate royal Diophante, et que le billet produit était l'œuvre d'Antipater. Ce Diophante avait en effet la réputation d'être le plus habile faussaire, et comme plus tard on parvint à prouver qu'il avait falsifié beaucoup d'autres pièces de ce genre, il fut puni de mort[53].

Quant à ceux qui avaient subi la torture, le Roi eut l'idée de les faire comparaître devant le peuple à Jéricho, pour qu'ils répétassent, en sa présence, leurs dénonciations contre ses fils. Le peuple en fit immédiatement justice et les lapida ; il allait infliger le même sort à Alexandre et à Aristobule ; mais Hérode chargea Ptolémée et Phéroras de contenir l'indignation des assistants, et cette exécution sommaire fut ainsi empêchée. Les deux princes furent mis au secret le plus rigoureux, et surveillés à toute heure du jour et de la nuit. Ni l'infamie, ni la terreur ne leur manquaient pour être en tout semblables il des condamnés. Aristobule fut si cruellement affecté de ces traitements, qu'il perdit la tête et qu'il écrivit à Salomé, sa belle-mère, pour essayer de lui persuader de le prendre en pitié, et de se tourner contre celui qui permettait qu'on lui infligeât un traitement aussi ignominieux. N'es-tu pas toi-même, lui disait-il, en danger de mort, toi que l'on accuse d'instruire Syllæus de tout ce qui se passe ici, dans l'espoir de l'épouser ? Salomé ne perdit pis un instant, et courut montrer cette lettre à son frère[54].

A partir de ce moment. Hérode ne se contint plus. A l'instant il fit charger de chaînes Aristobule, et on le sépara de son frère ; puis il leur ordonna à tous les deux d'écrire à Auguste, pour lui confesser les crimes dont ils s'étaient rendus coupables envers leur père. Tous deux écrivirent en effet, mais ils déclarèrent qu'ils n'avaient jamais ni conspiré, ni attenté à la vie d'Hérode, qu'ils n'avaient songé qu'à fuir, contraints et forcés par la vie intolérable que leur faisaient les soupçons dont ils étaient poursuivis[55].

A ce moment arrivait de Cappadoce, auprès du roi des Juifs, un certain hélas, envoyé en ambassade par Archélaüs dont il était un des satrapes. Hérode saisit cette occasion de lui prouver le mauvais vouloir qui animait son maître.

Il fit donc amener Alexandre chargé de chaînes, et l'interrogea derechef sur leur plan d'évasion, sur le lieu qu'ils avaient choisi pour asile, et sur les raisons qui avaient déterminé leur choix. Alexandre répondit qu'ils avaient voulu se réfugier chez Archélaüs qui leur avait promis de les envoyer Rome : que, quant à leur père, il n'avaient rien conçu ni entrepris de criminel contre lui, et que, dans tout ce dont leurs ennemis les accusaient, il n'y avait pas un mot de vrai. Il ajouta qu'il voudrait bien que Tyrannus et ses compagnons d'infortune fussent encore en vie, pour qu'on pût les interroger avec un peu plus de prudence ; mais que malheureusement ils avaient été tués en toute hâte, par les soins d'Antipater qui avait perfidement mêlé ses amis à la foule[56].

Lorsqu'il eut prononcé ces paroles, Alexandre avec Hélas, furent conduits par l'ordre d'Hérode devant Glaphyra, la tille d'Archélaüs, afin qu'ils l'entendissent interroger sur ce qu'elle savait des trames ourdies contre Hérode. Lorsqu'ils furent arrivés, Glaphyra voyant Alexandre enchainé, se frappa la tête, et saisie de consternation, elle poussa de longs et tristes gémissements. Son jeune époux se mit à pleurer lui-même, et ce spectacle fit une telle impression sur tous ceux qui y assistaient, qu'ils restèrent longtemps interdits et incapables de s'acquitter de la mission qu'ils avaient reçue. Enfin Ptolémée, qui avait été chargé de surveiller cette entrevue, pressa Alexandre de dire si sa femme était complice de ses actes : Comment pourrait-elle ne pas l'être, répondit-il, celle qui m'est plus chère que la vie, celle qui est la mère de mes enfants ? En entendant ces mots, Glaphyra s'écria qu'elle n'avait connaissance de rien de répréhensible ; mais que s'il pouvait être utile à son époux qu'elle mentît contre elle-même, elle était prête avouer tout ce qu'on voudrait. Alexandre reprit alors : De tous les crimes dont on m'accuse et dont nous aurions le mieux le droit de n'être jamais soupçonnés, je n'en ai pas combiné un seul ; tu ne peux donc en avoir eu connaissance. La seule chose vraie, c'est que nous avions projeté de nous réfugier auprès d'Archélaüs, et de là à Rome. Glaphyra avoua qu'elle le savait, et Hérode, pensant que la malveillance d'Archélaüs à son égard était désormais patente, confia des dépêches à Olympus, son ami, et à Volumnius, chef de l'arillée. et leur prescrivit d'aller par mer à Elæusa de Cilicie, pour remettre à Archélaüs un mémoire sur tous ces faits, et, après lui avoir déclaré qu'il avait pris part aux complots de ses fils, de faire voile aussitôt directement vers Rome ; que si, en arrivant lit. ils trouvaient les négociations de Nicolas terminées ; de façon qu'Auguste ne lui fia plus hostile. de remettre à l'Empereur ses dépêches et le mémoire qui les accompagnait et qu'il avait l'ait rédiger contre ses fils[57].

Archélaüs se disculpa, en déclarant qu'il avait réellement consenti à recevoir les jeunes princes, parce qu'il croyait qu'il était autant de l'intérêt de leur père, que du leur, que rien de trop sévère ne se décidât contre eux, au moment où Hérode était irrité à ce point sur le simple soupçon des faits qui causaient tout le débat ; qu'il n'avait jamais eu l'intention de les envoyer à Auguste, et qu'il ne leur avait jamais rien promis qui donnait à Hérode le droit de douter de son bon vouloir[58].

Lorsque les deux envoyés du roi des Juifs arrivèrent à Rome, ils purent sans inconvénient remettre aux mains d'Auguste, les dépêches de leur maître, parce que la réconciliation était opérée.

Voici continent en effet l'ambassade de Nicolas avait tourné.

Aussitôt qu'il était arrivé, il s'était présenté au palais. avec le dessein bien arrêté de ne pas se borner défendre Hérode, mais bien d'accuser hautement Syllæus. Les Arabes qui se trouvaient à Rome, avant même d'avoir un seul entretien avec Nicolas, étaient ouvertement divisés. Quelques-uns d'entre eux, se détachant de Syllæus, prirent immédiatement le parti de Nicolas, lui dévoilèrent toutes les iniquités qui avaient été commises et lui démontrèrent, preuves en main, que ce Sylla us avait fait assassiner nombre de serviteurs d'Obodas. En se séparant de lui, ils avaient saisi des papiers qui devaient le perdre. Nicolas ne pouvait rien désirer de mieux, et il profita de ces confidences dans l'intérêt de sa mission, en ne négligeant rien de ce qui contribuerait à faire renaitre la concorde entre Auguste et Hérode. Il savait de source certaine que s'il essayait de justifier les actes de son maître, Auguste refuserait de l'écouter ; tandis que s'il se bornait à porter une accusation contre Syllæus, il trouverait infailliblement l'occasion de disculper Hérode. Le débat fut donc soumis à Auguste ; jour fut pris pour entendre les parties, et Nicolas assisté des ambassadeurs d'Arétas, formula ses accusations contre Syllæus, lui reprochant d'avoir causé la mort de son roi et de beaucoup d'Arabes, d'avoir contracté des emprunts d'argent pour faire une révolution, d'avoir détourné de leurs devoirs une foule de femmes, aussi bien à Rome qu'en Arabie, et, ce qui était le plus grand de ses méfaits, d'avoir trompé la religion d'Auguste, en ne lui disant que des mensonges sur le compte d'Hérode. Lorsqu'il fut arrivé à ce point de son discours, Nicolas fut interrompu par Auguste qui lui ordonna de ne dire qu'une seule chose touchant Hérode, à savoir s'il n'avait pas envahi l'Arabie à la tête d'une armée, s'il n'avait pas tué deux mille cinq cents hommes, et si, après avoir ravagé le pays, il n'avait pas enlevé une foule de captifs.

Nicolas répondit aussitôt qu'il pouvait lui donner des éclaircissements décisifs sur tous ces points ; que les uns étaient absolument faux, les autres tout différents de ce qu'on lui avait rapporté, et qu'en définitive il ne s'était rien passé qui méritât sa colère. Lorsque Nicolas vit Auguste écouter, contre tout espoir, ces ouvertures imprévues, et se montrer attentif, il parla des cinq cents talents prêtés par Hérode, de l'engagement écrit qu'il avait reçu et dans lequel il était stipulé que, s'il n'était pas remboursé à l'échéance, il aurait le droit de se saisir de gages sur le pays entier ; il ajouta que par conséquent cette prétendue expédition guerrière n'en était pas une, mais bien la réclamation amplement justifiée d'une somme légitimement due ; que pourtant rien n'avait été fait avec hâte, ni même en la forme rigoureuse que la teneur de l'acte d'engagement rendait licite ; mais bien après plusieurs entrevues avec Saturninus et Volumnius, administrateurs de la Syrie ; qu'enfin, en présence de ces illustres personnages siégeant à Béryte, Syllæus avait fait serment par la fortune de César. que dans le délai de trente jours la somme intégrale qui était due à Hérode lui serait payée, et qu'on lui livrerait les transfuges qui s'étaient soustraits à son autorité ; que Syllæus n'ayant tenu aucun de ses engagements, le roi des Juifs avait, une seconde fois, soumis le cas aux administrateurs romains de la Syrie ; que ceux-ci l'avaient autorisé à prendre des gages et qu'alors seulement et à grand'peine, il s'était décidé à entrer en Arabie à la tête de ses troupes. Voilà, dit Nicolas, ce que ces hommes, exagérant tout sur le ton le plus tragique, ont osé appeler une guerre ! Voilà ce qu'a été cette expédition autorisée par les gouvernants que tu nous as toi-même donnés, lorsqu'un engagement signé la proclamait légitime, lorsque les noms des dieux et la majesté du tien, César, avaient été outragés par des parjures.

Mais, je n'ai pas fini, car il me reste à parler des captifs ! Lorsque les Trachonites eurent recommencé leurs brigandages, quarante des leurs d'abord, puis d'autres plus nombreux se réfugièrent en Arabie, pour échapper au supplice mérité que leur réservait Hérode. Syllæus les accueillit, pourvut à tous leurs besoins, pour le malheur de l'humanité, leur donna une résidence, et fit pis encore, car il se fit adjuger une part du produit de leurs rapines. Lorsqu'il s'engagea par le serment dont j'ai parlé, il promit de livrer ces criminels, le jour même où il payerait la somme due. Je le mets au défi de prouver qu'il soit sorti d'Arabie un seul homme qui ne fût pas l'un de ces bandits, et encore n'ont-ils pas tous été pris, car nous n'avons enlevé que ceux qui n'ont pu réussir à se cacher. Maintenant, tu le vois, le récit que l'on t'a fait n'est qu'une calomnie ; je te supplie donc, César, de punir les mensonges que cet homme a accumulés pour exciter ta colère. Je t'affirme, et je suis en mesure de te prouver que j'ai le droit de le faire, que ce n'est qu'après qu'une année arabe eut envahi notre territoire et mis à mort bien des sujets d'Hérode, mais non pas avant ce moment, qu'Hérode se mit en devoir de protéger les siens, et que ce fut alors seulement que Nakeb, le chef des envahisseurs a péri, et avec lui vingt-cinq hommes et pas un de plus. De chacun de ces hommes on en a fait cent, pour former ce chiffre imposant de deux mille cinq cents victimes[59].

Ces paroles avaient impressionné Auguste, qui, se tournant vers Syllæus, lui jeta un regard irrité, et le somma de déclarer combien d'Arabes avaient péri. Celui-ci hésita, et dit en balbutiant qu'il était peut-être mal informé. Il fut alors donné lecture de l'engagement pécuniaire qu'il avait souscrit, des dépêches des gouverneurs romains de la Syrie et des plaintes des populations qui avaient souffert des brigandages des Arabes. Auguste conclut aussitôt en condamnant Syllæus à mort ; puis il se réconcilia avec Hérode, en témoignant le regret de lui avoir écrit trop durement. Il en fit retomber toute la faute sur Syllæus, en lui reprochant avec sévérité de l'avoir poussé par ses mensonges il trahir les devoirs de l'amitié. En résumé, Syllæus fut renvoyé avec ordre de payer la somme qu'il devait, avant de suint' le supplice qui lui était réservé[60].

Toutefois Auguste restait assez mal disposé à l'égard d'Arétas qui avait eu l'imprudence de s'adjuger la couronne, avant de lui avoir demandé son assentiment. Il avait d'ailleurs formé le projet d'annexer l'Arabie aux États d'Hérode ; mais les dépêches du roi des Juifs furent précisément l'obstacle qui arrêta ce bon vouloir ; en effet dès qu'Olympus et Volumnius eurent l'assurance que le prince romain était calmé, ils ne perdirent pas un instant pour lui remettre la lettre qu'Hérode leur avait confiée, avec les pièces de la procédure qu'il avait instruite contre ses fils. Lorsqu'il eut pris connaissance de tout cela, Auguste pensa qu'il serait imprudent de concéder de nouveaux États à un vieillard si peu d'accord avec ses enfants. Il accorda donc une audience aux ambassadeurs d'Arétas. et tout en faisant ses réserves sur le manque d'égard qu'il avait commis, en n'attendant pas son investiture. il accepta ses présents et lui confirma la royauté[61].

Le cinquième fragment des écrits de Nicolas de Damas (Codex Escorialensis, fol. 711.) est relatif à toute cette négociation épineuse que l'auteur avait eu à suivre. En voici la teneur[62] :

Hérode avait commencé une expédition contre l'Arabie, sans l'assentiment de César, qui, à cause de cela se prit d'une si violente colère contre Hérode, qu'il lui écrivit une lettre très-dure, et renvoya ses ambassadeurs plus rudement qu'il ne convenait. Nicolas alors partit pour Rome, et, non-seulement il disculpa Hérode, mais encore il réussit à tourner la colère de César contre ses accusateurs. L'Arabe (Obodas), qui était déjà mort en ce moment ne pouvait être puni, mais son fondé de pouvoir (Syllæus) fut condamné par César que les accusations de Nicolas avaient gagné à sa cause, et plus tard menue, ayant découvert que c'était un grand criminel. César l'envoya au supplice... Hâtons-nous de dire néanmoins que l'exécution de Syllæus n'eut lieu que postérieurement et après de nouveaux événements que nous aurons à raconter en leur lieu.

Auguste, réconcilié, comme nous venons de le dire, avec Hérode[63], lui répondit en ces termes : Il déplorait le sort qui lui avait donné de pareils fils, et reconnaissait qu'il fallait, si leurs crimes étaient prouvés, les traiter en parricides ; il l'autorisait à agir ainsi ; mais, dans le cas où ils n'auraient comploté qu'une fuite, il était convenable de les corriger autrement et de s'abstenir de toute mesure extrême[64]. Il lui conseillait d'instruire leur procès devant un tribunal convoqué à Béryte, où les Romains avaient tout pouvoir ; d'y faire siéger les gouverneurs romains et le roi de Cappadoce Archélaüs, ainsi que tous ceux qu'il savait être ses amis, ou dont la dignité personnelle lui paraîtrait mériter cet honneur, et de se conformer à leur avis dans la rédaction de la sentence.

Quand Hérode reçut cette réponse, sa joie fut extrême ; il était heureux de voir Auguste lui rendre ses bonnes grâces, mais bien plus heureux encore de la faculté qu'il lui accordait de traiter ses fils comme il l'entendrait. Je ne sais, ajoute Josèphe, comment il se lit que ce père qui naguère, dans la mauvaise fortune, se montrait sévère et dur, mais prudent et très-peu disposé à condamner irrémissiblement ses fils, maintenant que ses affaires avaient repris une meilleure tournure, et que la confiance était rentrée dans son cœur, n'hésita plus à lâcher la bride à sa haine. Nous serons moins embarrassé que l'historien pour expliquer celte nouvelle conduite, et nous dirons qu'Hérode cédait. sans s'en apercevoir peut-être, aux funestes suggestions de Salomé et d'Antipater. Quoi qu'il en soit, il convoqua, pour procéder au jugement des jeunes princes. tous ceux que son caprice lui lit, choisir ; mais le roi Archélaüs fut tenu à l'écart. Peut-être s'abstint-il de l'admettre au conseil. parce qu'il lui conservait rancune ; peut-être craignait-il de trouver en lui un obstacle à l'exécution de sa volonté[65].

Lorsque le tribunal fut rassemblé à Béryte, les jeunes princes, qu'Hérode ne voulut pas laisser comparaitre, furent enfermés dans un bourg appartenant aux Sidoniens, et qui se nommait Platané ; il était assez rapproché de Béryte, pour qu'au besoin les accusés pussent être facilement amenés, si leur présence était requise. Le conseil était composé, de cent cinquante membres ; Hérode s'y présenta seul. et l'accusation qu'il formula ne fut pas empreinte de la douleur d'un père poussé par la nécessité, mais heu plutôt dictée par une exaspération indigne d'un homme qui porte contre ses fils absents une accusation capitale. On le voit, le roi des Juifs avait profité des leçons de Nicolas son professeur de rhétorique. Il se montra donc véhément, mais embarrassé dans le développement de ses griefs ; sa contenance en un mot était celle d'un homme qui cède à la limeur et à la cruauté la plus brutale. Il ne permit pas à ceux qui siégeaient de le contredire et de peser ses arguments, mais par un procédé indigne, nous le répétons, d'un père qui accuse ses fils, il prétendit discuter tout seul, lisant les écrits émanant des accusés, et dans lesquels il n'y avait pas trace de complot criminel ourdi par eux, mais bien les indices d'un simple projet de fuite et des propos injurieux, il est vrai, pour leur père, mais en quelque sorte provoqués par sa malveillance à leur égard. Lorsqu'il en fut venu à parler de ces écrits, il se mit à vociférer et montra une exagération qui n'eût été justifiée que par la réalité d'un complot contre sa vie, et il jura qu'il eût mieux aimé mourir que d'entendre de pareilles monstruosités. A la fin de son réquisitoire, après avoir dit que le droit naturel et l'assentiment de César l'autorisaient à agir, il invoqua la loi de la nation. juive qui ordonne que lorsqu'un père impose la main sur la tête d'un fils accusé, tous les assistants tuent ce fils à coups de pierres. Il termina en disant qu'il avait le droit de les punir ainsi dans sa patrie et dans ses États, mais qu'il avait préféré s'en rapporter à leur jugement, et attendre la sentence qu'ils prononceraient contre ses fils ; qu'il ne fallait pas néanmoins qu'ils se dissimulassent qu'ils n'étaient plus des juges ; car en présence de complots si manifestes. auxquels il n'avait échappé que par une sorte de miracle, leur rôle était celui d'instruments de sa colère légitime. Il était juste que de semblables énormités, même dirigées contre un inconnu, ne restassent pas impunies[66]

Lorsque le Roi eut fini de parler, sans que les accusés fussent admis à faire entendre leurs moyens de défense, les juges — pouvons-nous donner ce nom honorable à ces hommes — crurent devoir céder à l'irritation de ce forcené ; ils pensèrent qu'il n'y avait aucun moyen de le ramener à des sentiments plus équitables et de faire renaitre la concorde ; ils lui confirmèrent donc le droit de traiter les accusés comme il l'entendrait. Cependant le premier qui opina fut Saturninus, personnage consulaire et de grande autorité ; sa sentence fut des plus modérées et digne d'un homme de sa condition. Il dit qu'il condamnait les fils d'Hérode, mais qu'il ne croyait pas juste qu'ils fussent punis de mort ; que lui aussi avait. des fils, et qu'il trouvait la peine capitale au-dessus de tout le mal que des enfants pouvaient coin-mettre. Après lui, les fils de Saturninus — ils étaient au nombre de trois, et tous les trois légats attachés à sa mission — prirent la parole et opinèrent dans le même sens. Mais Volumnius, parlant a son tour, déclara que des fils qui s'étaient conduits avec tant d'impiété à l'égard de leur père, devaient être punis de mort. La majorité des autres membres du tribunal partagea cet avis, si bien que l'opinion générale fut que les accusés étaient irrémissiblement voués au supplice[67].

Aussitôt le jugement prononcé, Hérode partit pour Tyr, emmenant avec lui les deux condamnés. Il y rencontra Nicolas, de retour de son voyage en Italie, lui raconta tout ce qui s'était passé à Béryte, et s'empressa de s'informer auprès de lui de ce que ses amis de Rome pensaient de ses fils. Nicolas lui répondit : Tous regardent comme impies leurs complots contre toi ; mais tous aussi sont d'avis que tu dois te contenter de les faire enfermer. Si d'ailleurs tu préfères une sentence plus sévère, punis-les, mais de façon à montrer que tu as suivi les conseils de la raison, plutôt que ceux de la colère ; si, au contraire, tu aimes mieux te montrer clément, permets-leur de s'éloigner, pour ne pas attirer sur la tête une infortune irrémédiable. Voilà quel est l'avis de presque tous ceux de tes amis qui résident à Rome. Après avoir entendu ces paroles, Hérode ne répondit rien et médita longtemps, puis il ordonna à Nicolas de s'embarquer avec lui[68].

Lorsqu'ils prirent terre à Césarée, il ne fut plus question. dans la population, que du sort des enfants d'Hérode. Bientôt dans la Judée entière, ce fut le sujet d'une agitation générale. Chacun attendait le dénouement de ce draine odieux. Tout le monde, en effet, redoutait les conséquences fatales de cette haine invétérée d'un père contre ses enfants. et c'était le triste sort de ceux-ci qu'on déplorait. Mais personne n'osait élever la voix en leur faveur, tant était grand le danger de parler ou même d'écouter ce qui se disait de ces événements ; la pitié de tous restait donc muette, et, si l'on avait horreur de ce crime atroce, on le supportait sans oser murmurer. Un seul homme, nommé Téron, vieux soldat dont le fils était l'ami d'Alexandre qui avait le même âge que lui, eut le courage de dire hautement et sans ambages ce que tous les autres se contentaient de penser, et souvent, au milieu du peuple, on l'entendit s'écrier que la vérité était morte, que la justice avait disparu du cœur des hommes, que le mensonge et la perversité avaient le dessus et savaient si bien obscurcir toute chose, que les criminels n'apercevaient plus les malheurs les plus affreux qui frappaient le genre humain. Chacun jugeait bien ce que ces propos avaient de périlleux pour celui qui osait les tenir librement ; chacun était ému de leur justesse et admirait l'homme qui, en pareil montent, montrant tant de cœur et de force d'âme. Ce que Téron disait était accueilli avec avidité par ses auditeurs, et tout en prenant le silence pour sa sauvegarde, chacun louait sa bravoure ; mais l'attente de la catastrophe qui allait arriver, forçait chacun à approuver tout ce qu'il disait[69].

Téron eut le courage de se présenter devant Hérode et de réclamer une audience seul à seul ; elle lui fut accordée et il lui dit : Roi, je ne puis plus supporter l'anxiété où je suis. Peu m'importe la vie ! et j'ai mieux aimé mourir que d'hésiter à te dire, quelque audacieux, que fût mon dessein, ce que je crois nécessaire dans ton intérêt. Qu'est devenue ta raison ? Qu'est devenu ce génie qui a enfante tant et de si grandes choses ? Que signifie ce désert qui s'est fait autour de toi qui n'as plus ni amis, ni parents ? Car je n'appelle pas des amis ceux au milieu desquels tu vis et qui permettent la perpétration du plus abominable forfait, au milieu d'un royaume naguère si heureux. Ne comprends-tu donc pas ce que tu vas faire ? Tu vas égorger deux fils qui te sont nés d'une vraie reine, deux princes accomplis, et tu vas confier le soin de tes vieux jours à un seul fils qui te payera mal l'espérance que tu lui as laissé concevoir, et qui a machiné la perte de ses frères, dont il a déjà tant de fois conspiré la mort. Ne comprendras-tu pas que, si le peuple se tait, il n'en juge pas moins ta faute et n'en déteste pas moins le crime que tu médites ? Ne comprendras-tu pas que l'armée entière, avec ses chefs les plus éminents, es1 émue de compassion pour tes fils infortunés, et animée d'une haine implacable contre les auteurs de leur malheur ?[70]

Hérode écouta tout cela, d'abord avec assez de calme, mais dès que Téron en vint à parler de la perfidie de ses proches, il se sentit trop troublé pour répondre. Le vétéran, avec sa franchise militaire, avait mal pris son temps et dépassé quelque peu les bornes du respect. Aussi le Roi prit-il tout cela pour des injures, plutôt que pour un avis, et dès qu'il entendit avancer que l'armée et les chefs étaient indignés, il donna incontinent l'ordre de jeter Téron en prison, avec tous ceux dont il avait prononcé les noms[71].

Peu après, un certain Tryphon qui était barbier du Roi, saisissant l'occasion de flatter son maître, vint le trouver et lui révéla que Téron avait souvent essayé de lui persuader de l'égorger avec son rasoir, pendant qu'il lui coupait la barbe ; que c'était apparemment ainsi que cet homme espérait obtenir une position importante auprès d'Alexandre et mériter une riche récompense. Il était écrit que jamais une délation calomnieuse ne manquerait à ce roi furieux et en démence. Tryphon n'avait pas fini de parler, que l'ordre était donné de l'arrêter et de l'appliquer à la torture, avec Téron et son fils. Téron lit preuve de la plus admirable constance et n'avoua rien. Son fils, qui le voyait déjà à demi mort et sans espoir de salut, jugea par les affreuses douleurs que son malheureux père avait endurées, du sort qui lui était réservé à lui-même ; il déclara donc qu'il était prêt a confesser la vérité au Roi, si celui-ci s'engageait formellement à épargner les tortures à son père et à lui. Aussitôt qu'il eut reçu la parole du Roi, il dit qu'il avait été convenu que Téron frapperait Hérode, parce qu'il était facile de l'attaquer seul à seul. Cela fait, s'il arrivait malheur au meurtrier, il n'en devait pas moins se tenir pour honoré à cause du service qu'il aurait rendu à Alexandre. Cet aveu racheta son père ; mais on ignore s'il contenait la vérité arrachée par la force, ou s'il ne fut fait que pour épargner les douleurs atroces qui les menaçaient tous les deux[72].

Hérode, s'il avait jusque-là ressenti quelque hésitation pour faire exécuter la sentence de ses enfants, ne balança plus ; rejetant loin de son cœur tout ce qui pouvait, quelque peu que ce feu, le pousser à la clémence, il se hâta d'accomplir son œuvre. Une assemblée populaire fut convoquée ; le Roi y fit amener trois cents officiers de l'armée, avec Téron, son fils et le barbier ; il les accusa tous du crime de lèse-majesté et les livra à la populace qui massacra à coups de bâton et de pierres. Alexandre et Aristobule furent conduits à Sébasté, et là, par l'ordre de leur père, ils furent étranglés[73]. La nuit suivante, leurs cadavres furent transportés à Alexandrium, où étaient enterrés déjà Alexandre, leur grand-père maternel, et plusieurs de leurs ancêtres[74].

Et c'est ce monstre qui avait déjà un pied dans la tombe. qui assistait impassible aux tortures infligées à tant de malheureux, pour leur arracher des secrets qui n'existaient pas ! C'est l'assassin de sa femme et de ses enfants, que l'histoire a gratifié du surnom de Grand ! C'est Hérode le Bourreau qu'il aurait fallu dire ! Mais nous n'avons pas fini avec cet homme qui a encore un fils à égorger ; roidissons-nous donc contre l'indignation et poursuivons notre récit.

 

 

 



[1] Bell. Jud., I, XXIII, 4. — Le roi Archélaüs, est-il dit dans ce passage, lorsqu'il avait connu les projets conçus par Hérode, au moment de son départ pour Rome, avait écrit en hâte à tous les amis qu'il avait dans la capitale du monde, pour les supplier de prêter assistance à son gendre, dans le triste procès qui allait s'entamer. Pour plus de sûreté, il avait envoyé à Rome Zéphyrius son ami, à la disposition duquel il avait mis une somme de trente talents.

[2] Ant. Jud., XVI, IV, 6. — Bell. Jud., I, XXIII, 7. — Dans ce dernier passage, il est dit qu'Hérode, après avoir terminé sa harangue, embrassa tendrement ses trois fils aux yeux du peuple qu'il congédia ensuite. Les uns se retirèrent priant Dieu que les faits répondissent aux paroles qu'ils venaient d'entendre, les autres, ceux qui désiraient une révolution, faisant semblant de ne les avoir pas entendues.

[3] Bell. Jud., I, XXIV, 1.

[4] La première année de la 192e olympiade coïncide avec l'an 12 avant l'ère chrétienne. A 12 ajoutons 28 pour avoir le commencement du règne d'Hérode, nous retombons sur l'an 40 avant l'ère chrétienne. Or, c'est bien en 40 qu'Hérode reçut du sénat le titre de roi ; il ne s'agit donc pas cette fois d'une année comptée à partir de la prise de Jérusalem par Sossius et de la mort d'Antigone. De plus Césarée, inaugurée en l'an 12 avant l'ère chrétienne, avait été commencée en l'an 22. Dans les Ant. Jud., XV, IX, 6, Josèphe dit que la construction de Césarée dura 12 ans. Si c'est ce dernier chiffre qui est le vrai, les travaux auraient commencé en l'an 24 avant l'ère chrétienne.

[5] Ant. Jud., XVI, V, 1.

[6] Cette ville a perdu son nom grec, pour reprendre de nos jours son nom antique de Cafar-Saba. Antipatris fut fondée en l'an 12 avant l'ère chrétienne.

[7] Au nord de Jéricho existent encore l'Ouad et l'Ayn-Fesaïl, qui marquent l'emplacement de Phasaëlis.

[8] Ant. Jud., XVI, V, 2. — Bell. Jud., I, XXI, 9.

[9] Bell. Jud., I, XXI, 11.

[10] Ant. Jud., XVI, V, 3.— Bell. Jud., I, XXI, 12.

[11] Ant. Jud., XVI, V, 4.

[12] Ant. Jud., XVI, VII, 1.

[13] Bell. Jud., I, XXIV, 1. — Et ces autres, c'étaient presque toujours des familiers d'Alexandre, qu'Antipater gagnait à prix d'argent.

[14] Ant. Jud., XVI, VII, 2. — Bell. Jud., I, XXIV, 2 et 3. — Dans ces derniers passages nous voyons que Glaphyra faisait toujours parade de sa descendance de Temenus par les hommes, et de Darius fils d'Hystaspe, par les femmes.

[15] Bell. Jud., I, XXIV, 5. — Phéroras jouissait d'une rente de 100 talents ; tous les revenus de la région transjordane lui appartenaient : enfin il portait le titre de tétrarque, obtenu pour lui par Hérode de la bienveillance d'Auguste. Josèphe dans ce dernier passage dit que la première femme de Phéroras était sœur de la reine Mariamme : qu'étant devenu veuf, Hérode lui offrit la main de sa propre fille aînée, avec une dot de 300 talents. Phéroras l'ayant refusée, le roi la fit épouser au fils de son frère Phase, mort prisonnier des Parthes.

[16] On alla jusqu'à insinuer à Hérode, que du vivant de la reine Mariamme, son frère Phéroras avait cherché à l'empoisonner, de complicité avec elle, Hérode n'eut garde de laisser tomber cette calomnie. Tous ceux qui lui parurent suspects furent d'abord appliqués à la torture, puis ce fut le tour des amis de Phéroras. Ceux-ci ne révélèrent aucune machination criminelle, mais ils avouèrent que le prince avait formé le projet de se réfugier chez les Parthes avec la femme adorée dont on voulait le séparer, et que ce projet d'évasion avait été combiné avec les conseils et la participation active de Costobare, le second mari de Salomé. Quant à celle-ci, elle ne fut pas exempte de récriminations, car son frère Phéroras l'accusa nettement d'avoir épousé secrètement Syllæus l'Arabe, ministre du roi Obodas. Tout cela fut reconnu vrai, et pourtant Hérode n'en pardonna pas moins à sa sœur, aussi bien qu'à son frère. Il était clément à ses heures. (Bell. Jud., I, XXIV, 6.)

[17] Les propos imprudents de Glaphyra avaient également attisé le feu. Trop souvent en effet elle s'était permis de reprocher à la femme d'Aristobule l'humilité de son extraction, et la pauvre femme. blessée dans son orgueil, avait couru tout répéter en pleurant à sa mère. (Bell. Jud., I, XXIV, 3.)

[18] Bell. Jud., I, XXIV, 3. — Josèphe dit ici que Salomé avertit Hérode que ses fils se récriaient chaque fois qu'il partageait à ses femmes quelques-unes des parures qu'avait laissées leur mère, et juraient que tôt ou tard ils les forceraient bien à ne plus porter que des cilices. au lieu de robes royales.

[19] Ant. Jud., XVI, VII, 3.

[20] Bell. Jud., I, XXIV, 2. — Glaphyra à son côté, ainsi que nous l'avons déjà dit, semblait prendre à tâche d'envenimer les choses. Fière de son origine royale, dont elle faisait incessamment parade, elle répétait, en tonte occasion, qu'elle seule avait droit à tons les honneurs, et que les femmes du Roi avaient été épousées pour leur beauté. mais nullement pour la noblesse de leur origine. Ces propos inconsidérés, cet orgueil insensé n'étaient pas faits pour apaiser les irritations dont Alexandre devait être la victime.

[21] Ant. Jud., XVI, VII, 4.

[22] Ant. Jud., XVI, VII, 5.

[23] Il accusa sa sœur d'avoir épousé en secret Syllæus. (Bell. Jud.. I, XIV, 6.)

[24] Ant. Jud., XVI, VII, 6. — Bell. Jud., I, XXIV, 6.

[25] Bell. Jud., I, XIV, 6.

[26] Ant. Jud., XVI, VIII, 1. — Bell. Jud., I. XXIV, 7.

[27] Ant. Jud., XVI, VIII, 2. — Bell. Jud., I, XXIV, 8.

[28] Ant. Jud., XVI, VIII, 3.

[29] Bell. Jud., I, XXIV, 8.

[30] Ant. Jud., XVI, VIII, 4.

[31] Bell. Jud., I, XXV, 1.

[32] Ant. Jud., XVI, VIII, 5. — Bell. Jud., I, XXIV, 8.

[33] Bell. Jud., I, XXV, 1.

[34] Bell. Jud., I, XXV, 1. — Dans ce passage, Archélaüs, le roi de Cappadoce, qui accourait au secours de son malheureux gendre, nous est présenté comme un comédien de première force. Voici les paroles que Josèphe lui prête, au moment où il arriva devant Hérode : Où est mon scélérat de gendre ? où trouverai-je cette tête parricide pour la déchirer de mes propres mains ? et ma fille aussi je l'unirai dans le même sort à son digne époux : car si elle n'a pas été sa complice, elle n'en est pas moins souillée par son union avec un pareil monstre. J'admire ta longanimité, si Alexandre vit encore, etc., etc.

Je ne me sens pas le courage de traduire jusqu'au bout cette tirade odieuse.

[35] Bell. Jud., I, XXV, 5.

[36] Bell. Jud., I, XXV, 2.

[37] Bell. Jud., I, XXV, 3, 4 et 5.

[38] Bell. Jud., I, XXV, 6. — Il lui donna 70 talents, un trône d'or enrichi de pierreries, des eunuques et une concubine nommée Pannychis. Tous les membres de la famille d'Hérode reçurent de lui l'ordre de faire de splendides présents à Archélaüs.

[39] Ant. Jud., XVI, VIII, 6. — Bell. Jud., I, XXV, 6.

[40] Bell. Jud., I, XXIV, 4.

[41] Ce voyage eut probablement lieu vers l'an 14 avant l'ère chrétienne.

[42] Ant. Jud., XVI, IX, 1.

[43] Ant. Jud., XVI, IX, 2.

[44] Ant. Jud., XVI, IX, 3.

[45] Ant. Jud., XIV, IX, 4.

[46] Bell. Jud., I, XXVI, I. — c'était un homme beaucoup plus fort qu'Archélaüs en fait de fourberies. Quel compliment à l'adresse du roi de Cappadoce !

[47] Bell. Jud., I, XXVI, 1. — Nous lisons dans ce passage que la Grèce entière s'était indignée du luxe affiché par cet Euryclès.

[48] Bell. Jud., I, XXVI, 2.

[49] Ant. Jud., XVI, X, 1. — Bell. Jud., I, XXVI, 4. — Cet Euryclès, dont les méfaits furent deux fois dévoilés à Auguste, se vit enfin exiler, par un jugement en forme de ce prince.

[50] Ant. Jud., XVI, X, 2. — Bell. Jud., I, XXVI, 5. — Dans ce passage Josèphe compare la conduite d'Euryclès à celle d'Evarate de Cos. Celui-ci était l'ami le plus intime d'Alexandre, au moment où Euryclès parut en Judée. Interrogé par Hérode sur les intentions criminelles de son fils dénoncé par le Lacédémonien, Evarate déclara sous la foi du serment, que jamais il n'avait rien entendu de blâmable sortir de la bouche des jeunes princes.

[51] Bell. Jud., I, XXVI, 3.

[52] Ant. Jud., XVI, X, 3.

[53] Ant. Jud.. XVI, X, 4. — Bell. Jud., I, XXVI, 3.

[54] Bell. Jud., I, XXVII, 1.

[55] Ant. Jud., XVI, X, 5.

[56] Ant. Jud., XVI, X, 6.

[57] Bell. Jud., I, XXVII, 1.

[58] Ant. Jud., XVI, X, 7.

[59] Ant. Jud., XVI, X, 8.

[60] Nous trouvons dans Strabon (l. XVI, c. III, p. 6) quelques passages relatifs à ce personnage. Les voici :

L'expédition des Romains contre les Arabes, qui a tout récemment ru lieu de nos jours, sous les ordres d'Aetius Gallus*, nous a fait connaître plusieurs des particularités de leur pays... Mais ce général (Gallus) fut trompé par Syllæus, ministre des Nabatéens ; car quoique cet homme lui eût promis de lui servir de guide dans la route, de le seconder en toute occasion et de lui fournir ce qui serait nécessaire, il se conduisit constamment avec perfidie... etc. Il (Gallus) fit construire cent trente bâtiments de transport sur lesquels il embarqua environ dix mille hommes de pied, faut soldats Romains, pris parmi ceux de l'Égypte, qu'auxiliaires, dont cinq cents Juifs et mille Nabatéens sous la conduite de Syllæus... etc. Ces malheurs eurent pour cause la perfidie de Syllæus... Une autre chose y contribua encore : ce fut la négligence que le roi Obodas (selon le défaut ordinaire des rois Arabes) mettait à l'administration publique et particulièrement aux affaires de la guerre : car il laissait tout à la disposition du ministre Syllæus. Celui-ci placé à la tête de l'armée, conduisait toutes les opérations d'après des intentions perfides. Je soupçonne, quant à moi, qu'il entrait dans ses vues de reconnaître le pats, de soumettre, avec le secours des Romains, quelques villes et quelques peuples, et ensuite de se déclarer maire de tout, après que ces derniers auraient péri victimes de la faim, des fatigues, des maladies, et des autres fléaux dont il les aurait environnés par ses artifices.

Gallus repartit de Leucè-Comè avec son armée par la perfidie de ses guides, il traversa des pays d'une telle aridité, qu'on fut obligé de transporter, à dos de chameau, l'eau (nécessaire) ; aussi ce ne fut qu'après un grand nombre de jours qu'il arriva dans le pays d'Arétas parent d'Obodas ; cet Arétas l'accueillit en conséquence avec amitié, et lui fit des présents ; mais la trahison de Syllæus rendit ce pays inique d'un passage difficile.

Gallus consuma six mois duits les routes oui la perfidie de ses guides l'entraina.

Syllæus fut l'auteur du malheureux succès de l'entreprise ; mais il en porta la peine à Rome ; car, malgré ses protestations d'amitié, ayant été convaincu de perfidie en cette circonstance, et de quelques autres crimes encore, il fut décapité.

(Traduction de Letronne.)

Dans le livre XVII, ch. I, § 22, Strabon mentionne encore une fois Syllæus. Voici le passage :

Nous avons raconté aussi de quelle manière l'expédition que fit Aelius Gallus eu Arabie, avec une partie de la garnison de l'Égypte, prouva que les Arabes étaient incapables de faire la guerre ; il aurait soumis toute l'Arabie heureuse, sans la trahison de Syllæus.

(Traduction de Letronne.)

* Cette expédition avait eu lieu en l'an 24 avant l'ère chrétienne.

[61] Ant. Jud., XVI, X, 9.

[62] Nous avons cru devoir le donner ici in extenso, bien qu'il ne nous fournisse aucune lumière de plus que le récit de Josèphe.

[63] Cette réconciliation doit se placer dans les années 10 à 8 avant l'ère chrétienne.

[64] Bell. Jud., I, XXVII, 1.

[65] Ant. Jud., XVI, XI, 1. — Bell. Jud., I, XXVII, 2.— Nous lisons dans ce passage, que le premier rang y fut donné aux gouverneurs des provinces voisines, convoqués par ordre exprès d'Auguste ; c'étaient Saturninus et Pedanius, avec leurs légats, puis Volumnius le procurateur ; avec eux siégeaient tous les parents et les amis d'Hérode, au nombre desquels se trouvaient Salomé et Phéroras. Quant à ses fils, Hérode eut soin de ne pas leur permettre d'assister à leur jugement, parce qu'il appréhendait que leur présence n'influençât favorablement l'assemblée et que d'ailleurs il ne leur fût trop facile de se disculper.

[66] Ant. Jud., XVI, XI, 2. — Bell. Jud., I, XXVII, 3.

[67] Bell. Jud., I, XXVII, 3.

[68] Ant. Jud., XVI, XI, 3. — Bell. Jud., I, XXVII, 3. — Dans ce dernier passage il est dit simplement qu'après le jugement. Hérode emmena ses fils à Tyr, et, de là par mer, à Césarée, uniquement préoccupé du genre de mort qu'il leur infligerait.

[69] Ant. Jud., XVI, XI, 4.

[70] Dans la Guerre judaïque (I, XXVII, 4) Josèphe prèle d'autres paroles à Téron ; les voici :

Tu me parais le plus malheureux des hommes, toi qui crois les êtres les plus pervers, lorsqu'ils accusent les fils les plus dignes de ta tendresse, toi qui ajoutes foi aux paroles de ce Phéroras et de cette Salomé que si souvent déjà tu as trouvés criminels, et qui l'enlèvent les successeurs les plus dignes, pour faire donner ta couronne à un homme qui sera leur plus cruel ennemi. Prends-y garde, Roi, et réfléchis si tu ne t'aliéneras pas l'armée par le supplice de tes enfants. Il n'y a pas un seul soldat qui n'ait pitié d'eux, et presque tous les officiers s'indignent hautement de ta cruauté à leur égard. Téron eut la maladresse de citer les noms des officiers qui ne dissimulaient pas leurs sentiments, et Hérode donna sur l'heure l'ordre de les arrêter tous, avec Téron et son fils.

[71] Ant. Jud., XVI, XI, 5. — Bell. Jud., I, XXVII, 4.

[72] Ant. Jud., XVI, XI, 6. — Bell. Jud., I, XXVII, 5.

[73] Il est bien difficile de préciser la date de ce meurtre. Nous croyons cependant qu'il eut lieu vers l'an 8 avant l'ère chrétienne.

[74] Ant. Jud., XVI, XI, 7. — Bell. Jud., I, XXVII, 6. — Voici comment Nicolas de Damas raconte ces tristes événements.

(Fragment Codex Escorialensis, f. 74 et 75) : Sur ces entrefaites, l'intérieur d'Hérode fut troublé. En effet, son fils aîné poursuivait de calomnies, en les accusant de conspirer contre la vie de leur père, ses deux jeunes frères, qui, bien qu'inférieurs par lui étaient supérieurs par la naissance, car ils étaient nés d'une reine, tandis que lui-même avait eu pour mère une plébéienne. Avant que Nicolas fût de retour de Rome, les deux jeunes princes avaient été condamnés par une assemblée judiciaire, et leur père furieux voulait les faire exécuter. Dès que Nicolas fut rentré, Hérode l'informa de tout, et le consulta sur la conduite à tenir. Celui-ci supplia le Roi de faire enfermer les deux jeunes gens dans quelque forteresse, jusqu'à ce que le temps lui eût permis de mieux juger les faits, afin que la colère ne lui fit pas accomplir, comme nécessaire, un acte irrémédiable qu'il déplorerait trop tard. Dès qu'Antipater sut ce que Nicolas avait dit, il se méfia de lui, et envoyant coup sur coup à son père des affidés qu'il avait subornés, ils remplirent bientôt son esprit de terreur et lui persuadèrent qu'il périrait par les intrigues des jeunes princes, qui, disaient-ils, avaient gagné l'armée entière et les ministres du palais, s'il ne prenait les devants et ne les faisait mettre à mort sans délai. Hérode, épouvanté, agit avec plus de promptitude que de raison, et ne prenant plus conseil de Nicolas, il envoya de nuit des hommes chargés d'égorger ses enfants. Ils périrent ainsi, mais leur mort fut pour Hérode le commencement de ses malheurs jusque-là tout lui ayant bien réussi.