HISTOIRE D'HÉRODE, ROI DES JUIFS

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

 

Les projets ambitieux qu'Antipater avait certainement conçus étaient enfin réalisés. Il n'avait pu devenir roi lui-même (peut-être ne l'avait-il pas désiré) ; mais son fils l'était.

Que se passait-il en Judée pendant que le sénat attribuait Hérode la couronne que portait encore Antigone ? Celui-ci poussait activement le siège de Massada. La place était, ainsi que nous l'avons dit, abondamment pourvue de vivres ; malheureusement la pénurie d'eau s'y était fait promptement sentir, et était devenue une telle cause de préoccupation pour les assiégés, que Joseph, le frère d'Hérode, résolut, afin de soulager la population, de quitter Massada avec deux cents des siens, et de se réfugier au milieu des Arabes. Il le faisait avec d'autant plus de sécurité, qu'il savait le roi Malchus repentant et affligé de la conduite qu'il avait tenue envers Hérode. La Providence se chargea de modifier ce projet, et une pluie abondante qui survint renouvela l'approvisionnement d'eau et remplit les citernes. Inutile désormais de songer à fuir ! Tout le monde reprit courage, tout le monde crut à une protection miraculeuse de Dieu, et les partisans d'Antigone furent bientôt forcés de déplorer les effets du prétendu miracle. Des sorties furent effectuées coup sur coup par les défenseurs de Massada ; les unes en plein jour, les autres dans le secret de la nuit, et les assiégeants y perdirent beaucoup de monde[1].

Cependant Ventidius, général romain, envoyé en Syrie avec l'ordre d'en chasser les Parthes, était arrivé en Judée et disait hautement qu'il avait pour mission de porter secours à Joseph, le frère d'Hérode ; le vrai, c'est qu'il était en secret bien décidé à profiter des circonstances pour extorquer le plus d'argent possible à Antigone. Ventidius vint donc camper près de Jérusalem, reçut une somme considérable de celui qu'il devait renverser du trône, et s'éloigna aussitôt avec la majeure partie de ses troupes. Pour dissimuler autant que possible cette honteuse trahison, Ventidius laissa au camp Silo avec quelques cohortes. Antigone, qui venait de faire l'expérience de la probité et de l'incorruptibilité des généraux romains, s'aboucha immédiatement avec Silo, dont il paya chèrement l'inaction, et patienta dans l'espérance que les Parthes ne tarderaient pas à revenir à son secours[2].

De son côté, Hérode n'était pas resté inactif. Parti d'Italie le plus promptement possible, il était venu débarquer à Ptolémaïs, et là il avait recruté rapidement une armée composée de Juifs et de mercenaires étrangers. Dès qu'il se vit en main une force respectable, il entra en Galilée et marcha contre Antigone. Antoine avait envoyé Dellius auprès de Ventidius et de Silo pour leur donner l'ordre de seconder les opérations militaires d'Hérode ; leur récolte étant faite, la crainte d'une dénonciation les décida à obéir sans résistance. Ventidius était alors occupé à calmer les cités que la présence des Parthes avait remplies de désordre ; Silo, ainsi que nous l'avons dit, était en Judée, où l'argent d'Antigone le maintenait dans l'inaction la plus complète.

La marche en avant d'Hérode fut marquée chaque jour par un accroissement notable de ses forces. Son armée faisait la boule de neige, et, à bien peu d'exceptions près, toutes les villes, tous les bourgs de la Galilée tombèrent en son pouvoir. Le but qu'il se proposait, avant tout, était de dégager les assiégés de Massada, autrement dit de sauver sa famille entière ; mais, pour cela faire. il était indispensable de se débarrasser de Joppé. Cette ville, en effet, lui étant hostile, devait être prise, pour ne pas laisser à l'ennemi une forteresse placée sur ses derrières, lorsqu'il attaquerait Jérusalem. Silo, qui se sentait mal à l'aise dans la position qu'il s'était faite, saisit cette occasion de s'éloigner, et se mit en mouvement, avant sur les talons les Juifs de Jérusalem qui se lancèrent à sa poursuite. Il était déjà fort compromis, lorsque survint Hérode, qui, à la tête d'une poignée d'hommes, chargea les Juifs, les mit en fuite, et sauva le général romain[3].

Peu après Joppé dut se rendre, et Hérode courut à Massada. Pendant cette expédition, la population du pays vint en hâte se ranger sous les drapeaux d'Hérode : les uns par souvenir de leurs rapports amicaux avec son père ; les autres, entraînés par sa gloire personnelle ; quelques-uns par reconnaissance pour les bienfaits qu'ils avaient reçus de tous les deux ; le plus grand nombre, cela va sans dire, alléchés par les espérances que leur faisait concevoir pour l'avenir l'élévation désormais certaine d'Hérode à la royauté[4].

Pendant que le roi par la grâce des Romains était en marche à la tête de forces considérables, Antigone chercha à profiter du terrain difficile qu'il avait à, traverser, pour lui tendre, dans les lieux favorables, des embuscades qui ne lui firent subir que de très-minces pertes. En peu de jours, Massada était délivrée, la forteresse de Thresa[5] était prise, et Hérode se présentait devant Jérusalem, suivi des troupes de Silo, et d'un grand nombre de Hiérosolymitains que la peur amenait dans les rangs du plus fort[6].

Il vint camper en face de la muraille occidentale de la ville, assez près pour que les gardes de cette muraille pussent lui envoyer des flèches et des projectiles. Quelques-uns d'entre eux sortirent même de la place et vinrent escarmoucher avec les postes avancés. Alors Hérode donna l'ordre de proclamer autour des remparts qu'il n'était venu que pour le bien du peuple et le salut de la ville ; qu'il n'avait aucun désir de punir ses adversaires connus, et que, bien plus, il était décidé à mettre en oubli les actes de ses plus grands ennemis.

Antigone se dépêcha de rendre à Hérode proclamation pour proclamation. La sienne était adressée à Silo et à l'armée romaine. Ils commettraient, disait-il, une grande injustice, s'ils donnaient la royauté à Hérode, homme de basse extraction et Iduméen, c'est-à-dire qui n'était qu'à moitié Juif ; tandis que cette dignité ne pouvait, suivant leur propre coutume, être déférée qu'à des personnages de sang royal. Que s'ils étaient irrités contre lui et avaient décidé de lui enlever la couronne, parce qu'ils l'avait reçue de la main des Parthes, il ne manquait pas de successeurs légitimes qu'ils pouvaient choisir parmi les membres de sa famille ; comme ceux-là n'avaient aucun reproche à recevoir des Romains, contre lesquels ils n'avaient jamais commis aucun méfait, et comme ils étaient de race sacerdotale, ils se verraient avec indignation dépouillés de l'honneur qui leur appartenait de droit.

Pendant que les manifestes des deux adversaires étaient ainsi proclamés autour de la ville, les partis en présence en vinrent naturellement aux injures, et Antigone donna aux siens l'ordre d'éloigner l'ennemi des murailles. Ceux-ci commencèrent à lancer des traits, et le tirent avec une telle ardeur, que les Hérodiens durent s'écarter hors de la portée des tours[7].

En ce moment la conduite de Silo rendit manifeste la corruption qu'il avait acceptée. Il chargea sous main un grand nombre de ses soldats de se répandre partout, de se plaindre à grands cris du manque de vivres, de réclamer leur solde, et de demander qu'on les conduisit à leurs quartiers d'hiver, puisque la campagne environnant Jérusalem avait été dévastée par les soldats d'Antigone qui n'y avaient rien laissé. L'armée romaine ainsi soulevée, Silo se mit en mesure de partir. Mais Hérode survint et fit tête à l'orage. Il supplia les officiels et les soldats placés sous les ordres de Silo de ne pas l'abandonner, lui qui n'était venu que par l'ordre de César, d'Antoine et du sénat. Il leur dit qu'il allait pourvoir sur l'heure à tous leurs besoins, et qu'il lui serait facile de leur fournir en abondance tout ce qu'ils réclamaient. Et de fait, s'étant mis aussitôt en campagne pour accomplir ses promesses, il ne laissa plus à Silo aucun prétexte de défection. En peu de temps il rapporta des vivres en plus grande quantité que personne n'eût osé l'espérer, et pour l'avenir il chargea les amis qu'il avait à Samarie[8] d'envoyer à Jéricho des convois de blé, de vin, d'huile, de bestiaux, et de tous les objets de première nécessité, afin que rien absolument ne manquât au soldat.

Dès qu'Antigone en fut informé, il se hâta de détacher des troupes destinées à intercepter ces convois. Celles-ci allèrent se poster en force dans la région montueuse placée au-dessus de Jéricho, afin de surveiller les caravanes. De son côté. Hérode n'eut garde de rester inactif. Se mettant à la tête de dix cohortes, dont cinq étaient romaines et cinq juives, et se faisant suivre de mercenaires de toutes nations et de quelques cavaliers, il se porta sur Jéricho. Trouvant la ville abandonnée, il fit prisonniers cinq cents hommes qui s'étaient réfugiés dans la citadelle avec leurs femmes et leurs enfants, et leur rendit immédiatement la liberté. Quant aux Romains, ils se ruèrent sur la ville, la mirent au pillage, et y firent un immense butin. Hérode alors laissa une garnison à Jéricho, et revint devant Jérusalem. Il n'y avait plus d'inconvénient désormais à laisser prendre aux Romains leurs quartiers d'hiver, et il les envoya dans les pays qui avaient fait leur soumission, c'est-à-dire en Idumée, en Galilée et en Samarie. Antigone, qui connaissait le faible de Silo, obtint de lui, par un nouvel envoi d'argent, qu'il établit une partie de son armée à Lydda, cherchant ainsi à capter les bonnes grâces d'Antoine. De cette façon les Romains se virent dans l'abondance de toutes choses, et affranchis de tout service de guerre[9].

Si les Romains prenaient du repos, Hérode se gardait bien de les imiter. Antigone était pour lui un obstacle et un épouvantail qu'il fallait détruire à tout prix. La guerre fut donc continuée entre Juifs, sans trêve ni merci. Pendant qu'il dirigeait sur l'Idumée, son frère Joseph à la tête de deux mille fantassins et de quatre cents cavaliers, Hérode se rendait de sa personne à Samarie, y laissait à refuge sa mère et tous les membres de sa famille récemment sortis de Massada, et marchait aussitôt sur la Galilée, pour s'emparer des quelques places tenues par les adhérents d'Antigone[10].

La première qu'il occupa fut Sepphoris (Sefourieh), où il entra en profitant d'une bourrasque de neige. Les soldats d'Antigone s'étant enfuis sans résister. Hérode trouva dans la ville des magasins regorgeant de vivres et de tous les objets de première nécessité. Le pays était infesté par une bande de malfaiteurs qui occupaient des grottes situées auprès d'un village nommé Arbèles[11]. Hérode envoya contre eux une aile de cavalerie et trois cohortes d'infanterie, chargées de les anéantir, ou tout au moins de mettre obstacle à leurs déprédations. Ces troupes étant trop faibles pour venir à bout des bandits, la répression traînait en longueur. Hérode alors se décida à marcher contre eux avec toute son armée, et il arriva sur le terrain, lorsque, depuis quarante jours, on ne pouvait avoir raison des ennemis. Leur succès les avait exaltés au point qu'ils n'hésitèrent pas à courir au-devant d'Hérode. L'aile gauche de celui-ci avait déjà été rompue et mise en déroute, lorsqu'il intervint avec le corps dont il s'était réservé le commandement (c'était son aile droite) ; en peu de temps il changea la face du combat : de vainqueurs qu'ils étaient, les bandits devinrent aussitôt des vaincus, et prirent la fuite[12]. Ils furent poursuivis jusqu'au Jourdain l'épée dans les reins, franchirent le fleuve et se dispersèrent dans tous les sens. La Galilée entière se trouvant ainsi soumise, à l'exception des cavernes encore occupées par un certain nombre de bandits, Hérode distribua à ses soldats une gratification de cent cinquante drachmes par tête. Les officiers furent plus généreusement récompensés, et l'armée fut renvoyée pour prendre ses quartiers d'hiver. Au même moment arrivaient au camp d'Hérode Silo et les autres chefs placés à la tête des postes occupés par les Romains, pendant le repos de l'hivernage ; Antigone venait de refuser de leur continuer les envois de vivres qu'il leur avait promis, mais qu'il n'avait fournis que pendant un mois seulement. Il avait fait mieux encore, il avait intimé l'ordre aux populations de toutes les campagnes environnantes de les dépouiller complètement, et de se retirer dans la région montueuse, afin que les Romains, manquant de tout, mourussent de faim. Il fallait donc, bon gré, mal gré, avoir recours à Hérode dans cette extrémité, et telle était la cause de la venue de Silo et de ses subordonnés. Hérode n'était pas homme à négliger cette occasion de faire cesser à son profit la neutralité intéressée des Romains, neutralité dont il n'avait eu que trop à se plaindre jusque-là. Il chargea donc son plus jeune frère Phéroras de pourvoir à tous les besoins des détachements, et lui donna en outre pour mission de remettre en état la forteresse d'Alexandrium. Aussitôt Phéroras se mit à l'œuvre ; l'abondance revint dans les localités occupées par les troupes romaines, et Alexandrium se releva de ses ruines[13].

A cette époque, Antoine était à Athènes, et Ventidius en Syrie. Celui-ci, qui se préparait à attaquer les Parthes, réclama l'assistance de Silo, mais en lui enjoignant de seconder d'abord Hérode dans la campagne qu'il avait entreprise ; il ne devait lui amener des renforts qu'après avoir accompli la première partie de son mandat. Hérode, qui, en ce moment, voulait en finir avec les bandits qui occupaient les cavernes d'Arbèles, se crut parfaitement en mesure de se passer de l'assistance de Silo, qu'il envoya rejoindre Ventidius ; puis il se porta sur Arbèles.

Les cavernes qu'il s'agissait d'enlever étaient creusées dans des flancs extrêmement abrupts ; leur ouverture était située à peu près à mi-hauteur, d'un accès très-dangereux, et entourée de tous les côtés de roches aiguës. Telles étaient les retraites où les bandits s'étaient établis avec leurs serviteurs. Il n'y avait aucun moyen d'attaquer de front des forteresses de cette nature. Impossible en effet d'y atteindre, soit en partant d'en bas, grâce à la verticalité des rochers, soit en se glissant et en rampant à partir du sommet. Hérode dut s'ingénier, et il trouva le moyen suivant d'y arriver. Il fit faire d'énormes caisses, assez semblables à des barques ; puis il les suspendit à des chaînes de fer qui, se déroulant sur des treuils fixés au sommet de l'escarpement, amenaient les caisses au niveau des cavernes. Ces caisses étaient remplies d'hommes armés, munis de longs crochets, propres à saisir les défenseurs et à les attirer pour les lancer dans le gouffre ouvert sous leurs pieds. Un pareil système de descente n'était pas sans danger, grâce à la hauteur immense des rochers, et quoique les caisses fussent pourvues de tout ce qui pouvait devenir nécessaire à un moment donné.

L'opération commença ; lorsque les caisses furent arrivées à hauteur des orifices, personne n'osa en sortir ; tous étaient saisis d'une crainte assez naturelle, il faut l'avouer, et se tenaient dans l'immobilité. On vit alors un des soldats, honteux sans doute des hésitations de ses compagnons, saisir des deux mains la chaîne à laquelle était suspendue la caisse qui l'avait apporté, et s'élancer vers l'entrée de la caverne, en face de laquelle il se trouvait. Il était armé de javelots, d'une épée et d'un croc. Dès qu'il fut arrivé à la porte de la caverne, il culbuta d'abord à coups de javelots les hommes qui se présentèrent ; ceux qui tentèrent de résister, il les lança à l'aide de son croc dans le précipice. Lorsqu'il eut enfin pénétré dans la caverne, il attaqua à coups d'épée ceux qui se tenaient cachés dans ses profondeurs et en égorgea un certain nombre. Puis il regagna la caisse pour y prendre un repos dont il avait grand besoin.

Les cris de détresse poussés par ceux qui venaient d'être attaqués et si rudement traités, avaient jeté la terreur et le désespoir dans les cavernes voisines. Tout eût pu être terminé promptement ; mais la nuit qui survint fit suspendre l'action. Beaucoup des assiégés demandèrent à se rendre et furent admis à composition par Hérode. Les autres furent attaqués de nouveau au point du jour et à l'aide des mêmes moyens. L'exemple de la veille avait encouragé les assaillants : aussi vit-on cette fois se multiplier les traits d'audace, semblables à celui du premier soldat qui avait envahi l'une des cavernes. Cependant, il faut le dire, c'était plutôt du haut de leurs caisses de bois que les partisans d'Hérode combattaient. De là ils jetaient des brandons enflammés dans les grottes, où beaucoup de bois se trouvait entassé. Un vieillard y était enfermé avec sept enfants et sa femme. Étouffés par l'incendie, ils suppliaient le père de leur permettre de sortir et de se rendre. Mais celui-ci, se postant à l'entrée de la caverne, égorgea chacun de ses enfants à mesure qu'il sortait, et quand il les eut tous tués et après eux sa femme, il lança leurs corps dans le précipice et se jeta lui-même sur leurs cadavres, préférant la mort à la servitude. Il mourut en accablant Hérode d'injures sanglantes sur la bassesse de son origine, et en rejetant avec mépris la main et le salut que le nouveau roi, présent à cet événement tragique, lui offrait avec insistance.

Ce fut de cette façon que toutes les cavernes d'Arbèles furent successivement enlevées[14].

Cette expédition difficile une fois achevée, Hérode, laissant le commandement du reste de l'année à Ptolémée, partit pour la Samarie à la tête de six cents cavaliers et de trois mille fantassins, afin d'aller combattre Antigone. La confiance d'Hérode coûta cher à ce Ptolémée, car les fauteurs des troubles qui avaient ensanglanté la Galilée vinrent l'attaquer à l'improviste. Il perdit la vie dans le combat, et les insurgés, se réfugiant ensuite dans des marais et clans des lieux inaccessibles, désolèrent le pays entier par leurs incursions et leurs dévastations. Hérode dut revenir sur ses pas pour leur infliger le juste châtiment de leurs méfaits. Une partie d'entre eux périrent les armes à la main ; les autres, qui s'étaient enfermés dans des places fortes, furent pris et mis à mort ; leurs refuges furent rasés. Après avoir ainsi réprimé l'esprit de rébellion, le nouveau roi imposa aux villes une contribution de guerre de cent talents[15].

Sur ces entrefaites, les Parthes avaient été vaincus, et Pacorus lui-même était resté sur le carreau ; Ventidius, alors, par l'ordre d'Antoine, envoya au secours d'Hérode Machæras, à la tête de deux légions et de mille hommes de cavalerie. Mais ce Machæras, gagné par l'argent d'Antigone qui l'appelait à lui, trompa l'attente d'Hérode et s'éloigna comme s'il avait déjà trop de ses propres embarras. Antigone, ne se fiant pas, et en cela il avait raison, à un homme qui se laissait corrompre, ne voulut pas le recevoir, et le fit repousser à coups de fronde, montrant ainsi ouvertement quels étaient ses sentiments à l'égard des Romains. Machæras, comprenant alors qu'il avait trahi ses propres intérêts en trahissant la cause d'Hérode, se retira à Emmaüs, tuant sur son chemin tous les Juifs qu'il rencontrait, sans s'inquiéter s'ils étaient amis ou ennemis, tant était grande sa fureur en pensant à ce qui venait de lui arriver[16]. Hérode, irrité de ces procédés de furieux, se rendit immédiatement à Samarie. Son intention était d'aller se plaindre en personne à Antoine et de lui signifier qu'il n'avait pas besoin d'alliés qui lui faisaient plus de mal à lui-même qu'à ses ennemis ; que, d'ailleurs, il se sentait assez fort pour venir tout seul à bout d'Antigone.

Machæras s'empressa d'accourir auprès de lui pour le supplier de suspendre son départ, ou du moins, s'il tenait trop à faire ce voyage, de lui adjoindre son frère Joseph pour l'aider à assiéger Antigone dans la capitale. Hérode se laissa toucher par les supplications de Machæras et se réconcilia avec lui. Puis, laissant Joseph à la tête de ses troupes, il lui recommanda expressément de ne pas s'exposer à entamer la guerre et d'éviter tout dissentiment avec Machæras[17].

Cela fait, Hérode partit en hâte pour aller rejoindre Antoine qui était alors occupé au siège de Samosate[18], place forte située sur les bords de l'Euphrate. Il n'emmenait avec lui que la cavalerie et l'infanterie de sa garde personnelle. Arrivé à Antioche, il trouva un grand rassemblement des partisans d'Antoine qui, désireux de le rejoindre, n'osaient cependant se mettre en route, dans la crainte d'une attaque des barbares ; Hérode leur rendit courage et s'offrit à les conduire. Quand ils furent parvenus à deux journées de marche de Samosate, ils trouvèrent les barbares établis dans des postes retranchés, d'où ils inquiétaient les convois destinés au camp d'Antoine. Des détachements nombreux de cavalerie occupaient des embuscades à toutes les issues par lesquelles on devait sortir des forêts pour gagner la plaine, avec la consigne de se tenir tranquilles jusqu'à ce que les troupes conduites par Hérode fussent engagées dans des lieux ouverts. Aussitôt que la tête de la colonne eut franchi le point dangereux, cinq cents cavaliers, s'élançant des points où ils étaient restés cachés, fondirent sur l'arrière-garde à laquelle Hérode s'était placé. Les premiers attaqués ainsi à l'improviste prirent la fuite, mais Hérode. chargeant vigoureusement l'ennemi, le culbuta en un clin d'œil. Ce fait d'armes releva le courage de ses soldats et leur permit de respirer ; puis, ceux qui avaient déjà tourné les talons étant venus reprendre leurs rangs, les barbares furent poursuivis et massacrés de tous les côtés. Le plus ardent de tous à leur poursuite était Hérode, qui, après leur avoir repris une grande quantité de bêtes de somme et de serviteurs qu'ils avaient enlevés, continua sa route. Des bois voisins de l'entrée de la plaine sortirent en vain des nuées d'assaillants. Ils furent battus à plate couture à leur tour et mis en fuite, laissant sur le terrain un grand nombre de morts. Après ce nouveau succès, la route ne présenta plus d'obstacle, et les hommes que convoyait Hérode l'appelèrent leur protecteur et leur sauveur[19].

Lorsque la troupe arriva à proximité de Samosate, Antoine envoya en grande pompe son armée au-devant d'Hérode, tout à la fois pour lui faire honneur et pour le protéger au besoin, car il avait appris l'attaque qu'il avait subie de la part des barbares. A son arrivée, Antoine témoigna la plus vive joie, et apprenant de lui-même tout ce qu'il avait eu d'obstacles à vaincre pendant la route, il lui fit un accueil des plus gracieux ; il le félicita hautement de sa bravoure et l'embrassa à la vue de toute l'armée, lui rendant ainsi des honneurs plus grands que ceux qui étaient raisonnablement dus par lui à l'homme auquel il avait, depuis si peu de temps, donné lui-même la couronne royale.

Lorsque la ville eut été évacuée par Antiochus, la guerre se trouva finie[20] ; Antoine, alors, laissa le commandement à Sossius, auquel il donna l'ordre d'aider Hérode, puis il partit pour l'Égypte. Sossius s'empressa d'envoyer d'avance deux légions en Judée, où il les suivit bientôt lui-même à la tête d'un corps plus considérable[21].

Pendant que ces événements s'accomplissaient sur les bords de l'Euphrate, Joseph, frère d'Hérode, avait péri en Judée de la manière suivante. Oubliant les instructions que son frère lui avait laissées en partant pour aller rejoindre Antoine[22], il s'en fut camper dans la région montueuse. Machæras lui ayant adjoint cinq cohortes, il courut sur Jéricho dont il voulait enlever les moissons. Malheureusement le contingent romain était composé de recrues inexpérimentées, tout récemment levées en Syrie. L'ennemi l'assaillit à l'improviste dans des positions défavorables, et, malgré les efforts de Joseph, qui périt en combattant avec la plus brillante bravoure, cette petite armée fut anéantie ; elle était composée de six cohortes entières[23]. Antigone, maître du champ de bataille, fit trancher la tête au cadavre de Joseph, quoique Phéroras, son frère, offrit de le racheter au prix de cinquante talents. Cet indigne traitement devait être cruellement puni !

Les Galiléens, alors, se révoltant contre les chefs de leur nation, s'emparèrent des partisans d'Hérode et les noyèrent dans le lac de Génésareth. La rébellion ne tarda pas à envahir toute la Judée, et Machæras se vit obligé de se retirer et de se retrancher dans la petite forteresse de Gittha[24].

Hérode était en route pour revenir de Samosate en Judée. Arrivé à Daphné, près d'Antioche, il vit en rêve le triste sort de son frère. et tourmenté de funestes pressentiments, il attendit, là des nouvelles. Elles ne tardèrent pas à lui arriver, et il apprit bientôt tout ce qui s'était passé depuis son absence. Avide de vengeance, il se mit en marche en toute hâte. Lorsqu'il eut atteint les pentes du Liban, il leva environ huit cents hommes du pays, et avec une légion romaine qui l'accompagnait il se porta à marches forcées sur Ptolémaïs. A peine entré dans cette ville, il en repartit de nuit avec son armée et envahit la Galilée. Des partisans d'Antigone quittèrent la place forte qu'ils occupaient pour s'opposer à son passage ; ils furent défaits et rejetés derrière les murailles qu'ils avaient bravement quittées la veille. Au point du jour ils fuient attaqués ; mais une violente tempête survint qui empêcha de poursuivre les opérations du siège, et Hérode envoya son armée se réfugier dans les bourgades voisines.

Sur ces entrefaites, une seconde légion romaine, envoyée par Antoine, étant arrivée, les assiégés prirent peur el profitèrent de la nuit pour évacuer leur citadelle[25]. Hérode passa outre, marchant en hâte sur Jéricho, avec le dessein bien arrêté de venger la mort de son frère.

Lorsque le camp fut établi, Hérode convia tous les chefs de son armée à un banquet. La fête terminée, le roi se retira, après avoir congédié tous ses convives, et il alla se mettre au lit. A peine y était-il que le toit de la salle du festin s'écroula. Il semblait en vérité que la Providence, par bienveillance pour Hérode, eût voulu que cet accident n'arrivât que lorsqu'il ne pourrait plus faire de mal à personne. Ce fut du moins là ce que l'on pensa généralement, et l'on trouva une preuve de la protection divine dans cet affreux danger auquel le roi n'avait échappé que par miracle. Celui-ci, de son côté, vit dans cet accident le pronostic certain d'un danger qu'il allait courir[26] les armes à la main.

Le lendemain. six mille ennemis, descendant à l'improviste des montagnes qui dominent Jéricho, jetèrent quelque trouble parmi les troupes romaines, qui ne s'attendaient pas à cette attaque subite. Ceux des partisans d'Antigone qui étaient armés à la légère marchaient bravement en tête, et se trouvèrent bientôt en face des gardes du corps d'Hérode, accourus en hâte au combat. Ils les assaillirent à coups de javelots et de pierres, et Hérode reçut lui-même dans le flanc une blessure faite par un javelot[27].

Antigone tenait apparemment à faire croire à ses ennemis qu'il était en mesure de leur faire la guerre pour son plaisir. Car, au lieu de concentrer tous ses efforts sur un seul point, il avait fait marcher sur Samarie un corps de troupes que commandait un certain Pappus. Celui-ci alla donc tenir Machæras en échec. Mais Hérode, tout blessé qu'il était, avait été favorisé par les armes. L'ennemi repoussé se retira dans cinq petites villes ou bourgades qui furent enlevées coup sur coup. Deux mille prisonniers furent passés au fil de l'épée, et une fois les villes livrées aux flammes, Hérode se mit immédiatement à la poursuite de Pappus, qui était campé près d'un village nommé Isanæ[28]. Des renforts lui arrivant incessamment de Jéricho et de la Judée, il n'attendit pas l'attaque d'Hérode, et prévint celui-ci en murant au-devant de lui. Mal lui en prit ; il vint se heurter à un ennemi altéré de vengeance, fut défait presqu'au premier choc, et dut s'enfuir dans Isanæ, où les Hérodiens le poursuivirent en lui tuant beaucoup de monde. Pappus et les siens s'enfermèrent dans les maisons, dont ils occupèrent les terrasses. Mais Hérode s'empara rapidement de celles-ci, fit défoncer les plafonds des habitations remplies d'hommes armés, que l'on se mit à écraser d'en haut sous une grêle de grosses pierres. Pendant toute la durée de cette guerre, on ne vit jamais spectacle aussi affreux que celui présenté pilé les monceaux de cadavres entassés les uns sur les autres. Ce revers abattit naturellement l'ardeur des partisans d'Antigone, qui, cette fois, commencèrent à douter de l'avenir. Aussi apercevait-on au loin des bandes de fuyards qui se dispersaient de tous les côtés. Sans les rigueurs de la saison d'hiver qui régnait alors, l'armée d'Hérode, exaltée par sa victoire, eût immédiatement envahi Jérusalem, et terminé la guerre d'un seul coup ; car Antigone en ce moment songea sérieusement à fuir, et à s'éloigner de la capitale[29].

Le roi (c'est d'Hérode que nous parlons), lorsque le soir fut venu, permit à ses soldats d'aller se reposer et prendre leur repas. Lui-même, fatigué par cette journée si bien employée. s'était retiré dans une des maisons du bourg et se disposait à se baigner, lorsqu'il courut un énorme danger, auquel, cette fois encore, la Providence voulut qu'il échappât. Il s'était dépouillé de ses vêtements et faisait ses ablutions à l'intérieur de la maison, en compagnie seulement d'un jeune serviteur qui l'avait suivi, sans se douter qu'il était pour ainsi dire entre les mains d'ennemis, que la peur avait poussés à se cacher dans le même édifice. Tout à coup, un homme sort de sa cachette en brandissant son épée, et se précipite vers la porte ; puis un second, puis un troisième, également armés, et plusieurs autres encore. Leur stupéfaction fut extrême en reconnaissant Hérode et ils ne songèrent qu'il sortir de là eux-mêmes, sans que l'idée leur vint de porter un seul coup au roi[30].

Le lendemain, Hérode envoyait à Phéroras la tête de Pappus, dont on avait retrouvé le cadavre parmi les morts, et Joseph se trouvait ainsi vengé, car c'était de la main même de Pappus qu'il avait péri[31].

Lorsque la saison d'hiver fut passée. Hérode conduisit son armée à Jérusalem, et vint camper à proximité à via ville, Il y avait à ce moment trois ans déjà qu'il avait reçu à Rome le titre de roi. Puis, il se rapprocha plus encore des murailles, et vint s'établir au véritable point d'attaque, c'est-à-dire en face du Hiéron. Son dessein était de suivre l'exemple de Pompée et de conduire le siège qu'il allait entreprendre, en se conformant au plan d'attaque du général romain. Trois aggeres furent poussés en avant, et des tours furent élevées à grand'peine. en utilisant tous les arbres du voisinage.

Puis, aussitôt que ces ouvrages furent commencés, Hérode préposa a leur garde des officiers de choix. les opérations devant rester suspendues, et il se rendit à Samarie pour célébrer enfin son mariage avec la fille d'Alexandre, fils d'Aristobule, à laquelle il était fiancé depuis longtemps[32].

Lorsque les cérémonies nuptiales furent terminées. Sossius arriva par la côte de Phénicie. Déjà des troupes romaines l'avaient précédé par les routes de l'intérieur des terres et lui-même amenait une multitude de soldats de toutes armes. De son côté, le roi revint de la Samaritide, à la tête d'une armée considérable, composée de vétérans et de nouvelles recrues. Cette armée comptait à peu près trente mille combattants. Tout ce monde vint camper au nord de la ville, et presqu'au pied des murailles. Ce renfort se composait de onze corps d'infanterie ou cohortes, de six mille cavaliers, outre les auxiliaires fournis par la Syrie. L'armée de siège avait donc deux chefs : Sossius, envoyé par Antoine, pour seconder Hérode, et celui-ci, qui s'était placé sous les ordres du Romain. Le but de Sossius était de renverser Antigone, qui avait été déclaré ennemi de Rome, et de mettre sur le trône à sa place Hérode, à qui un sénatus-consulte avait octroyé la royauté[33].

Les Juifs cependant, car la nation entière semblait réunie, s'apprêtaient à repousser Hérode avec courage et ardeur, tant était grande leur aversion pour l'usurpateur étranger. Enfermés dans leurs murailles, les chefs promettaient le succès au peuple. et lui affirmaient que Dieu le délivrerait du danger qui semblait le menacer. Toutes les campagnes des environs avaient été dépouillées, afin qu'il n'y restât plus de vivres, ni pour les hommes, ni pour les bêtes. Des sorties opérées en secret venaient constamment entraver l'approvisionnement de l'armée assiégeante[34]. Hérode alors disposa des embuscades contre les sorties, et envoya au loin des détachements chargés de requérir tout ce dont l'armée avait besoin, si bien qu'en peu de temps on vit s'ouvrir un marché où tous les objets de première nécessité se trouvaient en abondance.

Comme il y avait toujours un grand nombre de travailleurs de service, les trois aggeres furent facilement achevés. On était d'ailleurs dans la belle saison, et leur construction n'avait été ralentie ni par le mauvais temps, ni par la négligence des travailleurs. Les machines de siège furent immédiatement montées et le battage des murailles commença. Cela n'intimida en rien les assiégés ; loin de là. Ils imaginaient et mettaient. en œuvre, de leur côté, une foule de stratagèmes contre les assiégeants. Des sorties livraient aux flammes les ouvrages en partie commencés, en partie achevés. En un mot, lorsque les Juifs en venaient aux mains avec leurs ennemis les Romains, ils déployaient tout autant de bravoure qu'eux, s'ils leur étaient inférieurs en science et en pratique des combats. Pour résister au jeu des machines, ils construisaient de nouvelles murailles derrière celles qui étaient entamées ; sous terre ils soutenaient une véritable guerre de mines ; enfin, poussés par le désespoir, plutôt que suivant un plan de défense mûrement combiné, ils faisaient une guerre sans merci[35], bien qu'ils fussent bloqués par une armée considérable et qu'ils eussent à souffrir de la famine et du manque de tout ; car malheureusement cette année tombait justement sur une année sabbatique[36].

Enfin, la muraille fut forcée, d'abord par vingt hommes déterminés, et, aussitôt après, par les centurions de Sossius. La première enceinte avait été prise en quarante jours et la seconde en quinze. Certaines parties des portiques du Hiéron avaient été incendiées, et Hérode ne manqua pas de mettre ce fait à la charge d'Antigone, tant il avait à cœur d'exciter l'animosité des Juifs contre lui.

Lorsque le Hiéron extérieur et la ville basse eurent été enlevés, les Juifs se réfugièrent dans le Hiéron intérieur et dans la ville haute. Craignant alors que les Romains ne missent obstacle aux sacrifices quotidiens et aulx cérémonies du culte. les assiégés envoyèrent une députation demander qu'il leur fia permis d'introduire seulement des victimes pour le service du temple. Hérode s'empressa d'acquiescer à la requête qui lui était adressée, dans l'espoir que cette preuve de piété, et de bienveillance tout à la fois, déterminerait les assiégés à capituler. Il ne tarda pas comprendre qu'il s'était grandement trompé. Les partisans d'Antigone se montraient plus audacieux et plus résolus que jamais. La force des armes seule pouvait avoir raison d'hommes si énergiques ; la ville reçut donc un assaut violent qui réussit, et elle fut immédiatement envahie et livrée toutes les horreurs. Les Romains en effet étaient exaspérés par la longue durée du siège, et les Hérodiens ne voulaient rien laisser aux Juifs de ce qu'ils pouvaient utiliser contre eux. Le carnage fut immense. Dans les nielles, dans les maisons, dans le temple même, tous ceux qui s'y étaient entassés, espérant y trouver un asile, étaient égorgés, sans que le fer épargnât les vieillards, les enfants et les femmes.

Josèphe affirme qu'Hérode envoya de tous les côtés supplier les vainqueurs de faire grâce de la vie à ces malheureux ; nous pouvons le croire, puisqu'il s'agissait maintenant de son peuple, et qu'il tenait sans doute à régner sur des vivants. Ordres et prières furent vains. Pas un soldat ne consentit à remettre le glaive au fourreau. Ivres de rage, ils continuèrent à massacrer, sans s'inquiéter ni de l'âge, ni du sexe de leurs victimes.

On vit alors Antigone, oubliant sa fortune passée, aussi bien que sa fortune présente, descendre de la forteresse Baris, et venir se jeter aux pieds de Sossius. Celui-ci, sans pitié pour une aussi grande infortune, céda à un mouvement de brutalité indigne d'un homme de cœur, et insulta grossièrement le malheureux prince qui se rendait à merci. Jouant lâchement sur son nom, il l'appela Antigona ; mais il n'eut pas la générosité de le traiter comme une femme, s'il lui en donnait le nom, et il le fit charger de chaînes[37].

Aussitôt que Jérusalem fut prise, Hérode, enfin débarrassé de ses ennemis, dut se pi occuper de la violence de ses alliés et des auxiliaires étrangers qui avaient pris part à la victoire. Ces derniers en effet, poussés par une curiosité ardente, se portaient en foule vers le temple, pour voir ce qui s'y trouvait. Le roi, car désormais nous pouvons donner à Hérode ce titre qui n'avait plus de compétiteur, le roi parvint à mettre obstacle au dessein de la foule, ici par des prières, lit par des menaces, quelquefois par la force des armes. Il eût en effet regardé la victoire comme plus triste qu'une défaite, si les yeux de ces hommes avaient pu scruter à l'aise ce qu'il était interdit aux Juifs eux-mêmes de contempler.

Il réussit de même à arrêter le pillage et le massacre, par ses instances auprès de Sossius qui n'était que trop disposé à laisser faire ses soldats. Les Romains entendent-ils donc, ne cessait de lui répéter Hérode, que, lorsqu'il n'y aura plus ni une drachme, ni un être vivant dans Jérusalem, vous me laissiez régner sur le désert ? Je ne voudrais pas de l'empire du monde entier, si je devais le payer au prix du sang de tant de citoyens. Nous éprouvons, hâtons-nous de le dire, quelque plaisir à enregistrer ces paroles d'Hérode, parce qu'elles reflètent un bon sentiment ; mais ne reflètent-elles en réalité que cela ? Nous n'oserions l'affirmer, car nous apercevons l'esprit du souverain à travers le vomir de l'homme. Quoi qu'il en soit, Sossius répondit ce qu'il devait répondre, lui qui ne se souciait pas plus de Jérusalem que des Juifs : Mes soldats ont assez enduré de privations et de fatigues pendant ce long siège, pour que je leur doive une gratification, et je n'en ai pas d'autre à leur offrir que le butin qu'ils feront dans la ville prise par eux. Hérode s'empressa de lui promettre qu'il les récompenserait largement lui-même et de sa bourse. Dans ces conditions. le marché fut vite conclu, et ce qui restait de la ville fut sauvé.

Hérode, du reste, remplit magnifiquement l'engagement qu'il avait pris. Chaque soldat toucha une somme considérable, les chefs furent traités en proportion, et Sossius lui-même reçut un présent digne d'un roi ; si bien que les Romains étaient tous véritablement enrichis lorsqu'ils quittèrent la Judée[38].

Jérusalem subit cette nouvelle catastrophe sous le consulat de Mucus Agrippa et de Caninius Gallus, dans la cent quatre-vingt-cinquième olympiade[39], le troisième mois de l'année et le jour de la solennité du jeûne. Sa date coïncidait à point nommé avec celle de la prise de Jérusalem par Pompée ; car Jérusalem fut prise par Pompée et par Sossius, jour pour jour, a vingt-sept ans d'intervalle[40].

Sossius, après avoir consacré une couronne d'or au Dieu des Juif, quitta Jérusalem, emmenant Antigone chargé de fers, pour le remettre entre les mains d'Antoine. C'est alors qu'Hérode donna carrière à son abominable nature. Craignant qu'Antigone, si Antoine lui conservait la vie et le conduisait à Rouie, ne parvint à plaider sa cause devant le sénat, en faisant valoir son origine royale et en remontrant que son rival était de basse extraction, craignant surtout qu'il ne réussit à faire comprendre que, s'il restait lui-même prisonnier à Rome, ses fils, du moins, avaient, par leur naissance des droits imprescriptibles à la couronne ; Hérode, à prix d'argent, obtint, d'Antoine la mise à mort d'Antigone. Le supplice de ce malheureux prince pouvait seul lui donner quelque sécurité pour l'avenir, et il ne recula devant aucun sacrifice pour souiller sa mémoire de ce meurtre infâme[41].

C'est ainsi que finit la dynastie asmonéenne. après une durée de cent vingt-six ans. Cette dynastie fut illustre entre les plus illustres, et par la noblesse de son origine, et par l'éclat du souverain pontificat, et surtout par les services signalés que ses membres avaient rendus à la nation juive. Ce qui la perdit, ce fut la division qui se glissa parmi les membres de cette malheureuse famille ; la royauté qui lui fui enlevée devint l'apanage d'un Hérode, d'un fils d'Antipater, homme issu d'une race plébéienne, accoutumée jusque-là à fournir des serviteurs aux rois. Triste exemple des funestes conséquences qu'entraînent les dissensions des princes issus du rame sang, lorsque se trouvent à côté d'eux, et mêlés à leurs conseils, des intrigants dépravés[42].

Nous allons voir Hérode à l'œuvre, maintenant que le terrain est à peu pris déblayé devant lui, et que l'autorité royale dont il est revêtu lui permettra de ne reculer devant aucun crime.

 

 

 



[1] Bell. Jud., I, XV, 1. — Ces sorties ne furent pas toujours heureuses, et parfois les partisans d'Hérode furent vigoureusement refoulés dans la place.

[2] Ant. Jud., XIV, XIV, 6. — Bell. Jud., I, XV, 2.

[3] Bell. Jud., I, XV, 3.

[4] Ant. Jud., XIV, XV, 1. — Bell. Jud., I, XV, 4.

[5] Dans la Guerre judaïque, le nom de cette forteresse est écrit Résa ('Ρησαν).

[6] Bell. Jud., I, XV, 4.

[7] Ant. Jud., XIV, XV, 3. — Bell. Jud., I, XV, 5.

[8] Cette ville en effet avait pris parti pour Hérode. (Bell. Jud., I, XV, 6.)

[9] Ant. Jud., XIV, XV, 3. — Bell. Jud., I, XV, 6.

[10] Bell. Jud., I, XVI, 1.

[11] Ces cavernes, qui portent aujourd'hui le nom de Qalaat-ibn-Mâan, se trouvent taillées dans le flanc de l'Ouad-el-Ammâm, qui vient aboutir à la plaine de Génésareth, au nord-ouest d'el-Medjdel, la Magdala des Évangiles. Proche de ces cavernes existe toujours un village du nom d'Irbil, identique avec l'Arbèles de Josèphe.

[12] Bell. Jud., I, XVI, 2.

[13] Ant. Jud., XIV, XV, 4. — Bell. Jud., I, XVI, 3.

[14] Ant. Jud., XIV, XV, 5. — Bell. Jud., I, XVI, 3.

[15] Ant. Jud., XIV, XV, 6. — Bell. Jud., I, XVI, 5.

[16] Bell. Jud., I, XVI, 6. — La version présentée dans la Guerre judaïque diffère de celle que nous trouvons dans les Antiquités. La voici : Antigone tenta de suborner Machæras, en lui faisant les plus belles promesses. Mais celui-ci, qui ne se sentait pas de force à résister aux ordres qu'il avait reçus, et qui d'ailleurs trouvait les promesses d'Hérode plus dignes de considération, fit semblant d'accepter les offres d'Antigone, et s'avança, malgré les conseils d'Hérode qui s'efforçait de l'en dissuader. Antigone, devinant la pensée de Machæras, lui ferma les portes de Jérusalem, et le fit repousser du pied des murailles, en le traitant en ennemi. Machæras, honteux, se replia sur Emmaüs où se tenait Hérode ; mais, irrité de sa mésaventure, il fit tuer en chemin tous les Juifs qu'il rencontra, sans s'inquiéter de savoir s'ils étaient amis ou ennemis.

[17] Ant. Jud., XIV, XV, 7. — Bell. Jud., I, XVI, 7.

[18] En 38 avant l'ère chrétienne.

[19] Ant. Jud., XIV, XV, 8.

[20] Bell. Jud., I, XVI, 7.

[21] Ant. Jud., XIV, XV, 9. — Bell. Jud., I, XVII, 2.

[22] Hérode avait jugé Machæras à ses œuvres, et à n'avait aucune confiance en lui. (Bell. Jud., I, XVII, 1.)

[23] Bell. Jud., I, XVII, 1.

[24] Ant. Jud., XIV, XV, 10. — Bell. Jud., I, XVII, 2.

[25] Bell. Jud., I, XVII, 3.

[26] Ant. Jud., XIV, XV, 11. — Bell. Jud., I, XVII, 4.

[27] Bell. Jud., I, XVII, 1.

[28] Cette ville est sans doute la même dont il est question sous le nom de Ieschana dans le IIe livre des chroniques, chap. VIII, verset 19 : Abias poursuivit Jéroboam et lui enleva les villes de Bethel avec ses dépendances, de Ieschana avec ses dépendances et d'Ephron avec ses dépendances. Dans le passage parallèle de la Guerre judaïque, il est dit que le camp d'Hérode était établi près du bourg de Cana. (Bell. Jud., I, XVII, 5.) Mais lequel des trois Cana que je connais, pour ma part ? Kefr-Cana, sur la route de Nazareth à Tibériade ; Cana-el-Djelil, au nord de Sefourieh : et enfin Cana, entre Bent-Djebel et Sour ? je ne saurais le dire.

[29] Ant. Jud., XIV, XV, 2, — Bell. Jud., I, XVII, 6.

[30] Bell. Jud., I, XVII, 7.

[31] Ant. Jud., XIV, XV, 43.

[32] Ant. Jud., XIV, XV, 14. — Bell. Jud., I, XVII, 8 et I, XXII, 1. — Nous trouvons dans ce dernier passage un renseignement très-précieux. Le voici : Lorsqu'il fut arrivé à la possession complète de la royauté, Hérode renvoya la femme qu'il avait épousée, lorsqu'il était encore de condition privée : c'était Doris, qui était de famille hiérosolymitaine. Il en avait eu un fils nommé Antipater, auquel il interdit le séjour de la capitale, pour faire honneur aux enfants nés de la reine Mariamme. Il ne fut permis à Antipater de paraître à Jérusalem que pendant les fêtes religieuses seulement.

[33] Ant. Jud., XIV, XVI, 1. — Bell. Jud., I, XVII, 9.

[34] Bell. Jud., I, XVIII, 1.

[35] Bell. Jud., I, XVIII, 1 et 2.

[36] Cette année sabbatique se compose des douze mois compris entre les automnes des deux années 38 et 37 avant J.-C.

[37] Ant., Jud., XIV, XVI, 2. — Bell. Jud., I, XVIII, 2.

[38] Ant. Jud., XIV, XVI, 3. — Bell. Jud., I, XVIII, 3.

[39] Ces deux consuls, selon Clinton, étaient en exercice en l'an 4 de la 185e olympiade, 37 avant l'ère chrétienne.

[40] C'est en 63 avant J.-C. que Pompée prit Jérusalem, et c'est en 37 que cette ville fut enlevée par Hérode et Sossius.

Ce serait donc en réalité à 26 ans d'intervalle que ces deux événements auraient eu lieu.

[41] Bell. Jud., I, XVIII, 3. — Dans ce passage, quelques sèches paroles suffisent à Josèphe pour raconter la fin d'Antigone.

[42] Ant. Jud., XIV, XIV, 4.