LE TRAITÉ DE CATEAU-CAMBRÉSIS

 

(2 ET 3 AVRIL 1559)

PAR LE BARON ALPHONSE DE RUBLE.

PARIS - LABITTE, EM. PAUL ET Cie - 1889

 

CHAPITRE PREMIER. — Négociation du traité de Cateau-Cambrésis.

CHAPITRE DEUXIÈME. — Exécution du traité de Cateau-Cambrésis en Italie.

CHAPITRE TROISIÈME. — Exécution du traité de Cateau-Cambrésis avec l'Angleterre.

CHAPITRE QUATRIÈME. — Exécution du traité de Cateau-Cambrésis avec l'Espagne.

CHAPITRE CINQUIÈME. — Mariage, vie et mort d'Élisabeth de Valois.

 

Le traité de Cateau-Cambrésis, complété cinquante ans plus tard par le traité de Vervins, a été la charte fondamentale de l'Europe jusqu'au traité de Westphalie. Peu d'instruments diplomatiques ont eu des effets plus durables. La convention du 2 avril 1559 répondait aux nécessités présentes de l'Europe ; elle délimitait sagement les possessions de chaque nation, réprimait pour toujours l'essor de la maison d'Autriche vers la monarchie universelle, amoindrissait la puissance de Philippe II dans les Pays-Bas et en Italie, cantonnait ce monarque dans les montagnes de sa péninsule et assurait la liberté du reste du monde, longtemps menacée par l'omnipotence de Charles-Quint.

Les Pays-Bas, l'Italie, l'Angleterre et la France en tirèrent de grands avantages.

Les Pays-Bas furent délivrés de la présence d'un prince que les traditions de mœurs et de religion éloignaient des peuples du Nord. Le pouvoir de Philippe II dans les Flandres se relâcha par degrés jusqu'au jour encore éloigné de la retraite définitive des Espagnols.

L'Italie, sauf le royaume de Naples, obtint l'indépendance que le traité avait seulement fait entrevoir aux Pays-Bas. La France et l'Espagne s'étaient longtemps disputé la possession de la Péninsule. La paix de 1559 termina cette longue querelle. L'Italie , livrée à elle-même, s'organisa suivant les lois de sa configuration géographique et chercha dans la puissance personnelle de ses petits princes, surtout en Piémont, une force de résistance capable de défier les retours offensifs de ses anciens maîtres. En même temps monta sur le tr6ne pontifical un prélat, Paul IV, le premier des souverains romains qui ne furent inféodés ni à l'empire germanique, ni à la France, ni à l'Espagne, le véritable promoteur du concile de Trente. Le traité de Cateau-Cambrésis et l'avènement de Paul IV méritent donc d'être étudiés comme le point de départ des destinées de l'Italie moderne.

L'Angleterre, en perdant la ville de Calais, gagna la sécurité aux dépens de son amour-propre. Calais avait été conquis en 1346 par Édouard III d'Angleterre et restait, entre la France et le royaume uni, une cause de discorde, où se seraient usées les forces de deux peuples destinés par leur voisinage à devenir alliés. La race anglo-saxonne, chassée de sa dernière position au delà de la Manche et pour toujours confinée dans son île, se livra désormais à ses instincts commerciaux sans se laisser distraire par des ambitions continentales.

La France est de tous les pays celui qui obtint les plus grands avantages. Calais avait servi de port de ralliement à toutes les invasions anglaises pendant le XIVe et le XV° siècle. Mets, Toul et Verdun, villes libres soumises à la Diète, étaient des postes avancés de l'Empire qui menaçaient la Champagne. La reprise de Calais, la conquête de Mets, de Toul et de Verdun, la consécration de l'autonomie de la Lorraine et de l'Alsace assurèrent nos limites naturelles. L'ensemble de ces succès donna au royaume des Valois une force de cohésion qu'aucun autre pays n'a pu atteindre, même de nos jours. La France en fit l'épreuve pendant les guerres de religion. Déchirée au dedans, trahie au dehors par des partis impitoyables, elle ne fut menacée dans la possession d'aucune de ses provinces. Sans doute elle eut à combattre l'étranger ; l'Allemand passa souvent le Rhin ; le duc de Savoie envahit la Provence, l'Espagnol la Picardie ; l'Anglais jeta ses troupes en Normandie et son or dans tous nos troubles. Mais la frontière du royaume ne fut pas contestée. Jamais la guerre civile ne s'aggrava d'une de ces grandes menaces de l'extérieur, qui exigent la réunion en faisceau de toutes les forces d'un peuple.

Malgré ces services, tous les historiens ont condamné le traité de Cateau-Cambrésis et en ont parlé comme d'un acte néfaste, capable d'arrêter le développement d'une grande race. Les anciens basaient leurs critiques sur la restitution des places d' Italie. On croyait au XVIe siècle que le génie de la France la poussait à s'étendre dans le nord de la Péninsule. Les modernes ne pouvaient user d'un argument contraire au système des frontières naturelles, en si grande faveur dans la politique contemporaine ; mais le blâme du traité de Cateau-Cambrésis était une opinion toute faite qui dispensait de recherches. L'arrêt était sanctionné par la prescription. Les annalistes du XVIe siècle lui avaient donné la force de chose jugée. Pas un écrivain de nos jours n'a su réagir contre la tradition et n'a reconnu que le traité de 1559 était un progrès pour la nation française.

Nous avons essayé de réviser ce jugement historique et de prouver que l' acte le plus reproché à Henri II est le plus grand bienfait qu'il ait légué à son peuple.

Dans un dernier chapitre, étranger à la haute politique, nous avons rétabli la vérité sur l'histoire d'Élisabeth de Valois, princesse qui fut le gage du traité et dont la vie et la mort ont été le sujet de fables mensongères.