HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME SECOND

 

CHAPITRE NEUVIÈME.

 

 

Le pape Innocent XI et Louis XIV. — Affaire de la régale. — Assemblée du clergé de 1682. — Affaire des bulles. — Succession de l'Electeur Palatin. — Affaire des franchises. — Le marquis de Lavardin à Rome. — Arrêt du parlement. — Affaire de la succession de Cologne. — Le cardinal de Fürstenberg. — Lettres de Louvois au baron d'Asfeld. — Formalités électorales. — Mission secrète de Chamlay à Rome. — Ses instructions. — Postulation du cardinal de Fürstenberg. — Lettres de Louvois au contrôleur général. — Echec de Chamlay à Morne. — Louis XIV décidé à soutenir le cardinal de Fürstenberg. — Armements. — Hésitations du cardinal. — Lettre de Louis XIV au cardinal d'Estrées. — Le pape confère l'archevêché de Cologne au prince Clément de Bavière. — Occupation d'Avignon. — Arrestation de l'évêque de Vaison. — État de l'opinion. — Politique du prince d'Orange. — Mauvais gouvernement de Jacques II. — Son attitude vis-à-vis de Louis XIV. — Il refuse tout secours. — Louis XIV devait-il faire le siège de Maëstricht ? — Guillaume d'Orange et la Hollande. — Louis XIV décide le siège de Philisbourg. — Son manifeste. — Arrestation des Allemands à Paris et des Français en Allemagne. — Première campagne du Dauphin. — Les généraux français. — Schönberg. — Luxembourg. — Le maréchal de Duras. — Activité de Louvois. — Premières hostilités. — Siège de Philisbourg. — Bulletins de Vauban. — Impatience de Louvois. — Difficultés du siège. — Les places de l'Électorat de Cologne livrées aux troupes françaises. — Occupation de Mayence. — Résistance de l'Électeur de Trèves. — Reddition de Heidelberg. — Progrès du siège et capitulation de Philisbourg. — Siège de Manheim. — Bombardement de Coblentz. — Prise de Manheim et de Frankenthal. — Vauban récompensé. — Grande promotion dans l'ordre du Saint-Esprit. — Révolution de 1688 en Angleterre. — Jacques II accueilli par Louis XIV.

 

Dans toute l'Europe, si ce n'est en France, le pape Innocent XI avait le renom du plus grand et du meilleur pontife qui eût occupé le Saint-Siège depuis plusieurs siècles ; mais ce renom lui venait surtout de ce qu'il était l'ennemi de Louis XIV. En France, on avait rendu d'abord justice à ses mérites, en faisant des réserves. Comme le pape, disait Bussy-Rabutin[1], est un grand homme de bien, il est fort entier dans ses résolutions ; et quand il est bien persuadé qu'il a raison, rien ne sauroit le faire changer. Il est vrai qu'il est fâcheux de trouver en- son chemin de ces saints opiniâtres ; mais sa vie est si sainte que les rois chrétiens se décrieroient s'ils se brouilloient avec lui. Bussy jugeait bien. Innocent XI avait à la fois de grandes vertus, l'esprit étroit et la passion vive ; il ne faudrait pas chercher dans son pontificat la prudence et la patience traditionnelles du Saint-Siège. Partisan zélé de la maison d'Autriche, il portait dans ses sympathies l'ardeur d'un Gibelin du treizième siècle ; vis-à-vis de Louis XIV, au contraire, il se croyait en face de Philippe le Bel, et s'attribuait volontiers le rôle de Boniface VIII.

Ce n'était pas simplement affaire d'imagination ; entre les deux époques, il y a certainement des analogies frappantes, les mêmes conflits résultant des mêmes causes, à commencer par l'affaire de la régale. A qui, du roi ou du pape, appartenait le droit de percevoir les revenus des bénéfices vacants ? Cette question d'argent, dans l'un et dans l'autre siècle, était devenue rapidement une grande question de politique générale ; l'escarmouche financière avait engagé la bataille entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir laïque, entre le sacerdoce et l'empire. On peut remarquer ici combien le despotisme de Louis XIV était plus absolu et plus ombrageux que celui de Philippe le Bel ; Philippe le Bel, en 1302, s'était appuyé sur la nation tout entière, représentée par les États généraux ; en 1682, Louis XIV, redoutant les États généraux, ne chercha d'appui que parmi les représentants de l'Église gallicane.

L'assemblée du clergé, dont Bossuet fut l'organe, formula, en quatre articles fameux, la doctrine la plus contraire aux prétentions de suprématie et d'infaillibilité que le chef de l'Église affectait et revendiquait pour lui seul. C'était le coup le plus sensible que la cour de Rome eût reçu, depuis les temps du concile de Bâle, d'une Église et d'un roi qui voulaient rester catholiques. Innocent XI en conçut un amer déplaisir, et il ne cessa pas depuis lors d'en donner des marques à tous ceux qui avaient pris part à cet acte d'hostilité. Il refusa systématiquement les bulles d'institution canonique aux membres de l'assemblée qui furent nommés par Louis XIV à des sièges épiscopaux, ou transférés d'un siège à un autre. C'est ainsi que, en 1687, il y avait près de trente diocèses en France qui attendaient et réclamaient en vain les soins de leurs pasteurs.

Sans rien céder sur le fond des choses, Louis XIV avait essayé de faire quelques avances à l'opiniâtre pontife. En 1685, l'Électeur Palatin étant mort sans héritier direct, l'Électorat avait été donné au duc de Neubourg, beau-père de l'Empereur Léopold. Mais Louis XIV, au nom de sa belle-sœur, Madame, duchesse d'Orléans, avait réclamé, dans la succession du dernier Électeur, frère de Madame, les biens meubles et certains domaines allodiaux, notamment le duché de Simmeren et le comté de Sponheim. Sur le refus du duc de Neubourg, qui était soutenu par les protestations de toute l'Allemagne, Louis XIV avait déclaré qu'il prendrait volontiers le pape pour arbitre et pour juge des prétentions de Madame. Innocent XI avait accepté l'arbitrage, mais ne se montrait pas pressé de donner sa décision.

Une avance bien plus considérable, et qui, selon les idées de Louis XIV, devait renouer entre le pape et lui une étroite et parfaite alliance, la persécution contre les protestants, n'avait pas produit même à Rome l'effet qu'en attendait le fils aîné de l'Eglise ; le pape s'était contenté d'y donner une approbation froide, et les déplorables acclamations qui, plus d'un siècle auparavant, avaient salué au Vatican la première nouvelle de la Saint-Barthélemy, manquèrent presque absolument à la révocation de l'édit de Nantes. On fit remarquer en même temps à Louis XIV que les quelques prélats français qui avaient protesté contre les dragonnades étaient justement ceux dont la cour de Rome se louait davantage[2]. Quant au pape, déjà soupçonné d'être janséniste, il se trouva des gens disposés à croire et même à jurer qu'il n'était qu'un huguenot déguisé.

La colère de Louis XIV n'attendait qu'une occasion pour éclater ; cette occasion s'offrit bientôt : ce fut l'affaire des franchises. On donnait le nom de franchises au droit que s'attribuaient à Rome les représentants des États catholiques d'empêcher, aux abords de leurs palais, dans les quartiers voisins, et même jusqu'à une très-grande distance, l'action de la police pontificale. Ce droit, ou plutôt cet abus, sous prétexte de dignité, n'avait qu'un résultat certain, qui était de livrer, en toute sécurité, aux assassins et aux voleurs, dans une moitié de Rome, la fortune et la vie des honnêtes gens, Romains ou étrangers. Il y avait là, pour un pape comme Innocent XI, un désordre insupportable et humiliant. Il résolut de le faire cesser ; successivement il obtint de toutes les puissances catholiques qu'elles renonçassent au prétendu droit de franchise ; de Louis XIV seul, il ne put rien obtenir.

Au mois de janvier 1687, le duc d'Estrées, ambassadeur de France, étant mort subitement, le pape déclara que si le successeur du duc n'apportait pas à Rome l'abandon des franchises, il ne serait ni reconnu ni reçu comme représentant du roi ; bientôt même il fit publier une bulle qui menaçait d'excommunication quiconque prétendrait maintenir les franchises des quartiers. Dix mois s'écoulèrent en négociations infructueuses, ni le roi ni le pape ne voulant reculer. Dans cette querelle toute spéciale, l'opinion publique en France n'était pas du côté du roi. Un courtisan disgracié, qui n'en était que plus courtisan, Bussy-Rabutin, osait écrire à madame de Sévigné[3] : Il faut dire la vérité, les franchises sont odieuses quand elles vont à rendre les crimes impunis. Il est de la gloire d'un grand pape de réformer cet abus, et même de celle l'un grand roi de ne s'en pas trop plaindre. Cependant les choses furent poussées à l'extrême.

Au mois de novembre, le marquis de Lavardin, ambassadeur de France, escorté de plusieurs centaines d'hommes en équipage de guerre, parut devant Rome comme s'il eût voulu l'emporter d'assaut. Il faut croire que Louis XIV attendait de son ambassadeur quelque action d'éclat ; c'est au moins ce qu'on peut inférer d'un passage de Dangeau[4] : Le roi nous dit, en dînant, que M. de Lavardin était entré à Rome le 25 novembre, sans que personne se soit présenté pour s'opposer à son entrée. Au milieu de Rome, l'ambassadeur fut comme dans un désert ; on fuyait son approche ; dès qu'il paraissait, il jetait le trouble même dans les cérémonies religieuses. Le pape, c'est encore Dangeau qui parle[5], le pape a ordonné que, dans toutes les églises, on cessât le service divin dès que M. de Lavardin y entreroit, le traitant d'excommunié. L'église Saint-Louis, desservie par des prêtres français, fut interdite, parce que, le jour de Noël, M. de Lavardin y avait fait ses dévotions.

A Versailles, le nonce n'était pas dans une situation moins désagréable. M. de Croissy ne le voyait que pour lui dire des duretés ; il lui déclarait, par exemple, qu'Avignon avait été donné aux papes contre les lois du royaume, et que le roi, n'étant pas content du Saint-Père, allait faire exécuter les lois et reprendre Avignon[6]. Louvois, de son côté, mandait à l'intendant de Provence de préparer des gîtes pour une quinzaine de bataillons que le roi se proposait d'envoyer à Civita-Vecchia au printemps prochain[7]. Le parlement de Paris, sur un appel comme d'abus interjeté par le procureur général, évoqua les affaires de Rome ; l'avocat général Talon, qui avait pris les ordres du roi, fit un discours très-fort, et conclut à la déclaration d'abus au sujet de l'excommunication lancée contre M. de Lavardin, à la convocation d'un concile national et au maintien des franchises ; le parlement rendit, le 25 janvier 1688, un arrêt conforme. C'était le schisme et la guerre. Le vent soufflait des tempêtes ; en un moment le vent tomba. On venait de s'aviser tout à coup qu'on avait grand besoin du pape.

L'Électeur de Cologne était fort vieux et malade ; outre l'Électorat, il avait encore les principautés ecclésiastiques de Liège, de Munster et de Hildesheim. Des deux dernières, on s'inquiétait peu à Versailles ; mais, pour la grandeur et même pour la sécurité de la France, il était d'un intérêt capital que l'Électorat de Cologne et l'évêché de Liège fussent en des mains amies. Louvois regardait sans cesse du côté de l'Allemagne, et il y voyait de gros nuages ; il prêtait l'oreille, et il entendait gronder sur le Rhin, comme une menace contre la France, le canon qui célébrait les triomphes des armées impériales sûr les bords du Danube. Dès le 25 août 1687, treize jours après la bataille de Mohacz, il écrivait en toute bitte à Vauban : La nouvelle que le roi vient d'avoir de la défaite de l'armée turque lui fait juger à propos de pourvoir à donner la dernière perfection à sa frontière du côté d'Allemagne. Louvois n'avait pas tort de s'inquiéter ; mais il aurait dû s'inquiéter plus tôt ; il s'était laissé distraire et n'avait point pressé, avec sa vigueur accoutumée, l'achèvement des places qu'il faisait construire. Les Allemands savaient bien qu'elles étaient imparfaites, et ils s'efforçaient de prendre pied sur les frontières de France mal défendues.

Deux candidats, redoutables entre tous, se présentaient pour la succession prochaine de l'Électeur de Cologne : d'une part, l'évêque de Breslau, fils de l'Électeur Palatin, et frère de l'impératrice ; de l'autre, le prince Clément, frère de l'Électeur de Bavière, qui était gendre de l'Empereur. La France leur opposait le cardinal de Fürstenberg, évêque de Strasbourg, confident intime et conseiller tout-puissant du vieil Électeur. C'était ce prince Guillaume de Fürstenberg, dont l'enlèvement odieux, inique, en violation des principes les phis sacrés du droit des gens, avait, en 1674, rompu le congrès de Cologne, et soulevé, dans toute l'Allemagne, des applaudissements unanimes. Les quatorze années qui s'étaient écoulées depuis cet événement n'avaient fait qu'ajouter à l'exécration des Allemands contre ce félon qui s'était vendu au roi de France.

 Les deux partis essayèrent d'abord leurs forces dans un combat d'avant-garde ; il s'agissait d'élire un coadjuteur à l'Électorat de Cologne. Ce fut un combat d'argent ; quoique les riches marchands d'Amsterdam eussent envoyé de bonnes lettres de change au soutien des petites bourses d'Allemagne, les louis de France battirent les florins, et le cardinal de Fürstenberg fut élu coadjuteur, le 7 janvier 1688, par dix-neuf voix sur vingt-quatre. Mais il fallait la confirmation du pape qui la refusa. Le pape était maître de la situation ; il  connaissait sa force, et prenait sa revanche sur le roi de France. L'affaire de la coadjutorerie n'était, on le répète, qu'une affaire d'avant-garde ; la vraie bataille, sérieuse et décisive, ne devait s'engager qu'après la mort de l'Électeur de Cologne. On s'y préparait de part et d'autre.

L'Électeur mourut le 3 juin. Aussitôt Louvois dépêcha vers le cardinal de Fürstenberg un de ces officiers diplomates dont il avait fait école, et qui, également préparés à négocier et à combattre, étaient les favoris du ministre de la guerre, les agents dévoués de sa politique personnelle, expéditive et militante. Celui-ci était le baron d'Asfeld. Comme il était parti subitement, avec quelques instructions données à la hâte, Louvois lui fit passer, en plusieurs dépêches successives, les informations qui lui étaient nécessaires. Il me semble, lui écrivait-il, que M. l'Électeur de Cologne ne pouvoit mourir dans un temps plus favorable pour les intérêts du roi. Les troupes de l'Empereur sont engagées si loin en Hongrie qu'aucun prince ne peut espérer d'en être secouru cette année ; M. le cardinal de Fürstenberg a eu le temps de munir les places de l'Électorat de Cologne et d'y mettre des troupes de sa dépendance, en sorte qu'il semble que rien ne se peut opposer à une nouvelle élection. Cependant vous devez exciter M. le cardinal de Fürstenberg à ne se pas endormir et à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire réussir sa nouvelle élection dans le plus bref temps que faire se pourra.

Il doit compter que le prince d'Orange connoît à merveille le préjudice irréparable qu'il recevra de son élection, et qu'ainsi il n'oubliera rien de ce qui pourra dépendre de lui pour la troubler. Il ne s'est opposé à la première élection de M. le cardinal de Fürstenberg que par des lettres de crédit qu'il envoya à Cologne à la sollicitation du gouverneur de Flandre, lesquelles il n'envoya que par manière d'acquit, ne croyant pas que cette affaire fût aussi bien concertée qu'elle l'étoit ; mais, depuis, il l'a connue aussi mauvaise qu'elle l'est pour lui, et, s'il pouvoit aussi aisément porter les États Généraux à la guerre qu'il est le maitre du reste de ce qui dépend d'eux, il ne faut point douter qu'il ne marchât brusquement avec des troupes et ne hasardât tout pour empêcher M. le cardinal de Fürstenberg de devenir Électeur de Cologne ; mais comme les États Généraux ne le laissent le maître de tout le dedans de leur pas qu'en vue de demeurer en paix, et se croient assez forts pour l'empêcher de commencer une guerre sans leur consentement, il y a bien de l'apparence que M. le prince d'Orange sera réduit à se servir de négociations et de lettres de change, pour traverser M. le cardinal de Fürstenberg. Il ne faut pas néanmoins tellement se reposer sur ce raisonnement, quelque bien fondé qu'il paroisse, que M. le cardinal de Fürstenberg n'ait des gens assurés en Hollande, qui se promènent dans les quartiers où sont les troupes des États Généraux, et qui puissent, par de fréquents exprès, donner avis de tout ce qu'elles feront.

M. le cardinal de Fürstenberg doit être persuadé que l'Empereur est tout autant mal disposé pour lui qu'il le peut être, et qu'il n'y aura que son extrême foiblesse qui l'empêche de faire tout ce qui est en son pouvoir, et même le plus contre les règles et sans tempérament, pour empêcher M. le cardinal de Fürstenberg d'être Électeur. Il est poussé à cela, non-seulement par l'impératrice pour favoriser les princes ses frères, mais encore par les Espagnols et la cabale du prince d'Orange, qui connoissent bien qu'un Electeur de Cologne étant dans les intérêts du roi, ils ne pourront faire la guerre de ces côtés-ci qu'avec désavantage. C'est sur ces vues que M. le cardinal de Fürstenberg doit prendre ses mesures et se défier de tout, jusqu'à ce que son élection soit consommée.

Il doit encore compter que le pape rie peut être plus mal disposé pour lui qu'il l'est, et que, quoi que lui dise le nonce de Cologne pour le persuader de ses bonnes intentions, il le doit regarder comme un de ses plus dangereux ennemis. Je ne comprends pas bien quels sont les voisins de l'Électorat de Cologne que M. le cardinal de Fürstenberg compte parmi ses amis ; car, à la réserve de l'évêque de Paderborn, je n'en connois aucun qui ne soit dévoué à ses ennemis. Puisque M. le cardinal de Fürstenberg connoit qu'il n'y a [dans le chapitre de Cologne] que le comte de Rittberg et celui de Lœwenstein qui lui puissent manquer, il est de son industrie de les ménager par tous les endroits par lesquels il connoitra qu'ils sont sensibles ; vous entendez bien ce que je veux dire, sans que je vous l'explique plus clairement.

Je vous ai marqué que le principal intérêt que prenoit Sa Majesté à l'élection de M. le cardinal de Fürstenberg étoit par amitié pour lui, ce que vous comprendrez aisément, quand vous voudrez faire réflexion aux avantages que le Mont-Royal, Luxembourg et Charlemont mettroient Sa Majesté à même de tirer des pays de Liège et de Cologne pendant une guerre, qui sont bien plus considérables que l'assistance que l'on pourroit tirer de l'Électeur de Cologne et d'un évêque de Liège dans ses intérêts ; et je ne sais si cette vue ne seroit pas bonne à mettre devant les yeux des capitulaires, pour les faire ressouvenir de ce que le pays de Cologne auroit à appréhender sous un archevêque qui ne seroit point autant honoré que l'est M. le cardinal de Fürstenberg de l'amitié de Sa Majesté. Ne faites rien sur cela que par les ordres de M. le cardinal de Fürstenberg[8].

Les Allemands ont le génie formaliste, et les machines les plus compliquées ont toujours été celles qui leur ont agréé davantage. Les formes d'élection pour les Électorats et principautés ecclésiastiques étaient encore réglées et scrupuleusement observées, à la fin du dix-septième siècle, selon le concordat germanique de 1448. Le droit d'élire appartenait essentiellement aux chapitres. Afin d'empêcher que l'élection ne fût enlevée par surprise, la majorité était invariablement fixée d'après le nombre total des chanoines ayant droit de vote, et non pas d'après le nombre accidentel des volants. Si le candidat qui réunissait la majorité absolue des suffrages n'était lié à aucune autre église, soit comme évêque, soit comme chanoine capitulaire, il était élu canoniquement ; dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il était évêque ou membre d'un autre chapitre, il ne pouvait être que postulé, et ce encore à la condition de réunir, non plus la simple majorité, mais les deux tiers des suffrages. Il y avait cependant une exception à cette règle, lorsque le pape accordait au candidat lié à une autre église une dispense ou bref d'éligibilité qui lui permettait d'être élu comme un candidat libre[9]. En cas d'élection par la majorité simple, ou de postulation par les deux tiers des suffrages, toutes les règles canoniques ayant été d'ailleurs observées, le pape ne pouvait se refuser, à moins de raisons très-fortes, à reconnaître et à sanctionner, par l'investiture ecclésiastique, le droit des électeurs et de l'élu, des postulants et du postulé. Mais si la dispersion des suffrages entre plusieurs candidats ne donnait ni élection ni postulation régulière, alors le pape retirait à lui, par exception, le droit d'élire, et nommait, à son gré, soit l'un des candidats en présence, soit même un personnage étranger à la compétition.

L'élection de Cologne avait été fixée au 19 juillet. Les Allemands, ligués contre le cardinal de Fürstenberg, s'étaient entendus pour n'avoir qu'un seul candidat, le prince Clément de Bavière. C'était un jeune homme d'une vingtaine d'années, qui n'était point dans les ordres, et qui cependant avait déjà, nominalement, il est vrai, les évêchés de Freisingen et de Ratisbonne. Innocent XI attendit à peine d'être sollicité pour lui donner une dispense d'âge et un bref d'éligibilité, tandis qu'il refusait sèchement de relâcher les attaches qui liaient le cardinal de Fürstenberg à l'église de Strasbourg. Les chances étaient donc fort inégales entre les deux rivaux ; le cardinal, réduit à la postulation, devait réunir au moins seize suffrages sur vingt-quatre, alors qu'il n'en fallait que treize au prince Clément pour être décidément élu. Cependant le cardinal ne doutait pas d'emporter la postulation ; il comptait, avec une sécurité bien confiante, sur les dix-neuf voix qui, six mois auparavant, l'avaient nominé coadjuteur. Son unique souci était que le pape ne voulût point confirmer la postulation.

Louis XIV résolut alors de faire auprès du pape une tentative extraordinaire dont il confia le soin délicat à Chamlay. Chamlay, déguisé en gentilhomme flamand, sous le nom de vicomte d'Orchamp, reçut, le 6 juillet, ses instructions dressées par M. de Croissy. Rien de plus étrange que ces instructions ; tout y est mystère. Le négociateur doit quitter furtivement Paris, gagner Venise, y demeurer caché jusqu'à nouvel ordre, et, la postulation du cardinal de Fürstenberg aussitôt connue, s'en aller vite à Rome. Là, toutes sortes de précautions à prendre afin de n'être vu ni du marquis de Lavardin, ni du cardinal d'Estrées, ni d'aucun Français ; en cas de découverte, réclamer le secret, et laisser seulement entendre qu'ayant quelque gros péché sur la conscience, il a besoin de voir le pape et d'obtenir de lui quelque grâce singulière pour son propre repos ; après quoi, et toujours sons les dehors d'un gentilhomme flamand, faire demander au pape une audience secrète dans sa chambre ; acheter même cette audience en donnant à l'entremetteur, qui doit être Casoni, favori d'innocent XI, une bague de deux ou trois cents pistoles ; l'audience obtenue, se faire connaître au Saint Père, et lui remettre une lettre du roi, mais à condition que le pape prenne d'abord, et sous le secret de la confession, l'engagement de n'en parler à personne, et, si la conférence n'a point d'effet, de rendre aussitôt à Chamlay la lettre royale. Ces conditions acceptées, régler trois points, la paix de l'Europe, les bulles des évêques, et les difficultés de la régale ; la paix de l'Europe, par la confirmation immédiate de la postulation de Fürstenberg ; l'affaire des bulles, par la promesse d'une prompte expédition. Ces deux premières questions, formelles et inséparables, doivent se décider en quelque sorte par oui ou par non ; quant à la troisième, qui est l'affaire de la régale, elle peut être réservée pour des négociations ultérieures. Ces trois points réglés, aborder, mais seulement alors, la question des franchises ; en réduire l'étendue aux places et rues qui avoisinent le palais Farnèse et qui sont absolument nécessaires pour loger les domestiques de l'ambassadeur ; déclarer que, dans ces lieux réservés, il n'y aura d'asile ni pour les assassins et grands criminels, ni pour les filles ou femmes échappées de leurs familles, ni pour les mauvais marchands en état de banqueroute. Si ces concessions ne sont pas jugées suffisantes, se réduire au palais et à la place Farnèse, et enfin même au palais seul ; laisser entrevoir le départ de M. de Lavardin, mais ne point promettre son rappel immédiat. Encore une fois, la question des franchises doit venir absolument la dernière, toutes les autres étant réglées d'abord ; que si le pape ne veut entrer dans aucune proposition et déclare qu'il ne veut rien écouter qu'après une entière renonciation au quartier, ledit sieur de Chamlay n'aura point d'autre parti à prendre que de s'en revenir rendre compte à Sa Majesté de ce qu'il aura fait. Cependant avant de prendre congé du pape, il devra non-seulement se faire rendre bien exactement la lettre royale, mais encore ne pas cacher au Saint-Père que s'il publie jamais les avances qui lui sont faites, le roi et Chamlay lui-même le démentiront et nieront tout[10].

Telle était l'étrange comédie dont le canevas, tracé à grands traits par Louis XIV et M. de Croissy, devait être, quant au détail, rempli par le vicomte d'Orchamp et par le pape, avec cet avantage pour le faux gentilhomme de Flandre, qu'il aurait eu, de Paris à Venise, et de Venise à Rome, tout le temps d'étudier son rôle et de composer son personnage. Mais il survint un incident qui dérangea tout à coup les combinaisons de la pièce.

Le 19 juillet, dans le chapitre de Cologne, les suffrages se partagèrent de telle façon que le cardinal de Fürstenberg, n'ayant que treize voix, ne fut pas postulé, et que le prince Clément, n'en ayant que neuf, ne fut pas élu, en sorte que, plus que jamais et légalement, le pape se trouva, de droit et de fait, maitre de l'élection[11].

Quand ces fâcheuses nouvelles arrivèrent en France, Louvois n'était pas à Versailles ; fatigué, malade, les médecins l'avaient envoyé aux eaux de Forges en Normandie, afin qu'il y prit quelque repos. Il ne s'en donna pas. Une lettre datée du 22 juillet, une heure après minuit, nous fait connaître sa première impression, telle qu'il la communiquait en confidence au contrôleur général Le Peletier, son ami intime, son second dans le ministère : Je ne puis m'empêcher de vous dire, lui écrivait-il, que cette affaire-ci me paroit bien épineuse et pleine d'inconvénients ; car le prince de Bavière, Électeur de Cologne et apparemment évêque de Liégé ou de Munster, soutenu par le duc de Juliers, l'Électeur Palatin, l'Empereur et les Hollandois, me paroitroit un mauvais voisin, et particulièrement si les Espagnols faisoient M. l'Électeur de Bavière gouverneur des Pays-Bas.

Le même jour, à midi, Louvois adressait à Louis XIV des conseils nets et décidés : Je crois, sire, qu'il est du service de V. M. de dépêcher promptement un courrier au vicomte d'Orchamp pour lui mander ce qui s'est passé [à Cologne] et lui dire de se rendre à Rome en toute diligence pour exécuter sa commission, expliquant à Sa Sainteté qu'outre les avantages que l'instruction donnée au sieur d'Orchamp le met en état de lui offrir, il préviendra encore une guerre qui ne peut manquer de s'allumer incessamment dans l'Europe entre V. M. et l'Empereur, V. M. ne pouvant abandonner M. le cardinal de Fürstenberg, après l'engagement qu'elle a pris dans cette affaire, ni, après avoir souffert que l'Empereur se soit agrandi du côté du Turc, permettre que le frère de son gendre devienne Électeur de Cologne. J'estime que quand V. M. n'auroit point d'intention de faire ce que dessus, il ne peut qu'être très à propos que le sieur d'Orchamp parle au pape de cette manière, afin qu'en même temps que le désir d'obtenir ce que le sieur d'Orchamp a pouvoir de lui accorder, il lui fournisse des raisons pour se défendre des sollicitations que les ministres de l'Empereur ne manqueront pas de lui faire[12].

Docile aux conseils de son ministre, Louis XIV fit aussitôt rédiger par M. de Croissy une nouvelle instruction qui fut communiquée à Louvois, que Louvois ne trouva pas assez tranchante, et qu'il aiguisa d'une dépêche de sa façon, laquelle était à la fois très-vive et très-habile, puisqu'elle ménageait une transaction possible, en proposant de nommer le prince Clément coadjuteur du cardinal de Fürstenberg, Électeur de Cologne. Avant de citer cette dépêche, il est bon de connaître ce que Louvois en disait au contrôleur général : M. de Croissy, lui mandait-il le 23 juillet[13], jouait apparemment au tric-trac quand le courrier de M. d'Asfeld arriva, puisque, ayant reçu son paquet à trois heures, il ne le dépêcha qu'après six. J'ai reçu ce matin l'instruction de M. de Croissy, que j'ai fait partir en même temps ; je n'en ai de ma vie vu une plus froide, quoique la matière méritât tout autre chose. J'en avois fait une à ma mode que j'y ai jointe, et comme cela pourroit affliger M. de Croissy, je n'en ai rien mandé au roi, me suffisant de faire ce qu'il faut pour son service. Sa Majesté ne doit point avoir de répugnance de consentir à ce que le prince Clément soit nommé coadjuteur de Cologne, en même temps que M. le cardinal de Fürstenberg en sera Électeur, puisque, pourvu que ledit cardinal vive cinq ou six ans, il y a lieu d'espérer que le prince de Bavière prendra un parti tout opposé à celui de l'église et renoncera à sa coadjutorerie ; et quand les ministres de l'Empereur ont sollicité son élection, ils n'ont pensé qu'à en exclure le cardinal de Fürstenberg et à faire tomber l'Électorat de Cologne à l'évêque de Breslau, si le prince de Bavière quittoit le parti de l'église. Je ne doute point que le roi ne s'applique présentement et ne fasse toute la dépense nécessaire pour exclure le prince Clément et l'évêque de Breslau des évêchés de Liège et de Munster ; rien n'est plus important que de n'y pas perdre de temps. Si la négociation du sieur d'Orchamp ne réussit point, et que le prince de Bavière ou celui de Neubourg soient évêques de Cologne et de Liège, nous payerons chèrement le repos dont nous avons joui depuis cinq ou six ans, et le roi sera mal payé de la bonne foi avec laquelle il a observé la trêve.

Voici maintenant ce que Louvois écrivait, de son chef, au vicomte d'Orchamp : Je ne puis mieux vous informer de ce qui s'est passé à Cologne, le 19 de ce mois, et de la résolution que le roi a prise sur l'affaire de M. le cardinal de Fürstenberg, qu'en vous envoyant des copies de la lettre que j'ai reçue de Cologne et de celle que j'ai eu l'honneur d'écrire à Sa Majesté, laquelle ayant agréé que vous vous conformiez à ce qui y est contenu, vous ne devez point perdre de temps pour vous rendre au plus tôt à Rome et y exécuter promptement ce que S. M. a ordonné que vous y fissiez. Vous devez fort exagérer au pape l'imminente guerre qu'il va causer entre le roi et l'Empereur, s'il donne des bulles au prince Clément, l'assurant que S. M. soutiendra de toutes ses forces les intérêts du cardinal de Fürstenberg. Vous devez glisser dans la conversation que ledit prince Clément ne veut point être d'église, qu'il s'en est déclaré à feu son oncle le dernier Électeur de Cologne, lequel ne consentit que le cardinal de Fürstenberg fût postulé coadjuteur que parce que le prince Clément lui fit déclarer que, son frère l'Électeur de Bavière n'ayant point d'enfants, et que n'y ayant point d'apparence qu'il en ait, vu la défectuosité de la taille de l'Électrice sa femme, il ne pouvoit se résoudre à s'engager dans les ordres sacrés, et qu'ainsi il est aisé de voir que les ministres de l'Empereur n'ont sollicité l'élection en faveur du prince Clément, que pour parvenir dans quelques mois à faire agréer sa démission en faveur de l'évêque de Breslau, chose que le roi ne peut souffrir en aucune manière, et que S. M. entreprendra plutôt une guerre, dût- elle durer vingt ans, que de voir l'Empereur maitre absolu de tous les pays qui confinent avec ceux de Sa Majesté. Vous pourrez, après cela, lui faire faire réflexion à ce que le monde pourra croire, quand on verra qu'il refuse des bulles à un cardinal de soixante ans, qui sert l'Église de Cologne depuis quarante, pour les donner à un prince de vingt à vingt-deux ans, qui n'est point engagé dans les ordres sacrés, et qui a un intérêt aussi considérable pour ne les pas prendre. Vous pourrez, si vous ne pouvez faire autrement — ceci ne doit être proposé qu'à la dernière extrémité —, vous laisser entendre que le pape pourroit accommoder tout, en donnant des bulles au cardinal de Fürstenberg et, en même temps, en en donnant de coadjuteur, après lui, pour le prince de Bavière. Vous jugez bien que l'on attendra de vos nouvelles avec impatience[14].

Si le pouvoir de lier et de délier a jamais pu s'étendre au temporel comme au spirituel, de l'ordre religieux à l'ordre politique, c'était vraiment à Rome qu'était alors le nœud des affaires, c'était le pape qui le tenait entre ses mains, et qui, prêt à le dénouer ou à le trancher, avait, comme ses plus fameux prédécesseurs, l'occasion de dire au monde : Voyez et tremblez ; je suis l'arbitre de la paix et de la guerre.

Cependant le cardinal de Fürstenberg, agité, inquiet, se donnait un mouvement inutile et fatigant pour autrui ; il négociait avec le nonce de Cologne ; il provoquait la médiation du roi d'Angleterre ; il sollicitait du roi de France des démonstrations inopportunes. En d'autres temps, Louvois lui eût rudement enjoint de se tenir en repos ; mais alors il poussait la complaisance jusqu'à flatter sa manie qu'il prenait en pitié. La négociation du vicomte d'Orchamp, écrivait-il au contrôleur général, vaut mieux, faite tête à tête avec le pape, que celle qui passeroit par le nonce de Cologne ; mais comme je crois de conséquence de nourrir le cardinal de Fürstenberg d'espérance qui calme un peu son inquiétude, j'estimerois qu'il faudroit répondre au cardinal de Fürstenberg que le roi fait écrire à M. de Barillon pour porter le roi d'Angleterre à faire solliciter vivement auprès du pape la confirmation de M. le cardinal de Fürstenberg. Le roi pourroit faire écrire en cette conformité à M. de Barillon, pour ne pas mander une chose à M. le cardinal de Fürstenberg que Sa Majesté ne fit pas exécuter ; mais je ne regarderois cette négociation que comme un moyen de faire prendre patience au cardinal de Fürstenberg et de donner le temps au vicomte d'Orchamp de faire sa négociation, étant bien certain que, s'il ne réussit pas, tout ce qu'on pourroit faire par le roi d'Angleterre et par le nonce de Cologne ne feroit aucun effet. M. le cardinal de Fürstenberg propose de faire parler extrêmement haut à Rome, à Vienne, à Ratisbonne, et dans les cours d'Allemagne, sur la conduite que le comte de Kaunitz [envoyé de l'Empereur] a tenue à Cologne, et sur la résolution où Sa Majesté seroit de soutenir, à force ouverte, le droit de M. le cardinal de Fürstenberg ; sur quoi il me paroit très-difficile de prendre un bon parti ; car celui de menacer de ce qu'on ne veut pas faire n'est propre qu'à faire perdre la réputation et à diminuer dans l'esprit des Allemands la crainte qu'ils ont eue jusqu'à présent de la puissance du roi ; si l'on ne mande rien aussi à M. le cardinal de Fürstenberg, qui lui donne lieu d'espérer d'être soutenu, je craindrois qu'il ne se décourageât. Louvois est d'avis qu'on réponde au cardinal que le roi ne peut rien faire dire en Allemagne avant de savoir les résolutions du pape : De cette manière, ajoute-t-il, le cardinal de Fürstenberg pourra toujours espérer que le roi le soutiendra si le pape se déclare en faveur du prince Clément, et le roi ne fera point faire de déclarations par ses ministres que l'on pourroit voir dans trois semaines n'être suivies d'aucun effet. Si le roi juge à propos de témoigner qu'il veut soutenir par les armes M. le cardinal de Fürstenberg, c'est au pape qu'il le faut faire appréhender[15].

L'affaire de Cologne n'était pas la seule qui donnât des inquiétudes ; celle de Liège n'était pas moins grosse de difficultés et de dangers. Il fallait empêcher à tout prix que là, comme à Cologne, le choix d'un évêque ne se trouvât, par la dispersion des suffrages, remis à la discrétion du pape[16]. Louvois proposait d'abandonner sans retard la candidature du cardinal de Fürstenberg, qui n'avait décidément aucune chance de succès, et de reporter toutes les voix dont la France pouvait disposer, avec celles qu'on pourrait acheter jusqu'au 17 août, jour de l'élection, sur le baron d'Elderen, grand doyen du chapitre, qui était, parmi les candidats hostiles à la France, celui dont le choix serait, après tout, le moins significatif et le moins dangereux. Je conviens avec M. de Croissy, écrivait Louvois au contrôleur général[17], qu'il est dur de donner de l'argent pour faire élire évêque de Liège le doyen, qui est d'inclination espagnole ; mais quand il voudra bien peser cette dépense contre le préjudice que recevroit le service du roi de l'élection d'un prince de Neubourg ou du prince de Bavière à cet évêché, je suis persuadé qu'il conviendra qu'elle sera bien employée. Le roi de Pologne est considérablement malade, écrivait-il encore ; si après les élections de Cologne et de Liège [faites contre nous], M. de Lorraine venoit à être élu roi de Pologne, je crois qu'il se faudroit préparer à de grosses affaires et bien difficiles à soutenir ; car la Pologne contre soi, avec toute l'Allemagne sans exception, et la situation des nouveaux convertis, réduiroient les choses en moins bon état qu'elles n'étaient en 1674.

Ces confidences ne sont-elles pas d'un grand prix ? Ne prouvent-elles point, jusqu'à l'évidence, que Louvois ne se faisait aucune illusion, et que la sagacité politique n'était pas, quoi qu'on ait voulu dire, offusquée chez lui, en ce temps-là, par la passion belliqueuse ?

Dans cette crise, qui lui paraissait exiger justement le bon ménage des ressources de la France, il y avait des dépenses dont il ne pouvait prendre son parti ; telles étaient celles que faisait Louis XIX pour soutenir dans le royaume de Siam un établissement dont il s'était engoué mal à propos, et qui ne devait point réussir ; il y avait envoyé déjà des officiers, des troupes, et beaucoup d'argent. Je ne puis croire, écrivait Louvois au contrôleur général[18], qui en savait quelque chose, je ne puis croire que le roi veuille permettre que l'on fasse de nouveaux établissements dans le royaume de Siam, à moins que ce ne soit aux dépens de la compagnie, qu'il seroit à désirer, pour le bien du royaume, que l'on n'eût jamais songé à établir ; et Sa Majesté connoîtra avec le temps que tout l'argent que l'on met à de pareils établissements est de l'argent perdu, qu'il me paroît que dans peu de temps l'on aura occasion d'employer plus utilement.

Cependant le vicomte d'Orchamp arrivait à Rome. Casoni, sur lequel il avait compté pour être secrètement, introduit auprès du pape, demeura sourd à toutes les raisons, insensible à toutes les séductions ; le cardinal Cibo, à qui Chamlay s'adressa ensuite, fut aussi inflexible que Casoni. Ne sachant plus que faire, et malgré la teneur de ses instructions, le vicomte d'Orchamp se découvrit au marquis de Lavardin ; le cardinal d'Estrées, mis dans la confidence, après une nouvelle et vaine tentative sur le cardinal Cibo, alla droit au pape, lui demanda audience pour l'envoyé secret de Louis XIV, et n'obtint qu'un refus sec, à n'y plus revenir.

Le lendemain, 11 août, Chamlay, furieux, écrivait à Louis XIV : Je rendis compte, hier au soir, à Votre Majesté, de la réponse sèche que le pape a faite à M. le cardinal d'Estrées, dans l'audience qu'il lui demanda pour moi. Elle connoîtra, par les manières du personnage, le peu de cas qu'il fait, contre toutes les règles de la bienséance et de la politique même, des choses qui viennent de votre part et qui vous regardent. Mais je crois être obligé, pour m'acquitter de mes devoirs, et pour le service de Votre Majesté, de l'instruire un peu plus à fond du génie de cette cour, afin de pouvoir agir avec sûreté et dignité de ce côté ici, et y tenir une conduite conforme à vos véritables intérêts. A l'égard du Saint-Père, j'avoue que j'ai été longtemps abusé sur son chapitre avec le reste de la France, que je ne puis assez m'étonner de l'idée qu'on y a conçue si universellement de ses mœurs, bien différente à la vérité de celle qu'on en doit avoir et qu'on en a effectivement en ce pays-ci, où il est beaucoup mieux connu. Il est certain qu'étant aussi fier qu'insuffisant dans l'art de gouverner, il est persuadé, et surtout par les Complaisances étudiées de la maison d'Autriche, que tous les souverains doivent ployer sous lui et se conformer aveuglément à ses volontés, toutes bizarres qu'elles sont. Il a donc été vivement piqué de tout ce qui s'est fait en France et passé entre Votre Majesté et lui depuis cinq ou six ans, mais particulièrement depuis peu, de l'entrée de son ambassadeur, des plaidoyers de M. Talon, des arrêts du parlement, et ne manque pas même de le conter à ceux auxquels il donné audience, comme il a fait encore ces jours passés à milord Howard[19], ainsi que Votre Majesté a pu l'apprendre. Sa colère cependant n'auroit point tant éclaté, et il l'auroit contenue dans des bornes plus étroites, ou consumée tout au plus en mauvaises intentions, s'il n'eût pas été convaincu de toutes parts que Votre Majesté ne veut pas se faire valoir auprès de lui par ses forces, ni les employer pour soutenir ses droits contre lui et le mettre à la raison. Mais les assurances continuelles que son nonce auprès de vous et bien d'autres gens françois et étrangers lui donnent de la véritable piété de Votre Majesté, de son attachement à tout ce qui regarde la religion, et de son inclination pour la paix, lui ont persuadé que, quelque chose qui arrivât, elle n'entreprendroit jamais rien contre lui. Ainsi la conduite sage et modérée de Votre Majesté, au lieu de lui inspirer des sentiments d'estime, de considération et de reconnoissance, n'a produit en lui, comme il arrive à tous les esprits foibles, que des effets tout contraires. Elle lui a relevé le courage que les premières idées de votre puissance et les menaces qu'on lui en avait faites avoient d'abord abattu, et l'a porté à cet excès de confiance que Votre Majesté, n'osant employer d'autres armes contre lui que les discours, les remontrances, et tout au plus les arrêts, il aura toujours des bulles à y opposer, où il prétend avoir de l'avantage. Sur ce pied-là, il ne fait plus de difficulté de tout entreprendre contre vous et de vous donne' toutes les mortifications qui dépendent de lui, approbation fort médiocre, pour ne pas dire ravalement et imputation à vos propres intérêts, sur tout ce que Votre Majesté a fait pour le rétablissement de la religion. Comptez, s'il vous plaît, que c'est là son esprit et l'idée qu'on doit se former de ses intentions fomentées par sa présomption naturelle, par la foiblesse artificieuse pourtant de son esprit et de son âge, et par une vie chagrine et retirée qui ne le rend accessible qu'à un petit nombre de particuliers. Je suis donc persuadé que l'inclination du Saint-Père a beaucoup de part à toute sa conduite mais le crédit de Casoni sur son esprit ne contribue pas peu à l'y confirmer. C'est un Gênois, neveu de Favoriti, élevé par conséquent dans une opposition ai ix intérêts de Votre Majesté, qu'il soutient dans toutes occasions. Pour M. le cardinal Cibo, il est présentement baissé de crédit par celui de son compétiteur, et, quelques bonnes intentions qu'il pût avoir, il veut être complaisant pour ménager le peu de pouvoir qui lui reste. Ceux qui sont chargés du reste des affaires sont plus souvent grondés qu'accueillis, et ont peu de part aux délibérations qui ne se font presque jamais qu'entre lui et Casoni. Je suis très-certain que quand j'aurois pu lui parler en secret et lui commettre le secret de Votre Majesté, il n'en auroit pas fait davantage[20].

Le 18 août, Louvois et Croissy, chacun pour sa part, envoyaient à Chamlay l'ordre de revenir[21]. Le 20, Louis XIV accusait expressément le pape de semer, au profit des protestants, la division parmi les catholiques[22]. Le 21, Louvois écrivait au cardinal de Fürstenberg[23] : Je ne doute point que vous ne soyez informé présentement de la résolution ferme que le roi a prise de vous soutenir dans l'Électorat de Cologne ; et comme Sa Majesté veut être en état de le faire avec succès, elle fait lever six mille chevaux et dix mille hommes de pied, et je suis persuadé qu'entre ci et deux mois, Sa Majesté en fera encore mettre autant sur pied. À trois semaines de là, ce n'était plus seize mille hommes, c'était cinquante-huit mille que Louis XIV ajoutait tout d'un coup aux cent cinquante mille dont se composait, depuis la trêve de 1684, l'armée française sur le pied de paix[24]. Le 2 septembre, le roi faisait, dans l'état-major de l'armée, une vraie promotion de guerre dix-neuf lieutenants généraux, parmi lesquels Vauban, Catinat, Dumetz, La Frezelière, le duc de Vendôme et le marquis d'Huxelles ; trente-huit maréchaux de camp, parmi lesquels d'Asfeld et Tessé ; quarante-deux brigadiers, parmi lesquels, dans la cavalerie, le marquis de Villars[25].

Déjà commençaient les démonstrations militaires. Les troupes du camp de Maintenon s'acheminaient, les unes vers la frontière de Flandre où le maréchal d'Humières formait un corps d'observation, les autres vers la frontière d'Allemagne ; fait plus grave, six régiments de cavalerie, trois régiments de dragons, quatorze bataillons d'infanterie, sous les ordres du marquis de Sourdis et du baron d'Asfeld, entraient sur les terres de l'Électorat de Cologne. Mais le cardinal de Fürstenberg lui-même se récriait ; il suppliait le roi d'arrêter, pour huit ou dix jours, la marche de ses troupes[26]. Qu'attendait-il de ce délai de huit ou dix jours ? Ambitieux pusillanime, il s'effrayait du jeu terrible où son ambition l'avait mêlé ; bien loin de se parer, suivant le mot de Louvois, de la protection publique de la France, il essayait encore d'en faire un mystère, et même il tentait sourdement de la désavouer dans toute l'Europe. Partout il se faisait moquer, et l'odieux de son personnage, aux yeux des Allemands, se teignait de ridicule.

Il y avait longtemps que Louvois lui reprochait, pour avoir voulu, comme l'on dit, ménager la chèvre et les choux[27], de s'être fait sottement le complice de ses adversaires ; mais cette fois, Louvois n'y tenait plus. Il n'est plus temps, s'écriait-il[28], de s'inquiéter du qu'en dira-t-on. Que veut ménager M. le cardinal de Fürstenberg avec le pape et l'Empereur ? Croit-il, après ce que le pape a fait pour le prince Clément, ce qu'il a dit à M. le cardinal d'Estrées qui lui parloit de la part du roi, ce que les ministres de l'Empereur ont dit à son envoyé à Vienne, ce qu'ils ont déclaré à Ratisbonne et à Cologne, avant l'élection, qu'il reste aucune disposition favorable pour lui, et qu'il puisse s'empêcher de devenir la victime de leur haine, d'une autre manière que par la protection du roi ? Et ne sait-il pas bien que, plus tôt cette protection éclatera de manière que l'on ne puisse plus douter de la résolution que le roi a prise de faire plutôt la guerre pendant vingt ans que de le laisser opprimer, plus tôt l'on connoîtra que Sa Majesté y veut employer ses troupes, et plus ceux qui pourroient s'engager à soutenir M. le prince Clément, dans l'espérance que le roi ne s'y opposeroit pas et n'auroit point désagréable qu'un frère de madame la Dauphine devînt Électeur de Cologne, deviendront retenus à porter ses intérêts et à s'engager dans les ligues que le prince d'Orange fait négocier de tous côtés ? Et pour enlever à ce triste politique sa dernière illusion, Louvois ajoutait : M. le cardinal de Fürstenberg sera informé par M. de Croissy de ce que le roi a résolu à l'égard du pape, duquel, suivant toutes les nouvelles que l'on reçoit de Rome, on ne doit pas espérer obtenir aucune justice que par des voies violentes auxquelles Sa Majesté paroît résolue d'avoir recours, après en avoir essayé inutilement de tout opposées.

Le 6 septembre, une lettre royale fut envoyée au cardinal d'Estrées ; c'était un réquisitoire virulent, plein de récriminations et de menaces, une déclaration de rupture à l'adresse du pape. Dès que le pape en eut entendu la lecture, pour toute réponse, il invoqua la justice de Dieu ; puis il fit appeler son secrétaire, et, devant le cardinal, lui commanda d'expédier sur le champ les bulles qui conféraient au prince Clément de Bavière l'archevêché de Cologne[29].

Entre Innocent XI et Louis XIV, la guerre était déclarée. Louvois avait fait ses dispositions ; une instruction, datée du 13 septembre, prescrivait au marquis de La Trousse de se tenir prêt à chasser d'Avignon le vice-légat, au premier ordre. L'ordre venu, M. de La Trousse eut bientôt fait de renvoyer le vice-légat et de se mettre en son lieu. Ce n'était pas tout. Il y avait, dans le Comtat-Venaissin, un évêque de Vaison, sujet du pape à tous les titres, et qui ne devait rien au roi de France ; mais cet évêque était signalé comme ayant commerce avec les quelques prélats français qui, dans les questions religieuses, ne pensaient pas selon le gré de Louis XIV, et comme ayant retiré dans son petit diocèse de pauvres religieuses persécutées en France[30]. L'évêque devait être arrêté d'abord avec toute sorte d'honnêteté ; mais bientôt, ayant été jugé plus méchant qu'on n'avait cru, il fut pris sommairement, mis sur un cheval entre huit dragons, et envoyé tout d'une traite à la citadelle de Ré. Vous prierez M. de Bâville, mandait Louvois au marquis de La Trousse[31], de faire donner quarante sols par jour à chaque dragon, à l'officier une demi-pistole, et un écu pour la nourriture de M. l'évêque et de son cheval ; et, comme c'est un insolent qui a manqué souvent de respect au roi, il est bon que, sans manquer à la considération que l'on doit à son caractère, il fasse le voyage avec peu de commodité, et qu'on lui laisse croire qu'on le mène en Canada.

N'était-ce point donner beau jeu aux libellistes ? Et lorsque l'un d'eux s'écriait[32] : On voit clairement que la religion de la cour de France est un pur intérêt ; le roi ne fait rien que pour ce qu'il appelle sa gloire et sa grandeur ; catholiques et hérétiques, saint-pontife, Église, et tout ce qu'il vous plaira, est immolé à son grand orgueil ; il faut que tout soit réduit en poudre sous ses pieds ; on va le grand chemin de mettre en France les droits sacrés du Saint-Siège au même état que les privilèges accordés aux calvinistes ; toute autorité ecclésiastique est anéantie ; on ne sait ce que c'est que de canons, que de pape, que de conciles ; tout est englouti dans l'autorité d'un seul homme ; devait-on s'étonner d'un tel langage ?

Cependant Louis XIV prenait soin de faire déclarer aux évêques, aux chapitres, aux curés des paroisses, aux supérieurs des maisons religieuses, au recteur et aux membres de l'Université, que, quoi qu'il pût arriver de ses démêlés avec le pape, il conserveroit toujours le respect qu'il devoit au Saint-Siège ; et, sous le bénéfice de cette réserve, il obtenait d'ajouter aux arrêts du parlement l'approbation du clergé de France[33]. Il essayait en même temps de raffermir l'opinion publique, émue de ces tempêtes.

Les correspondances privées, souvent inexactes sous le rapport des faits, ont, sur les documents officiels, l'avantage de reproduire mieux, dans les temps de crise, le mouvement des esprits. Tel est le genre d'intérêt que peut offrir la lettre suivante, écrite par un ancien intendant, retiré du service, à l'un de ses amis, officier général : Le pape viole tous les canons de l'Église par sa conduite, laquelle nous inquiète. Si nous pouvions en être quittes pour cela, nous laisserions à la justice de Dieu le soin de le punir, ou à sa miséricorde celui de le corriger ; mais je crains que nous ne soyons châtiés de ses fautes ; car tout est contre nous, et peut-être que Populi non meditati sunt inania. Nous ne les avons pas ménagés, vous le savez aussi bien que moi. Il est vrai que nous avons un roi sage et un ministre capable d'exécuter ses desseins et ses projets ; ruais ce n'est pas toujours assez. Le parlement rend des arrêts et l'Université des décisions ; nous avons donc la justice et la religion ; j'espère que nous aurons encore, avec les canons de l'Église, ceux qui les font valoir[34]. L'inquiétude, le doute, le défaut de confiance, un certain regret de la politique agressive, c'étaient bien les sentiments qui attristaient la France en 1688.

Cette année 1688 est un des grands moments de l'histoire ; elle pousse à la guerre, en dépit de lui-même, le despotisme arrogamment pacifique de Louis XIV, et elle abîme dans une chute ridicule le despotisme sénile de Jacques Stuart. Dans sa lettre du 6 septembre, Louis XIV disait : Il y a beaucoup d'apparence que la conduite du pape va causer une guerre générale dans la chrétienté. C'est cette conduite qui donne au prince d'Orange la hardiesse de faire tout ce qui peut marquer un dessein formé d'aller attaquer le roi d'Angleterre dans son propre royaume et de prendre pour prétexte d'une entreprise si hardie le maintien de la religion protestante ou plutôt l'extirpation de la catholique. Le reproche était juste ; mais le pape ne pouvait-il pas aussi justement reprocher à Louis XIV d'avoir servi à souhait l'ambition du prince d'Orange ?

Après la paix de Nimègue, et même après la trêve de Ratisbonne, Guillaume avait tenu la conduite la plus habile et la plus simple : il n'avait rien fait, ou dut moins il avait paru ne rien faire. En Hollande, pendant la grande guerre qui avait commencé sa fortune, quels étaient les principaux griefs du parti qui lui faisait obstacle ? C'était que, dans sa haine obstinée contre la France, y avait plus de calcul que de passion sincère, que son intérêt propre y avait plus de part que l'intérêt national, que, pour prolonger sa dictature, il prolongeait la guerre à dessein, et que, en fin de compte, l'indépendance de la Hollande était moins menacée par Louis XIV que sa liberté ne l'était par le stathouder. Il est certain que la paix de Nimègue, faite contre lui et malgré lui, avait été saluée par les riches marchands d'Amsterdam, non-seulement comme un événement favorable à la prospérité du commerce, mais encore et surtout comme un triomphe pour les libres institutions de la Hollande. Le prince d'Orange n'avait pas le droit de se plaindre, car tous ces griefs étaient vrais. Il aurait pu se plaindre néanmoins, même sans en avoir le droit, si l'intérêt de son ambition eût demandé qu'il se plaignit. Mais ce profond politique avait jugé que le silence lui convenait mieux ; il ne s'était donc ni plaint ni défendu ; il s'était replié  dans sa dignité blessée, inactif en apparence. Qu'avait-il besoin d'agir ? Le roi de France agissait bien assez pour lui.

C'était de Louis XIV, en effet, que Guillaume attendait la justification et le succès de sa politique ; il n'attendit pas longtemps. Chacune des usurpations de Louis XIV, chacune de ses violences ou de ses insolences ajoutait un nouvel argument et ralliait de nouvelles sympathies à la cause du stathouder. La révocation de l'édit de Nantes acheva son triomphe. Non-seulement il n'eut plus, dès ce moment, d'adversaires sérieux en Hollande, mais encore la foule de ses amis se trouva grossie tout à coup par cette affluence de réfugiés d'élite, ministres, écrivains, militaires, qui s'empressaient autour de lui comme autour de leur chef naturel. Non-seulement on ne lui barrait plus le chemin, mais on le poussait en avant. Les mêmes gens qui le retenaient naguère, c'était lui qui était forcé de les retenir à son tour. Il attendait. De toutes les parties de l'Europe, étrangère de tout temps aux défiances qu'il avait soulevées jadis et décidément vaincues en Hollande, on le consultait, on le sollicitait, on l'invoquait. Il se laissait souhaiter. Même dans la ligue d'Augsbourg, il n'avait pas mis formellement son nom, ni celui de la Hollande ; mais il était au fond de cette ligue ; il en était l'âme invisible et présente.

Il était l'âme aussi de la révolution qui fermentait en Angleterre. Jacques II, son beau-père, l'avait servi mieux encore que Louis XIV, son ennemi. En trois années, ce roi déplorable avait réveillé les pires souvenirs et ramassé tous les griefs reprochés à sa race ; il avait provoqué dans ses plus chers intérêts une nation jalouse de ses droits jusqu'à la fureur ; il avait persécuté les personnes, et les partis comme les personnes. Dans sa passion de restaurer le catholicisme, il avait feint de vouloir instituer la liberté religieuse ; mais les dissidents repoussaient ses faveurs, et les catholiques eux-mêmes s'en effrayaient. Il n'avait point d'amis ; ses ministres, ses favoris, ses serviteurs, ses proches même, souhaitaient et préparaient sa chute. L'Angleterre frémissante appelait son libérateur, Guillaume d'Orange. Guillaume, cependant, calmait les impatiences, étouffait les appels trop hardis. Mari de l'héritière légitime du trône, il devait régner un jour, selon l'ordre de la succession naturelle. Mais lorsque la grossesse inattendue de la reine d'Angleterre vint menacer les droits de la femme et ses propres espérances, il se décida.

C'était le temps où Louis XIV envoyait le marquis de Lavardin braver le pape dans Rome ; c'était le temps où Louis XIV faisait nommer coadjuteur de Cologne le cardinal de Fürstenberg. Quel concours d'événements favorables ! En 1678, afin de décider Charles II contre Louis XIV, un libelle avait été publié sous ce titre expressif : L'Europe esclave, si l'Angleterre ne rompt ses fers. Combien ce titre eût été plus expressif encore en 1688 ! Mais il n'en était pas besoin ; l'Angle- terre et l'Europe étaient d'accord ; l'Angleterre attirait, et l'Europe poussait Guillaume en Angleterre. La révolution qui se préparait à Londres était d'un intérêt européen ; elle avait les sympathies et les encouragements de tous les princes en Europe.

Il n'y avait que le pape qui s'y trompât ; uniquement préoccupé de Louis XIV, il se persuadait naïvement que le prince d'Orange ne songeait qu'à prévenir l'usurpation du cardinal de Fürstenberg à Cologne. On avait soin de le laisser dans son erreur ; mais ses entours connaissaient parfaitement la vérité sur les affaires. Le 18 décembre 1687, le cardinal d'Estrées, ayant réussi à faire surprendre les informations particulières de Casoni, écrivait à Louvois : On a trouvé, dans les papiers de ce secrétaire du pape, dans un coin secret de son petit cabinet, où il tient les papiers dont il ne s'est pas encore servi, que les Anglois sont d'accord avec le prince d'Orange pour détrôner le roi Jacques II, et élever sur le trône la princesse d'Orange sa fille, et par conséquent son mari Guillaume, que les Anglois sont aussi résolus d'ôter la vie à leur roi et au prince de Galles, si la reine accouchoit d'un fils, et que le prince d'Orange ne doit pas aller en Allemagne commander les troupes de l'Empereur ; que ce n'est qu'un pur prétexte pour amuser le pape et les peuples, afin qu'on n'ait aucun soupçon que ce prince veuille s'élever sur le trône d'Angleterre, et que très-assurément le pape ne sait rien de cette intrigue fatale contre le roi Jacques II ; car on lui a seulement fait accroire que le prince d'Orange doit passer en Allemagne[35].

De toutes parts des informations pareilles arrivaient à Versailles, sauf de Londres ; où Jacques II, fort tranquille, faisait partager sa confiance à l'ambassadeur français, Barillon. Cela seul est exact ; car il ne l'est pas que la sécurité de Barillon ait effacé, dans l'esprit de Louis XIV et de ses ministres, les impressions toutes contraires que leur donnait la correspondance du comte d'Avaux, ambassadeur en Hollande.

Lorsque, après l'accouchement de la reine d'Angleterre et la naissance d'un prince de Galles, le 20 juin 1688, la conjuration commença de se révéler, en Angleterre, par d'insolentes rumeurs qui niaient hardiment la grossesse de la reine et la naissance du prince, lequel, disait-on, n'était qu'un enfant supposé, en Hollande, par les armements du prince d'Orange et l'agitation menaçante de ses amis, Louis XIV résolut de réunir à sa flotte de l'Océan celle de la Méditerranée, qui, sous les ordres du maréchal d'Estrées, venait d'essayer contre les Algériens un bombardement inutile, et de les envoyer l'une et l'autre au secours de Jacques II. Aux offres de Louis XIV, Jacques II répondit fièrement qu'il, n'avait pas besoin de secours. On a voulu dire que Louvois, en haine de Seignelay, s'était opposé vivement à toute démonstration de la marine française ; la vérité est qu'au contraire, bien loin d'y faire obstacle, il était d'avis, même après le refus du roi d'Angleterre, de désarmer le plus tard possible les vaisseaux du maréchal d'Estrées, et de les désarmer à Brest plutôt qu'à Toulon, afin qu'on sût au moins en Hollande que la flotte de la Méditerranée était passée dans l'Océan[36]. Si ce conseil ne fut pas suivi, si la flotte fut retenue à Toulon, et si ce fut une faute, il est bon qu'on ne s'en prenne pas d'abord à Louvois.

Rien n'est plus attrayant ni plus commode que de raisonner à loisir sur les faits accomplis ; c'est un plaisir que se donnent volontiers les gouvernés aux dépens de ceux qui gouvernent ; mais encore faut-il raisonner juste. Après le brusque renversement de Jacques II, ce fut le cri général en France qu'on aurait dû faire agir en sa faveur la marine française. Vauban lui-même, avec un certain embarras et sous toute réserve, il est vrai, se fit un jour l'écho de cette opinion : Les gens qui ne voient les affaires que par un trou, écrivait-il à Louvois, le 25 février 1689, sont sujets à se tromper souvent quand ils se veulent mêler d'en parler. C'est peut-être ce qui fait que je me suis trompé de m'imaginer qu'on a eu tort de n'avoir pas équipé quarante vaisseaux pour joindre ou ne pas joindre la flotte du roi d'Angleterre, aussitôt que l'entreprise du prince d'Orange fut découverte ou seulement soupçonnée.

Qu'auraient dit cependant le public français et Vauban, si, le roi d'Angleterre se trouvant insulté d'être soutenu malgré lui par le roi de France, la flotte de France avait été reçue et ramenée à coups de canon par la flotte d'Angleterre ? Ce danger ridicule était-il aussi bien un danger chimérique ? Non, certes. C'était, non sur des conjectures seulement, mais sur des faits positifs que le gouvernement de Louis XIV avait dû régler sa conduite. Malgré le premier refus de Jacques II, Louis XIV avait fait déclarer solennellement aux États-Généraux des Provinces-Unies, le 9 septembre, que le premier coup de canon qui seroit tiré par eux contre les Anglois, Sa Majesté le tiendroit pour un acte d'hostilité fait contre ses États, et qu'elle leur feroit la guerre de toutes ses forces[37]. Mais aussitôt Jacques OI avait désavoué publiquement, à Londres et à La Haye, la déclaration de Louis XIV ; ce n'est pas tout ; pour donner plus de force à son désaveu, il avait brusquement rappelé de Paris Skelton, son ambassadeur, coupable d'avoir souffert la démarche du gouvernement français, et, dès son arrivée à Londres, il l'avait fait enfermer à la Tour. L'éclat fut tel que Louis XIV se vit obligé de protester contre cette manière de rupture diplomatique[38].

Cependant c'était le temps où Louvois écrivait au maréchal d'Humières[39] : Par toutes les nouvelles qui viennent de Hollande, il paroit que le prince d'Orange est sur le point de s'embarquer pour aller en Angleterre, où l'on prétend que les mesures sont prises de manière qu'en trois semaines de temps il obligera le roi d'Angleterre d'en sortir ; au moins ce sont les termes de toutes les lettres qui viennent de ce pays-là ; et les mêmes lettres assurent qu'il doit embarquer avec lui une partie des troupes de l'État, à la place desquelles les troupes qu'il a empruntées, pour trois mois, de quelques princes d'Allemagne, seront établies dans les quartiers qu'il jugera le plus à propos pour maintenir, son autorité.

Quelques jours à peine se sont passés depuis le rappel de Skelton ; on apprend que Louis XIV a résolu d'assiéger Philisbourg ; aussitôt Jacques II fait déclarer à La Haye qu'il regarde cette entreprise comme une violation de la trêve de Ratisbonne, et que, puisqu'il est un des garants de la trêve, il est prêt à s'entendre avec la Hollande et l'Espagne, afin d'obliger le roi de France au respect de ses obligations envers l'Europe. Ainsi voyez la gradation : au mois de juillet, refus d'alliance et d'assistance ; au mois de septembre, désaveu public et rappel d'ambassadeur ; au mois d'octobre, démonstration très-voisine d'une déclaration de guerre.

Cependant c'était le temps où Louvois écrivait à son frère, l'archevêque de Reims[40] : Il paroît, par les nouvelles que je viens de recevoir de La Baye, que le prince d'Orange a fait embarquer neuf mille hommes de pied et trois à quatre mille chevaux, avec lesquels il est en état de partir, au premier bon vent, pour aller rendre visite au roi d'Angleterre, auquel on prétend qu'il ne demande autre chose qu'une déclaration que. le prince de Galles n'est ni son fils ni celui de la reine d'Angleterre, et que la princesse d'Orange est légitime héritière du royaume.

Dans toute l'Europe, en Angleterre même et en France, on avait pris une telle habitude, par une expérience de vingt-cinq ans, de voie la politique anglaise à la remorque de celle de Louis XIV, qu'on ne s'était pas avisé qu'il en pût être autrement sous le successeur de Charles II. On commettait en cela une grande erreur et une grande injustice. Jacques II, au moins en ce qui touchait aux affaires du dehors, était un roi beaucoup plus national que son frère. En mainte occasion, Louis XII avait eu à se plaindre de ses hauteurs ; jamais il n'avait pu lui persuader de nouer ensemble quelque liaison intime et secrète. Jacques II, il est vrai, avait refusé naguère de se joindre à la ligue d'Augsbourg ; c'est qu'il voulait avant tout achever en Angleterre la réforme intérieure qu'il avait rêvée, par la restauration du pouvoir absolu et de la religion, catholique ; et si ce rêve d'un esprit faux, aveugle, mais sincère, avait pu s'accomplir, il n'est pas douteux que le roi Jacques ne se mi associé tôt ou tard à la réaction de l'Europe contre la puissance excessive de Louis XIV.

L'habileté du prince d'Orange avait été justement de profiter des délais de son beau-père, afin d'empêcher que l'Europe ne crût à ses bonnes intentions pour l'avenir. Lorsque, au mois d'octobre 1688, Jacques II offrait aux Hollandais et aux Espagnols de s'unir à eux contre la France, il ne faisait que devancer l'heure qu'il s'était fixée d'abord ; il ne reniait aucun de ses principes ; il sacrifiait seulement quelques-uns de ses desseins au maintien de la paix publique en Angleterre ; car il ne doutait pas que, par cette issue ouverte un peu trop tôt à son gré, les passions violentes ne prissent leur courant au dehors ; la guerre étrangère lui semblait être un préservatif héroïque contre les révolutions et les guerres civiles. Il était trop tard ; surpris, glacé par le froid dédain de l'Europe et l'irréconciliable aversion de son peuple, Jacques Stuart ouvrit tout à coup les yeux[41], aperçut l'abîme, et tomba. La France perdit en lui, non pas un allié, non pas même un neutre, mais certainement un adversaire. Que le roi d'Angleterre s'appelât Guillaume ou Jacques, la guerre entre l'Angleterre et la France était inévitable ; elle devait seulement être avec l'un plus sérieuse qu'avec l'autre.

S'il n'était pas permis à Louis XIV, sous peine d'un ridicule échec, de soutenir Jacques II malgré lui, directement et sur mer, ne pouvait-il pas au moins le secourir à son insu, pour ainsi dire, indirectement et sur terre ? A cette question, le duc de Saint-Simon et la plupart des contemporains ont répondu : oui, cela était possible ; et, d'écho en écho, cette affirmation s'est propagée dans l'histoire. On la répète encore. On a même indiqué le point sensible où Louis XIV aurait dû précisément frapper : Maëstricht. Si Louis XIV, au lieu de Philisbourg, eût assiégé Maëstricht, la Hollande, effrayée, arrêtait le départ de Guillaume, et Jacques II était sauvé. Voilà ce qu'on affirme, et la grande preuve qu'on donne à l'appui, c'est que, à la nouvelle du siège de Philisbourg, les actions de la Compagnie des Indes montèrent de 10 pour 100 en Hollande. Un mois auparavant, les grands armements du prince d'Orange avaient produit sur les mêmes actions une baisse de 16 pour 100[42] ; est-ce à dire que l'opinion publique, en Hollande, était contraire aux des- seins du prince d'Orange ? Ces faits-là ne prouvent qu'une chose, c'est qu'il y avait parmi les financiers d'Amsterdam des spéculateurs fort habiles, et que les jeux de bourse ne sont pas d'invention récente ; mais les arguments de bourse n'ont jamais eu qu'une valeur médiocre en histoire.

Il y a des choses que tout le monde dit, parce qu'elles ont été dites une fois[43]. Cette remarque de Montesquieu peut s'appliquer justement à l'opinion qui reproche à Louis XIV, et surtout à Louvois, car c'est toujours à Louvois qu'on s'en prend, d'avoir préféré au siège de Maëstricht celui de Philisbourg. C'est, d'ailleurs, une opinion spécieuse et d'autant plus difficile à combattre que, pour l'atteindre, il faut s'aventurer soi-même dans les vagues espaces du probable et du possible. Cependant le terrain solide ne manque pas absolument. Rien qu'à jeter les yeux sur une carte, il est malaisé de voir comment le siège de Maëstricht aurait eu le merveilleux effet qu'on lui prête. Sans doute Maëstricht était une possession hollandaise, mais point du tout au cœur de la Hollande, fort loin au contraire, dans une situation tout à fait excentrique. Sans doute le siège de Maëstricht aurait été pour les Hollandais une affaire désagréable, et pour le prince d'Orange un certain embarras qu'il a mieux aimé naturellement ne pas avoir[44], mais non point, à coup sûr, un embarras à lui faire abandonner, ni même retarder ses projets sur l'Angleterre. Si Louis XIV s'était hasardé au siège de cette grande place, éloignée de la France, beaucoup plus forte et mieux pourvue qu'en 1673, il est permis de croire qu'il aurait eu beaucoup plus de peine à la réduire, et que cependant le prince d'Orange aurait pris le temps d'aller chercher et gagner en Angleterre la revanche de Maëstricht[45].

L'efficacité du siège de Maëstricht a donc soulevé quelque doute, même parmi ses partisans ; doute fécond ; leur thèse, bien loin d'y perdre, n'a fait qu'y gagner. Pourquoi Louis XIV, ont-ils dit, n'aurait-il pas, en 1688, recommencé la campagne de 1672 ? Pourquoi n'aurait-il pas envahi la Hollande, la vraie Hollande ? Apparemment il était aisé à Louis XIV, n' étant point préparé pour la guerre, ayant toute l'Europe contre soi, vis-à-vis d'un adversaire vigilant, avisé, armé, de tenter avec succès, en 1688, la même entreprise qui, en 1672, après quatre ans de préparatifs, avec des alliés utiles et l'Europe neutre, contre un adversaire surpris, désarmé, mal servi, avait fini décidément par un échec ! Aussi bien, qu'importait à Guillaume d'Orange, non pas seulement le siège de Maëstricht, mais l'invasion même de la Hollande ?

On méconnaît singulièrement le génie, le caractère, la situation de ce grand ambitieux ; on oublie trop qu'il fallait, pour lui-même, pour l'Angleterre, pour l'Europe, qu'il fût, à tout prix, le roi d'Angleterre. La couronne des Stuarts était sa proie fatale, et, pour s'en saisir, sa volonté impitoyable était résolue à tout sacrifier. Qui aurait pu le retenir, qui aurait osé lui résister en Hollande ? Il y était le maître absolu ; cette république était sienne ; elle n'avait pas attendu d'être sacrifiée, elle s'était dévouée elle-même, et son histoire n'a que trop montré depuis jusqu'où elle avait poussé le dévouement et le sacrifice. Quand on a dit de Guillaume III qu'il étàit stathouder d'Angleterre et roi de Hollande, on a fait mieux qu'un trait d'esprit ; on a résumé en deux mots la révolution de 1688. Oui, de La Haye à Londres une main despotique a porté la liberté ; mais, après cette transmigration de l'âme des peuples, tandis que l'Angleterre vivifiée renaît, la république de Hollande se meurt.

De Maëstricht revenons à Philisbourg, des conjectures aux faits, du possible au réel. On sait quelles inquiétudes Louis XIV avait pour sa frontière d'Allemagne, et combien les Allemands lui devaient de vengeances. L'affaire de Cologne évoquait la guerre sur le Rhin : Louis XIV voulut y devancer l'ennemi. Philisbourg était la seule porte ouverte aux Allemands dans le voisinage de la France : Louis XIV voulut leur fermer cette porte. Il résolut, pour plus de sûreté, de border le cours du Rhin jusqu'à Cologne, et d'occuper Kaiserslautern dans le Palatinat cisrhénan. Toutes ces résolutions furent prises dans les cinq ou six derniers jours du mois d'août[46]. Mais, en même temps, Louis XIV s'efforçait de donner aux actes qu'il venait de décider soudain, le caractère d'une agression défensive ; alliance de mots et d'idées tout à fait heureuse, si ce n'est qu'il y avait beaucoup à douter que l'Europe s'en déclara satisfaite.

L'Europe avait déjà quelque expérience de ces habiletés de langage : c'était à peu près ainsi que Louis XIV avait commencé la guerre contre l'Espagne, en 1667 et en 1683. Cette fois il était sincère, et il donnait d'abord la preuve de sa sincérité, puisqu'il offrait de restituer Philisbourg, aussitôt après l'avoir pris, et Fribourg en outre, l'un et l'autre démantelés, à condition que la trêve de Ratisbonne fût convertie en une paix solide et définitive. Mais il avait si souvent abusé l'Europe qu'elle n'avait, plus aucune foi dans ses promesses, et qu'elle prenait comme un avant-goût de vengeance à voir l'embarras où se jetait de lui-même le grand trompeur[47].

Un manifeste, au nom de Louis XIV, fut publié le 25 septembre, le jour même où les hostilités devaient commencer dans le Palatinat. Outre les conditions relatives à Philisbourg et à Fribourg, il y était dit que le roi s'engageait à restituer également Kaiserslautern, si l'Électeur Palatin consentait à reconnaître et à racheter, moyennant finance, les droits dé. Madame à la succession du dernier Électeur ; quant à l'affaire de Cologne, le roi promettait de rappeler ses troupes et de procurer au prince Clément de Bavière le titre de coadjuteur, si l'Empereur et le pape acceptaient pour Archevêque-Électeur le cardinal de Fürstenberg. Un délai de trois mois, jusqu'au 1er janvier 1689 était accordé aux Allemands, pour acquiescer à ces propositions. On leur donnait ainsi le temps de réfléchir et de laisser tomber le premier feu de leur colère. Ils étaient fort échauffés, en effet, et l'on n'était pas sans inquiétude pour la sécurité des Français qui se trouvaient en Allemagne. L'aîné des fils de Louvois, Courtenvaux, en était revenu à temps ; mais le second, Souvré, n'avait pas encore quitté l'armée impériale engagée contre les Turcs ; il venait même d'assister, le 6 septembre, à l'assaut de Belgrade. D'autre part, il y avait beaucoup d'Allemands à Paris : c'étaient des otages qu'on avait sous la main ; ceux-ci répondant pour ceux-là, le mal, en fin de compte, se réduirait à quelques désagréments sans importance, à joindre au chapitre des accidents de voyage. Louvois, en homme prudent, avait pris l'initiative. Le 21 septembre, il s'informait des gens de qualité d'Allemagne qu'il pouvait y avoir dans les académies de la ville et du faubourg Saint-Germain ; deux jours après, il écrivait au lieutenant de police, M. de La Reynie : L'intention du roi est que les sujets de l'Empereur soient mis en sûreté, c'est-à-dire que ceux qui ne veulent pas donner caution de ne point partir sans permission du roi, vous les envoyiez à la Bastille, où ils auront toute sorte de liberté, hors celle d'en sortir, jusqu'à ce que l'on sache si l'Empereur voudra donner des passeports à ceux des sujets du roi qui sont dans ses États. A l'égard de ceux qui ne sont pas sujets de l'Empereur, vous devez vous contenter de les avertir de ne point songer à partir de Paris sans passeport. La caution à fournir, pour éviter d'avoir toute sorte de liberté à la Bastille, hors celle d'en sortir, était fixée à la somme de dix mille livres, sous la garantie d'un marchand solvable[48].

L'effet fut celui qu'on avait prévu ; les jeunes gentilshommes français qui se trouvaient en Allemagne furent mis en sûreté par les Allemands, le marquis de Souvré, sans doute, avec des attentions toutes particulières[49] ; après quoi, l'on travailla de part et d'autre aux échanges, qui ne se firent pourtant pas avec toute la célérité que réclamait l'impatience des intéressés. Souvré ne se trouva libre qu'au mois de février 1689. Pendant sa captivité, son frère aîné, Courtenvaux, colonel du régiment de la Reine[50], avait eu l'honneur de faire campagne, et même d'être blessé légèrement, sous les ordres de Monseigneur le Dauphin de France.

C'était, en effet, à son fils que Louis XIV avait réservé la gloire de prendre Philisbourg : En vous envoyant commander mon armée, lui avait-il dit, je vous donne des occasions de faire connoître votre mérite ; allez le montrer à toute l'Europe, afin que, quand je viendrai à mourir, on ne s'aperçoive pas que le roi soit mort[51]. Mais comme l'élève de Bossuet et du duc de Montausier n'avait jamais fait, ni même vu la guerre, il avait fallu lui choisir pour lieutenant un général qui fût en état d'achever son éducation.

En deux ans, l'armée avait perdu son plus glorieux et ses meilleurs chefs. Quoiqu'il eût cessé d'agir depuis la campagne de 1675, et qu'il fût devenu même incapable d'agir, M. le Prince, le grand Condé, n'imposait pas moins à l'Europe ; son nom seul était une force ; quand il mourut, le 11 décembre 1686, tout le monde sentit que la puissance militaire de la France, entamée déjà par la mort de Turenne, venait de subir une nouvelle et profonde mutilation. Quelques semaines à peine écoulées, le premier élève de Turenne, le maréchal de Créqui, disparaissait soudain, alors que ses talents, éprouvés et mûris par toutes les fortunes de la guerre, atteignaient presque au génie du maître[52]. Avant d'être affaibli par ces deux grandes pertes, Louis XIV s'était volontairement privé des services du maréchal de Schönberg ; c'était un des plus fâcheux effets de la révocation de l'édit de Nantes.

Le 11 mars 1686, M. de Schönberg avait pris congé du roi pour se retirer d'abord en Portugal ; mais un pays catholique ne pouvait pas être longtemps l'asile de ce protestant réfugié. Appelé, en 1687, par l'Électeur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume, il avait poussé le respect de ce lien que Louis XIV avait brisé lui-même, jusqu'à demander à son ancien maître la permission de s'attacher à un autre. Le 24 mai 1687, Louis XIV chargeait Louvois de faire savoir à M. de Schönberg qu'il lui permettait d'entrer et de rester au service de l'Électeur, tant que celui-ci demeurerait dans son alliance ; à quoi le ministre, ami de l'ancien maréchal de France, ajoutait pour son propre compte[53] : Je souhaite que vous y trouviez toute la satisfaction que vous méritez, en attendant que Dieu vous dispose à revenir en ce pays-ci, où personne ne souhaite plus que moi d'avoir l'honneur de vous voir. Ce n'était point un compliment banal, c'était un vœu sincère. Louvois regrettait profondément la retraite d'un homme de cette valeur ; Louis XIV, moins attentif, n'en connut l'effet que l'année suivante ; lorsque, l'Électeur de Brandebourg étant mort, son successeur Frédéric III, plus vif et plus hostile, eut décidé M. de Schönberg et l'eut compromis sans retour contre la France. Au moment d'exécuter ses plans et d'occuper le cours du-Rhin, le roi se vit tout à coup prévenu sur un des points les plus importants ; le 21 septembre 1688, trois mille hommes des troupes de Brandebourg étaient entrés dans Cologne, et c'était M. de Schönberg qui les y avait menés. Cette première étape dans les voies de la coalition était décisive ; la seconde allait porter M. de Schönberg dans le camp même du prince d'Orange.

Après la retraite de Schönberg et la mort de Créqui, Luxembourg demeurait bien, il est vrai ; mais Luxembourg, il est important d'en faire la remarque, n'était point encore le glorieux capitaine que le peuple de Paris, familier avec les victorieux, devait surnommer le tapissier de Notre-Dame. Il n'avait à son compte, comme général en chef, que la douteuse bataille de Saint-Denis, et, souvenir moins populaire encore, la triste campagne d'Allemagne, en 1676. Le nom de Luxembourg et celui de Philisbourg s'accordaient mal ensemble[54]. En outre, il n'avait fait aucun effort pour se relever de sa disgrâce ; il était resté, depuis sept ans, un courtisan flétri. Ce n'était point à lui que Louis XIV devait confier, après Montausier et Bossuet, l'éducation du Dauphin. Il fut donc, sans que personne s'en étonnât, écarté du commandement ; mais, par une sorte de satisfaction dédaigneuse et presque humiliante, Louis XIV, un jour qu'il partait pour la chasse, voulut bien lui donner le gouvernement de Champagne, qui valait cinquante-quatre mille livres de rente, et même un peu davantage, selon la remarque de Dangeau, l'homme exact[55].

Ce fut le maréchal de Duras qui, sous l'autorité nominale du Dauphin, reçut la mission d'initier son jeune maître aux principes et aux pratiques de la guerre ; sans être un grand général, il savait son métier. D'ailleurs, on lui donnait comme aides les hommes les plus autorisés en tout genre : Catinat et Montclar pour la tactique, les manœuvres, le grand maniement des masses armées ; Vauban pour l'attaque et la défense des places ; La Frezelière pour l'artillerie ; Chamlay pour les campements, les reconnaissances, les marches ; Saint-Pouenges pour l'administration militaire et les subsistances. Malheureusement la condition des troupes ne répondait point à l'éclat de cet état-major.

On ne saurait trop le redire, la guerre n'était ni dans les projets de Louis XIV, ni dans ceux de Louvois. Ils avaient cru soudain à la nécessité de la faire, mais ils ne s'y étaient point préparés. Les officiers et les soldats en avaient perdu l'habitude ; de toute façon, l'infanterie avait laissé beaucoup de ses forces dans les travaux désastreux de la rivière d'Eure. Il fallait que l'armée française se retrouvât et qu'elle se refît. Louvois seul n'avait pas besoin de se refaire, ou du moins il n'y paraissait pas ; secouant d'un seul coup ses fonctions parasites, il s'était retrouvé, dès le premier jour, le ministre des grandes guerres.

Rapidement, sans hésitation, il avait tout disposé pour le siège de Philisbourg. Selon son usage, tout était mystère ; nulle concentration de troupes, nulle réunion d'officiers généraux, nul mouvement indiscret. Celui-ci était à Luxembourg, celui-là en Flandre, lei autre en Franche-Comté ; mais chacun savait ce qu'il avait à faire ; à l'heure dite, il se dérobait, prenait les chemins de traverse, et se trouvait à son poste. Jamais la mécanique militaire n'avait mieux marché. Des farines, préparées à Chartres, étaient acheminées vers l'Alsace, sous le plomb de la douane, comme des marchandises de transit[56] ; les chariots une fois déchargés, les charretiers et les chevaux devaient être employés aux transports de l'artillerie, dont le matériel abondait dans les magasins de Brisach et de Strasbourg.

Le 25 septembre, le jour même où paraissait le manifeste de Louis XIV, le maréchal d'Humières, avec un corps de dix à douze mille hommes, s'avançait entre Sambre et Meuse, comme pour envahir le pays de Liège ; le marquis de Boufflers, avec dix bataillons et deux mille chevaux, entrait, d'un côté, dans le Palatinat cisrhénan et marchait à Kaiserslautern, tandis que le marquis d'Huxelles, avec deux brigades d'infanterie, y entrait d'autre part, et marchait à Spire. Le même jour enfin, d'autres troupes sortaient de Strasbourg et passaient sur la rive droite du Rhin ; mais il y eut là, pour un de ces détachements, un léger échec dont Vauban, qui était au Fort-Louis, rendait ainsi compte à Louvois, le 28 septembre[57] : On a débuté assez grossièrement, avant-hier matin, par vouloir entrer dans Offembourg avec un détachement de quatre cents hommes, qui, ayant marché toute la nuit, et bien fait japper et hurler tous les chiens des villages où l'on passa, trouva les habitants sur leurs gardes et les portes fermées qu'on ne leur voulut pas ouvrir, ce qui l'obligea à s'en revenir, sans avoir fait autre chose que de fournir matière aux gazettes de faire de beaux discours. Je suis le plus trompé du monde, si le marquis d'Huxelles ne réussit de même à Spire et à Neustadt. Toutes les villes de ces pays-ci, qui sont fermées, ont leurs murailles bien entretenues, et rarement y en a-t-il dont la clôture ne soit double ; c'est pourquoi il ne faut jamais s'y présenter sans canon et sans être en état de les forcer. C'est s'abuser que de penser d'en venir à bout autrement.

Où Vauban croyait avoir raison, l'événement lui donna tort ; car le marquis d'Huxelles entra sans difficulté dans Spire ; mais il eut raison à Kaiserslautern qui ferma ses portes à l'avant-garde du marquis de Boufflers ; il fallut faire venir du canon de Hombourg. Ce ne fut d'ailleurs qu'un retard de deux ou trois jours à peine ; six heures de canonnade abattirent la résistance de Kaiserslautern. L'échec d'Offembourg fut encore plus facilement réparé, sans canon ; la seule approche de cinq bataillons décida cette ville à recevoir M. de Chamilly qui les conduisait, et, sauf un détachement qu'on y laissa, les cinq bataillons continuèrent à marcher vers Philisbourg.

Cependant l'investissement de Philisbourg avait été fait, dans la soirée du 27 septembre, par vingt-cinq escadrons sous les ordres du baron de Montclar. Telle était la sécurité du gouverneur, M. de Stahrenberg, qu'il était allé le même jour à la chasse et qu'il fut tout surpris, à son retour, de trouver la place investie ; néanmoins, comme il en connaissait bien les abords, il se jeta dans un marais, lui troisième, attendit que la nuit fût close, et réussit à gagner une poterne par où il rentra. Les deux jours suivants, toutes les troupes destinées au siège arrivèrent et prirent leurs campements ; il y avait vingt-neuf bataillons d'infanterie, deux des fusiliers, six compagnies de bombardiers, quatre de canonniers, une de mineurs, trente-sept escadrons de chevau-légers, trois de gendarmes, et douze de dragons. Le maréchal de Duras n'arriva au camp que le 29 ; aussi bien, c'était Vauban qui avait la haute main pour la direction du siège. Le maréchal était prévenu : Sa Majesté, lui avait écrit Louvois, le 17 septembre, s'attend que vous suivrez entièrement les avis de M. de Vauban pour la conduite des tranchées et ce qui regarde le détail des attaques. Comme vous connaissez son expérience et sa capacité, l'intention de Sa Majesté est que vous empêchiez qu'il ne soit contredit. Jusqu'au 3 octobre, on ne s'occupa guère que d'étudier le terrain autour de la place et d'achever les travaux de circonvallation.

On a déjà décrit la situation de Philisbourg[58] ; les Allemands n'y avaient presque rien changé, depuis que le siège de 1676 les en avait rendus maîtres. La principale force de la place était dans les marais qui l'envronnaient presque absolument de trois côtés ; à l'ouest, le bastion le plus avancé vers le Rhin était précédé d'un ouvrage couronné qui était lui-même protégé par un ouvrage à corne ; ce dernier ouvrage, très-voisin du fleuve, en commandait le cours et battait la rive gauche sur laquelle se trouvait une tête de pont qu'on appelait communément le fort du Rhin. Ce fort, attaqué, le 3 au soir, par le marquis d'Huxelles qui était revenu de Spire, fut occupé, dans la matinée du 5 ; ses défenseurs, au point du jour, s'étaient jetés dans des barques, le pont volant qui joignait les deux rives ayant été rompu par le canon du marquis d'Huxelles.

Dans la soirée du 5, Vauban avait aussi commencé quelques travaux d'approche sur la rive droite, au-dessus et au-dessous de l'ouvrage à corne ; mais, pour ouvrir la tranchée selon les règles, on attendait l'arrivée de Monseigneur ; et Monseigneur, qui avait quitté Versailles, le 25 septembre, ne devait arriver que le 6 octobre. Cependant on était désolé par la pluie : Si le temps qu'il fait, disait Vauban, venait par malheur à continuer trois ou quatre jours, je ne sais ce que nous ferions tous ; car ce pays-ci n'est que boues et vases mal desséchées que les moindres pluies remettent en leur premier état. On se trouva bien embarrassé quand il fut question de charroyer tout autour de la place, à travers trois lieues de marécages, la grosse artillerie et les matériaux d'un pont que l'on voulait établir au-dessous. On ne savait comment faire, quand l'idée vint à Vauban de laisser tout cet attirail sur les bateaux qui l'avaient amené depuis Strasbourg, et de le faire descendre pendant la nuit du 5 au 6, en longeant, presque à le toucher, l'ouvrage à corne. L'entreprise était si téméraire qu'elle réussit à merveille. Sans une sentinelle française du fort qui a demandé qui vive ? écrivait Chamlay à Louvois, les postes avancés des ennemis ne s'apercevaient de rien ; ils ont seulement tiré huit ou dix coups de mousquet. Vauban était ravi : J'ai passé la nuit sur le bord du Rhin, disait-il, à cent pas des ouvrages de la place. La lune étant cachée, la nuit s'est faite fort obscure, et jamais nous n'avons pu voir un seul de nos bateaux, tous tant que nous étions, ainsi qu'ont fait nos ennemis qui, non plus que nous, n'ont entendu que le bruit des rames, tout le reste étant en silence, si ce n'est qu'à mesure que les soldats doublèrent le derrière du fort, ils firent leur décharge sur le dernier retranchement et leur dirent mille injures. Ce passage avance nos affaires de deux ou trois jours. Je n'ai rien vu de mieux que l'ordre avec lequel cette petite armée a passé.

Enfin Monseigneur arriva, le 6 octobre, accompagné d'une quarantaine de jeunes volontaires, étourdis et confiants, qui ne craignaient rien, voulaient tout voir et auraient gêné tout, si Louvois, par avance, n'y avait mis bon ordre[59]. Vauban rendait à Louvois le meilleur compte de Monseigneur, et aussi, toute distance gardée, du marquis de Courtenvaux[60]. Monseigneur, écrivait-il le 9 octobre, m'a déjà demandé plusieurs fois à visiter l'attaque du bas Rhin ; mais comme elle a été faite dans le temps de notre indigence et qu'elle est par conséquent mauvaise, et de plus fort canonnée, je m'en suis excusé sur ce qu'il y avoit de la houe jusqu'à mi-jambe ; car, pour le canon, ce ne seroit pas une raison bonne à lui dire. Il en a déjà passé près de lui, et je puis vous assurer qu'il ne s'en met pas en peine ; car, dans le temps qu'il étoit allé voir le pont, on lui tira trois coups de canon qui passèrent fort près de lui, et qui firent baisser la tête à bien des gens, sans qu'il fit seulement semblant de s'en être aperçu, et, soit affectation ou autrement, il acheva de dire ce qu'il voulut ; après quoi, il passa outre et s'en alla au pas... M. le marquis de Courtenvaux descendit hier au soir la tranchée où il avoit commandé seul ; je lui ai l'obligation de m'avoir fait faire une très-belle place d'armes, dont j'ai aujourd'hui rendu compte à Monseigneur[61].

Sans doute Louvois était fort désireux que son fils continuât de mériter le bon témoignage de Vauban ; mais il y avait un souhait qu'il faisait par-dessus tout ; c'était que Philisbourg fût pris assez tôt pour que l'armée pût encore, avant la saison rigoureuse, marcher à d'autres conquêtes. Dès le 27 septembre, il avait écrit au maréchal de Duras : Sa Majesté jugeant de son service que l'on essaye d'ôter, pendant le reste de cet automne, les moyens à l'armée de l'Empereur de passer facilement le Rhin, l'année prochaine, croiroit que rien ne seroit plus utile, après la prise de Philisbourg, que de s'emparer de Manheim et d'Heidelberge[62]. Il était, sur ce sujet, d'une impatience qui ne faisait que s'exaspérer, et qui le rendait parfaitement injuste. C'est ainsi qu'il rabaissait et l'importance de la place et la force de la garnison ; il prétendait qu'il n'y avait dans Phalsbourg que quinze cents hommes tout au plus, tandis qu'après la capitulation, on s'assura qu'il y en avait deux mille deux cents au commencement du siège. Il exagérait, par opposition, la force de l'armée assiégeante, lorsque, au contraire, le maréchal de Duras, Chamlay et Saint-Pouenges lui demandaient instamment des renforts, parce que les troupes d'infanterie étaient venues très-faibles, et que les maladies, causées par le mauvais temps, les affaiblissaient encore tous les jours. Ce ne fut qu'à grand'peine qu'on obtint de lui la permission de tirer de Landau deux ou trois bataillons.

Louvois reprochait surtout à Vauban de traiter ce siège aussi sérieusement que celui de Luxembourg. Vauban avait fait trois attaques : l'une, qu'on appelait la grande, était dirigée contre le front septentrional de la place ; les deux autres, qu'on appelait les attaques du haut et du bas Rhin, devaient se rejoindre et se réduire à une seule sur la tête de l'ouvrage à corne. Celles-ci étaient aussi sérieuses, plus sérieuses même que la première, puisque c'est précisément de ce côté-là que la place fut prise ; cependant nous savons, par le témoignage de Dangeau, qu'à la cour, et sous l'influence de Louvois, on s'obstinait à n'y voir que de fausses attaques. Le roi, écrivait à Saint-Pouenges l'impatient ministre, ne désire point que l'on précipite rien, ni que l'on fasse tuer des gens mal à propos ; mais aussi il seroit fâcheux que, pour vouloir prendre Philisbourg dans les règles, l'on perdit dix jours de temps. C'est ce que je vous prie de faire entendre doucement à M. de Vauban, et de lui faire comprendre l'importance qu'il y a de ne pas consommer le reste de la belle saison à prendre Philisbourg, et quel avantage il y auroit à prendre Manheim et Frankenthal. Sa Majesté ne comprend pas bien la nécessité et l'utilité de faire trois attaques. Je ne sais ce que l'on veut faire de quarante-huit pièces de batterie contre une place comme Philisbourg. Je vous prie de solliciter M. de Duras de contenir la démangeaison des officiers d'artillerie de consommer des munitions inutilement., et de porter M. de Vauban à ne faire faire que des batteries nécessaires, celles que l'on veut mettre aux deux fausses attaques n'étant bonnes qu'à détruire dès ouvrages qu'il faudra refaire dès que la place sera rendue, et dont la ruine n'est point nécessaire pour avancer sa prise[63].

Il écrivait ainsi, et coup sur coup, à tous ses correspondants ; il réclamait d'eux des informations précises, de Catinat surtout, Sa Majesté, lui disait-il, ayant une fort grande foi à vos relations et me les ayant demandées souvent. Mais tous lui répondaient tout d'une voix qu'il fallait prendre patience, et que Vauban ne faisait rien qu'il n'y eût absolument à faire. Un des plus intimes amis de Louvois, le chevalier de Tilladet, ne lui marchandait pas la vérité : M. de Vauban, disait-il[64], depuis qu'il attaque des places, n'a jamais eu affaire à un si grand front, ni à une situation si difficile par la qualité du terrain. Cependant il ne perd pas de temps, n'ayant pas un moment à pouvoir se tourner. Dieu nous le conserve ! monsieur, car je suis persuadé qu'il n'y a que, lui capable d'approcher Une place comme celle-ci ; avec un autre, vous auriez présentement le quart de votre infanterie tuée ou blessée. Cependant il y a feus' de huit mille hommes commandés tous les jours, et sans l'attaque du Rhin, les approches de la grande tranchée seroient bien plus difficiles ; et s'il y avoit là dedans cinq ou six cents hommes de plus, je ne sais pas, monsieur, s'il ne vous mèneroient pas jusqu'à la mauvaise saison. La grandeur du roi paroit encore plus à ce siège qu'elle n'a fait à Luxembourg. Il nous y faudra plus de canon ; encore ne sais-je si l'on parviendra à faire taire le leur. Il est certain qu'ils s'en servent comme d'un fusil, mettant des trois ou quatre coups dans le même endroit. La place avait des canonniers d'autant meilleurs que le comte de Stahrenberg, qui dirigeait la défense, était général d'artillerie dans l'armée impériale.

Vauban, de son côté, répliquait à Louvois, de sa verve la plus franche et la plus éloquente : Si on avoit beau temps et que l'on pût être servi comme il faut, tout iroit le mieux du monde ; mais avoir un front à attaquer d'un quart de lieue d'étendue et très-bien fortifié, dont les accès sont tous entrecoupés de flaques d'eau et de marais sédentaires, un temps de pluie qui désespère, beaucoup de nouvelles troupes, des munitions qui ne viennent que par pièces et morceaux, je vous assure que ce n'est pas une petite affaire. Cependant, espérez-en bien, monseigneur ; nous en avons surmonté d'autres, et j'espère que nous viendrons à bout de celle-ci. Au reste, je vous demande excuse d'avoir été trois jours sans vous écrire. Je suis si terriblement affairé que, si les jours avouent trente-six heures au lieu de vingt-quatre, je trouverois à les remplir jusqu'à la dernière minute.

Cette lettre était du 15 octobre, en voici une autre du 17 : Je suis bien fâché, monseigneur, de ne pouvoir pas vous rendre compte plus souvent de ce que flous faisons, car je sais que cela vous feroit plaisir, et que, de ne le point faire, c'est vous très-mal faire ma cour. J'en suis au désespoir, mais il n'y a remède ; car je suis, pour ainsi dire, nuit et jour à mon fait, d'une manière qui ne peut souffrir de distraction sans que le service du roi ne pâtisse. La foiblesse de nos équipages d'artillerie, les marais, et l'inexpérience de nos officiers d'artillerie me désespèrent ; car il faut des quatre et cinq jours pour pouvoir changer de batteries ; encore y manque-t-il toujours quelque chose. On peut dire que la plupart de nos artilleurs ne savent pas distinguer une demi-lune d'avec un bastion. Ceux de la place se servent à merveille de leur canon, ils en ont dans tous leurs dehors, le placent très-bien et si à propos que jusqu'ici il n'y a pas eu une de mes sapes qui ait pu marcher de jour, chose qui ne m'est arrivée à aucun siège jusqu'ici. Un rendu d'hier au soir m'assure qu'il y a quatre-vingt-treize pièces de canon sur le rempart, que les munitions de guerre ne manquent point, non plus que les munitions de bouche, hors le vin, dont ils n'ont point une goutte. Les pièces de Keller de Brisach ne valent rien et se rompent comme poterie de terre ; après cela, je me rapporte à vous-même, si j'ai raison ou non d'avoir mandé huit pièces de canon de plus ; et vous devez bien vous souvenir qu'à Luxembourg il y avoit vingt et une pièces qui, à la fin du siège, n'étoient point en état de tirer un coup. Or, ce front-ci est différent de celui de Luxembourg, comme du jour à la nuit, n'en déplaise à ceux qui se mêlent d'en juger autrement. Nous avons ici trois cruels ennemis à combattre : la saison, qui, en deux ou trois heures de pluie, nous met dans la boue jusqu'au ventre ; la difficulté des accès, qui se réduisent, pour ainsi dire, a un point près de la place ; et la perpétuité des marais qui ne laissent aucun choix pour les attaques. D'ailleurs le gouverneur est un homme qui ne fait point de faute ; et, quoiqu'il n'ait pas plus de quinze à seize cents hommes en état de combattre, il garde tout, et je crois bien qu'il ne cédera qu'à la force. Cependant, avec toutes ces difficultés, pourvu que le beau temps nous veuille un peu favoriser, et que vous -vouliez bien nous laisser faire, j'espère que nous surmonterons tout, Dieu aidant ; mais il faut se modérer, et dans les affaires où on reçoit contrariété de toutes parts, on n'en vient à bout qu'avec de la patience.

Trois jours après, le 20, il écrivait encore : Je prends la liberté de vous faire celle-ci, monseigneur, le cœur plein d'angoisse et de chagrin, du peu de progrès que nous avons fait jusqu'à présent. Il semble que tous les éléments soient conjurés contre nous, puisque la terre nous manque partout, que l'eau nous persécute, et que le feu nous foudroie incessamment. Joignez à cela l'excellence des fortifications dont le seul front attaquable est effroyable, et des assiégés qui n'en négligent pas la moindre petite propriété. Il n'est pas concevable combien ils se servent bien de leur canon, et l'horrible quantité qu'ils en tirent. Franchement, leurs canonniers traitent les nôtres de maître à valet. Il fit, la nuit d'avant-hier, une pluie qui dura dix-sept heures, avec un grand vent froid, qui mit partout un pied et demi d'eau dans les tranchées et en abattit la moitié. Du côté des grandes attaques, il y a quatre jours que notre droite se démène parmi les fanges et les vases pour joindre le glacis, sans en pouvoir venir à bout, tant nous y sommes persécutés de l'eau et du feu des ennemis. Je puis vous dire que nous n'y avons pas fait quatre toises par nuit d'avance, et nous y avons perdu bien du monde[65].

Il fallait bien que Louvois prit son parti d'attendre ; les consolations ou les distractions ne lui manquaient pas d'ailleurs. On avait appris qu'enfin le prince d'Orange s'était mis en mer avec tout son monde, douze ou treize mille hommes ; mais le vent, selon le mot de madame de Sévigné, était si bon catholique[66] que l'expédition risquait d'échouer misérablement sur les côtes de Hollande. Ainsi, d'une part, Jacques II avait pour lui la tempête, et, de l'autre, l'embarquement du prince d'Orange dissipait les dernières inquiétudes qu'on avait pu avoir d'une intervention hollandaise dans l'Électorat de Cologne.

Louvois en avait fait plus de peur au cardinal de Fürstenberg qu'il n'en avait eu sans doute lui-même ; quoi qu'il en soit, le cardinal s'était décidé à livrer quelques-unes des places de l'Électorat aux troupes françaises qui les avaient trouvées dans un état pitoyable[67]. Louvois ne laissait pas de lui faire son compliment : J'ai vu avec beaucoup de joie, lui mandait-il[68], que vous êtes enfin résolu à prendre toute l'autorité nécessaire pour mettre vos affaires sur un meilleur pied qu'elles n'ont été par le passé. Je ne vous cèlerai point que je n'aie vu fort impatiemment les lenteurs avec lesquelles elles se faisoient dans le temps qu'il vous étoit plus important d'agir avec beaucoup de précipitation. Je loue Dieu de tout mon cœur que M. le prince d'Orange ait été assez aveuglé pour ne pas connoître le mal qu'il étoit en état de vous faire, et que vous connoissiez présentement combien il est important de changer de conduite, et que vous vous croyiez en état de vous faire mieux obéir que vous vous ne l'avez été par le passé.

Le cardinal, cependant, était fort embarrassé de son personnage ; il aurait bien voulu prendre le titre d'Électeur, mais il n'osait. Louvois lui-même était d'avis qu'il se contentât de s'intituler doyen joint à la plus saine partie du chapitre et postulé à l'Électorat[69]. Que ce tour pénible était d'une invention heureuse ! Jamais la confusion des choses n'avait été mieux rendue par la confusion des mots.

Tandis que le marquis de Sourdis et le baron d'Asfeld s'établissaient dans les places de l'Électorat de Cologne, le marquis de Boufflers avait poursuivi dans le Palatinat ses faciles conquêtes ; Neustadt, Oppenheim, Worms, Bingen, Altzey, Kreutznach, Baccarach, lui avaient ouvert leurs portes. Ce n'était pas tout. Il avait ordre de persuader aux Archevêques-Électeurs de Mayence et de Trèves qu'il était de leur intérêt d'admettre les troupes du roi, Fun dans sa ville capitale, et l'autre dans Coblentz. Il pouvait choisir entre tous les genres de persuasion, jusqu'aux plus décisifs. Cette extrême latitude n'était pas ce qui plaisait le plus à M. de Boufflers[70]. Au milieu des difficultés du siège de Philisbourg, Chamlay lui-même s'en inquiétait. Cependant, écrivait-il à Louvois[71], agréez que je vous fasse faire une réflexion qui me vient dans l'esprit. Si vous pouviez tirer un pareil fruit de la conquête des places de ces princes par la négociation que par la force, je crois que le procédé feroit moins de bruit et d'éclat en Allemagne, justifieroit plus le désir et l'intention sincère que le roi veut qu'on croie qu'il a pour le rétablissement d'une paix solide, et aigriroit moins l'esprit des autres Électeurs et princes plus éloignés. Car, enfin, il ne faut pas se flatter ; rien ne contribuera plus à les unir à l'Empereur que la réflexion qu'il leur fera faire qu'en un mois, le roi a dépouillé quatre Électeurs ; car je ne tiens pas [celui de] Cologne moins dépouillé que les autres. A cela près, il n'y a rien à ménager, dès le moment que le service du roi y sera intéressé. Louvois faisait honte à Chamlay de ses illusions et de ses scrupules. Otez-vous de l'esprit, lui répliquait-il nettement, que vous ayez rien à ménager avec les Allemands ni par amitié ni par modération ; bien du canon, et des places dans leur pays les réduiront mieux que toute autre chose, et il n'y a de bons partis à prendre que ceux qui vous procureront ces avantages-là.

L'Électeur de Mayence prit peur, se soumit à tout ce qu'on lui demandait, et Mayence reçut garnison française. Mais l'Électeur de Trèves avait résisté tout d'abord ; M. de Boufflers, cependant, continuait de négocier un accommodement amiable. La négociation qu'il y a à faire de votre part avec cet Électeur, lui mandait Louvois[72], consiste à lui faire connoitre qu'il ne jouira pas d'un sol de son pays, s'il refuse au roi de lui remettre Coblentz qu'il n'empêchera pas que vous ne brûliez, aussi bien que son palais, de dessus le bord en deçà du Rhin. Pour bombarder Coblentz, il fallait un attirail de mortiers que M. de Boufflers n'avait pas sous la main ; tout en-se mettant en mesure d'exécuter les ordres impitoyables de Louvois, il espérait encore que l'Électeur, mieux conseillé, n'attendrait pas, pour capituler, la foudroyante sommation des bombes.

De tous côtés le bon exemple venait à l'Électeur ; la crainte multipliait les soumissions. Ce n'était pas seulement son voisin de Mayence ; c'était aussi le prince de Bade, qui livrait à Monseigneur son château de Dourlach et sa ville de Pforzheim ; c'était, plus loin encore, la ville de Heilbronn, qui, persuadée, rien que par l'apparition d'une colonne française, ouvrait ses portes à M. de Montclar ; c'était enfin, dans la cité de Heidelberg, cette résidence favorite des Électeurs Palatins, un propre fils de l'Électeur, qui, moyennant la permission d'emmener ses meubles, sa vaisselle et ses équipages, quittait sans difficulté la place à M. de Chamlay. Ce dernier accommodement réjouissait beaucoup Louvois. Le roi, disait-il[73], a appris avec plaisir que le prince Palatin ait troqué la ville et le château d'Heidelberg contre un passeport pour enlever des meubles qui appartiennent à Madame. Sa Majesté s'en est un peu divertie aujourd'hui avec Monsieur. Cette place facilitera fort le siège de Manheim.

L'humeur de Louvois variait avec les incidents du siège de Philisbourg ; s'il s'égayait, c'est que les nouvelles étaient meilleures. Dans la nuit du 20 au 21 octobre, en effet, quatre compagnies de grenadiers avaient surpris et conquis l'ouvrage à corne ; parmi les blessés, qui n'étaient pas en grand nombre, se trouvait malheureusement un jeune homme de grande espérance, un fils de Courtin, l'ancien ami de Louvois ; et, pour comble de regret, c'étaient des grenadiers français, qui, dans le tumulte d'un combat nocturne, l'avaient frappé comme un ennemi. Ce seroit bien dommage s'il en arrivoit faute, disait de lui Catinat, étant aussi plein de bonne volonté qu'il l'est, et avec autant d'esprit et de raison. Deux jours après, Vauban, tout ému, écrivait à Louvois[74] : Le pauvre M. Courtin est mort en bon chrétien et en véritable homme de bien. Je suis aussi touché de sa perte que si c'étoit mon propre fils. Cela sera cause que je ne me chargerai jamais de gens de condition en pareille affaire. Je ne sais comment en écrire à son père ; je vous supplie de vouloir bien le faire pour moi. La guerre ne laisse pas de loisir aux longs attendrissements ; elle ne donne aux meilleurs que le temps d'essuyer une larme ; les morts vont vite et Faction presse.

Dans cette lettre du 23, Vauban rendait confiance à Louvois : Le canon de la place a beaucoup baissé, disait-il, et le nôtre tient présentement le dessus ; les bombes font merveille. Nous serons encore ici quelque temps ; mais comptez bien sûrement que Philisbourg est au roi, et que les ennemis commenceront à battre la chamade par les attaques du Rhin, que Dieu, je crois, m'a inspirées pour la prise de cette place ; car, sans cette attaque, je ne crois pas que nous en fussions jamais venus à bout. Monseigneur a visité aujourd'hui la tranchée du bas Rhin, où il a demeuré trois ou quatre heures. Il ne tient pas à lui qu'il n'y aille tous les jours ; mais le canon y a été si dangereux que je me suis cru obligé de faire toutes sortes de personnages pour l'en détourner. Je n'ai osé vous mander que la seconde fois qu'il y a été, aux grandes attaques, un coup de canon donna si près de lui que M. de Beauvilliers, le marquis d'Huxelles et moi, qui marchois devant, en eûmes le tintouin un quart d'heure, ce qui n'arrive jamais que quand on se trouve dans le vent du boulet ; jugez du reste.

 Le 25, ayant l'esprit plus libre, Vauban se donnait le légitime plaisir de faire valoir ses services et de se venger des critiques : Soyez, s'il vous plaît, bien persuadé que, si je ne vous écris pas aussi souvent que vous le souhaitez, c'est par pure impuissance, et que je serois aussi aise de vous faire ma cour, eu vous donnant des nouvelles de ce qui se passe ici, qu'aucun autre de cette armée. Mais je suis accablé, et il n'est pas possible de visiter deux attaques par jour, où il faut voir et, revoir je ne sais combien de choses différentes, raisonner, détailler, ordonner dix fois la même chose, et rendre tous les jours compte à Monseigneur, une heure et demie ou deux heures durant, écrire à celui-ci, à celui-là, et mille autres détails dans lesquels il faut entrer, qui font que mon esprit trouve toujours les journées trop courtes ; mais mon corps, en récompense, les trouve bien longues. Car si toutes nos tranchées étoient mises au bout l'une de l'autre, elles pourroient composer une ligne droite de six grandes lieues de l'oing, dont je fais tous les jours plus des deux tiers, le plus souvent le pied mouillé, et pardessus cent milliers de fascines qu'on a employées à paver la tranchée, dont le marcher dessus est à peu près aussi aisé que celui des rondins ; jugez de l'agrément de la promenade.

Je sais que vous avez été fort inquiet sur les raisons qui avoient pu m'obliger aux attaques du  Rhin, et que vous en avez écrit à plusieurs. Je ne sais ce qu'ils vous ont répondu, mais moi, qui ne suis pas accoutumé à me tromper en cas pareil, je vous dirai sincèrement que c'est parce que cette tète, avec toute l'horreur de ses fortifications et de ses marais et vases qui l'environnent, m'a paru et me parait encore le foible de Philisbourg, eu égard à l'état présent de son grand front. Je m'assure que vous jugerez plus équitablement de cette place qu'on ne fait au pays où vous êtes, où l'on dit que M. de La Feuillade a traité ce siège d'une affaire de sept fours. Il lui appartient bien d'en parler, lui qui en a mis autant à prendre Salins avec beaucoup de perte, et qui, par ses bons conseils, a fait que le roi a été vingt jours à prendre Dôle, dans le temps qu'elle n'avoit, pour ainsi dire, ni parapets, ni fossés, ni chemin couvert, ni dehors, ni garnison. Ce que je vous dis de lui m'a été dit en présence de Monseigneur.

De ce que Vauban plaignait sa peine, il n'aurait pas fallu que personne se fi)t avisé de le plaindre. Les progrès du siège lui faisaient oublier ses fatigues. Chaque nuit rapprochait de la place fort endommagée les travaux de la grande attaque ; le 28 octobre, ils avaient atteint le chemin couvert. En même temps, des batteries établies dans l'ouvrage à corne avaient fait brèche sur différents points de l'ouvrage couronné. C'était par cet endroit-là que Vauban avait toujours prédit qu'on serait maître de Philisbourg ; le 29 octobre, l'événement justifiait sa prédiction. S'il avait voulu s'en faire gloire, l'occasion était belle ; mais il se contentait d'écrire à Louvois le fait tout simple : Aujourd'hui, la couronne a été prise en plein midi, avec si peu de perte que je ne crois pas qu'il y ait eu quinze hommes tués ou blessés, tant la scène a été peu sanglante. Les Allemands s'en sont trouvés si étourdis qu'une heure après ils ont battu la chamade à l'attaque du Rhin, et, de l'heure qu'il est, le major de la place, avec deux otages, est chez Monseigneur. Je laisse à d'autres le soin de vous dire les particularités de cette action, parce que j'y ai trop peu de part pour en pouvoir parler honnêtement. Les troupes y ont parfaitement bien fait leur devoir, notamment les régiments du Roi et d'Anjou. J'ai à me louer de tout le monde et à ne me plaindre de personne. Je ne sais si les assiégés feront de grosses propositions à Monseigneur ; mais je sais parfaitement le chemin de la place, et je ne pense pas que je l'oublie entre-ci et demain matin.

 Le chemin qu'il savait si bien, c'était celui de la brèche ; il n'eut pas la peine de prendre ce chemin mal accommodé. La capitulation faite, il entra par la porte et acheva son récit : M. de Stahrenberg a eu la bonté de nous épargner cinq ou six jours, un peu aux dépens de sa réputation, à la vérité ; car il pouvoit nous mener jusque-là, et, quand sa capitulation en eût été plus mauvaise et qu'il n'eût pas amené quatre pièces de canon, elle n'en eût été que plus honorable, et je ne crois pas qu'il en eût été moins bien reçu à Vienne. Il est sorti de cette place quelque quatre-vingts canonniers, les uns le boutefeu sur l'épaule, et les autres la hache, tous gens bien faits, et plus de quinze à seize cents hommes de pied, des mieux faits que j'aie vus de ma vie. On prétend qu'ils ont perdu trois cents hommes, tant tués que blessés ; c'est ce que je ne sais pas bien. Quant à nous, j'apprends, par M. de Saint-Pouenges, que nous avons quelque cinq cents blessés, et on dit quatre cents de morts. Mais je crois bien que les majors, dans les régiments desquels il en manque, en ont tué une bonne partie. Il y a eu neuf ingénieurs de tués, parmi lesquels il y en a trois ou quatre qu'on ne sauroit remplacer, et quinze de blessés. On peut dire que ceux-ci sont les martyrs d'infanterie[75].

La cour assistait au sermon dans la chapelle de-Fontainebleau, le 1er novembre, jour de la Toussaint, lorsque Louvois, entrant tout à coup, apprit à Louis XIV la prise de Philisbourg ; le roi fit un signe, arrêta l'orateur, dit tout haut la nouvelle, et remercia Dieu. Le prédicateur, qui était le P. Gaillard, avait l'occasion belle d'improviser un compliment ; il n'y manqua pas, fut pathétique, et sut captiver un auditoire qui avait bien, de son côté, quelque mérite à n'être pas distrait[76]. C'était à pareil jour et dans ce même palais que Monseigneur était né, petites circonstances, remarque Dangeau, qui n'ont pas laissé de faire plaisir. Un morceau qui ne réussit pas moins que celui du P. Gaillard, ce fut la lettre du duc de Montausier à son ancien élève : Monseigneur, je ne vous fais point de compliment sur la prise de Philisbourg : vous aviez une bonne armée, des bombes, du canon, et Vauban. Je ne vous en fais point aussi sur ce que vous êtes brave : c'est une vertu héréditaire dans votre maison. Mais je me réjouis avec vous de ce que vous êtes libéral, généreux, humain, et faisant valoir les services de ceux qui font bien ; voilà sur quoi je vous fais mon compliment. Et madame de Sévigné, qui envoie cette lettre à sa fille[77], ajoute : Tout le monde aime ce style, digne de M. de Montausier et d'un gouverneur.

Dangeau raconte que le premier mouvement de la Dauphine, la prise de Philisbourg à peine connue, avait été de demander si Monseigneur ne reviendrait pas bientôt ; à quoi Louis XIV avait répondu qu'il fallait auparavant que Monseigneur prit Manheim, mais que cela ne durerait, pas. Les troupes impériales n'étaient pas encore sorties de Philisbourg que déjà vingt-deux escadrons de cavalerie française, conduits par M. de Montclar, avaient investi Manheim. Le 4 novembre, toutes les troupes occupaient leurs quartiers, marqués à l'avance par Chamlay.

Manheim était une grande ville, flanquée d'une citadelle, au confluent du Neckar et du Rhin. Elle faisait, par sa beauté, l'admiration de Vauban, non pas toutefois jusqu'à le distraire absolument de ses préoccupations obsidionales, et surtout d'une certaine invention de batteries à ricochets dont il venait d'essayer sur Philisbourg la première épreuve[78] ; si bien que, à peine arrivé devant Manheim, il écrivait à Louvois une lettre singulièrement mêlée d'images paisibles et de vues guerrières, de verdure, de ricochets et de moutons, avec des projets de labourer et de faucher, mais par des procédés qui n'ont jamais été d'usage en agriculture. C'est une ville belle à peindre, s'écriait-il ; la citadelle en est plus grande que Philisbourg. Je l'ai déjà reconnue par deux endroits, sur l'un desquels, qui est le bord du Rhin, du côté de Frankendal, j'ai réglé l'établissement d'une batterie de huit, pièces à ricochet, qui fauchera la plus grande partie des palissades du chemin couvert, des fossés et de la berme, enfilera ledit chemin couvert, le fossé, la fausse braie, le bastion même, et labourera les talus de leurs remparts, qui sont tous de terre, fort polis, bien verts et bien entretenus, mais dont les talus sont si grands que les moutons y paissent depuis le haut jusqu'en bas. Ce n'est point raillerie ; Renaud et Clément, qui ont été hier lever le plan de cette avenue, m'ont assuré d'y en avoir vu plus de cent.

Ce n'était point raillerie non plus que ce langage de Vauban ; la guerre et ses maux n'étaient pas pour lui un sujet de plaisanter ; il n'en prenait que le strict nécessaire ; tout ce qui était inutile et cruauté pure lui répugnait. Aussi blâmait-il énergiquement les apprêts qui se faisaient alors devant Coblentz. L'Électeur de Trèves s'était refusé à toute concession ; M. de Boufflers, qui avait reçu ses mortiers, les mettait en batterie. A quoi cela sera-t-il bon ? demandait Vauban. Quelle utilité le roi retirera-t-il de cette bombarderie, et combien lui a-t-elle fait prendre de places jusqu'à présent ? Ne vaudroit-il pas mieux ménager nos bombes que de les prodiguer à des expéditions inutiles qui ne produisent rien, pendant qu'on nous les plaint aux sièges, et que je suis tous les jours obligé de défendre aux bombardiers de tirer, de la peur que j'ai d'en manquer ? N'eût-il pas mieux valu ménager le temps de la négociation, et, en se servant de termes plus humains pour expliquer les intentions du roi, leur montrer les escadrons françois au delà du Rhin, que de s'amuser à récriminer après qu'on a manqué l'heure du berger ?

Il eut beau dire ; la bombarderie fut faite au gré de M. de Boufflers, et, selon son expression, avec un succès extraordinaire. Tout ce qui n'avait pas été brillé dans la -ville était brisé, déchiré, bouleversé par les bombes et les boulets, à ne pas croire qu'il y restât vingt maisons habitables, y compris le palais de l'Électeur, lequel avait eu les honneurs d'une batterie spéciale ; sous le rapport des moyens et des effets, les plus fameux bombardements, ceux d'Oudenarde et de Luxembourg, par exemple, n'étaient rien en comparaison de celui-ci[79]. Le succès aurait été bien plus grand  encore, si Coblentz avait capitulé ; mais Louvois lui-même ne s'y était point attendu ; le témoignage de satisfaction qu'il adressait à M. de Boufflers ne faisait point de réserve. Le roi, disait le ministre[80], a vu avec plaisir qu'après avoir bien brûlé Coblentz et fait tout le mal qui a été possible au palais de l'Électeur, vous deviez remarcher vers Mayence.

A Manheim, il y avait eu aussi des bombes lancées et des maisons brûlées ; mais c'était un moyen de conquête, et non pas seulement un plaisir de vengeance. Vauban avait très-habilement dérouté ses adversaires ; tandis que leur attention était absorbée par la défense de la ville, attaquée dans la soirée du 8 novembre, il leur avait, la nuit suivante, donné, suivant son expression, d'une ouverture de la tranchée à la citadelle. Si c'étoit des François, disait-il[81], j'en attendrois une sortie dès le matin ; mais comme la grande bravoure des Allemands ne se fait bien sentir qu'après midi, cela fait que je ne les appréhende pas, parce que la tranchée sera fort bien en état, et que nous aurons dîné aussi bien qu'eux. Ce sont, au fond, de fort braves gens ; car, pendant que nous leur coupions, cette nuit, tout doucement la gorge du côté de la citadelle, ce n'étoit de leur part que fanfares de trompettes, timbales et hautbois du côté de l'attaque. Il n'y a point de menuets ni d'airs de nos opéras qu'ils n'aient fort bien joués ; et cela a duré tout le temps qu'ils ont trouvé le vin bon, c'est-à-dire toute la nuit. Présentement, soit qu'ils se donnent le loisir de cuver leur vin, ou qu'ils se soient aperçus de la supercherie qu'on leur a faite du côté de la citadelle, il me paroit qu'ils sont un peu rentrés en eux-mêmes. Espérez bien, s'il vous plaît, du reste, et soyez persuadé que je n'omettrai rien pour me rendre digne de la grâce qu'il a plu au roi de me faire, en m'honorant d'une lettre de sa main.

La dépêche de Vauban était partie à peine que la ville demandait à capituler ; deux jours après, c'était le tour de la citadelle. Il n'y avait point de la faute du gouverneur à qui Vauban reconnaissait du courage et du mérite ; c'étaient les soldats de l'Électeur Palatin, qui, n'étant pas, disait-on, payés depuis dix-sept mois, avaient décidé de se rendre, s'étaient ameutés autour de leur chef et lui avaient présenté, en forme de requête, vingt bouts de fusil dans le ventre. Au reste, ajoutait Vauban[82], ils n'ont été tourmentés que de la batterie à ricochets, qui n'a tiré qu'un jour et leur a cependant démonté quatre ou cinq pièces de canon, fait abandonner six ou sept autres, mis le feu à cinq ou six bombes et à deux caques de poudre qui firent voler des chapeaux en If air, coupé la jambe à un lieutenant-colonel, et persécuté je ne sais combien de gens qu'elle alloit chercher dans des endroits où l'on ne voyoit que le ciel.

Trois jours après, le 15 novembre, l'armée commençait l'attaque d'une troisième place, Frankenthal. Évidemment Monseigneur y prenait goût. Monseigneur ne s'ennuie point du tout, disait Vauban[83], et s'il ne tenoit qu'à lui et à moi, nous ferions fort bien le siège de Coblentz. C'était à rendre la Dauphine jalouse de la gloire. Quant à Vauban, il était impossible de le contenir. Je me réjouis avec vous de tout mon cœur de la fin de ce siège, lui avait écrit Louvois[84], après la prise de Philisbourg ; et je vous répète ce que je vous ai déjà mandé par commandement exprès du roi, qui est que Sa Majesté vous défend de mettre le pied à la tranchée, ni à Manheim, ni à Frankenthal. La belle défense, en vérité ! Il n'était que là. Lorsque le roi ne voudra pas qu'il aille aux tranchées, dans une armée qui fera un siège, disait Saint-Pouenges, il n'y a de véritable moyen de l'en empêcher que de ne l'y point faire venir[85]. Louis XIV, Louvois et Saint-Pouenges avaient grandement raison, mais Vauban n'avait pas tout à fait tort ; on n'est jamais sûr que de ce que l'on voit, et rien ne vaut ce que l'on fait soi-même.

Le 18 novembre, Vauban était d'une belle colère : Les ennemis, écrivait-il à Louvois[86], m'ont trompé aussi bien qu'à Manheim, et, sans se soucier d'être déshonorés, ils se`sont rendus, après trente-huit heures d'attaque, sans me donner le loisir d'achever la batterie D, que j'avois destinée à de grandes exécutions, aussi bien que la C. C'est de quoi je sais très-mauvais gré à ces coquins-là ; car, enfin, voilà je ne sais combien de fois que je commence des expériences, sans qu'ils m'aient voulu donner le temps d'en achever aucune. Enfin, c'est encore pire qu'à Manheim. Je n'ai jamais vu gens si braves, tant qu'on ne leur tire pas, que ces troupes Palatines ; mais quand on commence à les rechercher un peu vivement, le nez leur saigne aussitôt, et, dans le fond, on ne trouve que des maroufles où l'on s'étoit imaginé, par toutes leurs façons de faire, trouver de braves gens. Je ne comprends point l'esprit de ces gens-ci, car ils ont fortifié Manheim comme qui fortifieroit à plaisir, sur une feuille de papier, sans avoir égard au Necker ni au Rhin, dont ils n'ont pour ainsi dire tiré aucun avantage. On eût pu aisément faire là une place capable de faire la nique à Monseigneur et à tous les rois de l'Europe. D'ailleurs, que faire de Frankendal, au mi- lieu de la plaine, à deux lieues de Manheim ? N'est-ce pas encore une faute ridicule à un souverain de la foiblesse de M. le prince Palatin, d'avoir conservé une place qui ne lui sert de rien, et qui ne lui peut être que fort à charge ? Autre faute ; après la prise de Manheim, tous moyens de secourir Frankendal lui étant ôtés, ne devoit-il pas en envoyer les clefs à Monseigneur, plutôt que de lui donner la peine de l'assiéger et l'obliger à ruiner son pays et brûler l'une de ses meilleures villes, pour faire une défense qui le déshonore lui et les siens ? Ma foi, les princes, aussi bien que les particuliers, sont sujets à de grandes fautes. La campagne était finie ; Vauban avait bien gagné son congé, qu'il voulait passer, non pas à Paris ou à Versailles, mais dans son cher pays de Morvan ; il souhaitait qu'on l'y laissât un bon espace de temps en repos ; car j'en ai besoin, disait-il, et de l'heure qu'il est, je ne parle plus ; c'est-à-dire qu'on voit bien que j'en ai envie ; mais on n'entend pas ce que je dis. Louvois avait prévenu son désir. Il ne tiendra qu'à tous, lui avait-il écrit le 14 novembre[87], de regagner votre maison. Pendant que vous jouirez des plaisirs du Morvan, je vous prie de ne me pas oublier tout à fait, et surtout d'en repartir quelques jours auparavant que l'ennui ne vous y prenne.

Vauban s'en allait donc porter parmi les siens la joie de sa présence, et sans doute aussi faire quelque folie de propriétaire ; il était en fonds ; car Monseigneur lui avait donné mille louis, et le roi deux mille pistoles. Les dons d'argent, à cette époque, n'avaient rien que d'honorable ; cependant Monseigneur avait eu la délicate pensée d'y ajouter un de ces présents qui conviennent mieux à la gloire, parce qu'ils ont surtout, comme elle, une valeur idéale ; c'était quatre pièces de canon. J'ai cru vous en devoir donner avis, afin d'avoir l'approbation du roi, sans quoi je n'y toucherai pas, écrivait Vauban à Louvois ; mais s'il a la bonté d'agréer qu'un homme qui a aidé à lui en faire gagner plus de deux mille, en puisse tenir quelques-unes de sa libéralité, pour marquer aux siens et à la postérité que ses services lui ont été agréables, je vous supplie de garder ces quatre pièces avec leur attirail, et de vouloir bien ordonner qu'on m'en fasse quatre, en échange de celles-là, aux armes du roi, avec les miennes au-dessous, et une inscription portant qu'elles m'ont été données pour marque perpétuelle d'honneur et de reconnoissance de mes services. Elles ne serviront qu'à solenniser la santé de mes bienfaiteurs, et à tirer le jour du Saint-Sacrement, pendant la procession. Cependant si, par hasard, vous avez quelque expédition de guerre à faire en Morvan, vous les trouverez là toutes prêtes[88].

Ce n'était pas le défaut de Vauban de ne penser qu'à soi ; il s'empressait beaucoup pour les autres. Quand on expose d'honnêtes gens à se faire tuer aussi souvent que je le fais, disait-il, on doit du moins rendre témoignage de leur mérite et de leur bon cœur. Faire valoir les services des bons sujets, aider à leur avancement, les soutenir, les mettre en lumière, n'était-ce pas pour Vauban la plus généreuse et la plus utile façon de terminer une campagne dont il avait été le héros et en même temps le narrateur incomparable ? Il faut reconnaître qu'il avait été bien secondé ; le maréchal de Duras, particulièrement, avait eu le rare mérite de ne le contredire jamais ; quant à Monseigneur, il écrivait au roi, son père : Nous sommes fort bien, Vauban et moi, parce que je fais tout ce qu'il veut[89].

Le jeune prince avait, pour sa part, mérité des éloges et vraiment donné des espérances ; on pouvait dire de lui, dans la belle et simple langue du dix-septième siècle, qu'il avait très-bien fait, ou, par une autre locution aussi en usage, qu'il s'était conduit en fort joli garçon. Pour qui venait de la guerre, ce mot-là, dans la bouche des femmes, avait une valeur tout exceptionnelle. Il est certain que la campagne de 1688 fit à Monseigneur une popularité qui s'affaiblit par les suites à Versailles, mais dont le peuple de Paris ne cessa pas de lui donner des marques très-vives.

Pour fêter dignement le retour de son fils, Louis XIV fit, dans l'ordre du Saint-Esprit, une promotion depuis longtemps attendue et fort nécessaire ; car il n'y avait pas moins de soixante-quatorze vacances. Plus elle fut nombreuse, plus elle fit de mécontents ; on lui reprocha d'être trop militaire[90] ; au début d'une grande guerre, n'était-ce point chose toute naturelle ? Louvois y eut en effet Une part considérable ; madame de Sévigné, bien instruite et bien avisée, eut soin de le faire entendre à sa fille, dont le mari était de la promotion[91] : On vous conseille d'écrire à M. de Louvois et de lui dire que l'honneur qu'il vous a fait de demander de vos nouvelles vous met en droit de le remercier, et qu'aimant à croire, au sujet de la grâce que le roi vient de faire à M. de Grignan, qu'il y a contribué au moins de son approbation, vous lui en faites encore un remercîment. Vous tournerez cela mieux que je ne pourrois faire. Cette lettre sera sans préjudice de celle que doit écrire M. de Grignan.

Tandis que Louis XIV rehaussait ainsi l'éclat de sa cour et voyait la foule des seigneurs, plus empressée que jamais, se disputer ses grâces, Jacques II s'efforçait en vain de placer les siennes ; nul n'en voulait plus ; tous l'abandonnaient pour courir au prince d'Orange, qui était enfin débarqué en Angleterre, le 15 novembre. Ce n'était pas une révolution violente, c'était une désertion. La royauté de Jacques II se mourait dans le vide ; cette misérable agonie dura six semaines. Pour achever tant d'humiliation, ce fut un ancien favori de Louis XIV, un disgracié, Lauzun, qui s'offrit, non par dévouement, mais par esprit d'aventure et comme par désespoir, à tenter le sauvetage de la famille royale des Stuarts, réduite à trois personnes. Il y jouait sa tête ; mais, en cas de succès, il refaisait sa fortune ; il réussit. Le 21. décembre, il amenait à Calais la reine d'Angleterre et le prince de Galles. Jacques II n'avait pas voulu compromettre le salut de sa femme et de son fils ; il était demeuré.

On ne croyait pas sans doute, à Versailles, qu'il y eût la moindre chance d'une réaction en Angleterre ; mais comme il faut tout prévoir en politique, même l'impossible, on avait tellement peu de confiance en Jacques II, si, par miracle, il reprenait le dessus, que la reine et le prince de Galles étaient regardés, dans tous les cas, comme des otages dont il ne fallait à aucun prix se dessaisir. Le 1er janvier 1689, Louvois écrivit sur ce sujet deux lettres très-significatives, l'une au premier écuyer, M. de Béringhen, que Louis XIV avait envoyé auprès de la reine d'Angleterre, et l'autre à Lauzun. Voici la première[92] : Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir que, quand le roi d'Angleterre manderoit à la reine de s'en retourner seule ou de ramener le prince de Galles en Angleterre, à quoi Sa Majesté ne -voit nulle apparence, son intention seroit toujours que vous amenassiez la reine d'Angleterre et le prince de Galles à Vincennes. Voici la seconde[93] : Le roi ne peut croire que rien soit capable de porter le roi d'Angleterre à écrire à la reine sa femme de retourner en Angleterre avec le prince de Galles ; mais si, contre toute apparence, cela arrivoit, Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir et à M. le Premier, que son intention est que l'on portât la reine à venir jusqu'à Vincennes avec le prince de Galles, sous tous les prétextes les plus honnêtes que vous pourrez vous imaginer. L'événement rendit d'abord ces recommandations inutiles ; pour l'histoire, qu'elles éclairent d'un jour inattendu, il suffit qu'elles aient été faites.

Le 5 janvier, Louvois écrivait au duc d'Aumont, gouverneur de Boulogne, d'un style tout différent : Le sieur Gueny m'a rendu, vers les une heure après midi, votre lettre d'hier au matin, que j'ai portée au roi à sa messe, par laquelle Sa Majesté a appris, avec une joie qui s'est bientôt répandue dans toute la cour, que le roi d'Angleterre étoit débarqué la nuit à Ambleteuse, et que vous partiez avec des carrosses pour l'aller recevoir. Guillaume d'Orange, pour qui la-présence de Jacques II en Angleterre était un grand embarras, avait favorisé son évasion. Réfugié en-France, admirablement accueilli par Louis XIV, n'ayant plus de ressource qu'en lui et désormais son obligé, Jacques Il pouvait et devait être soutenu, non pas tant dans son intérêt propre que dans l'intérêt de la politique française. Entre les mains de Louis XIV, il devenait, contre l'hostilité de Guillaume, une arme tout à fait maniable, un bon instrument de défense.

Au mois d'octobre 1688, en plein siège de Philisbourg, Chamlay, préoccupé des événements d'Angleterre, n'avait pas pu s'empêcher d'en dire à Louvois son avis : Il ne m'appartient pas de vous donner des conseils là-dessus, lui écrivait-il en forme de précaution oratoire ; vous savez mieux que personne der quelle manière il faut se conduire dans une pareille conjoncture ; mais si j'étois à la place du roi, dans l'engagement où il est présentement, qui le met hors : d'état de secourir le roi d'Angleterre, il n'y a expédients d'argent ou de négociation que je n'employasse. pour former un parti dans ce royaume en faveur da roi, qui diminuât celui de M. le prince d'Orange, et qui y fomentât, si j'ose dire franchement le mot, pendant quelque temps, la guerre civile. Je comprends aisément que cette proposition ne sera pas d'abord du goût du roi ; mais quand il fera réflexion aux avantages qu'il peut tirer de l'occupation de M. le prince d'Orange en Angleterre et de son absence d'Hollande, peut-être ne la désapprouvera-t-il mis, et conviendra que ce seroit un moyen sûr pour parvenir à une paix solide et honorable, et pouvoir dans la suite protéger le roi d'Angleterre, et lui rendre de plus grands services. Ce sont raisonnements que je vous supplie très-humblement d'excuser ; ils sont venus au bout de ma plume, et j'ai pris la liberté de les mettre à la fin de ma lettre, quoique je sois persuadé que vous les avez déjà faits, et même de meilleurs, dès le moment que le dessein du prince d'Orange est venu à votre connoissance. Cette politique n'est pas présentement en usage ; mais je suis sûr que M. le cardinal de Richelieu n'auroit pas négligé une occasion si favorable, et n'auroit rien épargné pour y parvenir[94].

Il n'y avait pas besoin de remonter si haut ; cette politique, sans aller, il est vrai, jusqu'à la guerre civile, avait été. celle de Louis XIV en Angleterre même, toutes les fois que son allié Charles II avait eu des velléités d'indépendance. On sait bien que ce monarque n'était pas alors le seul pensionnaire du roi de France, et qu'il y avait, pour les fonds secrets de l'ambassade française, des copartageants parmi les membres de l'opposition. Quoi qu'il en soit, l'avis de Chamlay, prématuré peut-être au mois d'octobre 1688, ne l'était plus au mois de janvier 1689. Jacques II ne s'était pas assez hâté de prévenir la guerre civile par la guerre étrangère ; Louis XIV allait essayer de prévenir l'agression de l'Angleterre en fomentant dans son sein la guerre civile. La politique défensive du roi de France devait avoir encore moins de ménagements et de scrupules que sa politique envahissante.

 

 

 



[1] Lettre à madame de Sévigné, du 4 juin 1637.

[2] Particulièrement le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble. Voici, au sujet de ce cardinal, une lettre assez curieuse de Louvois au comte de Tessé ; elle est datée du 5 mars 1687 : J'ai reçu la lettre écrite de votre main, sans date, marquée sur l'enveloppe pour moi seul, laquelle Fait mention de la visite que vous a rendue M. le cardinal Le Camus, de tout ce qu'il vous a dit sur la connoissance qu'il prétend avoir des mauvais offices qu'on lui a rendus auprès du roi, et sur le désir qu'il auroit d'ôter de l'esprit de Sa Majesté les impressions qu'il croit que ce qu'un a dit à Sa Majesté contre lui peut y avoir faites. Vous avez fait tout ce que je pouvoir désirer, en ne vous chargeant point de m'en rien écrire ni de lui rendre aucune réponse parce que, quoique vous commandiez dans la province et que vous y soyez l'homme du roi à l'égard des troupes, les affaires qui ne les regardent pas ne doivent point passer par vous, et ce n'est point à moi à en rendre compte à Sa Majesté, mais bien à M. de Croissy, ou à M. le chancelier, si mondit sieur le cardinal juge à propos de s'adresser à lui pour les choses qu'il voudroit faire dire à Sa Majesté. Feu mon père a toujours eu une amitié particulière pour M. le cardinal Le Camus, et quoique je n'aie pas eu grand commerce avec lui,- ce que j'ai ouï dire de la vie qu'il mène m'a inspiré mi grand respect pour lui qui m'auroit porté à nie charger volontiers de parler sur ce que contient votre lettre, si je n'avois connu que Sa Majesté désirant que chacun do ceux qui ont l'honnear de l'approcher ne se mêle point des fonctions de l'autre, elle auroit trouvé fort mauvais que je lui eusse parlé des affaires de M. le cardinal qui est dans le département de M. de Croissy. Cette réflexion me fait brêler cette lettre sans en parler à Sa Majesté ; mais je vous prie, pour ma curiosité particulière, de me faire part de ce qu'il vous a dit des voies par lesquelles il est parvenu à la dignité à laquelle il a été élevé. D. G. 781.

[3] Lettre déjà citée.

[4] Journal de Dangeau, 3 décembre 1687.

[5] Journal de Dangeau. 8 janvier 1688.

[6] Journal de Dangeau. 26 décembre 1687.

[7] Louvois à Le Bret, 31 décembre 1687 : Le roi ayant résolu de faire embarquer au printemps prochain, sur des bâtiments qui navigueront à la suite de ses galères, si les affaires de Reine ne sont pas terminées, les régiments de Vivonne, de Vivarez, de Grancey, 2e bataillon de Castres, 1er de Saulx, Beauvaisis, 1er de Royal-la-Marine, Flandres, et les régiments étrangers de Zurbeck, de Greder, de Zurlauben, je vous supplie de m'envoyer un état des lieux de votre département où l'on pourra faire rendre ces troupes, et où elles pourront demeurer commodément, en attendant que les bâtiments qu'ils devront monter soient prêts à les recevoir. D. G. 789.

[8] 8, 16 et 10 juin. ... Souvenez-vous que les troupes du roi ne sont pas accoutumées à manger du pain de selle pur, non plus que d'aussi mauvais que celui qu'on donne aux troupes des princes d'Allemagne. — Autre dépêche, du 27 juin : Je viens de recevoir des lettres de Vienne du 14 de ce mois, qui portent qu'on y avoit reçu avis, le 8 ou le 9, de la mort de M. l'Électeur de Cologne ; que d'abord tout fe monde avoit dit qu'il laiton tout risquer et tout employer pour traverser l'élection de M. le cardinal de Fürstenberg ; mais qu'enfin, après beaucoup de conseils, tout s'étoit réduit à écrire en hollande et à Bruxelles pour que l'on envoyât de l'argent à Cologne pour traverser cette élection, et à l'Électeur de Brandebourg et au duc de Juliers pour qu'ils essayassent par toutes voies de mettre des troupes dans Cologne. L'on ajoute que, si l'on ne peut réussir à empêcher l'élection de M. le cardinal de Fürstenberg à l'archevêché de Cologne et à l'évêché de Liège, il faut au moins empêcher qu'il n'ait ceux de Munster et d'Hildesheim. Il paroît, par les lettres de hollande, que l'on y a beaucoup plus d'attention aux affaires d'Angleterre qu'à toute autre, que l'on veut pourtant procurer l'évêché de Munster à un fils de M. l'Electeur Palatin ou au baron de Plettenberg qui est grand doyen. D. G. 818.

[9] Louvois à d'Asfeld, 16 juin : Je n'ai pas ouï dire que M. le cardinal de Fürstenberg pût être élu simplement, et non postulé, s'il se démettait présentement de l'évêché de Strasbourg ; l'on prétend au contraire que la raison pour laquelle il ne peut être élu que par postulation est qu'il est lié à l'évêché de Strasbourg, duquel l'on croit qu'il ne peur être délié que quand le pape aura agréé sa démission, à quoi il ne faut pas s'attendre dans la conjoncture présente.

[10] Instructions au sieur de Chamlay, maréchal général des logis des camps et armées du roi, s'en allant à Rome par ordre de Sa Majesté, à Marly, 6 juillet 1688. — C'est l'expédition originale signée Louis, et plus bas, Colbert ; cette pièce si curieuse se trouve dans les papiers de Chamlay. D. G. 1183.

[11] Note de l'archevêque de Reims sur un extrait du concordat germanique de 1448 : Dans le cas présent, l'élection n'est pas canonique, parce que celui que le pape a rendu éligible n'a pas eu treize voix qui lui étoient nécessaires pour être élu, supposé qu'il y eût vingt-quatre vocaux, et que N. le cardinal de Fürstenberg n'en a pas eu seize qui étoient nécessaires pour une postulation. Ainsi le pape est en droit de casser l'acte qu'on lui présentera et de, pourvoir, de son autorité, ou le cardinal ou le prince Clément ; il peut même conférer l'archevêché à un tiers. lin élu, qui l'auroit été canoniquement, seroit eu droit, par les règles canoniques, d'administrer l'Électorat in spirituatibus et temporatibus, même devant l'obtention de sa confirmation ; mais un postulé seroit regardé, par les mêmes règles, comme intrus, si, devant l'admission de sa postulation, il s'ingéroit dans l'administration de l'église pour laquelle il seroit postulé. On peut sûrement compter sur ces maximes que je viens d'expliquer. D. G. 819.

[12] Il y a encore une autre dépêche de Louvois au roi, du même jour, 22 juillet, huit heures du soir. Il envoie au roi une nouvelle lettre du baron d'Asfeld, où on lit : Des vingt-quatre voix dont le chapitre est composé, M. le cardinal de Fürstenberg en a eu treize, M. le prince Clément neuf, l'évêque de Breslau une, et le comte de Recheim une autre. M. le cardinal, par sa pluralité, a été proclamé archevêque et Électeur ; dans le moment, les ministres de Bavière ont prétendu en pouvoir faire autant ; on a trouvé moyen de l'empêcher. Ainsi tout se passe à présent en protestation de leur part, prétendant que neuf voix leur donnent droit d'élection. Celte nuit-ci ne s'est pas passée sans inquiétude, et j'ai vu, durant deux heures de temps, que ces messieurs-là avoient la pluralité. D. G. 818.

[13] D. G. 818.

[14] D. G. 806. — Par suite d'une erreur, cette dépêche est datée de Meudon, 2 juillet ; la date doit être rétablie ainsi : Forges, 23 juillet.

[15] Le sieur Bregelt, aussi bien que son maitre, cherche fort à pénétrer les véritables intentions de Sa Majesté et jusqu'où elle est résolue de le soutenir. M. de Croissy doit se fort observer dans les conversations qu'il aura avec ledit Bregelt ; car j'estimois qu'il serait très-dangereux qu'il pénétrât les véritables intentions de Sa Majesté, et qu'ainsi il vaudroit mieux lui laisser entrevoir que Sa Majesté veut soutenir son maître en toutes manières, sans l'en assurer positivement, que de l'en laisser douter. 27 juillet.

[16] Louvois au contrôleur général, 30 juillet : Il me paroit, par les lettres que je reçois de Liège, que l'affaire de M. le cardinal de Fürstenberg ne peut être en plus mauvais termes qu'elle est. Il est très-important qu'une postulation de M. le cardinal de Fürstenberg par un moindre nombre que les deux tiers, et une élection du grand doyen ou d'un autre homme éligible par un nombre de chanoines moindre que la moitié, ne remette pas encore l'évêché de Liège à la disposition du pape.

[17] 27 juillet et 1er août.

[18] 26 juillet. D. G. 818.

[19] Envoyé de Jacques II.

[20] Papiers de Chamlay. D. G. 1183.

[21] Papiers de Chamlay. D. G. 2538.

[22] Le roi à d'Arcy, 20 août ; dépêche citée plus haut, chap. VIII.

[23] D. G. 818.

[24] Louvois à d'Asfeld, 8 septembre : Je commence à douter que M. le prince d'Orange pense mien sérieusement à faire un camp, et je suis bien trompé s'il rie va être fort embarrassé, quand il apprendra que le roi a résolu de lever jusqu'à 40.000 hommes de pied et 18.000 chevaux, outre les 125.000 hommes de pied et 24.000 chevaux que Sa Majesté a toujours eus pendant. la paix. D. G. 808. — Les compagnies d'infanterie sont portées à 45 hommes effectifs, au lieu de 35.

[25] Voir la liste complète, dans le Journal de Dangeau, à la date du 2 septembre.

[26] Louvois à Boufflers, 30 août et 1er septembre. D. G. 818.

[27] Louvois à d'Asfeld, 19 juin. — Louvois à Fürstenberg, 21 août : Comme vous auriez eu toutes les voix dont vous aviez besoin pour une parfaite postulation, si vous aviez fait entrer les troupes du roi dans le pays de Cologne, et que vous auriez été postulé évêque de Liège, si vous aviez fait remettre la citadelle de ladite ville à Sa Majesté auparavant le jour de l'élection, souffrez que je vous dise qu'il ne faut plus de ménagement, et que plus on verra de troupes dans vos places et dans le pays de Cologne, plus vous y serez craint et respecté, et plus les princes d'Allemagne et les Hollandais hésiteront à agir en faveur du prince Clément. D. G. 818.

[28] Louvois à d'Asfeld, 19 août, 1er septembre. D. G. 808-818.

[29] Nouvelles de Rome, 3 octobre 1688 : Aussitôt que le pape eut vu la lettre du roi que M. le cardinal d'Estrées lui présenta, Sa Sainteté fit appeler son secrétaire, et, en présence du cardinal, lui ordonna d'expédier les bulles pour le prince Clément, en disant ces mots : Precipiti il mondo. Dio giusto punirà che è colpevole, paroles qu'il a tirées de saint Paul qui dit : Pereat mundus ut fiat jus. D. G. 833. — V. Journal de Dangeau, 28 septembre 1688.

[30] Louvois à La Trousse, 13 septembre : Le roi ayant résolu de faire sortir le vice-légat d'Avignon et de rentrer en possession de tout le pays qui a été jusqu'à présent gouverné par ledit vice-légat, Sa Majesté a fait dresser l'instruction ci-jointe ; et comme elle sera bien aise que l'on se saisisse de l'évêque de Vaison et de toutes les filles de l'Enfance qui sont dans ladite ville de Vaison, l'intention du roi est que vous chargiez un officier entendu de partir, à l'entrée de la nuit, d'Orange avec six compagnies de dragons, pour aller se saisir des portes de Vaison ; après quoi il ira chez l'évêque qu'il arrêtera avec route sorte d'honnêteté, et le conduira dans la citadelle du Saint-Esprit. Ordre de saisir les papiers de l'évêque, d'arrêter les filles de l'Enfance et de les séparer dans des monastères du Bas Languedoc. — Louvois à Tassé, 4 octobre : Vous aurez appris présentement que M. de Vaison a été arrêté et tous ses papiers pris, parmi lesquels il s'est trouvé une liste de livres, dont quelques-uns sont contre le roi et les autres contre les jésuites, lesquels livres ledit évêque est convenu que l'on Lui avoit envoyés au commencement du mois de janvier dernier, qu'il les avoit mis dans une muraille, dans une cache, et que, dans le commencement de février, il les avoit envoyés à M. le cardinal Le Camus pour les envoyer à Amsterdam : sur quoi le roi a ordonné à M. Boucha d'aller trouver M. le cardinal Le Camus pour lui demander ce que sont devenus ces livres. D. G. 808-810. — Voir Journal de Dangeau, 3 octobre 1688. — La congrégation des filles de l'Enfance, établie à Toulouse, avait été supprimée en 1686, par arrêt du conseil ; elle était accusée de jansénisme.

[31] 5 octobre. D. G. 810.

[32] Soupirs de la France esclave, douzième et, treizième mémoires.

[33] Voir Journal de Dangeau, 27 et 30 septembre, 7 et 8 octobre 1688.

[34] Fautrier à Crenan, 2 octobre 1688 : Quel mal vous ai-je fait pour m'envier le repos dont je jouis, en me souhaitant de nouveaux emplois ? Je n'ai pas assez de bien pour me corrompre, et j'en ai assez pour n'être à charge à personne dans la médiocrité de uni dépense que j'assujettis à ma fortune, sans écouter ni l'ambition ni le souvenir de ce que j'ai fait dans le Hainaut. Si j'étois tombé, de l'étage de l'intendance, je serois meurtri ; mais j'en suis descendu sans me blesser. J'avois gardé quatre chevaux ; je trouve que c'est trop de la moitié. Ma table n'a qu'un plat ; comme je ne fais qu'un repas, j'ai de la vaisselle de reste. Je ne suis pas si sobre pour les livres ; j'en ai peut-être plus qu'aucun particulier de Paris, et il y a bien des communautés qui en voudroient tvoir autant ; les savants même y trouvent de quoi s'instruire et se délasser ; et je ne sais guère d'auteurs qui aient écrit, par exemple, sur les matières du temps, qui ne veuillent bien nie tenir compagnie et me dire confidemment ce qu'ils pensent de la conduite du pape qui viole tous les canons de l'église, etc. Ou recommencera bientôt à prendre le reste des dix millions à l'Hôtel de Ville, c'est-à-dire au mois de janvier prochain ; la presse ne sera pas munis grande qu'au mois de septembre dernier ; ainsi prenez vos mesures de bonne heure. D. G. 1116. — Le marquis de Crenan était maréchal de camp et gouverneur de Casal, où il avait remplacé, au mois de juillet 1087, Catinat nommé gouverneur de Luxembourg. L'emprunt dont lui parle Fautrier était une émission de 500.000 livres de rente au denier vingt, et qui fut faite en deux fois. V. Journal de Dangeau, 6 et 15 septembre, et 25 novembre 1688. — Puisque nous nous sommes mis sur les lettres familières, en voici une autre, adressée au même marquis de Crenan, le 9 décembre 1688, par M. de Rébetiac, qui venait de remplacer à l'ambassade de Madrid son père, le marquis de Feuquières, mort quelques mois auparavant. Voici diablement du cafta mafiore (?) depuis trois mois. Ils sont tous piqués de la tarentule ; aussi vont-ils bien danser. Nais que fera mon bon Crenan dans Casal ? Maniara caponi, maniera macaroni, et va mettre bon foin dans ses bottes. Écoute, mon ami, tu sais que le bon larron a été sauvé ; il faut faire comme lui, et je te recommande le Milanez. Je ne crois pas que le monde entier puisse produire une ville comme Madrid pour exceller en ennui. Les promenades, les comédies, les conversations, tout ce qui est plaisir ailleurs, ne semble être formé que pour faire trouver le temps plus long. Non, mon cher Crenan, jamais les ombres sur l'Achéron ne se sont ennuyées- comme on fait ici ; c'est un pays consacré à la tristesse. Pour ce qui est des Espagnolettes si gaies, si vives, si gentilles... il n'en reste pas un vestige. Mon frère est donc parvenu à la brigade ; s'il avance toujours de même, il aura. de quoi s'en vanter ; il n'est pas assez bien au bureau. Je ne signe point ; il y aura peut-être des curieux assez sots- pour ne pas deviner mon nom. D. G. 833. — Le marquis de Feuquières, frère aîné de Rébenac, venait d'être fait brigadier ; il fut maréchal de camp très-peu de temps après.

[35] Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 497-502.

[36] Louvois au contrôleur général, des eaux de Forges, 20 juillet 1688. C'est une chose fâcheuse que les Algériens n'aient pu être réduits à conclure la paix. A l'égard du secours de vaisseaux que le roi avoit promis au roi d'Angleterre, cette affaire doit être considérée en deux manières, l'une par rapport aux Hollandais, qui, s'ils peuvent pénétrer que Sa Majesté n'est point en état de secourir le roi d'Angleterre, pourvoient devenir insolents à son égard ; l'autre à l'égard du roi d'Angleterre, auquel je crois que Sa Majesté ne peut s'empêcher de déclarer qu'ayant connu par sa réponse qu'il n'avoit pas besoin de ce secours, il avoit pris le parti de faire désarmer ses vaisseaux à Toulon, ne me paroissant pas du service du roi que le roi d'Angleterre pût se plaindre qu'il lui eût fait dire auroit envoyé ordre à M. le maréchal d'Estrées d'envoyer un nombre considérable de vaisseaux à Brest, et que Sa Majesté eût fait désarmer les mêmes vaisseaux dans lus ports de la Méditerranée sans l'en avertir. N'éviterait-on pas cet inconvénient-là eu faisant passer le détroit à huit ou dix vaisseaux de M. le maréchal d'Estrées pour venir désarmer à Brest ? Les Hollandois apprenant, par les lettres de Provence, que ces vaisseaux auraient pris la route du détroit, ne sauroient qu'au 15 septembre que l'on désarmeroit ces vaisseaux-là !ans le port de Brest, qui est un temps que leur flotte ne pourra plus tenir la mer ; et le roi ne feroit que la dépense de cinq ou six semailles de vivres et de payer des matelots, qui n'est pas comparable à l'inconvénient qui pourra arriver, si les Hollandois apprennent dans douze ou quinze jours rive toute la flotte désarme. Si le roi prenait ce parti, il n'y auroit rien à faire dire présentement au roi d'Angleterre, puisque Sa Majesté feroit exécuter ce qu'elle lui a promis. — 3 août : Je ne doute point que Sa Majesté ne fasse réflexion à ce que j'ai eu l'honneur de lui représenter concernant le prompt désarmement de ses vaisseaux, qui, restant dans le port de Toulon armés, ne feront point l'effet que l'on en pourroit attendre, si un nombre un peu considérable consommoit les vivres à repasser le détroit. D. G. 818.

[37] Louvois à Humières, 3 et 15 septembre. D. G. 809.

[38] Le roi à Barillon, 30 septembre. Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 8.

[39] 21 septembre. D. G. 817.

[40] 16 octobre. D. G. 810.

[41] Louvois à Saint-Pouenges, 6 octobre : Le roi d'Angleterre qui nt commence à croire que depuis huit jours que c'est pour lui, paroit fort en peine, par les lettres du 2 de ce mois que j'ai entendu lire aujourd'hui. D. G. 824.

[42] Louvois à Humières, 25, août : Les dernières nouvelles de Hollande portent que M. le prince d'Orange a retardé rassemblée des troupes qui doivent composer son camp jusqu'à la fin de ce mois, mais qu'il a donné ordre que l'on fit venir à son camp cinquante pièces de gros canons, des mortiers, beaucoup de bombes et de carcasses, qu'en même temps les actions sur la Compagnie des Indes en Hollande, qui étaient à 580, ont baissé jusqu'à 500. D. G. 817. — Louvois à Dalencé, 25 août : Je vous prie de vous rendre à Nimègue, quelques jours avant que le camp du prince d'Orange commence, pour me mander régulièrement, par tous les ordinaires, ce que vous pourrez apprendre de ce qui s'y passera, quel sera l'équipage d'artillerie, quels mouvements les troupes y feront, et, lorsqu'il se séparera, vers quels lieux lesdites troupes marcheront. Pour être informé de tout ce que dessus, il ne faut point que vous alliez dans le camp ni que vous y envoyiez personne, mais seulement que vous vous trouviez dans les cabarets où mangeront les officiers qui iront et viendront, moyennant quoi, vous ne courrez aucun risque et ne laisserez pas d'être en état de me mander des nouvelles de tout ce qui s'y passera. D. G. 807.

[43] Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, chap. IV. C'est à propos d'Annibal et de son fameux séjour à Capoue que Montesquieu fait cette remarque.

[44] On fait grand bruit du témoignage du comte d'A vaux sur la joie du prince d'Orange et des Hollandais, à la nouvelle du siège de Philisbourg. Sans doute le témoignage du comte d'Aveux est considérable ; mais il ne faut pas oublier que tous les hommes, et les diplomates entre tous, sont naturellement enclins à s'exagérer l'importance des faits dont ils sont les premiers témoins. On peut bien dire d'eux qu'ils ne voient les affaires que par un trou ; encore ne voient-ils qu'un certain coin des affaires, grossi par cela même, et sans proportion avec le reste qu'ils ne voient pas. Il n'y a rien de plus fréquent dans la politique, et, par suite, dans l'histoire, que ces illusions d'optique. C'est pour cela qu'en tenant compte du témoignage de M. d'Aveux, nous croyons qu'il en faut beaucoup rabattre.

[45] La marche des troupes françaises dans l'Électorat de Cologne n'était-elle pas pour la Hollande une cause d'inquiétude plus sérieuse et plus prochaine ? Cependant elle n'a servi de rien.

[46] Louvois à La Grange, 27 août : Ce mot est pour vous dire d'aller attendre à Strasbourg un courrier que je vous y dépêcherai, dans deux ou trois jours au plus tard, pour vous informer de ce que vous devez préparer pour l'exécution des résolutions que le roi a prises. Avertissez en même temps M. de Montclar de s'en venir à Haguenau, sous prétexte de chasse, afin que vous soyez plus près de lui. Je ne vous recommande point le secret, parce que je suis persuadé que vous n'en manquez pas. — Au même, 30 août : Comme je ne puis encore de quelques jours vous donner les derniers éclaircissements sur le détail du siège de Philisbourg, que le roi a résolu de faire faire dans la fin du mois de septembre prochain, et que cependant le temps presse, j'ai cru que je ne pouvoir manquer de vous informer cependant de la résolution de Sa Majesté, afin que vous puissiez toujours travailler aux préparatifs nécessaires pour cette entreprise, avec le secret et les précautions convenables pour que personne n'en ait connoissance. Sa Majesté fera, quelques jours auparavant, attaquer Kaiserslautern par M. de Boufflers, afin que l'Électeur Palatin se presse de jeter plutôt les mauvaises troupes qu'il a à sa disposition dans Frankenthal que de les envoyer à Philisbourg ; et comme il n'y a, ce me semble, qu'un régiment de l'Empereur à portée d'entrer audit Philisbourg, lequel est, comme je crois, logé du côté des villes Forestières, Sa Majesté serait bien aise qu'en même temps qu'on attaquera Kaiserslautern, on pût prendre Offembourg, afin que le bruit de l'entrée des troupes du roi de ce côté-là retienne le susdit régiment et l'empêche de marcher du côté de Philisbourg. Voir aussi une lettre de Louvois à Boufflers, du 29 août ; c'est une instruction sommaire pour l'attaque de Kaiserslautern. D. G. 807-824.

[47] Rien ne saurait mieux peindre la confusion d'idées et de projets, à la fois belliqueux et pacifiques, entre lesquels s'agitait Louis XIV, que les trois lettres suivantes, écrites par Louvois, le même jour, 13 septembre, au marquis de Boufflers, au baron d'Asfeld, et à l'intendant La Grange. A Boufflers : Il est fort à désirer que l'on se tienne précisément aux dates que Sa Majesté marque, laquelle, conduisant le gros de ses affaires, sait. pourquoi elle les marque et comme il faut faire cadrer tous les mouvements qu'elle juge à propos de faire sur ses frontières. A d'Asfeld : Que veut ménager M. le cardinal de Fürstenberg dans l'Empire ? Et croit-il, dans la disposition où toutes les choses sont, qu'il y ait rien de mieux à faire pour lui que de faire voir que ses places sont entre les mains du roi, et qu'ainsi on ne peut plus les en retirer sans avoir affaire à toute la puissance de Sa Majesté ? Il ne sauroit trop tôt y établir les commandants François que le roi lui a envoyés. Si M. le cardinal veut s'empêcher de devenir la risée de ses ennemis, il n'a d'autre parti à prendre que de mettre trois à quatre mille hommes de ses troupes dans Rheinberg, et de mettre les troupes de Sa Majesté dans Kaiserswerth et dans Bonn. A La Grange : Sa Majesté a résolu de faire proposer à l'Empire de rendre Philisbourg, rasé à [l'évêque de Spire], son légitime maître, et Fribourg aussi rasé à l'Empereur, si tout l'Empire veut convertir la trêve en une paix solide ; mais Sa Majesté se gardera bien de faire raser Philisbourg, si la guerre dure, puisque c'est une entrée en Allemagne qu'il est bon de se conserver. D. G. 808-824.

[48] Louvois à La Reynie, 21, 23, 26 septembre. D. G. 809.

[49] Louvois à Villars, 25 octobre : J'ai vu avec bien de la douleur que mon fils ait été arrêté à Comorn (par erreur, c'était à Bude). C'est un payement fort honnête des services qu'il a essayé de rendre à l'Empereur pendant trois ans. Il est vrai que l'on a arrêté les sujets de l'Empereur à Paris ; mais en même temps on leur a fait déclarer que ce n'étoit que pour la sûreté des sujets de Sa Majesté qui étoient dans les pays héréditaires de l'Empereur ou dans ses armées. D. G. 811. — Le même jour, Louvois écrivait au gouverneur de Souvré : A l'égard des Turcs que mon fils avoit amenés avec lui, faites en sorte que l'on les donne à quelqu'un, et que je n'entende plus parler de ce ménage-là. Ce ménage-là nous rappelle d'autres fantaisies qu'avait eues Courtenvaux l'année précédente. Le 4 et le 15 octobre 1687, Louvois lui écrivait : Ne pensez pas à envoyer ici des chameaux, desquels je ne veux point, quand ils réussiroient dans ce pays-ci, n'aimant point les singularités... Je suis surpris d'apprendre que vous meniez dans votre équipage une Turque de dix-sept ans, que vous dites que vous voulez envoyer à votre mère ; elle n'en veut point. Aussitôt cette lettre reçue, donnez-la, et que je n'entende plus parler de pareille compagnie. La seule chose que Louvois permit à son fils de lui offrir, c'était du café : Si vous pouvez avoir de celui qu'on a pris dans le camp des Turcs, vous me ferez plaisir de m'en envoyer huit eu dix livres, et un mémoire de la manière dont on l'accommode. D. G. 786-787. — Profitons de l'occasion pour dire aussi que Louvois payait 22 livres une demi-livre de thé qu'on lui avait envoyée de Hollande. Louvois à Dalencé, 21 février 1690. D. G. 913.

[50] Malgré le peu de satisfaction que lui avaient donné jusque-là ses deux fils, Louvois ne laissa pas de les établir à la cour et dans l'armée. On lit dans le Journal de Dangeau, à la date du 7 mars 1688 : Le roi a donné à M. de Courtenvaux la survivance de la charge de capitaine des Cent-Suisses qu'a Tilladet. Nous n'avions point encore vu donner de pareilles survivances. Et le 12 mai : M. de Courtenvaux achète le régiment de la Reine de M. de Crenan, 4.000 pistoles. Voici pour Souvré, l'année suivante ; 14 avril 7689 : M. de Souvré a le régiment de Tilladet, qui est, de douze compagnies et un des beaux régiments de cavalerie qui soit en France. Enfin, le 1er mai, Souvré obtient du roi la permission d'acheter, au prix de 500.000 francs, la charge de maitre de la garde-robe que le marquis de Lionne n'était plus en état d'exercer.

[51] Journal de Dangeau, 22 septembre 1688.

[52] Il était mort, le 4 février 1687, emporté en quatre jours par une fluxion de poitrine.

[53] D. G. 783.

[54] Voir Histoire de Louvois, 1re partie, t. II, chap. IX.

[55] Journal de Dangeau, 17 septembre 1688.

[56] Louvois à Desnoyers, 8 septembre. D. G. 824.

[57] D. G. 830.

[58] Voir Histoire de Louvois, 1re partie, t. II, chap. IX.

[59] Chacun des volontaires était attaché à quelqu'un des régiments de l'armée, et ne pouvait aller à la tranchée que lorsque son régiment était de service. Deux de ces jeunes gens qui avaient contrevenu à ce règlement furent envoyés au Fort-Louis jusqu'à la fin du siège. Il y a plusieurs lettres de Louvois au maréchal de Duras sur ce sujet.

[60] Vauban à Louvois, 4 octobre : Je ferai, monseigneur, pour M. de Courtenvaux, ce que M. de Saint-Pouenges m'a dit de votre part, avec joie et beaucoup de plaisir. C'est chose que de lui-même il n'avoit demandée et que je lui avois promise. D. G. 831.

[61] D. G. 831. — Voir aussi Catinat à Louvois, 10 octobre ; Chamlay à Louvois, 11 octobre. D. G. 825.

[62] D. G. 824.

[63] Louvois à Saint-Pouenges, 6, 10, 13 octobre ; à Duras, 10 octobre ; à Catinat, 12 octobre. D. G. 824.

[64] 15 octobre. D. G. 825.

[65] D. G. 825-826.

[66] Lettre à Bussy, du 3 novembre 1688.

[67] Louvois à Duras, 16 octobre. D. G. 824.

[68] 20 octobre. D. G. 811.

[69] Louvois à d'Asfeld, 9 octobre. D. G. 810.

[70] Boufflers à Louvois, 5 octobre : Je vous supplie très-humblement de croire que je n'ai aucune sorte de ménagement pour tous ces messieurs les Électeurs ni autres, quand il s'agit, du service du roi. Se crois qu'autant qu'on peut les engager, par la douceur et de bons traitements, à mériter la protection et les bonnes grâces du roi, et à faire généralement tout ce qui peut dépendre d'eux pour ses intérêts et son service, c'est le mieux ; mais, quand. ils ne se conduisent pas comme ils doivent, personne au monde n'exécutera plus ponctuellement que moi, les ordres de sévérité et de rigueur que j'aurai à leur égard. D. G. 825.

[71] 15 octobre. D. G. 825

[72] 17 octobre. D. G. 810.

[73] Louvois à Saint-Pouenges, 29 octobre. D. G. 824.

[74] 23 octobre. D. G. 826.

[75] 2 novembre. D. G. 832. — Vauban termine par ce trait : Je finis par vous supplier de trouver bon que le lardonnier d'Hollande reprenne et s'applique le pied de nez dont il m'avoit fait présent. On donnait le nom de lardons aux gazettes et feuilles étrangères, toujours malveillantes, mais plus injurieuses que jamais à l'endroit de la France.

[76] Voir les lettres de madame de Sévigné à sa fille, du 1er et du 3 novembre 1688.

[77] Lettre du 1er décembre 1688.

[78] Vauban à Louvois, 6 novembre : A propos de batteries à ricochets, vous ne savez peut-être pas que celle de Philisbourg, que sens doute vous aurez traitée de visionnaire et de ridicule, a démonté six ou sept pièces de canon, fait déserter l'un des longs côtés de l'ouvrage à corne et toute la face de l'un des bastions opposés aux grandes attaques, si bien qu'on n'en tiroit plus. Monseigneur l'a vue et plus de cent autres avec lui. N'en attendez pas moins de celle-ci, car elle sera encore mieux placée et beaucoup plus près. D. G. 827.

[79] Boufflers à Louvois, 11 novembre. D. G. 827.

[80] 14 novembre. D. G. 812.

[81] Vauban à Louvois, 10 novembre. D. G. 827.

[82] Vauban à Louvois, 12 novembre.

[83] Vauban à Louvois, 17 novembre. D. G. 828.

[84] 2 novembre. D. G. 824.

[85] Saint-Pouenges à Louvois, 16 novembre : On n'a pas pu empêcher M. de Vauban, quelque ordre qu'on lui ait donné, d'aller à l'ouverture de la tranchée. Il a un zèle et une application si grande pour le service du roi qu'il croit que, s'il ne se donnoit pas les soins et les peines qu'il prend, les ordres qu'il donne aux ingénieurs ne seroient pas exécutés aussi bien qu'il le croit nécessaire pour diligenter la prise de cette place. D. G. 828.

[86] Vauban à Louvois, 18 novembre. D. G. 823.

[87] D. G. 812.

[88] Nous avons rapproché et mis ensemble des fragments de trois lettres des 12, 14 et 21 novembre. D. G. 827-828. — Le 6 décembre, Louvois donne à M. de La Frezelière l'ordre de faire fondre à Brisach, pour Vauban, quatre petites pièces, de quatre à cinq cents livres chacune. D. G. 871.

[89] Journal de Dangeau, 17 octobre 1688.

[90] Voir la liste des chevaliers, dans le Journal de Dangeau, à la date du 2 décembre 1688.

[91] Lettre du 3 décembre 1688.

[92] D. G. 814. — Cette lettre est, par erreur, datée du 1er décembre 1688.

[93] D. G. 839.

[94] 11 octobre 1688. D. G. 825.