HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE SEPTIÈME.

 

 

Les protestants et l'opinion publique. — Richelieu, dit-on, n'a pas accompli tous ses projets. — Idées de Louis XIV. — Le secrétaire d'État pour les affaires de la Religion Prétendue Réformée. — Châteauneuf. — Anarchie dans l'affaire de la révocation de l'édit de Nantes. — Rôle de Louvois dans cette affaire. — Conversion de Günzer. — Louvois modéré jusqu'en 1681. — Caisse des conversions. — L'intendant Marillac en Poitou. — Origine des dragonnades. — Marillac souvent réprimandé. — M. de Ruvigny. — Émigration protestante. — Suppression des dragonnades. — Rappel de Marillac. — Assemblées des réformés en 1683. — Répression militaire. — Plan de conversion générale en 1684. — Madame de Maintenon. — Méthode du chancelier Le Tellier. — L'intendant Bâville en Poitou. — Gratifications secrètes. — Vérification des titres de noblesse. — Affaire des baptêmes. — L'intendant Foucault en Béarn. — Conversions en masse. — Les grandes dragonnades. — Les généraux et les intendants. — Bâville en Languedoc, et Foucault en Poitou. — Ordres contradictoires. — Violence de Foucault. — Affluence des conversions. — Le comte de Tessé à Orange. — On croit tout fini. — Révocation de l'édit de Nantes. — Mort du chancelier Le Tellier. — Louvois chef de famille. — Démission de Courtenvaux. — Barbezieux secrétaire d'État en survivance. — Soumission de Courtenvaux. — Intégrité de Louvois. — Dernière clause de l'édit révocatoire. — Agitation parmi les religionnaires et les nouveaux convertis. — Harangue de Foucault aux gentilshommes du haut Poitou. — Recrudescence des rigueurs. — Fureur de Louvois contre les opiniâtres. — Ménagements pour les nouveaux convertis. — Modération de l'évêque de Grenoble. — Assemblées au désert. — Répression violente. — Condamnations à mort. — Déportations en Amérique. — Émigration incessante. — Violences contre les fugitifs. — Ordres contradictoires. — L'émigration tolérée. — Effets de l'émigration en Europe. — Patriotisme des religionnaires en France. — Mémoire de Vauban à Louvois. — Louvois se modère. — Louis XIV persiste dans ses projets. — Opinion de Chamlay. — Jugement sur la révocation de l'édit de Nantes.

 

L'édit qui a supprimé celui de Nantes, et les déclarations qui ont suivi cet édit de suppression, ont eu des effets et des suites si tristes que l'histoire de notre. siècle ne parlera que de ce funeste événement. L'intention du roi étoit aussi sage que pieuse, et rien ne pouvoit être meilleur au bien de l'État et à celui de l'Église que de n'avoir en France qu'une religion ; mais de quels moyens, grand Dieu ! s'est-on servi pour y parvenir ! Les dragons ont été les principaux prédicateurs de notre Évangile ; les villes entières abjuroient dès qu'elles les voyoient approcher, et les évêques qui recevaient ces abjurations forcées poussoient ces malheureux à faire malgré eux le plus horrible des sacrilèges, en les forçant à communier publiquement et à remplir les devoirs les plus saints d'une religion à laquelle ils ne croyoient pas. Enfin, réduits à ne prévoir leur salut que dans la fuite, ils ont abandonné ce qu'ils avoient de plus cher, et quittant pour jamais la douceur de la patrie, ils ont été chercher, sous un ciel étranger, la liberté de penser de la religion et de ses mystères ce que leurs pères en avoient pensé.

La résolution de supprimer l'édit de Nantes et d'ôter l'exercice public du calvinisme a eu son premier principe dans la piété du roi aidée par le conseil des jésuites qui gouvernent sa conscience. Fallit te incautum pietas tua. Mais le conseil de contraindre par des voies violentes les huguenots à se faire catholiques a été donné et exécuté par le marquis de Louvois, qui a cru pouvoir manier les consciences et gouverner la religion avec les manières dures que, malgré sa sagesse, la violence de son tempérament lui inspire presque en tout.

Ainsi parle un témoin, homme de cour et honnête homme. Qui est-il ? peu importe[1]. L'opinion qu'il exprime, nous le savons d'ailleurs, ne lui est point exclusivement personnelle, et nous pouvons méditer sur ce témoignage anonyme comme sur l'expression certaine des idées admises à cette époque, touchant les dissidences en matière de foi. Dans la société contemporaine de Louis XIV, le sentiment qui domine est celui-ci : on a tort de contraindre les dissidents par la violence, mais on a raison de vouloir qu'il n'y ait plus de dissidents ; en soi, le principe des conversions est excellent, ce sont les moyens qui sont détestables. Vauban, décidé contre la persécution, ne tient pas un autre langage : Jamais chose, dit-il expressément, n'eût mieux convenu au royaume que cette uniformité de sentiments, tant désirée, s'il avait plu à Dieu d'en bénir le projet[2].

Cette société rapprochée, ramassée dans l'unité politique et administrative, ne comprend et ne souhaite que l'unité religieuse ; celle-ci lui paraît être le corollaire indispensable de celle-là. En vain lui dira-t-on que Richelieu, qui a voulu et fait la première, a négligé, sciemment et de propos délibéré, la seconde ; qu'en abattant la faction des huguenots, il a respecté leur croyance ; elle répondra qu'on se trompe, que Richelieu, empêché par d'autres soins, est resté, vis-à-vis des protestants, à mi-chemin de ses projets, et qu'il n'a pas tenu à lui que les huguenots ne perdissent leurs temples, après avoir perdu leurs places de sûreté. Voici encore un honnête homme, contraire aux moyens violents, Chamlay, qui n'a pas le moindre doute à cet égard, et qui va nous parler de Richelieu et de ses idées, d'un ton sincère et convaincu, absolument comme il nous parle de Louis XIV et de Louvois, en homme qui sait les affaires et connaît le fond de la politique. Le dessein de ce grand ministre, nous dit-il, n'étoit pas seulement de dépouiller les huguenots de la possession de leurs places de sûreté ; il avait encore formé celui d'extirper entièrement le calvinisme en France, persuadé qu'il était que la multiplicité des religions dans un même État n'était propre qu'à y fomenter des guerres civiles et à le mettre en proie aux étrangers ; et il n'y a pas lieu de douter que, par la supériorité de son génie, il ne fût enfin venu à bout de ce grand projet ; mais les grandes cabales qui s'étaient élevées à la cour contre lui l'empêchèrent de l'exécuter, et d'ailleurs il en fut diverti par d'autres projets de guerres étrangères d'une bien plus vaste étendue que celui-là, lesquels ont été les premiers fondements de l'abaissement des plus considérables puissances de l'Europe et de l'élévation de la monarchie française que le roi d'aujourd'hui a mise longtemps après sur le pied et dans l'état où elle est présentement. Cependant le roi, après la mort du cardinal Mazarin, ayant pris le timon des affaires et les anciens errements du cardinal de Richelieu à l'égard du parti huguenot, dont les diverses guerres et mouvements survenus à la cour avoient interrompu le cours et l'exécution, il jeta dès lors les premiers fondements de la ruine de ce parti[3].

Étrange aberration des esprits les plus sensés en apparence ! Ils admirent Richelieu sans le comprendre ; ils défont son œuvre en s'imaginant qu'ils l'achèvent. Depuis trente ans, seule en Europe, la France pratiquait la liberté de conscience ; c'était son honneur et sa gloire ; c'était sa force. Malheureusement les contemporains de Louis XIV ne l'entendaient point ainsi ; leurs esprits, fermés à l'idée de la tolérance, s'irritaient ou s'affligeaient du fait de la tolérance comme d'un désordre public ; entre les impatients et les modérés, la suppression de ce désordre ne faisait pas doute ; ils ne différaient que sur la question de temps et sur les moyens d'agir. La grande transaction qui avait mis heureusement fin aux guerres religieuses du seizième siècle, l'édit de Nantes, perpétuel et irrévocable, était dénoncé par les générations étrangères aux douleurs des générations précédentes, comme un expédient de circonstance, essentiellement révocable et purement transitoire. Elles cherchaient, elles croyaient trouver, dans le préambule même de cet édit, certaine phrase et certains mots qui en avaient, dès l'origine, prédit et justifié la suppression[4].

Telles étaient les idées étroites, erronées, mais sincères, au milieu desquelles avait grandi Louis XIV. A peine fut-il roi régnant, sa politique devint contraire aux obligations de l'édit de Nantes[5]. Du sol de la France, profondément remué et fouillé, l'hérésie calviniste, arrachée jusqu'aux dernières fibres, devait, disait-on, disparaître à jamais. Quels procédés et surtout quels ouvriers Louis XIV a-t-il employés à ce labeur ?

Parmi les quatre secrétaires d'État, il y en avait un dont les attributions se réduisaient aux seules affaires de la Religion Prétendue Réformée. Tandis que ses collègues aux affaires étrangères, à la marine, à la guerre, reculaient sans cesse les limites et rehaussaient l'importance de leurs fonctions, celui-ci ne tendait, ne pouvait tendre qu'à restreindre et à rabaisser les siennes. Si la police des religionnaires lui était confiée, c'était à la seule condition d'en réduire incessamment le nombre ; la diminution plus ou moins rapide du troupeau dont il avait la charge donnait à chaque instant la mesure de son zèle, de sorte que le plus glorieux jour de son administration devait être justement celui où il ne lui resterait plus rien à faire. C'était bien de lui qu'on pouvait dire qu'il travaillait à se rendre inutile. Un tel rôle n'avait rien qui pût tenter les gens de mérite ou d'ambition ; aussi fut-il toujours délaissé aux subalternes. Le secrétaire d'État pour les affaires de la Religion Prétendue Réformée, incapable de prendre, comme les autres, son essor vers les hautes régions du gouvernement, resta seul dans la bassesse de leur commune origine, dans le terre à terre, un pur commis.

C'est à peine si l'on connaît, autrement que par leur nom, les deux hommes qui se résignèrent à ces fonctions sans honneur, pendant le règne de Louis XIV, La Vrillière et Châteauneuf, le père et le fils. Au premier, Louis XIV a donné, d'une main dédaigneuse, et de compte à demi avec un collègue de même sorte, un certificat d'honnête médiocrité. La Vrillière et Duplessis, a-y-il dit, étoient de bonnes gens dont les lumières paroissoient assez proportionnées à l'exercice de leurs charges, dans lesquelles il ne tomboit rien de fort important. J'eusse pu sans doute jeter les yeux sur des gens de plus haute considération ; mais ceux que je choisis me semblèrent suffisants pour exécuter sous moi les choses dont j'avois résolu de les charger[6]. Duplessis-Guénégaud ayant bientôt sombré dans le naufrage de Fouquet, La Vrillière resta seul pour montrer aux générations nouvelles ce qu'était un secrétaire d'État des anciens jours. Châteauneuf, son fils, ne fut ni moins médiocre ni plus considéré. Si l'on veut insinuer, par commisération, qu'ils se sont dévoués, l'un après l'autre, à une tâche ingrate, il faut ajouter que leur dévouement fut bien complet, car ils n'en eurent pas même le mérite. Dans toutes les atteintes dirigées contre les protestants, depuis le commencement du règne de Louis XIV, ils n'eurent aucune initiative ; chacun se servait d'eux pour mettre ses propres idées à l'épreuve, et pour en réclamer, en cas de succès, le bénéfice. Il est vrai qu'on est en droit de faire, à peu de chose près, le même reproche à Louis XIV et à ses ministres.

L'affaire de la révocation est, en effet, la seule dont on peut dire qu'elle n'a pas suivi la direction exclusive des chefs du gouvernement, qu'elle leur a souvent échappé, et qu'en plus d'une circonstance, ils ont subi l'action de leurs propres agents. Combien d'arrêts contre les protestants les assemblées du clergé, périodiquement renouvelées, n'ont-elles pas dictés, arrachés même à la cour[7] ! Et combien de mesures les intendants n'ont-ils pas insinuées et suggérées, qui, de locales et temporaires d'abord, sont devenues bientôt des lois générales et permanentes ! Allons plus loin, que voyons-nous ? Les évêques pressés par le bas clergé, les intendants par les subalternes, tous par la multitude ignorante et méchante. Ce n'est pas de Paris ou de Versailles que le courant descend aux provinces, c'est du fond des provinces que le flot monte vers

Paris. Dans le mécanisme de ce gouvernement, un et si bien réglé, à ce qu'il semble, on sent, de bas en haut, l'action d'une force perturbatrice et désordonnée. Ainsi s'expliquent les troubles, les hésitations, les contradictions, qui font de la révocation de l'édit de Nantes, œuvre inique, un sujet d'étude médiocre et stérile. Vous cherchez un modèle de haute stratégie, des combinaisons, un ensemble ? Peine perdue. Vous ne trouvez que des lambeaux de plans qui ne se raccordent point, des mouvements qui se contrarient, des chocs et des heurts, l'anarchie, en un mot, dans le plus misérable et le plus odieux détail. Là où manque le grand art de la guerre, si l'on ne voit que les atrocités, il n'y a pas de plus abominable spectacle. On s'en prend à Louvois. Quoiqu'il n'ait ni tout fait, ni tout ordonné, ni même tout connu, on lui impute tout, on le rend responsable de tout. De son temps même il en était ainsi ; déjà l'odieux de la révocation de l'édit de Nantes lui était exclusivement reproché. Avait-il, devant ses contemporains, a-t-il devant la postérité le droit de s'en plaindre ? Non, sans aucun doute. En affectant de tout dominer, de tout diriger, il a rendu toutes les accusations légitimes ; il a payé chèrement, cruellement, les satisfactions de son orgueil. L'histoire de la révocation de l'édit de Nantes a été faite : c'est, de tous les grands événements du règne de Louis XIV, celui qui a été le plus creusé, fouillé, soumis à l'analyse, étudié dans ses causes et poursuivi jusque dans ses derniers effets. Nous n'avons absolument ici qu'à définir et à préciser le rôle de Louvois dans la révocation de l'édit de Nantes.

Louvois n'était ni un fanatique, ni même un dévot, il se raillait, en son particulier, de Seignelay, qui, parmi ses ardeurs au plaisir, avait, par intermittence, des accès de fièvre religieuse. On ne peut guère citer qu'un seul cas où Louvois ait fait personnellement œuvre de prosélytisme ; il s'était mis en tête de convertir un de ses affidés de Strasbourg, Günzer, qui était luthérien. Au mois de janvier 1685, Günzer lui ayant écrit pour lui faire ses compliments de nouvelle année, Louvois lui répondit : J'avois toujours espéré que vous feriez les diligences nécessaires pour connoître les erreurs de votre religion, et, lorsque je vous en ai parlé moi-même sur les lieux, Tous m'aviez répondu de manière que j'avois cru qu'aussitôt après la trêve [de Ratisbonne], vous ne différeriez pas plus longtemps à vous instruire. Je vous prie donc de me mander dans quel sentiment vous êtes présentement à cet égard, et si vous n'avez point déjà commencé à fréquenter les gens qui peuvent vous aider à faire un pas si important pour les affaires de l'autre monde et de celui-ci.

Günzer ne fut qu'ébranlé ; Louvois redoubla, par une nouvelle épître : Votre lettre me donne lieu d'espérer que vous ferez bientôt un pas fort utile pour l'autre monde et pour celui-ci. Puisque vous connoissez la vérité, vous ne devez point, ce me semble, vous mettre en peine de vouloir accommoder les deux religions ensemble, et vous devez songer à embrasser celle qui est la plus sûre pour votre salut et la plus ancienne. J'apprends que des principaux bourgeois de Strasbourg se font instruire ; s'ils faisoient abjuration, je craindrois que le roi ne jugeât à propos de leur confier les soins dont vous êtes chargé[8].

Günzer se sentit tout à fait convaincu ; il fit part de sa conversion à l'intendant d'Alsace, M. de La Grange, qui s'empressa d'en informer Louvois, et Louvois écrivit pour la troisième fois à son prosélyte : J'ai appris avec la dernière joie la résolution que vous avez prise de vous faire catholique. Vous apprendrez, par M. de La Grange, la grâce que Sa Majesté a bien voulu vous faire en cette considération[9], et vous pouvez compter sur sa protection dans toutes les occasions qui se présenteront pour votre avantage[10]. Cependant Günzer tardait beaucoup à déclarer au public la confidence qu'il avait faite au ministre et à l'intendant ; il fallut le presser. Enfin, le 22 avril, Louvois écrivit à M. de La Grange : Sa Majesté a appris avec plaisir que le sieur Günzer commencé à fréquenter les églises. Vous devez le porter à continuer, et lui faire entendre combien il lui serait préjudiciable de toutes manières qu'il hésitât à professer publiquement la religion qu'il a embrassée[11].

Les arguments de Louvois sont grossiers, et, dans boute la force du mot, palpables ; c'est un sergent qui fait des recrues, argent comptant. De l'âme, de la conscience, des problèmes qui divisent les communions chrétiennes, il ne s'inquiète pas ; il ne perd jamais la terre de vue ; le calvinisme, après tout, n'est pour lui que la religion qui déplaît au roi. Tant que le déplaisir du roi contre les calvinistes ne s'était manifesté que par des refus de grâces ou par des sévérités légales[12], Louvois s'était abstenu d'intervenir dans les affaires de la Religion Prétendue Réformée. Pendant les vingt premières années de sa vie publique, on ne le rencontre pas une seule fois parmi ceux qui poussent aux mesures de rigueur ; tout au contraire. Si sa carrière s'était achevée avant l'année 1.681, il aurait pu passer dans l'histoire pour un des derniers et des plus persévérants amis de la tolérance.

Tandis que les protestants étaient exclus peu à peu des fonctions publiques, et menacés même jusque dans les professions libérales, l'armée leur ouvrait un asile au seuil duquel s'arrêtait la persécution. Les Allemands réformés, et surtout les Suisses, qui servaient le roi en grand nombre, n'avaient pas besoin d'invoquer leurs capitulations pour pratiquer librement l'exercice de leur culte ; Louvois prévenait ou repoussait, sans hésiter, toutes les attaques dirigées contre leurs droits. Si parfois l'irritation des populations catholiques, pour qui l'exercice de ce culte était un scandale, s'échappait en rumeurs, souvent même en menaces, le ministre marchait droit aux fauteurs de ces émotions populaires et les menaçait à son tour de les punir comme perturbateurs du repos public[13]. Il était impossible que les officiers français de la Religion ne fussent pas couverts par la tolérance qui s'étendait sur leurs coreligionnaires étrangers. Jusqu'à la paix de Nimègue, ils n'eurent aucun sujet de se plaindre.

La guerre achevée, Louis XIV revint aux soucis du gouvernement intérieur, surtout aux soucis du gouvernement religieux. Le 28 octobre 1679, madame de Maintenon écrivait : Le roi pense sérieusement à la conversion des hérétiques ; et, dans peu, on y travaillera tout de bon. Il y avait, depuis 1677, une caisse alimentée par les revenus des bénéfices vacants, et dont les fonds, administrés par Pellisson, qui était lui-même un nouveau converti, étaient spécialement destinés à solder, parmi les plus pauvres calvinistes, des conversions à bas prix[14], mais non sans valeur, car la sévérité des lois contre les relaps, c'est-à-dire contre ceux qui, ayant abjuré, retombaient dans leurs anciennes erreurs, les rendait terriblement sérieuses.

Quoique l'emploi de ces fonds, dont la source venait de l'Église, et dont l'effet lui était particulièrement intéressant, eût dû exclusivement appartenir aux évêques, les intendants y prétendirent, entrèrent en concurrence avec eux, usurpèrent en grande partie le droit, sinon de convaincre, au moins d'acheter les consciences, et commencèrent d'envoyer à la cour ces fameuses listes de conversions, alignées, avec pièces à l'appui, suivant les règles d'une comptabilité rigoureuse, de sorte qu'au premier coup d'œil, la somme des fonds employés, divisée par la somme des conversions obtenues, donnait l'exacte mesure du zèle des administrateurs, et permettait de comparer leurs différents génies. Il y en eut cependant, parmi les plus intelligents et les plus zélés, qui ne se contentèrent pas du succès de cette méthode financière ; ils lui reprochèrent même de n'être, malgré les apparences, ni efficace, ni prompte, et surtout de ne s'adresser qu'aux pauvres gens, qu'à la plèbe des religionnaires. Ils s'ingénièrent pour perfectionner l'art des conversions. L'un des plus inventifs était l'intendant de Poitiers, Marillac.

Louvois, qui avait dans son département le Poitou, peuplé de calvinistes, ne prêtait aux affaires de la Religion qu'une attention distraite ; la politique étrangère, les chambres de réunion le préoccupaient alors bien davantage, et ses desseins étaient bien plus d'usurper sur Croissy que sur Châteauneuf. Toutefois, en affectant de consulter Châteauneuf plus que de raison, Marillac finit par piquer Louvois[15] et par le compromettre sans retour avec les calvinistes. C'est ainsi que, dans les premiers mois de l'année 1681, s'il ne persuadait pas encore à Louvois d'interdire aux protestants l'exercice de la médecine, de la chirurgie et de la pharmacie, ou de retirer à ceux qui en étaient pourvus, leurs brevets de maîtres de poste[16], il lui suggérait et lui faisait adopter une mesure bien autrement considérable.

Une ordonnance, appliquée d'abord au Poitou seulement, mais bientôt après étendue à toutes les provinces du royaume, exemptait, pendant deux années, les nouveaux convertis du logement des gens de guerre. Cette ordonnance, disait Louvois[17], pourroit causer beaucoup de conversions dans les lieux d'étape, si vous teniez la main à ce qu'elle soit bien exécutée, et que, dans les répartiments qui se feront des troupes qui y passeront, il y en ait toujours la plus grande partie logée chez les plus riches des religionnaires. Mais Sa Majesté désire que vos ordres sur ce sujet soient par vous ou par vos subdélégués donnés de bouche aux maires et échevins des lieux, sans leur faire connoitre que Sa Majesté désire par là violenter les huguenots à se convertir, et leur expliquant seulement que vous donnez ces ordres sur les avis que vous avez eus que, par le crédit qu'ont les gens riches de la Religion dans ces lieux-là, ils se font exempter au préjudice des pauvres.

La première troupe qui fut envoyée pour loger en Poitou fut un régiment de dragons ; cette troupe n'avait rien de plus terrible qu'une autre, si ce n'est son nom ; mais ce nom seul, de sinistre augure, terrifia les peuples et leur inspira d'abord l'éternelle horreur des dragonnades. Des faits déplorables ne tardèrent pas, d'ailleurs, à justifier cette première et fatale impression.

Le logement des gens de guerre, lourde charge, n'était pas une charge nouvelle ; les désordres qu'entraînait le logement des gens de guerre n'étaient pas non plus des maux inconnus jusqu'alors. Ils parurent nouveaux cependant, parce qu'on vit pour la première fois les hommes qui étaient chargés de prévenir et de réprimer la licence du soldat, la souffrir et la provoquer même. Marillac y poussait de tout son pouvoir. Il compromettait audacieusement le nom de Louis XIV et de Louvois ; il outrait leurs ordres ; il les entraînait au delà de leur propre volonté, croyant leur plaire au fond, et n'imaginant pas qu'il pût être désavoué. Il ne le fut pas d'abord, au moins publiquement ; le pouvoir absolu ne sait pas reculer à propos, parce qu'il a toujours besoin de paraître infaillible. Cependant Marillac fut constamment averti qu'il faisait fausse route ; la correspondance de Louvois avec lui, pendant huit mois, n'est qu'un continuel rappel à l'ordre.

Dès le 7 mai, Louvois lui écrivait : Les députés des religionnaires se plaignent fort de ce qui s'est passé en dernier lieu dans votre département, pendant le séjour des compagnies du régiment du Saussay, qu'ils assurent avoir été toutes logées chez les religionnaires. Je leur ai voulu répondre qu'assurément il y en avoit eu chez les catholiques, et ils se sont offerts de prouver le contraire ; de quoi ayant rendu compte à Sa Majesté, elle m'a commandé de vous faire savoir qu'elle désire que ce que je vous ai mandé de son intention à cet égard soit ponctuellement exécuté, et que tous ne souffriez jamais que l'on décharge entièrement les catholiques du logement des gens de guerre pour les mettre chez les religionnaires. Je vous ai expliqué si clairement la volonté de Sa Majesté sur cela que je n'ai qu'à vous en recommander l'exécution[18].

Il n'y a ici qu'un abus de pouvoir, une infraction à la loi ; tout de suite viennent les violences. Marillac s'efforce en vain de les dissimuler ; il voudrait que la cour ne connût que les conversions, sans la contrainte, la tin sans les moyens ; mais les protestants ont à la cour un défenseur légal, un représentant accrédité, le marquis de Ruvigny. Celui-ci est un homme de cœur, énergique, résolu ; par lui la vérité se fait jour, toutes les plaintes vont au roi[19]. Le 23 août, Louvois écrit à Marillac[20] : Je vous envoie des mémoires qui ont été donnés au roi par M. de Ruvigny, lequel a assuré Sa Majesté que ceux qui les ont apportés veulent se soumettre à toute sorte de châtiments s'ils ne prouvent pas ce qui y est exposé ; et comme il n'y a rien de si contraire aux intentions de Sa Majesté que les violences qui y sont énoncées, elle m'a ordonné de vous les adresser et de vous recommander de prendre de telles mesures qu'elles cessent absolument, désirant même que vous fassiez faire des exemples des cavaliers qui les ont commises, si sous pouvez en avoir des preuves.

Marillac essaye de se justifier et de justifier en même temps ses agents et ses complices ; son habileté n'y peut rien ; ses explications courtises, embarrassées, contradictoires, sont des aveux. Le 19 septembre, Louvois lui écrit de nouveau[21] : Sa Majesté a fort bien connu, au travers du déguisement de celui qui a dressé les réponses aux plaintes que M. de Ruvigny lui a présentées, qu'il y avoit beaucoup de véritable ; et comme rien n'est plus contraire à ce que je vous ai expliqué plusieurs fois de ses intentions, elle m'a commandé de vous faire savoir qu'elle veut absolument que vous fassiez cesser toutes les violences des cavaliers, faisant pendre le premier qui en fera, quand même les violences qu'ils auroient faites auroient produit des conversions. A quoi Sa Majesté m'a commandé d'ajouter qu'elle a appris avec beaucoup de surprise que, quoique je vous aie mandé plusieurs fois par son ordre qu'elle ne vouloit pas que vous souffrissiez que les officiers et cavaliers exigeassent quoi que ce soit, vous leur avez réglé, non-seulement une nourriture sans payer, mais encore trente sols par place, et aux officiers à proportion. Vous avez un grand intérêt de remédier à ces désordres et de les faire absolument cesser, Sa Majesté me paroissant disposée à prendre quelque résolution fâcheuse contre vous, si elle apprenoit que cela continuât ; c'est ce que je vous conjure de prévenir.

Dans une précédente dépêche, Louvois avait défendu, en termes formels, à Marillac, de rien faire sans-avoir pris d'abord l'ordre du roi[22], Sa Majesté, ajoutait-il, ne pouvant jamais approuver que vous donniez lieu aux religionnaires de justifier les plaintes qu'ils font dans tous les pays étrangers. C'était là le plus redoutable effet des inventions de Marillac ; par sa faute, les dragonnades commençaient à devenir contre la France un grief européen. Non contents d'envoyer leurs plaintes à l'étranger, les protestants allaient les y porter eux-mêmes. Le courant d'émigration qui datait des premières années du règne de Louis XIV, lent et faible dans l'origine, se précipitait alors à flots pressés, sous l'influence d'une crue soudaine et violente. De toutes parts, d'Angleterre, de Hollande, des divers États de l'Allemagne, Louvois apprenait que les protestants français y arrivaient tous les jours et en foule. Les charités sont bien grandes ici pour les protestants qui s'y viennent retirer, lui mandait-on de Londres, le 25 août ; l'on a cueilli dans Londres et aux environs, à ce qu'on dit, près d'un million, argent de France. Tout cet argent est porté à la Maison de Ville de Londres ; les directeurs sont l'évêque de cette ville, milord maire, et six aldermans ; et cela est pour subvenir à ceux qui n'ont pas moyen de se maintenir, et pour les mettre en état de gagner leur vie ; et ceux qui sont capables de cultiver la campagne, on les y envoie pour la peupler. On croit que ces gens-là, avec toutes les libertés qu'ils pouvoient avoir en France pour la conscience[23], sont encore plus heureux en Angleterre, tant pour le spirituel que pour le temporel ; et la France sera fâchée d'avoir perdu tant de sujets comme elle fait ; car il n'est pas croyable la quantité qu'il en vient ici[24].

Les anciennes ordonnances contre l'émigration n'y faisaient rien ; il fallut enfin se résoudre à supprimer les causes mêmes de l'émigration, non-seulement les violences déjà condamnées, mais encore la dragonnade simple et sans excès, le seul fait du logement des gens de guerre. Le 26 novembre 1681, Louvois écrivit à Marillac[25] : Je commencerai par vous dire que Sa Majesté jugeant, par de bonnes considérations, qu'il ne convient pas de continuer à tenir, à l'égard des religionnaires, la conduite qui a été observée jusqu'à présent, elle a résolu de retirer de Poitou la cavalerie qui a été jusqu'à présent à votre disposition ; et afin que les religionnaires ne puissent point inférer de là que Sa Majesté désapprouve ce qui a été fait ou qu'elle ait résolu d'empêcher que cela ne se continue, elle a pris occasion de l'assemblée des troupes qu'elle fait faire du côté de Bayonne pour y faire marcher la cavalerie qui est présentement dans la province, suivant les ordres de Sa Majesté, lesquels elle désire que vous fassiez exécuter sans retardement.

Il en coûtait tant à Marillac de renoncer à cette dragonnade, à cette mission bottée, qui était son invention propre, qu'il prit à contre-sens la lettre de Louvois, il ne voulut pas voir que la marche des troupes, du côté de Bayonne, n'était qu'un prétexte afin de dérober pour un temps au public le désaveu pénible de la politique jusque-là suivie contre les protestants. Il s'entêta dans son idée, à ce point que Louvois crut, s'être trompé lui-même, et se donna la peine de lui écrire de nouveau[26] : Il faut que je me sois mal expliqué, puisque vous croyez que les ordres que le roi vous a envoyés, pour la marche de la cavalerie qui étoit en Poitou, soit un effet du besoin qu'il en a du côté de Bayonne, ayant eu commandement exprès de Sa Majesté de vous faire savoir que, jugeant qu'il n'est pas de son service que l'on continue à se conduire à l'égard des religionnaires comme l'on a fait depuis neuf ou dix mois, Sa Majesté avoit pris le prétexte de l'assemblée des troupes qui marchoient du côté de Bayonne pour retirer celles de Poitou, lesquelles Sa Majesté ne veut pas y renvoyer, pour des raisons bonnes et solides qui regardent le bien de son État, et qui ont fait résoudre Sa Majesté à vous ordonner de vous contenir dans les bornes portées par ladite dépêche, qui est de porter les huguenots à se convertir par des gratifications et par des décharges de taille, et de n'y employer nulle autre voie que celle-là. Et comme Marillac essayait d'arguer qu'il lui était difficile de contenir le zèle des populations catholiques de son département, d'un seul mot Louvois lui ferma la bouche[27] : Sa Majesté est bien persuadée que, lorsqu'un intendant ordonne quelque chose, il est obéi sans réplique. Incapable de se réduire aux nécessités de son nouveau rôle, Marillac fut encore dénoncé par M. de Ruvigny ; enfin, au mois de février 1682, il fut rappelé de son intendance et remplacé par M. de Bâville[28].

Cette année 1682 fut pour les protestants, dans tout le royaume, une année de répit ; malheureusement ce répit, interprété à faux, releva leur confiance jusqu'à la témérité. Ceux des provinces méridionales s'imaginèrent trop aisément que Louis XIV, les yeux ouverts enfin sur les difficultés de la tâche qu'il avait entreprise, était tout près d'y renoncer, et que pour le décider plus tôt à la retraite, il suffirait de lui montrer combien vaines étaient les victoires dont on avait jusqu'alors flatté son crédule orgueil. Des Alpes aux Pyrénées, une même résolution fut prise : dans le Dauphiné, dans le Vivarais, dans les Cévennes et le bas Languedoc, les temples interdits devaient être rouverts, et sur les ruines de ceux qui étaient abattus, les fidèles devaient se rassembler autour de leurs ministres ; partout enfin, et presque en même temps, le culte proscrit devait reparaître avec un certain éclat. Au jour indiqué, l'exécution ne répondit pas aux apprêts de ce vaste concert ; il y eut çà et là des malentendus, des hésitations, des difficultés, des défaillances. Cependant, sur quelques points,- la démonstration eut son effet ; les catholiques, se croyant menacés, coururent aux armes ; plusieurs villes, Nimes et Uzès entre autres, furent troublées comme au temps des guerres de religion.

Surpris par ces événements, Louvois n'y vit qu'un défi à l'autorité royale, un attentat, une révolte. Il s'élança contre, avec toute la fougue d'un caractère qui ne veut pas de résistance ; quoique les provinces en émoi ne fussent pas de son département, il y prit, au-dessus de ses collègues étonnés, la dictature militaire. Il y fit marcher des troupes. Au mois d'août 1683, quinze cents dragons et deux mille hommes de pied, sous M. de Saint-Rime, entrèrent d'abord en Dauphiné[29]. Ordre d'attaquer tous les rassemblements de religionnaires, de faire des prisonniers et de les livrer à l'intendant chargé de les juger en dernier ressort, de raser les maisons des condamnés, ainsi que tous les temples et prêches rouverts au mépris des lois, d'imposer aux communautés rebelles de fortes contributions, et de faire vivre les troupes à leurs dépens. M. de Saint-Rhue, heureusement, n'eut pas à exécuter dans toute leur rigueur ces ordres impitoyables ; sauf un attroupement qui se laissa surprendre et charger, les religionnaires du Dauphiné n'avaient pas attendu son approche[30]. Cette conduite leur valut une amnistie générale, à l'exception toutefois des instigateurs du mouvement et des ministres[31].

Le Dauphiné soumis, M. de Saint-Rhue devait passer dans le Vivarais. Mais l'intendant de Languedoc, M. d'Aguesseau, plus sage et plus décidé en même temps que la plupart de ses collègues, avait pris sur lui d'arrêter la marche des troupes ; la seule action des magistrats civils lui semblait justement préférable aux effets d'une exécution militaire. Par malheur, il avait trop présumé de sa propre influence sur des populations ardentes. Les gens du Vivarais qui s'étaient remis, disait-il, à la miséricorde du roi, sans aucune condition, et pour lesquels il avait obtenu, sur cette assurance, le bénéfice de l'amnistie, désavouèrent et compromirent, par leur attitude hostile, l'excellent magistrat qui les voulait sauver. Ils refusèrent de se soumettre ; lorsque M. de Saint-Rhue, qui s'était arrêté sur les bords du Rhône, voulut passer outre, il trouva devant lui des rassemblements qui le reçurent à coups de fusil.

A ces nouvelles, Louvois éclata. L'on ne peut rien faire de plus préjudiciable, écrivit-il à d'Aguesseau, que tout ce que vous avez exigé de M. de Saint-Rhue, depuis qu'il a passé le Rhône, toutes négociations de la part du souverain avec des peuples n'étant bonnes que pour les rendre plus insolents. En même temps, il écrivait au duc de Noailles, lieutenant général en Languedoc[32] : Il est difficile de comprendre comment il ait pu tomber dans l'esprit à M. d'Aguesseau d'imposer à M. de Saint-Rhue la patience qu'il a eue de soutenir les insultes de ces canailles, dès que, ayant eu connoissance de l'amnistie, l'on a vu qu'ils ne vouloient pas poser les armes. Je vous supplie de leur lire cette lettre à tous deux, qui leur fera connoitre combien ils se sont trompés, et particulièrement à M. d'Aguesseau, combien la conduite qu'il a exigée de M. de Saint-Rhue qu'il tint contre son inclination, a été contraire aux intentions de Sa Majesté et capable d'attirer de grands inconvénients. L'intention du roi n'est pas que l'amnistie ait lieu pour les peuples du Vivarez qui ont eu l'insolence de continuer leur rébellion après qu'ils ont eu connoissance de la bonté que Sa Majesté avoit pour eux ; et elle désire que vous ordonniez à M. de Saint-Rime d'établir les troupes dans tous les lieux. que vous jugerez à propos, de les faire subsister aux dépens du pays, de se saisir des coupables et de les remettre à M. d'Aguesseau pour leur faire leur procès, de raser les maisons de ceux qui ont été tués les armes à la main, et de ceux qui ne reviendront pas chez eux, après qu'il en aura fait publier une ordonnance ; que vous lui donniez ordre de faire raser les huit ou dix principaux temples du Vivarez, et, en un mot, de causer une telle désolation dans ledit pays que l'exemple qui s'y fera contienne les autres religionnaires et leur apprenne combien il est dangereux de se soulever contre le roi. Sa Majesté trouve bon que l'amnistie ait lieu à l'égard des religionnaires qui habitent les Cévennes, pourvu qu'ils ne prennent plus les armes et exécutent les édits du roi avec la soumission qu'ils doivent. Son intention est que vous défendiez dans tout ce pays-là, aux catholiques comme aux religionnaires, le port d'armes, et fassiez sévèrement exécuter votre ordonnance ; quand je dis le port d'armes, ce n'est pas seulement de ne point marcher dans le grand chemin avec des armes, l'intention de Sa Majesté étant que vous leur défendiez d'en conserver chez eux.

Il est bien évident que ce n'est pas la passion religieuse qui emporte Louvois ; il n'obéit qu'à la passion politique ; toute résistance, quelle qu'en soit la cause, est, à ses yeux, un crime de lèse-majesté ; le respect absolu de la volonté du roi qui est la loi, et le maintien de la paix publique, voilà ce qu'il veut partout et toujours.

En 1684, les hostilités contre l'Espagne firent diversion aux hostilités contre les huguenots ; ils n'eurent pas longtemps à se réjouir ; cette halte avant la grande attaque fut la dernière. La trêve de vingt ans, entre la France et l'Europe, n'était pas encore signée à Ratisbonne, que madame de Maintenon écrivait, le 13 août 1684 : Le roi a le dessein de travailler à la conversion entière des hérétiques ; il a souvent des conférences là-dessus avec M. Le Tellier et M. de Châteauneuf, où l'on voudroit me persuader que je ne serois pas de trop. M. de Châteauneuf a proposé des moyens qui ne conviennent pas ; il ne faut point précipiter les choses ; il faut convertir et non pas persécuter. M. de Louvois voudroit de la douceur, ce qui ne s'accorde point avec son naturel et son empressement de voir finir les choses. Le roi est prêt à faire tout ce qui sera jugé le plus utile au bien de la religion.

De tous les personnages réunis dans ce conseil de gouvernement et de conscience, nous dirons trop tôt, dans ce conseil de guerre, le plus avisé c'est madame de Maintenon, qui prudemment se récuse[33] ; le plus effacé, c'est Louis XIV, qui n'a que des desseins sans volonté propre ; le plus emporté, c'est Châteauneuf, qui s'efforce de ressaisir la direction de son département ; le plus habile, c'est Le Tellier qui modère Louvois, en laissant Châteauneuf se perdre par excès de zèle. Ce commis de tout le monde va travailler désormais sous les ordres de Le Tellier ; car c'est au chancelier qu'est donné le soin de ruiner ou plutôt de dissoudre le calvinisme en France.

Telle est l'occasion qui s'offre à ce vieux ministre, après avoir ménagé avec tant de bonheur son intérêt dans cette vie, de le ménager aussi dans l'autre. Un acte décisif, selon lui, un dernier et grand service rendu tout ensemble à l'Église et à l'État, va le recommander à Dieu et signaler aux hommes le terme d'une carrière, modèle achevé de sagacité politique. Louvois naguère agrandissait la France aux dépens de ses voisins, non pas d'abord par la force ouverte, mais par une interprétation abusive et léonine des traités ; le chancelier n'agit pas autrement, ayant affaire aux calvinistes. Il ne les attaque pas de front ; il les tourne et les enveloppe ; chef de la justice, maitre de la jurisprudence, il interprète les lois à leur désavantage ; il multiplie contre eux les procédures et les chicanes ; il leur fait, en un mot, une guerre de procureur, sans repos ni trêve. Te ministre s'est mis en contravention, on le décrète ; tel temple s'est ouvert à des heures interdites, on le détruit ; il n'y -a point de jour où, çà et là, le calvinisme ne reçoive quelque atteinte ; il est si facile d'abuser de la légalité ! Ainsi frappé, miné, disjoint, le calvinisme doit crouler au premier jour.

Quand le vieux chancelier, servi à souhait, souvent même devancé par le zèle retors des intendants et des juges, a fait ses travaux de sape, Louvois rentre en scène. Docile aux conseils de son père, il s'en tient encore aux moyens de douceur, aux séductions, aux promesses. Le 5 mars 1685, il adresse à Bâville plusieurs ordonnances favorables à ceux de la Religion qui se feront catholiques ; il lui recommande, pour les roturiers qui sont soumis à la taille, des exemptions et des réductions d'impôt ; pour les ministres qui ont peu de fortune, pour les gentilshommes dont les affaires sont en mauvais état, des aides discrètes, de bons écus donnés de la main à la main. Sa Majesté, dit-il, ne plaindroit point des sommes assez considérables, si elle pouvoit espérer que, étant distribuées secrètement à ceux de la province en qui la noblesse de cette religion a plus de créance, la distribution qui en seroit faite par vous pût être suivie d'un nombre considérable de conversions. Sa Majesté cannon bien que, si l'on pouvoit savoir que les gentilshommes ou ministres, qui seroient convenus de se convertir, auroient reçu des gratifications en argent de Sa Majesté, bien loin que ces conversions eussent les suites que Sa Majesté en attend, les autres demeureroient plus opiniâtres dans leur erreur, les uns pour avoir part aux mêmes gratifications, et les autres qui seroient plus sincères, par la connoissance qu'ils auroient du mauvais[34] motif qui auroit porté ceux qui sont présentement accrédités parmi eux, à quitter leur religion. Aussi Sa Majesté croit-elle que cet argent ne pourroit être utilement employé qu'autant qu'il seroit distribué avec secret, et de manière que personne ne pût avoir connoissance que ceux qui auroient été portés à se convertir eussent reçu aucune gratification de Sa Majesté.

Ce langage diffus, mais significatif, cette déplorable, mais profonde connaissance de l'humanité corruptible, même cet involontaire hommage aux honnêtes gens, tout cela, c'est du Le Tellier ; mais, tout de suite, Louvois reprend la parole pour son propre compte ; la dragonnade reparaît à l'horizon. Le régiment d'Asfeld, annoncé à M. de Bâville deux mois à l'avance, est commandé, lui écrit Louvois, par un homme qui ne s'attachera qu'à l'exécution des ordres de Sa Majesté, et ne souffrira point que les gens qui sont sous sa charge fassent autre chose que ce que vous estimerez utile pour la conversion des religionnaires chez lesquels il sera logé. Après cette phrase, grosse de menaces, sous sa modération apparente, il y avait, dans la minute, un paragraphe qui en était le rassurant commentaire : Il ne convient point au service de Sa Majesté, disait Louvois[35], qu'il se fasse aucune violence pareille à celles dont on s'est plaint du temps de M. de Marillac. Ce paragraphe a été biffé ; est-ce donc qu'il était inutile ? Quand il s'agit de prévenir le mal, un ministre ne doit pas craindre d'être trop explicite ; le laconisme a ses dangers.

L'intendant à qui Louvois, d'ordinaire plus précis dans ses ordres, laissait une liberté si grande, M. de Bâville n'était point un homme à s'en effrayer ni à s'en plaindre. Son administration dans le Poitou avait été jusque-là prudente et modérée ; quand il sentit qu'on lui lâchait la bride, il pressa ses allures. Ce fut lui qui proposa et qui fit adopter, non-seulement dans le Poitou, mais encore dans toutes les généralités où il y avait le plus de religionnaires, une vérification des titres de noblesse appliquée seulement, par le fait, aux petits gentilshommes de la Religion[36]. L'intendant moraliste connaissait encore mieux que le chancelier, son patron, la faiblesse humaine ; celui-ci spéculait sur la cupidité, celui-là sur la vanité qui lui offrait plus de prise ; parmi la noblesse calviniste, il en savait plus d'un qui se ferait gloire d'avoir refusé l'argent du roi, mais qui ne résisterait pas à idée d'être dégradé de sa caste et mis à la taille comme un roturier.

La doucereuse politique du chancelier portait ses fruits ; par tous les courriers arrivaient des listes de conversions qui réjouissaient le cœur de Louis XIV. Cependant une chose lui faisait peine ; dans les localités déjà nombreuses où l'exercice du culte calviniste avait cessé, les religionnaires se refusaient à présenter aux prêtres catholiques leurs enfants nouveau-nés, qui pouvaient ainsi mourir, sans avoir reçu le baptême. Le Tellier proposa d'autoriser les intendants à choisir un certain nombre de ministres qui auraient seulement la permission d'administrer le sacrement d'initiation. à la vie chrétienne ; par un raffinement de l'invention de M. de Bâville, les ministres décrétés ou interdits n'étaient point exclus de ces fonctions spéciales, Sa Majesté, disait Louvois[37], ayant jugé qu'il pouvoit s'en trouver parmi eux d'assez ignorants pour qu'ils pussent être plus propres à être employés à l'usage prescrit que d'autres contre lesquels il n'y auroit eu aucun décret. Quel que fût le mérite de cette ingénieuse précaution, beaucoup d'intendants se récrièrent contre une mesure fatale aux conversions, disaient-ils, attendu que des ministres, même les plus ignorants, n'en étaient pas moins des ministres. Il y eut même : un de ces intendants qui, sans réclamer davantage, se dispensa d'exécuter, à cet égard, les arrêts du conseil[38].

Cet audacieux s'appelait Foucault ; il administrait, ou plutôt il convertissait alors le Béarn avec un succès qui reléguait dans l'ombre les plus éclatants exploits de Marillac. Bâville lui était infiniment supérieur, même dans L'art des conversions ; mais l'autre faisait le méfier de convertisseur avec une énergie brutale, dont Bâville, nature plus distinguée, ne s'était pas encore trouvé capable. Foucault n'avait point d'esprit, quoiqu'il eût de la culture d'esprit ; ses idées étroites n'en étaient que plus pénétrantes et dangereuses ; il se ruait, tête baissée, sur le calvinisme, comme un taureau qui voit du rouge. Ce fanatique, chose remarquable, était une créature de Colbert ; Colbert mort, il voulut et crut plaire à Louvois, par un excès de violence. Louvois aimait la violence, ou plutôt la force, mais intelligente et surtout docile ; l'obstination de Foucault ne pouvait pas lui convenir. Cependant il n'y eut entre eux de mésintelligence que lorsque Foucault se trouva directement placé sous les ordres de Louvois ; tant qu'il fut en dehors de son département, à Montauban et à Pau, il put faire à peu près tout ce qu'il voulut, sous des supérieurs moins attentifs ou moins jaloux de leur autorité.

Foucault était un vrai démolisseur de temples ; en quelques mois, au début de l'année 1685, il fit condamner et abattre tous ceux qui étaient en Béarn puis, du même élan, il courut donner l'assaut aux consciences. Précisément il avait un corps d'armée sous la main : c'était celui que Louvois avait rassemblé, sans autre dessein, pour dissuader le gouvernement espagnol de disposer des Pays-Bas en faveur do l'Électeur de Bavière[39]. Tandis que le conseil d'Espagne, surpris, hors d'état de faire la guerre, ménageait prudemment sa retraite, Foucault, de lui-même, et sans prendre avis de personne, imaginait d'employer l'oisiveté des troupes à faire des conversions. Ce n'étaient plus quelques compagnies isolées, dispersées, 'et qu'il fallait promener de village en village, c'étaient des régiments entiers cantonnés dans toute l'étendue d'un pays- qui n'était pas grand. Foucault n'avait que faire d'importuner le ministre de la guerre ni les généraux pour tirer d'eux des ordres de marche ; les troupes étant partout, les conversions se faisaient de pied ferme. Elles se faisaient en masse ; la ville de Pau se convertit tout d'une fois, et par délibération publique ; enfin, du mois d'avril au mois de juillet, les vingt-deux mille religionnaires qu'il y avait d'abord en Béarn, se. trouvèrent réduits à quelques centaines. Ces succès foudroyants éblouirent le roi, les ministres, toute la cour ; on ne parlait d'autre chose, on criait au miracle. Les froids politiques y voyaient la preuve que rien n'était plus facile que de déraciner le calvinisme ; ils se doutaient bien des violences que l'intendant de Béarn avait soin de dissimuler dans ses relations, et dont il étouffait prudemment l'éclat ; mais ils s'en taisaient comme lui.

Louvois, qui avait laissé agir Foucault, voyant l'effet de sa méthode, résolut de l'appliquer partout. Le 31 juillet 1685, il écrivit au marquis de Boufflers[40] : Vous aurez vu, par mes précédentes, qu'il n'y avoit point d'apparence que le roi vous ordonnât, cette année, de faire aucune irruption en Espagne ; je ne puis présentement que vous confirmer la même chose, le conseil de Madrid faisant, sur les instances qui lui sont fi lites de la part du roi, tout ce que Sa Majesté, peut désirer ; ce qui lui a fait juger à propos de se servir des troupes qui sont à vos ordres pour, pendant le reste de cette année, diminuer le plus que faire se pourra, dans les généralités de Bordeaux et de Montauban, le grand nombre de religionnaires qui y sont, et essayer d'y procurer, s'il est possible, un aussi grand nombre de conversions qu'il s'en est fait en Béarn. Mais comme les généralités de Bordeaux et de Montauban étaient bien autrement étendues que celle de Pau, il fallait mettre les troupes en mouvement, faire des conversions successives et par étapes, promener, en un mot, la dragonnade suivant un plan méthodique, de sorte que, sur quelque point que ce fût, les catholiques anciens ou nouveaux devinssent, en fin de compte, deux ou trois fois plus nombreux que les non-convertis. Les violences, comme toujours, étaient officiellement interdites : Pendant le temps que les troupes seront chez les religionnaires, disait expressément Louvois, vous ne souffrirez point qu'elles y fassent d'autres désordres que de retirer vingt sols par place de cavalier ou dragon, et dix sols par place de fantassin. Sa Majesté désire que vous fassiez punir très-sévèrement les officiers, cavaliers, soldats ou dragons, qui outrepasseront ce que vous aurez réglé.

M. de Boufflers et les intendants, MM. de Ris et de La Berchère, avaient ordre de conférer et de s'entendre, afin de donner à leur concert le plus satisfaisant accord. Cependant, jaloux des succès de Foucault et surtout de l'initiative qu'il avait prise en Béarn, M. de La Berchère voulut emporter d'un seul coup la conversion de Montauban ; il n'y gagna que de se faire tancer par Louvois, et reléguer au-dessous de M. de Boufflers. Sa Majesté, lui écrivit le ministre[41], a vu l'inconvénient qui est arrivé à cause de la précipitation avec laquelle vous avez agi à l'égard des religionnaires de Montauban, au préjudice de l'ordre exprès que Sa Majesté vous avoit donné de ne rien faire sur cela qu'après l'avoir concerté avec M. de Boufflers. Au surplus, quoiqu'elle souhaitât fort que les religionnaires de son royaume se convertissent tous en un jour, elle ne croit point qu'il convienne à son service de vouloir, par un grand nombre de troupes, obliger les communautés à se convertir comme a fait la ville de Pau, et vous devez vous en tenir à ce que j'ai expliqué à M. de Boufflers de ses intentions, qui est que, par des logements modérés, il faut essayer de diminuer considérablement le nombre des religionnaires ; et quoique, par cet expédient, il ne soit pas assuré que les plus riches se convertissent, pourvu qu'ils restent en petit nombre, leur richesse ne les mettra point en état de causer de troubles dans le royaume ni d'apporter des difficultés à l'exécution des résolutions que Sa Majesté pourra prendre dans la suite. Vous devez donc, s'il vous plaît, à l'avenir, agir sur ce pied-là et ne vous point laisser emporter aux conseils des ecclésiastiques, mais seulement vous conformer, au pied de la lettre, à ce que M. de Boufflers vous prescrira.

Louvois écrivait de même à Boufflers, et il ajoutait : Ne vous arrêtez point à tout ce qui vous pourra être proposé, ni de la part des ecclésiastiques, ni de la part de MM. les intendants qui me paroissent attachés à procurer la même chose qu'à Pau, de quoi, sans miracle, ils ne viendront point à bout ; et il faut compter que toutes les tentatives inutiles qui se feront sur ce sujet, ne seront bonnes qu'à confirmer les religionnaires dans leur opiniâtreté et à rendre les conversions plus difficiles[42].

Ainsi l'affaire des conversions, qui avait toujours été plus administrative que religieuse, devenait plus militaire qu'administrative. Désormais subordonnés aux généraux, les intendants se résignèrent à déchoir, un seul excepté. M. d'Aguesseau se retira ; il fut remplacé en Languedoc par M. de Bâville, et Foucault fut appelé à l'intendance de Poitou[43]. Foucault, qui prétendait au Languedoc, n'eut pas l'esprit de dissimuler sa mauvaise humeur. Je vous prie, écrivait Louvois au baron d'Asfeld[44], de me mander comment M. de Bâville et M. Foucault se sont séparés, et s'il est vrai que M. Foucault lui ait parlé aussi extraordinairement qu'on le dit. Je m'attends que vous brûlerez cette lettre après l'avoir lue, et que vous ne vous laisserez entendre à personne que je vous aie questionné sur ce fait-là.

Ce qui chagrinait le plus Foucault, c'est que M. de Bâville ne lui avait laissé presque rien à faire ; mais ce presque rien, c'était le fonds du calvinisme poitevin, resserré dans les villes, compacte et résistant. Au contraire de Bâville qui s'appliquait à le désagréger, Foucault, à peine installé[45], annonça l'intention de briser d'un seul coup la masse opiniâtre. Louvois fut obligé de le contenir : Il est sans doute, lui écrivit-il[46], que le roi apprendrait avec plaisir que les religionnaires se fussent tous convertis par une délibération ; mais comme, en l'état où sont les gens de cette créance dans le reste de la province, ce que feraient Châtellerault et Poitiers à cet égard seroit de petite conséquence, pour peu qu'il soit difficile de les porter à prendre une délibération générale, vous devez vous contenter d'en diminuer le nombre, et observer surtout de ménager les marchands, de manière qu'ils ne soient point portés à cesser leur commerce ni à quitter leur demeure.

Poursuivre les religionnaires et les ménager en même temps, parce qu'ils avaient entre les mains le commerce et l'industrie du royaume, c'était aisé à dire, très-malaisé à faire ; Louvois convertisseur désolait Louvois surintendant des manufactures[47]. Il essayait des tempéraments ; par exemple, il écrivait à l'intendant de Saintonge[48] : Si, pour laisser achever les vendanges, il est nécessaire de différer de quelques semaines l'entrée des dragons dans votre département, Sa Majesté se remet à vous de ne les demander que lorsque vous le jugerez plus à propos. Louvois avait lui-même des intérêts de ce côté-là ; mais il faut bien reconnaître qu'il était le premier à les sacrifier pour l'exemple. La terre de Barbezieux m'appartient dans la Saintonge, dans laquelle il y a beaucoup de religionnaires opiniâtres, écrivait-il à Boufflers ; je vous supplie de leur envoyer tout le monde de troupes nécessaire pour les obliger à donner le bon exemple, et d'en user de même dans toutes les terres des gens de la cour, rien ne pouvant mieux les persuader que c'est tout de bon que le roi désire leur réunion à l'Église romaine, qu'en leur faisant voir que ceux à qui ils appartiennent ne peuvent plus leur donner aucune protection[49].

Dans cette même dépêche, tout en félicitant Boufflers du surprenant succès qu'il avait eu dans les généralités de Bordeaux et de Montauban, à ce point qu'il ne lui restait plus guère qu'à éplucher les religionnaires des petites villes et villages, Louvois s'étonnait de l'invincible opiniâtreté des gentilshommes ; et tout de suite il prescrivait contre eux des rigueurs exceptionnelles, non-seulement la vérification de leurs titres, mais encore des logements militaires, auxquels ils n'étaient point assujettis, au besoin même, des ordres d'exil. Mais il y fallait beaucoup de discrétion et de mesure, plus de menaces que d'exécutions, étant fort peu important au bien du royaume, ajoutait Louvois, qu'il reste quelques gentilshommes de plus ou de moins dans les provinces, pourvu qu'il n'y reste plus de peuple pour les suivre, s'ils vouloient entreprendre quelque chose contre la tranquillité de l'État. Même contre les simples bourgeois, il était mal d'outrer la contrainte, Sa Majesté étant encore persuadée que quand il reste un opiniâtre en un endroit, il le faut laisser, et que le mépris que l'on fait de lui, joint aux charges qu'il sera aisé à un intendant de lui imposer, fera dans la suite l'effet que l'on peut désirer pour sa conversion[50].

C'était à Foucault surtout qu'il importait de prêcher le calme et la mesure ; sauf à Châtellerault où il avait emporté une abjuration générale, il s'était vu repoussé partout ailleurs ; tes gentilshommes de Luçon particulièrement tenaient ferme. Sa Majesté, lui écrivait Louvois[51], vous recommande d'user avec beaucoup de modération de la permission qu'elle vous a donnée de loger chez des gentilshommes ; et elle ne veut point absolument que l'on loge chez ceux qui sont d'une qualité distinguée, non plus que ceux qui sont dans le service ou qui y ont des enfants. En un mot, Sa Majesté, qui souhaite encore plus la conversion de la noblesse que celle du peuple, ne juge pas à propos que l'on se serve des mêmes moyens pour y parvenir, et vous recommande d'y employer beaucoup plus d'industrie et de persuasion que toute autre chose.

Foucault y employait surtout beaucoup de passion ; irrité de voir s'évanouir en fumée, par la résistance des Poitevins, la gloire qu'il s'était faite en Béarn, le fougueux intendant ne connaissait plus ni droit ni lois ; du roi ni des ministres, il n'écoutait plus rien. Louvois, poussé à bout, commençait à le rudoyer d'importance : Le roi a appris avec chagrin, lui mandait-il[52], que l'on a logé à Poitiers, chez une femme, une compagnie et demie de dragons. Je vous ai mandé tant de fois que ces violences n'étoient pas du goût de Sa Majesté, que je ne puis que m'étonner beaucoup que vous ne vous conformiez pas à ses ordres qui vous ont été si souvent réitérés. Vous avez grand intérêt de n'y pas manquer à l'avenir. Il y manqua d'autant plus emporté, bravant tout, courant au-devant d'une disgrâce qu'on n'osait pas lui infliger. Que lui importait de s'attirer encore de Louvois un désaveu comme celui qu'on va lire ? Le roi reçoit tous les jours de nouveaux placets de gentilshommes de votre département qui se plaignent que, sans avoir examiné leurs titres, ni même les avoir fait assigner pour les représenter, vous les compreniez dans les impositions des tailles. Comme Sa Majesté n'a pu croire que vous vous soyez porté à une pareille résolution sans en avoir reçu quelque ordre, elle a demandé ce matin à M. le contrôleur général et à moi ce que nous vous avions écrit, sur ce sujet. Nous lui avons répondu que, comme nous n'avions jamais eu un pareil ordre, nous ne vous avions jamais rien mandé qui pût vous faire croire que ce fût son intention ; ce qui a donné lieu au commandement que j'ai reçu de Sa Majesté de vous demander raison de ce que vous avez fait, sur ce sujet, et de vous renouveler l'ordre qu'elle m'a plusieurs fois commandé de vous donner de sa part, de ne rien faire sans sa permission, et d'attendre ses ordres devant que de rien entreprendre d'extraordinaire. Si ceci ne vous porte pas à vous contenir, je serai obligé de supplier Sa Majesté de commander à quelqu'un de vous écrire ses intentions, en qui vous ayez plus de créance, et que vous vouliez bien prendre la peine d'informer en détail de ce que vous faites[53].

Ainsi c'était Louvois qui s'avouait tout au moins lassé par l'obstination de Foucault. Et Foucault n'était pas sur-le-champ révoqué ! Il savait bien qu'il ne pouvait pas l'être. Avec lui révoqué, seulement désavoué en public, toute l'œuvre des conversions s'écroulait et de ses débris écrasait le gouvernement. Voilà donc ce pouvoir si fort, si obéi d ms d'autres temps, emporté, débordé, fuyant devant la tempête, comme un navire qui ne gouverne plus. C'était l'anarchie dans le despotisme.

Les intendants, tout à l'heure subordonnés aux généraux, reprenaient le dessus ; ils se sentaient si bien les maîtres qu'ils ne se donnaient plus la peine d'éclairer les ministres. Il y a deux mois, leur mandait Louvois[54], que je vous écrivis par ordre du roi pour vous demander un mémoire du nombre des gens de la R. P. R. et des temples qui sont dans votre département ; cependant je ne l'ai point encore reçu. Quelques-uns avaient envoyé de ces mémoires, mais si mal faits et si peu exacts qu'il n'y avait aucune lumière à en tirer. L'intendant de Lyon, M. de Bercy, qui, dans le sien, ne comptait que huit cents religionnaires pour toute l'étendue de son département, en annonçait mille ou onze cents dans sa lettre d'envoi, tandis que le duc de Villeroi prétendait qu'il n'y avait pas moins de huit à neuf mille huguenots dans la seule ville de Lyon[55]. Comment donc contrôler les listes de conversions qui tous les jours affluaient, grosses de chiffres, comme des bulletins de victoire ? Cependant Louvois les acceptait sans discussion, sans réserve, tant était grand, suivant le mot de madame de Maintenon, son empressement de voir finir les choses.

Dès le 7 septembre, il écrivait au contrôleur général : La nouvelle que je reçus hier soir est trop considérable pour ne vous en pas faire part. Elle porte que, depuis le 15 août jusqu'au 4 de ce mois, il s'est fait soixante mille conversions dans la généralité de Bordeaux, et vingt mille dans celle de Montauban ; et l'on assure qu'auparavant que ce mois soit passé, il ne restera pas dix mille religionnaires dans la généralité de Bordeaux, où il y en avait cent cinquante mille. Les ecclésiastiques ne peuvent pas suffire à recevoir les abjurations, et les villes et bourgades envoient des délibérations de se convertir, de dix et douze lieues, et si quelqu'une attend l'arrivée des troupes, elle se convertit auparavant qu'elles soient entrées, de manière qu'il faut que les troupes campent en attendant les ordres de M. de Boufflers. L'on demande partout que le roi fasse bâtir des églises qui soient capables de contenir le nombre des nouveaux convertis, et surtout qu'il envoie des prêtres de bonnes mœurs, y ayant eu des communautés entières qui n'ont point voulu abjurer entre les mains de leurs curés, par l'horreur qu'elles avoient du désordre de leur vie[56]. Et le lendemain il ajoutait : Le roi me commande de vous avertir de surseoir, jusqu'à son retour à Fontainebleau, l'expédition et envoi de l'arrêt du conseil que Sa Majesté vous avoit ordonné pour faire exempter de la taille les nouveaux convertis. Ainsi la rapidité des conversions menaçait de tarir les finances de l'État ; il fallut revenir sur les promesses faites, et malgré les scrupules du roi, manquer de parole aux nouveaux convertis, en les astreignant, comme les anciens catholiques, au logement des gens de guerre marchant par étapes[57].

Le 7 octobre, Louvois écrivait à l'archevêque de Reims, Maurice Le Tellier, son frère : Par les lettres que j'ai reçues de M. de La Trousse du 2 de ce mois, il paroit que les trois quarts des habitants de la R. P. R. du Dauphiné se sont convertis et par celles de Languedoc, que Castres, Montpellier, Lunel, Aigues-Mortes, Sommières, Bagnols, et pour le moins trente autres petites villes, du nom desquelles le ne me souviens pas, se sont converties en quatre jours de temps, que Nîmes avoit aussi résolu de se convertir et que cela se devoit exécuter le lendemain. Les dernières lettres de Saintonge et d'Angoumois portent que tout est catholique.

L'archevêque de Reims avait demandé des troupes pour aider aux conversions dans la ville de Sedan qui était de son diocèse ; en lui donnant avis, le 15 octobre, qu'il mettait à sa disposition le régiment de Champagne et trois cents chevaux, Louvois avait soin d'ajouter : Vous devez observer, s'il vous plaît, qu'il faut songer à convertir la plus grande partie et non pas s'opiniâtrer à tout réduire, y ayant souvent des gens d'un caractère d'opiniâtreté qui ne pourroient être vaincus que par des violences ou des excès de logement qui ne conviennent pas. Sa Majesté vous recommande de faire ménager les banquiers et les chefs- de manufactures. Nulle part en effet, sauf quelques obstinés çà et là, il n'y avait plus de résistance ; abjurations coulaient de source.

Les gens d'Orange ayant reçu dans leurs temples des sujets du roi, on résolut de les traiter eux-mêmes en sujets du roi, c'est-à-dire de les convertir[58]. Le comte de Tessé, qui fut chargé de cette expédition, y prit beaucoup de plaisir ; il voulut en égayer Louvois[59] : Non-seulement, dans une même journée, toute la ville d'Orange s'est convertie, disait-il, mais l'État a pris la même délibération, et Messieurs du parlement, qui ont voulu se distinguer par un peu plus d'obstination, ont pris le même dessein vingt-quatre heures après. Tout cela s'est fait doucement, sans violence et sans désordre. Il n'y a que le ministre Chambrun, patriarche du pays, qui continue de ne point vouloir entendre raison ; car M. le président, qui aspiroit à l'honneur du martyre, fût devenu mahométan, aussi bien que le reste du parlement, si je l'eusse souhaité. En tout cas, il faut que Sa Majesté regarde ce qu'on fait avec ces gens-ci comme quand d'une mauvaise paye l'on tire ce qu'on peut. Vous ne sauriez croire combien tous ces gens-ci étoient et sont encore infatués du prince d'Orange, de son autorité, de la Hollande, de l'Angleterre et des protestants d'Allemagne. Je ne finirois point si je vous contois toutes les sottises et les impertinentes propositions qu'ils m'ont faites. On ne sait, mais peut-être Louvois ne trouva-t-il pas les sottises des bonnes gens d'Orange aussi impertinentes que le spirituel M. de Tessé voulait bien dire. Quinze jours plus tôt, il s'en serait sans doute égayé davantage, alors qu'il croyait tout fini.

Addition faite des listes de conversions, il s'était trouvé que les non-convertis demeuraient en si petit nombre que l'édit de Nantes n'avait plus de raison d'être. Aussitôt le chancelier, que ses infirmités retenaient à Paris pendant que la cour était à Fontainebleau, avait dressé ou dicté à Châteauneuf, qui lui servait de secrétaire, l'édit de révocation, lequel, lu, approuvé et légèrement amendé par le roi, le 15 octobre[60], avait été deux jours après[61], expédié à tous les intendants, pour être publié en même temps dans toutes les généralités du royaume, sauf en Alsace[62]. Le 19, Louvois écrivait au chancelier : M. le procureur général partit hier d'ici, après avoir reçu les ordres du roi pour l'enregistrement de l'édit que vous savez ; ce doit être pour lundi.

Le lundi 22 octobre, la déclaration de Louis XIV qui révoquait l'édit de Henri IV fut solennellement, enregistrée dans tous les parlements ; l'exercice du culte réformé fut partout interdit ; les ministres, mais les ministres seuls, eurent quinze jours pour sortir du royaume, sous peine des galères ; les temples encore debout durent être aussitôt renversés. La populace de Paris s'abattit sur le temple de Charenton et le démolit en quelques heures. Il n'y avait plus qu'une religion en France !

Afin de parfaire l'œuvre des-conversions, Louis XIV avait résolu d'envoyer partout des missionnaires choisis dans tous les ordres religieux, mais sur- tout parmi les jésuites[63]. Le clergé séculier, aux dépens duquel ces missionnaires devaient être entretenus, en murmurait ; beaucoup d'évêques protestaient même qu'ils n'avaient pas besoin de ces auxiliaires-. Ces évêques se firent accuser de tiédeur. Je vous dirai pour votre instruction particulière, écrivait Louvois aux intendants, le 30 octobre, que plus les évêques demanderont de missionnaires, plus ils persuaderont Sa Majesté de leurs bonnes intentions, et qu'elle ne trouveroit pas bon qu'aucun d'eux refusât un secours si salutaire dans la conjoncture présente, sous prétexte qu'ils auraient déjà un nombre suffisant d'ecclésiastiques dans leurs diocèses, ou pour quelque autre raison ou excuse que ce puisse être.

Ce même jour, 30 octobre 1685, le vieux chancelier Le Tellier mourait, calme, confiant, l'esprit libre et l'âme sereine, persuadé qu'il avait rendu à Dieu, au roi, à la France, à l'Église, aux religionnaires eux-mêmes, dans le présent et dans l'avenir, le plus grand et le plus assuré service. L'édit de révocation à peine enregistré, ses forces avaient décliné rapidement ; Louvois, accouru auprès de lui, l'assista dans ses dernières souffrances[64], et reçut son dernier soupir. Quelques jours après, il écrivait au marquis de Souvré, son deuxième fils, qui faisait alors campagne avec le roi de Pologne : Le 15 du mois passé, M. le chancelier s'étant trouvé indisposé à Chaville, il est venu à Paris où, après avoir demeuré pendant douze jours dans une chaise, sans pouvoir se coucher, il est mort, le 30 du même mois, avec une fermeté et une piété sans exemple, ayant conservé la connoissance jusqu'au dernier soupir. Vous avez assez connu la tendresse et le respect que la famille avoit pour lui, pour juger de l'état où cette perte nous a laissés. Ayez soin d'écrire à madame la chancelière pour lui en faire vos compliments.

Si l'on pouvait s'abstraire et ne regarder qu'à ce coin du tableau, si l'on pouvait oublier qu'à cette heure même, cent mille familles en France maudissaient le nom des Le Tellier, cette famille des Le Tellier mériterait d'être citée comme un modèle ; et l'on n'aurait que de l'admiration pour ce Louvois, souverain chef et juge, vigilant et sévère[65], réglant, parmi les siens, les rangs suivant les mérites, également obéi et respecté, par ceux qu'il abaisse comme par ceux qu'il élève. Courtenvaux, son fils aîné, qu'il avait fait nommer secrétaire d'État en survivance, ne s'était montré, ni par le talent ni par le caractère, suffisant pour de telles fonctions. Souvré, le second, ne promettait pas davantage ; c'était lui que Louvois avait envoyé, par un exil d'apparence honorable, guerroyer, à la suite du roi de Pologne, contre les Turcs[66]. Le troisième de ses fils, Barbezieux, âgé de dix-sept ans en 1685[67], lui donnait au contraire de grandes espérances ; dans ce jeune homme ardent, intelligent, prompt au travail, Louvois se retrouvait lui-même ; il se plaisait à développer en cet enfant, par une éducation vigoureuse, les qualités natives de sa race ; celui-ci était vraiment un Le Tellier.

Cependant, avant de prendre une résolution décisive, le père de famille avait voulu faire une dernière épreuve ; au mois de septembre, Courtenvaux et Barbezieux étaient partis, chacun de son côté, pour visiter les places frontières. Ce voyage acheva Courtenvaux ; il ne fit et n'écrivit que des sottises[68] ; un ordre de son père lui enjoignit, au retour, de s'arrêter dans la terre de Louvois, près de Reims. Pour Barbezieux[69], sa conduite, ses comptes rendus, les rapports des officiers qui l'accompagnaient, tout lui était favorable. Vos lettres, écrivait à son gouverneur le ministre ravi, me disent tant de bien de mon fils le commandeur que je crains que vous m'en mandiez plus qu'il n'y en a, et que vous ne vous soyez gâté depuis que je ne vous ai vu. Je vous prie de continuer à me mander sincèrement tout ce qui se passera. Et à son fils : Le compte que vous me rendez de ce que vous avez vu à Tournay m'a paru fort bien. Soyez bien persuadé de mon amitié, et me croyez le meilleur de vos amis[70].

Le 21 octobre, les courtisans apprenaient que Courtenvaux, auprès de qui Louvois avait dépêché le marquis de Tilladet, son parent, s'était démis entre ses mains de la charge de secrétaire d'État[71], et que pour lui épargner l'humiliation d'une disgrâce publique, son père l'envoyait voyager hors de France. Quelques jours après, Barbezieux, nommé secrétaire d'État en survivance, revêtit la dépouille de son frère[72]. Le 9 novembre, Louvois annonçait ainsi au marquis de Souvré cette révolution de famille : Ayant cru bien connoître que le génie de votre frère aîné ne le rendoit pas capable de faire ma charge, j'ai supplié le roi d'en accorder la survivance à votre frère le commandeur, croyant bien que votre inclination ne vous y porteroit pas ce que Sa Majesté m'a accordé avec ses bontés ordinaires. Votre frère aîné est allé voyager jusqu'à ce que l'on voie ce que deviendront les affaires générales au printemps prochain, et comme il a choisi le métier de l'épée, il fera la campagne prochaine avec vous, si la guerre dure encore.

De loin comme de près, l'autorité du père de famille réglait et redressait la conduite de ses enfants. Il faut se défaire, écrivait-il à Courtenvaux[73], de demeurer toujours avec des valets, et s'accoutumer à lire de bons livres qui vous puissent instruire au métier que vous voulez embrasser, sur lequel je vous dois dire que lorsque je ne vous verrai pas en état de le faire avec réputation, je ne prendrai aucun soin de vous y avancer, ce qu'au contraire je ferai de tout mon cœur, lorsque je vous verrai touché du désir d'y réussir. Ou bien encore[74] : J'ai vu avec plaisir les assurances que vous me donnez que vous voulez vous corriger ; j'en aurais été plus sensiblement touché, si une expérience assez longue ne m'apprenait qu'il y a fort loin chez vous entre faire et dire. Je serois bien aise de me tromper et d'apprendre que vous m'avez tenu parole. Il est temps que vous le fassiez, et vous ne devez point compter que je veuille faire aîné de ma famille, ni procurer des établissements à un homme que je ne croirai point capable de les soutenir.

Sous ces accents sévères, on sent l'émotion contenue et le désir de pardonner. Voici, d'un autre côté, le fils qui s'humilie et dont la prière est vraiment touchante : Je vous supplie, au nom de Dieu, monsieur, de vouloir bien vous souvenir de ce que vous m'avez fait l'honneur de me faire espérer ; car il est bien rude d'avoir été quelque chose et de n'être plus rien ; je ne laisse pas de déplorer mon malheur, et je vous assure qu'il n'y a que la confiance que j'ai en vos bontés qui me console un peu. Je suis et serai toute ma vie, avec toute sorte de respect et de soumission, entièrement à vos ordres[75]. Tel est ce dialogue, écho lointain des temps bibliques et des vieux âges de Rome. Telle est encore, au déclin du dix-septième siècle, la famille, gouvernée par la grande loi du respect.

Louvois méritait d'être respecté par ses fils. Cet homme, emporté, violent, sans scrupule et sans frein dans la politique, n'avait pas l'âme basse ni les passions vulgaires ; il était avide de pouvoir, non d'argent. Au mois de décembre 1685, les états d'Artois, célébrant la destruction de l'hérésie, avaient résolu, sur la proposition de l'évêque de Saint-Omer, d'offrir tous les ans à Louvois un présent considérable. A peine averti de cette résolution, Louvois s'empressa d'écrire à l'intendant Chauvelin[76] : Je vous prie d'expliquer aux états d'Artois que je leur suis fort obligé de l'intention qu'ils ont eue de me faire un présent tous les ans, mais que feu M. le chancelier ni moi n'ayant jamais reçu aucun argent des provinces dont nolis avons pris soin, il n'est pas nécessaire qu'ils fassent de fonds pour cela. Je vous conjure de leur parler de manière qu'ils connoissent que je ne l'accepterois pas, quand même le fonds en seroit fait, les assurant qu'il est inutile qu'ils donnent aucun ordre à leurs députés sur cela, parce que je me tiendrois fort offensé s'ils alloient rompre la tête au roi d'une chose que je sais bien que Sa Majesté auroit la bonté de ne pas commander. Cette lettre est simple et digne ; pourquoi faut-il que celui qui l'a écrite ne soit qu'un persécuteur intègre qui refuse le prix de la persécution ? Malgré nous, elle nous ramène vers des excès déplorables.

On ne saurait trop le redire, Louis XIV et ses ministres avaient une si grande hâte d'en finir avec les difficultés du calvinisme, qu'ils avaient pris leur désir même pour un fait accompli. Quand ils eurent révoqué l'édit de Nantes, ils s'imaginèrent avoir tout achevé. Si le mot de naïveté pouvait s'appliquer à de tels hommes en de tels événements, on trouverait difficilement dans l'histoire des politiques aussi naïfs. Le roi, disait madame de Maintenon, est fort content d'avoir mis la dernière main au grand ouvrage de la réunion des hérétiques à l'Église. Le P. de La Chaise a promis qu'il n'en coûteroit pas une goutte de sang, et M. de Louvois dit la même chose. Ils étaient sincères, ils furent d'autant plus surpris, honteux, furieux, quand ils connurent qu'ils s'étaient trompée, et ce furent les huguenots, responsables, sans le savoir, de la légèreté de leurs ennemis, qui portèrent la peine de leur déconvenue.

Il y avait, dans l'édit révocatoire, une dernière clause qui permettait aux religionnaires non convertis, en attendant qu'il plût à Dieu les éclairer comme les autres, de vivre tranquillement en France, d'y continuer leur commerce et d'y jouir de leurs biens, sans pouvoir être troublés ni empêchés, à condition de ne faire aucun exercice public de leur culte. N'était-ce pas au moins la liberté de conscience qui, par la voix même et dans le triomphe de ses ennemis, était avouée, proclamée, édictée comme une loi ? Étrange contradiction, de laquelle, autour de Louis XIV, on ne se doutait seulement pas ! Mais dans les provinces, il n'y eut point un moment d'hésitation ; persécuteurs et persécutés se récrièrent ; la joie des uns, la consternation des autres surprirent la cour dans sa quiétude, et, pour achever de la convaincre, l'œuvre des conversions s'arrêta soudain ; mieux encore, elle recula. Les intendants se désespéraient. Cet édit auquel les nouveaux convertis ne s'attendoient pas, disait Bâville, et surtout à la clause qui défend d'inquiéter les religionnaires, les a mis dans un mouvement qui ne peut être apaisé de quelque temps. Ils s'étoient convertis la plupart, dans l'opinion que le roi ne vouloit plus qu'une religion dans son royaume ; quand ils ont vu le contraire, le chagrin les a pris de s'être si fort pressés ; cela les éloigne, quant à présent, des exercices de notre religion[77].

Comment réduire, après cela, les courageux qui avaient résisté jusqu'alors ? Était-ce par de ridicules harangues, comme celle que Foucault, par exemple, adressait, le 2 novembre, aux gentilshommes du haut Poitou ? Vous savez, disait-il en abusant du nom de Louis XIV, vous savez en quels termes ce grand prince a exprimé le violent désir qu'il avoit de voir tout son royaume réuni sous une même communion ; et si son zèle l'a porté à dire qu'il donneroit volontiers un de ses bras pour la conversion de ses sujets, ne serez-vous pas persuadés que l'acquisition à l'Église romaine de tout ce qu'il y a de gentilshommes ici lui serait, sans comparaison, plus agréable que ne l'ont été toutes les conquêtes que ce même bras, toujours victorieux, a faites depuis quinze années ? Seroit-il possible, messieurs, que ces démonstrations d'une amour toute paternelle et véritablement dignes du petit-fils de Saint Louis, n'excitassent aucun mouvement de reconnoissauce dans vos cœurs, mais d'une reconnoissance qui répondit à la nature et à la grandeur de l'obligation ? Car enfin, c'est une illusion qui ne peut venir que d'une préoccupation aveugle, de vouloir distinguer les obligations de la conscience d'avec l'obéissance qui est due au roi, dans une occasion où ces deux devoirs sont inséparables, puisque Sa Majesté agit uniquement pour l'intérêt de la religion... Et n'appréhendez-vous point d'irriter, par votre opiniâtreté, un prince également pieux et puissant, qui peut regarder sa puissance absolue comme un moyen que Dieu lui a donné pour faire régner la véritable religion dans son royaume ?... Quelle gloire servit-ce pour vous de prendre, avant de sortir d'ici, une généreuse résolution de vous convertir par une prudente et authentique délibération !...

Tant d'éloquence et de si bonnes raisons furent en pure perte. Il y eut peu de conversions ; c'est Foucault lui-même qui le dit[78] ; il faut lui laisser au moins, à défaut d'autre, le mérite de sa franchise. Louvois n'eut point de pitié pour l'orateur malheureux[79] : Sa Majesté, lui écrivit-il sèchement[80], estime que ce n'est pas une bonne voie que d'assembler les gentilshommes de la Religion pour les porter à se convertir, et elle croit qu'il vaut beaucoup mieux s'appliquer à les prendre en détail.

Le meilleur moyen de montrer aux opiniâtres qu'ils n'entendent rien à la dernière clause de l'édit révocatoire, c'est de les presser et pousser avec plus de rudesse encore que par le passé. Tel est le sens des instructions dressées par Louvois, d'abord pour le duc de Noailles, et communiquées ensuite à tous les intendants mettre garnison chez les petits gentilshommes[81] ; exciter contre les gens de qualité les rivalités de voisinage, leur donner toujours tort, s'ils se plaignent, et, s'ils se font justice eux-mêmes, informer contre eux. En un mot, Sa Majesté désire que l'on essaye par tous moyens de leur persuader qu'ils ne doivent attendre aucun repos ni douceur chez eux, tant qu'ils demeureront dans une religion qui déplaît à Sa Majesté ; et on doit leur faire entendre que ceux qui voudront avoir la sotte gloire d'y demeurer des derniers pourront encore recevoir des traitements plus fâcheux s'ils s'opiniâtrent à y rester[82]. Quant aux bourgeois et aux paysans, ils doivent s'attendre à toutes sortes de duretés de la part des officiers qui commandent les troupes du roi[83]. Les femmes elles-mêmes ne seront pas épargnées. Il eût été à désirer, écrit Louvois à Boufflers[84], que M. du Saussay eût fait tirer par les dragons sur les femmes de la R. P. R. de Clérac qui se sont jetées dans le temple lorsqu'on en a commencé la démolition, et Sa Majesté a été surprise de voir qu'il y ait encore une si grande quantité de huguenots dans cette ville.

Contre ceux de Dieppe, qui sont plus nombreux encore et les plus tenaces de toute la France, il n'y a plus de mesure à garder. Les ordres de Louvois à leur sujet sont de la dernière violence[85] : Le roi a été informé de l'opiniâtreté des gens de la R. P. R. de la ville de Dieppe, pour la soumission desquels ils n'y a pas de plus sûr moyen que d'y faire venir beaucoup de cavalerie, et de la faire vivre chez eux fort licencieusement. Comme ces gens-là sont les seuls dans tout le royaume qui se sont distingués à ne se vouloir pas soumettre à ce que le roi désire d'eux, vous ne devez garder à leur égard aucune des mesures qui vous ont été prescrites, et vous ne sauriez rendre trop rude et trop onéreuse la subsistance des troupes chez eux ; c'est-à-dire que vous devez augmenter le logement autant que vous croirez le pouvoir faire sans décharger de logement les religionnaires de Rouen, et qu'au lieu de vingt sols par place et de la nourriture, vous pouvez en laisser tirer dix fois autant, et permettre aux cavaliers le désordre nécessaire pour tirer ces gens-là de l'état où ils sont, et en faire un exemple dans la province qui puisse être autant utile à la conversion des autres religionnaires qu'il y seroit préjudiciable, si leur opiniâtreté demeuroit impunie. Cette dépêche enragée est d'un homme qui ne se possède plus ; c'est de la folie furieuse.

Naturellement il faut que l'armée, qui doit servir cette fureur, soit purgée d'hérésie. Les conversions y sont commandées dans l'ordre hiérarchique, les inspecteurs pesant sur les officiers, les uns et les autres sur les soldats[86]. Au mois de février 1686, il n'y avait plus un seul officier qui ne fût converti ; tous les autres avaient été cassés et chassés[87]. L'important était qu'il n'y eût plus, ou qu'il parût n'y avoir plus, en France, de religionnaires.

Tandis qu'on poursuivait avec cette violence les derniers opiniâtres, on ménageait avec soin les nouveaux convertis, les plus mal convertis. Le même Louvois, dans les mêmes dépêches, prescrivait à leur égard une extrême circonspection. Sa Majesté nous recommande, écrivait-il au duc de Noailles[88], d'essayer d'empêcher que le zèle trop ardent des ecclésiastiques ou l'aversion que les provinciaux ont les uns contre les autres ne les portent à exagérer ou à vous donner des avis entièrement faux ; elle désire que si vous vérifiiez que quelque nouveau converti se fit honneur de ne point aller au service et excitât les autres publiquement à faire de même, il en soit informé de l'ordre de l'intendant de la province, et qu'il soit condamné suivant les preuves qu'il y aura contre lui ; son intention étant au surplus que l'on essaye plutôt par douceur que par contrainte à porter le gros des nouveaux convertis à faire leur devoir, et que l'on attende plutôt du temps et des instructions que MM. les évêques leur feront donner, que d'aucune contrainte, ce que la manière dont ils ont été portés à faire leur abjuration, et les discours de ce qui reste de religionnaires, et les lettres séditieuses des ministres qui ont été chassés du royaume, les empêchent de faire présentement.

A tous ses affidés, généraux et intendants, Louvois prêche la modération et la patience ; il faut s'abstenir de tout ce qui ressemblerait à de l'inquisition. Un intendant condamne à cinquante livres d'amende les nouveaux convertis qui ne vont pas à la messe : on le blâme. Un autre se plaint que les nouveaux convertis n'ont pas communié à Noël : on lui répond que des gens peuvent être bons catholiques sans communier à Noël. Il y a des généraux qui mettent garnison chez ceux qui ne vont point à confesse, et qui, les dimanches et jours de fête, les font conduire militairement à l'église on prie les généraux de se contenir[89].

On dénonce aux évêques les curés qui font scandale, les religieux ignorants qui se mêlent d'instruire les huguenots et qui les rebutent[90]. Il est vrai qu'en même temps on se défie des évêques vraiment modérés qui protestent contre l'invasion militaire dans leurs diocèses ; tel est l'évêque de Saint-Pons[91] ; tel est l'évêque de Grenoble, Le Camus, avec lequel Louvois est forcé de composer. Vous avez, lui écrit-il[92], grande raison de croire que l'intention de Sa Majesté n'est pas que l'on oblige les nouveaux convertis, par logements de gens de guerre, à fréquenter les sacrements ; mais aussi Sa Majesté, qui peut loger ses troupes où il lui plaît, ne veut pas souffrir que les habitants de Grenoble, nouveaux convertis, aient l'insolence de tenir une conduite qui n'ait point de rapport avec l'abjuration qu'ils ont faite ; et c'est pour cela qu'elle avoit donné ordre que l'on fit entrer des troupes dans Grenoble[93], et que l'on les logeât chez ceux qui avoient fait gloire de ne point fréquenter les églises, et qui avoient tenu des discours insolents sur cela. Mais puisque vous désirez si ardemment que les troupes qui y sont en sortent, et que vous assurez si positivement du bon effet que cela pourra produire, Sa Majesté a trouvé bon de les en retirer ; mais elles y rentreront pour tout l'hiver, si ces gens-là se conduisent mal.

Parmi les nouveaux convertis, on ne distingue pas le très-petit nombre, qui s'est sincèrement rallié, du très-grand nombre, qui n'a fait son abjuration que de bouche ; pourvu que les dehors soient saufs, les apparences gardées, on est satisfait. Il en va de la sorte dans plusieurs provinces. Par toutes les nouvelles que je reçois du Béarn, de la généralité de Montauban et d'une partie de celle de Bordeaux, écrit à Louvois le marquis de Boufflers, les nouveaux convertis y font très-bien leur devoir, et la plupart ont fait leurs pâques avec beaucoup d'édification ; on m'en mande même des choses surprenantes. Il n'y a qu'à Nérac, Bergerac et Bordeaux, où les cœurs paroissent plus endurcis qu'ailleurs, et aussi en plusieurs lieux de la Saintonge[94].

Il y a surtout le Languedoc, et dans le Languedoc, la région des Cévennes. Là, dans les montagnes, à distance des villes, hors de vue, pressés autour de leurs pasteurs que le sentiment du devoir a retenus ou ramenés au milieu d'eux, quelquefois même sans pasteur, les religionnaires célèbrent à certains jours le culte proscrit. Ce sont les assemblées au désert. Quand le ministre ou l'ancien commence la prière, il ne sait pas s'il lui sera donné de l'achever ; souvent les dragons arrivent à l'improviste, ferment les issues et chargent sur la foule. Il n'y a guère de lutte ; en un moment tout est fait ; les survivants sont menés à l'intendant, qui en fait pendre quelques-uns et envoie le reste aux galères[95]. Il en est du moins ainsi pendant les premiers mois de l'année 1686 ; à dater du 15 juillet, il n'y a plus pour tous, hommes ou femmes, qu'une peine uniforme, la mort[96]. Qui croirait que la mort ne fut pas encore jugée suffisante ?

Le 29 octobre 1686, Bâville écrit à Louvois : Je viens d'apprendre que, dimanche dernier, 27 de ce mois, il y a eu une assemblée de près de quatre cents hommes, dont plusieurs étoient armés, dans le diocèse de Mende, au pied de la montagne de Lozère. Bien que cette assemblée se soit tenue à près de douze lieues de l'endroit où a été la dernière, je ne puis m'empêcher d'être fort surpris d'un pareil événement. Je croyois que le grand exemple que j'ai fait au Vigan et à Anduze, mettroit, au moins pour quelque temps, les Cévennes en tranquillité. Mais, puisque ce dernier n'a de rien servi, je ne crois pas que l'on puisse rien espérer par ce genre de peine à l'avenir ; je crois même qu'il sera à la fin dangereux de le continuer ; et je crains que tant de condamnations à mort, dans une affaire mêlée de religion, n'irritent les esprits et n'endurcissent tous les mauvais convertis par un si méchant exemple. Il est vrai que l'on ne peut assez s'étonner que ces mêmes gens, qui s'exposent à être tués par les troupes ou à être pendus, pour aller aux assemblées, meurent catholiques la plupart, ainsi que dix sont morts de onze des derniers qui ont été condamnés ; ce qui fait connoître que, dans leur conduite, il y a plus de légèreté et d'inclination à la révolte que d'attachement sincère à leur ancienne religion. Néanmoins si ce feu ne peut s'éteindre après tant de châtiments, dans un temps qu'il n'est soutenu par aucun chef, même par aucun ministre, au milieu des troupes, il est aisé de voir qu'il deviendroit bien plus grand s'il y avoit quelque secours étranger, ou d'hommes que l'on pourroit faire entrer dans le pays, ou d'argent.

Après Bâville, voici le duc de Noailles[97] : J'avoue que cela m'afflige d'autant plus qu'après les châtiments rigoureux qui ont été faits avec si peu de fruit, depuis environ huit mois, au sujet de ces assemblées, on ne sait quasi plus quel parti prendre pour ramener ces misérables et pour accorder les sentiments de la bonté et de la clémence du roi pour ses sujets avec les desseins que le ciel lui a inspirés pour le bien de la religion et ce qu'il doit à son autorité. J'estime que si Sa Majesté juge qu'il n'y ait d'autre remède que celui de changer quelques peuples des Cévennes, il faudra commencer par ceux qui ne font aucun commerce et qui habitent des montagnes inaccessibles, où la rudesse du climat et la température de l'air leur inspirent un esprit sauvage, tels que ceux de la dernière assemblée, la perte de ces peuples étant d'une moindre conséquence pour la province que de ceux qui contribuent au commerce. Si le roi prenoit ce parti-là, il faudroit envoyer ici au moins quatre bataillons pour l'exécution de ses ordres, qui ne se fera pas sans de grandes difficultés et de grandes peines pendant l'hiver.

C'était entrer à fond dans les vues de Louvois ; car le ministre avait déjà, quelques jours auparavant, écrit à Bâville[98] : Je vous ai marqué que le roi se résoudra à changer tous les peuples des Cévennes ; c'est, en effet, son intention, s'il continue à s'y faire des assemblées, n'y ayant point de parti que Sa Majesté ne prenne pour mettre ce pays-là sur le pied d'être soumis à ses ordres. Enfin, le 19 novembre, Louis XIV et Louvois ont décidé. Il a paru extrêmement difficile, écrit Louvois, d'ôter entièrement les peuples de plusieurs villages, pour y en mettre d'autres eh leur place, et Sa Majesté a cru qu'il se falloit réduire à choisir, dans les endroits où les communautés, en général, sont moins bien converties, et où l'âpreté du pays les rend plus disposées à se soulever, ceux qui paroitront avoir plus de crédit, et les plus capables de commencer des séditions, pour les envoyer incessamment dans différents châteaux de la province, jusqu'à ce que deux vaisseaux que le roi va faire armer à Marseille soient en état de les transporter dans les îles de l'Amérique et dans le Canada, où ils peuvent être suivis par leurs femmes, si elles le désirent. Sa Majesté s'attend que cet exemple, fait sur cent ou cent cinquante habitants des Cévennes, purgera le pays des plus dangereux, et imprimera une telle terreur aux autres qu'ils se contiendront mieux qu'ils n'ont fait par le passé.

C'est le marquis de La Trousse qui est chargé de dresser, avec M. de Bâville, les listes de déportation. Je prendrai la liberté de vous dire, écrit-il à Louvois, qu'il est impossible de travailler avec plus de diligence que nous faisons, M. de Bâville et moi, à connoitre les personnes que l'on doit envoyer à l'Amérique ; mais comme il s'agit de l'état de plusieurs familles, nous croyons qu'il est à propos de bien examiner le tout, afin de ne faire tomber cette punition que sur des gens qui la méritent. Je n'ai rien à me reprocher, monseigneur, pour l'exécution de tous vos ordres ; mais j'ai affaire à des peuples les plus légers et les plus fous qu'il y ait au monde. Les habitants de Nîmes ont une telle peur qu'ils courent en foule aux églises ; ils demandent et voudroient que l'on leur donnât tous les sacrements en un même jour, croyant par là se mettre à couvert de l'orage qu'ils croient être prêt à tomber sur leurs têtes. Mon avis est toujours, monseigneur, qu'il ne faut point se reposer sur leurs belles paroles ; ce sont des canailles dans le fond, qui ne valent rien, et qui sont malintentionnés[99].

Le 10 janvier 1687, la première liste est faite : Nous avons composé une voiture de cent personnes pour les îles, que nous ferons partir d'Aigues-Mortes par mer, le 24 ou 25 de ce mois, pour les conduire à Marseille. Toutes les mesures sont prises pour cela, comme aussi pour faire bientôt après une seconde et une troisième voiture de cent nouveaux convertis chacune, parce que nous prévoyons ne pouvoir nous dispenser de sortir au moins trois cents personnes de cette province, à ne prendre que ceux qu'il est essentiel de chasser, et dont l'esprit mutin et dangereux les porteroit toujours à troubler les cantons dont on les tire[100].

M. de La Trousse a cependant quelque regret de traiter si rudement ces misérables populations ; mais Louvois aussitôt l'en reprend comme d'une faute : Je n'ai rien à vous dire sur l'état où vous me mandez que sont les Cévennes, lui écrit-il[101], parce que rien ne convient moins au service du roi ni au bien de la province que de témoigner que l'on soit capable d'avoir pitié de gens qui se sont conduits comme ont fait ceux-là, lesquels doivent être abîmés de manière que l'état où ils demeureront serve d'exemple à tous-les autres nouveaux convertis.

Ce n'est pas seulement aux peuples du Languedoc que la peine de la déportation fut appliquée : elle le fut presque en même temps aux bourgeois de Metz. Les religionnaires de cette ville s'étaient longtemps flattés d'être, comme ceux d'Alsace, et pour les mêmes raisons politiques, à l'abri de la persécution. Ils furent tout d'un coup et cruellement détrompés. Un ordre de Louvois, daté du 20 août 1686, leur donna vingt-quatre heures pour se convertir[102] ; puis on logea des troupes chez les opiniâtres ; puis on en désigna plusieurs, et à plusieurs fois, pour être déportés en Amérique[103].

Cependant, en 1689, cette peine fut abandonnée, Sa Majesté ayant connu par expérience que ces gens-là embarrassoient extrêmement les gouverneurs des îles, et que, quelque précaution que l'on prit, ils s'évadoient et revenaient en France[104]. On avait aussi renoncé peu à peu à l'odieuse et sacrilège coutume de traîner sur la claie les cadavres des nouveaux convertis qui avaient, au lit de la mort, refusé les derniers sacrements. On aurait peine à le croire, si l'on n'en avait point les preuves, ce n'était pas au moribond que le procès était fait ; c'était le cadavre même qui était condamné comme relaps[105].

Une des questions sur lesquelles le gouvernement de Louis XIV a donné l'humiliant exemple de la contradiction la plus absolue, c'est celle de l'émigration des religionnaires. Dès la révocation de l'édit de Nantes, elle avait pris la gravité d'un mal effrayant et mortel ; c'était la vie de la France qui s'exhalait par tous les pores. Sur toutes les frontières on mit des gardes, des barques armées sur toutes les côtes. Les fugitifs repris étaient, sans rémission, sans distinction de naissance, d'éducation, de fortune, jetés pêle-mêle avec les malfaiteurs, dans la chiourme des galères. Ceux qui réussissaient à gagner la terre étrangère laissaient bien souvent des traces sanglantes de leur passage, trop heureux d'avoir échappé aux derniers coups des paysans, dont on avait ameuté contre eux les passions cupides et féroces. Il n'y a point d'inconvénient, disait Louvois, de dissimuler les vols que font les paysans aux gens de la Religion Prétendue Réformée qu'ils trouvent en désertant, afin de rendre leur passage plus difficile, et même Sa Majesté désire que l'on leur promette, outre la dépouille des gens qu'ils arrêteront, trois pistoles pour chacun de ceux qu'ils amèneront à la plus prochaine place[106]. Sa Majesté, disait-il encore[107], désire que vous fassiez en sorte que les paysans des Ardennes courent sus et même fassent main-basse sur ceux des religionnaires qui auront l'insolence de se défendre, leur faisant entendre qu'on leur donnera tout le butin qu'ils feront, pourvu qu'ils les ramènent dans les prisons des places du roi les plus voisines.

Malgré tout, l'émigration ne s'arrêtait pas. Comptez, écrivait à Louvois M. de Tessé, commandant à Grenoble, qu'il n'est point de jour qu'il ne sorte quelqu'un par ces frontières-ci, malgré le soin qu'on en prend. L'imagination des fugitifs était plus inventive que celle de leurs gardiens ; Tessé lui-même en citait cet exemple inouï[108] : Depuis deux jours, une femme s'est avisée d'une invention pour se sauver qui mérite d'être sue. Elle fit marché avec un marchand de fer savoyard, et se fit empaqueter dans une charge de verges de fer dont les bouts paroissoient ; elle fut portée à la douane ; le marchand paya la pesanteur du fer qui fut pesé avec la femme, qui ne fut dépaquetée qu'à plus de six lieues de la frontière. Quel supplice ! Mais quelle persécution que celle qui réduit une femme à s'infliger un tel supplice ! Et combien ce simple témoignage d'un persécuteur a plus d'éloquence que les plus ardentes invectives des persécutés !

Au mois de décembre 1686, on jugea que l'entretien des gardes-frontières et des gardes-côtes était une dépense inutile ; les intendants et les généraux eurent ordre de les retirer peu à peu, sans éclat, et de ne plus mettre obstacle à la fuite des religionnaires, laquelle, en certains cas, était regardée comme un bien[109]. La contradiction était scandaleuse et vraiment impudente ; qu'importe ? Louvois en prenait si naturellement et si gaiement son parti ! Le moyen de faire que peu de gens s'en aillent, disait-il[110], c'est de leur donner la liberté de le faire, sans néanmoins le leur témoigner. C'était encore ainsi qu'il écrivait au marquis de Boufflers[111] : La grande quantité de nouveaux convertis qui sont sortis de Metz ne peut être qu'avantageuse au service du roi ; et, sans leur permettre de s'en aller, ni faire de vexation pour les y obliger, vous pouvez compter que le service du roi requiert qu'il n'y en reste pas un grand nombre. Mais en même temps qu'on se réjouissait du départ de ces mauvais citoyens, on laissait pourrir dans les galères les malheureux dont la tentative d'évasion n'avait échoué que parce qu'ils s'étaient billés un peu plus que les autres.

Cependant les émigrés s'en allaient partout en Europe, apportant aux étrangers, les uns notre or, les autres les secrets de nos arts et de nos manufactures, ceux-ci nos idées et notre éloquence, ceux-là, plus immédiatement terribles, nos moyens de combat, notre furie française, tous leur haine et leur appétit de vengeance. Par eux, la guerre de 4688, toute politique, prit d'abord le sinistre aspect d'une guerre de religion ; d'étrangère qu'elle était naturellement, elle parut tout près d'être une guerre civile ; du dehors, les proscrits appelaient aux armes les opprimés du dedans. Les intendants s'effrayaient d'avoir à contenir le frémissement des nouveaux convertis : Le plus grand nombre, disait celui de Montauban, souhaite des révolutions et voudrait y contribuer, et ils attendent présentement comme une ressource pour eux le succès des entreprises du prince d'Orange[112].

Ils se continrent eux-mêmes, et c'est leur gloire ; non-seulement ils résistèrent à toutes les tentations, non-seulement ils refusèrent de s'insurger ; mais encore ils s'armèrent pour ce roi qui les persécutait, pour cette pairie qui les répudiait. Quelques années après, Chamlay rendait à ce patriotisme héroïque des religionnaires un éclatant hommage. Il faut, disait ce loyal témoin[113], en même temps que l'on condamne la conduite des nouveaux convertis fugitifs qui ont porté les armes contre la France, depuis le commencement de cette guerre jusqu'à présent, il faut, dis-je, donner à ceux qui sont demeurés en France la louange et l'honneur qu'ils méritent. En effet, si l'on en excepte quelques mouvements de peu de conséquence qui sont survenus en Languedoc, outre qu'ils sont demeurés fidèles au roi dans les provinces, et spécialement en Dauphiné, pendant même que les armées confédérées de l'Empereur, d'Espagne et du duc de Savoie étoient au milieu de cette province, supérieures aux forces du roi, ceux qui étoient propres pour les armes se sont engagés dans les troupes de Sa Majesté et y ont dignement servi.

Il est vrai que dans les premières années de la guerre, on n'avait point encore fait d'eux cette admirable épreuve ; on croyait avoir tout à craindre : danger au delà des frontières, danger en deçà. C'est alors que, au mois de décembre 1689, après une campagne malheureuse pour les armes du roi, le grand et courageux Vauban adressa résolument à Louvois un mémoire dont les conclusions étaient très-nettes rappel des huguenots fugitifs, amnistie générale, rétablissement pur et simple de l'édit de Nantes[114]. Il faut remarquer la réponse de Louvois[115] : J'ai lu votre mémoire où j'ai trouvé de fort bonnes choses ; mais, entre nous, elles sont un peu outrées ; j'essayerai de le lire à Sa Majesté. Ainsi le bon sens de Louvois, éclairé, calmé par les événements, le ramenait à résipiscence ; il sentait, il comprenait le détestable effet des fautes auxquelles il avait contribué pour une si grande part ; il ne s'occupait plus de conversions ni d'affaires religieuses ; il ne se préoccupait que de l'attitude politique des nouveaux convertis, des excitations qui leur venaient, des soulèvements qu'il redoutait par-dessus tout[116] ; volontiers il aurait donné- les mains à une transaction.

L'expérience, par malheur, n'avait pas autant agi sur l'esprit de Louis XIV ; elle ne le convainquit jamais qu'il eût eu tort, sinon de violenter les personnes, du moins de troubler les consciences et de proscrire le culte dissident. Beaucoup d'honnêtes gens continuaient à penser de même autour de lui. Prenons Chamlay pour exemple. Nous avons ses confidences au sujet de ces grands et funestes événements on va les lire. On ne doit pas attendre de lui, qui est dans le gouvernement[117], une haine vigoureuse de la persécution et des persécuteurs ; il prodigue les ménagements de forme, les atténuations de langage ; mais au fond, il blâme tout ce qui est excès et violence, et cela nous suffit.

Le parti huguenot, nous dit-il, fut d'abord attaqué par la diminution des privilèges, par la privation des honneurs et des charges à l'égard des particuliers de cette communion, par la destruction de plusieurs temples et par l'interdiction de plusieurs exercices ordonnée par les parlements. Enfin, lé temps de sa chute étant arrivé, le roi supprima ce fameux édit, et interdit pour toujours l'exercice de la Religion Prétendue Réformée dans son royaume. Par cette première déclaration, les sujets de cette communion furent seulement conviés à se convertir ; mais les intendants de quelques provinces ayant représenté au roi.la disposition où la plupart des huguenots de leur ressort étoient de changer de religion, pourvu qu'ils fussent un peu pressés par le bras séculier, et ayant, par un peu trop de zèle, sollicité vivement le roi d'envoyer des troupes, d'ans lesdites provinces, Sa Majesté, qui n'avoit rien tant à cœur que ce changement, donna facilement les mains à la proposition et à l'envoi des troupes[118].

A peine parurent-elles que les huguenots desdites provinces en furent fort alarmés, et que des communautés entières, c'est-à-dire des milliers de personnes, partie de bonne volonté, du moins en apparence, partie par la peur, et partie par la violence outrée, à la vérité, un peu trop en quelques endroits, souscrivirent à la nouvelle déclaration du roi et signèrent la profession de foi qu'on leur présenta. Enfin, chose que la postérité aura peine à croire, presque tous les huguenots du royaume, à l'exception de quelques particuliers qui refusèrent de signer, changèrent en moins de six mois, et il ne s'y trouva d'obstacles qu'un peu en Languedoc et en Dauphiné, où quelques gens de diverses communautés prirent les armes et furent dissipés presque en même temps par les troupes du roi.

Les progrès de la conversion, ou du moins du changement, auroient produit tout l'effet que l'on en pouvoit attendre, sans deux fautes essentielles que l'on fit avec peu d'attention, l'une de permettre aux ministres de sortir du royaume et de passer dans les pays étrangers, d'où, par le commerce qu'ils entretinrent avec leurs anciennes ouailles et par les espérances qu'ils leur donnèrent de l'assistance et de la protection des puissances protestantes, ils leur inspirèrent de nouveau les sentiments du calvinisme et les détournèrent de pratiquer les exercices de la religion catholique qu'ils venoient d'embrasser ; l'autre, au lieu d'avoir, dans le commencement ; un peu d'indulgence pour les nouveaux convertis, et de les laisser goûter peu à peu l'esprit et les dogmes de la religion catholique, de souffrir que les ecclésiastiques, par un zèle un peu indiscret, les inquiétassent et les forçassent à faire les exercices extérieurs de la religion.

Ces deux fautes furent l'origine de trois malheurs qui les suivirent : le premier, que le calvinisme non-seulement ne s'éteignit pas dans le cœur des nouveaux convertis, mais encore y reprit vigueur ; le second, qu'il sortit un grand nombre de nouveaux convertis du royaume, lesquels emportèrent avec eux des sommes immenses d'argent, au grand préjudice au commerce ; le dernier, que ces fugitifs animèrent leurs confrères qui étoient demeurés dans le royaume à la pratique secrète de leur première religion, et excitèrent les puissances protestantes contre la France, ou du moins leur fournirent des prétextes dont le prince d'Orange, comme chef principal. du parti, s'est servi dans la suite fort utilement pour déterminer lesdites puissances à faire la guerre à cette couronne.

Cependant, et c'est là ce qu'il y a de plus remarquable, Chamlay ne cesse pas de souhaiter et d'attendre l'entier accomplissement des projets du roi. Il faut espérer, dit-il pour conclure, que le rétablissement de la paix donnera les moyens au roi de consommer, avec douceur et sans violence — car ces deux choses paroissent absolument nécessaires en matière de changement de religion —, le grand ouvrage qu'il a commencé de l'extinction entière et sans retour du calvinisme en France.

Tel est l'optimisme et telle, est la confiance des plus honnêtes gens au dix-septième siècle. Pour nous, au contraire, nous croyons qu'on ne saurait juger trop sévèrement la révocation de l'édit de Nantes. S'il y a, dans l'histoire, des événements qui, vus de près ou de loin, de droite ou de gauche, de çà ou de là, sous des jours différents, provoquent des opinions différentes, celui-ci, d'où qu'on l'examine, n'a qu'un seul aspect, n'éveille qu'un même sentiment, ne produit qu'une impression uniforme ; il est condamné tout d'une voix. A ne parler que de l'injure faite au droit et à la, conscience, la cause des protestants n'est plus de celles qui ont besoin d'être plaidées. Prise au point de vue des intérêts catholiques, l'affaire n'est pas plus embarrassante ; les vainqueurs ont souffert autant que les vaincus, sinon davantage.

Dans cette lutte entre deux communions chrétiennes, c'est le christianisme qui est resté meurtri. La religion catholique n'en seroit que plus négligée, s'il n'y avoit plus de religionnaires, disait Vauban, vrai catholique[119], et, dans un autre camp, Bayle avait déjà dit[120] : Nous avons présentement à craindre le contraire de nos faux convertis, savoir un germe d'incrédulité-qui sapera peu à peu nos fondements, et qui, à la longue, inspirera du mépris à nos peuples pour les dévotions qui ont le plus de vogue parmi nous. Étrange avertissement du chef des libertins et des sceptiques ! C'était à eux que profitait la guerre civile, contre eux et pour les catholiques, les protestants étaient des alliés naturels, vigilants, résolus, dont le concours n'eût pas été de trop pour défendre en commun le christianisme. En tirant sur les protestants, les catholiques du dix-septième siècle n'ont pas vu qu'ils tiraient sur leurs avant-postes.

 

 

 



[1] On sait qu'au dix-septième siècle, tous les événements, grands ou petits, depuis les affaires d'État jusqu'aux intrigues scandaleuses, donnaient tex le à des chansons qui couraient la cour et la ville, et dont beaucoup de gens s'empressaient de tirer copie. Il existe un. assez grand nombre de ces recueils manuscrits ; nous en possédons un entre autres rempli d'annotations très-curieuses. L'auteur de ces annotations nous est inconnu ; mais nous sommes certain d'avoir affaire à un homme de cour, fort répandu et de beaucoup d'esprit. Le morceau qu'on vient de lire est une simple note en marge d'une chanson sur la révocation de l'édit de Nantes. Cette note se termine par le paragraphe suivant, qui ne méritait pas les honneurs du texte, mais qui vaut la peine d'être ajouté ici, à titre de renseignement sur les rumeurs de l'opinion publique : On m'a dit, et peut-être n'est-il que trop vrai, que la première pensée et le conseil de persécuter les huguenots et d'abolir l'édit de Nantes a été suggéré aux jésuites François par leur général qui agissait par l'inspiration du conseil d'Espagne, à qui la Société a de tout temps été dévouée, et que la maison d'Autriche, qui a connu par ses malheurs ce qu'il en coûte de persécuter une religion, se voyant à la veille de sa dernière ruine par la trop grande puissance de ta France, a imaginé qu'il n'y avoit que dans les conseils des jésuites qu'elle pût trouver une ressource sûre pour noue affaiblir autant que les Espagnols l'ont été par la persécution des Maures, et les Pays-Bas par celle des protestants.

[2] Mémoire pour le rappel des huguenots, présenté à Louvois en décembre 1689.

[3] Mémoire sur les événements de 1678 à 1688. D. G. 1183.

[4] Maintenant qu'il plait à Dieu commencer à nous faire jouir de quelque meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu'à vaquer à ce qui peut concerner la gloire de son saint nom, et à pourvoir qu'il puisse être adoré et prié par tous nos sujets, et s'il ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même forme, que ce soit au moins d'une même intention.

[5] Je reproduis ici deux citations importantes que j'ai données ailleurs. Le 18 décembre 1664, M. de Grémonville, ambassadeur de Louis XIV à Vienne, rendant compte au roi d'une conversation qu'il avait eue avec te confesseur de l'Empereur, s'applaudissait d'avoir dit que le roi n'avoit d'autre application que d'extirper l'hérésie, et que, si Dieu, par sa grâce, continuoit le bonheur de son règne, on verroit, dans peu d'années, qu'elle s'éteindroit en France. Le 17 décembre 1665, Louvois écrivant au marquis de Pradel, chef du corps auxiliaire envoyé par Louis XIV en Hollande contre l'Évêque de Munster, blâmait le zèle excessif d'un officier français qui avait blessé, dans leurs croyances, les habitants d'une ville hollandaise, et il ajoutait ces paroles remarquables : La conduite que cet officier a tenue en ce rencontre, quoique très-conforme aux sentiments intérieurs de Sa Majesté, est tout à fait contraire à la .manière dont elle désire que l'on vive à l'égard d'un peuple extrêmement jaloux de sa religion, et qui n'est que trop bien informé du désir que Sa Majesté a d'abaisser ceux qui sont de celle qu'ils professent.

[6] Mémoires de Louis XIV, édition de M. Charles Dreyss, t. II, p. 391.

[7] Les assemblées générales du clergé de France se tenaient tous les cinq ans ; on a le recueil de leurs procès-verbaux. Voici, d'après ces procès-verbaux, les principales demandes contre les protestants adressées au roi par ces assemblées, de 1660 à 1685.

Assemblée de 1660. Défense aux .catholiques d'embrasser le calvinisme ; peines sévères contre les relaps, Exclusion des réformés des charges et emplois publics. Destruction des temples nouvellement bâtis. Suppression des hôpitaux, académies et collèges entretenus et dirigés par les réformés.

Assemblée de 1665. Mêmes demandes, si ce n'est que la pénalité contre les relaps, qui n'est que le bannissement, soit aggravée. Suppression des chambres de l'édit et des chambres mi-parties, établies à Castres, Bordeaux et Grenoble. Mainmise sur les biens possédés par les consistoires.

Assemblée de 1670. Mêmes demandes. Défense aux réformés de s'imposer entre eux. Défense aux réformés d'enseigner autre chose que la lecture, l'écriture et le calcul. Obligation de contribuer à l'entretien des églises et des écoles catholiques. Permission d'instruire et d'enlever à leurs familles les enfants des réformés, dès l'âge de sept ans.

Assemblée de 1675. Réitération des demandes qui n'ont pas été accueillies. Nullité des mariages mixtes ; incapacité des enfants nés de ces mariages. Imposition des ministres à la taille. Réclamation contre les synodes trop fréquents.

L'Assemblée de 1680 n'a presque plus rien à demander.

Assemblée de 1685. Défense aux réformés d'exercer les processions d'avocat, d'imprimeur, de libraire. Défense aux réformés de tenir logis, hôtels et cabarets. cs Que défenses soient faites à ceux de la R. P. R. de faire exercice de leur religion dans les terres et domaines du roi. En d'autres termes, révocation pure et simple de l'édit de Nantes.

[8] 7 et 25 janvier 1685. D. G. 741.

[9] Cette grâce était une pension de 6.000 livres.

[10] 13 février. D. G. 742.

[11] D. G. 744.

[12] Il y a dans les Mémoires de Louis XIV pour l'instruction du Dauphin, un morceau célèbre, rédigé par Pellisson, vers l'année 1674, sous ce titre : Conduite à tenir à l'égard des protestants ; les ramener sans violence. En voici quelques extraits : Je crois, mon que le meilleur moyen pour réduire peu à peu les huguenots de mon royaume étoit, en premier lieu, de ne les point presser du tout par aucune rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu'ils avoient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà, et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance pouvaient permettre. Mais, quant aux grâces qui dépendoient de moi seul, je résolus, et j'ai assez ponctuellement observé depuis, de ne leur en faire aucune, et cela par bonté, non par aigreur, pour les obliger par là à considérer de temps en temps, d'eux-mêmes et sans violence, si c'étoit par quelque bonne raison qu'ils se privoient volontairement des avantages qui pouvoient leur être communs avec tous mes autres sujets. Cependant, je résolus aussi d'attirer, même par récompense, ceux qui se rendroient dociles. Mais il s'en faut encore beaucoup que j'aie employé tous les moyens que j'ai dans l'esprit pour ramener ceux que la naissance, l'éducation et le plus souvent un zèle sans connoissance tiennent de bonne foi dans ces pernicieuses erreurs. Aussi j'aurai, comme je l'espère, d'autres occasions de vous en parler, sans vous expliquer par avance des desseins où le temps et les circonstances des choses peuvent apporter mille changements. Édition de M. Ch. Dreyss, t. II, p. 456. — Vers la même époque, madame de Maintenon écrivait à son frère : On m'a porté sur votre compte des plaintes qui ne vous font pas honneur. Vous maltraitez les huguenots ; vous en cherchez les moyens, vous en faites naître les occasions ; cela n'est pas d'un homme de qualité, Ayez pitié de gens plus malheureux que coupables. Ils sont dans des erreurs où nous avons été nous-mêmes, et dont la violence ne nous auroit jamais tirés. Henri IV a professé la même religion, et plusieurs grands princes. Ne les inquiétez donc point. Il faut attirer les hommes par la charité ; Jésus-Christ nous en a donné l'exemple, et telle est l'intention du roi.

[13] Au mois d'août 1673, l'évêque de Tournai et l'intendant de Flandre font savoir à Louvois que les habitants de Lille et de Tournai sont irrités de ce que les Suisses du régiment d'Erlach ont fait prêcher publiquement leur ministre, et chanté les psaumes. Louvois répond : Les sujets des villes de Flandre n'ont aucun sujet de se plaindre, quand il n'y a que les troupes qui font l'exercice de leur religion. Si les peuples font insulte au ministre, on les punira comme perturbateurs du repos public. D. G. 359.

[14] Le prix variait de 6 à 12 livres.

[15] Louvois à Marillac, 10 mars 1681 : C'est à M. de Châteauneuf que vous devez vous adresser pour ce qui regarde les affaires de la Religion en général, c'est-à-dire les jugements des temples, sur la conservation desquels les commissaires députés à cet effet ont été partagés ; mais pour toutes les autres affaires de votre département, hors celles de finances, c'est à moi à en rendre compte au roi, et je vous ferai savoir ses instructions fort promptement, lorsque vous me les demanderez. D. G. 653.

[16] Louvois à Marillac, 15 avril 1681. D. G. 654.

[17] Louvois à Marillac, 18 mars 1681. D. G. 653.

[18] On lit dans la même lettre : Quand il serait vrai que les prêches devroient cesser lorsqu'il n'y auroit pas dix familles pour y assister, cela ne se pour rait. jamais entendre du lieu où est situé ledit prêche, et il faudroit que dans tous les villages de l'étendue du ressort dudit prêche, il ne restât plus que dix familles de la R. P. R. D. G. 654 bis.

[19] Voir les dépêches de Louvois à Marillac, du 2 juin, et à l'intendant de Limoges, Lebret, du 20 juin, toutes deux citées en partie par Rulhières. D. G. 655. — Il y a, de ce même temps, à la date du 17 juin, une ordonnance odieuse qui permet aux enfants de se convertir, dès l'âge de sept ans ; c'est la destruction de la famille. Rien ne prouve, rien n'indique même que Louvois y ait eu part.

[20] D. G. 657.

[21] D. G. 658.

[22] 7 août. D. G. 657.

[23] Quelles libertés ! Mais c'est un agent de Louvois qui parle et qui ne veut pas lui déplaire.

[24] Nouvelles de Strasbourg, 21 août. L'on écrit de Hanau qu'on y traite pour l'établissement de cinq cents familles de la religion protestante qui s'y veulent retirer de France. — Nouvelles d'Hollande, 26 août. L'on voit ici tous les jours arriver et passer outre nombre de protestants qui se retirent de France, et l'on assure que déjà il est sorti de Sedan plus de deux cents familles qui se sont arrêtées pour la plupart à Maëstricht. A Leyde, il en est arrivé quelques-unes, et l'on y en attend encore d'autres à qui l'on a promis quelques douceurs ; et s'il y vient des manufacturiers de soie, on leur en fera bien d'autres. — 20 août. L'on assure qu'il est venu à Utrecht une personne de considération de France qui a proposé aux magistrats que, s'ils veulent recevoir quatre mille familles protestantes dans leur ville, et leur donner la bourgeoisie, les exempter de garde et de droit de maîtrise, et leur fournir des métiers ou des instruments pour exercer leurs arts, il les y feroit venir, et l'on ajoute qu'on lui a promis tout ce qu'il a demandé. MM. d'Amsterdam, qui veulent peupler leur nouvelle ville, feront encore davantage, si telles familles s'y arrêtent ; et s'il y a un nombre considérable, ils feront bâtir un quartier, et leur donneront toutes les franchises qu'il leur sera possible. — Nouvelles de Strasbourg, 4 septembre : On mande de La Haye qu'à Hambourg on fait bâtir quantité de maisons pour y loger ceux de la religion réformée qui sont contraints de quitter la France à cause de la persécution. On dit qu'une personne très-considérable a fait prier MM. les magistrats de la ville d'Utrecht d'y recevoir quatre mille familles pour le même sujet, et de leur vouloir concéder les mêmes privilèges dont jouissent leurs bourgeois. D. G. 668.

[25] D. G. 659.

[26] 10 décembre 1681. D. G. 660.

[27] 15 décembre.

[28] Louvois à Marillac, 6 et 24 février 1682 ; à Bâville, 20 février. D. G. 674.

[29] Louvois à Boufflers, 28 juillet 1683 : Les nouvelles que le roi a eues du Vivarez lui faisant juger que la canaille qui s'est assemblée sera dissipée facilement, Sa Majesté a résolu de n'y envoyer qu'un maréchal de camp. D. G. 700.

[30] Louvois à d'Aguesseau, 15 août, 5 septembre ; à Saint-Rhue, 16 et 24 août, 6 septembre ; à Saint-André, 16. et 24 août ; à Lebret, 6 septembre. D. G. 695-696.

[31] Louvois à Saint-Rhue, 14 septembre : Vous verrez, par l'amnistie que M. de Croissy a ordre d'adresser incessamment à M. Lebret, que le roi a résolu de pardonner aux religionnaires du Dauphiné, et que, hors les ministres et quelques coupables qui se sont plus distingués que les autres, Sa Majesté veut bien que l'on ne poursuive plus criminellement les coupables des attroupements, lesquels ne sont pas dans les prisons, et que Sa Majesté se contente de faire raser le temple de Bordeaux et celui de Bezaudun, à la place desquels elle veut que, aux dépens des religionnaires de ces deux communautés, il soit élevé une pyramide, sur laquelle sera mise une inscription qui marque que ces deux temples ont été abattus pour punition de la rébellion de ces deux communautés... J'oubliois de vous dire que l'intention du roi est que les maisons de ceux qui ont été exceptés dans l'amnistie, et celles des habitants de Bordeaux et de Bezaudun qui ont été tués, brûlés ou pendus, dans la rencontre que les dragons ont eue contre eux, soient rasées. D. G. 696.

[32] 1er octobre 1683. D. G. 697.

[33] Le fait que madame de Maintenon avait passé ses premières années dans la religion proscrite, lui faisait une situation très-difficile, entre les soupçons des catholiques et les reproches des protestants. Elle blâmait la persécution, mais en secret, n'osant pas se commettre pour les persécutés. On est bien injuste de m'attribuer tous ces malheurs, disait-elle avec amertume ; s'il était vrai que je me mêlasse de tout, on devrait bien m'attribuer quelques bons conseils. Ruvigny est intraitable ; il a dit au rai que j'étais née calviniste, et que je l'avais été jusqu'à mon entrée à la cour ; ceci m'engage à approuver des choses qui sont fort opposées à mes sentiments.

[34] Le mot mauvais a été biffé sur la minute ; nous avons cru devoir le restituer.

[35] Louvois à Bâville, 5 mars 1685. D. G. 743.

[36] Louvois à Bâville. 22 mars.

[37] Mémoire pour les secrétaires d'État, 16 juin 1685. D. G. 746.

[38] M. de Torcy m'a envoya un arrêt du conseil portant l'établissement d'un ministre pour baptiser les enfants de la R. P. R. ; mais je n'ai pas juges à propos de l'exécuter. Mémoires de Foucault, publiés par M. Baudry, p. 125.

[39] Voir ci-dessus, chap. IV.

[40] D. G. 747.

[41] 22 août 1685. D. G. 748.

[42] Louvois à Boufflers, 22, 21, 30 août. D. G. 748.

[43] Journal de Dangeau, 13 août 1685.

[44] 22 septembre. D. G. 749.

[45] Foucault arriva, le 7 septembre, à Poitiers.

[46] 14 septembre. D. G. 749.

[47] Marillac avait été rappelé à l'intendance de Rouen ; Louvois lui écrivait, le 1er novembre : A l'égard des plus gros marchands, négociants sur mer, français ou naturalisés, et des chefs des grosses manufactures., il faut, s'ils se contiennent chez eux et ne se mêlent pas de conforter les autres, surseoir de leur donner des troupes, et vous mettre dans l'esprit que ce n'est pas tout le monde que le roi veut convertir quant à présent, mais seulement la plus grande partie. D. G. 757.

[48] Louvois à Arnoul, 8 septembre. D. G. 757.

[49] Louvois à Boufflers, 8 septembre. — Déjà, le 27 août, il écrivait à Du Vigier, président au parlement de Bordeaux : Je vous supplie d'agir contre les bourgeois de Barbezieux de la R. P. R. qui ont contrevenu aux déclarations du roi, encore plus durement que si je n'étois pas le seigneur de ladite ville, puisque je désire que l'on s'y contourne plus exactement qu'ailleurs aux desseins de Sa Majesté. D. G. 748.

[50] Louvois à Boufflers, 19 septembre : J'ai cru vous devoir envoyer la lettre ci-jointe de M. de Larrey, par laquelle il me mande que, n'étant resté qu'un religionnaire dans une petite ville nommée Montignac, il y a établi huit dragons en garnison. J'ai encore reçu une autre lettre de M. Du Saussay, par laquelle il me mande qu'il a mis des dragons pour vivre à discrétion citez des religionnaires. Ce qu'ils ont fait l'un et l'autre étant contraire à ce que je vous ai mandé des intentions de Sa Majesté, j'ai cru ne devoir écrire qu'à vous, afin que, sans qu'il paroisse que le roi ait désapprouvé rien de ce qui a été fait, vous puissiez pourvoir à ce que les gens qui sont sous vous se contiennent dans les bornes prescrites par les ordres de Sa Majesté. D. G. 749.

[51] 2 octobre. D. G. 759.

[52] 16 octobre. D. G. 756.

[53] 8 novembre. D. G. 751.

[54] 18 septembre. D. G. 749.

[55] Louvois à Bercy, 18 septembre. D. G. 756. — Il n'y a guère que d'Aguesseau qui ait envoyé, quelques jours avant de céder à Bâville tendance de Languedoc, un mémoire probablement exact. Cet état, classé par erreur parmi les pièces relatives au mois d'août de l'année 1686, donne les chiffres suivants : Récapitulation des diocèses : Montpellier, 10.548 ; Nimes, 81.400 ; Uzès, 25.112 ; Mende, 18.189 ; Viviers, 13.199 ; Valence, en Vivarez, 4.265 ; Vienne, en Vivarez, 979 ; le Puy, 974 ; Agde, 1.514 ; Lodève, 556 ; Béziers, 2.505 ; Saint-Pons, 1.024 ; Castres, 12.557 ; Lavaur, 5.520 ; Toulouse, 497 ; Bas-Montauban, 1.240 ; Rieux, 4.105 ; Mirepoix, 1.165. Total, 182.787. D. G. 795.

[56] D. G. 749. — Voir une lettre analogue et de même date au chancelier Le Tellier. D. G. 747.

[57] Louvois aux commandants, 15 octobre. D. G. 750.

[58] Louvois à Grignan, 6 octobre. D. G. 750 — Louvois à La Trousse, 14 octobre. D. G. 756.

[59] Tessé à Louvois, 13 novembre. D. G. 795.

[60] Louvois à Le Tellier, 15 octobre : J'ai lu au roi la déclaration dont vous m'avez remis le projet, et que Sa Majesté a trouvé très-bien. Vous verrez, par la copie qui sera ci-jointe, que Sa Majesté y a fait ajouter quelques articles, sur lesquels elle sera bien aise de recevoir votre avis le plus tôt que faire se pourra. Sa Majesté a donné ordre que cette déclaration fût expédiée incessamment et envoyée partout, ayant jugé qu'en l'état présent des choses, c'étoit un bien de bannir au plus tôt tous les ministres qui ne se voudront pas convertir. D. G. 750.

[61] Voir la lettre de Louvois à Foucault, du 17 octobre. Mémoires de Foucault, p. 136.

[62] Louvois à Grange, intendant d'Alsace, 18 octobre : Vous entendrez dire, au premier jour, que le roi a fait publier une déclaration qui défend l'exercice de la R. P. R. dans toute l'étendue du royaume ; et, comme vous ne recevrez point d'ordre de Sa Majesté sur cela, je vous avertis que vous n'en devez point être surpris, parce qu'elle a résolu de laisser les affaires de la Religion dans votre département au même état qu'elles ont été jusqu'à présent. D. G. 750.

[63] Journal de Dangeau, 16 octobre 1685 : On sut que le roi avoit résolu d'envoyer des missionnaires dans toutes les villes nouvellement converties. Le P. Bourdaloue, qui devoit prêcher l'avent à la cour, va à Montpellier, et le roi lui dit : Les courtisans entendront peut-être des sermons médiocres, mais les Languedociens apprendront une bonne doctrine et une belle morale. Tous les ordres des religieux fourniront des missionnaires, et les jésuites plus que les autres.

[64] Louvois à Saint-Pouenges, 29 octobre : Je vous prie de remercier très-humblement Sa Majesté de l'ordre qu'il lui plaît de me donner de songer à ma conservation ; je ne suis pas persuadé que la douleur puisse altérer la santé, puisqu'avec celle que je sens, je me porte encore très-bien. Nous avons pensé perdre M. le chancelier cette nuit, lui ayant pris une foiblesse dans laquelle il a pensé passer ; cependant il se soutient encore, quoique extrêmement affoibli et que ses crachats soient de plus en plus mauvais. Les médecins craignent fort pour la nuit prochaine, Vous serez ponctuellement averti de tout ce qui se passera, et, dans le moment que Dieu l'appellera, je vous dépêcherai un courrier. S'il plaisait à Sa Majesté de donner l'ordre à M. de Seignelay de partir aussitôt après son arrivée, sans attendre le lever du roi ou le retour de la chasse, Sa Majesté me ferait une grande grâce, et en cas qu'elle vous témoigne approuver cette pensée, vous aurez soin d'aller avertir M. de Seignelay dès que le courrier arrivera. D. G. 756. — On lit dans le Journal de Dangeau, lundi 29 octobre : M. de Louvois envoya prier le roi de vouloir bien le dispenser d'apporter les seaux, après la mort de M. le chancelier qui est à l'agonie ; ce sont d'ordinaire les enfants quai les portent ; et il pria Sa Majesté de vouloir ordonner à M. de Seignelay de les venir querir. Et le mardi 30 : M. le chancelier mourut à Paris sur les trois heures, entre les bras de M. de Louvois qui lui ôta d'abord la clef des sceaux qu'il avoit pendue au col. M. de Seignelay est parti sur les huit heures pour aller querir les sceaux.

[65] Louvois aux gouverneurs de ses fils, 26 janvier 1685 : Comme je désire être particulièrement informé de ce que font mes enfants, je vous prie de m'envoyer, toutes les semaines, un mémoire de ce qu'ils auront fait chaque jour, qui me puisse faire connoître s'ils se seront conduits suivant les règles que j'ai prescrites. D. G. 741.

[66] Louvois à La Bouchardière, 11 mai 1685 : Il n'y a point d'inconvénient que mon fils couche un peu mal à son aise et ne trouve pas toutes les commodités dans les cabarets où il passe, étant bon de l'accoutumer à la fatigue. — Louvois à Souvré, 19 juin : Il me revient que vous n'êtes point civil pour les gens que vous rencontrez. Rien n'est plus propre à vous établir une réputation très-mauvaise dans le inonde, et vous devez compter que, tard que je saurai que vous ne vous déferez pas de cette mauvaise habitude, je ne vous laisserai point revenir en ce pays-ci, où je ne veux pas que l'on vous voie avec un pareil défaut. D. G. 745-746.

[67] Louis-François-Marie, né le 23 juin 1668.

[68] Louvois à Courtenvaux, 6 septembre 1685 : J'ai reçu votre lettre datée de Tournay, qui ne me dit pas un mot de l'état des ouvrages. Elle ne fait point mention non plus que Vous ayez Fait relever la garde de la ville par la gendarmerie ; comment est-il possible que pareille chose vous tombe dans l'esprit ? Il est bien à propos que cela ne vous arrive point à l'avenir, et si vous consultiez M. d'Hinneville sur ce que vous devez faire comme je vous l'ai recommandé, vous ne tomberiez pas dans ces inconvénients. Je ne puis comprendre non plus comment vous voulez vous mêler de faire prendre parti à des soldats auxquels, suivant l'ordonnance du roi, l'on doit donner congé, ni que, quand un sergent vous le refuse, vous le fassiez dégrader. Abstenez-vous de pareilles choses à l'avenir ; pensez uniquement à l'exécution de ladite ordonnance, et non pas à faire votre cour aux officiers d'infanterie. Que voulez-vous faire des capitaines de dragons que vous menez avec vous depuis Saint-Omer ? D. G. 749.

[69] Louvois à Valcroissant, 7 septembre 1655 : Je vous envoie la route que je désire que mon fils le commandeur suive pour visiter les places de Flandre. Je ne désire pas qu'il lui soit rendu aucun honneur, et vous tiendrez la main à ce que, pour quelque raison que ce soit ; on n'en use pas autrement. Recommandez-lui surtout d'être honnête à tout le monde, c'est-à-dire à l'égard du moindre officier, et de s'appliquer à leur parler, dans le temps qu'il sera avec eux, de manière qu'ils aient sujet de se louer de son honnêteté. — Louvois à Barbezieux, 7 septembre : Vous apprendrez par M. de Valcroissant le voyage que je désire que vous fassiez et le temps qu'il doit commencer. Je vous recommande surtout d'être honnête envers tous ceux que vous verrez dans le voyage, de quelque condition qu'ils soient, et de suivre en tout ce que vous dira M. de Valcroissant. Appliquez-vous à bien voir toutes les fortifications, et m'écrivez de chaque place ce que vous y aurez vu. Je vous embrasse de tout mon cœur. D. G. 749.

[70] Louvois à Valcroissant, fer octobre ; à Barbezieux, 9 octobre. D. G. 730.

[71] Le marquis de Tilladet revint au coucher du roi ; il avoit été absent depuis quinze jours, et on avoit raisonné sur son voyage. Ou en apprit le sujet ; il étoit allé à Louvois trouver M. de Courtenvaux qui se démet de la survivance de la charge de secrétaire d'État qu'a M. de Louvois, son père, et le roi la donne au commandeur de Louvois, son cadet. M. de Louvois avait eu la prévoyance de faire donner à son fils la démission de sa charge dès qu'il eut la survivance, afin qu'il la lui pût ôter quand il voudrait, ne l'y jugeait pas propre. Journal de Dangeau, 21 octobre 1685.

[72] Louvois à Seignelay, 1er novembre : Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien prendre l'ordre du roi pour expédier, en faveur de mon troisième fils, nommé Louis-François-Marie, marquis de Barbezieux, des lettres de survivance de la charge de secrétaire d'État dont je suis pourvu ; et ce, tant sur ma démission à condition de survivance, qui sera ci-jointe, que sur celle de mon fils de Courtenvaux, que vous trouverez aussi dans ce paquet. Il a plu à Sa Majesté de me faire la grâce qu'il pût signer aussitôt après qu'il aura prêté serment ; vous aurez agréable d'en faire mention, ou dans les lettres ou dans un brevet particulier, suivant que vous l'estimerez plus à propos. Je vous supplie aussi de vouloir bien lui faire expédier en même temps des provisions de secrétaire du roi en survivance de la charge dont je suis pourvu, et des lettres de conseiller d'État. Je vous serai fort obligé si vous voulez bien faire en sorte qu'il puisse prêter son serment mardi ou mercredi de la semaine prochaine. D. G. 751.

[73] 20 novembre. D. G. 751. — Courtenvaux avait pris, hors de France, le nom de comte de Beaumont ; son gouverneur, M. d'Hinneville, était autorisé à lui donner mille francs par mois. — Louvois à Beaumont, 10 décembre : Je vois avec plaisir que vous commencez à lire ; mais je serois bien aise que M. d'Hinneville me mandat que cela est vrai, n'ayant pas eu lieu, par le passé, de croire que vous mandez toujours la vérité. Souvenez-vous surtout de taire vos voyages à cheval, et que je n'entende pas parler que vous soyez paresseux. D. G. 752.

[74] 16 mars 1686. D. G. 763.

[75] Beaumont (Courtenvaux) à Louvois, 30 juillet 1686. D. G. 763.

[76] 14 décembre 1685. D. G. 758.

[77] Rulhières, Éclaircissements historiques, p. 341.

[78] Mémoires de Foucault, p. 139 et suivantes.

[79] Foucault n'eut plus guère que des dégoûts dans son intendance de Poitiers. Louvois affectait de prendre pour confident et pour exécuteur de ses ordres un nouveau converti, le marquis de Vérac, qui fut nommé lieutenant général pour le haut Poitou. Au commencement de l'année 1689, Foucault quitta la généralité de Poitiers pour celle de Caen. Mais quoiqu'il fût hors du département de Louvois, il reçut encore quelques marques de son mauvais vouloir. Ainsi, les milices ayant été mises sur pied clans la basse Normandie, Louvois, par une lettre du 5 janvier 1690 gourmande rudement Foucault sur le désordre dans lequel il laisse les compagnies du régiment de Fontenay, la plupart des hommes n'ayant ni armes ni souliers, et aussi, sur ce que, lorsque les commissaires des guerres s'adressent à lui, il ne se donne pas la peine de leur répondre, et les renvoie à ses subdélégués. D. G. 910.

[80] 8 novembre 1685. D. G. 751.

[81] Louvois à Bossuet, intendant de Soissons, 23 novembre 1685 : Sa Majesté aura bien agréable qu'à l'égard des gentilshommes, vous tentiez les voies de la douceur auparavant que de loger chez eue ; mais son intention est que, si vous ne les pouvez porter à se faire instruire par honnêteté, vous les y obligiez pas logements de gens de guerre, lesquels, pendant qu'ils seront chez les gens de la R. P. R., devront, à l'égard du fourrage, subsister à leurs dépens, être nourris grassement par eux, et, outre ce, toucher vingt sols par place d'ustensile. D. G. 751.

[82] Louvois à Noailles, 6 novembre 1685. D. G. 751. — La même dépêche se retrouve dans le t. 757, mais à la date du 8 novembre.

[83] Louvois à Boufflers, 7 novembre. D. G. 757. — Louvois à Bezons, 21 décembre : L'intention de Sa Majesté est que vous augmentiez la garnison qui est chez le seul homme de la R. P. R. qui reste à Crevant, autant que vous le jugerez à propos, et que, s'il ne se convertit pas, vous le fassiez mettre en prison, en laissant toujours ladite garnison chez lui. D. G. 752.

[84] 24 novembre. D. G. 757.

[85] Louvois à Beaupré, 17 et 19 novembre. D. G. 757.

[86] Louvois aux inspecteurs, 4 novembre 1685 : Présentement que la plus grande partie des sujets du roi qui étoient de la R. P. R. se sont convertis, Sa Majesté s'attend que ce qui reste d'officiers dans les troupes, de cette religion, ne seront pas les derniers à prendre le bon parti. Pour cela, Sa Majesté désire que vous les y exhortiez, et que vous fassiez savoir à Sa Majesté la réponse que chacun desdits officiers vous aura faite, lorsque vous leur aurez tenu le discours qu'elle désire que vous leur fassiez. — Louvois aux intendants, 27 novembre. Tarif des conversions : 6 pistoles aux maréchaux des logis, 4 aux sergents, 3 aux cavaliers, 2 aux soldats. — Louvois aux inspecteurs, 11 décembre. Ordre de presser les conversions, soit en menaçant les soldats de leur refuser leur congé, soit en faisant appréhender aux officiers que le roi ne congédie les hommes qui refuseront de se convertir, et ne les fasse remplacer aux dépens des officiers. D. G. 751-752.

[87] Louvois aux inspecteurs, 18 février 1686. D. G. 773.

[88] 6 novembre 1685. D. G. 751.

[89] Louvois à Arnoul, 7 janvier 1686 ; à Vrevin, 8 janvier ; à Saint-Rhue, 16 janvier ; à d'Asfeld, 2 avril. D. G. 773-774.

[90] Louvois à l'archevêque de Cambrai, 22 janvier 1686 : Le roi a été informé qu'il y a plusieurs religieux ignorants dans votre diocèse qui se mêlent d'instruire les religionnaires, et que, entre autres, un capucin de Maubeuge a rebuté de faire convertir un soldat de cette garnison par plusieurs discours inutiles qu'il lui a tenus, lui disant qu'il n'avoit d'autre voie pour faire son salut que par l'intercession de Saint-François, devant une image duquel il Pa tenu longtemps à genoux, et Va ensuite renvoyé indignement, parce qu'il ne vouloit pas se soumettre à croire tout ce que lui disoit sur cela ce religieux. Comme il est important d'éviter ces inconvénients dans la conjoncture présente, Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir qu'elle aura bien agréable que vous ne commettiez que des gens qui entendent bien la matière dont il s'agit et capables d'attirer les religionnaires par leur docilité et par de bonnes raisons. — Louvois à Boufflers, 11 février : Sa Majesté a vu avec surprise ce que vous me mandez de la vie scandaleuse des curés du pays où vous êtes et de leurs révoltes contre leurs évêques, puisque lesdits évêques doivent avoir été avertis par M. de Châteauneuf que Sa Majesté leur donnera toute la protection qu'ils désireront pour ôter les mauvais curés et les mettre en état d'en établir de bons en leur place. D. G. 773.

[91] Louvois à Bâville, décembre 1685. D. G. 758.

[92] 25 juillet 1686. D. G. 775.

[93] Louvois à Tessé, 9 juin 1680 : Il ne faut point écouter les remontrances que fait M. l'évêque de Grenoble pour empêcher qu'il n'entre des troupes dans cette ville pour réduire les religionnaires et obliger les nouveaux convertis à faire leur devoir, parce que la charité lui fait désirer des choses qui ne feroient pas de bons effets. Ainsi vous devez y faire entrer des troupes et faire connoître par hi à ceux qui s'y sont retirés qu'ils n'y trouveront point de protection, s'ils ne font pas ce que le roi désire. D. G. 774.

[94] 27 avril 1686. D. G. 795.

[95] Louvois à Bâville, 10 mars 1686 ; à La Trousse, 9 avril. D. G. 774.

[96] Louvois à La Trousse, 10 juin 1686 : Sur ce que j'ai représenté au roi du peu de cas que font les Femmes du pays où vous êtes des peines ordonnées contre celles qui se trouvent à des assemblées, Sa Majesté ordonne que celles qui ne seront pas demoiselles [c'est-à-dire nobles] seront condamnées par M. de Bâville au fouet et à avoir la fleur de lys. — 22 juillet : Le roi ayant jugé à propos de faire expédier une déclaration, le 15 de ce mois, par laquelle Sa Majesté ordonne que tous ceux qui se trouveront dorénavant à de pareilles assemblées seront punis de mort, M. de Bâville ne recevra point l'arrêt que je vous ai mandé contre les femmes, devenant inutile au moyen de cette déclaration. D. G. 774-775.

[97] 29 octobre 1686. D. G. 795.

[98] 21 octobre. D. G. 775.

[99] 3 et 7 janvier 1687. — On prit, en effet, à Nîmes, cinquante hommes et femmes qui furent déportés en Amérique.

[100] Cependant Louvois ne renonce pas à l'ancienne pénalité. Le 10 janvier 1687, il écrit à Bâville : Sa Majesté n'a pas cru qu'il convint à son service de se dispenser entièrement de l'exécution de la déclaration qui condamne à mort ceux qui assisteront à des assemblées. Elle désire que de ceux qui ont été à l'assemblée d'auprès de Nîmes, deux des plus coupables soient condamnés à mort, et que tous les autres hommes soient condamnés aux galères. Si les preuves ne vous donnent point lieu de connaître qui sont les plus coupables, le roi désire que vous les fassiez tirer au sort, pour que deux d'iceux soient exécutés à mort. D. G. 797 — Louvois à La Trousse, 25 août 1688 : Sa Majesté désire que vous donniez ordre aux troupes qui pourront tomber sur de pareilles assemblées de ne faire que fort peu de prisonniers, mais d'en mettre beaucoup sur le carreau, n'épargnant pas plus les femmes que les hommes ; et cet exemple fera assurément beaucoup plus d'effet que celui que pourroit ordonner la justice ordinaire. D. G. 836.

[101] 28 janvier. D. G. 797.

[102] Louvois à Bissy, 20 août 1686. D. G. 775.

[103] Louvois à Boufflers, 16 décembre 1687. — Louvois à Seignelay, 19 janvier 1688. Douze habitants de Metz doivent être embarqués pour l'Amérique, parmi lesquels deux officiers, un notaire, un avocat et sa femme. D. G. 798-800.

[104] Louvois à Bâville, 19 octobre 1689. D. G. 907.

[105] Louvois à Charuel, 9 décembre 1686 : Le roi apprend qu'il meurt plusieurs nouveaux convertis à Metz, aux cadavres desquels on fait le procès, parce qu'ils ont refusé de recevoir les sacrements, ce qui multiplie inutilement une punition qui cause du scandale aux nouveaux convertis bien intentionnés. D. G. 775.

[106] Louvois à Fautrier, 31 décembre 1685. D. G. 758.

[107] Louvois au marquis de Lambert, 30 janvier 1680. D. G. 773.

[108] Tessé à Louvois, 6 juin 1686.

[109] Louvois aux intendants, 8 décembre 1686.

[110] Louvois à Bissy, février 1687. D. G. 797.

[111] 16 décembre 1687. D. G. 798.

[112] La Berchère à Louvois, 10 novembre 1688. — Montgaillard à Louvois, 1er novembre : La prophétie de Dumoulin qui prédit qu'ils doivent être quasi tous anéantis pendant trois ans, mais que Dieu suscitera un homme qui rétablira la religion en France où ils seront plus autorisés que jamais, fait tant d'impression sur leurs esprits qu'ils ajoutent autant de foi sur cette illusion que nous en ajoutons sur les choses les plus saintes. Leurs insolences et leurs faux bruits ont tellement intimidé les prêtres et moines de mon pays qu'ils sont toujours dans dès appréhensions d'être égorgés. D. G. 837.

[113] Mémoire inédit, déjà cité. D. G. 1183.

[114] C'est dans ce mémoire que Vauban évalue ainsi les dommages déjà causés à l'État par le fatal projet d'établir l'unité religieuse en France : 1° La désertion de 80 ou 100.000 personnes de toutes conditions sorties du royaume, qui ont emporté avec elles plus de 30.000.000 de livres de l'argent le plus comptant ; 2° nos arts et nos manufactures particulières, la plupart inconnues aux étrangers, qui attiroient en France un argent très-considérable de toutes les contrées de l'Europe ; 3° ruine de la plus considérable partie du commerce ; 4° il a grossi les flottes ennemies de 8 à 9.000 matelots des meilleurs du royaume, et 5° leurs armées de 5 à 600 officiers et de 10 à 12.000 soldats beaucoup plus aguerris que les leurs, comme ils ne l'ont que trop fait voir dans les occasions qui se sont présentées de s'employer contre nous.

[115] Louvois à Vauban, 5 janvier 1690. D. G. 910.

[116] C'est là L'unique objet de sa correspondance au sujet. des huguenote pendant l'année 1690.

[117] Ce mémoire, déjà cité, a dû être écrit vers l'année 1693, alors que Chamlay était presque un ministre de la guerre. D. G. 1183.

[118] Chamlay fait ici une confusion évidente. Il semble, d'après son récit, que les dragonnades n'ont eu lieu qu'après la révocation de l'édit de Nantes. Ce n'est pas pour l'exactitude des faits que nous citons ce mémoire, c'est pour les idées et les sentiments qu'il exprime.

[119] Addition au mémoire sur le rappel des huguenots. Cette addition est de l'année 1692, par conséquent postérieure à la mort de Louvois.

[120] Pensées diverses sur les comètes, 1681.