HISTOIRE DE LOUVOIS

TOME PREMIER

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Introduction. — Caractère de Le Tellier. — Caractère de Louis XIV. — La noblesse. — Les ministres. — Origine et commencements de Le Tellier. — Le Tellier secrétaire d'État. — Sa conduite pendant la Fronde. — Lettre de Mazarin et réponse de Le Tellier. — Éducation de ses enfants. — Louvois. — Mort de Mazarin. — Chute de Fouquet. — Lettre de Le Tellier au marquis de Charost. — Louis XIV et ses ministres. — Louvois secrétaire d'État. — Son mariage. — État de l'Europe. — Portrait de la France et de Louis XIV. — Affaire du duc de Créqui. — Préparatifs de guerre contre le pape. — Campagne de Hongrie. — La ligue du Rhin. — Difficultés pour le choix d'un général. — Le comte de Coligny. — Le contingent français. — Marche des Français à travers l'Allemagne. — Montecucculi. — Combat de Kermend. — Bataille de Saint-Gothard. — Premier sentiment des Viennois. — Coligny et La Feuillade. — Ingratitude des Autrichiens. — Souffrances des troupes françaises. — Mécontentement de Louis XIV. — Traité de paix entre l'Empereur et les Turcs. — Jalousie contre la France. — Affaire d'Erfurt. — Retour des troupes françaises. — Coligny injustement traité. — La Feuillade, M. le Prince et les ministres. — Les généraux et les intendants. — Désordres dans l'armée. — Rôle des intendants et des commissaires des guerres. — Expédition de Gigeri. — Lettre de Louvois sur le châtiment d'un soldat.

 

Parmi les oraisons funèbres de tant de princes et de grands seigneurs dont Bossuet et Fléchier célèbrent l'illustre naissance pour mieux marquer le néant des grandeurs humaines, une seule fait exception, l'oraison funèbre de Michel Le Tellier. Celui-ci n'a pas d'aïeux ; c'est un homme nouveau, même dans la robe, et qui ne se défend pas de l'être ; chose rare dans une société où la naissance était le premier des titres à la considération, où les Colbert eux-mêmes portaient avec impatience la tache de leur origine vulgaire. De tous les mérites que les orateurs sacrés relèvent dans ce bourgeois devenu ministre et chancelier de France, celui qu'ils se plaisent à louer davantage, c'est la modération dans la jouissance : Il goûtoit un véritable repos dans la maison de ses pères qu'il avoit accommodée peu à peu à sa fortune présente, sans lui faire perdre les traces de l'ancienne simplicité[1] ; il a vécu, non pas comme un seigneur, mais comme un patriarche, avec ces richesses innocentes qui ont entretenu son honnête et frugale opulence[2]. Cette modération n'était point affectée ; le duc de Saint-Simon lui même la reconnaît sincère ; mais, pour avoir été dans h$ goûts du ministre, elle n'en était pas moins habile et toute propre à le conserver dans la faveur du maitre.

Le Tellier avait vu naître et se développer les sentiments et les idées de Louis XIV ; il savait qu'aux yeux d'un prince infatué de sa propre grandeur, et dont l'immense égoïsme absorbait tout le royaume en lui-même, il n'était genre d'autorité, de considération, de vertu, de talent, qui ne lui fût suspect et ne lui parût comme rebelle et factieux, s'il n'avait été créé, ou tout au moins consacré par la volonté royale. La naissance lui était particulièrement importune, parce qu'elle constituait l'héritier d'un grand nom dans une sorte d'indépendance ; elle ne devenait, à ses yeux, un titre que lorsque, par une capitulation plus ou moins éclatante, selon l'origine et l'illustration de sa race, le gentilhomme se résignait à solliciter un emploi militaire, une pension, une charge de cour ; mais, lorsqu'il s'abstenait ou se retirait prématurément du service, lorsqu'il se retranchait dans la vieille existence seigneuriale, alors sa naissance, qui pouvait lui donner du crédit dans sa province, devenait, auprès du roi, un grief de plus, une circonstance aggravante. Les princes du sang eux-mêmes n'obtinrent qu'à grand'peine quelques-unes de ces distinctions que Louis XIV ne cessa de prodiguer à ses bâtards. C'était de ses ministres surtout qu'il exigeait une dépendance absolue ; ceux-là étaient bien réellement ses créatures, menacés sans cesse de retomber dans le néant d'où son caprice les avait tirés pour les imposer aux plus grands de l'État, comme les représentants et les interprètes de son autorité souveraine. Il fallait être prince, duc ou maréchal de France pour se soustraire à l'obligation d'appeler un secrétaire d'État monseigneur ; il est vrai que c'était la fonction, presque royale, qu'on saluait ainsi, et non l'homme, qui pouvait disparaître du jour au lendemain, sans laisser de trace. Bossuet, prononçant dans l'église des religieuses de Chaillot l'oraison funèbre de la reine d'Angleterre, a fait voir, en quelques mots sublimes, la puissance de Dieu sur les rois ; du gouvernement divin, descendons à la politique humaine ; au lieu des princes, mettons les ministres, et Louis XIV à la place de Celui qui règne dans les cieux ; le tableau est frappant ; voilà bien les hommes auxquels le roi communique sa puissance et auxquels il commande d'en user comme il l'ait, pour le bien du monde ; puis, tout à coup, il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, et il leur fait voir que tout leur pouvoir est emprunté. Fouquet tombe, Colbert et Le Tellier s'élèvent ; la chute de l'un, la fortune des autres, démontrent et servent également la grandeur de Louis XIV.

L'admiration est d'abord universelle, et, s'il y a quelques mécontents, leur voix est couverte par l'applaudissement de la foule ; mais, quand l'applaudissement cesse ou seulement diminue, les protestations éclatent, passionnées, excessives, et contre le maître et coutre ses créatures, qu'il comble de pouvoir et de richesses : Les nouveaux grands, s'écrie un jour quelque Saint-Simon inconnu, les nouveaux grands, qui sortent de la poussière et qui montent jusque près du trône ne servent qu'à abattre les maisons anciennes et à les anéantir. Ce sont les tyrans de l'État et les sangsues. Il seroit bien plus utile que le bien fût répandu dans le public que d'être ramassé dans un particulier ; on peut dire que c'est un bien perdu pour le royaume, car de ces grands réservoirs où le roi fait couler toute la substance de ses sujets, il n'en sort plus rien pour le bien de l'État. Mais n'importe ! cela fait et cela prouve la grandeur du prince. Ce sont des colosses qui montrent la vaste imagination et la grande capacité de l'ouvrier. On montrera quelque jour ces superbes maisons de nouvelle érection, et on dira : Voilà les ouvrages de Louis le Grand ; jugez combien était grand celui qui les a faits ! Si ce n'est qu'une maligne étoile ne se lève avec le successeur, qui versera, sur ces tètes nouvellement élevées, des influences toutes semblables à celles qui ont désolé les Fouquet et ses pareils, ce que chaque particulier espère pour sa consolation et pour sa vengeance[3]... On n'admet au gouvernement que des gens propres à faire des esclaves, des hommes d'une naissance au-dessous de la médiocre ; tel est un M. de Louvois, petit-fils d'un bourgeois de. Paris, en son temps occupant une charge de judicature au Châtelet ; tel étoit un M. Colbert, fils d'un marchand de Reims. On élève ces viles têtes au-dessus de toutes celles du royaume ; ils règnent pendant que les princes du sang plantent des choux dans leurs maisons de campagne. On comble ces indignes ministres de bienfaits ; on les rend riches et puissants au delà de tout ce qui se peut imaginer. Aussi prennent-ils un air d'autorité qui foule aux pieds tout ce qui passe devant eux. Un M. de Louvois, un Seignelay, traitent te ms ceux sur qui leur autorité s'étend avec une brutalité sans pareille, et une hauteur qu'on auroit peine à souffrir dans le souverain lui-même. Il est aisé de comprendre comment de telles gens sont intéressées à maintenir une tyrannie et une puissance despotique dont ils sont les ouvrages, les instruments et les maîtres. Le roi veut paroitre tout faire ; si on l'en croit, il ne se laisse pas gouverner ; et jamais il n'y eut au monde prince plus esclave de ses ministres. La différence de lui et des autres rois conduits par leurs ministres, c'est que les autres se laissent conduire par un seul, et ci-devant le roi en croyoit plusieurs ; il est vrai qu'il est aussi aujourd'hui tombé dans les mains d'un seul homme[4].

Ce seul homme, c'est Louvois. Louvois n'a jamais eu le titre de premier ministre, il en a eu réellement toute l'autorité ; montrer comment il y est arrivé, comment il a usé et abusé du pouvoir, les grandes choses qu'il a faites et les grandes fautes qu'il a commises, tel est l'objet de cette histoire.

Sa fortune a été rapide, mais il n'en a pas été le seul artisan ; très-différent de Le Tellier et très-supérieur à lui. Louvois a dû beaucoup à son exemple, à ses conseils, à sa modération surtout, qui, en rassurant Louis XIV sur les desseins du père, lui a fait accepter et encourager sans défiance le dévouement précoce, les talents et l'ambition du fils. Un court aperçu de la vie de Le Tellier est la préface nécessaire de l'histoire de Louvois.

La généalogie reconnue de Michel Le Tellier ne remonte pas au delà de son grand-père ; c'était, suivant certaines traditions, un ligueur très-ardent, commissaire d'un quartier de Paris, et qui reçut du duc de Mayenne, son protecteur, une charge de maitre des comptes, dépouille de quelque honnête royaliste. Ce maitre des comptes acheta la terre de Chaville ; il eut un fils conseiller à la cour des aides, qui mourut jeune, après avoir eu, de Claude Chauvelin, six filles et un fils. Michel Le Tellier, ce fils unique, naquit à Paris, le 19 avril 1603. Après avoir fait ses études au collège de Navarre, il fut pourvu, à vingt et un ans, d'une charge de conseiller au Grand-Conseil ; cinq ans après, en 1629, il épousa la fille de M. Turpin, conseiller d'État, et beau-frère du chancelier d'Aligre. La protection du chancelier, oncle de sa femme, tira bientôt Le Tellier du Grand-Conseil pour le porter à la charge considérable de procureur du roi au Chatelet[5]. Le surintendant des finances, M. de Bullion, avait des procès : Le Tellier lui rendit quelques services dont le lieutenant civil, Laffemas, ennemi du surintendant, sut fort mauvais gré au procureur du roi. L'inimitié de ce favori du cardinal de Richelieu était très-redoutable, surtout pour un magistrat que ses fonctions mettaient tous les jours en rapport avec lui. Après quelques années de tiraillements et de lutte, Le Tellier laissa l'honneur du champ de bataille à son adversaire et quitta le tribunal, pour entrer au conseil d'État comme maitre des requêtes. L'influence du surintendant, contrariée au Chatelet par le ressentiment du lieutenant civil, prit sa revanche dans le conseil. La Normandie venait d'être agitée par la sédition des va-nu-pieds ; le chancelier Séguier et Talon, conseiller d'État, allaient être envoyés à Rouen pour faire le procès aux factieux ; par une distinction remarquable, le nouveau maitre des requêtes leur fut adjoint. Peu de mois après, on apprit que l'intendant de l'armée française en Piémont, d'Argenson, s'était laissé prendre par les Espagnols. M. Des Noyers, le secrétaire d'État de la guerre, était parent de d'Argenson et ennemi du surintendant ; cependant M. de Bullion réussit à battre le secrétaire d'État sur son propre terrain, et, malgré l'autorité de sa charge et ses intérêts de famille, l'intendance de Piémont fut donnée à Le Tellier[6].

La situation que le triomphe et l'amitié du surintendant faisaient à son protégé ne laissait pas d'être difficile. Absolument neuf dans les questions d'administration militaire, plus délicates encore en pays étranger, obligé de faire son éducation sous la surveillance jalouse d'un ministre irrité qui devait saisir toutes les occasions de le prendre en faute, Le Tellier se sauva par son application et surtout par sa dextérité. Après quelque temps d'épreuve, l'armée se montra satisfaite de son intendant ; mais où il fit merveille, ce fut à la cour de Turin, dans laquelle, dit son biographe, Claude Le Peletier, il parut avec toutes les qualités d'un bon courtisan, quoique, jusqu'à cet emploi, son genre de vie eût été tout différent. Désormais la carrière des grandes affaires lui était ouverte. Sur ces entrefaites, Mazarin, chargé par Richelieu de négocier la paix entre la régente et les princes de Savoie, fit quelque séjour à Turin ; il y vit Le Tellier, apprécia les qualités et les ressources de son esprit, et de retour à Paris, où il fit son éloge, il continua de correspondre avec lui. Jamais patron et client ne furent mieux assortis : finesse d'esprit, souplesse de caractère, affectation de politesse, modération dans le succès, persévérance dans les revers, tels étaient les traits communs de leur génie. Ces deux hommes s'étaient reconnus au premier coup d'œil et sentis nécessaires l'un à l'autre ; dés lors ils associèrent leur fortune. Aussi, lorsqu'à la mort de Richelieu, M. Des Noyers, dans un moment d'humeur, cessa ses fonctions de secrétaire d'État, sans donner cependant la démission de sa charge, le premier soin de Mazarin fut d'y appeler Le Tellier et de la lui faire exercer par commission. Il prêta serment le 1er mai 1613, douze jours seulement avant la mort de Louis XIII. Placé sur un plus grand théâtre, Le Tellier y développa les qualités qui l'avaient fait remarquer et goûter à Turin, mais avec une réserve calculée et sans vouloir d'abord faire trop d'éclat.

La situation du cardinal Mazarin, quoiqu'il eût pour lui toutes les complaisances de la reine Anne d'Autriche, était encore bien précaire au début de la régence, et celle de Le Tellier, quoique favori du favori, l'était encore davantage. Les commencements de la régence, dit Claude Le Peletier, furent pleins d'agitations et d'incertitudes, jusqu'à ce que la cour eût pris une situation fixe par l'établissement du ministère de M. le cardinal Mazarin. M. Des Noyers s'étoit bientôt lassé de sa retraite ; il revint à la cour faire pitié à tout le monde ; il en sortit une seconde fois avec aussi peu de satisfaction, et par sa mort, qui arriva incontinent après, M. Le Tellier fut pourvu en titre de la charge de secrétaire d'État[7]. Il s'attachoit uniquement à ses devoirs, sans donner trop d'ouverture aux gens de cour d'entrer en commerce avec lui. Il établit un grand ordre dans ses affaires domestiques et beaucoup de modestie dans son train, par principe de vertu et de modération, estimant qu'un homme de bien et un sage père de famille ne peut s'enrichir que par une honnête économie. Bientôt commença la tragi-comédie de la Fronde. Sans vouloir se mêler aux grands personnages qui tenaient le devant de la scène, sans sortir du second plan, quelquefois même retiré dans l'ombre des coulisses, Le Tellier ne cessa jamais d'être mêlé à l'action ; on peut vraiment dire qu'il eut le secret de la comédie. Ce fut lui, par exemple, qui, le 18 janvier 1650, expédia tous les ordres pour l'arrestation des princes, et qui, plus tard, les fit transférer au Havre. Il eut à subir bien des assauts, soit qu'on fit effort pour l'expulser de sa charge, soit que les divers partis, la vieille et la nouvelle Fronde, voulussent se servir de lui comme d'un instrument pour leurs projets ; il resta, malgré tous, secrétaire d'État et Mazarin. Pendant la retraite du cardinal à Brûla, il s'enferma de lui-même six mois à Chaville, continuant d'ailleurs de correspondre avec le premier ministre, comme le premier ministre continuait de correspondre avec la reine. Enfin, quoiqu'il n'eût pas le goût de se compromettre, il se compromit pour les intérêts confondus du roi, du royaume et du cardinal, et son biographe a pu dire sans exagération : M. Le Tellier a plus agi que personne dans les conjonctures importantes de ces temps difficiles où il n'a pas pu cacher son ministère, comme il a toujours fait depuis.

Cependant, de ce dédale d'intrigues et de cabales où son esprit s'affina, son caractère sortit faussé ; le droit chemin ne lui convenait plus, mais les sentiers tortueux et couverts ; il resta dissimulé, cauteleux avec ses ennemis, défiant, soupçonneux, même avec ses amis. Mazarin triomphant ne le trouva plus aussi zélé que Mazarin proscrit. Un jour, en 1659, le premier ministre lui mandait[8] : Le roi m'ayant écrit qu'il s'étoit entretenu au long avec vous sur les choses arrivées dans son bas âge et durant les révolutions qui avoient tant agité ce royaume, et qu'il avoit vu, par le récit que vous lui en aviez fait, les grandes obligations — pour user de ses termes — qu'il m'avoit, je vous prie de profiter de toutes les occasions que Sa Majesté vous donnera, pour le bien informer du passé et du présent, et lui faire connoître de plus en plus qu'on n'a rien oublié pour le bien servir et mettre les choses dans l'état où elles sont à présent, nonobstant les fortes oppositions qu'on y a rencontrées, et que presque toujours les malintentionnés du royaume, puissants par leur qualité et par le nombre, n'ont pas moins travaillé avec la force et la malice que les ennemis du dehors pour empêcher le bon succès des affaires de Sa Majesté, et vous pouvez vous avancer à lui dire que vous savez que ma plus forte passion est de la voir appliquée à se rendre aussi capable et honnête homme qu'il est grand roi, et que je suis persuadé que si Sa Majesté veut, cela sera. Après quoi, étant déjà avancé dans je songerois à me retirer pour songer à mon salut et à bien prier Dieu pour la santé de Sa Majesté, pour son bien et celui de l'État ; et il ne sera pas mal qu'elle reconnoisse qu'on n'a pas toujours eu ces mêmes maximes, parce que assurément on n'a-voit pas la passion pour la gloire des rois que j'en aurai, jusques au dernier moment de ma vie, pour celle de Sa Majesté. Le Tellier n'aimait pas à se brouiller sans motif sérieux, même avec les morts ; il flaira, dans ces dernières lignes, quelque piège tendu aux admirateurs de Richelieu ; il craignit de s'y prendre lui-même et d'être accusé de porter atteinte à la mémoire de ce grand ministre ; il refusa nettement de se commettre dans une telle aventure ; mais sa réponse à Mazarin fut un chef-d'œuvre[9] : Quant à ce qu'il plaît à Votre Éminence me commander de faire à l'égard du roi, si je pouvois m'expliquer aussi heureusement comme je connois parfaitement les avantages que Sa Majesté et son État ont reçus de tout temps des services de Votre Éminence, je pourrois lui répondre que j'exécuterois ses ordres en cela fort exactement ; mais n'ayant qu'un très-foible talent, je supplie très-humblement Votre Éminence d'excuser mon insuffisance et d'agréer mes intentions, qui seront toujours très-sincères pour lui obéir et la servir en toutes occasions.

Malgré ce refus dont, sans doute, la forme sauva le fond, Le Tellier n'en fut pas plus mal avec Mazarin, qui lui écrivit familièrement quelques jours après[10] : Vous ne mandez pas, par modestie, de quelle manière votre fils l'abbé a soutenu les thèses qu'il m'a dédiées, mais on m'écrit de Paris qu'il a fait merveille, et je n'en suis pas surpris, sachant qu'il a bien étudié et avec l'application nécessaire pour réussir dans une semblable action. Louer ainsi le fils, c'était combler le père, qui, satisfait de sa propre fortune, travaillait de tous ses soins à fonder celle de ses enfants. Sa fille, qu'il établit grandement, épousa le marquis de Villequier, depuis duc d'Aumont, capitaine des gardes et premier gentilhomme de la chambre ; de ses trois fils, le premier était mort à neuf ans, en 1645 ; le second, François-Michel, né à Paris le 18 janvier 1641, fut le marquis de Louvois ; le troisième, Charles Maurice, né à Turin en un, destiné à l'Église, devint, en 1668, coadjuteur du cardinal Barberini, archevêque de Reims, auquel il succéda en 1671. Tout le temps que Le Tellier pouvait dérober aux devoirs de sa charge, il le consacrait à l'éducation de ses fils. Pour y donner une application particulière, dit Claude Le Peletier[11], il pria M. le cardinal de lui laisser les matinées des dimanches, qu'il passoit tout entières dans le collège de Clermont, à se faire rendre compte de leurs études, prenant occasion de répandre dans le cœur de messieurs ses entants les semences de la vertu et de l'émulation par les exemples et les discours qu'il croyoit plus capables de faire impression sur leurs jeunes esprits, et, lors même qu'il étoit éloigné de Paris par les voyages de la cour, il écrivoit des lettres pleines d'instructions très-utiles, et il vouloit qu'on lui rendit compte de tout ce qui se passoit. M. Le Tellier n'a jamais rien relâché de cette exactitude pendant tout le cours des études de messieurs ses enfants, ayant été le premier homme de sa condition qui a donné ce bon exemple aux pères.

Le Tellier fut bien récompensé de son application ; au mois de décembre 1655, il obtint pour Louvois la survivance de sa charge de secrétaire d'Étai, et, quelques jours après, le brevet de conseiller d'État ordinaire ; Louvois n'avait pas tout à fait quinze ans. Cette faveur précoce n'étonna personne ; d'abord, elle n'était pas sans précédents, puis on vivait dans cette idée que, le premier ministre ayant seul tous les pouvoirs entre ses mains, les secrétaires d'État n'étaient que des personnages subalternes, des commis aux écritures en quelque sorte ; on ne s'inquiétait donc point de voir leurs charges passer de père en fils, comme celles de judicature et de finance. Mais si, le premier ministre venant à mourir, le roi ne lui donnait pas de successeur ? Si, les grands seigneurs étant écartés du conseil, les secrétaires d'État allaient, de fait, passer ministres ? Voilà des nouveautés auxquelles personne ne songeait, excepté quelques habiles peut-être, comme le garde des sceaux et premier président Molé, qui, s'occupant, lui aussi, de l'avenir de son fils, avait fait proposer à Le Tellier l'échange de sa charge de secrétaire d'État contre l'illustre et grande dignité de premier président du parlement de Paris. Mais Le Tellier regardait l'avenir plus que le présent, et, d'ailleurs, son biographe nous apprend qu'il n'étoit pas à son choix de quitter la cour, où il étoit trop nécessaire. Il se résigna donc à garder ses fonctions pour Louvois. Au mois de juin 1657, le jeune secrétaire d'État en survivance soutint avec beaucoup d'éclat ses thèses de philosophie ; aussitôt après, son père lui fit étudier le droit civil ; il le pourvut même, à dix-neuf ans, d'une charge de conseiller au parlement de Metz.

Il est douteux que Louvois soit jamais allé prendre possession de son siège ; en tout cas, il n'y demeura guère, car Le Tellier le tint assidûment auprès de lui, le dirigeant lui-même dans tous les détails de l'administration militaire, et l'initiant à tous les secrets de la cour. Ce fut alors que Louvois, plus jeune que Louis XIV d'environ trois ans, eut l'art de se faire accepter de lui comme élève et de flatter, par de rapides progrès, la vanité d'un maitre auquel il aurait déjà pu donner des leçons. Ainsi la faveur du fils, comme celle du père, grandissait rapidement. On sait que, pendant les conférences pour la paix des Pyrénées, Le Tellier, qui était resté à Paris, fut tenu par Mazarin lui-même au courant des moindres incidents de la négociation, et que, dans les derniers jours de la vie du cardinal, ce fut Le Tellier qui écrivit, sous sa dictée, tout ce que le ministre estima que le roi devoit savoir[12].

Mazarin mourut ; on s'inquiétait de son successeur ; il n'en eut pas, ou plutôt il en eut un auquel personne n'avait songé, le roi. Le 11 mars 1661, Le Tellier écrivait à l'intendant Bezons[13] : Votre dernière lettre m'a trouvé en extrême douleur de la mort de monseigneur le cardinal qui décéda la nuit d'entre le 8 et le 9 de ce mois. Elle a été conforme à sa vie, en sorte que je puis vous assurer, en homme d'honneur, que jamais on ne peut mourir plus chrétiennement et plus fortement qu'a fait. Son Éminence. Cette perte est très-grande pour l'État, au delà même de ce qui se peut prévoir. Le roi, ayant résolu de se gouverner par soi-même, empêchera qu'elle ne puisse avoir des suites et qu'elle ne diminue le lustre dans lequel est son royaume ; c'est à quoi tous les gens de bien doivent contribuer. Ce langage au fond trahissait un certain trouble. Surpris d'abord par la résolution de Louis XIV, les gens de cour ne tardèrent pas à douter qu'il eût assez de persévérance et d'application aux affaires pour en soutenir longtemps le poids ; on recommença donc à chercher, parmi les ministres, qui serait le premier. Le plus grand nombre, éblouis, fascinés par le brillant, se tournaient en admiration du côté de Fouquet ; les gens plus sensés, qui s'attachaient au solide, étudiaient Le Tellier. Par tempérament et par politique, Le Tellier ne voulait pas être le premier, mais il ne voulait plus être le second. Il appuya de toutes ses forces le gouvernement personnel de Louis XIV, il l'éclaira de toutes ses lumières, il lui communiqua les secrets de sa profonde expérience ; enfin, il s'unit étroitement avec Colbert contre l'ennemi commun, l'audacieux Fouquet. Ce fut entre Louis XIV, Colbert et Le Tellier une véritable conspiration ; plusieurs fois retardée par la prudence du secrétaire d'État de la guerre, la crise éclata le 5 septembre 1661. Voici ce que Le Tellier mandait pende jours après au comte d'Estrades : Le roi, étant .mal satisfait depuis longtemps de la conduite de M. le, surintendant, avoit, il y a quelques mois, le dessein de le faire arrêter, et il est vraisemblable que Sa Majesté a pris occasion de ce voyage [de Nantes] pour se rendre plus facilement maitre de Belle-Isle et des autres places qu'il tenoit en Bretagne, et pour pouvoir aussi plus sûrement saisir ses papiers et ceux de ses commis. Il écrivait encore le même jour[14] à l'intendant Bezons : Vous aurez sans doute appris l'arrêt que le roi a fait faire de la personne de M. le surintendant, et qu'il a été conduit de la ville de Nantes, où la chose se fil, au château d'Angers, où il est gardé. Vous jugerez bien que cette résolution ne peut avoir été prise que sur la mauvaise satisfaction qu'avoit Sa Majesté de sa conduite en l'administration des finances, et particulièrement de la dissipation qu'il faisoit dans ses bâtiments. Il est bon aussi que vous sachiez que Sa Majesté a supprimé la fonction de surintendant, et résolu de prendre elle-même le soin des dépenses de son État, en signant toutes les expéditions qui les autorisent, par l'avis de ceux qui composent le conseil royal des finances qu'elle a formé et dont M., le maréchal de Villeroi est le chef, et MM. d'Haligre, de Sève et Colbert sont membres, lesquels s'appliqueront aussi à tout ce qui regardera la recette. L'inimitié de Le Tellier contre Fouquet était assez notoire et se justifiait assez d'elle-même pour qu'il n'eût pas besoin de la couvrir d'un mensonge odieux, inutile et maladroit ; à qui espérait-il donner le change, en écrivant au marquis de Charost, gendre du surintendant, la lettre suivante, monument d'hypocrisie ? Je me persuade facilement que vous aurez été louché de la disgrâce de M. le surintendant, et je serois étonné si elle n'avoit pas fait en vous cet effet-là. Pour moi ; je vous assure que je le plains extrêmement et qûe je le voudrois servir, et que je n'en perdrai point l'occasion[15].

La chute de Fouquet convainquit enfin ceux qui, depuis la mort de Mazarin, attendaient encore un premier ministre ; mais, en relevant la condition des secrétaires d'État, désormais en communication directe avec le roi, n'était-elle pas pour eux un avertissement sévère ? Unis pour la même entreprise, les grands ennemis du surintendant avaient agi chacun par des motifs différents : Le Tellier, par crainte de l'ambitieux ; Colbert, par indignation contre le dilapidateur des deniers publics ; Louis XIV, enfin, par colère contre l'insolent qui volait son maitre pour l'écraser de sa magnificence. La dissipation qu'il faisoit dans ses bâtiments avait particulièrement irrité le roi ; c'était donc l'orgueil, ou plutôt la vanité royale qu'il s'agissait de ménager ; telle fut la leçon de conduite, la seule leçon que les ministres tirèrent de la disgrâce de leur collègue. Louis XIV avait, comme Philippe II, le goût des détails ; ils encouragèrent ce goût et le poussèrent même à l'excès ; en trompant par la multiplicité des affaires un appétit de travail qui était réel et sérieux, ils l'assouvissaient d'abord par les petites et tenaient les grandes en réserve ; mais toutes lui étaient présentées. Rien ne se faisait à l'insu du roi ; rien ne se faisait qu'en son nom ; pouvait-il cependant tout connaître par le fait et tout décider île sa pleine et seule volonté ? Il suffisait qu'on le lui dit et qu'il le crût. Lorsqu'un secrétaire d'État arrivait pour le travail à l'heure indiquée, son sac rempli de dossiers et de dépêches, il avait eu soin de laisser dans chaque affaire un point sans importance à résoudre, dans chaque dépêche un ou deux mots à suppléer ou à changer ; le secrétaire d'État, suggérait ; le roi résolvait, suppléait, changeait et signait. On peut dire que, dans son gouvernement, Louis XIV eut surtout le ministère de la signature.

De tous les ministres, Le Tellier était celui qui avait, dans ses rapports avec le roi, les formes les plus modestes ; il s'efforçait d'y plier le caractère plus impérieux de son fils ; il y réussit en partie, mais il eut soin de rapporter tout son succès aux leçons mêmes de Louis XIV. La fougue du jeune Louvois, tempérée par la soumission, flattait l'orgueil du maitre ; il se complaisait dans son élève et le récompensait de ses efforts. Au mois d'octobre 1661, un mois après la chute de Fouquet, Louis XIV donnait à Louvois, par privilège, la permission d'établir entre les ports de Provence et d'Italie un Service de communications régulières, étant bien aise, disait le roi[16], de favoriser et de gratifier ledit sieur marquis de Louvois, en considération des services qu'il nous rend avec beaucoup d'assiduité et de zèle. Enfin, le 24 février 1662, il lui donnait l'autorisation de signer comme secrétaire d'État. Cette grâce était un présent de noces ; le 19 mars, Louvois épousait une riche et noble héritière, Anne de Souvré, fille unique de Charles de Souvré, marquis de Courtenvaux. Tout lui venait donc à la fois, le pouvoir et la richesse[17].

L'existence politique de Louvois commence à celle date ; désormais associé à la charge de son père, dont il n'avait jusqu'alors que La survivance, il en exerce avec lui toutes les fonctions. Peu à peu Le Tellier se retire ; il fait tous les jours la part plus grande à son fils ; déjà hors de l'administration militaire en 1667, l'importance de la guerre de Flandre l'y ramène pour un temps ; mais, en 1668, après le traité d'Aix-la-Chapelle, il en sort pour n'y plus rentrer. Ministre d'État, délibérant sous les yeux de Louis XIV avec Colbert et de Lionne, il travaille à faire pénétrer et prévaloir dans le conseil l'influence toujours croissante de Louvois, qui n'y a pas encore séance, mais dont la place y est déjà marquée.

En 1662, Louvois avait vingt et un ans, Louis XIV vingt-quatre ; l'âge toutefois les rapprochait moins que l'accord frappant de leurs sentiments et de leurs idées, leur goût pour la domination, leur grande et juste confiance dans les qualités militaires de la nation qu'ils allaient pousser aux armes, leur profond et insolent dédain pour toutes les nations étrangères. Et de fait, les plus puissantes et les plus hautes s'inclinaient devant la suprématie de la France. Non-seulement l'Espagne avait fait le complet sacrifice des territoires que le traité des Pyrénées lui avait enlevés ; mais l'honneur castillan lui-même ne savait plus garder sa fierté proverbiale. Lorsque le baron de Watteville, ambassadeur d'Espagne, eut fait insulter publiquement, dans les rues de Londres, le comte d'Estrades, ambassadeur de France, le roi Catholique se hâta de rappeler et de punir son représentant et de désavouer solennellement toute prétention de marcher de pair avec le roi Très-Chrétien. En Angleterre, où la restauration des Stuarts venait de s'accomplir, Charles II inaugurait ses rapports avec la France en lui vendant Dunkerque, ce nouveau Calais que Cromwell ne s'était pas donné la peine de prendre lui-même aux Espagnols, mais qu'il avait fait prendre et s'était fait livrer par Mazarin. En Allemagne, le chef de la maison d'Autriche, l'empereur Léopold, impuissant contre ses vassaux, impuissant contre les Turcs, se voyait au moment de souffrir ou même de solliciter l'intervention armée du roi de France dans les affaires de l'Empire et jusque dans ses États héréditaires. La Hollande seule, gouvernée par Jean de Witt, se tenait dans une attitude respectueuse sans humilité ; mais quelle considération ce peuple de marchands pouvait-il attendre d'une nation de soldats ? Car ce n'était pas Louis XIV et Louvois seulement qui professaient le dédain des étrangers, c'était toute la France.

Comment la France à son tour était-elle jugée par les étrangers ? Voici le portrait que traçait d'elle un de ses adversaires les plus actifs et les plus redoutables, le baron de Lisola, publiciste et diplomate franc-comtois, qui mit tour à tour sa verve toute française au service de tous les ennemis de la France : La France est un royaume qui a toutes ses parties unies, abondante en hommes, industrieuse en commerce, qui attire avec ses bagatelles et ses modes l'argent de toutes les autres nations, qui a des ports considérables sur l'Océan et la Méditerranée, et n'a point de puissances considérables à redouter en son voisinage que celle de la maison d'Autriche. Le génie de la nation est naturellement porté aux armes, ardent, inquiet, ami de la nouveauté, désireux des conquêtes, prompt, agissant, et flexible à toutes sortes d'expédients qu'il juge propres à ses fins.

Les maximes de leur gouvernement sont les suivantes : premièrement, d'entretenir toujours la guerre au dehors, et d'exercer leur jeune noblesse aux dépens de leurs voisins. Cette maxime est très-politique et fort ajustée à leur propre utilité, mais très-incommode pour tout le reste du monde. En effet, il est constant que le génie de la nation ne peut pas souffrir qu'il subsiste longtemps dans l'oisiveté de la paix ; il faut de l'aliment à ce feu, el, si on ne lui en donnoit au dehors, il s'en formeroit de lui-même des matières au dedans. Il faut ajouter encore, à cette propension naturelle, la coutume de la plupart de leurs provinces et les dispositions particulières des illustres familles qui donnent de si grands avantages aux aînés qu'elles ne laissent presque rien aux cadets que l'industrie et l'épée ; et, comme ils ne cultivent pas les lettres et que leur condition ne leur permet pas de s'appliquer aux arts mécaniques, il ne leur reste que la guerre ou la filouterie pour se tirer de la misère ; d'où il arrive que ce royaume se trouve toujours rempli d'une jeunesse oisive et bouillante, prête à tout entreprendre, et qui cherche de l'exercice à sa valeur aux dépens de qui que ce soit. La liberté qu'ils avoient autrefois de décharger leur bile et de courir à la fausse gloire par des combats particuliers leur est à présent ravie par de justes édits. Les petits tours d'industrie, par lesquels ils se mettoient autrefois à l'abri de la nécessité, leur sont aujourd'hui sévèrement défendus ; mais, en même temps qu'on leur ferme toutes les voies pour s'épanouir la rate dans leur patrie, les politiques de France ont cru qu'il falloit de nécessité ouvrir un autre chemin pour évaporer cette flamme qui rongeroit leurs propres entrailles, si elle ne trouvoit point d'autre issue. De plus, comme les plus grands revenus de la couronne de France consistent dans la bourse du peuple, et que les contributions immenses ne se peuvent exiger, en temps de paix, sans faire beaucoup de mécontents, il est nécessaire de les repaître de la fumée de quelques conquêtes et d'avoir toujours des prétextes pour demeurer armés et soutenir par la force cette autorité royale, qui s'est si étrangement débordée hors des limites de leurs lois fondamentales. Comme il leur est impossible de satisfaire tous les princes et les grands de leur royaume, et que, depuis le règne d'Henry III, ils ont pris pour règle de leur conduite de les abaisser autant qu'ils pourroient, il leur est extrêmement convenable de les tenir occupés dans des guerres étrangères et les piquer de gloire, pour les faire consommer dans des emplois ruineux.

Leur seconde maxime est d'entrer dans toute sorte d'affaires à droite ou à gauche, et faire partout les arbitres, par force ou par adresse, par autorité ou par surprise, par menaces ou par amitié, et d'entrer comme médiateurs, même dans les traités de paix où ils sont parties intéressées. En tous les différends passés et présents, ils n'ont jamais hésité de prendre parti ; il n'y a jamais eu de querelle en laquelle ils n'aient eu l'adresse de s'y former quelque intérêt et quelque droit, et jamais aucun peuple n'a témoigné le moindre penchant à se rebeller qu'ils n'en aient aussitôt fait des alliés. Mais l'expérience a fait voir qu'ils ne sont jamais entrevenus dans aucune guerre que pour l'aigrir, ni dans aucune paix que pour y jeter des semences de nouveaux procès. Il seroit superflu d'en faire le dénombrement, puisqu'il n'y a personne si peu versé dans l'histoire qui ne demeure d'accord de cette vérité, et que les exemples modernes nous l'ont fait assez connoitre. Dans les derniers troubles d'Allemagne, dans lesquels s'étant ingérés d'abord sous couleur de protection, avec mille protestations plausibles qu'ils ne prétendroient jamais rien pour eux que la satisfaction de leurs alliés, quand l'affaire est venue à sa crise, ils ont démembré l'Alsace du corps de l'Empire, par le même artifice qu'ils en détachèrent les Trois Évêchés sous le règne d'Henry II.

La troisième maxime est d'avoir pour unique règle l'intérêt d'État, sans que la foi des traités, ou le bien de la religion, ou les liens du sang et de l'amitié les arrêtent. Tout ce que les Turcs ont fait dans la chrétienté, depuis François Ier jusqu'à notre temps, ils le doivent aux alliances de la couronne de France avec la Porte Ottomane, aux diversions qu'elle a faites en leur faveur contre tous ceux qui ont voulu entreprendre quelque chose contre cet ennemi commun ; et, quoique la religion protestante lui doive une partie de ses progrès, la France ne laisse pas de donner de secrètes vues aux catholiques, pour leur faire considérer sa puissance comme la seule qui, n'étant liée par aucune capitulation, est en état de réduire toutes les sectes sous l'obéissance de l'Église. En un mot, pour l'érection de leur monarchie, ils imitent et appliquent à de mauvais usages la maxime que saint Paul pratiqua pour l'agrandissement de celle du Christ, factus sum omnibus omnia, et, comme cet apôtre s'accommodoit à toute sorte de génies pour les gagner à l'Église, qu'il pleuroit avec les affligés et prenoit part à la consolation de ceux qu'il voyoit satisfaits, ceux-ci, par une fausse imitation de cette sainte conduite, s'accommodent aux intérêts de tout le monde pour les faire servir aux leurs et sacrifient la religion, toutes les fois qu'elle entre en compétence auprès d'eux avec l'intérêt d'État.

Leur quatrième maxime est de tenir, tant qu'ils peuvent, les États étrangers occupés et divisés chez eux, ou engagés dans quelque guerre étrangère ; l'Angleterre, l'Empire, l'Italie, le Danemark et l'Espagne en ont fait une triste expérience.

Toutes ces maximes sont proprement de conquérants, et autant de marques d'un vaste et profond dessein tramé depuis longtemps. Les prédécesseurs du roi Très-Chrétien n'ont pu le conduire à sa perfection, parce que les guerres civiles, la puissance d'Espagne et les justes limites qu'avoit pour lors l'autorité royale, étoient de puissantes barrières pour les arrêter ; mais à présent qu'ils ont imposé chez eux une loi absolue sur tous leurs sujets, et qu'ils ont mis en désunion tous les étrangers, il ne leur reste plus que de vaincre le troisième obstacle, en achevant d'accabler la monarchie d'Espagne, pour passer, sur nos ruines, à la conquête de tous les autres États. L'unique remède est d'embrasser promptement des maximes propres à contre-miner les leurs. Ils ont un royaume uni en toutes ses parties : unissons nos volontés et nos puissances ; leur repos consiste dans notre trouble : cherchons notre sûreté dans l'abaissement de leur orgueil ; ils agissent par voie de fait : repoussons la force par la force ; ils nous amusent par de vaines espérances de paix : mettons-nous en état de les obliger à la souhaiter sérieusement ; enfin, ils en veulent à tous ; faisons donc une cause commune, et ne mettons pas toute notre ressource en la grâce du Cyclope, qui ne fut profitable à Ulysse que par un bonheur inespéré[18].

Ce langage est de tradition, c'est celui des rivaux, des adversaires, des éternels jaloux de la France ; ce sont toujours les mêmes accusations, les mêmes insinuations, les mêmes griefs, les mêmes inquiétudes, les mêmes appels. Supprimez quelques détails, modifiez le costume, voilà un portrait, qui, pour dater de deux cents ans, n'aura pas trop vieilli. La France de Louis XIV n'avait pas trop à se plaindre de son image ; si, par malveillance, le peintre avait chargé quelques traits, l'ensemble du moins accusait la touche vive et, spirituelle d'un maitre.

Lisola y avait ajouté une rapide esquisse du jeune roi ; mais il avait eu soin de désavouer à l'avance les écarts de sa verve : Mon dessein, disait-il, est de parler des choses saris attaquer les personnes, et si mon sujet m'entraîne par force à quelques plaintes et à quelques reproches, je proteste solennellement que je prétends que la sacrée personne du roi Très-Chrétien en soit exceptée[19]. Le premier gouverneur du roi, continuait-il, lui a donné pour modèle la vie et les desseins d'Henry IV. Ce prince, tant par son propre génie que par les heureux succès de ses premières armes, a pris goût à ces documents et s'est uniquement proposé cet exemple pour la règle de sa conduite. L'histoire de ce grand roi a été sa lecture plus ordinaire ; il a, comme lui, pris grand soin d'accumuler des trésors ; il a recherché, comme lui, des alliances au dehors et a fait ensuite un puissant armement ; il faut donc conclure qu'il agit sur les mêmes plans et que toutes les choses que nous voyons aujourd'hui ne sont que des projets renouvelés et des effets des impressions qu'il a sucées avec le lait. Pour tirer les conséquences de ces principes, il ne faut que lire les mémoires d'Henry IV et ceux du président Jeannin, et conclure que tout ce que ce grand roi avoit conçu dans son idée, celui-ci le veut éclore par ses armes ; mais, comme le désir de la gloire n'a point de bornes, et que son âge et sa condition présente le mettent en état de fournir une plus longue carrière que Henry le Grand, l'on ne se peut pas promettre raisonnablement que la rapidité du Rhin soit capable de l'arrêter. Les écrivains ont pris grand soin de l'entretenir dans cette pensée, et, comme cette sorte de gens n'a point de plus grande étude que d'observer le foible de leur prince pour y faire couler leurs flatteries, ils ont sacrifié libéralement leurs plumes mercenaires à chatouiller ce désir naturel de gloire qu'ils reconnoissent en lui ; les récompenses qu'ils en ont reçues sont des marques authentiques de son approbation, et cet aveu, en un jeune esprit qui se croit en état d'exécuter tout ce qui lui plait, et qui est imbu de cette maxime que c'est assez d'avoir un titre pour en prendre possession par les armes, est un dangereux préjugé contre tous ceux sur qui il croira avoir quelque chose à prétendre[20]. Tel était Louis XIV, et ce crayon n'avait rien qui lui pût plaire. Sans doute il continuait les traditions de ses prédécesseurs, mais il voulait marquer son œuvre personnelle d'un signe particulièrement glorieux ; sans doute, la politique de Mazarin avait été adroite, féconde et couronnée de succès, mais elle lui paraissait manquer de grandeur et d'éclat. Sous Mazarin, la diplomatie avait eu le premier rôle ; la guerre n'était venue qu'à la suite et comme auxiliaire ; Louis XIV renversa l'ordre de préséance ; il fit marcher la guerre d'abord, la diplomatie étant réduite à lui frayer les voies el à formuler en traités les bulletins de conquête. Nul n'était plus propre que Louvois à donner à la guerre le premier rang et à l'y maintenir.

Louis XIV ne cherchait qu'une occasion pour inaugurer publiquement son système ; il crut l'avoir trouvée, lorsque l'ambassadeur d'Espagne attaqua l'ambassadeur de France à Londres ; mais la prompte soumission de Philippe IV lui fit, à son grand regret, tomber des mains les armes qu'il avait déjà prises. A peine cette insulte diplomatique était-elle réparée, qu'une autre, plus grave, éclatait au siège même de la catholicité, à Rome. Le pape Alexandre VII n'avait jamais été favorable à la France ; toutes ses inclinations le portaient vers la maison d'Autriche. Froidement respectueux envers la personne du souverain pontife, le duc de Créqui, ambassadeur de Louis XIV, rendait à ses parents et à ses conseillers hauteurs pour hauteurs. Mario Chigi, frère du pape, et le cardinal Imperiali, gouverneur de Rome, étaient les plus emportés contre la France et contre son représentant. Le 20 août 1662, à l'occasion d'une rixe comme il en survenait souvent entre les sbires et les gens de l'ambassade, la garde corse, excitée par des ordres secrets, vint attaquer, en corps, ses officiers en tête, le palais même de l'ambassadeur ; la duchesse de Créqui vit tomber, à la portière de sa voiture, un de ses pages, mortellement frappé. Le pape affecta de regarder et de traiter cette agression comme un désordre vulgaire ; il se contenta d'en témoigner quelques regrets, et l'ambassadeur, ne pouvant obtenir le châtiment qu'il exigeait et des auteurs et des fauteurs de l'attentat, sortit de Rome pour attendre, à Florence, les ordres du roi. A la première nouvelle (le ces événements, Louis XIV éclata ; il voulut que l'offense fût rendue publique et commune à toute la France, afin de l'associer à son indignation et à ses désirs de vengeance ; par ses ordres Le Tellier écrivit à tous les gouverneurs et à tous les intendants[21] : Je vous adresse, par le commandement du roi, une relation de la violence exercée à Rome contre M. le duc de Créqui, madame la duchesse sa femme, leurs domestiques et les François qui étoient dans la ville. Le roi d'Espagne, la république de Venise, le duc de Savoie, le grand-duc de Toscane, s'étaient empressés d'offrir leur médiation ; elle fut repoussée ; le nonce fut reconduit militairement à la frontière, et, le 18 novembre, Le Tellier écrivit au duc de Créqui[22] : Sa Majesté ne songe plus présentement qu'il former une armée et à faire préparer toutes les choses nécessaires pour la faire marcher en Italie le plus diligemment qu'il sera possible.

Faire la guerre au pape, c'était grave ; la disproportion même des forces matérielles ne faisait qu'augmenter les difficultés morales. de l'entreprise, et, dans l'autorité du pontife, le spirituel et le temporel se trouvaient tellement confondus, que la conscience des fidèles s'alarmait, même en France, d'une attaque contre le souverain de Rome, chef de l'Église. Les conseillers d'Alexandre VII avaient compté, sans doute, sur cette inquiétude des populations catholiques, mais ils avaient surtout compté sur les princes, comme le roi d'Espagne et l'Empereur ; ni l'un ni l'autre n'ayant voulu se commettre avec la France en faveur du Saint-Siège, le pape, isolé, fit alors certaines concessions que Louis XIV déclara insuffisantes. Le 19 mars 1663, Le Tellier mandait à l'intendant d'Aubeville[23] : Comme le roi reconnoît que le pape n'est pas en volonté de lui donner la juste réparation qui lui est due de la violence et de l'énorme attentat commis à Rome en la personne de M. le duc de Créqui, Sa Majesté a enfin, avec beaucoup de regret, pris résolution de faire marcher vers l'Etat ecclésiastique une armée composée de seize mille hommes de pied et de huit mille chevaux, et d'obtenir par la force des armes les satisfactions qui lui ont été refusées par les voies de la douceur. Le duc de Savoie s'était engagé à donner passage aux troupes françaises à travers ses États[24] ; pareil engagement fut demandé, par voie diplomatique, au gouverneur espagnol du Milanais, ainsi qu'aux ducs de Parme et de Modène ; aucun d'eux ne refusa. En France, des arrêts du parlement de Paris, une déclaration solennelle de la Sorbonne, mirent en déroute les partisans de l'inviolabilité pontificale, et le parlement d'Aix, après une insurrection du peuple d'Avignon contre le vice-légat, prononça la réunion du Comtat Venaissin à la France.

Rassuré dès lors sur les dispositions religieuses de ses sujets, Louis XIV envoya au delà des Alpes, au mois de septembre 1663, après un an d'attente, un corps d'avant-garde, composé de trente-deux compagnies d'infanterie, et de vingt-six compagnies de chevau-légers. Un siècle et demi ne s'était pas écoulé depuis que le connétable de Bourbon avait marché contre Clément VII, et que ses grossiers lansquenets, allemands et luthériens, avaient mis Rome à sac et le pape à rançon. Comme les amis d'Alexandre VII réveillaient ces odieux souvenirs, Louis XIV, auquel il importait qu'on ne crût point en Italie qu'il envoyoit des troupes huguenotes faire la guerre au pape, avait pris la singulière précaution de recommander à l'intendant, chargé d'organiser le service des vivres, de passer des traités spéciaux pour les jours maigres, et de faire ostensiblement distribuer aux troupes, ces jours-là, du poisson salé et du fromage au lieu de viande[25]. C'était une façon nouvelle de dégager, dans cette affaire, l'élément politique et temporel de l'élément spirituel et religieux. Tandis que l'avant-garde française prenait ses quartiers dans les duchés de Parme et de Modène, le reste des troupes se rassemblait en Provence et en .Dauphiné. Au mois de janvier 1664, des pouvoirs étaient expédiés pour le maréchal du Plessis-Praslin, commandant en chef, pour le duc de Créqui, le marquis de Bellefonds, le marquis de Fourilles et le comte de Duras, lieutenants généraux de l'armée.

Suivant son usage, la cour de Rome avait traîné les choses en longueur ; au dernier moment, voyant la menace près de se traduire en voie de fait, elle capitula. Le 12 février, l'abbé Rasponi signa le traité de Pise avec l'abbé de Bourlemont. Le cardinal Chigi, neveu du pape, revêtu, spécialement pour la circonstance, du titre de légat, devait porter au roi de France toutes les réparations qu'il souhaiterait, et les lui offrir, officiellement au nom d'Alexandre VII, souverain de Rome, officieusement au nom du pape Chigi, chef de la famille[26]. Telles étaient les satisfactions que Louis XIV avait exigées pour sa personne, en France, au vu de sa cour et de son peuple. A Rome, il en exigeait pour son représentant d'également solennelles et de plus efficaces ; un frère du pape devait aller recevoir, à la frontière des États de l'Eglise, le duc de Créqui et l'accompagner jusqu'à son palais. Déjà les principaux agents de la police romaine avaient été chassés, un sbire et un Corse pendus ; toute la garde corse dut être licenciée et chacun de ceux qui la composaient, individuellement déclaré incapable de servir ; enfin une pyramide dut être élevée dans Rouie, avec une inscription commémorative de l'attentat et de la réparation. Moyennant ces conditions principales et quelques autres, stipulées eu faveur des ducs de Parme et de Modène, ses alliés, Louis XIV consentait à pardonner l'offense et à restituer au pape la ville d'Avignon et le Comtat-Venaissin. Le 22 février, Louvois envoyait en Provence les ordres nécessaires pour arrêter l'embarquement des troupes[27].

Quelque satisfait que dût être l'orgueil de Louis XIV, c'était encore une fois la guerre qui lui échappait ; il l'aurait regrettée, même dans cette circonstance, même contre un adversaire aussi faible que le pape, et quelque douteuse qu'en eût été la gloire, si le hasard des événements n'était venu lui offrir, tout à propos, la plus étrange et la plus heureuse des compensations. Dans la même lettre où Le Tellier faisait connaitre au marquis de Bellefonds l'accommodement avec le pape, il ajoutait cette autre nouvelle : Le roi a résolu d'assister l'Empire d'un corps de six mille hommes contre les Turcs[28]. Ainsi Louis XIV avait la singulière fortune de pouvoir immédiatement tourner, contre les ennemis de la chrétienté, les mêmes armes qui venaient de menacer le père commun des fidèles ; de l'agression contre le pape il passait à la croisade. Tel est l'intérêt religieux d'une expédition dont l'importance politique est assez marquée par le nom de campagne de Hongrie. Elle est, dans le règne personnel de Louis XIV, ce premier l'ait de guerre qu'il attendait avec tant d'impatience. Elle est aussi le début de Louvois dans une affaire de grande importance ; non pas qu'il y ait agi seul et sans contrôle ; il n'a eu sans doute ni tout le souci ni tout le bénéfice de la responsabilité ; mais en travaillant à côté de Le Tellier, son père et son maître, il a pu juger, par l'application, ce que valaient les principes, ou plutôt les usages, sur lesquels se fondaient alors l'administration militaire et l'organisation des almées ; il en a touché au doigt les vices et les abus ; il a pu constater, dans l'action, les qualités et les défauts des troupes françaises, les qualités et les défauts des troupes de l'Empereur et de l'Empire. En même temps, il s'est initié davantage aux mystères de la politique étrangère, aux secrètes pratiques de la diplomatie ; il a complété, en un mot, et perfectionné sou éducation. Encore qu'il n'ait suivi que de loin les péripéties de la campagne de Hongrie, on a presque le droit de dire qu'il y a fait ses premières armes, et sans doute celui de la marquer en tête de ses états de service.

La puissance du Turc, comme on disait au dix-septième siècle, était formidable et agressive. L'opiniâtreté de ses prétentions sur la Transylvanie et sur la Hongrie, le nombre et l'ardeur des hordes musulmanes, mettaient la maison d'Autriche en détresse, l'Allemagne en alarme et l'Europe en éveil. Rallumée en 1663, la guerre avait eu, dès la première campagne, des effets désastreux pour les populations riveraines du Danube. Sans compter des milliers de victimes égorgées, quatre-vingt mille prisonniers avaient été poussés par le vainqueur au delà des Balkans. Quelques jours de marche pouvaient amener l'armée du grand visu sous les murs de Vienne, tandis que, réduit aux seules ressources des pays héréditaires, le génie même de Montecucculi se serait épuisé en vains efforts pour sauver la capitale de l'Autriche. Pour conjurer cette crise, l'empereur Léopold fit partout solliciter des secours, dans toute l'Allemagne et jusqu'en France. Les cercles de l'Empire avaient les premiers répondu à son appel ; mais à côté, au sein même ces divisions légales de l'Allemagne, la savante anarchie, organisée par l'habileté de Mazarin et consacrée par le traité de Westphalie, avait permis des associations, des ligues particulières, qui étaient d'ailleurs de tradition dans le vieux corps germanique. l'elle était l'alliance du Rhin, qui comptait, parmi ses principaux membres, les trois Électeurs ecclésiastiques de Mayence, de Cologne et de Trèves, l'évêque de Munster, les ducs de Brunswick et de Juliers, le landgrave de liesse et le roi de France. Louis XIV n'y figurait, il est vrai, que sous le titre simple et modeste de membre de la paix ; mais son influence incontestée pouvait changer le caractère défensif de cette ligue, instituée pour le maintien des traités, et la tourner offensivement contre la puissance autrichienne. En accordant sans difficulté ses secours à l'Empereur, Louis XIV avait eu sein de stipuler expressément comme membre de l'alliance du Rhin et sous la condition formelle que ses troupes seraient jointes au corps spécialement fourni par ses confédérés. Les ministres impériaux hésitèrent. Ce n'est pas sans raison, sire, écrivait au roi M. de Gravel, son envoyé près de la diète, ce n'est pas sans raison qu'ils ont une si grande répugnance à une pareille jonction, puisqu'ils confirment par là l'alliance qui leur est odieuse et qu'ils ne craignent pas moins que le Turc[29]. La crainte du Turc l'emporta cependant. Le comte Strozzi, envoyé extraordinaire de l'Empereur en France, reçut l'ordre d'accepter le secours du roi en qualité d'allié des princes du Rhin. Aux termes du traité de 1658, qui avait constitué la ligue, le contingent de l'alliance était fixé à six mille quatre cents hommes de pied et trois mille deux cent trente chevaux, sur lesquels Louis XIV devait fournir, pour sa part, seize cents fantassins et huit cents cavaliers. Mais la gravité des circonstances, les intérêts de sa politique et les exigences de sa gloire lui faisant regarder ce nombre comme insuffisant, il résolut d'envoyer en Allemagne quatre mille hommes d'infanterie et deux mille cavaliers. Dans un temps où la guerre se faisait encore avec de petites armées, où les forces réunies de la France et de l'Allemagne, dans cette campagne même, ne dépassèrent pas vingt-cinq mille combattants, six mille hommes étaient un gros secours ; c'était assez du moins pour soutenir et accroître la réputation militaire de la France.

Une autre question agitait les conseils de l'Empereur, la diète, les États allemands. A quel généralissime confier le commandement d'un armée composée d'éléments si disparates, et le sort d'une campagne qu'il fallait à tout prix rendre décisive ? On parlait de Turenne, du Suédois Wrangel, même du prince de Condé[30]. Le choix d'un Français aurait flatté l'orgueil de Louis XIV ; mais ses griefs trop récents contre le héros de la Fronde, ses ressentiments mal éteints et mal dissimulés sous une affectation de sollicitude, donnaient au prince de Condé une exclusion péremptoire. Je veux bien, écrivait-il à M. de Gravel[31], vous confier ma pensée secrète là-dessus, qui est que je ne semis pas bien aise que le premier prince de mon sang .allàt essuyer les périls d'un emploi de cette nature, où il seroit d'ailleurs fort difficile de réussir et particulièrement à un François ; aussi la bonne volonté que j'ai pour mondit cousin ne me permettroit pas de lui donner la permission de l'accepter, s'il lui étoit offert. Écarter, sous un tel prétexte, le prince de Condé, c'était, du même coup, volontairement ou non, rendre Turenne impossible. D'ailleurs, la difficulté de concilier les prétentions rivales devait faire ajourner toute solution décisive. L'Autriche repoussait Turenne et proposait un archiduc ; le collège des Électeurs avait pour candidat le margrave de Bade., repoussé à son tour par le conseil de l'alliance du Rhin, dans le sein duquel on ne parvenait pas même à s'entendre. De guerre lasse, on arrêta que chaque division de l'armée aurait son chef indépendant, Montecucculi pour les troupes de l'Empereur, le margrave de Bade pour les troupes des cercles, et le comte de Holac[32] pour les troupes de l'alliance ; arrangement déraisonnable et infailliblement désastreux, si la pratique de la guerre et les nécessités du champ de bataille n'eussent tranché la question en donnant le commandement suprême à celui qui était, à la fois, le plus habile et le plus responsable, à Montecucculi.

En France, l'honneur de conduire le corps auxiliaire fut aussi vivement, quoique plus discrètement brigué. Toutefois, le choix de Louis XIV excita quelque surprise. Comme s'il eût voulu rendre plus sensible au prince de Condé la disgrâce dont il venait de lui donner un si accablant témoignage, ce fut à l'un de ses anciens amis, devenu son ennemi mortel, au comte de Coligny, qu'il confia cette mission si enviée. C'était d'ailleurs un choix qui convenait merveilleusement une troupe française. Grandement né, brave, intelligent, vif d'esprit et robuste de corps, le comte de Coligny joignait, à la hauteur et à la fermeté du caractère, cette sollicitude pour le soldat, cette facilité de manières et cette verve de langage qui, dans tous les temps, ont fait la bonne popularité de nos meilleurs hommes de guerre. Le corps d'armée dont il avait le commandement se composait de cinq régiments d'infanterie, Piémont, Espagny, Turenne, Grancey, La Ferlé, et de quarante compagnies de cavalerie dont vingt-six avaient hiverné dans les duchés de Modène et de Parme. C'étaient celles qui, après avoir été sur le point de faire la guerre au pape, allaient la faire au Turc, qui sont deux choses bien différentes, disent les mémoires de Coligny. Les comtes de La Feuillade et de Podwitz servaient comme maréchaux de camp ; le comte de Gassion, et sous lui, le comte de Sault, les marquis de Ragny et de Bissy, commandaient la cavalerie. Un parent de Le Tellier, M. Robert, était l'intendant de l'armée. En outre, cent vingt jeunes gentilshommes, des premières familles de France, avaient obtenu de faire campagne, en qualité de volontaires.

Toutes ces troupes, pleines d'ardeur, partirent de Metz, le 17 mai 1664 ; le 31, elles passaient le Rhin, aux environs de Spire. Par malheur, chez cette brillante jeunesse qui grossissait l'état-major du comte de Coligny, l'impertinence nationale éclatait sans réserve, n'épargnant ni les usages ni la naïve et franche hospitalité des alliés allemands. Le chef lui-même, attisant cette manie indiscrète par des remontrances qui n'étaient ni sincères ni sévères, se laissait emporter à des accès de verve railleuse dont sa correspondance officielle, bien plus piquante et bien plus complète que ses mémoires, offre de trop fréquents et trop peu édifiants témoignages. Mon devoir, écrivait-il à Le Tellier et à Louvois, m'oblige de vous dire que les troupes ont vécu avec toute la discipline que le roi a désirée dans leur marche, et que, quelque antipathie qu'il y ait de toute éternité entre le soldat et la poule, il ne s'en est pas tué douze, encore fut-ce le jour qu'ils partirent tous ivres de Metz. Vous verrez, par la lettre que j'ai l'honneur d'écrire au roi, le bon état de ses troupes au passage du Rhin proche de Spire. J'ai été transporté de joie aujourd'hui en achevant de les voir ; la cavalerie est admirable ; Turenne et La Ferté triomphent et tout est bon... Tout ceci va fort rondement et bien gaiement. Point de crieries, point de bruit, point de querelles. Officiers, soldats, volontaires, tout va bien. Il n'est pas arrivé, depuis le jour de notre départ de Metz, la moindre chose qui mérite de vous en entretenir, si ce n'est que j'ai reçu plus d'ambassadeurs que le Grand Mogol, qu'on ne parle point à moi sans me demander audience, quoique je sois fort accessible, mais c'est la mode, et que je n'arrive jamais dans un quartier que je n'y voie arriver, en même temps, un grand cerf et un grand sanglier ; tout cela est accompagné de beaucoup de vin, et c'est la mode du pays et d'haranguer les généraux. Le françois de ces messieurs n'est pas si coulant que celui de dom Cosme ; mais, dans ces troupes-ci, on ne se moque de personne, et notre jeunesse, qui crèveroit de rire, à Paris, de voir les trognes de ces ambassadeurs ridicules, ne desserre pas les dents ici, tant je leur ai prêché que cela nous l'endroit odieux de s'aller moquant de tout le monde. On ne peut pas vivre plus sagement que font tous ces messieurs, et plus honnêtement les uns avec les autres. Je vous demande pardon si je me suis un peu mis sur le style comique, mais je suis si transporté de joie d'avoir vu hier les régiments de Turenne et de La Ferté, et aujourd'hui la cavalerie, que je ne sais ce que je dis. Je suis persuadé que le roi auroit passé deux agréables heures, s'il avoit été caché en quelque coin et qu'il eût vu le bon état, le bon visage et la gaieté de sas troupes, après avoir passé le Rhin[33].

Cependant, à mesure qu'on avançait en Allemagne, la bonne humeur diminuait, et aussi le bien-être. Les Autrichiens n'avaient pas, ou du moins ne montraient pas celle cordialité, un peu ridicule peut-être, an demeurant pleine de bons procédés, des alliés du Rhin. Dans les rapports contraints d'une alliance imP4utaire, on sentait l'antipathie de race et la rivalité nationale. Ce n'était pas tant le corps principal qui en faisait l'épreuve que le détachement de cavalerie venu du Parmesan et du Modénais. Nous avons tout sujet de nous louer des Vénitiens dans notre passage, écrivait le marquis de Bissy[34], et très-grand de nous plaindre des pays héréditaires. Ce sont gens qui ne paroissent pas nos amis. Lorsque, après avoir gagné le Danube et descendu le fleuve, depuis Donawerth, dans des bateaux qu'on leur fit payer fort cher[35], les troupes du comte de Coligny débarquèrent auprès de Vienne, les magistrats en firent fermer les portes et doubler les postes, avec autant de précipitation que s'il se fût agi du Turc[36]. Cependant l'Empereur voulut bien voir l'infanterie française et traiter les officiers à sa résidence de Laxenbourg. Après le festin, il y eut à Ebersdorf une grande chasse où l'Empereur tua de sa main trois cerfs qu'il eut la courtoisie d'envoyer au comte de Coligny, avec deux chevaux d'assez médiocre apparence[37].

Cette fête coïncidait mal à propos avec de fâcheuses nouvelles du théâtre de la guerre. Les impériaux avaient été forcés de lever le siège de Canischa ; plus récemment encore, les Turcs leur avaient tué le comte Strozzi et pris d'assaut le fort de Serinwar. Ce n'était pas qu'à Vienne on parût s'en mettre beaucoup en peine ; nul accord dans le gouvernement, nulle activité, nul souci des besoins de l'armée. On comprend et on excuse, les sarcasmes du comte de Coligny : Je ne trouve pas étrange, disait-il[38], que l'Empereur ne soit pas éveillé ; mais qu'il soit gouverné par le prince de Porcia, c'est ce qui est incompréhensible. C'est un homme qui ne se souvient pas, l'après-dînée, de ce qu'on lui a dit le matin, et qui a bien l'air d'un apothicaire, qui est haï de tout le monde et à qui, quand on a parlé, il faut encore parler à cinq ou six pour la même chose. A l'armée, le spectacle était encore plus affligeant, la mésintelligence des généraux scandaleuse, la nullité du plus grand nombre effrayante[39]. Louis XIV ne pouvait pas manquer une si belle occasion de blâmer les Allemands. L'Empereur, écrivait-il à M. de Gravel[40], toute sa cour et tout l'Empire pourront commencer à s'apercevoir s'il a été bien servi de ceux qui lui ont déconseillé de laisser jeter les yeux sur quelque grand capitaine pour le commandement de l'armée de l'Empire, et s'il doit beaucoup se louer de la complaisance que d'autres ont eue pour lui, sur le choix qui a été fait du marquis de Bade.

A peine entrés en Hongrie, les Français ne trouvèrent que de nouveaux sujets de découragement et de défiance, l'antipathie notoire des Hongrois pour les Allemands, le mauvais exemple des troupes impériales, la grande renommée des Turcs. Coligny lui-même devenait plus sérieux et plus attentif ; il commençait à s'inquiéter de l'affaissement moral et de l'instruction défectueuse de ses troupes. Je trouve à notre infanterie, écrivait-il le 1er juillet, une fort grande estime pour les Turcs, et peut-être plus grande qu'il ne conviendroit pour leur conservation. Il y a une très-grande quantité de soldats qui n'ont jamais tiré un coup de mousquet ; nous n'avons pas même eu le loisir de les dresser, mais ils se dresseront contre les ennemis du nom chrétien. Huit jours après, le mal ayant fait des progrès rapides, il fallut appliquer les remèdes héroïques. De vingt-deux déserteurs ramenés d'un seul coup, le général en fit pendre onze immédiatement, devant toute l'armée. Les auxiliaires naturels sur lesquels il devait compter pour relever le moral des soldats, les officiers, se laissaient eux-mêmes affecter plus que de raison. Je trouve, écrivait-il encore[41], les officiers un peu mélancoliques et chagrins ; une petite occasion favorable remettra tout cela. Comme nous ne les rechercherons pas brutalement, aussi nous ne les fuirons pas lâchement, et je ne fais nul doute que notre arrivée ne réjouisse fort l'armée. A ces communications peu rassurantes, Louvois répondait, avec plus de confiance qu'il n en ressentait peut-être, en tout cas avec beaucoup de sagesse : Vous ne sauriez rien faire de plus utile au service de Sa Majesté et au bien de la cause commune, que d'ôter de l'esprit des officiers, cavaliers et soldats, la terreur qu'il semble qu'ils avoient des Turcs. Ils ne sont pas plus à craindre que d'autres hommes, et il y a bien de l'apparence que, quand ils les auront vus de près et qu'ils auront commencé à agir contre eux, non-seulement ils se désabuseront, mais qu'ils feront reprendre cœur à ceux des troupes de l'Empereur et de l'Empire[42]. Lorsque le jeune secrétaire d'État exprimait ainsi son espoir, il y avait déjà huit jours que les plus éclatants succès l'avaient justifié et dépassé.

Le 23 ou le 24 juillet, Coligny avait rejoint, sur les confins de la Hongrie et de la Styrie, l'armée impériale. La première impression qu'elle avait produite sur les troupes françaises n'était pas pour relever leur confiance. Au lieu de six à sept mille hommes qui devaient composer le corps de l'alliance, auquel était plus spécialement attaché le contingent français, c'est à reine s'il en comptait deux mille[43].

Montecucculi avait pris position sur la rive gauche du Raab, auprès du monastère de Saint-Gothard. Ce n'était pas chose facile que de défendre, contre une armé de quatre-vingt mille hommes, surtout contre une cavalerie aussi nombreuse que celle du grand visir, le passage d'une rivière dont les chaleurs avaient notablement abaissé les eaux. Montecucculi se conduisit en véritable homme de guerre, vigilant et résolu ; mais nulle part il n'aurait pu trouver, pour exécuter ses habiles manœuvres, des soldats plus intelligents, plus actifs et plus braves que les auxiliaires français. Une première fois, le 26 juillet, dans une grande reconnaissance faite par Montecucculi avec toute la cavalerie de l'armée, douze cents chevau-légers de France et les volontaires, Coligny à leur tête, se jetèrent au-devant des Turcs, au moment même où ils commençaient à passer la rivière, au pont et aux gués de Kermend. Grâce à la présence d'esprit du général français, qui fit mettre pied à terre à la moitié de ses cavaliers pour suppléer au défaut de l'infanterie absente, tandis qu'il menait le reste à la charge, les escadrons allemands eurent le temps d'accourir, et les Turcs étonnés se retirèrent, laissant aux Fiançais le principal honneur de la journée[44]. Le lendemain, le grand vizir alla planter ses tuiles en face de Saint-Gothard, sur la rive droite du Raab ; son camp avait une lieue et demie d'étendue.

Pour surveiller les points de passage les plus dangereux sur un si grand espace, et surtout pour empêcher que sa petite armée, très-inférieure en nombre, ne fût débordée par les ailes, Montecucculi avait été obligé de la déployer sur un front égal à celui des Turcs, en laissant nécessairement de larges intervalles entre les différents corps. Ils s'appuyaient tous à des hauteurs boisées dont les deux extrémités se rapprochaient de la rivière, après avoir décrit une courbe régulière et très-ouverte, dont la flèche avait tout au plus sept à huit cents pas. Les Français étaient à l'extrême gauche, leur flanc couvert par les bâtiments du monastère, mais ayant devant eux des gués dont la garde exigeait beaucoup de vigilance. A une assez grande distance sur leur droite, se trouvaient les contingents ou plutôt ce qui restait des contingents de l'alliance du Rhin ; au centre, absolument isolées, et les plus éloignées de la rivière, puisqu'elles occupaient la pointe de la flèche, les troupes des cercles ou de l'Empire, sous les ordres du margrave de Bade. C'était en face d'elles qu'était le gué le plus important ; mais à moitié chemin, entre leur camp et le Raab, il y avait un village, d'une trentaine de maisons, nommé Grossdorf, où le margrave avait établi ses avant-postes et d'où l'on pouvait facilement surveiller tous les mouvements des Turcs. Enfui, à une demi-lieue environ, était établie l'armée de l'Empereur, formant la droite. Quelques jours se passèrent en observation : le plan du grand visir était de fatiguer la cavalerie de ses adversaires par un service continuel de patrouilles, de les menacer à la fois sur plusieurs points, de se jeter avec le gros de ses forces sur le gué de Grossdorf, d'emporter le village et de couper en deux l'armée chrétienne. Ce plan, bien conçu, faillit réussir, par la faute du margrave de Rade et la tacheté de ses troupes.

Dans la nuit du 31 juillet au 1er août, les Turcs s'approchèrent du gué central et commencèrent à construire, avec une grande activité, une batterie qu'ils armèrent de quatorze pièces de gros calibre ; au point du jour elle était achevée. Les avant-postes du margrave ne s'étaient doutés de rien. Ce fut Coligny qui, voyant, dès l'aube, un grand mouvement dans le camp des Turcs et leurs troupes se former en bataille, s'aperçut le premier du danger ; il courut avertir le comte de Dulac, général de l'alliance ; tous deux s'empressèrent d'aller donner l'éveil au margrave, qu'ils trouvèrent au lit et qui leur répondit avec le sang-froid d'un grand capitaine : S'ils passent, il faut donner dessus. Heureusement Montecucculi n'était pas si flegmatique. Cependant les Turcs avaient ouvert un feu terrible de mousqueterie et de canon, sous lequel les troupes des cercles pouvaient à pe.ine sortir de leur camp. Pour les soutenir et les aider à se former, Montecucculi fit marcher vers Grossdorf un régiment de cavalerie et deux régiments d'infanterie ; le margrave put alors établir quelques troupes sur le bord de la rivière. Tout à coup, vers dix heures du matin, une grosse colonne de Turcs, poussant des hurlements épouvantables, traversa le Raab et se jeta sur l'infanterie de l'Empire ; cette infanterie, terrifiée, ne fit aucune résistance et se renversa sur la cavalerie, qu'elle mit en désordre. Malgré l'exemple du margrave, qui s'efforçait de réparer sa négligence et qui s'exposait en désespéré pour rendre cœur à ses soldats, un petit nombre seulement se rallièrent à la voix de leurs officiers et revinrent à la charge ; mais ils ne tinrent pas longtemps. La panique gagna ceux mêmes qui, placés au delà de Grossdorf, n'avaient pas encore combattu ; ils s'enfuirent. En moins d'une hilare, l'armée des cercles avait disparu tout entière. Il ne restait plus que les trois régiments de l'Empereur qui essayaient de défendre la position ; mais, engloutis dans les flots toujours croissants de la cavalerie ottomane, ils succombèrent et furent anéantis. A la vue de cet affreux désordre, Montecucculi s'était hâté d'appeler au centre, d'un côté le prince Charles de Lorraine avec une partie des troupes de l'Empereur, de l'autre le comte de Holac avec les troupes de l'alliance ; mais l'un et l'autre avaient un grand espace à parcourir, et le temps pressait. Si les Turcs ne s'étaient pas attardés à couper des tètes, à dépouiller les morts et à fouiller les pauvres maisons de Grossdorf, l'armée chrétienne était perdue. Ce délai toutefois ne la sauva pas encore. Arrivés à portée, mais avec des troupes hors d'haleine et déjà frappées d'étonnement, sinon d'épouvante, le prince de Lorraine et le comte de Holac attaquèrent Grossdorf par la droite et par la gauche ; non-seulement ils ne purent pas y rentrer mais, assaillis l'un et l'autre par des charges furieuses, ils furent obligés de rétrograder sans pouvoir se joindre, trop heureux que leur retraite ne se changeât pas en déroute. Ainsi, la trouée qu'il avait essayé de fermer au centre, Montecucculi la voyait se rouvrir et s'élargir, et les Turcs passaient toujours le Raab. Le visage calme et l'esprit libre, quoique son âme fût déchirée, il courut au comte de Coligny et lui demanda du secours.

Jusque-là les Français étaient restés à leur poste, contenant, par leur attitude et par leur feu, un gros corps d'infanterie, deux ou trois fois plus nombreux que tout leur contingent, et qui menaçait de passer la rivière, en face de Saint-Gothard. Coligny détacha aussitôt, sous les ordres du comte de La Feuillade, les régiments d'Espagny et de Grancey ; ces deux régiments, formés en colonne, les piquiers en tête, s'ouvrirent un chemin dans la masse qui leur barrait le passage ; ils réussirent même à entrer dans Grossdorf et à en chasser les Turcs, excepté quelques-uns, qui aimèrent mieux se brûler eux-mêmes dans une maison que de se rendre. Ils voulurent faire davantage ; ils voulurent, à leur tour, couper en deux l'armée du grand vizir et marchèrent au gué, par où le courant des infidèles ne cessait d'affluer ; mais dans ce mouvement audacieux, la cavalerie allemande, qui devait protéger leurs flancs, se laissa renverser. Découverts et assaillis de tous côtés, de tous côtés ils firent tête ; cependant il fallut céder au nombre et reculer jusqu'à des haies derrière lesquelles ils s'établirent fortement, tenant par leur l'eu les spahis du grand vizir à distance. Sur la droite, le prince, de Lorraine avait tenté un nouvel effort, sans plus de succès que la première fois. Les Turcs étaient rentrés dans Grossdorf. Écoutons Coligny : Les Turcs, cependant, passoient toujours la rivière, et à mesure que leurs forces s'augmentoient, ils s'élargissoient à droite et à gauche, au lieu que, dans notre armée, on voyoit déjà quelque effet de la peur, et les troupes impériales chanceloient à leurs postes. Dans cette pressante nécessité, il fut résolu unanimement de faire un dernier effort, et de périr ou de chasser les ennemis ; en effet, il n'y avoit point d'autre ressource que celle-là ; l'armée de l'Empire étoit en fuite, la plupart des soldats épouvantés, point d'espérance de retraite contre une armée où il y avoit plus de cinquante mille chevaux. Il fallut donc que les François se sacrifiassent pour le salut de tous : aussi bien ne pouvoient-ils éviter de se trouver enveloppés dans la perte commune[45].

Le comte de Coligny se mit lui-même à la tête d'un bataillon, ordonnant aux autres, aux volontaires et à toute la cavalerie de le suivre ; un faible détachement restait seul pour occuper Saint-Gothard et contenir l'ennemi, s'il passait de ce côté la rivière. Au signal donné par Montecucculi, les Français et tout ce qui restait d'Allemands s'ébranlèrent pour une charge générale. Déjà Coligny avait rallié, en passant, les régiments d'Espagny et de Grancey ; déjà il touchait au village de Grossdorf ; déjà les différents corps de l'armée chié-tienne se donnaient la main et tenaient enserrées, entre eux et le Raab, les masses profondes des Turcs qui avaient rétrogradé sous l'effort commun, mais fièrement, le front toujours tourné vers l'ennemi. Les généraux se concertaient pour un dernier mouvement d'ensemble qui devait être le salut ou la perle de tous, lorsqu'on vint annoncer en toute hâte au comte de Coligny que le petit détachement qu'il avait laissé à Saint-Gothard, violemment attaqué, ne pouvait plus se maintenir. Il y courut, confiant le commandement au comte de La Feuillade, avec des ordres précis et formels de ce qu'il devait faire. Lorsqu'il arriva à Saint-Gothard, il ne trouva aucun désordre ; les Turcs avaient fait un mouvement comme pour attaquer, mais ils s'étaient arrêtés sur le bord de la rivière, faisant un grand feu qui ne causait aucun dommage aux Français retranchés dans le monastère. Une fausse alerte avait écarté du champ de bataille le comte de Coligny ; après une courte halle, il tourna bride du côté de Grossdorf, anxieux, plein de doute sur l'issue de la crise. La crise était passée ; l'élan d'une poignée de Français avait décidé la victoire.

Quoique les soldats de l'Empereur, conduits par le prince de Lorraine et par Montecucculi lui-même, eussent fait vaillamment leur devoir, leur effort était venu se briser contre un mur d'hommes et de chevaux qu'aucune force humaine ne paraissait capable de renverser. Cependant La Feuillade et les volontaires, ayant mis pied à terre, s'étaient répartis à la tête des bataillons et des escadrons, démontés comme eux ; s'élançant tous ensemble aux cris de Tue ! tue ! ils avaient donné tête baissée sur l'ennemi. Arrêtés presque partout, moins par la résistance volontaire des hommes que par la résistance inerte de la matière, sur un ou deux points seulement ils avaient fait brèche. Il n'en fallut pas davantage. En un moment les brèches élargies se rejoignirent, et tous s'y précipitèrent avec un emportement auquel rien ne pouvait plus faire obstacle. Leur charge les entraînait directement vers le gué, par où l'ennemi était venu et par où seulement il pouvait opérer sa retraite. Alors ces mêmes Turcs qui, pendant sept heures, avaient fait d'abord une attaque, puis une défense acharnées, dignes l'une de l'autre de leur vieille réputation, prirent tout à coup l'épouvante et se précipitèrent vers le Raab, dans une confusion inexprimable. En un instant le gué fut encombré ; la plupart de ceux qui voulurent passer au-dessus ou au dessous se noyèrent ; entraînés par le cours de l'eau, des cadavres d'hommes et de chevaux venaient s'amonceler sur les hauts-fonds et formaient çà et là des barrages par-dessus lesquels vaincus et vainqueurs s'élançaient pour gagner l'autre rive. L'énergique concision de Coligny a peint d'un mot l'horreur de cette scène : C'étoit un cimetière flottant. Après avoir fait un grand massacre des Turcs, et les avoir poursuivis jusqu'aux portes de leur camp, où la prudence de Montecucculi ne jugea pas à propos de les forcer, Français et Allemands s'occupèrent, pendant plusieurs jours, à retirer du Raab les cadavres pour les dépouiller. Toute notre armée, écrivait Coligny[46], est devenue pêcheuse, et on ne sauroit dire les richesses qu'on a trouvées à la dépouille des noyés.

Les Français avaient décidé la victoire ; ils en recueillirent aussi les principaux trophées : cinquante étendards ou drapeaux, douze pièces de canon, une multitude d'armes précieuses ou bizarres. Leurs pertes s'étaient élevées à six ou sept cents hommes hors de combat, celles des troupes allemandes à trois mille environ, celles des Turcs à huit ou dix mille[47]. Qu'importe le nombre exact des morts et des blessés ? La bataille de Saint-Gothard est une de ces grandes actions militaires dont les conséquences politiques et morales effacent le résultat matériel. Elle fut le salut de l'Allemagne et l'honneur de la France. Voici ce qu'écrivait le comte de Coligny, le soir même de la bataille : Nous avons aujourd'hui pu voir deux choses fort opposées, la valeur des François et la poltronnerie de ces troupes-ci[48]. Aujourd'hui les François ont sauvé l'Empire et se sont sauvés aussi eux-mêmes ; car la boucherie que Bajazet lit faire de la noblesse qui s'étoit croisée avec le duc de Nevers[49] n'eût rien été au prix de celle que je vous parle, si les François n'avoient regagné le poste que les Turcs avoient occupé. Tous les Turcs que nous avons défaits aujourd'hui avoient chacun une tête d'Allemand pendue à leur ceinture ; mais ils les ont bien payées et jamais je n'ai vu un si grand désordre que celui qui a été parmi ces gens-là, ni un si grand massacre en si peu de temps[50]. Et il ajoutait, le 6 août : Messieurs les volontaires ne se plaindront pas qu'on ne leur ait pas fait voir les Turcs. Sans les François, il n'y auroit pas un Allemand qui eût sa tête sur les épaules présentement. Dans ses mémoires, le comte de Coligny a réparé l'injuste confusion qui rangeait dans le même dédain tous les Allemands, ceux de Montecucculi comme ceux du margrave de Bade : Les troupes de l'Empereur, a-t-il dit[51], doivent être exceptées du nombre des méchantes troupes, car elles étoient fort bonnes ; mais l'armée de l'Empire ne valoit rien, et celle de l'alliance ne consistoit qu'en celle de France, car le reste étoit entièrement ruiné.

A part ce blâme erroné qui lui était échappé le premier jour, M. de Coligny ne faisait que rendre aux Français une justice exacte, confirmée par les actes de la cour de Vienne et par le témoignage même de Montecucculi[52]. Et ce n'était pas à Vienne seulement que la reconnaissance de la maison d'Autriche saluait la glorieuse et salutaire assistance de Louis XIV ; à Madrid même et à Bruxelles, le gouvernement espagnol laissait publier et vendre des relations qui constataient la valeur et le triomphe de nos soldats[53]. La reconnaissance publique parut d'abord aussi vive dans toutes les classes de la société viennoise que parmi les personnages officiels. Les marchands et les hôteliers, qui ne croyaient pas d'abord pouvoir trop rançonner les Français, luttaient maintenant à qui leur ferait meilleure chère à meilleur compte. Fans la cour du palais impérial, il y avait des pièces de vin en permanence où lotis les Français, mais les Français seulement, pouvaient s'enivrer à plaisir[54]. L'ivresse, sans aucune métaphore, était générale, dans les châteaux aussi bien que dans les cabarets ; il n'y avait de différent, des uns aux autres, que la qualité des vins et la condition des buveurs. Coligny raconte qu'après un certain conseil de guerre tenu à Presbourg, il fut question de diner : Je me trouvai, dit-il, vis-à-vis du festinant, qui étoit un bon et ancien archevêque de Presbourg, qui but et rebut tarit à la santé des François, qui posuerunt animam suam pro fratribus suis, que, quoique goutteux et impotent de tous ses incrimines, il fit quitter le dé à tout le inonde. En me séparant du bon archevêque, il me dit vingt fois : Excellentissime Domine, nemo animam suam dat pro fratribus suis, et lumen, vos, illustrissimi et generosissimi Galli, fecistis hoc et dedistis animas vestras pro conservatione Hungariæ. Vivat et semper vivat rex invictissimus Gallorum qui est conservator noster ! Il me dit mille belles choses à la louange du roi que je ne saurois vous redire, parce que je ne les entendois pas trop bien moi-même et que je suis un méchant latin. J'écris peut-être, ajoute Coligny, bien des choses inutiles et impertinentes, mais il faut prendre le bon et laisser le mauvais, et excuser la plume d'un soldat mal nourri et mal élevé[55].

Il fallait insister sur ce triomphe des Français, parce qu'il fut aussi court qu'il avait été magnifique et spontané. Jamais la fortune et la faveur des hommes n'eurent de plus brusque retour. On doit rendre à Coligny cette justice qu'il ne s'y laissa pas surprendre un seul instant. Les ennemis domestiques, écrivait-il le jour reine de sa victoire, sont autant à craindre que les Turcs mêmes, et, de quelque côté que je me tourne, je ne vois rien ici que de désagréable[56]. Il subissait lui-même une de ces épreuves qui sont une des fréquentes amertumes du commandement. Dans sa propre armée, il y avait un parti qui lui contestait son triomphe, pour l'attribuer à l'un de ses inférieurs. Parce que le comte de La Feuillade avait vaillamment payé de sa personne, parce qu'il avait exécuté, mieux que d'autres peut-être, avec plus d'intelligence et d'entrain, les ordres de son chef, il avait de nombreux amis qui faisaient de lui le héros de l'action, le vrai, le seul vainqueur des infidèles. C'est ainsi que l'intendant de l'armée, M. Robert, en avait écrit à la cour et à M. de Gravel[57], et il affectait un tel enthousiasme pour M. de La Feuillade qu'il se fit rappeler au sentiment de son devoir, ou plutôt de son intérêt, par Le Tellier, son protecteur et son parent. Puisque vous connoissez, lui écrivait ce ministre, que M. de Coligny prend beaucoup de jalousie de M. de La Feuillade, vous devez être fort circonspect en votre conduite envers mondit sieur de Coligny, pour ne lui donner pas sujet de soupçonner que vous ayez plus de correspondance qu'il ne convient avec mondit sieur de La Feuillade, et en effet, en vous conservant son amitié, vous devez vous abstenir de tout ce qui sentiroit la liaison avec lui, exécutant toujours les choses qui sont de votre emploi sur les sentiments de M. de Coligny, auxquels vous devez vous attacher sincèrement, suivant votre devoir et l'intention du roi, sans aucune relation avec qui que ce soit[58]. Quelque paternelle que fût cette admonestation et quelque habileté qu'il pût y avoir dans ces pratiques d'honnête duplicité, dont la fortune de Le Tellier était la justification la plus éclatante, l'intendant ne se laissa ni toucher ni convaincre ; il se tourna du côté de Louvois et lui envoya, sur les événements de la campagne, un long mémoire auquel le jeune secrétaire d'État, sans vouloir se prononcer ouvertement, parut cependant faire meilleur accueil[59]. Quant à Coligny, il supporta fièrement l'épreuve ; à peine, dans sa correspondance, en touche-t-il deux mots, avec une indulgence un peu dédaigneuse : Pour ce qui est de nos petites froideurs, elles ne paroissent qu'entre nous, et je ne fais pas semblant de voir beaucoup de choses que la légèreté et gaillardise d'esprit fait plutôt faire que la malice. Quoi qu'il en soit, le service du roi n'en a point encore souffert ni reçu de détriment[60]. Il avait l'âme trop haute pour se laisser atteindre par ces misérables intrigues, et trop profond le sentiment de son devoir pour sacrifier à son intérêt particulier les soins qu'il devait au salut de ses compagnons d'armes. D'ailleurs ce n'était pas lui seul que l'ingratitude attaquait, c'était son armée tout entière et le nom français.

Après les premiers élans de reconnaissance, involontaires et spontanés, les Autrichiens s'étaient ravisés. Le service que les Français venaient de rendre à la monarchie impériale pouvait être, dans l'avenir, une obligation embarrassante ; ou résolut de le nier. Aux premières relations de la bataille de Saint-Gothard, où les Français occupaient le rang qu'ils méritaient, on en substitua d'autres où il n'était plus question d'eux, sinon pour les blâmer et les insulter. On donne, écrivait Robert à M. de Gravel[61], toute la gloire à M. de Montecucculi et aux Allemands, se plaignant même que les François n'ont pas voulu poursuivre la victoire et que, s'ils avoient voulu agir, l'action auroit été bien plus éclatante et l'on auroit poussé la chose plus loin. L'on a même fait un plan en taille-douce du combat de Saint-Gothard, dans lequel on dépeint M. de Montecucculi avec les Allemands massacrant et renversant les Turcs, et les François à un coin, oisifs et sans être de la partie que comme spectateurs. Dans l'armée impériale, on n'osait pas tenir ce langage, mais on n'était que plus irrité et plus humilié d'être obligé de rendre à la vérité un hommage auquel on aurait voulu se soustraire. Il y a quelquefois à la guerre, surtout entre des nations longtemps ennemies, auxquelles une alliance d'un jour ne peut faire oublier leurs rivalités historiques, des services qui se pardonnent moins que des offenses. Les troupes françaises en firent bientôt l'épreuve. Je ne doute pas, écrivait Coligny, qu'on ne voulut ici que le dernier de nos hommes creva le dernier jour de la campagne[62]. Depuis que nous avons joint l'armée, nous ne savons plus ce que c'est que de pain, et toute l'industrie humaine ne peut trouver de remède à cela ; car nous sommes dans un pays désert, éloigné des villes, et dans la Hongrie, où les Allemands et leurs adhérents sont en abomination, et les Hongrois, les plus méchantes gens et les plus grands voleurs qu'il y ait au monde, et qui nous auroient fait autant de mal que les Turcs, si nous avions été battus. Il n'y a pas ici un soldat qui ne soit un trésor à Sa Majesté ; ne seroit-ce pas une chose épouvantable de les voir tomber morts sur les chemins, de faim et de misère, tandis que nous sommes chargés d'argent ?[63] Lorsque Coligny s'adressait aux ministres impériaux, ils lui montraient l'égale détresse des troupes autrichiennes. Excuse misérable ! Quelle estime pouvait mériter un gouvernement qui, pour sauver sa loyauté justement suspecte, était réduit à l'humiliant aveu de son impuissance ? Eu tout cas, Louis XIV ne pouvait se contenter d'une pareille défaite. En même temps qu'il faisait acte de courtoisie royale, en renvoyant à l'Empereur les cinquante drapeaux enlevés par les Français à Saint-Gothard, il insistait énergiquement pour que ceux qui les avaient conquis reçussent un traitement plus convenable, en laissant entendre que, de la conduite du cabinet de Vienne à leur égard, dépendait la résolution qu'il allait prendre de continuer cette assistance ou de la faire cesser en les rappelant[64].

Tout en se montrant surpris et irrité de la coupable négligence des ministres de l'Empereur, Louis XIV n'avait pas de moindres griefs contre l'alliance du Rhin, dans la caisse de laquelle il avait versé, chaque année, depuis 1658, quatre-vingt-seize mille livres pour le service des vivres et des munitions de guerre[65]. Or, cette caisse, grossie de six années de recettes sans aucune dépense, qu'était-elle devenue ? Coligny en demandait des nouvelles pressantes à M. de Gravel : Le roi, lui disait-il, m'écrit tous les jours d'une certaine caisse des alliés où il a mis un fonds, comme les autres, pour le pain et pour les munitions de guerre, et nous n'avons pas encore eu une once de l'un ni de l'autre par cette voie-là. Nous ne savons où est cette caisse, ni qui la gouverne, ni à qui parler. S'il vous plaisoit de nous éclaircir de ce que vous pouvez savoir sur ce sujet, vous nous obligeriez extrêmement[66]. Si Coligny se plaignait de ne savoir à qui parler, c'est que le commandant des troupes de l'alliance, le comte de Holac, était devenu lui-reine presque aussi introuvable que la caisse. Malade ou feignant de l'être, pour se dérober aux ennuis de la responsabilité, il était parti tout à coup, sans donner ordre à rien, à ce point que les officiers du corps de l'alliance furent quelques jours sans savoir à qui obéir, hésitant entre Coligny et Montecucculi. Coligny finit par l'emporter cependant ; ses droits au commandement furent reconnus et respectés. Il finit aussi par retrouver le comte de Holac, qui était à Gratz, mais qui n'avait pas plus que lui connaissance de la caisse[67]. Avec l'esprit d'exactitude et le génie administratif dont il commençait à faire preuve, Louvois ne pouvait comprendre une pareille incurie, si peu faite pour relever dans son estime l'intelligence et l'activité des gouvernements germaniques[68]. Cependant, à force de peine et d'argent, l'intendant Robert était parvenu à se procurer quelques farines, mais si détestables et si avariées, que l'abstinence même était moins défavorable au soldat. Le 15 septembre, il y avait cinq cent cinquante hommes à l'hôpital de Presbourg ; le 30, il y en avait huit cents. La moitié des officiers étaient malades ; Coligny lui-même n'avait pu résister au climat fiévreux de la Hongrie[69].

Quant aux opérations militaires, elles avaient presque entièrement cessé depuis la bataille de Saint-Gothard ; de part et d'autre, on se contentait de s'observer à distance. Ce n'était pas qu'on chômât de conseils de guerre dans l'armée chrétienne ; mais on y faisait plus de bruit que de besogne. Il y a eu, écrivait Coligny, un des généraux de l'Empire qui a donné son avis par écrit ; cet avis portoit qu'il seroit bon de gagner une grande bataille ou de prendre une place considérable ; mais que le plus sir étoit d'attendre jusqu'au mois de mai. Chacun a été gaillardement de son avis, car il faudrait être bien Allemand pour ne pas connoitre que ce seroit une bonne chose de gagner une bataille ou de prendre une grande place ; mais c'est la difficulté d'y pouvoir parvenir[70]. D'autres fois, les délibérations n'étaient pas si naïves ; mais alors elles soulevaient de dangereux conflits. M. de Montecucculi, écrivait encore le comte de Coligny, fait tous les jours des propositions élevées jusqu'au ciel, comme d'aller donner bataille au Turc et autres choses semblables, et quand ce vient aux moyens d'exécuter tout cela, c'est de lui-même que viennent toutes les impossibilités, son dessein pourtant étant toujours de nous faire donner dans le panneau et de faire paroitre à la cour de l'Empereur qu'il ne tient qu'aux François qu'on ne donne bataille. C'est un des plus artificieux esprits que j'aie jamais connus. Mais nous, qui avons découvert ses menées et ses fourberies, lui mettons tant et si souvent le marché à la main, qu'il faut, de par tous les diables, qu'il confesse que c'est lui qui ne peut et ne veut rien faire. sous lui prêchons tous les jours que ce n'est pas à nous à savoir ce qu'ils perdront ou ce qu'ils gagneront à une bataille ; que quand le roi aura perdu ce qu'il a à perdre de troupes en Hongrie, il en auroit grand regret, mais que cela n'ébranleroit pas sa couronne, et qu'ainsi il ne faut point qu'il nous vienne faire tous les jours des rodomontades et nous charger de ce qu'il n'entreprend rien, et qu'en nous donnant du pain, nous sommes prêts à marcher. Cela l'embarrasse beaucoup[71].

Il ne faudrait pas croire que, dans la bouche de Coligny, ces vives et fières reparties ne fussent qu'une vaine satisfaction d'amour-propre national, une manière de représailles fanfaronnes. Il s'attachait à cette guerre-là, malgré toutes ses difficultés, ou plutôt à cause de ses difficultés mêmes ; il la regardait comme utile, non-seulement à sa gloire personnelle, mais surtout au service du roi ; c'était, à ses yeux, une grande et singulière école, par le nombre extraordinaire, la tactique originale et la bravoure des troupes musulmanes, auxquelles il rendait, sans balancer, un éclatant hommage. Je voudrois bien, disait-il[72], qu'on nous laissât encore aguerrir une couple d'années, afin, après cela, de ne trouver jamais d'ennemis devant nous que nous n'exterminassions ; car, qui bat le Turc en peut bien battre d'autres, et quand ce ne seroit qu'on accoutume la vue à une effroyable multitude, et que les armées chrétiennes ne nous paroitront plus que des partis envoyés à la guerre. Par malheur, ses espérances furent bientôt déçues, non pas, comme il l'a cru lui-même et comme il l'a consigné dans ses mémoires, par le fait de Louis XIV, mais par le fait des ministres de l'Empereur.

Il est vrai que Louis XIV avait résolu, dès le mois de septembre, de rappeler ses troupes, qu'il voyait périr sans gloire, de misère et de faim ; mais c'était pour les rétablir dans de bons quartiers et les renvoyer, au printemps, plus capables de grandes actions. Et lorsque, un peu plus tard, la paix étant déclarée, le chevalier de Grémonville, son nouvel envoyé à Vienne, crut faire acte de bon diplomate en expliquant, par la prévision même de cette paix, la résolution que son maitre avait prise, M. de Lionne l'en blâma comme d'une finesse inutile et sans grandeur. Sa Majesté, lui écrivait-il, eût désiré que vous n'eussiez rien déguisé sur le rappel de ses troupes, car, outre qu'il n'est pas de la dignité d'un grand roi d'user d'aucune de ces adresses dont les autres princes ont quelquefois besoin pour faire approuver leurs résolutions, comme Sa Majesté ne les rappeloit que pour avoir moyen de les remettre en bon état, pendant l'hiver, et les renvoyer plus fortes en Hongrie, au printemps prochain, cette vérité même étoit fort obligeante pour l'Empereur[73]. À ce premier et raisonnable motif, fondé sur les principes d'une bonne administration militaire, s'en était joint, dans l'esprit de Louis XIV, un autre plus puissant, quoique moins avouable, et dont M. de Grémonville avait aussi le secret. C'était le besoin de satisfaire cet incommensurable orgueil qui a été le plus grand, sinon l'unique mobile de tout ce long règne, la source commune de ses grandeurs et de ses misères. Louis XIV rappelait ses troupes pour se donner le plaisir de les accorder une seconde fois aux pressantes sollicitations de l'Empereur. L'instruction dressée au mois d'août pour le chevalier de Grémonville a soin de prévoir les instances que l'Empereur pourra faire, ne semblant pas juste à Sa Majesté qu'une grâce de cette considération soit prostituée en l'accordant sans être demandée[74]. Mais l'orgueil du roi fut déçu comme les espérances de son général. La paix les surprit l'un et l'autre au milieu de leurs rêves de gloire. Elle s'était faite précipitamment, mystérieusement, comme une chose honteuse, dans le camp et sous la dictée du grand vizir, neuf jours seulement après la bataille de Saint-Gothard ; mais on n'osa la publier qu'au bout de sept semaines, lorsque l'impatience des Turcs ne permettait plus d'en contenir le secret. Ainsi, quand Montecucculi parlait de livrer bataille, la paix était signée depuis longtemps. Les alliés, du moins, avaient eu l'honneur de n'y prendre aucune part. Cependant Louis XIV y avait grandement contribué, à son insu.

Depuis que les Français étaient entrés en Allemagne, depuis surtout qu'on les avait vus de près à Vienne et sur les bords du Raab, la crainte de la France avait remplacé la crainte du Turc. Comme à l'approche des grandes tempêtes, le vent avait sauté d'un bord à l'autre de l'horizon ; l'orage grondait à l'occident. M. de Grémonville obtint, là-dessus, des confidences pleines de lumière : J'ai su, écrivait-il au roi[75], j'ai su d'une personne qui a quelque part dans le ministère de cette cour, qu'un des principaux motifs qui les a obligés de tenir le traité de paix si secret, avait été la peur que je ne portasse à l'Empereur des propositions et engagements qui pussent empêcher leur dessein de la conclure en quelque façon que ce fût, comme ils avoient résolu. Tous les ministres [étrangers] que j'ai vus ici, hors M. le nonce, m'ont dit qu'on ne leur a jamais donné d'autre excuse pour la paix si précipitée et si peu avantageuse, sinon qu'il falloit se préparer contre les grands desseins de Votre Majesté, qui fomentoit des divisions dans l'Empire pour y entrer à main armée, lorsque l'Empereur auroit été bien affoibli et embarrassé dans une guerre avec le Grand-Seigneur, qu'il falloit songer à détruire la ligue du Rhin comme pernicieuse à la religion et au repos de l'Empire, dont l'avarice de ceux qui la composoient, par l'utilité qu'ils en recevoient, sacrifieroit toujours leur pays pour appuyer les grands desseins de Votre Majesté. Si les ministres de l'Empereur manquaient souvent de dignité, ils ne manquaient pas toujours de clairvoyance. Les desseins qu'ils redoutaient et qu'ils s'efforçaient de prévenir étaient bien ceux que Louis XIV avait conçus. Il écrivait le 17 octobre à M. de Gravel : Je vous dirai, pour votre information particulière, que mon dessein est de m'appliquer plus que jamais aux affaires d'Allemagne, et, pour cela, je me propose quelques objets principaux : 1° faire subsister l'alliance par tous les moyens possibles ; 2° empêcher que l'Empereur ne puisse entretenir des forces considérables. Et déjà ses plans avaient reçu un commencement d'exécution.

De graves difficultés s'étaient élevées entre la ville protestante d'Erfürt et son suzerain, l'Archevêque-Électeur de Mayence. Aussitôt l'Électeur, invoquant les stipulations de la ligue du Rhin, avait demandé le concours de la France contre s'es vassaux rebelles. Pendant huit mois Louis XIV hésita, ou plutôt il essaya de terminer le différend par voie diplomatique. Cette question, si médiocre en apparence, pouvait amener les plus graves complications, le réveil de l'antagonisme politique et religieux entre les luthériens et les catholiques, la rupture de l'alliance du Rhin, le renversement, en un mot, de l'œuvre laborieusement et glorieusement accomplie par Henri IV, Richelieu et Mazarin. Déjà très-décidé contre le protestantisme, à ce point que M. de Grémonville ne craignait pas d'affirmer au confesseur de l'Empereur que le roi n'avoit d'autre application que d'extirper l'hérésie, et que, si Dieu, par sa grâce, continuoit le bonheur de son règne, on verroit dans peu d'années qu'elle s'éteindroit en France[76], Louis XIV affectait cependant, à l'égard des protestants d'Allemagne, une confiance pleine de sympathie. D'un autre côté, la situation de l'Electeur de Mayence, chef du directoire de l'alliance, exigeait les plus grands ménagements. On lui devait déjà beaucoup ; on attendait beaucoup de lui ; il finit par l'emporter. Toutes les négociations ayant échoué, un corps composé de soixante compagnies d'infanterie et de dix-huit de cavalerie, formant environ quatre mille hommes, partit de Metz, au commencement de septembre, sous les ordres du marquis de Pradel, pour opérer, avec les troupes de l'Électeur, contre Erfürt. Grande fut l'émotion dans la diète de Ratisbonne ; M. de Gravel écrivait que les protestants s'étaient entièrement séparés des catholiques et qu'ils faisaient entre eux des assemblées particulières. L'habileté de M. de Lionne sauva tout. De plus grands triomphes ont illustré la carrière de ce grand ministre, jamais de plus sérieux ni de plus utiles. S'il est vrai qu'un problème bien posé est à moitié résolu, M. de Lionne était à mi-chemin du succès quand il désignait ainsi à M. de Gravel le but qu'il se proposait d'atteindre : accommoder l'affaire d'Erfurt, et, s'il est possible, avec quelque satisfaction du parti protestant dont il soit redevable au roi, sans que l'Électeur de Mayence en demeure dégoûté ou moins obligé. A la fin d'octobre, toutes ces conditions étaient remplies ; la réduction d'Erfurt satisfaisait l'amour-propre de l'Électeur, tandis que de bonnes garanties, ducs à l'intervention du roi, assuraient les droits et les privilèges des habitants rentrés dans le devoir. Les inquiétudes protestantes évanouies, l'alliance du Rhin consolidée, l'influence française plus autorisée en Allemagne, tel fut le résultat d'une crise qui avait inspiré d'autres espérances aux ministres de l'Empereur.

Au point de vue militaire, cette petite expédition n'avait eu aucun intérêt ; mais la seule présence des troupes du roi en Allemagne était une menace pour le cabinet de Vienne. Quatre mille hommes à Erfürt, six mille en Hongrie, tout cela ne plait point en ce pays-ci[77]. Lorsqu'il écrivait ainsi à Louvois, Coligny ne doutait pas que le gouvernement impérial ne s'empressât de se défaire promptement de ses dangereux auxiliaires ; empressement très-légitime, et qui eut le mérite, fort inattendu, d'être accompagné de beaucoup de bonne grâce.

Il semblait qu'on fût revenu aux jours d'enthousiasme qui avaient suivi la bataille de Saint-Gothard. La gloire des troupes françaises se dégageait, avec plus d'éclat, du nuage sous lequel on avait tenté de l'obscurcir. Elles avoient fait des miracles, s'écriait le prince de Porcia, ayant rétabli les affaires de l'Empereur jusqu'à lui avoir procuré la paix, puisque, ensuite de l'action de Saint-Gothard, le visir avoit commencé à la proposer[78]. L'empereur Léopold lui-même s'efforçait de secouer son flegme tout germanique, mais un peu vulgaire, qui n'avait rien de commun avec la sérénité olympienne de Louis XIV. Louis XIV devait sourire de l'admiration ironique que la tranquillité du chef de l'Empire inspirait à Coligny : L'Empereur, écrivait celui-ci, dans les plus grands périls qu'il ait courus cette campagne, n'a fait que chasser et jouer, avec la même sûreté que s'il eût eu son ennemi à Caudebec. En vérité, cela est beau à un grand prince d'avoir une si grande fermeté et quiétude d'esprit[79]. Quoi qu'il en soit, l'Empereur traita le chevalier de Grémonville avec beaucoup de considération. Il auroit souhaité, lui dit-il, que S. M. T. C. eût gardé les étendards turquesques comme un trophée bien dû à la valeur de ses troupes que toute l'Europe admiroit ; mais puisqu'elle avoit bien voulu lui en faire présent, il vouloit les faire mettre en un lieu distingué, pour distinguer leurs glorieuses actions et pour les remettre incessamment au souvenir de toute l'Allemagne[80]. C'était un concert de louanges et de belles paroles ; les actes, chose inouïe, les dépassèrent encore. Le trésor impérial, qui était vide, trouvait cent mille livres à offrir aux généraux français ; et comme ils répondaient un peu fièrement qu'ils ne prenaient d'argent que du roi seul, les florins se métamorphosaient en diamants et en bijoux[81]. Enfin, cette armée qu'on avait laissée mourir de faim pendant toute la campagne, les ministres décidaient qu'elle serait nourrie et défrayée de tout, pendant sa marche à travers les États de l'Empereur. Vous voyez, disait Coligny[82], qu'on ne nous traite pas comme les médecins qu'on fait venir à cheval et qu'on renvoie à pied. Ici c'est tout le contraire. En venant, on nous refusoit tout pour de l'argent, et, au retour, on nous donne tout pour rien, et outre cela, on nous raccommode soigneusement les ponts, ports et passages. Cela est un pur effet de notre mérite. Je vous assure que nous sommes de gentils garçons, et j'espère que nous serons encore plus sages au retour qu'à l'aller. Nous ramenons un corps chargé de gloire et de bénédictions des Allemands.

La retraite se fit donc à très-petites journées, de festins en festins[83]. Parties de Presbourg le 18 octobre, les troupes n'atteignirent les bords du Rhin que le 21 décembre ; elles traversèrent le fleuve près de Spire, au même endroit où elles l'avaient passé d'abord, au début de la campagne. La sollicitude de Coligny pour ses compagnons d'armes était touchante. Son langage est d'un père de famille plutôt que d'un général d'armée : Je vous rendrai le troupeau qu'on m'a mis en main, gras, gaillard et triomphant[84]. Nos volontaires ont été heureux d'avoir fait un si beau voyage, et moi d'en avoir perdit si peu. La fortune les a accompagnés jusqu'à la santé ; car il est miraculeux que de tant de jeunes gens qui n'avoient jamais fatigué, il n'en soit mort qu'un de maladie[85]. Enfin, le 8 janvier 1665, en déposant, à Metz, le commandement qu'il y avait pris, huit mois auparavant, il fermait sa correspondance avec Louvois par ces nobles et simples paroles[86] : Je suis venu finir ma course où je l'ai commencée, avec une grande reconnoissance et une profonde humilité envers Dieu, de l'avoir fait réussir si heureusement à la gloire du roi et à l'honneur de toute la nation.

Quelle fut la récompense de ce généreux serviteur ? Le 15 mai 1667, Louis XIV était à la veille de partir pour conquérir la Flandre ; le comte de Coligny fut presque le seul, parmi les officiers généraux, qui n'eût pas de commandement : Je vais être témoin des conquêtes du roi, écrivait-il à Bussy-Rabutin ; je n'ai ni office, ni bénéfice, mais j'ai le plaisir, à l'âge de quarante-neuf ans, de faire le métier de volontaire que je n'avois encore jamais fait. Il me semble par là que je sors de l'académie. Cela me réjouit extrêmement, et d'autant plus que le roi m'a fait l'honneur de me permettre de faire ce voyage, dont je lui suis extrêmement obligé. Il n'eut pas même cette amère satisfaction ; la goutte l'empêcha de suivre l'armée. Le 10 janvier 1668, madame du Bouchet, sa parente et son amie, écrivait à Bussy[87] : On ne parle non plus de notre ami Coligny, dans le nombre des officiers généraux nommés pour servir, que s'il y avoit cent ans qu'il fût mort. Non-seulement on ne parlait plus de lui dans le présent, on l'oubliait même dans le passé, un passé de trois ans ! Du fond de la Styrie, M. de La Feuillade avait si souvent écrit et fait écrire ; depuis son retour, il avait si souvent dit et fait dire qu'il était le vrai, le seul héros de Saint-Gothard ; et le roi et la cour avaient si complaisamment prêté l'oreille à ce concert de mensonges, que ces mensonges étaient devenus le vérité convenue, officielle, acceptée par l'histoire. Qu'on ouvre, à l'année 1664, le livre estimé du président Hénault ; on y lira cette incroyable assertion : Combat de Saint-Gothard, le 1er août. Coligny, qui commandait les François, ne se trouva pas à la bataille, où La Feuillade se distingua[88]. C'est toujours un devoir de rétablir la vérité ; c'est un bonheur de rétablir le droit d'un honnête homme, odieusement sacrifié.

Quelles que fussent l'audace et l'habileté de M. de La Feuillade à plaider le faux, il n'aurait pu le mettre à la place du vrai, s'il n'avait été soutenu par 'M. le Prince, qui commençait alors à rentrer en grâce auprès du roi, mais qui ne se piquait pas d'imiter son généreux exemple ; car si Louis XIV pardonnait au prince de Condé ses erreurs, le prince de Condé ne pardonnait pas ses propres offenses au comte de Coligny. Il faut dire encore que M. de La Feuillade trouva des appuis, ou, pour être plus exact, que M. de Coligny trouva des adversaires parmi les ministres. J'arrivai à la cour au mois de janvier 1665, a-t-il écrit dans ses mémoires ; je vins mettre pied à terre chez M. Le Tellier, qui n'étoit pas content de moi, à cause de plusieurs démêlés que j'avois eus avec un nommé Robert, parent dudit sieur Le Tellier. Je fus confirmé dans l'opinion que j'avois conçue que, quand on n'est pas créature et très-humble valet des ministres, c'est temps perdu de s'attacher au service des rois. Le comte de Coligny était de ces généraux de l'ancien régime, pourrait-on dire, qui ne comprenaient pas le partage des pouvoirs dans une armée, la séparation des fonctions administratives et des fonctions militaires. Pendant la Fronde, il avait applaudi à la destruction des intendants, créés par Richelieu ; après la Fronde, il les avait vus rétablis par Mazarin ; mais il ne reconnaissait pas leur autorité, qui était à ses yeux une nouveauté dangereuse, une véritable usurpation. Quand l'intendant Robert lui fut donné, il l'accepta comme un commis, comme un subalterne, non comme un administrateur ayant des pouvoirs distincts de ceux du général en chef. Il voulut tout faire dans son armée, tout décider, tout régler, même les questions de finance : Vous ne trouverez que des dépenses solides et rien d'obscur, écrivait-il à Le Tellier[89] ; nous vous ferons bien voir que nous sommes bons ménagers de l'argent de Sa Majesté, et que si jamais je deviens surintendant des finances, je les ménagerai peut-être aussi bien que feu M. le maréchal d'Effiat, qui étoit un porte-rapière comme moi. Telle était la cause de sa mésintelligence avec l'intendant et les commissaires des guerres, qui sont si tiers, disait-il, que la terre n'est pas capable de les porter[90].

Non-seulement Le Tellier et son fils, chefs de l'administration militaire, n'entendaient pas abandonner leurs agents, mais au contraire ils travaillaient, Louvois surtout, à étendre leurs attributions. Il y avait dans l'armée d'effroyables désordres, surtout en matière d'argent ; le denier du soldat n'était pas plus sacré, pour la plupart des officiers, que les deniers du roi. A qui se confier pour la poursuite de ces abus ? Aux généraux ? Tous n'avaient pas, à l'égal de Coligny, les mains nettes. C'était des intendants, des commissaires. des guerres, que Louvois attendait un contrôle sérieux, une surveillance exacte ; il les rendait responsables des moindres méfaits, niais il leur donnait une grande autorité pour les atteindre. Toute l'administration d'une armée était leur domaine ; personne, fut-on maréchal de France ou prince du sang, Turenne ou Condé, n'était fondé à leur en interdire l'accès ; mais ils n'en devaient pas, à leur tour, franchir les limites.

En même temps que Louvois soutenait énergiquement les commissaires des guerres dans leurs droits, pour mieux exiger d'eux l'accomplissement de tous leurs devoirs, il écrivait à l'un d'entre eux[91] : Il ne faut pas que vous prétendiez attribuer aux mauvais offices qu'on vous rend ce que l'on vous écrit d'ici ; vous devez l'attribuer à votre conduite, qui n'est pas assez modérée. Un commissaire des guerres n'a pas le droit de prétendre aucun commandement sur les troupes ni sur les habitants des lieux de son département, et je dois vous faire connoitre que, si vous ne vivez d'une autre manière, il sera impossible de vous soutenir. Entre Coligny d'un côté, Le Tellier et Louvois de l'autre, il y eut donc moins une inimitié personnelle que l'antagonisme de deux principes essentiellement contraires. Il n'est pas inutile d'ajouter que jamais M. de La Feuillade ne fut des amis de Louvois ; le jeune secrétaire d'État, qui avait la passion de l'exactitude et de la vérité vraie, ne s'accommodait pas des fanfarons.

Tandis que le comte de Coligny conduisait, en Hongrie, ses six mille Français contre les Turcs, un autre héros de la Fronde, le duc de Beaufort, amiral de France, dirigeait contre les Barbaresques une expédition à la fois maritime et militaire. Cette expédition ne fut pas heureuse. La mission de M. de Beaufort était de poursuivre les corsaires de Tunis et d'Alger, et, pour mieux assurer la répression de la piraterie, de fonder un établissement permanent sur la côte d'Afrique. Cinq mille hommes, d'infanterie pour la plupart, sous les ordres du marquis de Gadagne, lieutenant général, avaient été mis à la disposition de l'amiral de France. Ils prirent terre le 22 juillet 1664, Gigeri[92], entre Bougie et Bone, chassèrent facilement les Turcs de cette petite ville, et commencèrent à s'y retrancher ; mais le dissentiment se mit bientôt entre les officiers de terre et de mer, parce que la marine voulait s'attribuer la direction et l'honneur d'une expédition où elle prétendait le premier rôle. Peu de temps après, les Turcs revinrent en forces. Un jour, sept cents hommes, qui avaient été détachés pour couper du bois, à une lieue du camp, furent surpris et enveloppés par une multitude de barbares ; un grand nombre, en un instant, furent tués et décapités ; tous l'auraient été, si leurs camarades n'étaient pas venus rapidement à leur secours et ne les avaient dégagés en faisant, par représailles, un grand massacre de Turcs et de Maures[93]. Dés lors, les attaques se renouvelèrent fréquemment ; les assaillants augmentaient tous les jours de nombre et d'audace ; au mois d'octobre, il leur vint onze mille Turcs d'Alger avec du gros canon. Une redoute avancée, qui protégeait le camp, fut rasée par les boulets ; de grandes brèches lurent pratiquées dans les lignes ; un assaut était imminent. En l'absence du duc de Beaufort, qui était allé croiser avec une partie de la flotte devant Tunis, le marquis de Gadagne tint conseil avec les principaux officiers de l'armée ; l'embarquement fut résolu. Il se fit avec précipitation dans la nuit du 29 au 30 octobre ; presque tout le matériel et le canon restèrent aux mains (les Turcs. Qui peut dire si tous les malades et les blessés furent sauvés ? Neuf cents de ces misérables avaient été évacués à la hâte sur les bâtiments de guerre et de transport.

Le malheur poursuivit jusqu'au bout cette triste expédition ; le vaisseau la Lune toucha sur un écueil, en vue même des côtes de Provence ; il s'engloutit avec tout son équipage et dix compagnies du régiment de Picardie. Louvois, qui donnait ces nouvelles au comte de Coligny, ajoutait, en forme de conclusion : Sa Majesté a eu beaucoup de déplaisir de la mauvaise issue de l'entreprise de Gigeri et du naufrage ; mais ce sont des accidents auxquels les conquérants sont exposés[94].

Le secrétaire d'État de la guerre n'avait été que le spectateur passif de cette expédition, dont le succès ne lui aurait pas été attribué, dont l'échec ne pouvait par conséquent pas l'atteindre ; le soin même des troupes de terre avait été distrait de son département et confié, par exception, au secrétaire d'État de la marine. C'était une épreuve qui ne fut pas renouvelée, une confusion d'attributions pour prévenir un conflit. Louvois eut cependant l'occasion de donner à la marine une leçon de dignité humaine, et de la rappeler à l'observation des lois qui réglaient la discipline militaire. Le 14 juin 1661, il écrivait au commissaire de La Guette : Le sieur Delaval, capitaine au régiment des vaisseaux, qui a été détaché, avec quelques officiers et soldats du corps, pour monter sur la galère Saint-Dominique, s'est plaint de ce qu'un de ses soldats, qui avoit tenu à M. le chevalier de Tonnerre des discours séditieux, et que le capitaine demeure d'accord mériter un très-grand châtiment, avoit été, par l'ordre dudit chevalier, lié sur le coursier[95] et frappé par un Turc de plusieurs coups de bâton. Le roi, qui a été informé d'un traitement si indigne d'un soldat et d'un homme libre, n'a pu approuver la conduite que ledit sieur chevalier a tenue en ce rencontre, et, pour ne le point discréditer, Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir qu'elle désire que vous lui fassiez entendre, de sa part, qu'elle lui défend de traiter, à l'avenir, ses soldats comme des esclaves ou des forçats, et que, quand il arrivera qu'un soldat commette des fautes qui mériteront punition, il le fasse mettre au conseil de guerre pour y être jugé, selon que le cas le requerra[96].

Telle s'annonçait l'administration de Louvois, exacte, rigoureuse et juste.

 

 

 



[1] Bossuet.

[2] Fléchier.

[3] Soupirs de la France esclave, 2e Mémoire du 15 septembre 1689.

[4] Soupirs de la France, 5e Mémoire.

[5] Le 28 novembre 1631. Vie de M. Le Tellier, par Claude Le Peletier, Bibl. imp., mss. 2431, suppl. fr. — Pinard, Chronologie historique militaire, t. Ier, p. 35.

[6] 2 septembre 1639.

[7] 22 octobre 1645.

[8] Mazarin à Le Tellier, 8 juillet 1659. Bibl. imp., mss. 9350 aa.

[9] Le Tellier à Mazarin, 15 juillet 1659. Id. 9350 cc.

[10] Le 5 août.

[11] Vie de M. Le Tellier. Bibl. imp., manuscrit déjà cité.

[12] Le Peletier, ami et créature des Le Tellier, ministre lui-même, affirme ce fait, qui a été contesté.

[13] Dépôt de la Guerre, T. 168. — N. B. Les documents empruntés à cette source seront dorénavant désignés par les lettres D. G., suivies du numéro d'ordre du tome indiqué.

[14] 17 septembre, D. G. 169.

[15] 20 septembre, D. G. 169.

[16] Déclaration du roi, qui permet à M. le marquis de Louvois d'établir dans les villes maritimes du pays de Provence, aux endroits les plus commodes pour le commerce, tel nombre de barques, tartanes, chaloupes, brigantins ou vaisseaux qui sera jugé nécessaire, et de les faire partir à jours certains et réglés pour aller en la ville de Gênes et autres villes qui sont sur la côte d'Italie. N° 318, D. G. 171.

[17] Il y a dans le tome 173 un grand nombre de lettres de Louvois, en réponse à des compliments.

[18] Bouclier d'État et de justice contre le dessein manifestement découvert de la monarchie universelle. 2e éd., p. 332 et suivantes.

[19] Bouclier d'État, préface.

[20] Bouclier d'État, p. 25-27.

[21] 9 septembre 1662, D. G. 171.

[22] D. G. 175.

[23] D. G. 177.

[24] C'était madame Servient, femme de l'ambassadeur de France, qui avait conduit cette négociation en l'absence de son mari.

[25] D. G. 182. Introduction.

[26] Le cardinal Imperiali devait aussi venir solliciter lui-même son pardon.

[27] 7 janvier 1661, État des Troupes qui doivent s'embarquer à Arles pour Toulon ; 261 compagnies. Le contre-ordre est du 22 février D. G. 182-185.

[28] 22 février 1664. D. G. 152.

[29] 17 janvier 1664. Aff. étrangères, Ratisbonne, t. 2. — Le Tellier à Bellefonds, 22 février 1681 : L'Empereur avait d'abord fait quelque difficulté de recevoir secours de Sa Majesté en qualité d'allié des princes du Rhin, mais l'on croit qu'il y donnera les mains. D. G. 182.

[30] Gravel au roi, 17 janvier 1664.

[31] Le roi à Grand, 9 février 1665. Aff. étrangères, Ratisbonne, 2.

[32] C'est le nom que lui donnent les documents français : les Allemands le nommaient le comte de Hohenlohe.

[33] Coligny à Le Tellier, 22 et 31 mai 1064. — Coligny à Louvois, 31 mai. Je suis extrêmement aise de vous savoir de retour de votre voyage de Bourgogne. A l'avenir, j'aurai l'honneur de vous écrire ce qui se passera en ces quartiers. Vous ne serez pas fiché de soulager d'autant M. Le Tellier des peines que je lui donne à lire mes lettres Nous avons, aujourd'hui, fait passer le Rhin à notre cavalerie. D. G. 190. — Le Tellier à Coligny, 18 juin. Sa Majesté a vu avec beaucoup de plaisir le soin que vous avez pris de recommander aux volontaires de ne point tourner en dérision ceux des pays où vous passerez qui vous viendront voir ou ceux avec lesquels ils pourront avoir quelque commerce. L'on n'est point à blâmer pour ne pas savoir parfaitement notre langue ni pour ne pas suivre la façon de notre habillement. D. G. 189.

[34] 2 juillet 1664. D. G. 190.

[35] 30.000 livres. Coligny à Louvois, 25 juin.

[36] Desmadrys à Louvois, 25 juin. Toutes les troupes sont logées dans une ile, à une bonne heure au-dessus de Vienne. — Coligny à Louvois, 28 juin. Ce matin, on a fait fermer toutes les portes de Vienne quand nous sommes passés, et de plus on a fait redoubler la garde. D. G. 190.

[37] Coligny à Le Tellier, 1er juillet. Il m'envoya aussi deux chevaux qui ne sont pas extrême beaux, mais que je crois bons. Les mémoires, au contraire, parlent de deux fort beaux chevaux. Ils le sont peut-être devenus. — Desmadrys à Louvois, 2 juillet. Nous allâmes, l'après-dinée, à Ebersdorf, où l'Empereur avoit fait préparer toutes choses pour une chasse ou plutôt pour le meurtre de trois misérables cerfs que de gros limiers terrassoient après avoir été tirés de l'Empereur qui, aussitôt qu'ils étoffent à terre, leur alloit fourrer son épée dans le corps.

[38] Coligny à Le Tellier, 23 juin.

[39] Robert à Louvois, 2 juillet. Vous potinez juger que cette mésintelligence n'est pas fort secrète, puisqu'un jour que M. Le Camus de Beaulieu, a été à l'armée, les uns et les autres lui en ont parlé hautement et en présence d'autres gens.

[40] 4 juillet. Aff. étr. Ratisbonne, 3.

[41] 8 juillet. D. G. 190.

[42] 8 août. D. G. 189.

[43] Coligny à Louvois, 21 juillet. Nous allons joindre une armée qui est disparue et qui n'a plus que le nom ; nous composerons tout seul, le corps des alliés. Le même jour, il est vrai, le comte de La Feuillade écrit que les alliés sont au nombre de six cents chevaux et de douze cents hommes de pied. D. G. 190.

[44] Robert à Le Tellier. 31 juillet. D. G. 190.

[45] Mémoires de Coligny, p. 97.

[46] Coligny à Le Tellier, 6 août.

[47] Robert à Le Tellier, 4 août. — Relation de la bataille. — Mémoires de Coligny.

[48] Les Allemands.

[49] Jean, comte de Nevers, depuis, Jean sans Peur, duc de Bourgogne Coligny parle ici de la bataille de Nicopolis, en 1396.

[50] Coligny à le Tellier, 1er août. D. G. 190.

[51] Mémoires de Coligny, p. 99.

[52] Relation de Montecucculi à l'Empereur. Les troupes françoises ont fart des merveilles en ce rencontre ; mais surtout on doit la louange de cet heureux succès aux deux généraux françois, MM. de Coligny et de La Feuillade, le premier s'étant porté partout, pour donner aux siens les ordres nécessaires pour charger l'ennemi, et le dernier, qui commandoit la cavalerie, ayant mis pied à terre pour assister l'infanterie qui a fait des mieux. Fait au camp, à demi-lieue près de Saint-Gothard, le 2 août 1664. — Aff. étr. Autriche, supplément, 19, n° 116.

L'Empereur à l'archevêque de Salzbourg, 4 août. Ordre de donner part de la victoire au plénipotentiaire français à Ratisbonne a et de lai dire, de ma part, que les troupes auxiliaires du roi son maitre, tant dans cette dernière occasion que dans la précédente, où les Turcs avaient voulu passer la Raab à Kerment, ont combattu courageusement et fait, en ces deux occasions, tout ce qui se pouvait attendre de gens de cœur et de conduite. Idem, idem.

Le comte de Sinzendorf, chancelier de la cour impériale, à M. de Lionne, Vienne, 10 août. — Ex quibus Excellentia Vestra omni cum satisfactione intelliget quantam gloriam arma Gallica nacta sint, ut vere victoriam dictam non modice suam fecerint. Idem, idem, n° 121.

[53] Relation de la victoire, etc. — 4 pages d'impression, petit in-4°, imprimé à Bruxelles le 23 août 1664. — Les troupes françoises y agirent avec tant de courage et de vigueur, que d'environ 120 drapeaux que les ennemis y perdirent, elles en gagnèrent 50 dont leurs chefs en envoyèrent aussitôt 5 à l'Empereur. Idem, idem, n° 113.

Relation, etc. — Imprimé, petit in-f° de 4 pages en espagnol, con licencia en Madrid. — .... Los Franceses en esta ocasion portaronse con singular valor. Entre banderas, vestandaries, se ganaron hosto 125, las 50 por los Franceses. Idem, idem, n° 151.

[54] Coligny à Louvois, 23 août. Un homme qui vient de Vienne aujourd'hui m'a dit que, dans la cour du palais de l'Empereur, il y avoit quantité de pièces de vin d'où l'on en tiroit de toutes les sortes pour les François qui y veulent aller boire, et que ce régal n'est que pour ceux de notre nation. C'est la piscine probatique de notre valeur et une marque de l'estime que Pou en fait à Tienne ; et rien n'est plus vrai que les marchands et cabaretiers qui les rançonnoient, à leur arrivée, les font boire présentement pour rien le plus souvent, et les marchands leur donnent leurs marchandises h grand prix, leur disant :a Brases François, il ne faut pas prendre garde à peu de choses avec vous.

[55] Coligny à Le Tellier, 5 sept. D. G. 190.

[56] Coligny à Le Tellier, 1er août. D. G. 190.

[57] 2 août, Aff. étr., Autriche, 1664, suppl. 19.

[58] 27 sept. D. G. 189.

[59] Louvois à Robert, 31 octobre. — J'ai reçu, avec votre lettre du 12 de ce mois, un mémoire écrit de votre main, qui contenait environ vingt ou vingt-cinq feuillets. Ce mémoire m'a particulièrement informé de toutes les choses qui se sont passées durant la campagne, et j'en tirerai toute l'utilité que je dois. Cependant je l'ai jeté au feu après l'avoir lu avec grand plaisir. D. G. 189.

[60] Coligny à le Tellier, 6 octobre. D. G. 190.

[61] Robert à Gravel, 1er septembre. Aff. étr. Autriche, 1664, suppl. 19. — Robert à Le Tellier, 1er sept. D. G., 190.

[62] Coligny à Le Tellier, 6 août.

[63] Coligny à Le Tellier, 1er août.

[64] Instruction pour M. de Grémonville et addition, 15-24 août. Aff. étr., Autriche, suppl. 19.

[65] Le Tellier à Coligny, 26 août. D. G. 189.

[66] 29 sept., Aff. étr., Hongrie, 2, n° 55.

[67] Coligny à Le Tellier, 19 et 23 août.

[68] Louvois à Coligny, 19 sept. D. G. 189.

[69] Coligny à Le Tellier, 13 et 30 septembre.

[70] Coligny à Le Tellier, 20 août. D. G. 190.

[71] Coligny à Gravel, 29 sept. Aff. étr. Hongrie, 2. — Coligny à Le Tellier, 30 sept. D. G. 190.

[72] Coligny à Le Tellier, 31 août.

[73] Grémonville au roi, 18 oct. — Lionne à Grémonville, 31 oct. — Aff. étr. Vienne, 20.

[74] Addition à l'instruction, 24 août. — Aff. étr. Vienne, 20.

[75] Grémonville au roi, 30 oct. Aff. étr. Vienne, 20

[76] Grémonville au roi, 18 déc. 1664. Aff. étr. Vienne, 20.

Il faut bien remarquer cette date, vingt et un ans avant la révocation de l'Édit de Nantes.

[77] Coligny à Louvois, 7 oct. D. G. 190.

[78] Grémonville au roi, 18 oct. Aff. étr. Vienne, 20.

[79] Coligny à Le Tellier, 1er et 6 octobre. D. G. 190.

[80] Grémonville au roi, 13 nov. Aff. étr., Vienne, 20.

[81] Robert à Louvois, 7 nov. — Podwitz à Le Tellier, 12 nov. D. G. 190.

[82] Coligny à Le Tellier, 26 octobre.

[83] Robert à Le Tellier, 30 oct. — Nous marchons tant que nous pouvons vers l'Alsace, régalés et chargés de bénédictions par les peuples, qui nous chauffent soigneusement leurs poêles à noire arrivée ; et voilà toute la dépense que nous leur faisons, car l'étape, qu'ils fournissent, leur sera remboursée par l'Empereur sur leur tailles, dont ils sont très-aises. Robert envoie l'état de la dépense pour le mois d'octobre ; le total est de 128.734 l. 16 s. 8 d.

[84] Coligny à Le Tellier, 19 décembre.

[85] Coligny à Le Tellier, 1er octobre.

[86] Coligny à Louvois, 8 janvier 1665. D. C. 190.

[87] Lettre citée par M. Monmerqué dans la notice qui précède les mémoires du comte de Coligny.

[88] Le président Hénault avait certainement lu cependant l'Histoire militaire de Louis le Grand, par le marquis de Quincy, car nous possédons précisément l'exemplaire qui a appartenu au président ; on lit dans cette histoire, t. I, p. 268 : Les actions de valeur que fit le comte de Coligny à la tête des François déterminèrent la victoire en faveur des impériaux.

[89] 19 et 21 décembre 1664. D. G. 190.

[90] Coligny à Louvois, 4 janvier 1665.

[91] Louvois à Pérou, 7 mai 1665. D. G. 193.

[92] Djidjelli.

[93] Le Tellier à Coligny, 12 septembre 1664. D. G. 189. — Un parent du comte de Coligny, M. de la Châtre, avait été tué dans cette affaire ; M. de Coligny écrit à Le Tellier, le 7 octobre : Je suis bien aise que M. de la Châtre ait honoré sa vie par une belle mort ; il était mon parent, et voilà une belle femme et un beau gouvernement de reste. D. G. 190.

[94] 21 novembre 1664. D. G. 189.

[95] Le canon principal d'une galère.

[96] D. G. 183.