LA CONQUÊTE D'ALGER

 

CHAPITRE VI. — SIDI-KHALEF.

 

 

I. Combats de Sidi-Khalef et de Dely-Ibrahim. — II. Bivouac de Chapelle et Fontaine. - Agressions des Turcs. - Marche en avant.  - Erreur de direction.

 

I

Pour atteindre cette enceinte d'Alger on le général en chef promettait uses troupes le combat décisif, il ne restait qu'un espace peu considérable à franchir, si ce n'est que la nature y avait élevé des' obstacles dont une défense intelligente pouvait disposer à son grand avantage. L'assaillant qui venait de Staouëli voyait s'allonger en travers de sa route plusieurs chaînes de collines distinctes, étagées, flanquées comme les pièces d'une fortification régulière, toutes commandées par les hautes croupes de la Bouzaréah, centre et nœud du massif d'Alger. Il n'y avait rien là toutefois qui pût arrêter ou seulement retarder beaucoup l'armée française, si la grosse artillerie, si les munitions et les vivres pouvaient arriver promptement à sa suite. Par malheur, ce n'était ni de l'armée ni même du général en chef que dépendait la solution de ce problème c'était de l'amiral et surtout de la mer. Qu'était devenue cette dernière section du convoi, chargée des chevaux d'attelage, et déjà bien tardivement partie, le 18 juin, du mouillage de Palma ? Ni le 20, ni le 21, on n'en avait point encore de nouvelles. Le 22, quelques voiles apparurent à l'horizon ; le 23, on en vit un plus grand nombre ; mais toutes, retenues au large par une forte brise du sud-ouest, faisaient de vains efforts pour s'élever au vent et doubler la pointe de Sidi-Ferruch. Impatient d'amener à lui cette flottille qui portait la fortune de l'expédition, le général én chef voulut chercher s'il n'y aurait pas, sur quelque point de la côte, à l'est de la presqu'île et jusqu'au cap Caxine, une plage favorable au débarquement. Le 23, des détachements tirés de Sidi-Ferruch et de Staouëli se portèrent au nord vers la mer. L'exploration du littoral, dirigée par le général Valazé, démontra que 'la côte, dans ces parages, était inaccessible.

Pendant cette rapide excursion, une fusillade assez vive et quelques coups de canon avaient appris aux troupes détachées en reconnaissance que l'ennemi, depuis trois jours à peu près invisible, avait reparu en force aux abords du camp. Évidemment les cœurs s'étaient raffermis à Alger. A la première stupeur avait promptement succédé l'exaspération de la défaite. Des courriers dépêchés dans toutes les directions pour arrêter la dispersion des Arabes et des Kabyles, ramenaient à tout instant des bandes plus ou moins nombreuses dont l'agglomération, dès le 30 juin, formait déjà une masse d'une vingtaine de mille hommes. De nouveau les ulémas, dans leurs prédications fanatiques, annonçaient l'extermination des Français et le partage de leurs richesses entre les vrais croyants. L'aga Ibrahim, qui d'abord s'était caché dans une de ses maisons de campagne, redoutant la fureur du dey, son beau-père, avait été recherché par ses ordres, rassuré et maintenu dans le commandement suprême de l'armée algérienne. Inexplicable pour les Turcs, l'immobilité de l'armée française après sa victoire leur avait rendu tout à fait confiance ; ils étaient persuadés qu'elle était hors d'état de soutenir un nouveau choc. L'escarmouche du 23, prélude d'une attaque générale, avait mis le comte de Bourmont en éveil ; non-seulement il se tenait prêt à repousser l'ennemi, mais encore il était décidé à gagner sur lui autant de terrain qu'il pourrait en garder sans imprudence.

Le 24 juin, au point du jour, toutes les forces algériennes envahirent le plateau de Staouëli et se déployèrent en face des avant-postes français. Dès les premiers coups de fusil, le général en chef était accouru et avait fait ses dispositions. La première division tout entière et la première brigade de la seconde étaient désignées pour prendre sur tous les points l'offensive, droit devant elles, en refoulant l'ennemi ; les brigades Monk d'Uzer et Collomb d'Arcine restaient en réserve dans l'enceinte du camp. Au signal donné, le mouvement commença avec un merveilleux ensemble à gauche Clouet, au centre Achard et Poret de Morvan, Damrémont à droite, chaque régiment formé en colonne double et couvert par ses compagnies de voltigeurs, dans l'intervalle des brigades, l'artillerie alignée sur les tirailleurs ; tout marchait en ordre, sans précipitation, comme sur un champ de manœuvre. L'ennemi étonné reculait devant cette ordonnance régulière ; si quelque part il essayait de se masser et de tenir, une volée de canon le mettait de nouveau en retraite.

En remontant ainsi vers le nord-est la pente à peine sensible du plateau, les brigades du centre rencontrèrent le premier groupe d'habitations qu'elles eussent encore vu en Afrique c'étaient quelques masures entourées de jardinets et de vergers, auprès d'un de ces tombeaux de marabouts semés en si grand nombre sur cette terre musulmane ; celui-ci s'appelait Sidi-Yeklef. II couronnait l'extrémité du plateau de Staouëli, sur le ravin de l'Oued-Terfah. Au-delà de ce ruisseau, la berge dominante, première assise d'un contrefort de la Bouzaréah, figurait un rempart étroit, resserré entre deux ravins comme entre deux fossés naturels, et tout de suite dominé lui-même par un second étage de hauteurs. Celles-ci d'abord tourmentées, ravinées, formaient par l'épanouissement de leurs sommets réunis une sorte de terrasse de médiocre étendue, limitée à l'est par le vallon de l'Oued-Kerma et désignée sous le nom de plateau de Sidi-Khalef. Du camp de Staouëli à Sidi-Yeklef, pour une distance de trois kilomètres environ, la différence d'altitude n'était que de trente mètres ; elle était de cent mètres au moins, pour une distance égale, entre Sidi-Yeklef et Sidi-Khalef.

A partir de l'Oued-Terfah, tout concourait à contrarier la marche si bien ordonnée des troupes françaises au passage des ravins la roideur des rampes, les fourrés inextricables dans les fonds humides, sur les croupes des bouquets de bois, des maisons de plus en plus nombreuses, des enclos, des haies de nopals et d'aloès plus épaisses et plus hautes que des murs. Il y avait là, pour la résistance de l'ennemi, toutes sortes d'appuis et d'avantages ; cependant, il ne tenait nulle part. L'aga Ibrahim, assaillant médiocre, entendait moins encore la guerre défensive ; il ne sut pas disputer aux troupes françaises ce pays de chicane, et ce furent les difficultés du terrain bien plus que le feu de leurs adversaires qui les obligèrent à ralentir leur allure. Vers deux heures, les trois brigades de la division Berthezène, maîtresses des ravins de Sidi-Khalef, s'étaient élevées sur le plateau dont elles avaient bientôt atteint l'extrémité orientale. Déjà même les plus avancés des tirailleurs, s'aventurant dans le vallon de l'Oued-Kerma, avaient franchi le ruisseau et commençaient à gravir la berge opposée, plus rapide et plus haute. Tout à coup une violente détonation éclate ; un jet énorme de cendres et de fumée jaillit à plus de cent mètres de hauteur, puis s'étale en tourbillons épais, colorés par le soleil d'un éclat roussâtre. C'est une maison qui servait à l'ennemi de magasin à poudre et qu'il vient de faire sauter en se repliant. Cette explication ne fut pas d'abord connue des troupes françaises ; le bruit courut dans les rangs qu'au-delà de l'Oued-Kerma les Turcs avaient pratiqué des fourneaux de mine, et que c'était l'un d'eux qui venait d'éclater. La poursuite d'ailleurs avait mené l'armée française à près de deux lieues de Staouëli. Le général en chef arrêta le mouvement, rappela les tirailleurs et fit couronner par la première division la crête orientale du plateau de Sidi-Khalef.

A l'extrême droite, la brigade Damrémont, qui avait éprouvé un peu plus de résistance que les autres colonnes, était arrivée devant un mamelon élevé, au sommet duquel était une grande maison carrée ou ferme désignée sous le nom de Haouch Dely-Ibrahim. Chassé de cette position, l'ennemi fit un effort vigoureux pour la reprendre. Le général Valazé s'y était arrêté avec une seule compagnie de sapeurs ; il y courut les plus grands périls et y aurait succombé peut-être sans la vigilance et le dévouement d'un jeune officier d'état-major qui, ayant pu sortir avant que la ferme fût complétement investie, mais lorsque la brigade était déjà loin, rejoignit un bataillon du 49e, lui persuada de rétrograder et le ramena au secours du général H était temps. Chargés, culbutés à grands coups de baïonnette, les Arabes s'enfuirent.

Malheureusement, dans cette rencontre, un jeune officier que son nom recommandait à l'attention des troupes, le lieutenant Amédée de Bourmont, tomba frappé à bout portant d'une balle en pleine poitrine. Le lendemain, dans son rapport sur la journée de Sidi-Khalef, le comte de Bourmont donnait seulement quelques mots, d'une simplicité touchante, à la douleur que son devoir lui imposait de contenir. e Le nombre des hommes mis hors de combat a été peu considérable, disait-il ; un seul officier a été blessé dangereusement c'est le second des quatre fils qui m'ont suivi en Afrique. J'ai l'espoir qu'il vivra, pour continuer de servir avec dévouement son roi et la patrie. e Le vœu du père, et l'on peut dire celui de toute l'armée, ne fût pas exaucé. Amédée de Bourmont succomba, le 7 juillet, à l'hôpital de Sidi-Ferruch. A cette date, il y avait deux jours que l'armée française était maîtresse d'Alger ; le succès du général donnait du moins au père malheureux le droit de comprimer moins étroitement l'expression de sa douleur. e Des pères de ceux qui ont versé leur sang pour le roi et la patrie seront plus heureux que moi, écrivait-il au prince de Polignac ; le second de mes fils avait reçu une blessure grave dans le combat du 24 juin. Lorsque j'ai eu l'honneur de l'annoncer à Votre Excellence, j'étais plein de l'espoir de le conserver. Cet espoir a été trompé il vient de succomber. L'armée perd un brave soldat ; je pleure un excellent fils. Je prie Votre Excellence de dire au roi que, quoique frappé par ce malheur de famille, je ne remplirai pas avec moins de vigueur les devoirs sacrés que m'impose sa confiance. e Sans cette cruelle atteinte, la journée du 84 juin eût été parfaitement bonne pour M. de Bourmont ses ordres avaient été partout exécutés sans malentendus et sans erreurs. Après le combat de Dely-Ibrahim, la brigade Damrémont était venue s'établir à la droite de la première division, sur le plateau de Sidi-Khalef. Sur la rive gauche de l'Oued-Kerma, en face du bivouac de la brigade Achard, s'élevait le tombeau du marabout Sidi Abd er Rahman bou Nega, avec son oratoire ou kouba vénérée des pieux musulmans. A peu de distance au-dessous, dans le vallon, on voyait un large abreuvoir en pierre alimenté par une source. C'étaient les deux points de repère qui avaient le plus frappé Boutin, dans son exploration de cette partie des environs d'Alger, et c'est pourquoi il avait marqué ce lieu sur sa carte sous la double et vague dénomination de Chapelle et Fontaine. Les troupes l'adoptèrent, et les combats des jours suivants consacrèrent sous ce nom les positions occupées par l'armée française à l'extrémité orientale du plateau de Sidi-Khalef.

Après avoir présidé à l'installation des bivouacs, 1 e général en chef avait repris le chemin de Staouëli dix ou douze cadavres décapités, mutilés, avec des lambeaux d'uniformes français, gisaient çà et là sur la route. C'étaient des hommes isolés qui s'étaient laissé surprendre par les rôdeurs ennemis, revenus en grand nombre après le passage des colonnes. Des groupes importants de cavaliers arabes, après s'être dérobés sur la droite du général Damrémont, avaient poussé l'audace jusqu'à menacer le camp de Staouëli qu'ils s'attendaient à trouver à peu près désert ; mais à la vue des brigades Monk d'Uzer et Collomb d'Arcine, ils avaient fait prompte retraite et disparu derrière les collines du Sahel.

 

II

Les résultats acquis dans la journée du 84 juin exigeaient du général en chef des dispositions nouvelles. Dès le soir même il y pourvut. A Sidi-Ferruch, le quartier général eût été trop éloigné de Chapelle et Fontaine ; il fut transféré à Staouëli. D'ailleurs, la presqu'île, complétement retranchée, armée de vingt-quatre pièces de canon, appuyée par la flotte, offrait désormais une sécurité si parfaite qu'il était permis, sinon de l'abandonner à elle-même, tout au moins d'en réduire la garnison des deux tiers et d'augmenter d'autant l'effectif des troupes combattantes. Ordre fut donné au duc Des Cars de faire partir successivement ses trois brigades et de les envoyer en ligne, satisfaction bien méritée par des hommes qui, tandis que leurs camarades se battaient, avaient eu pour toute distraction, depuis dix jours, les corvées du débarquement. Du camp de Staouëli, où demeurait seule la brigade Collomb d'Arcine, la brigade Monk d'Uzer était rappelée pour remplacer à Sidi-Ferruch la troisième division. Celle-ci commença son mouvement dans la nuit même.

Le 25, à huit heures du matin, la brigade Bertier, formée du 2e régiment de marche et du 35e de ligne, arrivait sur le plateau de Sidi-Khalef et prenait place à l'extrême gauche de la ligne française ; mais ses bagages qu'elle avait laissés en arrière étaient attaqués et pillés en partie par des coureurs arabes. Ce petit succès les enhardit au point qu'ils osèrent se jeter sur les flancs de la brigade Hurel qui suivait la première à quelques heures de distance. Les deux régiments de cette brigade, le 17e et le 30% furent obligés de former le carré, et n'arrivèrent que fort tard en vue des bivouacs occupés depuis le matin par leurs camarades. La chaleur dans cette journée avait été accablante, et pour la première fois le vent du désert avait fait sentir sa terrible influence. Dans le court trajet de Sidi-Ferruch à Staouëli, plusieurs hommes de la brigade de Montlivault, partie la dernière, avaient été frappés de mort subite.

Les deux régiments de cette brigade, le 23e et le 34e, n'étaient point encore appelés en première ligne ; leur mission était de garder les communications et d'aider à la construction de cinq redoutes que le général en chef avaient prescrit d'élever entre Staouëli et Chapelle et Fontaine. Déjà deux ouvrages de ce genre, achevés et armes, couvraient la route depuis le retranchement de la presqu'île jusqu'à Staouëli ; un troisième protégeait, à l'est, la tête du camp conquis, le 19 juin, sur l'armée algérienne.

Quoique cette armée n'eût fait, dans la journée du 24, qu'une molle résistance, elle n'était point pour les troupes françaises un adversaire méprisable. Sous la main d'un chef plus intelligent et plus hardi que l'aga Ibrahim, les Turcs, les Arabes, les Kabyles pouvaient déployer, mieux qu'ils n'avaient encore fait, leurs qualités guerrières, inégales et diverses, mais exaltées par un pareil fanatisme. La bravoure, chez quelques-uns, rappelait les vieilles légendes des âges héroïques. Le 24 juin, au moment où la brigade Poret de Morvan atteignait l'extrémité du plateau de Sidi-Khalef, on vit un nègre descendre rapidement de la colline opposée et s'avancer vers les tirailleurs du 3e de ligne, un sabre dans une main, un drapeau dans l'autre. On crut d'abord qu'il venait se rendre, et l'on défendit de tirer sur lui ; mais lui, grand, vigoureux, l'œil ardent, la tête haute, hurlant dans une langue incomprise des malédictions évidentes, insultait et défiait les tirailleurs. Parfois il se baissait, et, rasant la terre du tranchant de son sabre, il faisait voler les herbes comme il eût volontiers fait voter les têtes, et c'était bien là ce que voulait dire son geste expressif. Autour de lui groupés, le colonel, le lieutenant-colonel, d'autres officiers et des voltigeurs du 3e de ligne l'examinaient curieusement ; tout à coup il s'élança sur un sergent, pour lui couper la tête. Quoi qu'on eût fait pour l'épargner, il fallut en finir il tomba percé de trois balles.

Cet épisode n'était que le prélude d'une lutte acharnée. Les Français n'avaient pas encore fini d'établir leurs bivouacs sur le plateau de Sidi-Khalef que déjà un chef aimé de la milice turque et respecté des Arabes, Mustapha bou Mezrag, bey de Titteri, avait remplacé à la tête de l'armée algérienne l'incapable Ibrahim Aga. Habiles et promptes, les dispositions du nouveau général redoublaient la confiance que son nom seul inspirait à ses troupes, parce qu'elles assignaient à chacun le rôle qui était le plus approprié à ses mœurs. Ainsi les cavaliers arabes et la plupart des gens de pied étaient envoyés sur les flancs et sur les derrières de l'armée française, tandis que les Turcs, les Coulouglis et les meilleurs tireurs parmi les Kabyles, embusqués sur son front dans des positions dominantes, devaient l'écraser sous un feu meurtrier. Limité à l'est par le vallon de l'Oued-Kerma, au nord et au sud par des ravins, le terrain occupé par les Français paraissait facile à défendre contre une attaque de vive force ; mais il avait le grand défaut d'être partout inférieur au terrain occupé par l'ennemi. Au nord-est particulièrement, par-dessus les premiers contreforts, s'élevaient les pentes de la Bouzaréah d'où tout le plateau de Sidi-Khalef était entièrement vu et plongé. Aussi le bey de Titteri n'avait-il pas manqué d'y faire établir des batteries de gros calibre qui prenaient en écharpe les lignes françaises.

Le 25 juin, dès les premières lueurs du jour, la canonnade et la fusillade avaient été vivement engagées du côté des Turcs. C'était le moment où la première brigade de la troisième division venait prendre place à la gauche de la division Berthezène. En déniant sous les yeux de leurs camarades, ces troupes nouvelles au feu semblaient s'y exposer à plaisir ; quand elles établirent leurs bivouacs, ce fut sur le terrain le moins abrité, tandis que leurs tirailleurs, par cette même exagération d'une bravoure imprudente, affectaient de se montrer à découvert. Aussi la brigade eut-elle en peu d'heures neuf hommes tués et cinquante-huit blessés. Au centre et à la droite, officiers et soldats, n'ayant plus leurs preuves à faire, ne se croyaient pas moins braves parce qu'ils prenaient plus de précautions ; ils savaient combien, dans cette guerre de postes et d'embuscades, leurs ennemis avaient sur eux d'avantages, et ils ne dédaignaient pas de les imiter en se couvrant mieux et en donnant à leur feu ménagé un effet plus sûr.

L'épreuve meurtrière que la brigade Bertier avait subie le 25, la brigade Hurel eut à la subir le 26 elle s'établissait, dans la matinée, à l'extrême gauche, tandis que la brigade Damrémont, par ordre du général en chef, quittait l'extrême droite pour regagner le camp de Staouëli. Ainsi modifiée, la ligne française se trouvait formée, à partir de la gauche, des brigades Hurel et Bertier de la troisième division, et des trois brigades de la première, Clouet, Achard et Poret de Morvan. C'était la gauche, plus voisine de la Bouzaréah, qui avait toujours le plus à souffrir ; malgré sa persévérance et son adresse, l'artillerie française ne parvenait pas à éteindre le feu des batteries turques. Pendant trois jours, les brigades Hurel et Bertier éprouvèrent des pertes sensibles. Cependant, éclairées par l'expérience, elles s'étaient, comme les troupes de la première division, couvertes par des ouvrages de campagne les maisons qu'occupaient leurs avant-postes avaient été crénelées et protégées par des abatis d'arbres. Dans la journée du 27, les Turcs vinrent à plusieurs reprises planter leurs drapeaux sur les épaulements de la brigade Hurel ; ils s'en emparèrent même le lendemain, et ce ne fut qu'au prix des plus grands efforts que le 35e, engagé par le duc Des Cars, finit par les en déloger. Du 26 au 28, la troisième division n'eut pas moins de 520 hommes hors de combat. Moins vivement attaquée d'abord, la première division n'avait point autant souffert ; mais, le 28, la brigade Poret de Morvan eut à soutenir un assaut, le plus rude peut-être qu'une troupe française eût eu à repousser depuis le commencement de la campagne. A l'extrême droite, sur une sorte de promontoire compris entre le vallon de l'Oued-Kerma et le ravin qui terminait au sud le plateau de Sidi-Khalef, était campé le premier régiment de marche, le bataillon du 4e léger, occupant l'angle même de la position, le bataillon du 2e en retour sur la droite, face au ravin. Dominé au sud par les hauteurs de Dely-Ibrahim, à l'est par les pentes opposées du vallon de  l'Oued-Kerma, le 4e léger avait de plus à surveiller, à la rencontre du vallon et du ravin, une trouée assez large et d'une inclinaison assez faible pour laisser passer et se mouvoir librement une masse considérable de cavalerie. En effet, dans la soirée du 87, tandis que de nombreux tirailleurs tenaient en alerte les avant-postes du bataillon, des groupes de cavaliers venaient caracoler à peu de distance, plutôt pour reconnaître le terrain que pour engager une action véritable. La nuit, contre l'usage, ne fit pas entièrement cesser le feu ; à minuit, on tiraillait encore. Des cris éloignés, un bruit confus, mais qui devenait distinct quand on mettait l'oreille contre terre, indiquaient l'approche de bandes nombreuses. Le 28, au point du jour, on vit en position, au-delà de la trouée, une masse de quinze cents à deux mille cavaliers arabes, et de part et d'autre, des groupes de gens de pied, Maures et Kabyles. Vers sept heures le feu commença, devint rapidement nourri et se maintint avec une grande vivacité pendant deux heures. Les cavaliers eux-mêmes s'y mêlaient, par pelotons qui sortaient tour à tour de la masse et y rentraient après avoir déchargé leurs armes. Réduite à ce manège, l'action de la cavalerie était assurément peu redoutable ; de là pour le 4e léger une confiance dangereuse. Vers neuf heures., le feu avait presque entièrement cessé. Le commandant du bataillon, jugeant l'affaire finie, avait donné l'ordre de démonter et de nettoyer les armes. Imprudent en soi, cet ordre, qui n'aurait dû être exécuté que successivement, le fut à la fois dans toutes les compagnies. Tout à coup des cris épouvantables éclatent. De tous côtés des Kabyles, se précipitant à travers les ravins, ont rapidement gravi les pentes du plateau. Assaillis de front, débordés à droite et à gauche, les avant-postes se replient précipitamment sur le gros du bataillon, qui lui-même n'est plus en mesure de les soutenir. Bientôt c'est la masse de cavalerie qui, prenant la charge, débouche au galop et se rue sur nos soldats désarmés. A ce moment, la mêlée devient affreusement meurtrière. Les Arabes s'encouragent au massacre ; ils sabrent et coupent des têtes. C'en était fait du 4e léger, si le bataillon du 2e léger d'un côté, de l'autre un bataillon du 3e de ligne, arrivant au pas de course, n'avaient chargé à leur tour les assaillants, et en attirant l'ennemi sur eux, sauvé leurs infortunés camarades. Ceux-ci dégagés, après avoir remonté leurs armes, reviennent au combat et s'acharnent à venger la surprise dont ils viennent d'être victimes. Les Turcs et les Arabes repoussés regagnent leurs premières positions, mais le succès qu'ils ont eu d'abord les engage à tenter une seconde attaque. Celle-ci prévue, vigoureusement accueillie, dure moins longtemps que la première ; le feu de deux obusiers amenés sur le terrain achève de décourager l'ennemi, qui s'éloigne enfin et n'essaye plus de revenir. Dans cette sanglante affaire, le bataillon du 4e léger n'eut pas moins de 8 officiers et de 117 hommes hors de combat.

La violence de l'attaque et surtout.la précision avec laquelle elle s'était produite contre la droite, au moment même où la gauche n'était guère moins vivement pressée, dénotaient, après les événements des journées précédentes, un plan conçu non sans habileté par le chef de l'armée turque et de jour en jour mieux compris, mieux exécuté par ses soldats. Il était impossible que le général de Bourmont n'en fût point frappé. Laisser une heure de plus qu'il n'était nécessaire les troupes françaises dans une situation si désavantageuse eût été une faute tellement grossière que personne ne pouvait songer à l'imputer au général en chef. C'était, chacun le savait et en maugréait comme lui, le retard des moyens de transport qui retenait l'armée sous le feu meurtrier des Turcs. Il est vrai qu'enfin, -le 25, la dernière section du convoi était parvenue à gagner le mouillage de Sidi-Ferruch ; mais, le 26, une tempête, presque aussi terrible que l'ouragan du 16, avait mis la Hotte en perdition. Le 27 au matin, la mer parut couverte de débris ; quatre transports, étaient à la côte ; des canots défoncés, des chalands désemparés gisaient sur le sable. Cependant, dès que le danger fut moindre et la mer plus maniable ; le débarquement fut repris avec ardeur. A peine mis à terre, les chevaux étaient attelés, les mulets chargés, et des convois sous bonne escorte transportaient par Staouëli jusqu'au plateau de Sidi-Khalef les pièces de siège avec leur attirail, le matériel du génie, les réserves de cartouches, les approvisionnements, les vivres.

Dans la journée du 28, les généraux de La Hitte, et Valazé purent annoncer au général en chef que l'artillerie et le génie étaient prêts à suivre les troupes d'infanterie sous les murs du château de l'Empereur. Aussitôt des ordres furent donnés et de nouvelles dispositions prises, le quartier général, avec les brigades Damrémont et Collomb d'Arcine, transféré de Staouëli à Chapelle et Fontaine, la brigade Monk d'Uzer rappelée de Sidi-Ferruch à Staouëli, sauf un bataillon du 48e laissé pour la garde de la presqu'île avec un détachement de quatorze cents marins fourni, non sans quelque résistance du vice-amiral Duperré[1], par les équipages de la flotte ; enfin les rangs et les rôles assignés pour la marche du lendemain qui devait être la dernière.

Afin de surprendre l'ennemi par une attaque soudaine et qui ne lui laissât pas le temps de se reconnaitre, le généra) en chef avait prescrit aux chefs de corps de se tenir prêts à trois heures du matin. Six brigades, deux de chaque division, étaient désignées pour concourir au mouvement. A gauche, les brigades Hurel et Bertier, de la division Des Cars, avaient leur direction indiquée sur les batteries de la Bouzaréah qu'elles devaient attaquer et détruire, pour se rabattre ensuite vers les croupes de la montagne les plus rapprochées d'Alger. Au centre, les brigades Damrémont et Collomb d'Arcine.de la division Loverdo ; à droite, les brigades Achard et Clouet de la division Berthezène avaient ordre d'appuyer le mouvement de la gauche, en franchissant les dernières crêtes qui dominent le versant oriental du massif d'Alger, et de s'établir en vue du château de l'Empereur ; Ni l'effectif de l'armée, ni les difficultés du terrain ne permettaient au général en chef d'investir complétement la ville ; tout ce qu'il était possible de faire, c'était de prendre de bonnes positions, bien reliées entre elles et telles que les travaux de siège pussent être facilement soutenus.

Trois brigades, un 'tiers de l'armée, avaient dû être laissées en arrière, la brigade Poret de Morvan à Chapelle et Fontaine, pour garder le grand parc ; de là jusqu'à Staouëli, la brigade de Montlivault échelonnée ; à Staouëli et à Sidi-Ferruch, la brigade Monk d'Uzer. Hors du terrain occupé par leurs camps ou couvert par les feux de leurs redoutes, les Français ne possédaient rien ; le chemin qu'ils venaient de parcourir ne leur appartenait déjà plus. Chaque jour, les convois les mieux escortés avaient à soutenir de perpétuelles attaques. Les Turcs et les Arabes, coupeurs de têtes, montraient qu'ils étaient toujours les maîtres du pays. La prise d'Alger suffirait-elle pour leur faire reconnaître et accepter la suprématie du conquérant français ?

Le 29 juin, à deux heures du matin, les bivouacs étaient levés à Chapelle et Fontaine ; les troupes avaient pris les armes et s'étaient rangées en silence. A trois heures, le mouvement commença. Chaque régiment formait une colonne ; l'artillerie marchait dans les intervalles ; des détachements du génie allaient en avant pour ouvrir et frayer des passages. Le vallon de l'Oued-Kerma fut traversé sans obstacle. Au-delà, les avant-postes de l'ennemi furent enlevés sans coup férir ; mais quelques fuyards s'échappèrent en donnant l'alarme ; les premiers coups de fusil furent échangés. A gauche, la lueur des feux allumés sur les pentes de la Bouzaréah guidait les brigades de la troisième division. De ce côté, la fusillade fut très-vive, mais de courte durée. Surpris par la rapidité de l'attaque, les canonniers turcs se hâtèrent de désarmer leurs batteries ; encore les pièces qu'ils avaient essayé d'emmener furent-elles abandonnées par eux et retrouvées plus tard dans les ravins du voisinage. Le jour était venu ; nulle part on ne laissait à l'ennemi le temps de se rallier ; des obus bien dirigés dispersaient et poursuivaient les groupes partout où ils tentaient de se reformer.

A cinq heures, toute résistance avait cessé devant l'aile gauche ; la brigade Hurel occupait, sur le sommet le plus élevé du massif, l'ancien poste d'observation de la marine algérienne, la Vigie. A six heures, la brigade Bertier prenait position sur un mamelon inférieur, plus rapproché d'Alger et presque à portée du canon de la Kasbah. Là un spectacle pitoyable s'offrit aux regards étonnés des Français. Des femmes, des enfants, des vieillards, accroupis, tremblants, récitant des prières, semblaient attendre avec une résignation fataliste la mort que d'autres s'efforçaient de conjurer en embrassant les mains et les pieds des soldats. C'étaient des familles juives qui, chassées d'Alger par les ordres du dey, avaient fui des maisons qu'elles occupaient sur les pentes de la Bouzaréah. Pour les troupes françaises, exaspérées par la férocité de leurs adversaires, mal instruites des différences de race et de costume, tout indigène était un ennemi, toute maison un repaire d'ennemis. Des maisons avaient été forcées, des hommes passés par les armes ; beaucoup de juifs avaient péri. Quand, l'ardeur du combat éteinte et le tumulte apaisé, les chefs plus éclairés eurent pu faire comprendre aux soldats leur erreur, ils s'efforcèrent d'en réparer ou d'en atténuer au moins les effets. On les vit empressés à rassurer les malheureux fugitifs et à partager leurs vivres avec eux, jusqu'au moment où le général en chef, instruit de ces événements, fit diriger cette population désolée sur Sidi-Ferruch.

Pendant la marche à peine contestée de la troisième division, le centre et la droite avaient poursuivi la leur avec moins de difficultés encore. Il était évident que l'attaque matinale de l'armée française avait dérangé toutes les habitudes d'un ennemi dont il n'était pas possible de contester la bravoure, mais dont la bravoure avait besoin d'être éclairée par le soleil. On avait plus d'une fois remarqué que de bonnes positions occupées par les Arabes étaient évacuées par eux à la nuit tombante pour être réoccupées au point du jour. A six heures, la deuxième division faisait halte en arrière des consulats d'Espagne et de Hollande, tandis que la première atteignait, à Bir ben Ateïa, l'extrémité du plateau sur lequel elle marchait depuis trois heures. En ce moment, le général en chef arriva, suivi de tout son état-major. Il se porta en avant de la brigade Achard, qui tenait l'extrême droite, le front tourné au sud-est. Un immense espace, sous la blancheur uniforme d'un épais brouillard, s'étendait à perte de vue devant lui ; suivant l'état-major, c'était la mer en réalité c'était la plaine de la Métidja. De là une grande confusion dans les esprits ; on crut avoir fait fausse route et s'être engagé sur le chemin de Constantine en laissant Alger derrière soi. La carte de Boutin vainement consultée ne pouvait, quoique exacte, résoudre un problème fondé sur une illusion d'optique. On la crut et on la déclara fautive on s'imagina qu'elle avait placé mal à propos Alger beaucoup trop au sud, et que la vraie position de la ville était au nord-est de la Bouzaréah. Donc la seule division de l'armée qui fût bien placée était la troisième, si ce n'est qu'au lieu de former la gauche, elle devait tenir la droite ; et comme conséquence extrême, il était urgent de ramener vers le nord les deux autres divisions égarées au sud. Tel était l'avis du général Desprez.

Confiant dans les connaissances topographiques de son chef d'état-major, dont c'était surtout l'affaire, le comte de Bourmont prescrivit lui-même au général Berthezène de changer de direction à gauche, avec le mont Bouzaréah pour objectif, et fit porter le même ordre au général de Loverdo par le maréchal de camp Tholozé, sous-chef d'état-major. Le général de Loverdo qui voyait flotter sur les consulats les drapeaux d'Espagne et de Hollande, le général Collomb d'Arcine qui, plus en avant, apercevait un peu sur sa gauche le château de l'Empereur, firent d'inutiles objections ; l'ordre était positif ; il fallut rétrograder. La division Berthezène déjà en mouvement suivait la ligne des crêtes ; sous prétexte de gagner du temps par une marche parallèle, la division Loverdo dut s'engager dans les ravins. Peu soucieux de cheminer péniblement à la suite, le capitaine qui commandait l'artillerie attachée à cette division obtint l'autorisation de chercher lui-même sa route, sous la protection d'un bataillon du Me et avec le concours d'une compagnie de sapeurs.

Cependant le général en chef, devançant la première division, avait rejoint le duc Des Cars. A sept heures, du sommet de la Vigie, il eut bien vite reconnu l'erreur que l'état-major lui avait fait commettre. Devant lui était Alger, à l'est, et au sud-est, à sa droite, le château de l'Empereur, exactement aux points indiqués sur la carte du commandant Boutin. Fallait-il donc contremander les derniers ordres et faire simplement reprendre aux troupes les positions qu'elles occupaient si justement le matin ? Une nouvelle délibération s'engagea. Pour la division Loverdo qui ne devait t pas avoir fait beaucoup de chemin, il n'y avait point d'inconvénient à lui prescrire de s'arrêter et de revenir sur ses pas ; mais pour la division Berthezène, qui déjà touchait à la Bouzaréah, le plus simple était de l'y laisser établie, et de renvoyer à sa place, à l'extrême droite, la division Des Cars qui se reposait depuis plusieurs heures. Ainsi fut décidé par le général en chef ; de sorte que, d'après ces dispositions nouvelles, les divisions de l'armée, devant le château de l'Empereur, devaient se présenter, non plus comme le matin, dans l'ordre naturel, mais dans l'ordre inverse, la première à gauche et la troisième à droite, la deuxième, dans tous les cas, occupant nécessairement le centre.

En étudiant les détails du panorama qui se développait à ses pieds, le général en chef avait distingué vers le nord-est, à un kilomètre environ de distance, une belle maison gardée par des janissaires et surmontée du pavillon américain. C'était en effet le consulat des États-Unis, où les représentants de toutes les puissances européennes, à l'exception du consul d'Angleterre, étaient venus, avec leurs familles, chercher un asile contre les hasards de la guerre. En effet, malgré la bonne volonté du général en chef, deux des maisons consulaires durent être occupées ; quant. au consulat des États-Unis, le général Achard y envoya, comme garde d'honneur et de sûreté, une compagnie du 14e de ligne.

Au moment de quitter son observatoire, le comte de Bourmont aperçut, non sans surprise, le détachement d'artillerie et le bataillon du 49e, qui, en cheminant un peu à l'aventure, s'occupaient à tirailler avec des embuscades turques, lorsqu'une salve leur révéla tout à coup le dangereux voisinage du château de l'Empereur ; en effet, ils n'en étaient guère qu'à sept cents mètres. Malgré leur isolement, ils ne firent pas retraite ; ils se contentèrent de s'abriter sur le revers de la colline dont les projectiles ennemis labouraient la crête. Ravi de la bonne attitude de ces braves gens le général en chef courut s'établir auprès d'eux, sur le terrain qu'ils avaient les premiers gagné pour les travaux du siège.

En arrière, tandis que leurs camarades de la division Loverdo, ignorant encore les nouveaux arrangements de l'état-major, cheminaient péniblement dans les ravins, un ordre imprudent y engageait, en sens inverse, la troisième division. Vainement le duc Des Cars avait insisté pour suivre la ligne des crêtes ; le général Desprez lui avait affirmé que par les ravins il irait à la fois plus sûrement, plus directement et plus vite. Sur les sommets, sur les points les plus élevés de la Bouzaréah et de la Vigie, l'air calme, immobile, embrasé par les rayons d'un soleil implacable, enveloppait les soldats comme d'une fournaise ; c'était bien pis dans les fonds remplis de vapeurs humides et lourdes ; littéralement on suffoquait. Sur les flancs escarpés de ces étroits vallons, couverts de broussailles, entrecoupés de haies, il n'y avait aucun chemin tracé à peine quelque sentier perdu qu'il fallait découvrir. C'était dans ce chaos que se traînaient les soldats de la troisième division épuisés, haletants, mourant de soif, lorsqu'ils rencontrèrent ceux de la division Loverdo. Alors ce fut un désordre, une confusion sans pareille. Quand le général de Loverdo, averti, essaya de rallier ses troupes et de les ramener vers leurs positions du matin, elles étaient si dispersées, éparpillées, confondues avec celles du duc Des Cars, que plusieurs heures se passèrent avant que l'inextricable mêlée fût éclaircie et que les noyaux de quelques régiments pussent être rendus à leur poste. Beaucoup de sacs et d'armes avaient été abandonnés, et bien des soldats, hors d'état de marcher davantage, ne rejoignirent que pendant la nuit. Si d'un côté la division Berthezène, de l'autre le bataillon du' 49' n'avaient attiré l'attention et le feu des Turcs, l'armée française, surprise dans cet affreux désordre, eût payé peut-être par un grand désastre ses premiers succès. Au témoignage des troupes, cette journée fut la plus pénible de toute la campagne. Pendant ce temps, le général en chef, accompagné des commandants de l'artillerie et du génie, avait reconnu la disposition et les défenses du château de l'Empereur et d'Alger.

 

 

 



[1] Le vice-amiral Duperré au comte de Bourmont, 28 juin 1830 :

« Je reçois la lettre de votre chef d'état-major, qui m'annonce que vous rappelez du camp retranché le général d'Uzer avec trois bataillons de sa brigade. En conséquence, le bataillon restant et le peu de marins que je peux fournir restent chargés de la défense du camp retranché, pour laquelle les généraux de l'artillerie et du génie demandaient cinq mille hommes. Dans un pareil état de choses, la marine, ne pouvant répondre de cette défense, tout à fait étrangère d'ailleurs à son service, ne peut en accepter la responsabilité. Je dois la récuser en son nom. Elle fera ce qu'elle pourra. Je n'ai mis à terre, hier, qu'un bataillon qui n'est même pas complété à sept cents hommes. Je tacherai d'en mettre un autre aujourd'hui mais vous sentirez qu'il faut au moins y laisser en outre deux bataillons de ligne. Encore ne devront-ils être destinés qu'à la garde intérieure l'escorte des convois devra être fournie par d'autres troupes. La marine a fait jusqu'ici son devoir et rempli ses obligations vous demandez plus que son devoir, et des obligations hors de son service et qu'elle ne peut que mal remplir. Je me borne à déclarer qu'elle est disposée à faire ce qu'elle pourra, mais les conséquences ne peuvent jamais lui être imputées. »