Texte numérisé par Marc Szwajcer
I. Administration municipale. — Nous trouverions sans peine, dans les inscriptions grecques, une foule de documents pour un tableau de l’administration municipale dans les cités de l’Asie Mineure, pendant les premiers siècles de l’empire romain ; mais la situation générale des villes sujettes, la nature de l’autonomie qu’on leur laissait, sont assez bien connues pour qu’il n’y ait pas à s’étendre sur ce point. Ce que je dois présenter ici, ce sont principalement les traits spéciaux qui peuvent distinguer les cités galates, dans cette immense variété de formes que présente la comparaison entre les municipalités d’une même région. Or nous ne savons presque rien sur cet objet, hors ce qui touche l’administration d’Ancyre. Quant à Pessinonte, M. Texier[1] en a signalé la décadence à partir du moment où le christianisme devint la religion dominante. Les Romains, on le sait, laissèrent aux cités conquises, et surtout pendant le haut empire, non pas un simulacre d’autonomie suffisant pour leur faire illusion sur leur dépendance, mais, du moins, l’avantage de régler provisoirement sur les lieux et par elles-mêmes les affaires courantes des moindres degrés de l’administration. Partout il existait des pouvoirs civils indigènes destinés à y pourvoir ; ils devinrent les malheureux curiales du bas empire, et, même au second siècle, même dans la riche Asie Mineure, leur position n’était pas toujours enviée, car Pline le jeune, gouverneur de Bithynie, parle de gens que l’on faisait décurions malgré eux[2]. Donc à Ancyre il y avait un sénat (Βουλή) et un peuple (δήμος), rendant des décrets en forme et faisant graver des inscriptions, spécialement pour honorer un fonctionnaire ou un citoyen[3]. Comment se recrutait ce sénat ? Les sénateurs étaient-ils nommés à vie ; le furent-ils toujours de la même manière ? On n’en sait rien, et le seul document qui fasse allusion à cet objet, en louant un habitant de ce qu’il a rétabli la liste du sénat, depuis longtemps négligée, ne nous éclaire pas beaucoup là-dessus ; il est d’ailleurs probable que cette inscription n’appartient pas aux premiers temps de l’empire, car il y est question d’incursions de barbares, contre lesquels ce citoyen a fait relever les murs de la ville[4]. Le peuple d’Ancyre se partageait en tribus, ayant chacune son numéro et son nom. Les inscriptions nous font connaître la 3e Ménorizite[5] ; la 5e (ou 15e ?)[6], la 6e, Sébaste ?[7], la 8e, nommée tantôt Ίερά Βουλαία, tantôt Claudia Aurelia, peut-être d’un certain Claudius Philostorge, en l’honneur de qui le sénat, le peuple et la 9e tribu ont rendu des décrets[8] ; la 9e[9], la 11e, Nouvelle-Olympienne[10] ; la 13e[11], la 14e[12] et la tribu Marouragène, dont le chiffre est effacé[13]. Un des titres accordés à un citoyen méritant, soit par la cité, soit par une tribu, est celui de fils[14]. Chaque tribu avait un phylarchonte[15], et la cité deux ou plusieurs archontes, choisis dans l’assemblée du peuple, dit l’abbé Belley, je ne sais sur quelle autorité. La charge de premier archonte, mentionnée expressément dans une inscription, n’était ni perpétuelle, puisque celui dont il est question dans ce texte l’avait exercée deux fois[16], ni annuelle, puisqu’elle ne figure nulle part comme éponymie. Au contraire, les noms des épimélètes ou curateurs (tantôt un seul, tantôt deux ensemble), paraissent employés pour marquer les dates ; seulement les textes où figure ce titre n’expriment pas clairement si cette charge se rapporte à la cité ou à une tribu seulement, puisqu’il s’agit ordinairement du décret d’une tribu, et que le nom de l’épimélète figure après celui du phylarchonte[17]. Cette dernière circonstance suffit d’ailleurs pour écarter la pensée qu’épimélète doive se traduire par procurateur. Parmi les magistrats de la cité figurent aussi l’astynome[18], l’helladarque[19] et l’irénarque[20], connus par des inscriptions grecques. M. Texier parie encore d’une inscription latine, dans laquelle un seoir fait une dédicace à Marc-Aurèle, et il pense que c’était là le nom d’une magistrature ancyriote[21] ; mais les inscriptions latines étant fort rares dans ces contrées, on peut supposer qu’il s’agit d’un ancien seoir de quelque cité d’Italie, transplanté en Orient, soit pour le service de l’État, soit pour quelque intérêt privé. Pessinonte avait aussi un sénat et un peuple légalement apte à rendre des décrets, au moins honorifiques[22] ; les charges d’astynome, d’irénarque et d’agoranome, y étaient aussi exercées[23]. Les médailles de cette ville s’étendent, dit Eckhel, de Poppée à Geta ; mais, sauf le lotus, qui servait à faire des flûtes, les divers types numismatiques de cette ville ne contiennent rien, selon lui, qui fasse allusion aux détails du cuite de Cybèle ; le sénat pessinontien ne parait, dans son recueil, que sur une médaille de Marc-Aurèle. Une autre ville, voisine de celle-là et appartenant aussi aux Tolistoboyes, Germa, frappait également des monnaies, mais seulement, parait-il, quand elle fut devenue colonie romaine, titre que ni Strabon ni Pline ne lui donnent encore, et qui figure pour la première fois dans Ptolémée[24]. Or on ne connaît de Germa que deux médailles, assurément coloniales, puisque l’une porte l’aigle et l’autre la louve allaitant les jumeaux, toutes deux du principat de Commode ; à moins toutefois qu’on ne veuille lui rapporter la monnaie sans date Col. Germenorum Actia Δυsariaα (sic)[25]. Eckhel rappelant ici que Dusar est un dieu arabe et ajoutant que le champ de la médaille porte le pressoir, connu seulement sur les médailles d’Arabie et surtout de Bostra, je me demande s’il ne faudrait pas lire Gerasenorum, et la rapporter à Gerasa, dans le pays de Galaad. Tavium (du moins dans Hardouin et dans Eckhel) n’a laissé aucune médaille que de Sévère, de sa femme et de son fils[26] ; observons que ni Tavium ni Pessinonte ne portent jamais, dans aucun texte du haut empire, ni numismatique, ni épigraphique, le titre de métropole, exclusivement réservé, chez les Galates, à la ville d’Ancyre. II. Institution provinciale ; familles princières. — Maintenant que doit-on entendre par le Κοινόν Γαλατών des monnaies impériales[27] ? Faut-il penser que les trois cités gauloises avaient une représentation, une autorité indigène commune, un sénat commun, comme au temps du Drynémète ? Faut-il admettre que les legati, M. Neratius Pansa et T. Pomponius Bassus, qui figurent dans les exergues de ces médailles, sont des commissaires impériaux auprès d’un Parlement Galate ? Ces noms, il faut l’avouer, seraient d’un fâcheux augure, quand, à côté du procès d’un Bassus, poursuivi pour présents illégalement reçus de ses administrés[28], nous nous rappelons le vers de Juvénal : Quum Pansa eripiat quidquid tibi Natta reliquit[29]. Mais, à vrai dire, je ne crois pas qu’il y ait jamais eu matière à conflit politique entre la communauté des Galates et les représentants de l’autorité centrale. Le Κοινόν Γαλατών n’était, selon Hardouin, qu’un temple entretenu à frais communs par la province ; ou plutôt c’était l’administration de ce temple et des jeux qui se célébraient sous ses murs[30]. Ces sortes de médailles représentent, d’après Eckhel[31], tantôt un temple hexastyle (très probablement celui d’Auguste), tantôt le dieu Men, qu’il appelle Mensis, tantôt Cérès, doublure, on peut le dire, de la déesse de Pessinonte. Hardouin fait observer, à cette occasion, que le galatarque des inscriptions[32], était le président de ces jeux, et il cite, d’après Gruter, celle qui se retrouve au n° 4016 du Corpus, inscription d’après laquelle T. Flavius Gaianus (personnage du second siècle, puisqu’il a été deux fois député au dieu Antonin) fut deux fois agonothète de la communauté des Galates et des jeux sacrés, grand prêtre de la communauté des Galates, galatarque et flamine d’Auguste. Cette communauté, c’est donc une sorte d’amphictyonie. Est-ce à dire que, dans des attributions qui comprenaient certainement un maniement de fonds assez considérable, les amphictyons galates n’aient pas fait rentrer plus d’une fois, habituellement peut-être, certaines attributions administratives, dont nous ne pouvons affirmer aujourd’hui ni la nature ni la portée, je ne me refuserai certainement pas à le croire ; mais il ne me paraît pas conforme à une sévère critique d’aller plus loin dans le système de ceux qui considéreraient cette communauté comme un corps administratif. Les jeux mentionnés dans l’inscription de Gaianus étaient les grands asclépiens, les isthmiques et les pythiens, toutes dénominations peu nationales. Eckhel a trouvé trace à Ancyre des jeux pythiens, sous Néron ; asclépiens, sotériens, isthmiens et pythiens, sous Caracalla, et peut-être des jeux asclépiens, sur une médaille ancyriote de Valérien. Ancyre était d’ailleurs, nous l’avons vu, une cité néocore[33], c’est-à-dire gardienne d’un temple dans lequel personne ne méconnaîtra le temple d’Auguste et de Rome. Quel rôle jouent, au milieu de tout cela, les descendants des anciens souverains, les familles des rois et des tétrarques ? Les monuments épigraphiques les mentionnent plus d’une fois. La longue inscription[34] où se trouvent énumérées les profusions gigantesques d’un certain nombre de citoyens pour les fêtes données en l’honneur du dieu Auguste et de la déesse Rome nomme deux fois[35] Pylamène[36], fils du roi Amyntas. Il paraît donc que le nouveau gouvernement laissa jouir les enfants de ce prince de l’immense fortune de leur père, et qu’on leur permit d’en faire un usage propre à attirer sur eux l’attention, ou même l’enthousiasme des populations gallo-grecques. Pylamène donna, sous l’autorité de Metellus, deux fois des festins publics, deux fois des spectacles, un combat gymnastique, une course de chars et de chevaux, des combats de taureaux, des chasses et enfin le terrain où furent élevés le temple d’Auguste (τό σεβασίήον), la panégyrie et l’hippodrome : les visiteurs du temple sont donc aujourd’hui chez un fils d’Amyntas. Sous Fronton, il donne encore un festin aux trois nations (galates), il immole à Ancyre une hécatombe, donne des spectacles variés, entre autres un combat de gladiateurs et un combat de bêtes sauvages ; enfin, il fournit de l’huile aux trois nations pour une année entière. On a vu plus haut qu’un certain Atéporix, issu d’une famille de tétrarques, avait été pourvu d’une partie de ce royaume de Zela précédemment constitué par Pompée ; mais, comme Strabon nous l’apprend au même lieu, cette royauté ne fut que viagère, et, après la mort de ce prince, son petit État fut réuni à l’empire de Rome. Il y a donc quelque lieu de croire que nous trouvons son fils dans l’Albiorix, fils d’Atéporix, qui, deux fois, sous l’autorité de Metellus, donna des festins au peuple, et qui éleva des statues au César et à Julie. N’oublions pas que les combats de gladiateurs sont nommés quatre ou cinq fois dans l’énumération de toutes ces fêtes. On ne pouvait mieux célébrer alors une fête de Rome ; mais les mœurs nationales des Galates se retrouvent, ce semble, dans les festins publics, ou plutôt festins donnés au public (δημοθοινίαι), qui figurent, dans cette inscription, en tète de chaque énumération des largesses privées, et qui rappellent le récit de Posidonius sur les profusions gauloises[37]. Des noms gaulois figurent encore dans cette énumération d’opulents personnages, mêlés à des noms grecs, romains et asiatiques, sans qu’aucun des éléments y domine ; mais, en avançant dans l’histoire impériale et dans l’étude générale des inscriptions de la Galatie, on voit l’usage des noms grecs absorber définitivement celui des noms gaulois. Cependant tout souvenir de l’ancienne nationalité n’avait pas disparu encore, un siècle et demi après l’annexion, et l’on tint longtemps compte à Ancyre de la race des souverains galates. Une certaine Caracylée, descendante des anciens rois, fut grande prêtresse de cette ville et honorée du titre de fille de la métropole[38]. Elle épousa un Julius Severus et elle fut peut-être la mère de Ti. Severus[39], qualifié de descendant des rois et des tétrarques, qui, malgré son origine, obtint des témoignages de confiance de la part du gouvernement romain, puisque Hadrien le nomma lieutenant impérial en Asie, et qu’il fut gouverneur de Syrie par intérim, lorsque Marcellus s’en éloigna, au temps de la révolte des Juifs ; il fut ensuite proconsul d’Achaïe, consul, et enfin lieutenant de basse Germanie, sous le principat d’Antonin. III. Civilisation, monuments. — La langue resta gauloise en Galatie ; un célèbre témoignage de saint Jérôme[40], cité par MM. Amédée Thierry et Contzen, constate qu’on y parlait encore, au temps de Théodose, la même langue qu’on parlait, à la même époque, chez les Trévires, dans la Gaule Belgique[41] ; et cependant tous les documents numismatiques ou épigraphiques sont écrits en grec, sauf un très petit nombre de textes qui sont en latin. La langue belge n’était donc point celle de la civilisation : ce n’était pas une langue écrite. Les noms propres adoptent graduellement une tournure grecque, et, quand ils n’ont pas une étymologie mythologique, ils sont quelquefois empruntés au nom des empereurs[42], ou du moins à des familles romaines. Ces derniers, suivant un usage alors fort répandu en Asie Mineure, s’unissent souvent à des noms purement grecs pour désigner une même personne[43]. Les fêtes publiques, nous l’avons vu, ont aussi emprunté à la Grèce leurs dénominations et, très probablement, leur forme, mais c’était aux Romains que l’on avait emprunté les combats de gladiateurs et les chasses, qui pouvaient s’y trouver joints. Lors de la dédicace du temple d’Auguste, Pessinonte eut. sa large part des réjouissances publiques[44] ; festins publics, distributions d’huile pour une année, hécatombes d’animaux et d’hommes, rien n’y manqua pour se mettre à la hauteur d’Ancyre et témoigner de la générosité des riches citoyens de la ville ; seulement, comme ce n’est plus la métropole, le président des jeux n’est pas toujours un Romain, et, au lieu de faire des distributions aux trois nations, on n’en fait ici qu’à deux : les Trocmes étaient trop éloignés de Pessinonte. Mais, comme le dit avec raison M. Texier[45], cette longue énumération donne, mieux que tout ce qu’on pourrait dire, une idée de la richesse d’Ancyre et de cette Galatie devenue romaine depuis moins de six années. Il paraît certain que les ancêtres des grandes familles galates avaient été moins prodigues que pillards. Le gouvernement romain avait d’ailleurs légué à ses nouveaux sujets un beau modèle de l’art européen. Le temple d’Auguste, élevé au centre de la ville romaine, c’est-à-dire de la ville basse[46], était, selon M. Texier, construit et orné avec un art très remarquable. Les murs encore subsistants de la cella sont, dit-il, construits en gros quartiers de marbre, reliés par des crampons de bronze. Les chapiteaux des pilastres représentent des Victoires ailées qui s’appuient sur des enroulements de feuillages. La façade du temple, hexastyle et périptère, comme nous l’avons vu, était ornée de colonnes corinthiennes ; une porte richement ornée conduisait du pronaos dans la cella[47]. Mais là ne se borne pas la décoration romaine d’Ancyre. Les inscriptions qui subsistent encore, dit un peu plus haut le même auteur, nous apprennent qu’Ancyre avait un hippodrome, des bains, des aqueducs et plusieurs temples. Si l’on en juge par les débris que l’on en voit répandus çà et là, la magnificence de ces édifices ne le cédait en rien à ceux de Rome[48]. Strabon constate que, de son temps, Pessinonte était une place de commerce florissante[49]. M. Texier y a reconnu les ruines d’un théâtre et peut-être d’un hippodrome[50]. IV. Le Christianisme. — L’Évangile se répandit en Galatie dès les temps apostoliques, et, par conséquent, dès le premier siècle de la domination romaine dans ce pays. Saint Paul y parut lui-même[51] après avoir enseigné la foi à Antioche de Pisidie[52], à Iconium[53], à Lystre[54], et il signale, dans son épître aux Galates[55], le dévouement avec lequel il fut accueilli chez eux. Plusieurs communautés de fidèles y furent fondées[56] ; cependant le trouble fut bientôt semé dans cette Eglise naissante, au sujet des observances légales, et spécialement de la circoncision, que certains hommes voulaient leur imposer[57]. L’épître aux Galates est principalement consacrée à étouffer cette tentative de schisme[58], et l’on pourrait penser, en lisant certains passages[59], comme je l’avais cru moi-même en rédigeant ce Mémoire pour l’Académie, que l’apôtre ne s’adressait là qu’à des Juifs convertis, trop attachés aux souvenirs de la synagogue. Cependant une étude plus attentive et surtout plus complète m’a montré qu’il s’agissait réellement, au moins en partie, de prosélytes gentils[60], de nationaux de la Galatie, Grecs, Phrygiens ou Gaulois. Il parait, du reste, que le schisme fut réellement étouffé par la parole de l’apôtre : l’histoire n’en signale, à ma connaissance, aucune autre trace dans ce pays ; mais il parait aussi que l’Église chrétienne n’y devint pas très florissante durant les siècles de persécutions, car les divers récits qui nous sont restés de cette époque ne signalent ni Ancyre, ni Pessinonte, ni Tavium, comme le théâtre des scènes atroces qui se répètent dans l’Asie Mineure : du moins Lequien, le docte auteur de l’Oriens christianus, ne signale, à cet égard, que le long martyre de l’évêque d’Ancyre, saint Clément, consommé en 314 dans sa ville épiscopale. Wernsdorf, dans les recherches qu’il a faites pour trouver en divers documents des noms de lieux appartenant à la Galatie[61], ne rencontre que peu ou point d’hagiographes à citer, concernant les trois premiers siècles. Au IVe siècle, il est vrai, aussitôt après le martyre de saint Clément, nous voyons un concile se tenir dans la ville d’Ancyre ; mais Lequien ne signale aucun texte qui fasse connaître la situation précise de l’Église dans ce pays avant l’apparition de l’arianisme. C’est donc surtout le paganisme des Galates, durant la période du syncrétisme, que nous avons â étudier en ce moment, puisque nous parlons du haut empire. V. Derniers temps du paganisme en Galatie. — Le dieu Auguste et la déesse Rome ne furent pas, en effet, les seules divinités adorées alors dans ce pays. Esculape était honoré par les grands jeux asclépiens, et Apollon l’était sans doute dans les jeux pythiens d’Ancyre. A Pessinonte, M. Texier a trouvé une inscription en l’honneur d’Esculape, qui lui a donné lieu de penser qu’il foulait les restes de son temple dans les blocs de marbre et les débris d’architraves et de colonnes épars en cet endroit[62]. Selon le même voyageur[63], le temple de Boghaz-Kieui, qu’il décrit avec soin[64], n’a aucun des caractères de l’architecture grecque ou romaine ; mais il ne faut pas oublier que Strabon[65] atteste l’existence, dans le même pays, à Tavium, d’un temple de Jupiter, ayant la forme d’un temenos, pourvu du droit d’asile et orné d’un colosse du dieu en airain. C’était sans doute une ancienne divinité phrygienne ou cappadocienne qu’on avait décorée de ce nom, suivant l’usage fréquent des Grecs. Quant au culte indigène de Cybèle, les Romains, qui l’avaient introduit en Occident, n’avaient garde de le dédaigner dans son propre centre. Il parait qu’ils conservaient à ses prêtres une partie de leurs anciens privilèges[66] ; mais la popularité de ce culte se manifeste spécialement, à l’époque gréco-romaine, par la multitude de noms propres qui, dans les inscriptions de l’Asie Mineure, sont manifestement dérivés du nom de la Magna mater ou de la Déméter Karpophoros, qui, en Asie, s’en distingue difficilement[67]. Un des auteurs des largesses mentionnées plus haut s’appelait Métrodore, et, si des noms analogues ne se retrouvent pas dans le Corpus, quand il s’agit de la Galatie proprement dite[68], il ne faut pas oublier, d’une part, que la manie des noms romains l’emporte dans les familles qui exercent des fonctions publiques, de l’autre, que les noms sont parfois empruntés à d’autres personnages du mythe phrygien de Cybèle[69]. De plus, si l’on se rappelle le Bacchus Sabazius des mystères phrygiens, on reconnaîtra, dans le Dionysos qui prêtait son nom à des Galates, qui était adoré publiquement à Ancyre[70], et qui, à Pessinonte, était révéré par une compagnie d’artistes dionysiaques[71], moins une importation grecque qu’une divinité asiatique. Je n’oserais, malgré le souvenir de l’Hermès Cadmilus de Samothrace, en dire autant au sujet des noms d’Hermès qui figurent dans deux inscriptions de Galatie (4018) ; mais les dérivations du nom de Men ne sont pas équivoques[72], et c’est sur des médailles impériales d’Ancyre qu’on le retrouve à diverses reprises[73]. Cependant il faut convenir que le petit nombre des témoignages archéologiques du culte de Cybèle dans la Galatie romaine a quelque chose de frappant. Serait-ce donc que ces cuites de l’Asie Mineure, qui déforment alors les anciennes religions de la Grèce et de Home, seraient déjà déformés à leur tour dans leur propre patrie, et déformés par d’autres causes que l’invasion de l’hellénisme lui-même, puisqu’il avait complètement accepté le personnage de Cybèle, en la confondant avec Rhéa ? Un écrit spécial et justement estimé du P. Garucci sur le Syncrétisme phrygien suffirait à nous mettre sur la voie de cette explication ; l’auteur affirme en effet, d’une part, avec Lobeck[74], que la Cybèle de l’époque impériale se confond avec l’infâme déesse appelée Cotytto ; de l’autre, que les mystères orgiastiques des Galles et les mystères révérés de Mithra avaient fini par se confondre. Ce n’est point ici le lieu d’examiner comment la religion de Zoroastre, le plus grave et surtout le plus pur de tous les cultes du paganisme, avait pu entrer dans une voie qui devait la conduire à adopter les maximes abrutissantes de l’inscription tumulaire de Vincentius[75], ni comment le mythe odieux de Bacchus Sabazius put s’y mêler[76]. Constatons seulement que les mystes figurent fréquemment dans les inscriptions de cette époque, en Asie Mineure[77] comme en Europe ; que les Galles ont acquis un rôle important dans la propagation des mystères dont le criobole et le taurobole sont le rite capital[78] ; que la mère des dieux et Attis y figurent sous leurs propres noms[79], et qu’enfin le syncrétisme est poussé si loin alors, que Men-Lunus se confond avec le dieu solaire Attis[80]. |
[1] Voyage en Asie Mineure, t. I, p. 168.
[2] Pline, Ep. X, CXIV (Correspondance avec Trajan).
[3] C. I. G., n° 4010, 4011, 4012, 4015, 4019, 4024, 4028, 4031, 4032, 4042 ; cf. 4069. Les inscriptions 4019 et 4024 parlent d’assemblées, mais sans allusion à des attributions politiques.
[4] C. I. G., n° 4015. Ne serait-ce pas cependant le fait relatif au règne de Vespasien, dont j’ai parlé plus haut ? — Voyez Franz, Addenda au 3e volume du Corpus.
[5] C. I. G., n° 4021.
[6] C. I. G., n° 4020.
[7] C. I. G., n° 4027 ; cf. 4031.
[8] C. I. G., n° 4022, 4024, 4025, 4032.
[9] C. I. G., n° 4069.
[10] C. I. G., n° 4019.
[11] C. I. G., n° 4017.
[12] C. I. G., n° 4018.
[13] C. I. G., n° 4025.
[14] C. I. G., n° 4018, 4019, 4030. Cette dernière inscription appelle fille de la métropole une descendante des anciens rois.
[15] C. I. G., n° 4016, 4017, 4019, 4020, 4069.
[16] C. I. G., n° 4020. Il s’agit d’un nommé Papirius Alexander. — Une autre inscription, citée par l’abbé Belley (ubi supra, § 4), d’après Montfaucon, dit la même chose d’un T. Flavius Gaianus ; un autre texte, cité au même lieu, désigne un citoyen comme ayant été archonte et astynome.
[17] C. I. G., n° 4016, 4017, 4018, 4019, 4020. Cependant l’inscription 4019, qui nomme deux épimélètes, dit seulement que Zotique Bassus, fils de la onzième tribu, ancien phylarchonte et ancien astynome, a été honoré par les assemblées et le sénat.
[18] C. I. G., n° 4019, 4026, 4069.
[19] C. I. G., n° 4021. M. Thierry (ch. XX) suppose qu’il existait au temps des tétrarques, pour représenter la population grecque.
[20] C. I. G., n° 4020. L’irénarque présidait, selon Aristide, à la tranquillité publique..... il était choisi, dans l’Asie Mineure, par les députés des villes, et, selon le droit romain, il était présenté par les décurions et confirmé par le gouverneur de la province. (Belley, l. I) L’irénarque de la métropole Ancyre, comme est appelé Papirius — Alexander, ne devait pas être un magistrat de simple police, puisque ce titre figure entre ceux d’ex-premier archonte et de prêtre à vie de Dionysos.
[21] Voyage en Asie Mineure, p. 189, 193.
[22] C. I. G., n° 4084. — Le sénat de Pessinonte figure aussi sur une médaille de Verus. (Hard.)
[23] C. I. G., n° 4084. — Et non viagères, puisque les verbes qui les expriment sont au participe aoriste : Théodote avait été astynome et irénarque avec honneur, et plusieurs fois agoranome. Un autre titre, Κελ..... se trouve aussi sur une médaille de Verus, à moins toutefois que ce ne soit le second nom de Juventius, qui, en ce cas, serait un gouverneur de la province. Hardouin hasarde les conjectures Celere, Celso, et Eckhel s’abstient d’en faire aucune. On a trouvé près de Bozyuk (C. I. G., 4132) la mention épigraphique d’un économe de sa patrie. Comme souvenirs du culte de la mère des dieux, Hardouin a vu, sur l’une des monnaies de Pessinonte (principat de Marc-Aurèle), une tête couronnée de tours, Cybèle, sur des pièces de Verus, et Déméter sur d’autres, de Caracalla.
[24] Eckhel, ubi supra.
[25] Eckhel, ubi supra.
[26] Eckhel, qui interprète le CΕ, placé devant Τρο(κμνων) Ταονιανων, par Severianorum, indique comme un des types de Tavium, commun d’ailleurs à d’autres villes galates, l’aigle entre deux enseignes, type que nous avons vu, au chapitre précédent, indiqué comme trace du séjour d’une garnison, ou peut-être pour parler plus juste, du voisinage d’un cantonnement.
[27] De Néron, Poppée, Titus, Domitien, Nerva et Trajan. (Voyez Hardouin et Eckhel.)
[28] Pline, Ep. IV, IX.
[29] Juvénal, Sat. VIII, 95.
[30] Hardouin, Κοινόν ΓΑΛΑΤΩΝ.
[31] T. III, Galatia, init.
[32] Voyez, dans le Corpus inscriptionum græcarum, n° 4014, 4016, 4075. Ces deux dernières inscriptions sont en l’honneur d’un Ælius Flavianus Sulpicius, deux fois galatarque.
[33] Son second néocorat parait sous Valérien ; le premier remonte probablement à Auguste. (V. Eckhel, Hardouin et surtout Belley, l. I)
[34] C. I. G., 4039 ; cf. Addenda, où le peuple des Galates est nommé comme dédiant le temple. On conçoit qu’il soit resté sous la garde du Κοινόν Γαλατών.
[35] Έπί Μετέλλου, et plus loin έπί Φρόντωνος. On doit être frappé, dit M. Texier, du soin que prit le magistrat suprême ... de faire présider par un commissaire romain, dont le nom est inscrit à côté de celui des princes galates, les fêtes et les cérémonies dont ces derniers faisaient les frais. (Voyage en Asie Mineure, p.176.)
[36] Peut-être sa mère était-elle fille d’un roi paphlagonien.
[37] Posid. reliq. p. 135. — Une remarque semblable a été faite par M. Thierry. — Il y a quelque apparence que le Galate Ariamnès, cité par Phylarque, dans Athénée (IV, XXXIV), pour avoir donné festin à tous les Galates pendant une année, n’est pas éloigné de cette époque. Son nom n’est plus gaulois, mais ses mœurs le sont encore.
[38] Corpus inscr. gr., n° 4030.
[39] Corpus inscr. gr., n° 4033, 4034.
[40] Galatas, excepto sermone græco, quo omnis Oriens loquitur, propriam linguam eamdem pæne habere quam Treviros, nec referre si aliqua exinde corruperint. (Hieron. Prol. comm. II, in Ep. ad Gal., c. III.)
[41] Je ne pense pas que personne, de ce côté-ci du Rhin, soutienne aujourd’hui l’opinion de Pelloutier et de Wernsdorf, que la langue celtique est un dialecte teutonique, bien qu’elle appartienne d’ailleurs à la même famille. Cependant il faut avouer que Pelloutier dit vrai quand il nomme Tacite (Germ., XXVIII) comme auteur de l’opinion qui verrait des Germains, non dans les Gaulois en général, mais dans les Trévires.
[42] Corpus inscript. gr., n° 4014 , 4021, 4024, 4072, 4075, 4076, 4096, 4102.
[43] Corpus inscript. gr., 4010, 4014, 4016, 4020, 4024, 4039, 4065, 4072, 4096, 4109.
[44] Corpus inscriptionum græcarum, n° 4039.
[45] Voyage en Asie Mineure, p. 176.
[46] Voyage en Asie Mineure, I, p. 171-172.
[47] Voyage en Asie Mineure, I, p. 172.
[48] Voyage en Asie Mineure, I, p. 179.
[49] T. III, p. 57 — Tavium était aussi un centre commercial (p. 56).
[50] Voyage en Asie Mineure, p. 168.
[51] Actes, XVI, 6. En comparant les chapitres précédents avec l’épître aux Galates (I, 15-18, 91 ; II, 1, 7-9), on voit que ce voyage eut lieu, au plus tôt, dix-sept ou dix-huit ans après la conversion de saint Paul.
[52] Actes, XIII (14-49).
[53] Actes, XIII, 51 ; XIV, 1-4, 20-23.
[54] Actes, XIV, 6-20 ; XVI, 1. L’auteur des Actes parle sans doute de la vraie Galatie, puisqu’il en distingue Lystre.
[55] Galates, IV, 14-15.
[56] Galates, IV, 1, 2. Saint Paul la parcourut en détail après son séjour à Corinthe. (Actes, XVIII.)
[57] Voyez surtout I, 7 ; II, 3, 7-9, 16 ; IV, 1-2, 7-8, 13, 28 ; V, 1-3 ; VI, 12-13.
[58] Cependant une partie est consacrée à l’enseignement moral. (Voyez de V, 13 à VI, 10.) Et il écrivait aux Corinthiens (IVe chapitre de sa 1re épître) : De collectis autem quæ fiunt in sanctos, sicut ordinavi Eccclesiœ Galatiæ, ita et vos facite.
[59] II, 16 ; III, 2, 7-8, 23-24, 28.
[60] IV, 8-9 ; V, 2-3 ; VI, 12.
[61] Wernsdorf, De rep. Gal., ch. V, § 7. — Pour Lequien, voyez 1er vol., col. 457-458.
[62] Voyage en Asie Mineure, I, p. 168. Cf. C. I. G., n° 4016.
[63] Voyage en Asie Mineure, I, p. 210.
[64] Voyage en Asie Mineure, I, p. 210-212.
[65] T. III, p. 56. — Au sujet d’un Jupiter spécial dont il va être question, voyez C. I. G., 4102, 4120 ; cf. 3438, 3490-3491, 3495-3496, 3498.
[66] Strabon, t. III, p. 57 (de l’éd. Tauchnitz). Ces prêtres ne figurent pas dans les monuments de cette époque, au lieu qu’on y trouve le flamine des dieux Augustes (C. I. G., 4031 ; cf. 4016) et celui d’Ælius Verus (4029).
[67] Corpus inscriptionum græcarum, 4082. — Franz : Fünf Inschreften.
[68] Voyez cependant une prière Μητρί [τρι]κράν[ω] μεγάλη, trouvée à Kalarer (4121).
[69] Tels que Sagaris (4066), Sagarios (4083), Nana, 4135, 4143, 4144. — Il y a une ville d’Iopolis citée par Wernsdorf. (De republica Galatarum, V, § 7.)
[70] Papirius Alexander, grand prêtre et ex-premier archonte, est prêtre à vie de Dionysos (4090). Cf. (4073) Marc-Aurèle Dionysos, à Ancyre, et (4096) un nom semblable, à Balahissar.
[71] 4081 (trouvé à Balahissar).
[72] 4039, 4064, 4085 (?), 4126, 4129, 4146.
[73] Voyez Eckhel, aux noms d’Ancyra et de Sébaste.
[74] Aglaophamus (Orphica), part. II, cap. VIII, § 3. — Epim. XI.
[75] Garucci, p. 8-14, 31-37. — Henzen a combattu un point de cette interprétation. (Bull. dell’ Instit. di Com ap. archeol., juillet 1858.)
[76] Garucci, p. 34-37. — Cf. Orelli, 2330, 2341, 2343, 2353, 2356, 6040-6041.
[77] C. I. G., 3167, 3176, 3657, 3664-3663, 3794, 3803, 3979. Voyez aussi (4044) une dédicace à Zeus Helios Serapis en faveur de Marc-Aurèle.
[78] Orelli, 2320-2322, 2327-2330, 2359-2353, 6031, 6040.
[79] Orelli, 2330, 2352-2353, 6040.
[80] 1903. — Cf. Proc. in Tim. ap. Lob., p. 1047.