Texte numérisé par Marc Szwajcer
Les trois peuples Galates, dit Strabon[1], de même langue et semblables en tout, se partagèrent chacun en quatre parties, qui s’appelèrent tétrarchies, ayant des tétrarques distincts, un juge et un gardien de l’armée subordonnés au tétrarque, avec deux sous-gardiens de l’armée (ύποσίρατοφύλακας). Le sénat des douze tétrarques se composait de trois cents hommes, qui se rassemblaient dans un lieu appelé Drynémète. Il jugeait les crimes capitaux ; les autres cas étaient jugés par les tétrarques et les juges. Telle était l’ancienne organisation. Vers notre époque, le pouvoir suprême a été concentré entre les mains de trois chefs, puis de deux, puis d’un seul. Tel est le seul texte classique que je connaisse sur le gouvernement de la Galatie indépendante ; mais ce texte, tout laconique et insuffisant qu’il est, peut cependant servir de point d’appui à des recherches sérieuses, à des rapprochements intéressants entre les institutions de la race gauloise, aux différents points du temps et de l’espace. Le même Strabon nous affirme que, lorsque les habitants de la Gaule vivaient libres, avant l’arrivée de César, la plupart des cités étaient constituées en aristocratie à une époque ancienne, elles se choisissaient un chef annuel ; de même un chef de guerre était élu par la multitude... Les Druides... sont considérés comme les plus justes des Gaulois, et sont, pour cela, chargés de juger les causes publiques ou privées[2]. De son côté, César parle avec quelque détail du caractère aristocratique des institutions, coutumes et mœurs gauloises[3]. Il parle de rois des Suessions, dont l’un gouverna une partie de la Gaule et même de la Bretagne[4], du sénat des Nerviens, composé de six cents personnes[5], de celui des Vénètes[6] et de celui des Éduens[7]. Il dit encore que les Belges avaient, dans une assemblée générale, fixé le contingent de chaque peuple pour la guerre contre César[8], que nul ne pouvait parler des affaires publiques, si ce n’est dans les assemblées[9] ; enfin que les Druides, à une époque fixe de l’année, se réunissaient dans un lieu consacré de la Gaule centrale, au pays des Carnutes[10], et que là arrivaient de toute part ceux qui avaient des différends, pour entendre une décision judiciaire, à laquelle ils se conformaient exactement. Des chefs militaires et un sénat pour chaque peuple, des assemblées pour les délibérations politiques, soit d’un peuple, soit d’une confédération, des assemblées générales de prêtres pour juger les grandes causes, tels sont donc les faits saillants qui se présentent dans les institutions de la Gaule européenne ; et ils concordent assez bien avec l’idée que donne Strabon du gouvernement galate. Mais ces rapprochements demeurent vagues, et peuvent représenter plutôt un état social analogue que des rapports de filiation prochaine ou d’imitation directe. Il faut développer par d’autres documents ces courts passages d’écrivains qui n’avaient guère l’un les moyens, l’autre la volonté d’approfondir cette matière. Après avoir établi qu’il ne faut pas trop étendre le sens du mot servitude, employé par César pour exprimer la condition de la plèbe gauloise vis-à-vis des grands, et que le système de la recommandation germanique existait dans la race gauloise, M. de Courson[11] reconnaît, d’après César, que la plèbe n’était point admise au gouvernement du pays[12]. Ceci donne lieu de penser que les conseils dont parle César ne se composaient alors que des Druides, juges ordinaires des causes publiques ou privées[13], mais exempts du service militaire comme des impôts[14], puis des nobles, que César appelle chevaliers, et qui étaient sans cesse appelés aux armes par d’innombrables guerres de tribu à tribu. Ces traits de mœurs étaient généraux dans la race gauloise, et pourraient, sauf peut-être la mention de Druides, s’appliquer aux Galates, chez qui cependant leur occupations au dehors laissaient peu de place à des guerres intestines ; mais il est d’autres détails, empruntés à des textes beaucoup moins classiques, et qui peuvent trouver place ici pour éclaircir ou compléter les témoignages de César et de Strabon. Rappelant le célèbre procès d’Orgétorix[15], M. de Courson[16] fait observer que, parmi les hommes qu’amenait l’accusé, César distingue trois classes : 1° omnem suam familiam, ad hominum decem millia, ce que l’auteur traduit sans hésiter par le clan (cenedl) dont il était le chef ; 2° omnes clientes, c’est-à-dire ses ambacts[17], analogues aux soldures aquitains[18], et qui sont les recommandés[19] dont nous parlions tout à l’heure ; 3° obœratosque suos, tous ses débiteurs. La première de ces classes, le savant écrivain la considère comme liée héréditairement à son chef (pencenedl) ; partout, en effet, dans l’étude des lois bretonnes, il retrouvera le système du clan. Mais, avant d’aller plus loin, qu’il me soit permis de rappeler à mon tour que ce système se retrouve, presque à l’autre bout du monde connu des anciens, chez des peuples d’origine commune aux Germains et aux Celtes, mais séparés des Gaulois à une époque primitive encore. En regard de ces analogies frappantes que des peuples de même race présentent dans l’histoire du moyen âge, et même, pour la haute Ecosse, dans l’histoire des temps modernes ; en regard aussi des faits signalés par Tacite et Grégoire de Tours sur les institutions analogues qui se retrouvent dans une branche de la même famille, de mœurs différentes pourtant, puisqu’elle aime la vie errante, écoutons ce qu’un célèbre interprète de l’Avesta, M. Spiegel, nous apprend touchant l’état politique des peuples iraniens, à l’époque où furent composés quelques-uns des plus anciens de leurs livres sacrés. La composition des peuples (stammverfassung), qui paraît être un caractère propre à la race dite indo-germanique, s’était maintenue dans sa plus grande pureté. Les Iraniens se partageaient en familles (en Zend, nmâna) ; un certain nombre de familles formaient un clan (vic) ; un certain nombre de clans une confédération (zântu), et plusieurs confédérations, une région (daghu). Comme degré le plus élevé, paraît le daghu-çaçti[20], placé au-dessus du daghu, et qui désigne probablement un grand empire. Connue chef de ces différentes fractions, nous trouvons le seigneur (paiti) ; cependant il y a aussi des indices (Yaçna, XIX, 50-52) que, dans plusieurs lieux de la terre iranienne, on ne trouvait pas de daghu-paiti, mais que la Confédération se régissait sous la forme démocratique..... La coutume des assemblées populaires (le mot iranien qui les désigne est haûjamana) se trouve déjà indiquée dans Hérodote ; c’était une force placée auprès du chef de chaque division, et elles limitaient essentiellement sa puissance. — Ce mode de composition d’un peuple remonte aussi loin que nos sources, se maintient sous les Sassanides et subsiste encore avec de rares modifications[21]. L’auteur ajoute, une page plus loin, que, si, au temps des Sassanides, la population était divisée en prêtres, guerriers, laboureurs et artisans, cette dernière classe ne paraît point dans le Vendidad ; elle n’est nommée que dans les chapitres XIV et XIX du Yaçna, probablement postérieurs au Vendidad même. La persistance singulière de cet état de choses, peu en rapport avec les habitudes des conquérants étrangers, qui, à diverses époques, ont dominé dans l’Iran, paraît de nature à motiver une attention sérieuse. Si maintenant l’on se rappelle que les populations belges ont pu ne quitter qu’aux temps historiques les plateaux de l’Asie centrale, on pourra penser que les rapprochements marqués, faciles à signaler, entre un Code des Bretons insulaires au Xe siècle et les coutumes bactriennes, se rapportent à une communauté réelle d’habitudes et de traditions ; et l’on peut aussi penser qu’elle exista en Galatie[22]. Revenant donc aux peuples gaulois, écoutons ce que nous dit M. de Courson : Ces cités (ou États belges, celtes et aquitains) se subdivisaient elles-mêmes en pagi ou cantons. Quatre pagi composaient ordinairement le territoire d’une cité ; il est permis, du moins, de l’induire de quelques exemples que l’histoire fournit ; et il cite en note les quatre pagi helvétiques du Ier livre des Commentaires de César et les quatre chefs du pays de Kent, dans le Ve livre. Il ajoute que, d’après l’exemple des Suessions et des Helvètes, on peut admettre que chaque cité comprenait douze oppida, comme chaque cymmwd ou canton était partagé en douze mœnawr (manoirs ou bénéfices) dans les lois de Hoël-dda[23]. Le nombre 4 et son multiple 12 formaient, nous l’avons vu, la base de l’organisation des Galates. Ce dernier nombre, il est vrai, résulte ici d’une circonstance accidentelle : c’est que trois tribus distinctes formèrent la colonie ; ce ne sont point 4 cités qui comprennent ensemble 12 oppida, ce sont trois peuples qui se partagent chacun en quatre tétrarchies ; mais la division de la cité en 4 se retrouve ici comme chez les Kimris du moyen âge (voir ci-après). Poursuivons. Chaque tétrarque avait sous lui, dit Strabon, un juge, ai chef militaire et deux sous-chefs. Un pouvoir militaire Permanent devait exister aussi dans chaque cité gauloise, puisque, comme nous l’a dit César, la guerre était extrêmement fréquente entre les cités[24]. Au vergobret électif et annuel des Éduens, qui avait droit de vie et de mort[25], devait correspondre, dans chaque cité, un juge suprême, car on ne peut pas supposer que toutes les causes criminelles ou civiles des Gaulois se jugeassent au pays des Carnutes : voilà le σίρατοφύλαξ et le δικασίής des tétrarchies galates. On reconnaîtra, si l’on veut, dans les deux ύποσίρατοφύλακες, les chefs des deux factions[26] qui, selon César, se trouvaient dans chaque cité et qu’autorisait une coutume légale, afin que chaque chef local de parti protégeât ses partisans contre l’injure des personnes puissantes. Il est même assez naturel que, sous un chef unique, nécessaire pour l’unité des opérations militaires, on formât des corps séparés de ceux qui se trouvaient groupés d’avance sous l’autorité de leurs gardiens. Quant au tétrarque, nous ne savons s’il fut, dans les premiers temps, électif ou héréditaire, et la dignité royale, qui correspondrait à une tétrarchie héréditaire, n’existait pas chez les Gaulois, au temps de César ; mais ce n’est pas à dire qu’elle fût essentiellement étrangère aux mœurs gauloises et que le fait de Déjotar, héritant du pouvoir chez les Tolistoboyes, fût sans analogue dans l’histoire de leurs frères occidentaux. Dans tous les cas, la distinction faite par Strabon entre le chef militaire et le chef politique des peuplades gauloises, il la fait également pour les tétrarchie galates, où elle était plus nécessaire encore, quand les accidents de la guerre et l’état politique de l’Asie conduisaient si souvent les troupes loin du pays. Transportons-nous maintenant à douze siècles et à mille lieues de la conquête de la Galatie, à la cour de Hoël le Bon, dans cette Bretagne insulaire dont César a dit[27] qui la partie méridionale était peuplée de Belges, conservant pour la plupart les noms des cités gauloises d’où il étaient sortis. Ne nous laissons pas entraîner, à cause de la résidence de Hoël, à nier l’origine belge de ses sujets : les Kimris réfugiés dans l’ouest de l’île se disaient Logriens et parlaient de Londres comme de leur ancienne patrie[28]. Le code que promulgua Hoël, et qui probablement, comme toutes les lois des peuples à demi barbares, représentait bien plutôt des coutumes traditionnelles qu’une création législative, nous apprend d’abord qu’un royaume se divisait en quatre cantrefs[29] ou cantons, divisés eux-mêmes en cymmwd. Chacune de ces divisions (tétrarchie) avait à sa tête un arglwydd, ou chef militaire héréditaire, qui porte quelquefois le titre de machtyern ou vice-roi, parce qu’il représente, dans son territoire, le tyern ou brennin, c’est-à-dire le roi. Que, dans un pays resserré par la féodalité saxonne, l’arglwydd fût devenu d’électif, héréditaire, cela n’a rien qui doive surprendre, et ce n’est pas là un motif qui puisse faire contester la parenté entre le σίρατηγός de Strabon et cet arglwydd insulaire ; il sera le vic-paiti des Iraniens, comme le cymmwd peut correspondre à leur nmâna. Mais les attributions de l’arglwydd n’étaient pas seulement guerrières. Il présidait une assemblée judiciaire, où se jugeaient les causes de nobles bretons, qui, à leur tour, administraient la justice parmi les chefs qui leur étaient subordonnés[30] ; l’arglwydd réunissait donc aux fonctions militaires celles du juge, comme autrefois le vergobret des Éduens. Mais il existait des cours supérieures à la sienne : celle du brennin d’abord, à laquelle étaient réservées certaines causes, tant criminelles que civiles[31] ; puis, au-dessus de toutes, celle de la confédération. Celle-ci, on le voit sans peine, correspond à la cour du drynémète en Galatie. Le drynémète, dit Ritter, était un bois de chênes (derv, δρΰς), choisi, en souvenir des coutumes gauloises, comme lieu de réunion du sénat des douze tétrarques. L’auteur cite en effet[32] un sanctuaire des environs de Bordeaux, appelé en gaulois vernemetes, selon Fortunat, nemet indiquant un bois, une chênaie ; derv, aujourd’hui encore, signifie un chêne, en breton. C’était, en Galatie, à la cour du drynémète qu’étaient réservés les cas de meurtre, que les lois kimriques attribuaient à celle du roi ; mais Strabon ajoute, Les causes non capitales étaient jugées par les tétrarques et par les juges, ce qui donne à penser que le tétrarque avait une cour de justice supérieure à celle du juge proprement dit et analogue à celle de l’arglwydd ; elle était destinée sans doute soit aux appels, soit à des causes plus graves que les débats ordinaires. La triade de hautes juridictions se trouvait ainsi conservée, bien que le degré moyen ne fût pas tout à fait le même, le tétrarque n’étant pas un roi, et chaque tribu n’ayant pas eu d’abord de chef commun. Chez les Iraniens aussi, la confédération était directement formée par les clans. Mais ce ne fut là que le premier état politique de la Galatie. Quelque temps après, au rapport de Strabon lui-même, la Galatie eut trois chefs, ce qui veut dire évidemment que chaque tribu en eut un, mais ne signifie pas que la tétrarchie fût abolie. Cet état de choses existe dès le commencement du IIe siècle. Nous voyons en effet que Tite-Live (XXXVIII, XVIII) appelle unus ex regulis cet Eposognat qui chercha à empêcher les Tectosages de s’armer contre Manlius Vulso, et qui, lorsque ses efforts de pacification eurent échoué, lui fit savoir : profectum ad regulos Gallorum, nihil œqui impetrasse. On en pourrait déjà conclure qu’il y avait encore plusieurs reguli ou tétrarques chez les Tectosages ; or Tite-Live dit, de plus (XXXVIII, XIX), qu’Ortiagon, Gombolomar et Gauot, étaient les reguli des trois peuples, autrement dit les brennins, élevés au-dessus des machtyerns, tels qu’Eposognat. Mais, au moment de la conquête, les chefs des envahisseurs n’auraient pas voulu se subordonner les uns aux autres. Quant au sénat du drynémète, il était composé de trois cents membres, comme la cour du brennin kimri, à laquelle il correspondait et par la nature des causes qui lui étaient réservées, et parce que celle-ci était immédiatement au-dessus du tribunal de l’arglwydd. Un conseil fédéral existait d’ailleurs au temps de Hoël-dda. Trois objets, plutôt politiques que judiciaires, lui appartenaient : Changer les règlements d’un brennin, le détrôner, et établir de nouvelles méthodes, de nouvelles sciences chez les bardes. Encore, pour le second cas, ne faisait-il que confirmer la sentence rendue par la majorité des cours du royaume, présidées par le chef suprême[33]. Néanmoins, comme cour d’appel peut-être, cette assemblée de tous les États avait aussi un pouvoir judiciaire, mentionné par d’anciens recueils de lois[34]. Son pouvoir législatif proprement dit est formellement énoncé par le code de Hoël le Bon[35], pouvoir qui, d’après le même texte, appartenait aussi à l’assemblée d’un seul Etat, ou même d’un seul clan[36]. Ajoutons que les tyern prenaient part à cette assemblée fédérale[37], ce qui nous explique ce nom de sénat des tétrarques, que Strabon donne à l’assemblée du drynémète. Cette assemblée du bois des chênes comprenait-elle, en Galatie, les druides, qui formaient le conseil annuel des Gaulois ? J’en doute, je l’avoue, et je ne suis pas bien sûr que beaucoup d’entre eux aient suivi Luthar et Léonnor, ou même Sigovèse, dans leurs courses aventureuses. Et, malgré la présence de femmes et d’enfants à la suite des envahisseurs, rien ne me prouve même que l’institution du clan proprement dit, comme groupe de familles, se soit retrouvée, en Galatie, dans toute sa pureté, quelque force qu’elle eût encore, douze siècles plus tard, dans la Bretagne insulaire, et bien qu’elle formât jadis l’institution fondamentale des peuples iraniens. Aussi n’ai-je point prétendu que je retrouverais en Asie les institutions gauloises tout entières. Un mot encore cependant : le service militaire et la possession du sol étaient rigoureusement inséparables chez les Kimris du Xe siècle, et la possession du sol était attachée à la condition d’homme libre[38]. Ce privilège des armes, revendiqué comme une marque de supériorité personnelle, ne doit-il pas se représenter à l’esprit, quand on voit les Galates si profondément séparés des populations civilisées et pacifiques au sein desquelles ils se sont fixés. Ainsi, après la grande invasion, les Ostrogoths et les Vandales demeurèrent toujours distincts et séparés des populations indigènes ; les Lombards et les Wisigoths le restèrent longtemps, et, si les Francs s’unirent plus tôt à elles, c’est que la communauté de religion les porta de très bonne heure à appeler au service militaire les habitants gallo-romains. A côté des faits, je ne dois pas négliger une conjecture de Wernsdorf[39], qui, prise dans sa généralité, ne manque pas de vraisemblance : c’est que le système de la clientèle de peuple à peuple, cette partie importante des habitudes politiques de la Gaule, existait aussi chez les Gaulois d’Orient. Pour Wernsdorf, les Sébasténiens des Tectosages sont des colons ou des alliés du peuple tectosage. Nous verrons plus loin combien cette opinion, sur ce point spécial, est éloignée de la vérité, les Sébasténiens-Tectosages des monuments étant les habitants même d’Ancyre ; et, quant aux peuples du Pont ou de la Pisidie, que l’on a cru reconnaître, chez Pline (H. N., V, XLII), dans la géographie politique de la Galatie, ce ne sont que des populations administrativement réunies à la Galatie romaine, par suite d’événements que nous verrons dans le cours du récit. Mais, si les nombreuses cités dont l’auteur latin ne nomme qu’une très partie, si les cent quatre-vingt-quinze peuples ou tétrarchies qu’il dit exister de son temps dans la province sont, pour la plupart, d’anciennes cités phrygiennes ayant conservé, sous les Gaulois ou sous les Romains, une organisation municipale, il paraît aussi qu’il s’y trouve quelques tribus gauloises ou germaniques, chez qui s’était maintenue jusqu’alors une existence distincte, à travers la durée des États trocme, tectosage ou tolistoboye, auxquels ils avaient été subordonnés. On ne saurait aisément nier que Pline lui-même ne l’entende ainsi dans ces deux passages[40] : qui partem eam insedere Gallorum, Tolistobogi et Voturi et Ambitui vocantur. — Uberrimam partem (Cappadociæ) occupavere Tectosages et Teutobodiaci. Les Votures et les Ambituens doivent avoir été clients des Tolistoboyes, et les Teutobodiaques, clients des Tectosages, puisqu’ils paraissent compris dans les limites de leurs tétrarchies. Quant à la distinction soutenue par Wernsdorf (VI, 24), que Déjotar ne fut roi que de la petite Arménie, Mithridate le Pergaménien, que du Bosphore, et Amyntas, que de la Pisidie et de la Lycaonie, parce que le titre de roi était odieux aux Galates, qui ne le reconnurent jamais dans les limites de leur pays, je ne vois rien dans l’histoire qui appuie cette conjecture. Les médailles de ces princes portent simplement[41] : Βασιλεως Δηιοταρου, Βασιλεως Αμυντου[42], et il est douteux que Wernsdorf eût imaginé cette hypothèse, s’il n’eût été, comme Pelloutier, sous l’influence de cette idée, que les Gaulois de Tite-Live sont le même peuple que les Germains de Tacite, que les races celtique et tudesque sont identiques, et que les mots de leur langue doivent s’expliquer par l’allemand. Wernsdorf a une idée probablement beaucoup plus juste, bien qu’il l’appuie expressément sur la même théorie, quand le silence absolu de l’histoire sur les tributs payés aux tétrarques et aux princes galates lui fait penser qu’ils vivaient du revenu de leurs domaines, n’ayant pas d’ailleurs d’armée à entretenir aux frais du trésor, dans un pays où tout Gaulois était soldat (VI, 28). Déjotar, dit-il à ce sujet, fut obligé de vendre ses meubles pour payer ce qu’il devait fournir à César ; il eut un trésor à Péium, mais le témoignage de Cicéron nous apprend qu’il était grand agriculteur et soigneux nourrisseur de bestiaux. Nous verrons aussi qu’il est question, dans l’histoire, des nombreux troupeaux du roi Amyntas, et, si cette vie quelque peu patriarcale subsistait chez les princes de la clientèle romaine, à plus forte raison ces mœurs simples devaient-elles être celles des tétrarques, non seulement au premier siècle de la conquête, mais aux temps qui suivent la guerre de Manlius. Sans entrer dans ces divers détails, Ritter[43] fait entendre que les mœurs des Gaulois s’étaient longtemps maintenues sur le sol de l’Asie. Il ne reste, dit-il (après avoir traduit le passage de Strabon), aucune trace d’un monument quelconque écrit par les Galates en langue celtique, aucun acte politique consigné par écrit..... Et nulle numération chronologique ou généalogique des chefs ou tétrarques gaulois n’a été conservée par eux durant les trois siècles de leur domination. Entourés de peuples lettrés, ils semblent n’avoir point eu d’écrit qui leur appartînt. Ce que dit Wernsdorf (VI, 10) des goûts scientifiques ou littéraires de Déjotar, d’après Cicéron, et de Castor, d’après un témoignage de Suidas, un peu confus, il en convient lui-même, ne prouve pas grand’chose en faveur de l’état ordinaire et général de la nation : cette famille vivait dans la clientèle de Rome. Les citations assez nombreuses des écrits de Castor, réunies, dans la collection Didot, à la suite d’Hérodote, montrent beaucoup d’érudition et assez peu de critique. Ces écrits se rapportent, en général, à la vieille chronologie des Assyriens et des Grecs, aux rois de Ninive, de Sicyone, d’Argos, et aussi un peu aux subtilités néo-platoniciennes, qui cherchaient à se produire bien longtemps avant Plotin. Quant au langage de Themistius sur l’aptitude aux études de la race qui habitait la Galatie (VI, 10), il est beaucoup trop tardif pour avoir aucune importance, en ce qui concerne l’histoire des Galates indépendants. |
[1] Strabon, Géographie, liv. XII, ch. V.
[2] Strabon, liv. IV, ch. i, p. 317-318 du tome I (éd. Tauchnitz).
[3] De bello gallico, I, IV ; II, XIV ; III, XXII ; VI, XI, XIII, XV, XX ; VII, XXXII.
[4] De bello gallico, II, XIV.
[5] De bello gallico, II, XXVIII.
[6] De bello gallico, III, XVI.
[7] De bello gallico, VII, XXII.
[8] De bello gallico, II, IV.
[9] De bello gallico, VI, XX.
[10] De bello gallico, VI, XIII.
[11] Hist. des peuples bretons, t. I, p. 63-71, 75-78. Ouvrage couronné par l’Institut. Depuis la composition de ce mémoire, l’auteur des Peuples bretons vient d’y obtenir un nouveau succès.
[12] Plebes... per se nihil audet nulloque adhibetur consilio. (César, De bello gallico, VI, XIII.)
[13] De bello gallico, VI, XIII.
[14] De bello gallico, VI, XIV.
[15] Cæsar, De bello gallico, I, IV.
[16] Hist. des peuples bretons, t. I, p. 73-76.
[17] Cæsar, De bello gallico, VI, XV, et la note de M. Régnier sur ce passage.
[18] Cæsar, De bello gallico, III, XXII.
[19] Cæsar, De bello gallico, VI, XI et XIII.
[20] Voyez Yaçna, LXI, XV. Ce sont les chapitres XXVIII à LIII, écrits dans un dialecte différent, qui, dans le Yaçna, paraissent à M. Spiegel de l’antiquité la plus grande. — Voyez traduction allemande de l’Avesta, introd. du Ier vol. p. XIII-XIV, et introd. du IIe vol. p. LXXVI.
[21] Spiegel, traduction allemande de l’Avesta, introduction du IIe volume, p. III-IV.
[22] J’ai dit plus haut que les incursions des Cimmériens se renouvelèrent plusieurs fois en Asie Mineure, entre le XIIe et le Ve siècle, et qu’elles ne vinrent pas toutes d’au delà du Pont-Euxin ; peut-être la Phrygie en avait-elle conservé quelques débris.
[23] Hist. des peuples bretons, tome I, p. 86.
[24] Cæsar, De bello gallico, VI, XV.
[25] Cæsar, De bello gallico, I, XVI.
[26] Cæsar, De bello gallico, VI, XI.
[27] Cæsar, De bello gallico, V, XII.
[28] Dans un vieux fragment de législation que cite l’Hist. des peuples bretons, t. II, p. 79.
[29] Cant, cent, tref, village : l’auteur rappelle, à ce sujet, que les quatre cantons des Helvètes comprenaient quatre cents bourgs.
[30] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 72, 73.
[31] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 72-74.
[32] Klein-Asien, t. I, p. 601.
[33] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 78.
[34] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 72, 73 et 83.
[35] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 82.
[36] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 86.
[37] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 84.
[38] Hist. des peuples bretons, t. II, p. 28 et 116-119.
[39] De rep. Gal., c. VI, § 22.
[40] Pline, H. N., V, XLII.
[41] Eckhel, Doct. numm. vet., t. III, Galatia.
[42] Et non le génitif dorien Άμύντα, comme pour celles du prince macédonien, père de Philippe, prince qui, d’ailleurs, ne prend pas le titre de βασιλεύς, comme le fait remarquer Eckhel, l. I.
[43] Klein-Asien, t. I, p. 603.