Texte numérisé par Marc Szwajcer
La Macédoine, réduite de bonne heure, par sa position géographique, au rôle d’adversaire de tous les généraux d’Alexandre, qui prétendaient à la totalité de son héritage , la Macédoine, dont les efforts tendaient surtout, au moins depuis la mort de Polysperchon, à reprendre la position qu’elle avait en Grèce au temps de Philippe, avait usé, dans ce double rôle, la meilleure partie de ses ressources ; elle devait, d’ailleurs, se trouver épuisée par une émigration militaire trop forte pour sa population, celle des compagnons d’Alexandre et des mercenaires qui allaient servir ses héritiers. Cassandre était mort après avoir vu ‘Unité de la monarchie définitivement brisée dans les Plaines d’Ipsus, et, après la catastrophe de ses deux fils, après le rapide passage de Pyrrhus et de Demetrius, la triste fin de Lysimaque et l’assassinat de Séleucus n’avaient plus laissé ni homme d’Etat ni homme de guerre qui eût reçu les leçons du conquérant ; c’est alors que les Gaulois se présentèrent. Quant à la Grèce, elle n’était pas seulement affaiblie par sa décadence déjà ancienne et par la domination des Macédoniens, elle l’était encore par ses divisions récentes. Presque toutes les cités de la Grèce, dit Justin (XXIV, I), voyant les discordes des rois Ptolémée Ceraunus, Antiochus et Antigone (de Goni), saisirent, sous la conduite de Sparte l’occasion qui leur était donnée de recouvrer leur liberté et se lièrent par des ambassades mutuelles, et commencèrent et la guerre. Pour ne pas paraître la déclarer à Antigone, dont elles avaient reconnu le pouvoir, elles attaquèrent ses alliés, les Étoliens, sous prétexte qu’ils avaient occupé par force la plaine de Cirrha, consacrée à Apollon. Elles se trouvaient d’autant plus libres d’agir, que, comme le fait observer M. Contzen[1], Antigone venait d’éprouver un grand échec naval sur les côtes de Macédoine, et que la garnison de la Cadmée avait été retirée par Demetrius, sans doute pour sa malheureuse expédition de Syrie. Area, continue Justin, est choisi par les Grecs pour commander dans cette guerre. Il réunit ses troupes, dévaste la ville (de Cirrha) et les maisons situées sur son territoire et brûle ce qui ne peut être emporté. Les pasteurs étoliens, les ayant vus des montagnes, se jettent, au nombre de cinq cents, mais cachés par la fumée des incendies sur les ennemis dispersés, troublés par la crainte et ignorant à combien de gens ils ont affaire ; ils tuent neuf mille de ces pillards et mettent en fuite le reste. Les Spartiates essayent de recommencer la campagne, mais plusieurs villes leur refusent leur contingent, estimant que Sparte cherchait à dominer sur la Grèce et non à l’affranchir. Nous verrons bientôt quelles forces opposèrent à un ennemi fort dangereux les Grecs ainsi divisés et affaiblis ; examinons d’abord en quelles conjonctures se trouva la Macédoine, lors de l’arrivée des Gaulois. Pyrrhus, parti pour l’Italie quelques mois après la mort de Séleucus, y avait emmené vingt-cinq à trente mille combattants, recrutés, cela ne fait aucun doute, parmi les hommes les plus vigoureusement trempés de la péninsule hellénique et spécialement chez les Macédoniens, à qui, dit-on, il rappelait beaucoup Alexandre. Nous savons même, par un témoignage précis, que Pyrrhus avait emprunté, pour deux ans, à Ptolémée Ceraunus, cinq mille fantassins et quatre mille cavaliers avec cinquante éléphants[2]. Et il ne faut pas croire que cette distraction de forces fût compensée par une grande extension de territoire chez les populations belliqueuses de l’est. Si Lysimaque avait porté le titre de roi de Thrace, s’il avait paru réunir ce pays à la Macédoine, en succédant pour quelques jours aux familles de Cassandre et d’Antigone, il faut bien comprendre qu’il ne s’agissait nullement de tout le pays compris entre le mont Hæmus et la Propontide. Justin dit même (XVI, I) que, pressé par les forces du roi indigène Dromichætès, Lysimaque avait dû lui céder la portion de la Macédoine précédemment occupée par son gendre Antipater. Lysimaque, dit de son côté Pausanias[3], était roi des Thraces, voisins de la Macédoine, qui avaient obéi à Philippe et à Alexandre ; mais rien de plus. Je n’appuierai pas sur les paroles de auteur quand il ajoute, Ce n’était là qu’une faible partie de la Thrace, car, comme il dit aussi que les Thraces sont la race la plus nombreuse après les Celtes, on voit qu’il parle ici, comme Hérodote, en ethnographe plutôt qu’en géographe. Mais des faits particuliers vont nous éclaircir la géographie politique de ce pays et de ce temps. Lysimaque avait combattu contre les Odryses, voisins de l’Hèbre supérieur, puis contre Dromichætès et les Gètes[4] ; il avait obtenu des succès, fait des conquêtes, et, selon Diodore[5], intimidé assez les barbares pour qu’ils lui renvoyassent son fils Agathocle, leur prisonnier, afin de regagner par sa bienveillance ce qu’ils n’espéraient plus recouvrer par force, tant qu’il serait l’allié des autres successeurs d’Alexandre. Peu après, Dromichætès tint, dit-on, une semblable conduite avec Lysimaque, fait prisonnier à son tour[6]. La paix fut alors conclue, à la condition que Lysimaque céderait au roi des Gètes tout ce qu’il possédait au delà de l’Hèbre. Si le fait affirmé par Justin, la cession d’une partie de la Macédoine, est authentique, il se rapporte apparemment au même traité, ou plutôt c’est le même fait raconté en d’autres termes, car Lysimaque avait alors réuni les deux Etats. Mais, quelle que soit la diversité des détails dans la narration de ces écrivains, il résulte au moins, de leurs témoignages réunis, qu’il y avait en Thrace des indigènes indépendants, et, parmi eux, un Etat puissant, celui des Gètes. Il y a même lieu de croire que les villes grecques de ce pays n’avaient pas toutes reconnu l’autorité de Lysimaque. Justin nous apprend qu’il fit la guerre à Héraclée[7]. Ptolémée Ceraunus n’eut, d’ailleurs, ni le temps ni les moyens de faire, avant l’arrivée des Gaulois, ce que Lysimaque n’avait pas fait. |
[1] Die Wanderungen der Kellen, besonderer Theil, § 22.
[2] Justin, XVII, II.
[3] Pausanias, Descriptio Græciæ, liv. I, chap. IX.
[4] On voit, par ce passage et celui de Diodore auquel je vais renvoyer, que Dromichætès était le roi des Gètes établis en Thrace. (Cf. Strabon, VII, III.)
[5] Diodore, fragm. du liv. XXI, 4e année de la 121e olympiade (ann. 293) ; édit. Tauchnitz, t. VI, p. 45-47.
[6] D’après Pausanias (ubi supra), on aurait lieu de penser que la prise d’Agathocle et celle de Lysimaque seraient un seul et même fait raconté avec des circonstances différentes ; c’est très possible. Strabon (liv. VII, ch. III, t. II, p. 82, 88) et Memnon (Ap. Phot., p. 225, init., édit. Bekker) ne parlent que de Lysimaque.
[7] Justin, XVI, III. — On pourrait se demander s’il s’agit bien en effet d’Héraclée de Thrace ; mais, comme nous le voyons par Memnon, si Lysimaque eut, pendant quelque temps, beaucoup d’autorité dans Héraclée de Bithynie, il ne la combattit jamais.