HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME QUATRIÈME

LIVRE X. — LE PEUPLE JUIF SOUS LA DOMINATION ROMAINE

CHAPITRE XVI. — L'AGADA. LES FRAUDES. CRÉDULITÉ.

 

 

L'imagination du peuple travaillait et créait sans cesse ; elle ajoutait à l'histoire biblique des parements sans fin. Les grandes figures d'Adam, de Noé, d'Abraham, de Moïse[1] se détachaient sur le fond de l'histoire sainte avec une sorte de sécheresse, que nous trouvons grandiose, mais qui alors semblait un défaut. On regrettait que la vieille histoire frit si sobre ; on y ajoutait du piquant et de l'édifiant. Il y eut, avant l'ère chrétienne, des livres d'Adam, de Lamech, de Noé[2] ; mais on n'a pas assez d'éléments pour les reconstituer. Abraham devenait de plus en plus l'idéal d'un pharisien accompli. On racontait de lui de bien belles légendes. Son corps, comme celui de Moïse, était l'objet d'un combat entre les bons et les mauvais anges[3] ; mais il ne semble pas que, dès l'époque juive, on ait mis sur son compte des révélations[4].

Nous croyons que le Testament des douze patriarches est tout entier d'origine chrétienne[5]. La Prière de Joseph, au contraire, paraît avoir été un ouvrage juif assez estimé[6].

Moïse fut honoré, sans parler de la Thora, d'une apocalypse de premier ordre[7]. Nous y reviendrons, et, dans ces paroles ardentes, nous croirons par moments entendre Jésus. Aucun récit ne fut plus populaire que celui qui concernait la mort de Moïse. Une bataille s'engageait à propos de son cadavre entre Satan et Michel qui tous deux voulaient se l'arracher[8]. Naturellement, Michel l'emportait haut la main.

La lutte entre Moise et les magiciens de Pharaon préoccupa beaucoup les agadistes. Les deux adversaires de Moïse s'appelaient Ianné et Mambré, deux mots sémitiques. Ces noms eurent du succès chez les païens[9] et chez les chrétiens[10]. Ce n'est que postérieurement au christianisme qu'on leur attribua des écrits que quelques-uns eurent la bonhomie de tenir pour canoniques[11]. La Stichométrie de Nicéphore et les anciennes listes des livres canoniques mentionnent aussi un Testament de Moïse[12], qui s'est perdu.

Le vieux cadre d'Hénoch continuait de plaire[13] ; on l'enrichissait toujours de nouveaux ornements. Hénoch était, comme la sibylle de Palestine, l'oracle en permanence toujours prêt à répondre. A côté de l'ancienne apocalypse du temps de Jean Hyrcan, il se créa de nombreux petits livres où le vieux patriarche était censé enseigner aux hommes des choses cachées, les mystères des anges et des esprits, toute une astrologie fort médiocre, qui n'était que tautologie, mais qu'on trouvait sublime.

Ces opuscules réunis formèrent la compilation qu'on appelle maintenant livre d'Hénoch, dont un tiers à peu près nous est parvenu en grec et la totalité en éthiopien. L'original était sûrement écrit en hébreu.

L'histoire des anges adoptée par Hénoch était celle qui résulte, tant bien que mal, du sixième chapitre de la Genèse. De mauvais êtres naissent du commerce des démons incubes avec les filles des hommes ; très intelligents cependant, ces anges déchus font quelques belles inventions et quelques autres très mauvaises. Ils pervertissent le monde et rendent le déluge nécessaire. Hénoch et Noé[14] sont, au milieu d'une humanité corrompue, les témoins de la vérité ; ils prédisent le déluge ; mais les hommes aveugles ne veulent pas les écouter.

Ce qui caractérise les livres attribués à Hénoch, c'est un certain goût de la science. Hénoch a la prétention d'enseigner aux hommes les secrets de la création. Une de ses idées favorites, c'est que la science est une récompense. Les justes, les élus, à chaque progrès qu'ils font, reçoivent une connaissance sept fois plus grande de toutes les parties de la création[15]. L'auteur semble supposer qu'il fallait pour cela une révélation, et vraiment les Grecs, qui n'usaient pas, dans leurs recherches scientifiques, du ministère des anges, y réussissaient mieux avec leurs simples facultés. Si l'auteur eût voulu consulter ces savants d'Alexandrie, qui n'avaient pas les moindres lumières surnaturelles, ils lui auraient enseigné une astronomie beaucoup plus avancée, presque le vrai système du monde. Mais on n'avait alors que du mépris pour le droit sens et de l'admiration pour les chimères. Cette sotte astronomie, révélée par Uriel ou je ne sais quel autre archange, valut à Hénoch, dans le monde juif, le titre d'inventeur de l'astronomie[16].

L'opposition des bons et des méchants, qui pour Hénoch est celle du blanc au noir, l'amène à une eschatologie tout à fait féroce. L'enfer, décrit dans ses détails les plus horribles, est bien une invention de notre auteur. Dante a ici son véritable précurseur. Hénoch se plait à raconter ces hideux supplices ; il en invente ; le feu, du reste, en fait tous les frais ; ce quemadero est localisé à un point du monde ; sa géographie est fixée avec un réalisme repoussant[17].

L'angélologie du livre d'Hénoch est absolument ridicule. Outre les Égrégores[18], les quatre anges classiques, Gabriel, Michel, Raphaël, Uriel ou Phanuël, il connaît tout un peuple d'êtres célestes, dont il fabrique les noms sans vergogne[19]. On tombe ici dans le pur galimatias. Voilà, cependant, selon toutes les probabilités, ces noms d'anges dont les esséniens étaient si fiers et qu'ils gardaient avec un soin si jaloux[20]. Ce trait, comme aussi le goût des sciences occultes, est une des particularités qui ont pu faire penser que le livre d'Hénoch, au moins dans certaines parties, était un livre essénien.

L'agada juive présente, on le voit, le caractère le plus puéril. L'imagination fraîche et délicate qui donne tant de charme aux légendes de l'Occident manque aux légendes d'Orient[21]. Un ouvrage fort singulier est cette espèce de bible agadique qui nous est parvenue sous le titre de livre des Jubilés ou Petite Genèse[22]. L'original fut certainement composé en hébreu[23]. L'auteur fait l'usage le plus étendu du livre d'Hénoch[24]. Il écrivait du temps de Jésus ou des apôtres, certainement avant la destruction du temple de Jérusalem en 70.

La forme que l'auteur a choisie est celle d'une révélation censée faite à Moïse sur le Sinaï par l'ange qui se tient devant la face de Dieu. Il suit pas à pas le récit biblique, depuis le commencement de la Genèse jusqu'au chapitre XII de l'Exode, prenant les plus grandes libertés, omettant, changeant, ajoutant selon son bon plaisir. Sa prétention est bien que ce qu'il ajoute au texte soit tenu pour aussi sacré que le texte lui-même. Le texte est révélé sans doute ; mais les additions ont été révélées aussi. Dieu, devinant l'intérêt qui s'attacherait un jour à ces matières, veut bien nous apprendre les noms des femmes des patriarches, le nombre des enfants d'Adam, etc. Ô vieux rédacteur jéhoviste, voilà ce qui devait s'écrire à la marge de votre chef-d'œuvre. Vanité des vanités !

L'esprit du livre est celui des Targums, pieux, apologétique, crédule à l'excès. L'auteur croit à la persistance des âmes sans croire à la résurrection[25] ; il est peu messianiste, très attaché à la Loi. Les patriarches l'observaient ! C'étaient des saints ! La Loi était écrite dans le ciel sur des tables avant d'être promulguée sur la terre ; les anges la suivaient ! Tout n'est pas dans la Thora ; il y eut des livres révélés aux patriarches, que ceux-ci mirent dans des lieux secrets et léguèrent aux hommes pieux des générations futures[26].

Voilà qui est capital et qui sûrement répond aux objections que les esprits sensés opposaient à cette forêt de fables qui pullulaient de toutes parts. Les gens raisonnables voulaient qu'on s'en tint à la Bible hébraïque ancienne, qui seule, selon eux, avait été révélée. Les auteurs d'apocryphes soutenaient, comme l'auteur de la Sagesse, comme feront plus tard les gnostiques de l'école judéo-chrétienne[27], que la révélation est continue, que les patriarches en eurent leur part, qu'il y a des livres des patriarches dans des cavernes, dans des cachettes, qu'il s'agit seulement de savoir les trouver[28]. Cette idée, on le voit, élargissait singulièrement le cercle de la révélation ; elle faisait de la prophétie quelque chose qui marche et se développe. Il fut admis que les nebiim proprement dits, les trois grands et les douze petits, n'avaient pas épuisé la prophétie, qu'il y avait eu des prophètes avant eux. De là on était facilement amené à conclure qu'il pouvait y en avoir après eux.

Un trait important, en tout cas, est l'air de famille qu'ont entre eux tous ces livres apocryphes, Hénoch, Jubilés, Assomption de Moïse, auxquels on peut rattacher le Psautier de Salomon et le Testament des douze patriarches. Ces livres se citent entre eux, se copient[29]. Ajoutons que ces ouvrages ont eu le même sort littéraire et partagé les mêmes causes de vogue et de discrédit, qu'ils vont d'ordinaire ensemble, qu'on les trouve dans les mêmes manuscrits ou dans les mêmes séries de manuscrits[30]. Ces livres appartiennent évidemment à un même parti, caractérisé par ses tendances larges à l'égard du pharisaïsme et ses affinités futures avec le christianisme. Tous, en effet, restèrent dans le canon chrétien, nous ont été conservés par les chrétiens[31]. Cette famille formait évidemment un cercle ayant sa littérature à part. Jésus fut certainement avec elle dans les relations les plus étroites. Si l'on veut prendre le mot essénisme dans un sens large, on peut certes appeler ce cercle religieux le cercle essénien. La brillante angélologie, le goût des livres secrets qu'on y remarque comme dans Hénoch sont bien des traits esséniens ; mais les traits spéciaux de l'essénisme manquent. On exagère en supposant dans la société juive contemporaine de Jésus des partis rigoureusement étiquetés, où tout doit rentrer. Il y avait des tendances très opposées, des groupes, des coteries, rien de plus ; des partis, des écoles, il n'y en avait pas, dans un sens rigoureusement déterminé.

A côté des pharisiens, des sadducéens, des esséniens, des zélotes, il y eut ce qu'on peut appeler les apocalyptistes, les apocryphistes, l'école qui produisit les livres d'Hénoch, l'Assomption de Moïse, le Psautier de Salomon, la Petite Genèse, l'Apocalypse d'Élie, tous les prophètes pseudépigraphes, animés d'un même esprit, qui est à beaucoup d'égards celui de Jésus. Ces apocalyptistes, ces apocryphistes étaient en même temps les messianistes, le parti de la fraude pieuse, du mensonge voulu et cru en même temps. A force de parler du Messie, ils le créèrent. Voilà les origines prochaines du christianisme ; nous sommes ici sur le terreau où poussa Jésus. Aussi ce sont les chrétiens qui gardent cette littérature ; les Juifs orthodoxes, les pharisiens en laissent périr les originaux hébreux[32] ; on ne les possède que dans les traductions. Les chrétiens mettent ces écrits dans leur canon[33] ; ils les continuent, et, pendant deux siècles, produisent une série d'ouvrages du même genre[34]. Ceux qui les composent, ce sont justement les judéo-chrétiens, si bien que le discernement des pseudépigraphes juifs et chrétiens est souvent très difficile à faire. Les chrétiens hellénistes, comme Origène[35], les ont en aversion, les laissent périr, ou même les détruisent exprès. Dans l'Église orthodoxe, ces livres, autrefois si révérés, deviennent de mauvais livres, poursuivis comme dangereux[36]. C'est ainsi qu'il se fait que ces écrits sont si souvent perdus en grec, qu'on ne les a qu'en latin, en syriaque, en éthiopien surtout, l'Église abyssène ayant gardé une forte empreinte judéo-chrétienne. Le christianisme ne réussit qu'en abandonnant sa première peau. On avait cru pour cela ; on crut malgré cela. Celse se moque déjà des millions d'anges du livre d'Hénoch[37] ; Origène ne voit pas que le christianisme auquel il croit est né en faisant corps avec les niaiseries pour lesquelles il n'a que du dédain. Les vies des prophètes, comme nous l'avons déjà vu, étaient l'objet d'embellissements d'assez mauvais goût, et où l'on ne craignait pas de pousser le surnaturel jusqu'au grotesque. Le voyage aérien de Habakouk, le déjeuner de Daniel, la scie de bois d'Isaïe[38] sont d'assez pauvres inventions, qui eurent cependant beaucoup de succès. Jérémie surtout, le plus vénéré des prophètes, vit se grossir considérablement les fables qui le concernaient. Il avait été le lien entre l'ancien culte et le nouveau ; il avait eu le secret des cachettes, des retraites mystérieuses, que la nouvelle école goûtait si fort, où étaient renfermés les objets de l'ancien culte[39].

On ne comprendrait pas l'état moral singulier qui a produit toutes ces fables, si on ne songeait à la mauvaise discipline de tout esprit sur lequel, directement ou indirectement, n'a pas passé la culture grecque. Le texte biblique lui-même, si respecté quant à la lettre, était traité quant au sens avec une légèreté sans égale. L'exégèse biblique était arrivée au dernier degré de faiblesse. Il serait exagéré de dire qu'on ne savait plus l'hébreu. Mais les langues anciennes sont pleines de difficultés. Il faut pour comprendre ces vieilles énigmes de la sagacité, de la critique, une étude comparative des langues que les temps modernes ont seuls pu fonder. On savait l'hébreu du temps de Jésus comme les Parsis savaient le zend du temps d'Anquetil, comme les brahmanes savent la langue védique. Une foule de traits des anciens livres n'étaient plus compris, et, ce qu'il y avait de pis, c'est que tout passage non compris était regardé comme mystérieux et rapporté au Messie. Ainsi se forma cette collection de lieux dits messianiques, sur lesquels on raisonnait à perte de vue, et dont les premiers chrétiens, Jésus lui-même, dit-on, abusèrent d'une façon si étrange. Beaucoup de ces raisonnements, ceux de saint Paul en particulier, se fondaient sur de mauvaises lectures ; tous supposaient que l'auteur original n'avait pas eu le sens commun et avait composé en dehors de toutes les lois de l'esprit humain. A vrai dire, on s'inquiétait fort peu de ce qu'il avait voulu dire ; c'était là un bien petit souci. Le texte sacré était un grimoire, qu'on prenait en soi-même, indépendamment de l'intention de l'auteur et où l'on cherchait toutes les combinaisons possibles. De là l'étrangeté inouïe de toute l'exégèse du Nouveau-Testament, qui semble un défi au bon sens, soit qu'elle joue sur l'hébreu, soit qu'elle ait pour base la version grecque ou les Targums araméens. De là ces soixante-dix faces de la Loi, cette variété de sens allégoriques, accommodatices, tropologiques, etc. L'exégèse versait dans l'agada ; le texte sacré n'était plus qu'une matière à jeux d'esprit, où chacun taillait à sa fantaisie. Les mots bibliques, pris comme les boules d'un jongleur, pouvaient servir aux thèses les plus opposées ; les règles les plus simples du raisonnement étaient, dans ce jeu de bilboquet, totalement négligées[40].

En réalité, par les légendes et les révélations qui naissaient de toutes parts, la Bible en venait presque à se doubler, et naturellement la partie la plus récente était celle qui avait le plus de vogue, parce qu'elle répondait directement aux besoins du temps. Les anciens prophètes arrivaient presque tous, à côté de leur œuvre authentique, à posséder une série de Spuria[41]. Ces écrits furent cités par les écrivains de la première génération chrétienne avec une sorte de prédilection. De là tant de citations du Nouveau-Testament qui se rapportent à des apocryphes. Il y eut, par exemple, une apocalypse d'Élie[42] à laquelle saint Paul a emprunté une de ses phrases le plus souvent citées[43]. On n'imaginait pas d'homme célèbre, de situation tragique (martyre, pénitence, etc.) qui n'eût eu sa révélation[44]. En général, la révélation ou, ce qui revient au même, l'édification, était le but de l'histoire apocryphe. Il était rare que la légende fût inventée par simple goût de l'amusement.

Répétons pour la vingtième fois que ces écrits, dont la fausseté sautait aux yeux, étaient réputés parfaitement authentiques. On admettait que tel ou tel écrit d'Élie, par exemple, avait pu se conserver en dehors de la Bible ; on lisait ces ouvrages avec avidité. Jésus et ses premiers disciples furent du nombre de ces lecteurs et y puisèrent une partie de leur foi ardente. Les premiers doutes apparaissent chez les chrétiens du IIIe siècle comme Origène, ayant reçu une éducation hellénique[45].

On ne vit jamais siècle si naïvement crédule[46], et ce fut justement le siècle de la grande éclosion de la foi. La faculté qui raisonne dans l'esprit humain paraissait éteinte ; la folie enfantine était le milieu habituel. On affirmait sans raison, comme en rêve ; on croyait sans raison. On mentait et on croyait son mensonge ; fingunt simul creduntque. Les religions ne se fondent que dans ces sortes de milieux. Un minimum de rationalisme dans l'air ambiant suffit à les tuer, dans leur jeune âge. L'Amérique, vu son manque de grande culture, a seule pu de notre temps fournir le substratum d'une religion. Là une imposture peut aller très loin, sans que rien l'arrête. Le premier siècle de notre ère fut en Judée une époque analogue. L'énorme collusion qui servit de base à la foi en la résurrection de Jésus ne fut possible que dans le temps qui faisait croire à Hénoch, à Moïse littérairement ressuscités. Aucun siècle ne fut si facile à tromper. La foi alors était libre ; car elle n'était que l'imagination ; ce sont nos races logiques qui en ont fait un dogme, une chaîne. Rien ne limitait l'agada ; toute combinaison possible des mots du texte sacré était vite affirmée. La pesanteur intellectuelle de nos races occidentales, surtout de la race anglaise, admettant comme premier principe que tous les pays et tous les siècles se ressemblent, ne peut comprendre cela. Les bizarres procédés intellectuels du siècle de l'agada, pour être compris, demandent la critique la plus fine, et ce sont justement les races les plus honnêtes qui sont le plus dépourvues de cette qualité. Il leur sera toujours impossible d'accepter une telle énormité d'imposture dans des développements humains où, par ailleurs, entre comme élément fondamental un sentiment moral très élevé.

Il y avait un mode d'agada bien supérieur, la parabole, dont il ne paraît pas y avoir eu d'exemple avant Jésus. Ce genre charmant d'enseignement, que le bouddhisme possédait depuis longtemps, le judaïsme ne l'a probablement pas connu[47]. Les paraboles du royaume de Dieu, quand Jésus les prononça, furent une haute nouveauté. Le défaut de l'ancien genre, l'indéfini des contours, y est devenu une qualité, et certes, avoir tiré un chef-d'œuvre du fatras de l'agada juive est un réel tour de force. Le livre des Jubilés ne nous y préparait pas. Si l'on veut se borner à prêter à Jésus des miracles littéraires, nous dirons que celui-ci fut vraiment un miracle de premier ordre.

 

 

 



[1] Voir Fabricius, Cod. pseud. Vet. Test., recueil où les vies légendaires sont classées par ordre chronologique ou censé tel.

[2] Liste canonique Montfaucon-Pitra, Schürer, II, 671.

[3] Origène, In Luc. hom. 35, init.

[4] Voir cependant Stichométrie de Nicéphore, n° 6.

[5] Origines du christ., VI, p. 268 et suiv. Pour Eldad et Modad, voir ibid., 396-397.

[6] Origène, In Joh., t. II, ch. 25 ; Eusèbe, Præp. ev., VI, XI, 64.

[7] Une partie considérable de l'Assomption de Moise a été découverte en traduction latine, par M. Ceriani, dans un manuscrit de Bobbio, à Milan. Voir Fritzsche, Schürer, etc.

[8] Jud., 9. Cette légende était dans la partie perdue du texte découvert par M. Ceriani. Sur cette légende dans le judaïsme, voir Schürer, II, p. 635-636.

[9] Pline, Hist. nat., XXX, I, 1 ; Apulée, Apol., c. 90 ; Numenius, dans Eus., Præp. evang., IX, 8.

[10] II Tim., III, 8 ; Evang. de Nicodème, Acta Pilati, 5 ; Origène, Contre Celse, IV, 51, etc.

[11] Origène, Gélase.

[12] Schürer, II, 670-671.

[13] Il y eut aussi des livres de Lamech. Liste Montf.-Pitra, n° 3.

[14] Il y avait des confusions et des doubles rôles entre ces deux personnages. Comparez Matthieu, XXIV, 37 et suiv. ; Luc, XVII, 26 et suiv. ; I Petri, III, 20 ; II Petri, II, 5. Cf. Hénoch, LXXXIII, 6 ; CVI, CVII. Les passages relatifs à Noé dans le livre d'Hénoch (LIV, 7 ; LV, 60 ; LX ; LXV, 1 ; LIX, 25 ; CVI, CVII, CVIII) paraissent une insertion postérieure aux similitudes. Cf. LVIII, 1.

[15] Ch. XCIII, 10, 14 (Laurence, XCII, 12, 23). De tels passages feraient songer à une origine gnostique.

[16] Alexandre Polyhistor, dans Eus., Præp. evang., IX, XVII, 8. Comparez livre des Jubilés, Schürer, II, 681.

[17] On voudrait rapporter tout cela aux bas temps gnostiques et manichéens, au temps de l'Ascension d'Isaïe, par exemple ; mais cela est impossible.

[18] I, 5, etc.

[19] Ch. VII et suiv. Toutes ces bizarreries se retrouvent dans le texte grec, récemment découvert.

[20] Le livre des Jubilés, proche parent du livre d'Hénoch, présente une angélologie non moins folle. Comparer les noms des anges.

[21] Comparez les Vies de saints de l'Église grecque à celles de l'Occident. Quelle différence !

[22] Cet ouvrage, fréquemment cité par les Pères grecs et les chroniqueurs byzantins, a été retrouvé en éthiopien. Un fragment d'une traduction latine a été découvert par M. Ceriani dans le manuscrit de Bobbio (maintenant à Milan) qui contient l'Assomption de Moïse. Voir Rœnsch, Das Buch der Jubilæen, Leipzig, 1874.

[23] Saint Jérôme le lisait en hébreu. Epist. 78 ad Fabiolam.

[24] Schürer, II, p. 681. Il serait intéressant de rechercher quelles sont les parties d'Hénoch qu'emploie le livre des Jubilés ?

[25] Schürer, III, 24.

[26] Schürer, II, 679.

[27] Écrits pseudo-clémentins.

[28] De là le mot apocryphe, qui signifie proprement caché. De là on passa facilement au sens de mystérieux. Cf. Daniel, II, 22.

[29] Voir Schürer, II, p. 667, 668 ; Lucius, Essenismus, p. 124, 125, note.

[30] Même les traductions latines de l'Assomption et de la Petite Genèse ont été trouvées dans le même manuscrit de Bobbio et ont été faites par le même traducteur (un Irlandais). Il est probable que les deux ouvrages, censés de Moise, allaient ensemble dans les manuscrits grecs. Je suppose que la version latine est un thème fait par quelque Irlandais dans le genre de Scot Erigène ; la latinité en est tout à fait à part.

[31] Voir Credner, Gesch. des Canons, p. 116-146.

[32] La langue des écrits palestiniens de ce temps était l'hébreu de l'Ecclésiaste, du Pirké aboth, de la Mischna. La langue parlée était l'araméen des Targums. La plupart des écrits, dès leur apparition, étaient traduits en araméen et en grec. Que la langue vulgaire fût l'araméen, c'est ce que prouvent toutes les gloses du temps (noms propres d'hommes, noms propres de lieux, mots cités, etc.).

[33] Credner, Schürer, surtout Stichométrie et Montfaucon-Pitra, Gélase.

[34] Origines du christ., index, au mot apocryphes.

[35] Origène, Comm. in Matth., XXIII, 37 ; XXVII, 9.

[36] Notez l'antipathie des Pères beaux-esprits contre l'Apocalypse ; le fait que le livre d'Hénoch a été écrit en notes tironiennes (écriture cryptographique).

[37] Origène, Contre Celse, V, 52-55.

[38] Première rédaction sans visions en éthiopien. Les visions ajoutées sont d'origine chrétienne. Voir Schürer, II, 683 et suiv. Cf. Hébreux, XI, 37.

[39] Deuxième lettre en tête de II Macchabées, II, 1 et suiv. Cf. Baruch, fable des vases sacrés et l'épître de Jérémie ; Euthalius, sur Eph., V, 14 ; saint Jérôme, In Matth., XXVII, 9.

[40] Voir, par exemple, Gal., III, 16 ; IV, 22-25 ; Rom., X, 6-8 ; Matthieu, XXII, 31-32 ; Epist. Barn., c. 6.

[41] Voir surtout la Stichométrie de Nicéphore.

[42] Stichométrie de Nicéphore, n° 8. Cf. Revue des études juives, I (1880), p. 108 et suiv.

[43] I Cor., II, 9 (cf. Hebr., XI, 37). Origène, Euthalius ; saint Jérôme nie. Le passage Éph., V, 14, quoi qu'en dise Épiphane, est d'un autre apocryphe.

[44] C'est ce qu'on appelait souvent Μετάνοια (Pœnitentia), mot qui signifiait à peu près révélation : Pœnitentia Adæ, Pœnitentia Joannis et Mambræ, μετάνοια en Pistis Sophia.

[45] Par exemple, In Luc. hom., 35, et les passages sur l'Apocalypse d'Elie.

[46] Naturellement, il n'est question ici que de la Judée.

[47] Les paraboles d'Hénoch (voir ci-dessus) sont des compositions d'un tout autre ordre.