Cette grande œuvre se fera par Les deux formes sous lesquelles se produisit, depuis les Macchabées, le mouvement religieux d'Israël, le messianisme et le résurrectionisme, restèrent profondément inconnues aux Juifs d'Égypte. Autant et peut-être plus qu'en Palestine, le besoin de récompenses d'outre-tombe se faisait sentir en Égypte. Mais la connaissance qu'on y avait de la philosophie grecque fournissait pour cela des moyens plus subtils que ceux qu'offrait la psychologie sémitique. On croyait le corps et l'âme séparables ; pour faire durer l'homme après sa mort, on n'avait pas besoin de ressusciter le corps. Les croyances surie jour du jugement, la fin du monde, le Messie n'existaient pas non plus en Égypte. On imaginait des espèces de Champs-Élysées où les âmes justes jouissaient, sous l'œil de Dieu, de délices sans fin. L'Égypte eut beaucoup moins que Salomon est censé s'adresser aux rois, ses confrères, et à
tous les dépositaires de l'autorité, pour leur enseigner le respect de la
religion et l'excellence du peuple juif. Une pensée profonde et vraie domine tout cela : c'est
l'impersonnalité de la raison. Quoique les Juifs lettrés d'Alexandrie eussent tous
quelque notion de philosophie grecque, nous n'avons trouvé jusqu'ici, dans
leurs écrits, rien qui signalât l'entrée de cette philosophie dans le champ
de l'esprit hébreu. Cette entrée est maintenant claire, évidente,
triomphante. Outre le mot logos,
l'auteur de La grande préoccupation de l'auteur de Pour notre sage, le monde se partage en deux classes d'hommes, les matérialistes et les idéalistes. Le raisonnement des premiers est exposé d'une manière assez spécieuse. Notre vie est courte et triste[24]. Il n'y a pas de
remède contre la mort, et l'on n'a pas encore connu un homme qui en ait
délivré un autre du scheol. Nous naissons par hasard, et après cela nous
serons comme si nous n'avions jamais existé ; le souffle dans nos narines
n'est qu'une vapeur, et la pensée une étincelle produite par le battement du
cœur. Quand elle s'éteint, le corps devient poussière, et l'esprit se dégage
comme l'air subtil. Même notre nom sera oublié avec le temps, et personne ne
se souviendra de nos œuvres. Notre vie passe comme un nuage, elle s'évanouit
comme un brouillard chassé par les rayons du soleil et précipité par sa
chaleur. Notre vie est la fuite d'une ombre ; notre fin, une fois arrivée, ne
se répète plus ; elle est scellée, nul ne revient. Donc, jouissons des biens
réels ; hâtons-nous d'user de la création, tant que nous sommes jeunes ;
saturons-nous de vin et de parfums ; cueillons vite la fleur du printemps ;
couronnons-nous de roses avant qu'elles se fanent ; qu'il n'y ait pas de pré
où ne passe notre luxure[25] ; que personne
ne reste en dehors de la fête ; laissons partout des marques de notre plaisir
; car c'est là notre part et notre lot. Opprimons le juste qui est pauvre ;
n'épargnons pas la veuve, ne respectons pas les cheveux blancs des
vieillards. Que notre force soit la règle du droit ; ce qui est faible est
argué d'inutilité. Dressons des embûches au juste ; car il nous est incommode
; il est contraire à notre manière d'agir, il nous reproche nos
transgressions de Ces aveugles ne voient pas une vérité capitale ; c'est que l'homme est naturellement immortel. La mort est entrée dans le monde par la jalousie du diable ; mais Dieu sauve de la mort. Les âmes des justes sont dans la main de Dieu[26], aucun tourment ne les atteint. Aux yeux des insensés, ils paraissent être morts ; leur départ est estimé comme un malheur et leur séparation d'avec nous comme une calamité ; mais ils sont dans la félicité. Aux yeux des hommes, ils ont été tourmentés ; mais leur espérance est pleine d'immortalité ; après avoir un peu souffert, ils seront comblés de bonheur. Car Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui ; il les a épurés, comme l'or au fourneau, et il les a agréés en holocauste. Au jour de la revanche, ils brilleront, pareils à des étincelles d'un feu de paille ; ils jugeront les peuples et domineront sur les nations, et le Seigneur régnera sur eux à jamais. Les impies, au contraire, seront punis[27]. L'auteur,
quoique n'ayant aucun doute sur les châtiments d'outre-tombe, n'en parle
qu'incidemment et avec discrétion. Il sort le moins possible du cercle des
anciennes idées. Les impies sont ici-bas mésestimés ; leurs enfants, leurs
familles tournent mal ; leurs femmes sont peu considérées. Ils ont
quelquefois beaucoup d'enfants ; mais la vertu vaut mieux ; ces nombreux
enfants mal élevés ne prospèrent pas. La longévité n'est pas toujours un
bonheur, ni la mort prématurée une punition. Au fond, l'auteur tombe en plein
dans le vulgaire sophisme de la piété, voulant justifier Voilà bien, se diront-ils, celui dont nous nous sommes moqués autrefois[30], et qui a été l'objet de nos railleries. Insensés que nous étions, nous estimions sa manière de vivre une folie ; nous tenions sa mort pour misérable. Comment son nom est-il dans le catalogue des enfants de Dieu et son lot parmi les saints ? Nous nous sommes donc égarés hors du chemin de la vérité ;... le soleil ne s'est pas levé pour nous ;... la voie du Seigneur, nous ne l'avons point connue. Que nous a profité notre orgueil ? Que nous a valu notre richesse et toute sa jactance ? Tout cela a disparu comme une ombre, comme un bruit passager, comme un navire qui traverse la mer agitée... et dont la carène ne laisse pas de trace dans les flots ; ou encore comme l'oiseau qui vole à travers les airs, et ne laisse point de vestige de son passage ;... on bien comme la flèche qui fend l'air ; l'air déchiré se rejoint aussitôt, de sorte qu'il est impossible de reconnaître par où elle a passé, — voilà comment, nous aussi, nous sommes nés et nous sommes morts, sans pouvoir montrer une trace de vertu ; nous avons été consumés dans notre méchanceté. Oui, l'espérance de l'impie est pareille à la poussière emportée par le vent, à l'écume légère chassée par l'ouragan, à la fumée dissipée par la tempête, au souvenir du passant qui ne s'est arrêté qu'un seul jour à l'hôtellerie. Mais les justes vivent éternellement ; ils ont leur récompense dans le Seigneur, et le Très-Haut prend soin d'eux... Il y a du talent et du charme, un vrai sentiment de
l'ancienne poésie gnomique dans la confession philosophique de Salomon qui forme
la seconde partie du livre[31]. Ses amours pour
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[1] L'ouvrage fut en effet cru de Salomon. Premiers doutes dans le Canon de Muratori et dans Origène.
[2] La thèse de M. Margoliouth est complètement erronée.
[3] VII, 22-24, 27 ; VIII, 1, 5.
[4] VII, 25-26.
[5] IX, 9.
[6] VII, 27.
[7] Comparez Ecclésiaste, XII, 11.
[8] Voir Origines du christ., VII, 82 et suiv.
[9] Proverbes, ch. VIII, IX.
[10] T. IV, p. 282.
[11] IX, 4.
[12] VIII, 3-4. VII, 21.
[13] Idiotismes hébreux : Dieu a créé le monde כחכטה, avec sagesse, en sagesse, par sagesse.
[14] XVIII, 15-16. La personnification en cet endroit n'est pas très accusée.
[15]
Voir mon Mém. sur Sanchoniaton, dans les Mém. de l'Acad. des Inscr.
et B.-L., t. XXIII, 2e partie.
[16] Ch. I.
[17] C'est bien l'intellect actif des philosophes arabes, opposé à la réceptivité de chaque sujet.
[18] VI, 13 et suiv.
[19] XIV, 3 ; XVII, 2. Notez aussi έξ άμόρφου αλης. XI, 17.
[20] Ch. VIII, 7. Cf. Zeller, Phil. der Griechen, III, 2, p. 271.
[21] VII, 22 et suiv. ; VIII, 1.
[22] Ch. VIII, 19, 20 ; IX, 15.
[23] Ch. XV, 8. Cf. Ecclésiaste, XII, 7.
[24] Ch. II, 1 et suiv.
[25] Ce vers assez libre a été supprimé dans le texte grec.
[26] Ch. III, 1 et suiv.
[27] Ch. III, 15 et suiv.
[28] Allusion à Hénoch.
[29] Ch. IV, 16 et suiv.
[30] Ch. V, 3 et suiv.
[31] Ch. VI-IX.
[32] Ch. X-XIX.
[33] Ch. XIII, 1-9.
[34] Romains, II.
[35] Ch. XII, 23 et suiv. ; XIV, 12 et suiv.
[36] Ch. XIV, 21 et suiv.