HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME QUATRIÈME

LIVRE X. — LE PEUPLE JUIF SOUS LA DOMINATION ROMAINE

CHAPITRE III. — DIFFUSION DES JUIFS DANS LE MONDE ENTIER. LA DIASPORA.

 

 

Pendant que la Judée allait ainsi d'abaissements en abaissements, un fait bien plus grave se passait. Israël se répandait dans le monde entier et y portait ses mœurs calmes, sa ferme loi morale, son esprit appliqué. Le Juif était destiné bien plutôt à servir de levain au progrès dans tous les pays qu'à former une nation séparée sur un point du globe. Ce qui constitue une nation, c'est le mariage de l'homme avec la terre. Le Juif, le musulman ne tiennent pas à un sol déterminé. Le Juif de la dispersion remplit mieux sa vocation que le Juif de Palestine, toujours occupé à vouloir un gouvernement national et à le renverser. Le temple n'était salutaire que pour ceux qui étaient loin et y envoyaient leurs vœux, leur argent, leur idéal. Ceux qui vivaient de ce temple étaient le plus souvent des ambitieux vulgaires, des tyrans féroces. Le propre du vrai Juif est de faire l'œuvre de Dieu malgré son prêtre. Il vaut mieux que son prêtre. Le Juif qui s'expatriait devenait un idéaliste pur. Il était le futur substratum du christianisme. Toutes les premières Églises s'établirent là où il y avait des synagogues ; les pays recouverts par le christianisme primitif furent ceux que le judaïsme avait déjà conquis dans les deux ou trois siècles qui précèdent Jésus-Christ.

La race juive a toujours été très prolifique. La Judée n'est pas un pays comportant une population très dense. L'émigration était la conséquence de ces deux faits[1]. La nullité du commerce et de l'industrie amenait des trop-pleins, auxquels l'émigration servait de déversoir. L'amour de la religion l'emportant chez eux sur celui du sol, ils partaient, un peu avec le sentiment de l'Anglais protestant, satisfaits si, là où ils allaient, ils trouvaient la liberté de prier.

Sans parler de l'Orient, où le judaïsme, depuis l'époque assyrienne, laissa de nombreuses parties de lui-même, l'Égypte, comme nous l'avons vu, surtout Alexandrie, devint pour Israël comme une seconde patrie. Le brillant développement qu'il y fournit, développement si supérieur à celui de la Judée, nous a montré ce que vaut le Juif à l'étranger, quand il prend ses livres librement et n'est pas trop absorbé par la partie cérémonielle de la Thora. La situation des Juifs à Alexandrie était assez garantie, quoique les mensonges intéressés de Josèphe inspirent toujours la suspicion, quand il s'agit de droits prétendus, dont les gouvernements qui se succèdent ne savent jamais rien et qu'ils violent toujours. Nous voulons bien admettre la stèle de bronze où se lisait le décret de César leur conférant le droit de cité alexandrine, quoique Caligula ne l'ait pas connu et que Philon ne l'allègue pas. La tolérance ptolémaïque avait fondé un ordre de choses qui ne fut troublé qu'au second siècle après Jésus-Christ[2].

En général, les successeurs d'Alexandre, jusqu'à Antiochus Épiphane, furent favorables aux Juifs. Ils en utilisèrent des colonies entières pour la fondation de leurs villes[3]. Honnêtes, laborieux, aptes aux petites fonctions, ces Juifs déportés servaient d'assises à une excellente bourgeoisie. Peuple, ils ne l'étaient guère, paysans jamais ; la campagne et les pays barbares étaient pour eux comme n'existant pas ; mais comme hommes d'ordre, comme sujets fidèles, ils n'avaient pas d'égaux. Ils prenaient vite racine dans le pays, et regardaient comme leur patrie les pays où ils étaient nés[4]. Les souverains leur conféraient des privilèges. Jalousés par le reste de la population, ils se mêlaient peu des questions dynastiques, étant toujours pour le plus fort. La fidélité au souverain légitime était une des qualités dont ils se vantaient le plus. Il est vrai qu'ils n'étaient jamais avec les révolutionnaires ; mais naturellement, quand le souverain était tombé, ils ne couraient pas après lui, et ils assuraient son successeur du même attachement.

Déjà, en l'an 140, la sibylle d'Alexandrie représente Israël comme remplissant les terres et les mers[5]. La Syrie, Chypre, l'Asie-Mineure, les Îles de la Grèce, la Grèce elle-même, Cyrène, la Crète sont déjà envahies[6]. La Crimée fut de très bonne heure abordée[7]. Au temps de Sylla, selon le meilleur connaisseur du monde d'alors, ils ont touché toute ville, et il ne serait pas facile de trouver un endroit de la terre qui n'ait pas reçu cette tribu et n'ait été dominé par elle[8]. Cela était vrai des pays grecs. Les pays trop barbares n'étaient jamais abordés par les Juifs ; ils y trouvaient peu de profit. Ils n'aimaient pas, d'ailleurs, à se trouver face à face avec les peuples ; ils voulaient un souverain à qui ils pussent offrir certains avantages, en retour des garanties qu'ils lui demandaient, et qu'ils pussent servir contre ses propres sujets.

La Syrie entière était à la lettre à moitié juive[9]. Antioche était un des points où l'isonomie fut toujours maintenue aux Juifs[10]. A Damas, ville plus sémitique qu'hellénique, la propagande dépassa toutes les bornes. Il y eut un moment où toutes les femmes de Damas étaient juives[11] ; les rois nabatéens n'opposaient, ce semble, aucun obstacle à de pareils progrès, et la pauvreté du culte araméen y servait puissamment.

La Cyrénaïque fut pénétrée par le judaïsme dès le temps de Ptolémée Lagus[12]. Les Juifs y formaient une classe à part, à peu près un quart[13], jouissant de l'isonomie. La colonie juive de Cyrène, originaire d'Égypte, était une population turbulente ; elle contribua aux sanglantes révolutions de Cyrène et attira sur la ville les plus grands malheurs[14]. Lucullus fut terrible pour eux. La juiverie de Cyrène produisit beaucoup d'homme connus ; Bérénice, près de Cyrène, avait un des politeumata juifs les mieux organisés[15].

En général, ces Juifs des villes grecques étaient peu aimés. Sans cesse ils avaient besoin de faire renouveler leurs privilèges ; les Romains sont toujours occupés à les protéger contre les villes. Les patriotes, zélés pour leurs gloires municipales, les détestaient. L'opinion universelle était qu'ils professaient une haine féroce contre celui qui n'était pas de leur secte[16]. Un cercle d'animosités effroyables s'alluma ainsi contre Israël. L'antisémitisme n'est pas une invention de nos jours ; jamais il ne fut plus brûlant que dans le siècle qui précéda notre ère, et certes, quand un fait se produit ainsi partout et à toutes les époques, c'est qu'il a des causes profondes, qui valent la peine d'être étudiées. A Alexandrie, à Antioche, en Asie-Mineure, à Cyrène, à Damas, la guerre entre Juifs et non Juifs est en permanence[17]. Dans les villes non juives de Palestine, à Césarée, Ascalon, Acre, Tyr, Hippos, Gadare, la haine, en souvenir des atrocités asmonéennes, aboutissait à des rixes sanglantes, perpétuellement renouvelées[18]. L'ère des haines religieuses commence, et il ne faut pas nier que ces haines n'aient été le plus souvent provoquées par les Juifs. C'était le fruit fatal de l'introduction de l'absolu en religion. Les chrétiens porteront le mal à son comble, tour à tour persécutés, persécuteurs.

Rome reçut le judaïsme un peu plus tard que les pays grecs[19]. Les fortes institutions de Rome ne comportaient pas ces propagandes exotiques et les repoussaient avec énergie[20]. Le premier essai de prosélytisme juif à Rome paraît se rattacher aux ambassades des Asmonéens. En l'an 139 eut lieu une propagande que le préteur Hispalus réprima durement. Les Romains comprirent mal, du reste. De Iahvé-Sabaoth ils firent Jupiter Sabazius. Ils crurent qu'il s'agissait du dieu phrygien[21]. Ce fut peu de chose. Pompée amena des troupes de captifs juifs, pour faire de l'effet, à son triomphe. La plupart de ces captifs furent bientôt affranchis ; car leur fidélité à leurs usages religieux en faisait des esclaves incommodes[22]. Ces affranchis formèrent un groupe sur la rive droite du Tibre, vers le port[23]. Ce fut bientôt une grande communauté juive, légalement constituée, ayant, comme disaient les Juifs, droit de cité[24], en tout cas, facteur considérable de la vie romaine. Cicéron, en 59, plaidant pour Flaccus, qualifie d'acte de courage d'avoir osé résister à cette puissante coterie, et les Juifs présents à l'audience créèrent un danger d'agitation avec lequel l'orateur dut compter[25]. A la mort de César, leur protecteur, la manifestation juive fut éclatante[26], et, depuis, la colonie de la Porta Portese ne fit plus qu'augmenter[27]. Le christianisme donnera à cette juiverie une importance sans égale. Pouzzoles, le port de Rome[28], était le point d'abordage de tout ce monde juif et oriental, qui de là gagnait la grande ville par la Voie appienne.

L'esprit d'association, si fort chez les Juifs, favorisé par les conditions du monde d'alors[29], donnait à ces corporations une fécondité extraordinaire. La vie de ces petits collèges était quelque chose de prodigieux. La synagogue était le centre d'une activité dont on ne peut guère prendre une idée de nos jours que par les églises des Grecs de Turquie, à Smyrne par exemple. L'organisation intérieure était à la fois républicaine et gérontocratique. Chaque synagogue avait un chef, sans doute élu[30], entouré de respect, père de tous. La vie de la cité antique étant très exclusive et impliquant la révérence des dieux locaux, l'étranger n'y était admis que comme membre d'un collège toléré, en certains quartiers distincts. A part leur exclusion de la cité, ces collèges jouissaient de grandes libertés intérieures ; c'étaient des petites républiques dans des républiques plus étendues. Ainsi les Égyptiens[31], les Phéniciens, les Tyriens surtout[32] avaient à Athènes des quartiers à part et y formaient des communautés très analogues aux alberghi et aux juridictions féodales du moyen âge, aux communautés de rajas en Turquie. Le centre de ces groupements était toujours le culte d'un dieu national qu'on essayait de présenter aux gens du pays sous son aspect le plus favorable[33]. A Pouzzoles[34], on trouve ainsi des traces d'alberghi de tous les cultes orientaux. La culte du dieu étranger était permis dans le quartier de la nation, non en dehors de ce quartier.

César et Auguste se montrèrent, en général, opposés aux collegia[35] ; mais ils firent une exception pour les Juifs. Les synagogues gardèrent la disposition de leurs fonds et une certaine juridiction sur leurs membres. Si les pièces données par Josèphe[36] étaient authentiques, ce serait bien plus beau encore ; mais on ne peut tenir aucun compte d'instruments conservés par un patriotisme aussi faussaire. Si ces décrets, ces rescrits sont sincères, ils eurent en tout cas bien peu d'effet ; personne ne les observe, Auguste renouvelle les édits de César, comme s'ils n'avaient pas existé, et les choses en sont, après ces décrets, juste au même point où elles étaient auparavant.

Pour être fabriquées en vue d'une avocasserie mesquine, les pièces conservées par Josèphe n'en reposent pas moins sur un fait vrai, la licéité du culte juif dans les quartiers juifs[37], et la libre administration de leur caisse[38], à Rome, hors du pomœrium[39]. César et Auguste, s'ils se préoccupèrent réellement des Juifs, tranchèrent sûrement la question dans le sens d'une tolérance dédaigneuse. Ce qu'il y a de probable, c'est qu'Auguste au moins ne leur fit jamais l'honneur de penser à eux. Son entourage, surtout Horace, avait toute la juiverie en parfait mépris. Cicéron, quoique les ayant trouvés une ou deux fois sur son chemin, les prend médiocrement au sérieux.

Les envois d'argent que les communautés juives de province faisaient à Jérusalem étaient la source des principales difficultés avec l'autorité romaine. Il était reçu que le Juif de la diaspora devait expédier à Jérusalem toutes les sommes provenant des vœux, des dons et rétributions que payait l'Hiérosolymite[40], surtout le demi-sicle ou didrachme destiné directement à l'entretien matériel du culte. On recueillait ces sommes dans une caisse, et, de temps en temps, des députés ou envoyés (apostoli), choisis dans les familles les plus distinguées portaient la caisse à Jérusalem. C'était là une distinction suprême, le plus recherché de tous les honneurs[41]. Saint Paul la fait miroiter aux yeux de ses catéchumènes comme une faveur sans égale, et se sert de cette perspective pour grossir sa collecte. L'autorité romaine d'abord mit obstacle à ce mouvement d'argent, qui pouvait être préjudiciable aux provinces. Pomponius Flaccus, gouverneur d'Asie, fit confisquer les caisses juives à Apamée, Laodicée, Adramytte, Pergame. Cicéron plaida pour lui, malgré les murmures d'un auditoire en grande partie composé de Juifs[42]. A partir de César, nulle entrave ne gêna plus la libre circulation de l'argent juif, et les envois furent régularisés[43]. Les villes les plus lointaines de l'Orient, Nisibe, Néhardéa, eurent leur caisse, que l'on portait à Jérusalem dans les occasions solennelles[44]. Cet argent provincial, affluant à Jérusalem, était, comme dit Philon, la base de la piété de la nation[45]. Une aristocratie de pauvres, n'ayant d'autre occupation que la méditation de la Loi, se constituait autour du temple, envisageant comme un de ses droits d'être nourrie par les autres communautés du monde.

Jérusalem devenait ainsi pour le judaïsme ce qu'était Rome, au moyen âge, pour la catholicité. Ces voyages étaient pleins de douceur et de joie. La joie est le fruit naturel de tous les pèlerinages. Les hommes réunis, voyageant ensemble dans un but religieux, se trouvent toujours portés à la gaieté[46]. Des milliers de croyants, venant du bout du monde pour les fêtes[47], produisaient à Jérusalem des entassements énormes[48], mais remportaient avec eux, dans leur pays, un redoublement d'esprit juif, une ardeur de prosélytisme qui ne connaissait plus de dangers.

Toujours portés à surfaire leurs privilèges, les Juifs traduisaient l'honnête liberté dont ils jouirent au commencement de l'empire romain en faveurs, qui eussent été exorbitantes si elles eussent été réelles ; leur situation ressemblait beaucoup à celle qui leur fut faite par les empereurs chrétiens et au statut personnel des Arabes en Algérie. Les mensonges de Josèphe brochèrent sur le tout. Ainsi la juridiction des synagogues sur leurs propres se borna toujours aux questions légales du for ecclésiastique, si l'on peut parler ainsi. En ce qui concerne les lois de police et d'ordre public, le Juif n'avait aucune exemption. Quant à leurs procès entre eux, les membres de ces petits collèges avaient coutume de les faire juger par la synagogue à l'amiable[49].

Alexandrie, jusqu'au me siècle, eut une organisation à part dans l'empire romain. Les Juifs y furent assurément plus libres qu'ailleurs[50]. Ils avaient un ethnarque ou génarque[51], et par conséquent une certaine autonomie. Auguste, qu'ils appelaient leur Soter, leur Évergète, donna même, à ce qu'il paraît, une certaine indépendance à leur sénat ou gérousie[52] ; ce qui fit de la communauté juive d'Alexandrie une véritable république. Il en fut de même à Cyrène. A Sardes, les droits du quartier juif paraissent également avoir été très étendus[53].

Les Juifs d'Alexandrie eurent aussi une fortune et une situation sociale supérieures à celles des autres Juifs. A diverses reprises, des Juifs occupèrent le poste élevé d'arabarque ou alabarque. La garde du fleuve et la perception des douanes leur avaient été confiées par les Ptolémées ; les Romains leur continuèrent ces fonctions, qui les rendirent prodigieusement riches[54]. Tibère l'arabarque eut pour fils ce Tibère Alexandre qui eut un rôle si important dans l'histoire romaine du Ier siècle[55] et pour frère l'illustre penseur juif Philon.

La tolérance romaine alla si loin que le Juif fut tenu pour exempt du service militaire, même quand il était citoyen romain. La stricte observation du sabbat aurait suffi pour leur rendre le service militaire impossible, au moins dans une armée non juive[56]. Lentulus et Dolabella voulurent bien les affranchir d'une obligation inconciliable avec leur loi[57]. Le gouvernement romain reconnut le sabbat dans une certaine mesure. Il fut admis qu'on ne pourrait citer un Juif en justice le jour du sabbat[58], que les distributions mensuelles en argent ou en blé qui se faisaient à Rome, quand elles tomberaient le samedi, seraient remises au lendemain[59], que les distributions d'huile en nature seraient transformées en argent[60]. Le culte de l'empereur ne rencontrait encore aucune opposition ; car Auguste mit une grande modération dans les titres qu'il accepta[61]. Les embarras ne commencèrent que sous Caligula.

Les difficultés avec les villes venaient toujours de ce que celles-ci voulaient qu'on obligeât les Juifs à participer à leurs cultes municipaux, surtout quand ces cultes avaient de la célébrité et donnaient de l'éclat à la ville. Les Juifs, au contraire, en passant devant les temples païens, ne pouvaient retenir un signe de mépris[62]. Ainsi, l'an 14 avant Jésus-Christ, les Éphésiens demandèrent que le droit de cité fût enlevé aux Juifs s'ils ne consentaient à participer au culte de Diane. La cause fut plaidée devant Marcus Agrippa, alors gouverneur d'Orient, par Nicolas de Damas, le Crémieux de ce temps-là, au nom d'Hérode, et les Juifs l'emportèrent[63].

Il est certain que dans les cas où le droit de cité entraînait l'absolue isonomie, l'égalité des droits avec les citoyens, ceux-ci étaient un peu fondés à se plaindre qu'à côté du droit commun les Juifs conservassent leur statut personnel. C'est là l'éternel malentendu de la question juive. Le Juif d'ordinaire veut à la fois le droit commun et le droit séparé. La France seule, par l'organisation de 1806 a résolu la question, n'admettant le Juif au droit commun que quand il renonce entièrement à son statut personnel.

Dans toute l'antiquité, le citoyen devait être de la religion de sa ville. Cette religion, à vrai dire, entraînait de faibles obligations en ce qui concerne la foi. Les Juifs, par l'exception qu'ils réclamaient et qu'ils obtinrent presque partout, déchirèrent cette vieille loi du monde. Il est vrai que, du même coup, la question de croyance, que le vieux monde ignorait, se dressa d'une manière menaçante et ouvrit une période d'inquisition féroce. Pauvre humanité ! Rome contribua beaucoup à cette révolution. Pouvoir universel, Rome protégea le particularisme juif contre l'intolérance des villes. Elle ne vit pas qu'elle favorisait une intolérance pire que le petit fanatisme des temples locaux. Le problème de la liberté de conscience, que le grand esprit de César avait entrevu, se posait impérativement. Nicolas de Damas le formula très bien devant Marcus Agrippa. L'œuvre neuve, originale, le grand bienfait de Rome est, selon lui, d'établir cette loi, qu'il soit permis à chacun de vivre selon sa religion partout, à sa guise[64]. Presque toujours l'avocat juif se trouve défendre la liberté de conscience, et voilà pourquoi nous sommes presque toujours avec lui.

La mauvaise foi des Juifs quand il s'agit de trouver des arguments pour leur cause, les malentendus que leurs apologistes affectionnent, rendent fort difficile de dire au juste dans quelle mesure le droit de citoyen romain leur fut accordé. A Rome, la chose n'est pas douteuse. Les esclaves amenés par Pompée, devenus des libertini, rapportèrent ce titre avec eux en Judée[65]. L'Asie-Mineure était le pays où il y avait le plus de citoyens romains[66] ; un assez grand nombre de Juifs pouvaient avoir cette qualité[67] ; saint Paul en est un illustre exemple[68].

Les Samaritains pratiquaient sur une moindre échelle le principe de la diaspora. Ils étaient nombreux en Égypte[69], et la haine héréditaire entre eux et les Juifs s'y continuait[70]. A Rome, leur synagogue parait aussi s'être longtemps continuée. A l'époque de l'empire chrétien, leur importance semble presque égale à celle des Juifs[71].

 

 

 



[1] Philon, In Flacc., § 7.

[2] Josèphe, Ant., XII, III, 1, 2.

[3] Philon, In Flacc., § 7.

[4] Philon, In Flacc., § 7.

[5] Carm. sib., III, 271.

[6] I Macchabées, XV, 16-24, qui a sa force probante, indépendamment de l'authenticité. Cf. lettre d'Agrippa dans Philon, Leg. ad Caium, § 33, 36 (Mangey, II, 582, 587) ; Josèphe, Ant., XIV, X ; XVI, VI. Actes des Ap., II, 9-11 ; XVIII, 2 et les voyages de saint Paul.

[7] Inscriptions grecques du Ier siècle dans Corp. inscr. gr., 2114 bb ; Bull. Acad. Saint-Pétersb., t. I (1860), col. 244 et suiv. Les inscriptions hébraïques sont plus modernes.

[8] Strabon, dans Josèphe, Ant., XIV, VII, 2. Josèphe, B. J., VII, III, 3. Comparez Philon, In Flacc., § 7 (Mangey, II, 524).

[9] Josèphe, B. J., VII, III, 3.

[10] Josèphe, Ant., XII, III, 1, 2 ; B. J., VII, III, 3 ; V, 2.

[11] Josèphe, B. J., II, XX, 2.

[12] Josèphe, Contre Apion, II, 4.

[13] Strabon, dans Josèphe, Ant., XIV, VII, 2. Cf. I Macchabées, XV, 23 ; Josèphe, Ant., XVI, VI, 1, 5 ; Corp. inscr. gr., n° 5361.

[14] Strabon, ibid. ; Josèphe, B. J., VII, XI ; Vita, 76.

[15] Inscr. de l'an 13 avant J.-C. Corp. inscr. gr., n° 5361.

[16] Josèphe, Contre Apion, II, 10 ; Juvénal, Sat. XIV, 96-106.

[17] Josèphe, Ant., XII, III, 1, 2 ; XIV, X ; XVI, II, 3-5 ; VI ; B. J., II, XVIII, 7 ; XX, 2 ; VII, III, 3 ; V, 2. Philon, Adv. Flacc.

[18] Josèphe, Ant., XX, VIII, 7, 9 ; B. J., II, XIII, 7 ; XIV, 4-5 ; XVIII, 1 ; XX, 2 ; Contre Apion, I, 13 ; Philon, Leg., § 30.

[19] Origines du christ., II, 287 et suiv. ; III, 101 et suiv.

[20] Il en fut probablement de même à Carthage, où, avant la destruction de l'an 140, il ne semble pas y avoir eu de Juifs.

[21] Valère Maxime, I, III, 2 : Idem (prætor Hispalus) Judæos qui Sabazi Joris cultu Romanos inficere mores conati erant, repetere domos suas cœgit. Sur la restitution de ce texte, voir Schürer, II, p. 505, note 53.

[22] Philon, Leg. ad Caium, § 23 ; Mangey, II, 568.

[23] Origines du christ., III, 101 et suiv.

[24] Philon, Leg. ad Caium, § 23.

[25] Pro Flacco, 28.

[26] Suétone, César, 84.

[27] Josèphe, Ant., XVII, XI, 1 ; XVIII, III, 5 ; B. J., II, VI, 1. Pour la suite et les mesures de répression, voir Origines du christ.

[28] Origines du christ., III, 113-114 ; IV, 10.

[29] Sur les éranes grecs et les collegia romains, voir Origines du christ., t. II, p. 346 et suiv.

[30] Les titres de pater et mater synagogæ ne se trouvent que dans des inscriptions non datées. Voir Codex theodosianus (édit. Hænel), XVI, VIII, 4.

[31] Corpus inscr. attic., II, 1, n° 168.

[32] Corpus inscr. gr., n° 2271, 5853 ; Corpus inscr. semit., Athènes.

[33] Hercule de Tyr. On en était fier.

[34] Corpus inscr. lat., t. X, n. 1634. Corpus inscr. sem., 2e partie, n° 157 et 158. Inscriptions nabatéennes ; Geremelienses. Cf. Journ. asiat., oct. 1873, p. 384.

[35] Suétone, César, 42 ; Auguste, 31

[36] Josèphe, Ant., XIV, X, et XVI, VI, pièces censées émanées principalement de César et d'Auguste, toutes suspectes.

[37] Religio certe licita, Tertullien, Apologétique, 21.

[38] Josèphe, Ant., XIV, X, 8, 21.

[39] Philon, Leg. ad Caium, § 23 ; cf. § 40. Voir Marquardt, Rœm. Staatsverw., III, 35.

[40] Josèphe, Ant., XIV, VII, 2 ; Philon, De monarchia, II, § 3.

[41] Philon, De monarchia, II, § 3. Comparez Saint Paul, p. 408 et s.

[42] Cicéron, Pro Flacco, 28.

[43] Philon, Leg., § 23 et 40 ; Josèphe, Ant., XVI, VI, 2-7 ; X, 8.

[44] Josèphe, Ant., XVIII, IX, 1 ; Philon, Leg., § 31 ; Talmud de Jérusalem, Schekalim, III, 4.

[45] Philon, De monarchia, l. c.

[46] Se rappeler Notre-Dame de Chartres, Notre-Dame de Liesse.

[47] Philon, De monarchia, II, § 1. Cf. Josèphe, Ant., XVII, II, 2 ; XVIII, IX, 1 ; Mischna, Ioma, VI, 4 ; Taanith, I, 3.

[48] Josèphe, B. J., VI, IX, 3.

[49] I Cor., VI, 1. Cf. Act., IX, 2 ; XVIII, 12-16, 17 ; XXII, 19 ; XXVI, 11 ; II Cor., XI, 24 ; le fait de la mort de Jésus.

[50] Strabon dans Josèphe, Ant., XIV, VII, 2.

[51] Deux Juifs d'Alexandrie, Alexandre, frère de Philon, et Démétrius (Josèphe, XVIII, VI, 3 ; VIII, 1 ; XIX, V, 1 ; XX, V, 2 ; VII, 3) sont qualifiés άλαβάρχης, mot qu'on a pris pour une sorte de synonyme d'ethnarque, comme désignant le président des Juifs d'Alexandrie. Il n'en est rien. La vraie forme est άραβάρχης. L'arabarque était un fonctionnaire très important. Voir les textes réunis par M. Schürer, II, p. 540-541.

[52] Philon, In Flacc., § 10, 14 ; Josèphe, B. J., VII, X, 1.

[53] Josèphe, Ant., XIV , X, 17, 24.

[54] Josèphe, Contre Apion, II, 5.

[55] Voir Origines du christ., index.

[56] Mischna, Schabbath, VI, 2, 4.

[57] Josèphe, Ant., XIV , X, 6, 11-12, 13, 14, 16, 18, 19. Cf. César, Bell. civ., III, 4.

[58] Josèphe, Ant., XVI, VI, 2, 4.

[59] Philon, Leg., § 23.

[60] Josèphe, Ant., XII, III, 1.

[61] Philon, Leg. ad Caium, éd. Mangey, p. 567.

[62] Gens contumelia numinum insignis. Pline, H. N., XIII, IV, 46. Contemnere deos. Tacite, Hist., V, 5.

[63] Josèphe, Ant., XII, III, 2 ; XVI, II, 3-5. Comparez Actes, ch. IX.

[64] Josèphe, Ant., XVI, II, 4.

[65] Philon, Leg., § 23 ; Actes, VI, 9. Cf. la Real-Encycl. de Pauly, art. Libertini.

[66] Valère Maxime, IX, 2, De crudel. extern., 3 ; César, Bell. civ., III, 4.

[67] Josèphe, XIV, X, 13, 16, 17, 18, 19 ; Pline, Épist., X, 96 (97).

[68] Voir Origines du christ., II, 164 ; III, 526-527, note.

[69] Josèphe, Ant., XII, I ; Lettre d'Adrien, dans Vopiscus, Vita Sat., 8 ; Photius, Cod. 230 sub. fin.

[70] Josèphe, Ant., XII, I ; XIII, III, 4.

[71] Josèphe, Ant., XVIII, VI, 4 ; Cassiodore, Variarum, III, 45 ; Cod. theod. (édit. Hiæel), XIII, V, 18 ; XVI, VIII, 16 et 28 ; Novellæ Just., 129 et 144.