HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME TROISIÈME

LIVRE V. — LE ROYAUME DE JUDA SEUL

CHAPITRE XXIV. — DESTRUCTION DE JÉRUSALEM. DEUXIÈME TRANSPORTATION.

 

 

La situation du malheureux Sédécias entre les exigences de ceux qui eussent voulu lui interdire tout espoir de revanche, et les aspirations légitimes des patriotes qui l'entouraient, n'était plus tenable[1]. Jérémie, écumant de rage, renouvelait chaque jour son effroyable tocsin. L'Égypte, d'un autre côté, se relevait. L'alliance égyptienne miroitait sans cesse devant les Judaïtes ; il était écrit qu'ils s'y laisseraient entraîner[2]. C'était une faute, mais une de ces fautes qu'il était impossible de ne pas commettre. L'avènement du roi d'Égypte Ouafra (Apriès), inaugurant un règne énergique et brillant[3], paraît avoir été l'occasion déterminante d'un événement qu'on pouvait considérer comme virtuellement accompli depuis longtemps. Tyr et les autres villes de Phénicie entrèrent dans la ligue. Au contraire, les Ammonites, les Moabites, les Édomites, les Philistins restèrent, à ce qu'il semble, fidèles au roi de Babel.

Ézéchiel fut très vite informé, sur les bords de l'Euphrate, de ce qui allait se passer. Une de ses plus belles visions[4] est celle où il voit dans le lointain le glaive chaldéen hésitant sur la route qu'il prendra. L'épée de Iahvé va sortir du fourreau, pour frapper Israël, justes et méchants. Mais une fois sortie, elle ne rentrera plus dans sa gaine ; le monde entier sera frappé. L'épée, l'épée est aiguisée, elle est fourbie. C'est pour la boucherie et le massacre qu'elle est aiguisée ; c'est pour briller comme l'éclair qu'elle est fourbie. La voilà remise à l'égorgeur. Crie et lamente-toi, fils de l'homme ; car c'est sur mon peuple qu'elle vient !... Le voyant, en effet, reçoit l'ordre de tracer une sorte de carte géographique, où l'on voit deux routes partant de Babylone ; des poteaux indicateurs, sur lesquels est gravée une main, avertissent que l'une aboutit à Jérusalem, l'autre à Rabbath-Ammon. A la bifurcation des deux routes, se tient le roi de Babylone consultant le sort, pour savoir laquelle des deux routes il prendra. Jérusalem tombe au sort la première ; puis viendra le tour de Rabbath-Ammon.

En 590, la révolte éclata. Nabuchodonosor était, à ce moment, au comble de sa puissance. Il put concentrer toute ses forces sur la Syrie. C'était un monde entier, des peuples, des nations que le conquérant traînait avec lui[5]. Le quartier général fut établi à Ribla, vers les sources de l'Oronte. De là on dut gagner la côte, probablement par le Wadi Brissa actuel[6]. Sidon paraît s'être rendue sans effort. Forte de sa position insulaire, Tyr résista. L'effort des assiégeants dut se borner à interdire aux Tyriens la communication avec la terre ferme et en particulier l'approvisionnement d'eau. Pendant que le blocus se continuait, Nabuchodonosor attaqua la Judée. Sédécias se renferma dans Jérusalem, abandonnant les villes de province aux ennemis. Le siège de Jérusalem commença. La ville, entourée de trois côtés de fortes pentes, n'était attaquable que par le Nord. Le camp des assiégeants se posa sur le plateau où sont maintenant les établissements russes. Puis les tours d'attaque et les lignes de circonvallation furent tracées selon les procédés lents mais immanquables de la poliorcétique assyrienne. Le siège de Samarie avait duré trois ans. Celui de Jérusalem dura deux ans. L'exaltation religieuse, durant ce temps, fut extrême. On vit se produire, au vie siècle, sous la pression de Nabuchodonosor les phénomènes qui devaient se produire, six cent soixante ans plus tard, sous l'attaque de Titus.

C'est une règle générale, en effet, que, dans les capitales assiégées, surtout si ces capitales ont un caractère religieux et humanitaire, comme Jérusalem et Paris, les factions s'exaspèrent et arrivent presque fatalement aux excès. Sédécias et ses officiers voulaient la guerre à outrance. Jérémie, assuré de la mauvaise issue du siège, voulait qu'on se rendit sur-le-champ aux Chaldéens. Selon la très juste expression des officiers[7], il débilitait les mains des gens de guerre restés dans la ville. En réalité, le vieux prophète voyait juste. Mais il y a des cas où la sagesse est de laisser faire les fous. Puis, la violence de son langage dépassait toute borne. Le véritable analogue des prophètes, en notre temps, on ne peut trop le répéter, ce sont les journalistes du style le plus effréné. Jérémie ressemblait beaucoup à des personnages que nous avons connus ; c'était un Félix Pyat, doublé d'un jésuite implacable. Même sa prière, il en était avare. A l'approche de Nabuchodonosor, Sédécias envoya Ioukal, fils de Sélémiah et le prêtre Sefaniah fils de Maaseïah pour lui dire : Adresse-toi pour nous à Iahvé ; peut-être Iahvé fera-t-il quelque miracle, comme il en a tant fait autrefois, afin que l'ennemi se retire[8]. La réponse de Jérémie fut désespérante : l'arrêt de Iahvé est irrévocable ; tous seront tués sans merci. Une autre fois[9], le voyant sinistre engage ceux qui désirent sauver leur vie à se rendre aux Chaldéens ; les autres n'auront de choix qu'entre l'épée, la famine et la peste. Dans les entrevues qu'il avait avec Sédécias[10], il lui offrait la perspective de la vie sauve et même de faveurs ou de funérailles honorables, s'il voulait faire sa soumission. On voit déjà poindre une sorte d'esprit monacal, étranger à toute idée d'honneur militaire et tenant la lutte contre la fatalité pour de l'orgueil. La bravoure n'avait pas beaucoup de sens dans une manière de voir où la mort était le mal suprême, l'abandon de Iahvé. On sent surtout que les prophètes amis de Nabuchodonosor étaient bien aises de voir disparaître la Jérusalem indocile, qui bientôt ferait place à une Jérusalem pieuse, tout entière en leurs mains.

Ézéchiel affectait plus de réserve ; mais, au fond ses prévisions n'étaient pas moins sombres. Une de ses surates est censée avoir été écrite le jour même de l'investissement de Jérusalem[11]. Ce ne sont guère que des reproches et des menaces. Deux paraboles lui furent offertes. Il voit d'abord une marmite où la chair et les os vont cuire ensemble (c'est la ville assiégée), sans que pour cela la marmite perde sa rouille, contractée par dés taches de sang, si bien qu'il faudra la consumer au feu. Puis, sa femme, les délices de ses yeux, meurt, et il lui est défendu de porter le deuil. En présence de tant de crimes[12] le deuil serait déplacé. Bientôt un échappé de Jérusalem viendra pour annoncer que tout est fini. Le prophète alors pourra recommencer à parler. Jusque-là il sera muet.

Une chose, d'ailleurs, pouvait consoler Ézéchiel des dangers que courait Jérusalem, c'était la certitude qu'il croyait avoir de la destruction des villes de la Phénicie[13]. Cette civilisation industrielle, riche, marchande, lui parait le comble de l'abomination. Quand Sidon sera ravagée par la peste, que ses rues seront inondées de sang, jonchées de morts, alors on saura ce qu'il en coûte d'avoir souri de la présomption d'Israël. Alors il n'y aura plus, pour la vanité nationale d'Israël, d'épine qui pique ni de ronce qui blesse, de la part de ses voisins qui le méprisent. Avoir méprisé Israël, c'est avoir méprisé Iahvé ; cela ne peut s'expier que dans le sang[14].

Tyr est également, aux yeux d'Ézéchiel, une ennemie personnelle de Iahvé. Tous les peuples sont appelés à se liguer contre elle. Nabuchodonosor l'écrasera. Elle sera totalement détruite ; les pêcheurs y sécheront leurs filets. Le ricanement, l'ironie, la rage concentrée, aussi bien que la beauté des images et l'originalité du tour, font de ces morceaux de vrais chefs-d'œuvre littéraires. On ne peut cependant s'empêcher d'être choqué en voyant de si grossières injures prodiguées au profit d'une colère impuissante. Il y a, en outre, quelque chose de ridicule dans l'attitude d'un frénétique, sautant de joie sur des désastres qui ne se sont pas réalisés. Nabuchodonosor, en effet, ne put prendre la ville insulaire[15] ; il dut se contenter de ravager la ville continentale (Palétyr).

La fureur d'Ézéchiel contre l'Égypte n'est ni moins éloquente ni moins puérile[16]. S'appropriant une image proverbiale[17], à laquelle le papyrus avait donné origine par sa fragilité, il annonça que l'Égypte serait cette fois-ci encore un roseau qui perce la main de celui qui s'y appuie. La prospérité de l'Égypte faisait aux iahvéistes fanatiques l'effet de l'orgueil, et leur inspirait un vif déplaisir.

A nous deux maintenant, Pharaon, roi d'Égypte, grand crocodile couché au milieu de tes fleuves[18], qui dis : mon fleuve est à moi ; c'est moi qui l'ai fait[19]. Eh bien, je passerai un crochet à tes mâchoires, et je blottirai entre tes écailles les poissons de tes fleuves[20], et je te tirerai du milieu de tes fleuves, et tous les poissons de tes fleuves te suivront. Et je te jetterai dans le désert, toi et tous les poissons de tes fleuves. Tu tomberas sur la surface du sol ; tu ne seras ni ramassé ni recueilli. Aux bêtes de la terre et aux oiseaux du ciel, je t'ai donné en nourriture. Et tous les habitants de l'Égypte sauront que c'est moi Iahvé... Et l'Égypte sera un désert de Migdol à Syène et aux confins de l'Éthiopie.

L'Égypte se rétablira au bout de quarante ans ; mais elle sera désormais la plus faible des nations, pour qu'elle n'inspire plus de confiance à Israël et ne l'induise plus à la pire des fautes, à espérer en autre chose que Iahvé.

Le siège de Jérusalem avançait d'une manière en quelque sorte fatale. La famine devenait pressante. Les villes de Juda tombaient les unes après les autres ; Laids et Azéka résistaient seules ; tout le pays de Benjamin était clans la plus complète désolation[21]. Le gouvernement de Jérusalem montra de l'énergie et de l'activité. Soit pour se procurer des hommes capables de porter les armes, soit pour plaire aux piétistes en observant une loi du Deutéronome qui n'avait jamais été mise en pratique, on proclama l'émancipation de tous les esclaves hébreux[22]. Ce fut l'objet d'un pacte solennel conclu dans le temple, et auquel le roi prit part. Un taureau fut coupé en deux et, selon l'usage, les gens qui s'engageaient passèrent entre les deux moitiés de la victime[23].

C'était là sans doute une concession faite à Jérémie et aux partis ans de la Thora. Un moment, en effet, on put croire que cet acte d'humanité avait porté bonheur à Juda.

Le secours de l'Égypte ne s'était pas jusque-là fait sentir ; Ouafra laissait écraser séparément ses alliés, et on commençait à désespérer, quand on apprit qu'une armée égyptienne se montrait sur la frontière[24]. Nabuchodonosor leva précipitamment le siège de Tyr et celui de Jérusalem pour se porter vers le Sud. L'opinion générale des prophètes était que les Égyptiens seraient défaits et que l'Égypte serait envahie. Ézéchiel poussa des cris de joie. Le grand jour de Iahvé, le jugement des peuples païens, allait commencer[25]. L'Égypte, pour les prophètes, représentait essentiellement le monde idolâtre. Tous plus ou moins dévoués à Nabuchodonosor, eu qui ils voyaient l'agent de Dieu, ils avaient pour l'Égypte une haine sans borne. L'anéantissement de l'Égypte leur semblait le commencement du salut d'Israël[26]. Ézéchiel justifiait, d'ailleurs, par une raison de haute théologie, la dévolution de l'Égypte à Nabuchodonosor. Iahvé doit à son exécuteur des hautes œuvres une récompense pour les peines inutiles qu'il s'est données contre Tyr[27]. La paye du fléau de Dieu, c'est le pillage. Tyr n'ayant pas été pillée, Iahvé est en reste avec Nabuchodonosor, pour une besogne faite, qui n'a pas été acquittée.

Fils de l'homme, Nabuchodonosor, roi de Babylone, a fait faire à son armée un rude service contre Tyr. Toutes les têtes sont chauves, toutes les épaules pelées. Or ni lui ni son armée n'a eu de Tyr son salaire pour tout le service qu'il a fait contre elle. Donc, voilà que je donne à Nabuchodonosor, roi de Babylone, la terre d'Égypte pour qu'il en prenne les richesses et qu'il y fasse un riche butin, et qu'il pille tout ce qu'elle a, et qu'elle soit une paye pour son armée. Comme salaire pour la besogne qu'il a faite, je lui ai donné, ainsi qu'à ses soldats, la terre d'Égypte ; car ils ont travaillé pour moi [et n'ont pas été payés de leur peine].

L'esprit lyrique d'Ézéchiel ne se privait jamais d'un motif poétique à sa convenance. Il déclamait sur des conjectures, faisait des odes et des élégies sur ce qui n'était pas arrivé et ne devait pas arriver. Le broiement de l'Égypte et de l'Éthiopie par Nabuchodonosor lui fournit cinq déclamations[28], qui peuvent compter entre les morceaux littéraires les plus précieux de l'antiquité. Cela ressemble aux Châtiments de Victor Hugo, qui, du reste, avait pour le génie bizarre d'Ézéchiel une admiration qu'expliquent beaucoup d'analogies. L'Égypte consolée par Assur, la descente du roi d'Égypte au scheol et l'accueil que lui font les princes d'Assur, d'Élam, de Mések-Tubal, de Sidon, le tableau des grandes armées du temps couchées dans le scheol, chaque héros ayant son épée sous sa tête, sont des morceaux d'un merveilleux effet, que notre siècle a peut-être admirés, justement parce qu'ils ont nos défauts littéraires. Ce qui les gâte un peu aux yeux d'un homme de goût, c'est que rien de ce qui y est prédit ne s'est réalisé. On peut les comparer à des pièces de vers qu'un poète romantique aurait faites à Paris pendant le siège, sur l'extermination prochaine des Prussiens et la mort tragique du roi Guillaume.

On ignore ce qui se passa entre l'armée chaldéenne et l'armée égyptienne[29]. Ce qu'il y a de sûr, c'est que l'Égypte ne fut pas envahie, et que sa population ne fut pas transportée, comme l'avait niaisement rêvé Ézéchiel. Peut-être les deux puissants souverains firent-ils leur paix aux dépens de leurs alliés plus faibles. Nabuchodonosor remonta promptement vers le Nord. On n'avait rien fait à Jérusalem pour profiter de cet armistice. Le peu de profondeur que le sentiment moral avait dans les masses se montra d'une manière triste. Les anciens possesseurs des esclaves libérés, croyant l'armée chaldéenne en pleine déroute, reprirent ces malheureux et les remirent sous le joug. Jérémie, cette fois avec pleine raison, fut outré. Iahvé, par sa bouche, annonça qu'il allait ramener l'armée chaldéenne, pour détruire Jérusalem et les villes de Juda. Nabuchodonosor reprit, en effet, le siège sans trêve ni merci.

Jérémie n'avait jamais cru que la retraite des Chaldéens fût sérieuse[30]. Il était naturel qu'on le suspectât de désirer leur retour. Comme il avait ses propriétés à Anatoth et qu'il y faisait de fréquents voyages, on le voyait fréquemment aux alentours de la porte de Benjamin, très près du camp que les assiégeants avaient occupé et où ils allaient reprendre position. On le remarqua ainsi près de ladite porte un jour qui coïncida trop bien avec le retour des Chaldéens. On prétendit qu'il cherchait à passer au camp ennemi. Le chef du poste, Ieriiah fils de Sélémiah l'arrêta, et on le conduisit aux sarim ou ministres de la défense nationale, qui le firent battre de verges et enfermer dans la maison du sofer Jonathan, convertie en prison[31]. Il y était au secret, et on lui donnait à peine de quoi manger[32]. Le roi Sédécias, qui au fond croyait à lui, le fit venir en cachette et lui demanda s'il avait reçu quelque oracle de Iahvé. Jérémie le renvoya à ses prophètes, lesquels avaient annoncé que les Chaldéens ne reviendraient pas. Il se plaignit des traitements qu'il subissait dans la maison de Jonathan, déclarant qu'il mourrait si cela continuait. Le roi n'osait le faire mettre en liberté à cause de l'animosité des sarim contre lui ; il donna ordre de le transférer dans la prison du palais royal, grande cour ouverte, où, les prisonniers, les pieds engagés dans des ceps le long des murs, étaient en communication avec le public. Il lui fut assigné un pain par jour du bazar des boulangers, et on ne cessa de le lui servir que quand il n'y eut plus de pain dans la ville.

De sa prison[33], Jérémie ne cessait de répandre des prédictions sinistres et d'exciter le peuple à se rendre aux Chaldéens pour avoir la vie sauve. Les ministres exposèrent au roi le découragement que ces paroles répandaient parmi les gens de guerre qui restaient encore dans la ville. Les disciples de Jérémie, par lesquels nous savons ces histoires, prétendent que le roi n'avait plus en réalité le pouvoir, qu'il était pieds et poings liés aux mains du parti militaire. Sédécias aurait cédé malgré lui. Les ministres auraient alors saisi Jérémie et l'auraient fait descendre avec des cordes dans une citerne vide, ayant un fond de boue, où Jérémie avait le corps à demi plongé.

La chose fut rapportée au roi, qui à ce moment était à la porte de Benjamin, par un eunuque du palais, Ébed-mélek le Couschite. Le roi donna ordre de tirer le prophète de cet horrible endroit. Ébed-mélek, avec l'aide des serviteurs du palais, descendit au prophète des lambeaux de vieilles hardes, qu'il s'attacha sous les aisselles, et au moyen desquelles on le remonta sans le blesser. Il fut enfermé de nouveau dans la cour de la prison attenante au palais.

Son audace ne faisait que grandir. L'avenir immédiat lui apparaissait toujours sous les couleurs les plus sombres ; mais, au delà des mornes tristesses du présent, le pessimiste vieillard entrevoyait des temps meilleurs, où Israël n'aurait qu'un cœur et qu'une voie, où la religion parfaite existerait. La ville était à moitié détruite par les ouvrages d'attaque des Chaldéens, le palais royal, où se trouvait la prison, était ébranlé, qu'il annonçait encore la future prospérité de Juda et de Benjamin, maintenant si humiliés[34]. Selon une version, il aurait même annoncé l'éternité du sacerdoce lévitique et de la race de David, celle-ci devant à jamais fournir des chefs à Jacob[35] ; mais tout ce passage est suspect d'interpolation, ou du moins les disciples du prophète paraissent en avoir, après coup, forcé les couleurs. Ailleurs, Jérémie présente la race de David comme ayant clos ses destinées et comme repoussée à jamais.

Le roi voulut encore une fois voir l'homme de Dieu ; mais il ne put obtenir de lui d'autre réponse que celle-ci : Rendez-vous ; vous aurez la vie sauve ; sans cela, la mort et le feu — comme si l'honneur n'était pas aussi quelque chose ! — Sédécias craignait les transfuges qui avaient déjà passé aux Chaldéens et qui, à leur arrivée au camp ennemi, pourraient lui faire un mauvais parti. Jérémie le rassura, lui montra vivement le reproche que lui feraient un jour ses femmes, quand elles seraient prisonnières, de s'être ainsi livré aux conseils de son entourage[36]. Le malheureux Sédécias, convaincu par les paroles du prophète, n'avait, paraît-il, qu'un désir, c'était d'obéir à Iahvé et de se rendre ; mais, terrorisé par le parti de la guerre à outrance, il demanda à Jérémie le silence le plus absolu sur l'entretien qu'ils avaient eu. Les ministres vinrent trouver Jérémie, qui fut impénétrable et soutint qu'il était seulement allé trouver le roi, pour qu'on ne le reconduisît pas dans la maison de Jonathan, où sa mort était certaine. On l'enferma de nouveau dans la prison du palais où il resta jusqu'à l'entrée des Chaldéens.

Le dénouement, cependant, s'approchait d'heure en heure. Une brèche fut faite au mur du Nord. La ville ne pouvait plus se défendre. Une nuit, les gens de guerre, entraînant le roi avec eux, firent une sortie en masse par le chemin de la porte qui est entre les deux murs, en face du jardin royal, c'est-à-dire par la porte auprès de laquelle était la piscine du Silo. Ils percèrent le blocus des Chaldéens, et enfilèrent, par la vallée, le chemin du désert. Mais les Chaldéens les poursuivirent et les atteignirent dans la plaine de Jéricho. La troupe se dispersa. On saisit le roi, et on le conduisit au quartier assyrien à Ribla. Là on lui fit son procès comme à un vassal rebelle ; ses fils furent égorgés devant lui ; Nabuchodonosor, de sa main, lui creva les yeux[37] ; on l'enchaîna de deux chaînes d'airain. En cet état, il fut conduit à Babylone (588), où il resta jusqu'à sa mort dans une étroite prison[38].

Après la sortie de Sédécias, les Chaldéens entrèrent dans la ville. Ils attendirent les instructions de Ribla pour agir. Au bout de quatre semaines, Nabuzaradan, chef des gardes de Nabuchodonosor, arriva à Jérusalem, avec des ordres de destruction. Il fit brûler le temple, le palais royal, toutes les maisons fortes et bien bâties. L'armée chaldéenne fut employée à démolir la muraille. Tous les métaux précieux du temple furent enlevés. L'airain était en quantité énorme ; les colonnes et ce qui restait des grands ouvrages de Salomon furent taillés en morceaux, mis dans des sacs et emportés à Babylone. Il ne resta donc que les gros murs qui servaient de support à l'ornementation, et ceux-ci même furent disjoints. C'est la raison de la pauvreté archéologique de Jérusalem. Tous les ouvrages délicats, les ornements de sculpture en bois et en métal, ont péri. Les grosses pierres dévalèrent au fond de la vallée de Cédron, alors bien plus escarpée qu'aujourd'hui[39].

Nabuzaradan prononça la déportation de tout ce qu'il trouva dans la ville, même de ceux qui avaient passé aux Chaldéens. Cela faisait huit cent trente-deux personnes[40]. Il ne laissa qu'une partie des gens de la basse classe comme vignerons et cultivateurs[41]. Les Assyriens avaient l'odieuse coutume, comme les Peaux-Rouges, de choisir les notables parmi les vaincus pour les scalper devant le roi[42]. Nabuzaradan choisit pour cela, dans le personnel du temple, Seraïah, le prêtre en chef, Sefaniah, prêtre en second, et les trois gardiens du seuil ; parmi les fonctionnaires civils, un saris, qui était administrateur des hommes de guerre, cinq[43] de ceux qui avaient des charges à la cour et voyaient la face du roi, le sofer du sar-saba qui enrôlait le peuple, et soixante particuliers qui se trouvèrent dans la ville. On les prit, et on les conduisit à Ribla où était le roi. Là on les tortura devant le roi.

 

 

 



[1] Récit des événements : II Rois, XXIV, 18 et suiv., reproduit dans Jérémie, ch. LII et ch. XXXIX. Comp. II Chron., XXXVI, 11 et suiv.

[2] Ézéchiel, XVII, 17 ; XXIX, 3-7, 16 ; Jérémie, XXXVII, 5 ; XLVI, 30.

[3] Maspero, p. 547 et suiv.

[4] Ézéchiel, ch. XXI.

[5] Jérémie, XXXIV, 1.

[6] Inscriptions de Wadi Brissa et du Nahr el-Kelb, toutes deux aux notables couloirs de la route.

[7] Jérémie, XXXVIII, 4.

[8] Jérémie, XXI, 1-7, et XXXVII, 3 et suiv. Il a là des confusions de personnes. Pashour est une erreur. Cf. XXXVIII, 1.

[9] Jérémie, XXI, 8-10 et 13-14.

[10] Jérémie, XXXIV, init. et XXXVIII, 17 et suiv.

[11] Ézéchiel, XXIV entier.

[12] Ézéchiel, XXIV, 23.

[13] Ch. XXVI, XXVII, XXVIII. Les dates des prophéties relatives à Tyr et à l'Égypte paraissent avoir été en partie faussées par les copistes. Elles sont inconciliables entre elles. Ézéchiel, du reste, semble n'avoir daté ces morceaux qu'après coup. Autre date erronée, ch. XXXIII, v. 21.

[14] Ézéchiel, XXVIII, 20-26.

[15] Ézéchiel lui-même le suppose, ch. XXIX, 17 et suiv. Voir Mission de Phénicie, p. 526-527, note.

[16] Ézéchiel, XXIX, 1 et suiv.

[17] II Rois, XVIII, 21 ; Isaïe, XXXVI, 6.

[18] Les branches multiples du bas Nil.

[19] Lire comme au verset 9. Le pronom suffixe n'a jamais le sens réfléchi.

[20] Allusion aux alliés de l'Égypte.

[21] Jérémie, ch. XXXII.

[22] Jérémie, XXXIV, 7 et suiv. Cf. Deutéronome, XV, 14.

[23] Comp. Genèse, XV, 10.

[24] Jérémie, XXXVII, 5 et suiv. Cf. XXXIV, 7 et suiv.

[25] Ézéchiel, XXX, 3.

[26] Ézéchiel, XXIX, 21.

[27] Ézéchiel, XXIX, 17-21.

[28] Ch. XXX, XXXI, XXXII.

[29] Jérémie, XXXVII, surtout v. 7.

[30] Ch. XXXVII.

[31] Nous avons deux récits sur la prison de Jérémie, ch. XX (cf. XXXII, 1 et suiv.) et ch. XXXVII. Celui-ci vient de Jérémie lui-même ; quoique un peu prégnant d'additions marginales, il doit être préféré.

[32] Ch. XXXVII, v. 15, obscur ; parait provenir des variantes de la marge.

[33] Ch. XXXVIII, 1 et suiv., récit contradictoire et prégnant.

[34] Ch. XXXIII.

[35] Ch. XXXIII, v. 14-26 ; ne se trouve pas dans le grec. Ce morceau se compose de trois péricopes très ressemblantes entre elles et uniques dans leur genre. On peut supposer qu'elles ont été interpolées pour favoriser les prétentions de Zorobabel.

[36] Jérémie, XXXVIII, 22.

[37] Notez עוך, confirmé par Botta, Monum. de Nin., pl. 118. Voir Thenius, p. 458.

[38] II Rois, XXV, 7 ; Jérémie, XXXIV, 3 et suiv. ; XXXIX, 7 ; LII, 11.

[39] Josèphe, Ant., XV , XI, 5 ; Warren, Palestine exploration fund, Excav., pl. 26.

[40] Jérémie, LII, 29. Les deux dernières transportations ont lieu ainsi à un an de distance, et n'en font qu'une, la première d'Hiérosolymites, la seconde de Judéens.

[41] II Rois, XXV, 12, 22 ; Jérémie, XL, 7 et suiv.

[42] Bas-reliefs du Musée britannique.

[43] Ou sept, selon le texte inséré dans Jérémie.