HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL

TOME DEUXIÈME

LIVRE IV. — LES DEUX ROYAUMES

CHAPITRE XII. — LE LIVRE DE L’ALLIANCE.

 

 

L’idée du Dieu législateur est une idée commune à toute l’antiquité. L’humanité, dans ces âges pesamment réalistes, ne pouvait concevoir la loi morale que comme le commandement d’un être supérieur. Elle objectivait la voix de sa conscience en une voix émanée du ciel. Le profond mouvement religieux qui s’opéra dans le royaume d’Israël, au IXe siècle avant Jésus-Christ, se résumait en l’affirmation obstinée que Iahvé est un Dieu juste, qu’il vent le bien et demande à l’homme de se conformer aux règles absolues du droit. Le corollaire presque immédiat d’une telle conception était une loi censée émanée de Iahvé et se donnant pour l’expression de sa volonté. li n’est pas douteux que l’écrivain qu’on est convenu d’appeler le jéhoviste, en entreprenant son histoire sacrée, n’ait eu pour but principal d’y insérer un code résumant d’une manière abrégée les préceptes de Iahvé. Moïse fut supposé l’intermédiaire de ces communications divines, le législateur par excellence. Moïse avait-il déjà ce caractère dans les livres antérieurs, en particulier dans le livre des Guerres de Iahvé ? On en peut douter. Il était naturel que le chef qui tirait le peuple de l’Égypte au nom de Iahvé devînt l’interprète du pacte de Iahvé avec son peuple. Mais cette idée même d’un pacte moral entre le Dieu libérateur et la tribu délivrée supposait, un immense progrès moral, qui doit sans doute être rapporté à la grande école des prophètes Élie et Élisée.

C’est surtout par la manière dont il fixa les contours de la législation mosaïque, que le premier rédacteur de l’Histoire sainte se fit dans l’évolution d’Israël une place à part. Son livre fournit le cadre de tous les développements postérieurs de la Thora. Le deutéronomiste ne fit que l’imiter ; les pandectes juridiques, résultat du travail religieux qui amena, accompagna et suivit la restauration du temple de Jérusalem, ne firent que le copier et le commenter.

La révélation a lieu, selon le jéhoviste, dans ce redoutable entassement de montagnes rocheuses et métalliques qu’on rencontre dans la péninsule arabique, six ou sept jours après avoir quitté l’isthme en allant vers le Sud[1]. Un effroyable orage couronne les sommets. Le peuple tremble, se tient à distance ; Moïse seul s’approche des ténèbres où est Dieu. Il en rapporte les prescriptions que voici[2] :

Tu me feras un autel de terre, et tu immoleras dessus tes oloth et tes selanim[3], tes brebis et tes bœufs. En tout lieu où j’attacherai mon nom[4], je viendrai vers toi et je te bénirai, et, si tu me fais un autel de pierres, tu ne le bâtiras pas en pierres de taille (de telles pierres sont profanées par cela seul qu’on a passé le fer sur elles). Et tu ne monteras pas à mon autel par des degrés[5], de peur que, quand tu es dessus, ta nudité ne paraisse.

Le prêtre, dominant les foules du haut, d’un autel élevé, déplaisait à ces tribus restées nomades et patriarcales. On se rabattait, pour critiquer les autels exhaussés par des marches, sur un inconvénient tout matériel. Les gens placés au pied d’un escalier raide pouvaient avoir la vue choquée[6]. A Jérusalem, les degrés sont prescrits[7] ; aussi les prêtres portent-ils des caleçons[8].

Après ce résumé du culte de Iahvé, comme l’entendaient les tribus du Nord, venait un petit code, à la fois civil, criminel, moral, religieux, qui fut sûrement, le jour où on le rédigea, la loi la plus humaine et la plus juste qui eût été écrite jusque-là. Nous disons à dessein qui eût été écrite ; ces lois, en effet, n’eurent pas, dès leur publication, une force exécutoire ; elles ne furent pas sanctionnées par l’autorité publique. Les prophètes, bien qu’ayant une grande puissance morale, n’avaient aucun pouvoir législatif. Ce sont donc ici des règles idéales, des utopies si l’on veut. C’est le code parfait, tel que le concevait un sage iahvéiste du IX’ siècle avant Jésus-Christ.

L’esclavage est, aux yeux de l’auteur, la première chose qui demande à être légiférée.

Quand tu auras acheté un esclave hébreu, il servira six ans, et la septième année, il s’en ira libre sans rien payer. S’il est venu seul, il s’en ira seul ; s’il est venu marié, sa femme sortira avec lui. Si son maître lui donne une femme et que celle-ci lui donne (les fils ou des filles, la femme et les enfants de cette dernière seront à son maître, et lui. il sortira seul. Mais, si l’esclave dit : J’aime mon maître, ma femme et mes fils ; je ne veux pas m’en aller libre, son l’amènera devant Ha-élohim[9], et on l’approchera du ballant de la porte ou du montant de la porte[10], et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon[11], et l’esclave alors servira à perpétuité.

Si quelqu’un a vendu sa fille comme concubine domestique, elle ne s’en ira point libre comme les [autres] esclaves. Si [à l’âge nubile] elle déplaît à son maître, qui se l’était destinée, celui-ci doit la laisser racheter. [Dans le cas oit personne ne se présenterait], le maître n’a pas le droit de la vendre à un étranger, puisque c’est lui qui a manqué de parole. S’il l’a destinée à son fils, qu’il la traite de la même manière que ses filles. Si, [après avoir eu des rapports avec elle] il se choisit une autre [concubine], qu’il ne fasse aucune diminution à la première sur sa viande, ses vêtements et sa demeure ; s’il ne lui donne pas satisfaction sur ces trois points, elle peut s’en aller sans rien payer en argent.

Celui qui frappe un homme, si celui-ci meurt, doit être mis à mort. Celui quia tué sans intention, Ha-élohim ayant choisi sa main pour faire arriver la chose[12], je te fixerai un lieu où il pourra se réfugier[13]. Mais, si quelqu’un va jusqu’à dresser des embûches à un autre pour le tuer, vous l’arracherez même de mon autel, pour qu’il meure.

Celui qui frappe son père ou sa mère doit mourir. Celui qui enlève un homme et le vend, ou entre les mains duquel on le trouve, qu’il soit mis à mort. Celui qui injurie son père ou sa mère, qu’il soit mis à mort.

Si des hommes se querellent et que l’un d’eux en frappe un autre avec une pierre ou avec le oing, le coup n’entraînant point la mort, mais forçant seulement le blessé à s’aliter ; quand ce dernier se lève et peut se promener dehors en s’appuyant sur son bâton, celui qui a frappé est hors de cause. Seulement il indemnisera l’autre pour son repos [forcé] et pour les frais de guérison.

Quand un homme frappe son esclave ou sa servante avec un bâton, de façon qu’ils meurent sous sa main, il sera puni. Cependant, si l’esclave ou la servante survivent un jour ou deux, il ne sera pas puni ; car, après tout, c’est son argent.

Quand des hommes se battent et qu’une femme enceinte est atteinte d’un coup et qu’elle fait une fausse couche, sans autre dommage, [celui qui a donné le coup] sera puni d’une amende, conformément à la demande du mari de la femme, légalisée par des arbitres ; et, s’il y a d’autres dommages, vous appliquerez [le talion, c’est-à-dire] vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure.

Si quelqu’un frappe l’œil de son esclave ou l’œil de sa servante, et qu’il le crève, il les renverra libres en compensation de leur œil, et, s’il fait tomber la dent de son esclave ou la dent de sa servante, il les renverra libres en compensation de leur dent.

Si un bœuf frappe un homme ou une femme et qu’ils en meurent, le bœuf sera lapidé, et sa chair ne sera pas mangée ; mais le propriétaire du bœuf sera indemne. Cependant, si le bœuf avait de longue date l’habitude de frapper, et que son maître, dûment averti, ne l’ait pas surveillé, le bœuf homicide sera lapidé, et son maître aussi sera mis à mort. Si une rançon est proposée pour lui [par les parents du mort], il parera, comme rachat de sa vie, la totalité de la somme qui lui sera imposée. Si c’est un jeune garçon ou une jeune fille qui ont été frappés, on suivra la même règle que ci-dessus. Si c’est un esclave ou une servante que le bœuf a frappés, [le propriétaire du bœuf] donnera au maître de l’esclave trente sicles d’argent[14], le bœuf sera lapidé.

Si quelqu’un laisse ouvert l’orifice d’une citerne, ou, en creusant une citerne, ne recouvre pas l’ouverture, et qu’il y tombe un bœuf ou un âne, le maître de la citerne dédommagera en argent leur propriétaire, et la bote morte lui appartiendra.

Si le bœuf de quelqu’un frappe le bœuf d’un autre et que le bœuf frappé meure, ils vendront le bœuf vivant, et ils s’en partageront le prix, et ils se partageront également le bœuf mort. S’il est notoire que le bœuf avait depuis longtemps l’habitude de frapper, et que son propriétaire ne l’ait pas surveillé, celui-ci donnera son bœuf en compensation pour l’autre bœuf, et l’animal mort lui appartiendra.

Si un homme vole un bœuf ou un mouton, et le tue ou le vend, il donnera cinq bœufs en compensation du bœuf et cinq moutons en compensation du mouton. Si le voleur est surpris dans l’effraction [nocturne], qu’il soit frappé et qu’il en meure, il n’y aura pas là d’homicide. Si le soleil était levé, il y aurait homicide. Le voleur [surpris] doit payer compensation ; s’il n’a rien, il sera vendu pour la valeur de son vol. Si l’objet volé est trouvé vivant en sa possession, que ce soir bœuf, âne ou mouton, il en restituera deux.

Si quelqu’un, faisant paître ses bêtes dans un champ ou un verger, les laisse aller paître dans le champ d’un autre, if compensera le mal en donnant de son champ selon le produit, et, si tout le champ est brouté[15], il donnera en compensation le meilleur produit de son champ ou de son verger.

Si un feu éclate, rencontre des broussailles [qui le propagent] et consume des tas de gerbe, ou une moisson sur tige, ou [tous les produits] d’un champ, celui qui aura allumé le feu compensera le dommage.

Quand un homme donne à un autre de l’argent ou des objets à garder et que le dépôt est volé dans la maison de ce dernier, le voleur, s’il est trouvé, payera le double. Si le voleur n’est pas trouvé, le maître de la maison sera amené à Ha-élohim [pour jurer] qu’il n’a pas porté la main sur la chose de l’autre. En cas de manque, qu’il s’agisse d’un bœuf, d’un âne, d’un mouton, d’un manteau, de tout objet dont [le propriétaire, en le voyant] dit : C’est celui-là, l’affaire des deux [contendants] viendra à Ha-élohim. Celui que Ha-élohim condamnera[16] payera le double à l’autre. Si quelqu’un donne à garder à un autre un âne, ou un bœuf, ou un mouton, ou toute autre bête, et que cette bête meure ou ait un membre cassé ou soit enlevée [par l’ennemi], sans que personne l’ait vu, le serment de Iahvé interviendra entre les deux ; [le défendeur jurera] qu’il n’a pas porté la main sur la chose de l’autre ; le propriétaire acceptera [ce serment], et [le défendeur] ne payera rien. Mais, si [la bête] a été volée d’auprès de lui, il dédommagera le propriétaire. Si elle a été déchirée [par une bête féroce], il apportera comme témoin [les restes de la bête] ; dans ce cas, il n’y aura pas de compensation.

Quand un homme empruntera [une bête] à un autre, et qu’elle se cassera un membre, ou qu’elle mourra sans que le propriétaire soit présent, [l’emprunteur] compensera [le dommage]. Si le propriétaire était présent, il n’y aura point de compensation. S’il s’agit d’un mercenaire, [les dédommagements] entreront dans ses gages[17].

Si quelqu’un séduit une vierge non fiancée et couche avec elle, qu’il paye la somme voulue pour en faire sa femme. Si le père de la jeune fille refuse de la lui donner, qu’il compte en argent [au père] ce qu’on donne pour les vierges.

Tu ne laisseras pas vivre une sorcière.

Quiconque couchera avec une bête sera mis à mort. Celui qui sacrifiera aux dieux, hors le seul Iahvé, sera anathème[18].

Quant à l’étranger, tu ne le vexeras ni ne l’opprimeras ; car vous avez été étrangers dans la terre de Mesraïm.

Tu n’affligeras[19] ni la veuve ni l’orphelin. Si vous les affligez, et qu’ils élèvent leur cri vers moi, j’entendrai leur cri, el ma colère s’allumera, et je vous tuerai par l’épée, et vos filles deviendront veuves et vos fils orphelins.

Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, au pauvre qui vit à côté de toi, tu ne seras pas à son égard comme un usurier, tu n’exigeras pas d’intérêt de lui. Si tu prends en gage le manteau de ton prochain, tu le lui rendras avant le coucher du soleil[20] ; car c’est son unique couverture ; c’est le vêtement de sa peau. Sur quoi se toucherait-il ? Et il arriverait que, s’il criait vers moi, je l’écoulerais ; car je suis bon.

Tu ne blasphémeras pas Dieu ; tu ne maudiras pas le prince de ton peuple.

Tu ne mettras pas de retard à [m’apporter la primeur de] ce qui s’entasse [dans] les [granges] et de ce qui coule [dans] tes [celliers]. Tu me donneras l’aîné de tes fils[21]. Tu feras de même pour tes bœufs et tes moutons. [Le petit] restera sept jours avec sa mère ; le huitième jour, tu me le donneras.

Vous serez pour moi des hommes de sainteté[22] ; vous ne mangerez pas la chair [d’un animal trouvé] égorgé dans les champs : vous la jetterez aux chiens.

Tu ne répandras pas de faux bruits[23] ; tu ne seras pas complice du méchant dans ses faux témoignages. Tu ne te mettras pas à la suite de la majorité, quand elle va vers le mal. Tu n’opineras pas, dans un procès, selon le sens où incline la majorité, contrairement au droit. Tu ne favoriseras pas l’homme puissant dans son procès[24].

Quand tu rencontreras le bœuf de ton ennemi ou son âne égaré, tu le lui ramèneras. Quand tu verras l’âne de ton ennemi tombé à terre sous son fardeau, ne reste pas les bras croisés ; unis tes efforts aux siens pour remettre la bête sur pied[25].

Tu ne feras pas fléchir le droit de ton pauvre[26] en son procès. Évite l’œuvre du mensonge ; ne fais pas mourir l’innocent, le juste ; car je n’absoudrai pas le méchant. Tu ne recevras pas de cadeaux ; car les cadeaux font du clairvoyant un aveugle et amènent à trouver mauvaise la cause juste. Tu ne vexeras pas l’étranger ; vous savez bien l’état d’âme de l’étranger : car vous avez été étrangers dans la terre de Mesraïm.

Durant six années, tu ensemenceras la terre et tu en cueilleras les produits ; et, la septième année, tu la laisseras et l’abandonneras, pour que les pauvres de ton peuple en mangent [les produits] ; et le reste, les bêtes des champs le mangeront. Tu feras de même pour ta vigne et ton champ d’olivier.

Durant six jours, tu vaqueras à ton travail, et, le septième jour, tu te reposeras, afin que ton bœuf et ton âne se reposent, et que le fils de ta servante et [l’esclave] étranger puissent reprendre haleine.

Mettez vos soins à observer tout ce que je vous ai dit ; ne prononcez jamais le nom d’autres dieux ; qu’on n’entende jamais ces noms dans ta bottelle.

Trois fois, dans l’année, tu me feras fête. Tu observeras la fête des azymes : pendant sept jours, tu mangeras des pains azymes, comme je te l’ai ordonné[27], à la date du mois d’abib ; c’est à cette date que tu sortis de Mesraïm ; [à cette fête], on ne paraîtra pas devant moi les mains vides ; — puis la fête de la moisson, [où tu apporteras] les prémices de ce que tu auras semé dans les champs ; — puis la fête de la récolte [des fruits], à la fin de l’année[28], quand tu récolteras de tes champs [le produit] de ton travail. Trois fois dans l’année, chacun de tes mêles se présentera devant la face du Seigneur Iahvé.

Tu ne feras pas couler sur le pain fermenté le sang de mon sacrifice, et la graisse de ma fête ne durera pas jusqu’au matin.

Les prémices des fruits de ta terre, tu les apporteras à la maison de Iahvé ton Dieu[29].

Tu ne cuiras pas le chevreau dans le lait de sa mère[30].

Telle est cette première Thora, simple, grossière encore, mais qui contient en réalité tous les principes civilisateurs dont on fait honneur à Moïse. Iahvé est le dieu unique d’Israël ; on perd sa qualité d’Israélite, on s’expose à la mort, en offrant des sacrifices à un autre dieu. A cela près, un esprit d’humanité et de douceur a pénétré la religion : Iahvé est juste et, miséricordieux ; il est le protecteur du faible ; on lui plaît par la bonté ; il punit l’homme injuste et cruel. La base du pacte de Iahvé avec Israël est de la sorte toute morale. Ce peuple est bien le peuple de Dieu ; il créera dans le monde la vraie religion.

Et Moïse vint[31], et il rapporta au peuple toutes les paroles de Iahvé, et le peuple répondit d’une seule voix : Tout ce que Iahvé a dit, nous le ferons. Et Moïse écrivit toutes les paroles de Iahvé, et, le lendemain matin, il bâtit un autel au pied de la montagne, et il y avait douze cippes pour les douze tribus d’Israël. Et il y envoya les plus jeunes des fils pour accomplir des holocaustes et offrir à Iahvé des génisses en sacrifices selamin. Et il prit la moitié du sang, et il le mit dans les bassins, et, de l’autre moitié, il aspergea l’autel. Et il prit le livre de l’Alliance, et il le lut aux oreilles du peuple, et ils dirent : Tout ce qu’a dit Iahvé nous le ferons, et nous obéirons. Alors Moïse prit le sang des bassins[32], et il aspergea le peuple et il dit : Voici le sang de l’alliance que Iahvé a frappée avec nous à propos de ces commandements.

Ce serait, nous l’avons déjà dit, une très grande erreur de s’imaginer que de pareils textes eurent tout d’abord, quand ils furent écrits, une valeur légale. Hors les cas où ils ne faisaient qu’énoncer un droit coutumier existant, ces codes, censés rêvé lés à Moïse sur le Sinaï ou sur le Horeb, n’étaient que des théories personnelles au prophète, des exposés idéalistes de la façon dont, il concevait une société parfaite. Le code de Manou, dal s l’Inde, fut de même, à l’origine, un code tout artificiel, répondant à l’idéal d’une certaine école brahmanique, et nullement une législation édictée par un pouvoir public.

On ne peut tenir, par exemple, que pour une combinaison d’utopiste exalté l’essai que fait le jéhoviste d’appliquer le principe du sabbat hebdomadaire aux années. Plein de l’idée du sabbat, qu’il conçoit comme une institution de miséricorde, comme une trêve de Dieu en faveur du faible, il l’applique bien au delà de ce que la tradition des hommes pieux avait déjà sanctionné. Il veut que l’esclavage cesse la septième année ; il veut même que la terre ait son sabbat, et, comme à ses yeux la pauvreté des uns vient de la richesse des autres, il s’imagine que ce sabbat de la terre sera très favorable aux pauvres. Cette loi ne fut certainement jamais appliquée ; l’idée qu’une telle institution serait bonne pour les pauvres suppose une économie politique assez naïve. Les préceptes sur le prêt, sur le gage, sont aussi plutôt inspirés par un sentiment d’humanité que par un esprit positif de légalité[33]. Il en est de ces passages comme de tant de préceptes de l’Évangile, insensés si on en fait des articles de code, excellents si on n’y voit que l’expression hyperbolique de hauts sentiments moraux.

Plus tard, on exagéra encore les paradoxes humanitaires de notre prophète. Les canonistes du second temple voulurent que l’année sabbatique tombât en même temps pour toute la nation, ce qui eût établi la périodicité de la famine. Leur imagination de l’année jubilaire acheva le cycle des utopies qui ont fait de la Thora le plus fécond des livres sociaux et le plus inapplicable des codes. L’erreur des écrivains de législation comparée, qui mettent en parallèle les lois du Pentateuque et celles des autres peuples, est de méconnaître ce point fondamental que les lois du Pentateuque ne sont pas des lois réelles, des lois faites par des législateurs ou des souverains, ayant été promulguées, connues du peuple, appliquées par des juges ; ce sont des rêves d’ardents réformateurs, des vœux de piétistes, qui restèrent en leur temps sans application dans l’État, qui ne furent réellement observées que quand il n’y eut plus d’État juif, et d’où devait sortir non une société complète, une polis, mais une ecclésia, une société religieuse et morale, vivant, selon ses règles intérieures, sous le couvert d’un état profane, fortement organisé.

Le livre de l’Alliance fut, en réalité, le père de tous les codes hébreux qui suivirent. S’il n’a pas été adopté comme le Décalogue pour la loi morale de l’humanité tout entière, c’est qu’il appartenait trop particulièrement au royaume du Nord et qu’il renfermait une part considérable de législation civile, dénuée de caractère absolu. Le Décalogue appartient à la rédaction hiérosolymitaine dite élohiste. Cette rédaction, qui a donné au monde le récit initial : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre..., devait fournir à la conscience religieuse du genre humain un élément encore plus essentiel, une législation courte, d’un caractère exclusivement moral, pouvant convenir à toutes les races, exprimée en cette forme concise et, si j’ose le dire, cordée, pour laquelle l’ancienne langue hébraïque possède un don spécial.

 

 

 



[1] Exode, XIX, XX, 18 et suiv.

[2] Exode, XX, 21 et suiv. jusqu’à XXIII, 19, inclusivement. Les versets 22 et 23 sont pris à des codes plus récents. Le chapitre XXXIV de l’Exode est une reprise postérieure, que le dernier rédacteur n’a pas voulu perdre.

[3] Noms de formes particulières de sacrifices.

[4] Les anciens lieux de culte ont été désignés par Iahvé, qui y a attaché son nom par quelque manifestation. On saisit ici l’opposition contre le temple unique de Jérusalem.

[5] On remarquera que les prêtres ne sont pas distincts du peuple.

[6] Comparez Aulu-Gelle, X, 15 ; Servius, ad Æn., IV, 616.

[7] Exode, XXVII, 1 ; Lévitique, IX, 22 (textes se rapportant au second temple).

[8] Exode, XXVIII, 42 et suiv.

[9] Ha-élohim semble indiquer un reste de polythéisme. Il s’agit, en tout cas, du temple local où Iahvé rendait ses oracles et recevait les serments.

[10] La porte du temple peut-être. Je crois pourtant qu’il s’agit plutôt de la porte de la maison du maître.

[11] L’oreille percée était, chez beaucoup de peuples de l’Orient, la marque de l’esclavage ; la boucla d’oreille, pour les hommes, avait souvent le même sens.

[12] Il s’agit de l’homicide par hasard, le hasard n’étant jamais que la réalisation d’un arrêt divin contre quelqu’un. En ce cas, le vrai coupable, c’est le tué.

[13] Lieux de refuge, non distincts des lieux de culte.

[14] C’était le prix d’un esclave. Zacharie, XI, (VIIIe siècle avant J.-C.).

[15] Ici le grec et le samaritain sont plus complets que l’hébreu.

[16] Origine du jugement de Dieu. Le texte semble porter le pluriel : Celui que les Élohim condamneront. Mais la vraie leçon parait être ונעישרי (samaritain) ou סיהלאמ עישרי. La faute ונ - ה est fréquente. Cf. XXII, 20.

[17] C’est-à-dire seront retentis sur ses gages.

[18] Hors la loi, voué à une mort certaine.

[19] Lisez סנעה.

[20] Comparez Amos, II, 8.

[21] Sûrement avec rachat. Cette offrande des premiers-nés, reste d’un primitif molokisme, avait été réduite, surtout par les progrès du prophétisme, à quelque chose d’assez inoffensif. Le passage élohiste, Exode, XIII, 2, ne prête plus à l’équivoque (voyez II Rois, XII, 5). Le code lévitique (Nombres, XVIII, 15 et suiv.) est encore bien plus adouci. Michée, VI, 7, reste sûrement un embarras.

[22] La sainteté n’est ici que la pureté extérieure, consistant, à éviter tout ce qui est souillé.

[23] Comparez le Psaume XV, qui est comme une petite Thora abrégée.

[24] Lisez לדנ, au lieu de לדו. Cf. Lévitique, XIX, 15, où l’on a taché de garder les deux leçons et de donner un sens à לד.

[25] A corriger par Deutéronome, XXII, 4. סקה a pu devenir כזעם (le qoph a souvent donné origine à deux lettres). כזעט peut être pour םהט.

[26] Ces recommandations sont adressées à Israël dans son ensemble.

[27] Exode, XII, aujourd’hui combiné de jéhoviste et d’élohiste.

[28] Sur les diverses manières de commencer l’année, chez les Hébreux, voyez Dillmann, Exode, p. 248.

[29] Silo ou Béthel. Israël eut son temple, moins développé que celui de Jérusalem.

[30] On trouvait cruel de cuire la pauvre petite bête dans le lait qui aurait dû servir à la nourrir.

[31] Exode, XXIV, 3 et suiv.

[32] Notez l’absence de prêtres.

[33] Le parfait contraste de cela, c’est l’inflexibilité juridique des Romains, pour lesquels la loi n’a en vue que le droit absolu et ne connaît pas de pitié.