LÉON GAMBETTA

 

CHAPITRE XII. — CONCLUSION.

 

 

Et maintenant, après cette rapide esquisse d'une vie si courte et si glorieuse qu'elle semble comme un météore au ciel sombre de notre histoire contemporaine, puis-je essayer de résumer le merveilleux ensemble de vertus et de talents qui font de Léon Gambetta le plus fier patriote, le plus profond politique et le plus magnifique orateur de ce siècle ? Le régime de décembre traîné à la barre de la police correctionnelle ; l'espoir dans un avenir de justice rendu à tous ses contemporains ; l'honneur de la France sauvé après la honte abominable de Sedan ; la République fondée grâce à des prodiges d'adresse, de sagesse et d'éloquence ; l'avènement régulier et définitif de la démocratie ; la démocratie républicaine, qui n'avait été jusqu'alors qu'un parti révolutionnaire, transformée au bout de quelques années en un grand parti de gouvernement ; la victoire des libertés nécessaires en même temps que la démonstration invincible de la nécessité d'une forte autorité ; la création d'une armée nationale, pour la défense du territoire et la délivrance des provinces perdues ; la conception et la prédication de la politique étrangère la plus belle qui ait été recommandée ou pratiquée depuis Richelieu ; la République large ouverte à la France ; la France régénérée par la République pour reprendre sa place dans le monde ; voilà l'œuvre de Gambetta, œuvre qui, dans quelques-unes de ses parties, a été brutalement interrompue par la mort, mais si grande et si noble, mais si superbement commencée, que les survivants ne sauraient se proposer de tâche plus glorieuse que de la poursuivre et d'essayer de l'achever. Jamais ensemble de qualités plus diverses et plus riches n'a été réuni dans une seule nature. Patriote, qui ne passa jamais un jour sans songer à l'Alsace et à la Lorraine, il rêvait toutes les gloires pour le pays dont il ne prononçait le nom qu'avec un tressaillement religieux, — la grandeur extérieure et la grandeur intérieure, le resplendissement artistique et littéraire comme la force scientifique et commerciale. Politique, il avait toutes les clairvoyances, toutes les prudences, toutes les audaces, toutes les habiletés. Orateur, il possédait toutes les puissances, habile à s'adresser tour à tour à la raison et à la passion, tour à tour familier et véhément, emporté et railleur, plein d'arguments saisissants et de traits superbes, pressant et dominateur, le plus ardent et le plus logique, toujours éclatant de verve et d'enthousiasme ; aucun genre d'éloquence ne lui était étranger, et il était égal, dans chacun, aux plus illustres. Et l'homme privé, chez lui, n'excitait pas moins de dévouement et d'amour que l'homme public n'excitait d'admiration. Ce tribun redoutable était bon de cette bonté exquise et simple que Michelet a tant célébrée ; il était courageux, juste, dédaigneux des outrages et des vilenies plus que nul ne l'a jamais été, sans rancunes, sans haine, sans jalousie ; il était généreux et indulgent jusqu’à l'exagération ; il donnait sans compter, secrètement, dès qu'il avait connaissance d'une misère, souvent à d'anciens adversaires ; il était affectueux, dévoué, soucieux des moindres intérêts de ses amis ; il avait le culte et la plus délicate intelligence des œuvres de l'esprit ; — il était respectueux des vieillards qui sont le patrimoine de la France et il s'intéressait passionnément aux jeunes gens qui en sont l'avenir ; découvrir à la France un français de plus était l'une de ses plus grandes oies ; — il était gai, aimable, d'une constante belle humeur, surabondant de foi dans le pays, dans la démocratie, dans l'avenir qu'il s'obstina jusqu'à la dernière heure à prévoir juste et réparateur pour la patrie. Comment dire ces choses ? comment les peindre ?

Ce n'est pas seulement l'âme de la Révolution qui a palpité en Gambetta. C'est l'âme même de la France.

 

FIN DE L'OUVRAGE