SOMMAIRE. Le roi soldat. — Cossé-Brissac. — La tactique en 1553. — Guerre de Sienne. — Marciano. — Les dragons de Piémont. — Retraite de Santhia. — François de Guise. — Paix de Cateau-Cambrésis. LE ROI SOLDAT. Henri II était un Soldat et un organisateur. Ses premiers actes de roi indiquèrent qu'il voulait déchirer le traité de Crespy, et tenter à son tour la fortune contre le vieil Empereur. Dès 1547, il divisa la frontière du royaume en trois départements militaires, administrés chacun par un maréchal de France[1] ; il renouvela avec les cantons suisses la convention qui lui assurait un contingent de 6 à 16.000 hommes, formés en régiments[2] comme les lansquenets[3], et il répartit toutes les bandes à pied françaises et étrangères entre cinq colonels et capitaines-généraux[4]. L'infanterie française en eut deux, dont la charge devint permanente : en deçà des monts, Gaspard de Châtillon, comte de Coligny ; delà les monts, François de Gouffier, seigneur de Bonnivet. Chaque colonel général[5] avait pour assisteur un mestre de camp général[6], un sergent de bataille[7] et un grand prévôt des bandes. Claude de Lorraine, duc d'Aumale, fut nommé colonel général de la cavalerie légère[8]. La gendarmerie[9] continua à relever directement du roi et du connétable, sous l'inspection et le contrôle des maréchaux de France. Charles de Cossé-Brissac, maître et capitaine général de l'artillerie, et Jean d'Estrées, son lieutenant, réduisirent toutes les pièces en usage à six modèles exclusifs : le canon, la grande couleuvrine, la bâtarde, la moyenne, le faucon et le fauconneau[10], qu'on appela, depuis 1551, les six calibres de France. Les projectiles étaient des boulets de fonte, dont le poids variait de 1 à 34 livres. Après une heureuse intervention en Écosse[11], Henri II envahit le Boulonnais[12] ; le 23 août 1549, et s'empara, sans coup férir, de presque toutes les forteresses anglaises. Les ministres du jeune roi Édouard IV prirent peur et demandèrent la paix. Elle fut signée à Guines, le 24 mars 1550 ; l'Angleterre consentait au rachat de Boulogne, et ne gardait plus en France que Calais. COSSÉ-BRISSAC. Le gouverneur français du Piémont, le vieux prince de Melfi, étant mort, au mois d'août 1550, après avoir tenté de rétablir la discipline[13] parmi les bandes delà les monts, son successeur, le maréchal de Brissac[14], prépara activement la reprise des hostilités contre l'armée impériale du Milanais. Après une inspection minutieuse des places de son gouvernement, Brissac fit appliquer dans toute leur rigueur, en les complétant au besoin, les ordonnances et les règlements de Guillaume du Bellay. Pendant une année il leva des recrues, exerça des troupes, organisa les services[15], et, quand le roi lui donna l'ordre, en septembre 1551, d'intervenir dans la querelle du duc de Parme avec l'Empereur, l'armée de Piémont enleva brusquement Chieri et San-Damiano ; puis, par une marche audacieuse, elle obligea le gouverneur du Milanais, Fernand de Gonzague, à évacuer le Parmesan. Ces succès facilitèrent les négociations d'Henri II avec les princes luthériens d'Allemagne, que Charles-Quint croyait avoir domptés par sa victoire de Mühlberg, mais qui frémissaient plus que jamais sous le joug de la maison d'Autriche. Leur chef, Maurice de Saxe, déclara le roi de France Protecteur des ligues germaniques, et l'engagea à s'emparer des villes de l'empire qui n'étaient pas de langue allemande. Les Trois-Évêchés lorrains furent conquis par Henri III au printemps de 1552 ; Charles-Quint voulut reprendre Metz, mais l'hiver et François de Guise l'obligèrent à lever le siège. Fernand de Gonzague ne fut pas plus heureux devant San-Damiano[16], et, sur toute l'étendue de nos frontières, l'année 1552 se termina glorieusement pour les armes françaises. LA TACTIQUE EN 1553. Les commentaires de Montluc, de Boyvin du Villars et de François de Rabutin nous permettent de suivre jour par jour les remarquables opérations militaires, qui se sont accomplies, de 1553 à i559, dans le bassin du Pô et dans les Pays-Bas. Ils nous montrent des soldats incomparables, dirigés par des capitaines expérimentés qui, après une étude constante de l'art de la guerre, ont établi des règles et posé des principes généraux ayant à peiné varié depuis Henri II. Il faut franchir plus de deux siècles et aborder la grande épopée de la Révolution et de l'Empire, pour rencontrer à la fois dans l'histoire autant d'hommes de guerre à admirer et autant d'exemples à retenir. Anne de Montmorency, Charles de Brissac, Jean d'Estrées, François de Guise, Gaspard de Coligny, Pierre Strozzi, Blaise de Montluc et Gaspard de Tavannes dans le camp français ; le duc d'Albe, Philibert-Emmanuel duc de Savoie, le comte d'Egmont, Ferdinand de Gonzague et Guillaume de Nassau sous les enseignes de l'Empereur, sont les véritables fondateurs de la tactique moderne. L'espace nous manque pour raconter tous leurs exploits, mais nous emprunterons aux mémoires contemporains[17] les faits les plus saillants et les pages les plus instructives. A cette époque, comme dans tous les temps, la réunion des grandes armées est difficile et leur entretien ruineux ; aussi voyons-nous, des deux côtés, les entreprises de longue haleine échouer au moment même où le but paraît atteint. Henri II, comme Charles-Quint, hésite à engager l'action décisive, la bataille publique du moyen âge ; leurs armées se côtoient, manœuvrent, envahissent et saccagent le territoire du voisin sans oser s'aborder. Une campagne dure trois mois au plus ; elle se réduit à trois ou quatre sièges, à quelques escarmouches, et se termine par la ruine totale du théâtre de la guerre. Il faudra l'imprudence inattendue du vieux connétable de Montmorency et le coup d'audace du jeune duc de Savoie pour que cette guerre de chicane aboutisse, après sept ans, à la journée de Saint-Quentin. L'Empereur, voulant une revanche de son échec de Metz, envoya, au mois d'avril 1553, son armée assiéger Thérouanne. Henri II avait laissé sans secours ce poste avancé de la France sur la frontière des Pays-Bas ; la ville fut prise, le 20 juin, et détruite de fond en comble. Hesdin eut le même sort, le 28 juillet ; puis les Impériaux ravagèrent le territoire français jusqu'à Doullens, avec une barbarie renouvelée des Huns et des Vandales. Les représailles ne se firent pas attendre. Le connétable forma pour la campagne d'automne 10 régiments temporaires de gendarmerie, composés chacun de 200 hommes d'armes et de 100 arquebusiers à cheval, réunis sous le commandement d'un prince ou d'un grand officier de la couronne[18] ; il rassembla à Corbie 2.000 chevau-légers, 3.000 gentilshommes de l'arrière-ban, 28.000 hommes de pied et 100 pièces d'artillerie grosses ou menues. Henri II vint, le 1er septembre, prendre le commandement de cette belle armée et, le lendemain, il se mit en marche pour compléter l'expédition d'Austrasie par la conquête de Cambrai. Le duc de Savoie Philibert-Emmanuel[19], lieutenant général de l'Empereur en Picardie, n'ayant pas des forces suffisantes pour livrer bataille, leva son camp de Doullens et repassa l'Authie. Mais il côtoya l'armée du Roi et conserva le contact avec elle jusqu'à Bapaume et Cambrai ; d'où, après avoir jeté des renforts dans la ville libre impériale, il alla prendre position sous les murs de Valenciennes, en construisant au bord de l'Escaut un formidable camp retranché. Le Roi déploya son armée devant les remparts de Cambrai (8 sept.) afin d'intimider les habitants ; mais ceux-ci fermèrent leurs portes et tirèrent leurs canons. Alors, comme la saison était trop avancée pour entreprendre un siège en règle, Henri II remonta la rive droite de l'Escaut, et alla provoquer les Impériaux dans leur camp de Valenciennes. Philibert-Emmanuel se contenta d'envoyer sa cavalerie légère escarmoucher avec les avant-coureurs français, et prouva au connétable par une violente canonnade qu'il était en mesure de défendre ses retranchements. Il resta dans son fort[20], où le conseil du Roi, prenant l'exemple des batailles de Poitiers et de la Bicoque, ne fut pas d'avis de l'attaquer. L'armée française s'en retourna par Cateau-Cambrésis et la vallée de l'Oise jusqu'à Saint-Quentin, pour y être départie le 20 septembre 1553. Pendant que la Gaule Belgique endurait toutes les misères et calamités que les dissensions des grands princes apportent au pauvre peuple[21], le maréchal de Brissac acquérait une gloire immortelle en maintenant une discipline admirable dans l'armée du Piémont, devenue, au dire de Montluc, la plus belle école de l'Europe. Il imposa au général ennemi, Ferdinand de Gonzague, une capitulation de bonne guerre[22], qui rompait avec les traditions habituelles de meurtre, de pillage et d'incendie, en sauvegardant les villes et les villages. Cette nouvelle trêve de Dieu assura aux Français des ressources nouvelles et valut au maréchal des succès inespérés. GUERRE DE SIENNE (1534). La république de Sienne, fidèle alliée des Français en Italie, défendait, depuis 1552, son indépendance contre l'Empereur et le duc de Toscane, Côme Ier de Médicis, lorsqu'en 1554, elle fut envahie par 25.000 Impériaux, commandés par le marquis de Melegnano. Sienne était la patrie du maréchal Pierre Strozzi, le vaillant rempareur de Metz. Strozzi leva dans le Parmesan 1.200 chevaux et 12 enseignes italiennes, qui furent renforcés de trois régiments, français, allemand et grison, de 3.000 hommes chacun[23], venus de France par mer. Après avoir confié à Montluc la garde de Sienne, il marcha au secours de la petite place de Marciano[24], que le marquis assiégeait. C'était au mois d'août, pendant les grandes chaleurs ; Melegnano avait établi son camp près des seules fontaines qu'il y eut dans la plaine, et il avait posté son artillerie sur trois collines inaccessibles, qui en défendaient l'approche. Le maréchal, fort brave et courageux, mais un peu trop hâtif en ses actions ou délibérations, établit ses troupes à 150 pas de la position ennemie, sur l'espérance que le marquis délogerait afin de le combattre[25]. Mais le marquis resta dans son camp, et les Français, épuisés par la soif, furent contraints, après huit jours d'inutiles escarmouches, de se mettre en retraite vers Lucignano, dans la vallée de la Chiana. Marciano (2 août 1554).Strozzi, estimant que, la nuit
venue, les ennemis ne penseraient qu'au repos, commanda de conduire
diligemment son artillerie à Lucignano, après en avoir fait tirer quelques
volées pour dissimuler sa retraite. En même temps, il ordonna qu'on se tînt
prêt à déloger deux heures avant le jour, sans trompettes, sourdines, ni
tambourins. Ses 1200 cavaliers devaient marcher sur les ailes des trois
bataillons ainsi répartis : A l'avant-garde, 12
enseignes italiennes ; A la bataille, les
Français et les lansquenets ; A l'arrière-garde, 3.000
Grisons et 500 Siennois, commandés par le sieur de Fourquevaux. Pour que le marquis ne découvrît pas ce soudain délogement, le maréchal fit dresser une nouvelle et rude escarmouche. Mais Malegnano avait prévu et
découvert la ruse. Sachant que l'artillerie française était si loin déjà qu'elle
ne pouvait pas servir au combat, et que ses adversaires étaient las et
abattus de faim et de soif, il forma son infanterie en 2 bataillons, qu'il
lança à la poursuite de Stozzi. Le premier bataillon, sous don
Juan de Luna, était composé de 3 tercios d'Espagnols ; l'autre, sous
le comte de Santa-Fiore, comprenait deux régiments allemands, de 12 enseignes
chacun, et 4.500 Italiens. Une avant-garde de 200 hommes d'armes italiens,
conduits par Marc-Antoine Colonna et Frédéric de Gonzague et soutenus par
2.000 enfants perdus espagnols ou italiens, attaqua fiévreusement le
bataillon des 3.000 Grisons et des 500 Siennois, qui fit quelque vertueuse
résistance. Mais, abandonné par la cavalerie italienne, qui avait fui[26] dès le commencement, et attaqué de flanc par 300 autres
chevaux de l'ennemi, le bataillon fut ouvert et, de main en main, renversé à
vau de route. Fourquevaux, colonel des Grisons, fut blessé et pris. Les Français et les lansquenets du corps de bataille se serrèrent ensemble et, quoique privés du support de la cavalerie, combattirent fort longuement et courageusement ; mais à la fin, enveloppés de tous côtés, ils furent renversés, non sans grande tuerie des ennemis. Le capitaine Valeron, colonel des bandes françaises, y mourut au lit d'honneur avec 4.000 autres ; Strozzi, blessé en deux endroits après avoir fait acte de preux et vaillant capitaine, fut porté sur des perches à Lucignano, où le gros de l'armée se réfugia. Ce qui prouve, dit Montluc, que ces retraites de jour, à la barbe de l'ennemi[27], sont si dangereuses qu'il les faut éviter si l'on peut, ou qu'il vaut mieux, en pareil cas, hasarder le combat tout entier. L'intrépide capitaine gascon rallia dans Sienne les débris de l'armée de Strozzi, et y soutint contre le marquis de Melegnano[28] un siège mémorable, qu'il prolongea, sans être secouru, jusqu'au 21 avril 1S55, grâce au patriotisme et au dévouement des habitants[29]. Du consentement du marquis de Melegnano, la garnison[30], après avoir consommé sa dernière once de pain, sortit sans capitulation, enseignes déployées, les armes sur le col et tambourins sonnant. L'empereur fit des Maremmes un désert ; mais la France a précieusement gardé le souvenir de l'héroïsme que les Siennois ont montré sous ses enseignes. LES DRAGONS DE PIÉMONT (1555). Après une campagne heureuse contre Suarez de Figueroa, successeur de Fernand de Gonzague en Lombardie, le maréchal de Brissac, maître d'Ivrée, de Santhia et de Casai, avait demandé, sans l'obtenir, la permission de marcher au secours de Sienne : le connétable et le conseil du roi craignaient de compromettre le Piémont, de découvrir la frontière des Alpes et d'exposer la Provence à une nouvelle invasion. Brissac voulut du moins que son armée[31] fut le modèle de toutes les autres. Il permit aux soldats d'élite des vieilles bandes, piquiers ou arquebusiers, qui avaient des chevaux, de les monter pour exécuter les marches rapides, les coups de main et les surprises, à la condition qu'ils mettraient pied à terre au moment de combattre et qu'ils prendraient les formations habituelles de l'infanterie. Cette cavalerie improvisée eut le succès de toutes les innovations heureuses. Fiers de la terreur qu'ils inspiraient aux Impériaux, les gens de pied à cheval de Piémont se donnèrent le nom de dragons[32] et le gardèrent. Quand ils rencontraient la cavalerie ennemie, les dragons laissaient les chevaux aux mains de leurs goujats et se formaient en redoute bardée de feux et fraisée de piques. Les arquebusiers à genou, courbés ou debout, formaient les trois premiers rangs ; les piquiers, sur cinq rangs, se mettaient en garde contre la cavalerie, le bois appuyé contre le pied, l'épée dans la main droite. Contre des gens de pied aguerris qui les attendaient de pied ferme, ils marchaient en avant, piques basses, les arquebusiers sur les flancs ou intercalés dans les premiers rangs de corselets. Mais s'ils surprenaient l'infanterie ennemie en marche, ou
s'ils avaient affaire à des recrues, à des bisognos,
comme disaient les Espagnols, les dragons restaient à cheval. Les piquiers
formaient alors l'escadron de réserve, et les arquebusiers tiraient la pistolade comme les reîtres : c'est-à-dire
que chaque rang, rompant successivement en colonne par un, passait au trot ou
au galop devant le front ou le flanc du bataillon ennemi, tirait, et
regagnait, après deux demi-voltes, le gros de la compagnie tout en
rechargeant[33]. RETRAITE DE SANTHIA (août 1555). Au mois d'août 1555, l'armée française assiégeait Vulpiano, lorsque le duc d'Albe descendit en Piémont avec une fort grosse et belle armée, très bien garnie de gens de guerre, d'artillerie et surtout de pionniers, qui remuaient la terre et comblaient les fossés avec du bois et des fascines, à la mode des Turcs ; il se vantait, non seulement de faire lever le siège de Vulpiano, mais encore de conquérir en peu de temps tout le Piémont[34].Tant s'en fallut, car Vulpiano fut pris, et Albe assiégea Santhia sans pouvoir la prendre ; ce dont il ne fut pas trop loué, la place venant d'être fortifiée de frais et à la hâte[35]. L'échec des Espagnols devant Santhia eut en Europe un grand retentissement et accrut encore la réputation du maréchal de Brissac. Voici la relation que son secrétaire en a laissée : Santhia est située en une grande campagne, traversée dans toute sa longueur et jusqu'au delà de la ville par un profond ruisseau, large de 7 à 8 pieds, dont l'ennemi avait détourné l'eau. Le maréchal fit marcher son armée tout le long de ce ruisseau, qu'il farcit d'arquebusiers, et il couvrit son flanc par une enceinte mobile de 40 chariots à vivres, escortés chacun par 10 arquebusiers qui, à l'approche de l'ennemi, devaient sortir par les intervalles. En tête de chaque bataillon, il plaça derrière les deux premiers rangs de piquiers 100 soldats fort résolus, ayant chacun un bouclier et une courte épée, large de 4 doigts et bien affilée. Au moment de s'entrechoquer avec les bataillons espagnols, ces soldats devaient passer par-dessous les piques et, ainsi courbés, se jeter dans les jambes des piquiers ennemis pour leur tailler force jarretières rouges. M. de Brissac estimait que ce serait une exécution et une forme nouvelle de combat, qui donneraient grand avantage aux nôtres et le contraire aux ennemis ; lesquels, étant investis, ne pourraient baisser les piques pour se défendre. Sur chaque aile de ses bataillons, il mit 200 cavaliers, avec même nombre de bons arquebusiers ou hallebardiers ; il laissa ces flanqueurs un peu en arrière, pour qu'ils pussent soigneusement considérer le combat et courir au secours de ceux des nôtres qui en auraient besoin. Il avait prescrit au colonel général Bonnivet, gouverneur de Santhia, de faire sortir, au moment de l'attaque, 5 ou 600 bons soldats, pour prendre l'ennemi à dos le long du ruisseau et lé troubler davantage. Cependant le maréchal, voulant éviter une bataille, s'avisa de deux ruses de guerre, qui réussirent. La première fut de faire tomber adroitement aux mains du duc d'Albe plusieurs lettres, par lesquelles il prévenait Bonnivet qu'il ne serait secouru que dans une huitaine de jours ; La seconde, de dépêcher le mestre de camp Chépy avec 200 chevaux à Rivacolo — à l'endroit même où le duo d'Albe avait passé la Doria Baltéa quand il s'était porté au secours de Vulpiano —, en lui ordonnant de disposer sur le bord de la rivière une vingtaine de pionniers, qui feraient semblant d'esplanader les rives et qui planteraient des pieux, comme s'ils voulaient fixer les chaînes d'un pont de bateaux. La farce ainsi jouée fut rapportée au duc d'Albe ; il en prit une telle alarme — avec la nouvelle qu'il avait de l'arrivée du prince de Condé, des ducs de Nemours, d'Aumale, de Chatellerault et d'autres grands seigneurs, venus en Piémont pour assister à la bataille —, qu'il quitta Santhia, en abandonnant 3 ou 400 soldats malades ou blessés, beaucoup de vivres et de munitions d'artillerie. Bonnivet recueillit le tout, et se montra aussi courtois et humain envers l'ennemi malade qu'il avait été vaillant et résolu au combat ; mais le capitaine Théodore Bedoigne, avec 120 cavaliers et 400 arquebusiers, harcela cette retraite avec une telle grêle d'arquebusades, que le chemin des Espagnols pouvait se suivre par le sang répandu et par les cadavres abandonnés (6 septembre). Un mois plus tard, le duc d'Aumale enlevait Montecalvi. Albe, renonçant à conquérir le Piémont, cantonna ses tercios dans le Milanais, et les hostilités furent à peu près interrompues en Italie jusqu'en 1557. FRANÇOIS DE GUISE. Le 10 janvier 1556, Charles-Quint, dont les forces, brisées par les infirmités et les travaux, ne suffisaient plus, disait-il, à supporter le poids d'un si vaste empire, donna l'Espagne, les Pays-Bas et les Indes à son fils Philippe II, et offrit à son frère, Ferdinand Ier, la couronne impériale. Le nouveau roi d'Espagne était pour la France un ennemi moins loyal et plus dangereux que son père : serviteur ambitieux et sanguinaire de l'Inquisition, il s'apprêtait à déchaîner sur notre pays les fureurs aveugles du fanatisme et à y fomenter la guerre civile. Au moment de son abdication, Charles-Quint avait signé la trêve de Vaucelles ; mais Henri II la rompit à l'instigation du pape Paul IV, qui voulait délivrer l'Italie des barbares espagnols au moyen des Français, comme Jules II en avait chassé les barbares français au moyen des Espagnols. François de Lorraine, duc de Guise, lieutenant-général représentant la personne du roi en toute l'Italie, hormis le Piémont, franchit le Pas de Suze, le 27 décembre 1556, pour conduire au secours du pape, menacé dans sa capitale par l'armée du duc d'Albe, 4.000 soldats français, 6.000 Suisses, 500 hommes d'armes, 600 chevau-légers et un grand nombre de gentilshommes volontaires. Rome n'était défendue que par les 1.200 routiers du maréchal Strozzi et du capitaine Montluc. Le duc de Guise fit, à Turin, sa jonction avec le maréchal de Brissac ; tous deux allèrent mettre le siège devant Valence, qui se rendit sans coups de canon (20 janvier 1557). Milan était mal gardé ; et Brissac voulait l'enlever au passage ; mais François de Lorraine avait des ambitions plus hautes : au lieu de conquérir la Lombardie pour Henri II, il voulait prendre et garder pour lui-même la couronne de Naples, dont il se prétendait l'héritier légitime. Il chargea Brissac d'entretenir en Piémont[36] la guerre de sièges et de petites opérations où ce maréchal excellait, et lui-même, avec le gros de l'armée, traversa les territoires de Parme, de Plaisance et de Bologne, pour rejoindre, dans la marche d'Ancône, le duc de Ferrare, général de l'Eglise. Mais ni la cour de Rome ni les souverains italiens ne voulaient servir la fortune du conquérant lorrain. Guise, trouvant suspecte et incertaine la foi de ceux qui devaient l'assister dans l'entreprise de Naples[37], quitta son armée et courut à Rome pour se plaindre du duc de Ferrare. Le pape l'y retint tout le mois de mars, pendant que ses cardinaux négociaient secrètement avec Philippe II. Ensuite, au lieu de marcher directement sur Naples, où le duc d'Albe s'était retiré avec des forces très inférieures aux siennes, le général français, sur le conseil de traîtres vendus au roi d'Espagne, s'attarda six semaines dans les Abruzzes, aux sièges de Campli et de Civitella. Pendant ces six semaines, une flotte espagnole amena des renforts à Naples, les milices indigènes s'assemblèrent, et le duc d'Albe put s'avancer avec une grosse et puissante armée pour attaquer les Français devant Civitella[38]. Le maréchal de camp Gaspard de Tavannes et le vidame de Chartres défirent, aux environs de la place, un secours de 300 chevaux et de 500 soldats espagnols, que don Garcia de Tolède avait essayé d'y faire entrer ; puis le duc de Guise leva, le 15 mai, son camp de Civitella pour marcher au-devant du duc d'Albe. Mais celui-ci se déroba, espérant, selon la coutume, ruiner les Français par temporisation. Après avoir tenté tous les moyens possibles de l'attirer à la bataille, François de Lorraine, défaillant des choses nécessaires pour mener et conduire la guerre, fut contraint, pour ne pas perdre ses hommes, qui commençaient à devenir malades de la grande chaleur et de l'intempérie de l'air[39], de se retirer dans la campagne de Rome, et de répartir son armée dans les places fortes[40]. C'était le seul moyen d'éviter le sort de Lautrec et de tous les chefs français, qui avaient été avant lui dans l'Italie méridionale. Cette retraite causa au duc tant d'ennui et de déplaisir, qu'avec la saison fort fâcheuse, une fièvre le surprit qui mit sa vie en grand danger ; et de pareille maladie, tous les princes, seigneurs, gentilshommes et quasi soldats de son armée se sentirent et furent persécutés[41]. Pendant que ces évènements s'accomplissaient en Italie, Philippe II inaugurait son règne par une invasion de la France. Son lieutenant général, le duc Philibert Emmanuel, l'un des plus remarquables hommes de guerre de la vaillante maison de Savoie, vint assiéger Saint-Quentin avec 37.000 hommes d'infanterie, 13.500 cavaliers et 80 canons. Il gagna, le 10 août 1557, jour de Saint-Laurent, une victoire importante sur l'armée de secours, très inférieure en nombre, du vieux connétable de Montmorency[42]. Philippe II ne sut pas profiter d'un succès qui prenait le roi de France au dépourvu ; au lieu de marcher sur Paris, comme ses généraux le lui conseillaient, il s'attarda jusqu'au mois d'octobre à prendre Saint-Quentin et les petites places voisines. Le danger de la patrie rendit la santé au duc de Guise ; il s'embarqua à Civita-Vecchia avec 5 enseignes d'arquebusiers, et fit voile vers Marseille, pendant que Gaspari de Saulx-Tavannes reconduisait, à marches forcées, le reste de l'armée de Naples au secours du roi et de la France. Le maréchal de Brissac[43] resta en Piémont, et, avec une poignée de vieilles troupes[44], il sut faire respecter par les Espagnols les frontières de son gouvernement. Comme il n'avait à espérer ni renfort ni argent, il engagea sa fortune personnelle pour nourrir et habiller ses soldats, pleins de telle misère qu'ils auraient fait pitié à des pierres. La ferme attitude de l'armée de Piémont permit à Henri II de concentrer au nord et à l'est toutes les forces de la France. L'année 1558 fut plus heureuse pour nos armes : François de Guise trouva devant Calais et Thionville la revanche de Saint-Quentin. Au mois de mars 1559, une grande bataille publique paraissait imminente entre son armée et celle du duc de Savoie, lorsque le connétable de Montmorency, prisonnier de Philippe II, proposa la paix. PAIX DE CATEAU-CAMBRÉSIS (3 avril 1559). Elle fut conclue, le 3 avril 1559, au grand mécontentement des capitaines français, qui reprochèrent à Henri II d'avoir rendu d'un trait de plume i98 villes ou châteaux, oubliant le sang répandu, pour tirer de prison son vieux connétable, et pour marier deux filles de France1[45]. Le roi gardait Calais, mais il rendait Dunkerque ; il gardait Metz, Toul, Verdun, Saluces, il recouvrait Ham, le Catelet et Saint-Quentin, mais il rendait Thionville, il rendait la Savoie, la Bresse, le Montferrat, Sienne, la Corse et le Piémont, moins Pignerol et Savigliano[46]. C'était l'abandon de l'Italie et la fin des guerres mémorables que la France entretenait depuis 65 ans au delà des monts. Las ! dit Du Villars, nous quittions en un seul jour ce que nous pleurerons en plusieurs années. Quel fatal et particulier malheur que celui des Français, de savoir fort généreusement combattre et conquérir sans pouvoir rien garder ; de désirer toujours nouvelletés et remuement des armes pour incontinent s'en fatiguer et y renoncer ; d'être enfin les descendants de ces Gaulois, que César appelait : beneficiorum et injuriarum immemores ! Les descendants des Gaulois n'ont pas oublié cependant le sang versé par les Italiens sous les enseignes françaises, et, quand l'heure de l'indépendance a sonné au delà des Alpes, ils ont acquitté les droits de la guerre, en aidant cette Italie, qu'ils avaient tant aimée, à devenir libre et unie comme la France ! FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Carracciolo, prince de Melphi, eut le Dauphiné, la Bresse, la Savoie, le Piémont et les autres villes et lieux nouvellement conquis delà les monts ;
Robert de la Mark, seigneur de Sedan, la Bourgogne, la Champagne, la Brie et autres terres enclavées ;
Jacques d'Abon de Saint-André, le Lyonnais, le Forey, le Beaujolais, les Dombes, la Marche, le Combraille, l'Auvergne, le Bourbonnais, le Berry et le bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier. Lesquels maréchaux chevaucheront et visiteront lesdits pays toutes et quantes fois que besoin sera et que commodément faire le pourront (une fois par an au moins), pour taire ou faire faire en leur présence, par les commissaires ordinaires de nos guerres, les montres générales de notre gendarmerie, recevoir les doléances de nos sujets, faire observer les ordonnances et édits sur le fait de notre gendarmerie, assiette des garnisons, fournissement des vivres et munitions, punitions des vagabonds ou autres mauvais garçons trouvés en flagrant délit. (Ordonnance d'Anet, du 26 juin 1547.)
[2] A partir de 1549.
[3] Il est déjà question de régiments de lansquenets, en 1523, dans les mémoires de Martin du Bellay ; mais ce ne fut qu'à partir de Henri II, qu'on appliqua le mot régiment à la réunion de plusieurs bandes françaises sous le commandement temporaire d'un seul chef. Régiment signifiait, en 1552, régime, direction, commandement ; on disait par exemple : Les bandes de Picardie du régiment de M. de Châtillon, ou les chevau-légers du régiment du duc d'Aumale.
[4] Ordonnance du 29 avril 1547. Avant cette date, c'était un office temporaire ; à l'armée de Roussillon, en 1542, Charles de Cossé-Brissac avait été commissionné pour exercer la charge de capitaine et colonel général des gens de pied des vieilles bandes françaises de Piémont. En 1543, Jean de Taiz avait le même titre à l'armée d'Italie, et quand il fut appelé au camp de Boulogne, le 1er octobre 1544, pour y commander 120 enseignes françaises tant de çà que de là les monts, il prit le titre de colonel général de toutes les bandes françaises vieilles ou nouvelles. Les colonels généraux arborèrent l'enseigne blanche, privilège du commandement suprême, et confièrent la garde de cette enseigne à deux compagnies d'élite, nommées enseignes-colonelles.
[5] Les trois autres étaient : pour l'infanterie italienne, Pierre Strozzi, seigneur d'Épernay (maréchal de France en 1554) ; pour l'infanterie corse, San Petro di Bastelica ; pour les lansquenets, François de Clèves, duc de Nevers.
[6] Les premiers mestres de camp généraux (1545) furent : en Piémont, Guillaume de Villefranche, et en Picardie, Blaise de Montluc. Le mestre de camp, dit le général Susane dans son excellente Histoire de l'Infanterie française, transmettait aux capitaines de bandes les ordres du colonel général, dirigeait les marches, choisissait l'assiette du camp, y maintenait les règlements et le bon ordre, terminait les différends qui survenaient entre les capitaines, et, les jours de combat, désignait la place de bataille des divers bandes. L'action engagée, il secondait le colonel général, et prenait quelquefois, sous ses ordres, la direction d'un mouvement particulier.
[7] C'était le second du mestre de camp, l'officier supérieur spécialement chargé de la régularité des formations et du maintien de l'ordre de bataille ; la charge avait été créée en 1515.
[8] En temps de guerre, le ban et l'arrière-ban de la noblesse, organisés en compagnies de chevau-légers, étaient placés sous le commandement du colonel-général de la cavalerie légère.
[9] A dater du 12 novembre 1549, le capitaine d'une compagnie d'ordonnance toucha 1.200 livres, le lieutenant 800, l'enseigne et le guidon 600, l'homme d'armes 400, l'archer 200. L'homme d'armes devait avoir 2 chevaux de 4 pieds et demi et deux doigts de hauteur, poil à poil, et l'archer un courtaud de 4 pieds et demi.
[10] Ces pièces, avec leurs affûts, pesaient 8.000, 6.500, 4.400, 2.200, 1.340 et 800 livres ; la longueur du canon variait de 9 pieds 10 pouces à 6 pieds 4 pouces, et le diamètre de l'âme de 6 pouces et 2 lignes à 1 pouce et 1 ligne. L'affût se composait de deux flasques réunis par 4 entretoises de chêne, de deux roues avec essieu en bois et de deux limons ; le diamètre des roues avait de 5 pieds à 4 pieds 6 pouces. Le canon et la grande couleuvrine étaient munis de plusieurs cordages, qui servaient à les trainer sur le champ de bataille ; le principal, appelé combleau, de 15 toises de longueur et de 4 pouces et demi de grosseur, était enroulé autour de la bouche à feu. Les essieux des canons et couleuvrines étaient réglés uniformément à 6 pieds, pour que chaque pièce pût passer facilement, en campagne, à la suite des précédentes. On chargeait l'artillerie au moyen d'un chargeoir, d'un refouloir et d'un écouvillon, dont l'extrémité était couverte d'une peau de mouton avec sa laine. La portée variait de 400 à 1.000 pas, et, à grande volée, de 3.000 à 10.000 pas, sans qu'on sût d'ailleurs utiliser ces portées. (D'après le général Favé.)
[11] En juin 1548, un corps de 6.000 Français ou lansquenets, conduit par Montalembert d'Essé, débarqua en Ecosse pour défendre contre l'armée anglaise, victorieuse à Pinkencleugh, la reine douairière Marie de Lorraine, veuve de Jacques V. Leur fille, Marie Stuart, enfant de six ans, fiancée au dauphin François II (qui en avait cinq), fut conduite heureusement de Dunbarton à Brest par l'escadre de Durand de Villegagnon.
[12] Le roi fut reçu dans son camp avec un merveilleux tonnerre de l'artillerie et de l'escopetterie de 40 enseignes de gens de pied des nouvelles bandes et de 32 enseignes des vieilles, sans les légionnaires de Normandie, de Champagne et de Picardie qu'on comptait à 44 enseignes. (Carloix, livre II, ch. XXI.)
[13]
Le maréchal Carracciolo, prince de Melfi, nommé
lieutenant général en Piémont, y trouva les bandes de gens de pied fort
déréglées et ressemblant plus à des brigands qu'à des soldats, bien que ce
grand M. de Langey y eût passé et y eût mis quelque règle et police.
Un soldat ayant pris une poule
d'un vivandier, le maréchal la lui fit manger rôtie avec toute la plume. Un
autre, dont le barbet avait pris une volaille le long du chemin, aurait passé
par les piques, s'il n'avait pu prouver que son barbet s'était échappé des
mains du goujat qui le tenait en laisse.
Le brave capitaine Mazère,
rencontrant une bande d'oisons, leur demanda s'ils ne voulaient point souper
avec lui ; les oisons répondirent dans leur jargon : — Oui, oui, oui ! Alors
Mazère en prit deux pour son souper. Le maréchal, l'ayant appris, le fit
enfermer pour 15 jours au château de Turin, et l'y aurait laissé plus
longtemps, s'il n'avait pas été le premier à rire de la plaisanterie.
Un caporal, qui n'avait pas posé ses sentinelles comme il le devait, fut arquebusé tout armé. (Brantôme).
[14] Sa charge de maître et capitaine général de l'artillerie était passée, le 9 juillet 1550, à son lieutenant général, Jean marquis d'Estrées et baron de Cœuvres.
[15]
Il décida : Que ceux qui, en cas urgent et nécessaire,
auraient refusé de travailler aux approches de l'artillerie ou d'aider à la
tirer d'un mauvais pas, seraient cassés et bannis.
Que les capitaines, l'armée
marchant en campagne, donneraient ordre que chaque soldat enfilât en la corde
qu'il porte en écharpe autant de pain qu'il lui en fallait pour deux repas.
Qu'ils visiteraient chaque
semaine leurs compagnies pour reconnaître si les soldats étaient fournis de
tout ce qui est requis pour combattre à toute heure, et même si les
arquebusiers étaient garnis de poudre, plomb et corde à mèche pour la faction
d'un jour.
Que les capitaines
d'infanterie feraient toujours porter sur leur bagage 10 livres de poudre, un
gros trousseau de mèche et du plomb pour subvenir à une pressée nécessitée.
Qu'à toute montre, il serait
pris sur la solde du soldat un sol par écu, consigné entre les mains du mestre
de camp ou de l'auditeur général, pour être converti tant en un magasin d'armes
qu'en un hôpital ambulatoire pour secourir les malades et les blessés.
Qu'aux montres de la gendarmerie ou de la cavalerie, il serait pris, par quartier de solde, sur chaque homme d'armes, archer ou cheval léger, à proportion de sa paie, de quoi faire un fonds de 400 écus par compagnie, pour aider à remonter celui qui, hors sa faute, aurait perdu armes et cheval. Cette somme devait être remise aux mains du maréchal des logis. (Du Villars).
[16] Montluc et Bonnivet, avec 400 hommes d'armes, 1.200 chevau-légers et 10.000 gens de pied italiens et espagnols, s'établirent aux environs du camp ennemi, et le harcelèrent avec tant de courage et de persévérance qu'ils obligèrent Gonzague à lever le siège, le 22 janvier 1553.
[17] Nouvelle collection des mémoires relatifs à l'histoire de France par MM. Michaud, de l'Académie française, et Poujoulat. Paris, Didier, 1857. Les tomes de VI à X contiennent les mémoires de : François de Guise (1547-1561) ; Louis de Bourbon, prince de Condé (1559-1564) ; Antoine de Puget (1561 -1596) ; Blaise de Montluc (1521-1574) ; François de Rabutin (1551-1558) ; Gaspard et Guillaume de Saulx-Tavannes (1515-1593) ; Bertrand de Salignac (1552) ; Gaspard de Coligny (1557) ; de la Chastre (1556-1557) ; Guillaume de Rochechouard (1497-1558) ; Vieilleville, par Carloix (1527-1571) ; Jean de Mergey (1554-1589) ; Boyvin du Villars (1550-1569) ; Philippe de Chaverny (1553-1882). Il faut ajouter, pour faire une étude complète de cette époque, les deux volumes de Brantôme (édition J.-A.-C. Buchon. Paris. Panthéon littéraire. 1842).
[18] Le connétable, les ducs de Vendôme, de Nevers, d'Enghien, de Montpensier et de Guise, les princes de La Roche-sur-Yon et de Ferrare, l'amiral de Coligny et le maréchal de Saint-André. Il n'y avait guères alors de compagnies particulières d'arquebusiers à cheval, parce que le Roy avait fait, en 1552, une ordonnance pour que chaque capitaine de 100 hommes d'armes levât 50 arquebusiers, armés de corselets, morions, brassards ou manches de maille, avec la scopette ou arquebuse à mèche ou à rouet dans son fourreau de cuir bouilli. Ces arquebusiers, montés sur de bons courtaux, étaient divisés en deux bandes de 25 cavaliers, commandées chacune par un homme d'armes, élu parmi les plus expérimentés de la compagnie. Il y avait dans l'Ordonnance du Roy environ 1.500 arquebusiers à cheval. Chose bien inventée pour soutenir l'homme d'armes en lieu étroit et malaisé, et qui donnait grande grâce et parade à l'armée, parce que les arquebusiers à cheval étaient les premiers devant les compagnies, avec la diversité de leurs accoutrements. (Rabutin, liv. V.)
[19]
Philibert-Emmanuel, devenu duc de Savoie, en 1553, par la mort de son père
Charles III le Bon, était le cousin germain de François Ier et le neveu de
Charles-Quint. Charles le Bon, dit Brantôme, ayant perdu la plus grande partie de son Etat, se retira à
Nice, et son fils, M. le prince de Piémont, avec l'Empereur, qui lui fit un
très bon traitement, le tint en sa cour fort honorablement, l'éleva en lui
faisant voir les armes, et lui donna pour devise : Spoliatis arma supersunt
!
En son jeune âge, Philibert-Emmanuel, étant aux armées de l'Empereur, se plaisait fort parmi les soldats espagnols et était avec eux le plus souvent jusqu'à porter la harquebuse et le fourniement comme eux et aller aux escarmouches ; à quoi l'Empereur prenait tous les plaisirs du monde. Le prince de Piémont s'étant fait bien expert aux armes, son oncle en eut telle opinion qu'il lui donna à mener l'avant-garde avec le duc d'Albe en la guerre des protestants ; puis il le fit son lieutenant général aux guerres de Picardie.
[20] Les piquiers de l'infanterie impériale se mirent en un seul bataillon carré à l'intérieur du camp ; l'arquebuserie fut répartie sur les flancs et se disposa comme pour l'assaut d'une ville. Une partie de l'artillerie était sur des cavaliers en terre qui tiraient contre une colline placée de notre côté. (Rabutin.)
[21] Rabutin.
[22] Cartel d'échange des prisonniers de guerre du 16 août 1553.
Tous mestres de camp généraux
d'infanterie, cavalerie et artillerie, de quelque sorte et nation qu'ils
soient, ainsi que les colonels, maréchaux de camp, gouverneurs, mestres de camp
particuliers, commissaires généraux et particuliers tant de la guerre que de
l'artillerie, les maréchaux des logis et les fourriers, les capitaines de gens
de pied, les lieutenants, enseignes, sergents-majors, canonniers,
munitionnaires et chevaucheurs faits prisonniers de guerre, ne seront
contraints de payer pour la délivrance de leurs personnes que leur solde
guerrière d'un mois ;
Les capitaines, lieutenants,
enseignes, guidons et maréchaux des logis de gendarmerie ne paieront que l'état
et gage de leurs quartiers ;
Les hommes d'armes, archers,
chevau-légers, gens de pied, caporaux, sergents et fourriers, lorsqu'ils auront
été pris à la guerre et dévalisés, seront soudain relâchés sans payer aucune
taille ou composition ;
Les auditeurs, secrétaires ou
médecins des lieutenants généraux, les trésoriers, faiseurs de montres,
contrôleurs des guerres tant des réparations et munitions que des vivres, les
prévôts ou châtelains de forteresse, trouvés en campagne et pris, ne paieront
d'autre rançon que leur solde d'un mois.
Les gentilshommes volontaires, qui viennent à la guerre par honneur ou par plaisir, sans être stipendiés par leurs princes, seront sujets à rançon, selon l'honnêteté et courtoisie des lieutenants généraux, et ils seront crus sur parole au sujet de leur qualité. (Boyvin du Villars.)
[23] Notre camp était de 10 enseignes d'Allemands, 10 de Grisons, 14 de Français et 5 à 6.000 Italiens. (Montluc).
[24] A une lieue de Lucignano et à une demi-lieue de la vallée de la Chiana.
[25] Boyvin du Villars, livre V.
[26] Le guidon du comte de la Mirandole, qui avait fui le premier avec la cavalerie et fait fuir le reste par une trahison suscitée à force d'écus par le duc de Florence, fut pendu après la bataille ; d'où il résulte, à l'honneur de Strozzi, que ce furent l'or et la méchanceté des hommes, et non la vertu, qui lui dérobèrent la victoire. (Boyvin du Villars, livre V.)
[27] Strozzi avait voulu imiter le coup d'audace de François Ier, qui, après avoir ravitaillé Landrecies, assiégé par une armée bien supérieure à la sienne, avait opéré sa retraite en plein jour, le 1er novembre 1543, à la barbe de l'empereur, et gagné heureusement les bois de Guise.
[28] Montluc, fort malade depuis le commencement du siège, raconte qu'il reçut de son adversaire des témoignages d'intérêt et de courtoisie, prouvant que les traditions chevaleresques s'étaient conservées.
La veille de Noël,
dit-il, le marquis de Marignan m'envoya par un sien
trompette la moitié d'un cerf, 6 chapons, 6 perdrix, 6 flacons de vin excellent
et 6 pains blancs pour faire la fête le lendemain. Je ne trouvai pas étrange
cette courtoisie, car, à l'extrémité de ma grande maladie, le marquis avait
permis à mes médecins d'envoyer chercher à Florence certaines drogues ;
lui-même m'avait envoyé trois ou quatre fois des oiseaux très bons, (un peu
plus grands que les becfigues de Provence), et il avait laissé entrer dans
Sienne un mulet chargé de vin grec, envoyé de Rome par le cardinal d'Armagnac.
Toutes ces courtoisies sont très honnêtes et louables même aux plus grands ennemis, s'il n'y a rien de particulier entre eux ; le marquis servait son maître et moi le mien ; il m'attaquait pour son honneur et je soutenais le mien ; il voulait acquérir de la réputation et moi aussi ; c'est affaire aux Turcs et aux Sarrasins de refuser quelque courtoisie à leurs ennemis. Mais pourtant il ne faut pas qu'elle soit si grande qu'elle rompe ou recule votre dessein. (Livre III).
[29] Les femmes elles-mêmes travaillaient et veillaient aux remparts.
Je veux, dames siennoises,
dit Montluc, immortaliser votre nom tant que mon livre
vivra, car vous êtes dignes d'immortelles louanges si jamais femmes le furent !
Au commencement de la belle résolution que prit ce peuple de défendre sa
liberté, toutes les dames de Sienne se départirent en trois bandes ; toutes
avaient un accoutrement de nymphe, court et montrant le brodequin ; la première
bande, vêtue de violet, était conduite par la signora Forteguerra ; la seconde,
vêtue de satin incarnadin, par la signora Piccolomini ; la troisième, vêtue de
blanc, avec une enseigne blanche, par la signora Livia Fausta. Ces trois
escadrons étaient composés de 3.000 dames, gentil-femmes ou bourgeoises ; leurs
armes étaient des pics, des pelles, des hottes et des fascines. Elles firent
leur montre en cet équipage et allèrent commencer les fortifications.
J'avais fait une ordonnance, au temps que je fus créé dictateur, que nul, à peine d'être bien puni, ne faillit à la garde, à son tour : une jeune fille de pauvre lieu, quand vint le tour de garde de son frère qui ne pouvait y aller, prit son morion, ses chausses et un collet de buffle, puis, avec la hallebarde sur le col, elle s'en alla au corps de garde. Elle répondit au nom de son frère quand on lut le rôle, fit la sentinelle à son tour sans être reconnue, et fut ramenée à sa maison avec honneur ; l'après-dînée, le seigneur Cornélio me la montra.
[30] Montluc cite parmi les braves capitaines qui l'entouraient : Jean Galéas de San-Séverino, comte de Caiazzo, le seigneur Cornelio, le comte de Vico, Gaspard Pape, seigneur de Saint-Auban, Combercier, son neveu, Charry, Blacon, Bassompierre, commissaire de l'artillerie, La Molière et L'Espine, l'un contrôleur, l'autre trésorier des guerres, Bertrand d'Esparbès, seigneur de Lussan, Bcrnardino et Persio Buoninsegni, Hieronimo Spanotchi, Ambrosio Nuti, Bartolomeo Cavalcanti.
[31] L'infanterie de Piémont se composait, au 22 novembre 1554, de 17.500 hommes, sous 89 enseignes : 38 compagnies françaises de 270 hommes chacune (8.000), 12 enseignes de lansquenets (3.000), 12 enseignes de Suisses (3.000), 25 enseignes italiennes de 100 à 200 hommes (3.550) ; ce qui n'était compté que pour 16.000 combattants, pour divers déchets qu'il y a toujours. (Du Villars.)
[32] On a inventé le dragon, écrit Walhausen, parce qu'il y a plusieurs exploits militaires qui ne peuvent être accomplis par la cavalerie seule, et qu'il faut quelquefois que l'infanterie ou partie d'icelle monte à cheval avec les armes requises, pour seconder promptement et subitement la cavalerie. Les dragons se divisent en arquebusiers et en piquiers ; ils doivent avoir des chevaux sans valeur afin que leur perte soit sans importance ; et ne pas s'embarrasser de bottes ni d'éperons, qui les gêneraient pour combattre à pied. Dans ce cas, chaque dragon jette la bride de son cheval autour de l'encolure du cheval de son voisin, de manière que tous les chevaux restent joints file à file comme ils ont marché ; on laisse avec eux quelques hommes pour les garder. Les dragons peuvent être employés à toute entreprise, mais surtout quand il s'agit d'écheller ou de surprendre un fort, d'enfoncer la porte d'une ville ou de donner l'alarme aux quartiers ennemis. Les piquiers serviront à arrêter la cavalerie aux passages étroits, dans les bois et les défilés. En bataille rangée, la place des dragons sera à l'avant-garde pour charger brusquement l'ennemi en flanc ou en queue.
[33] Pour tirer, le cavalier saisit son arquebuse de la main droite, la monte, ôte le crochet, l'empoigne de la main gauche qui tient la bride, vise et donne feu. Le coup parti, il abandonne l'arquebuse de la main droite, la tourne le long de sa cuisse gauche, la recharge à l'aide du flasque, puis la relève pour mettre le pulvérin sur le bassinet. (Walhausen).
[34] Le 12 août, le duc d'Albe s'était présenté sur la Doria Baltea avec 25.000 hommes de pied, 4.000 chevaux, 40 canons, plusieurs petites pièces de campagne, 4.000 pionniers, une infinité de munitions et équipages de guerre, sans compter 7.000 hommes et 1.200 chevaux, envoyés en Piémont pour ravager le pays et empêcher le ravitaillement de Vulpiano. (Boyvin du Villars.)
[35] Brantôme.
[36] Le maréchal de Brissac prit Baldichieri en traitant, et Cherasco de vive force ; mais il fut repoussé à l'assaut de Coni. L'approche du marquis de Pescaire lui servit d'excuse honnête pour lever le siège et l'aller combattre ; mais il fut contraint de se retirer par les montagnes avec son infanterie, en débandant sa cavalerie dans Fossano, qui fut investi. (Mémoires de Gaspard de Saulx-Tavannes).
[37] Le pape avait promis des vivres, de l'artillerie, 8.000 hommes de pied et 800 chevau-légers. (Mémoires de Tavannes.)
[38] Carloix, Mémoires die Vieilleville.
[39] Mémoires de Tavannes.
[40] La quantité de places nouvellement fortifiées en Italie la fait croire de plus difficile conquête qu'elle n'était anciennement ; or les remparts ne gardent les villes, mais bien le cœur des aguerris. (Tavannes.)
[41] Manuscrit n° 9710 de la Bibliothèque nationale.
[42] D'après une relation espagnole, le roi d'Espagne dit au duc de Savoie qui s'agenouillait devant lui : — Ce serait à moi, mon cousin, de baiser vos mains victorieuses, après cette journée qui a coûté si peu de sang à l'Espagne ! Plus tard, en l'honneur de Saint-Laurent, il voulut que son palais de l'Escurial eut la forme d'un gril.
[43] M. de Brissac était sur le point d'exécuter de belles entreprises sur les places de l'état de Milan, voir sur Milan même, quand advint le désastre de la bataille de Saint-Quentin. (Brantôme.)
[44] Si M. le maréchal a fait de si belles choses en Piémont, il faut qu'il en remercie l'assistance des bons et grands capitaines qu'il avait avec lui autant que sa valeur et prudence. Un chef brave, vaillant et prudent peut beaucoup aux factions de guerre, et la fable nous montre une bande de cerfs conduite par un lion défaisant une troupe de lions conduite par un cerf ; mais M. de Brissac était un lion commandant à une armée de lions : MM. de Vassé, de Chavigny, de Terride, d'Aussun, de La Mothe-Gondrin, de Gourdon, de Montluc, Francisco Bernardino, de Salvoyson, de Gordes, de Bellegarde père et fils, de Renouard, comte de Gesne, de Briquemault, de Tende, l'albanais Bédene, les deux frères Soleillas, de Maugiron, de Gordes, d'Annebault, Montmorency-Damville, colonel de la cavalerie légère ; de Clermont, de Biron, de Ventadour ; Bonnivet et le Vidame de Chartres, colonels de l'infanterie française ; Furly, colonel des Suisses ; de Caillat, maître de l'artillerie ; les deux Birague ; les colonels Moreti, calabrais, Jean, de Turin, San-Pétro, corse ; les capitaines particuliers tant de chevau-légers que de gens de pied : Saint-André, les deux frères La Môle, les deux frères Richelieu, les deux frères l'Isle, les deux cousins Villemaigne, les deux cousins Taiz, de Gourdan, de Montinas, Pierre de Bourdeilles, Hautefort, Roquefeuilles, Aunous, les deux Rivières, Puitallier, Muns, Bruno, Estanges, Bacillion, Cobios, Lachasse, Monluc le jeune et le baron d'Espy, mestre de camp ; bref, une milliasse d'autres, que je n'aurais jamais achevé de compter, lesquels capitaines étaient suivis et accompagnés de si bons soldats, si braves et si vaillants, qu'on n'eut su lesquels en trier, tant la fleur du grain y était belle et nette ! (Brantôme.)
[45] Elisabeth de France, fille de Henri II, épousa le roi d'Espagne, et Marguerite de Valois, sa sœur, le duc de Savoie. Celui-ci recouvra en une heure, dit Brantôme, tous les biens et terres perdus depuis 30 ans. Il reçut force argent et bonnes pensions tant d'un côté que de l'autre, et même (chose inouïe !), deux compagnies de 100 hommes d'armes : l'une du roi de France, appointée et payée, dont M. de Montravel était lieutenant, et l'autre du roi d'Espagne, entretenue de même, l'une pour servir l'Espagne, l'autre pour servir la France.
[46]
Les flambeaux de cette paix fatale furent les torches
funèbres de Henri II. Il fut tué par imprudence dans un tournoi, le 10 juillet
1559, et sa mort, en brisant la main ferme qui maintenait tant d'ambitions
rivales, ouvrit pour 39 ans l'ère sanglante des querelles religieuses et de la
guerre civile.
Le traité de Cateau-Cambrésis marqua le terme des ambitions et des guerres conquérantes des rois de France au delà des Alpes ; politique peu judicieuse qui, depuis quatre règnes, avait compromis et usé les forces de la France dans des expéditions aventureuses, en dehors de sa situation géographique et de ses intérêts naturels et permanents. (GUIZOT, Histoire de France, chap. XXXI.)