LES FRANÇAIS EN ITALIE DE 1494 A 1559

 

CHAPITRE VII. — LES LEÇONS DE PAVIE.

 

 

SOMMAIRE.

Le troisième voyage de Naples. — Cavalerie de France. — Cavalerie impériale. — Légions provinciales. — Exercices et manœuvres de l'infanterie ; instruction du soldat, de la bande, de la légion. — Camp légionnaire. — Formations en bataille. — Artillerie. — L'année 1536 ; Charles-Quint en Provence. — La guerre en Piémont. — Cérisoles. — Paix de Crespy.

 

LE TROISIÈME VOYAGE DE NAPLES (1527).

 

La captivité de François Ier dura plus d'une année.

Le roi chevalier, livré dans sa prison de Madrid à l'inflexible politique de Charles-Quint, consentit, pour être libre, à signer le traité humiliant du 14 janvier 1526, qui abandonnait à l'Empereur l'Italie tout entière et une partie de la France[1].

Mais les notables des provinces sacrifiées protestèrent contre cet abandon ; le Parlement rompit le traité de Madrid, et la nation s'imposa de lourdes charges[2] pour recommencer la guerre et venger les défaillances de son roi.

La France, partagée depuis 1521 en quatre gouvernements militaires[3], pouvait faire face de tous côtés à l'invasion ; mais elle n'avait plus d'autre adversaire que Charles-Quint. Le traître Bourbon avait été arquebusé à l'assaut de Rome (6 mai 1527), au moment même où ses aventuriers lui taillaient en Italie le royaume qu'il n'avait pas su trouver en Provence ; le roi d'Angleterre, Henri VIII, était devenu notre allié, et l'Italie, terrifiée par le sac de la Ville éternelle ou lassée de l'insolence des garnisons espagnoles, appelait de nouveau les Français à son secours.

Au mois d'août 1527, le maréchal de Lautrec entra dans le Milanais avec 900 lances, 8.000 lansquenets conduits par Louis de Lorraine, comte de Vaudemont, 3.000 Suisses des vieilles bandes, formées par le marquis de Saluces et commandées par Claude de Savoie, comte de Tende, 4.000 Gascons levés par Pedro Navarro[4], et 3.000 hommes de pied français, dont le seigneur de Burie était colonel. Le capitaine gascon de Montdragon avait charge de 24 bouches à feu : 12 canons, 6 bâtardes et 6 moyennes.

Pendant que Lautrec s'emparait d'Alexandrie et de Pavie, sans oser attaquer Milan, défendu par Antonio de Leyva, la domination de François Ier était rétablie à Gênes par Théodore Trivulce et André Doria[5].

Comme en 1495, les Italiens acclamaient l'armée française et s'enrôlaient sous ses enseignes, toutes les villes ouvraient leurs portes ; l'expédition de Lautrec ressemblait à la marche triomphale de Charles VIII.

François Ier promit au maréchal des renforts et de l'argent, et lui ordonna de pousser jusqu'à Naples, où le vice-roi Hugues de Moncade et le marquis del Guasto n'avaient que 8.000 Espagnols à lui opposer.

Les bandes allemandes et wallonnes de Bourbon auraient pu entraver la marche de Lautrec ; mais elles étaient épuisées par leurs excès et décimées par la peste. Le nouveau chef qu'elles avaient choisi, le proscrit français, Philibert de Châlons, prince d'Orange, eut grand'peine à leur faire quitter Rome pour marcher au-devant des Français.

 

Ceux-ci, au lieu de pousser sur Naples une pointe rapide par la Romagne, la marche d'Ancône, les Abruzzes et la Pouille, et d'assaillir la ville par terre, pendant que le capitaine des galères françaises et génoises, Philippino Doria, l'attaquerait par mer, s'étaient avancés, à petites journées, le long de l'Adriatique[6]. Partis de Bologne le 2 février, ils étaient cantonnés, le 27, entre Lucera et Foggia, dans la Capitanate.

Le prince d'Orange vint barrer à Lautrec la route de Naples, en occupant la forte position qui domine, au nord, la petite ville de Troja.

Lautrec rassembla aussitôt toutes ses forces et établit son camp près de Troja, au pied de la montagne occupée par l'ennemi.

Ce logis ne se prit pas sans de belles et braves escarmouches, où chacun fit son devoir tant d'un côté que de l'autre.

Le lendemain, qui était le premier samedi de carême, l'armée de France marcha en ordre de bataille, toute prête à combattre, et gravit la montagne en laissant l'ennemi à main gauche, pour trouver moyen de l'attirer hors de son fort ; mais jamais les Impériaux ne voulurent déloger.

Alors notre armée tourna la tête vers l'ennemi ; l'avant-garde, la bataille et l'arrière-garde, précédées de l'artillerie, la bouche en avant, marchèrent tout d'un front, avec 200 pas d'intervalle entre les bataillons. Sur les ailes de chaque bataillon, il y avait une troupe de gendarmerie pour la soutenir ; à l'aile droite, les 150 hommes d'armes des compagnies Moriac et Pompérant, qui flanquaient les 3.000 Suisses du comte de Tende, engagèrent l'escarmouche avec la cavalerie légère du prince d'Orange.

Les Suisses baisèrent la terre comme de coutume, espérant combattre, et toute l'armée, d'une seule voix, cria :

Bataille ![7]

 

Une charge brillante de la gendarmerie de l'aile droite et de la noblesse volontaire[8] rejeta les chevau-légers impériaux dans le camp retranché de la hauteur ; mais le prince d'Orange ne jugea pas prudent d'en sortir, et Lautrec laissa passer cette occasion de l'y attaquer. Sous prétexte qu'il attendait pour livrer bataille les bandes noires de Toscane, il se contenta de prendre position sur la hauteur voisine, et les deux armées restèrent sept jours en présence, des deux côtés du vallon de Troja, fort éprouvées, l'une et l'autre, par le froid et par la tempête.

Le renfort attendu par Lautrec — 13 enseignes de vétérans italiens formés par Jean de Médicis[9] — arriva le vendredi 7 mars dans la nuit ; à cette nouvelle, le prince d'Orange mit toutes les clochettes de ses mulets dans des coffres et, sans sonner trompettes ni tambourins, il délogea prenant le chemin des bois droit à Naples.

 

Lautrec, au lieu de poursuivre les Impériaux, s'attarda à prendre Melfi[10] et Venosa, à faire occuper les villes ouvertes[11], et il ne parut devant Naples que le 1er mai, avec une armée découragée, encombrée de chariots, de malades et de bouches inutiles.

Pedro Navarro fit prévaloir dans le conseil des capitaines l'avis de réduire la place par la famine. Il traça, de l'est à l'ouest, de longues lignes de circonvallation, qui s'étendaient circulairement depuis le marais de la Madeleine[12] jusqu'aux rampes du mont Saint-Martin[13]. Deux puissantes redoutes flanquaient l'extrémité de ces lignes.

 

Le siège fut inauguré par une victoire navale. Hugues de Moncade et le marquis del Guasto, ayant voulu ouvrir le port de Naples aux convois attendus d'Espagne, firent monter sur leurs six galères et sur des barques de pêcheurs, un millier d'arquebusiers pour attaquer Philippino Doria dans le golfe de Salerne. Mais les marins génois et provençaux, renforcés par 400 arquebusiers gascons, reçurent bravement le choc et mirent la flottille napolitaine en déroute ; Moncade fut tué et le marquis resta le prisonnier de Doria[14].

Ce succès fermant le port de Naples, Pedro Navarro promit à Lautrec que la garnison, faute de vivres, se rendrait bientôt la corde au col. Mais une faute politique de François Ier jeta Gênes et sa marine dans le parti de l'Empereur, et les convois entrèrent dans Naples, pendant que la famine sévissait dans les lignes françaises. Les chaleurs transformèrent en foyers pestilentiels les marais malsains où l'armée de siège s'était établie ; la peste se déclara dans le camp, et Lautrec en fut une des premières victimes[15] (15 août 1527).

Des 25.000 piétons et des 800 hommes d'armes que le maréchal avait amenés devant Naples, il ne restait pas 4.000 combattants valides, lorsque le marquis Michel Antoine de Saluces prit le commandement de l'armée française.

Il fallut lever le siège ; Saluces se retira dans Aversa pour y attendre les secours que Renzo de Ceri et Carraciolo, prince de Melfi, devaient amener de Romagne ; mais il fut presque aussitôt attaqué par le prince d'Orange et réduit à capituler. Quelques braves Français ou Italiens réussirent à se faire jour à travers les Impériaux, et rejoignirent dans les Abruzzes Renzo de Ceri, qui tint bravement la campagne jusqu'à la paix.

 

Dans le Milanais, le comte de Saint-Pol, qui avait conduit au delà des Alpes les renforts amèrement implorés par Lautrec, avait été battu le 21 juin et fait prisonnier par Antonio de Leyva, à quelques lieues de Milan.

 

C'était le quatrième désastre que les Français essuyaient en Italie depuis l'avènement de François Ier.

 

Cependant Charles-Quint, menacé en Allemagne par les progrès de la réforme religieuse, et en Autriche par l'invasion musulmane[16], consentit à signer avec François Ier la paix de Cambrai[17] (5 août 1529), qui lui livrait l'Italie[18].

Ce fut une trêve de 6 années, pendant laquelle les deux rivaux se préparèrent à recommencer la lutte en perfectionnant, dans leurs Etats, l'armement et les institutions militaires.

 

CAVALERIE DE FRANCE (1534).

 

La chevalerie était morte à Pavie et à Naples ; c'en était fait de l'élan individuel, des brillants coups de lance et de la charge en haie sur un rang.

Cependant le Roi chevalier, par ordonnance du 1er février 1534, conserva les compagnies de gendarmerie, en fixant le maximum de leur effectif à 100 hommes d'armes[19] et 150 archers. L'excédent des archers d'ordonnance fut incorporé dans les compagnies de chevau-légers[20].

 

Depuis Louis XII, ces compagnies s'étaient recrutées, peu à peu, de tous les gentilshommes qui aimaient mieux servir comme officiers dans la cavalerie légère que comme soldats dans la gendarmerie.

Montés sur de bons courtauds et revêtus d'une demi-armure de fer, les chevau-légers maniaient l'épée, la masse d'armes et un fort et raide épieu. Quelques uns portaient déjà à l'arçon de leur selle la petite escopette à rouet[21] nommée pistole, diablerie récemment adoptée par la cavalerie italienne.

L'emploi de cette diablerie allait bientôt faire supprimer la lance et modifier complètement l'équipement et la tactique de la cavalerie européenne.

 

Des compagnies d'estradiots et d'arquebusiers à cheval devaient faire les reconnaissances, servir d'éclaireurs et de flanqueurs. Au besoin, ces cavaliers mettaient pied à terre et s'aidaient de la zagaie ou de l'arquebuse pour engager l'escarmouche.

 

Le capitaine le plus instruit de cette grande époque guerrière, messire Guillaume du Bellay, seigneur de Langey[22], nous apprend, dans son livre très précieux sur la Discipline militaire, où en était l'instruction de la cavalerie en 1534.

Exercices des gens de cheval. — Les arquebusiers doivent s'adonner à l'arquebuse ; s'étudier à tirer sûrement et droit, de toutes mains[23] ou en arrière, même quand leurs chevaux courent, et aussi à descendre soudainement pour garder un pas, comme feraient les arquebusiers à pied. Voilà nos premiers dragons.

 

Les estradiots doivent savoir se servir de la zagaie à toutes mains, en frappant d'abord d'une pointe et ensuite de l'autre.

Les chevau-légers s'adonneront, comme les hommes d'armes, à bien mener et manier un cheval, à bien courir une lance, à s'aider de l'épée ou de la masse, quand il en sera temps.

 

Les hommes d'armes[24] s'exerceront à monter à cheval, armés de toutes pièces, la lance au poing, à descendre à droite ou à gauche sans étrier et sans aide. A ces fins, ils pourront avoir quelque cheval de bois, sur lequel ils s'exerceront au moins une heure par jour, pour être prompts à descendre ou à remonter au premier signe des capitaines.

Les arquebusiers, les estradiots, et même les chevau-légers, s'exerceront à passer, à cheval et tout armés, les plus grosses rivières à la nage, à gravir les montagnes les plus raides et les plus difficiles, et à les descendre au trot.

Quant aux hommes d'armes, ils ne feront guère jamais cet office, mais ils tiendront ferme, ainsi qu'un fort, pour résister à tout venant et pour fracasser et rompre les assaillants. L'escarmouche appartient aux chevau-légers et non pas aux gens d'armes ; et encore les chevau-légers doivent-ils être toujours accompagnés d'estradiots et d'arquebusiers à cheval[25].

 

Les possesseurs de fiefs du ban et de l'arrière-ban furent astreints à des revues annuelles[26], et formèrent la réserve de cavalerie.

 

CAVALERIE IMPÉRIALE (1534).

 

A la même époque, la formation par escadre ou escadron devint réglementaire dans la cavalerie impériale, où les traditions de la gendarmerie de Bourgogne avaient été fidèlement entretenues par Maximilien et par Charles-Quint. L'escadron était un carré parfait ; pour marcher en bataille devant l'ennemi, on en détachait quelques chambres en avant et sur les flancs.

 

Charles-Quint avait dans son vaste empire plusieurs espèces de cavalerie, qui empruntaient a leurs origines les armes et les méthodes les plus diverses. Tandis que les Hongrois combattaient glorieusement, sur le Danube, l'invasion musulmane avec l'arc, la hache ou le large sabre de leurs ancêtres Daces ou Madgyares, les chevau-légers espagnols avaient adopté l'arquebuse, et les reîtres allemands le pistolet à rouet.

L'Empereur, qui avait l'esprit d'organisation. de son aïeul Charles le Téméraire, s'appliqua à donner une même tactique à toute sa cavalerie. Il ordonna que les escadrons seraient formés sur 17 rangs et sur 17 files[27] ; que les hommes d'armes, la lance à la main, formeraient la haie sur le front et sur les flancs de l'escadron, les chevau-légers et les arquebusiers restant derrière les hommes d'armes.

Pour reconnaître l'ennemi et engager l'escarmouche, une partie des arquebusiers à cheval, mêlée à des gens de pied, devait se déployer et combattre en enfants perdus, comme le marquis de Pescaire l'avait enseigné à Pavie[28]. Derrière ce rideau de tirailleurs l'armée prenait sa formation de combat ; puis, au moment de l'action décisive, cavaliers et piétons démasquaient brusquement le front de bataille, pour venir se rallier en arrière de la première ligne.

 

LÉGIONS PROVINCIALES (1534).

 

Mieux vaut, dit le Rosier des guerres, apprendre aux siens l'usage des armes que de solder des étrangers pour vous servir[29].

L'abandon des Suisses à Pavie avait cruellement prouvé à François Ier la vérité de cette maxime de Louis XI. Il comprit que les mercenaires suisses, italiens ou allemands, qui ne se battaient que pour la solde sans être soutenus par le sentiment de la Patrie, ne devaient être qu'un appoint dans une armée française, et il réorganisa, en changeant son nom, la milice des francs-archers, que Madame de Beaujeu avait rétablie en 1484[30] pour le service des garnisons[31].

Un édit du 24 juillet 1534 créa 7 légions provinciales[32] : le roi de la Renaissance voulait essayer de l'organisation militaire des Romains.

La nouvelle légion avait un effectif de 6.000 fantassins, armés et équipés aux frais de l'Etat ; 1.200 étaient arquebusiers, les autres étaient piquiers ou hallebardiers[33].

La légion était divisée en bandes de 1.000 hommes, commandées chacune par un capitaine ; elle avait pour chef l'un de ces capitaines, désigné par le roi et qui prenait le titre de colonel[34]. Le colonel était assisté d'un mestre de camp, chef d'état-major, d'un sergent-major, instructeur général de la légion, et d'un prévôt, conservateur de la discipline[35].

Le colonel nommait à tous les grades et emplois de la légion ; les cadres de la bande comprenaient, en dehors du capitaine, six chefs ou membres : deux lieutenants, dirigeant 500 hommes chacun, et quatre porte-enseignes ;

Quatorze officiers[36] (optiones) : dix centeniers ou caporaux, commandant 100 hommes chacun, et quatre fourriers chargés des vivres et des logements ;

Quarante caps d'escadre, chefs de 25 hommes ;

Quatre tambourins et deux fifres.

Six sergents instructeurs, pris dans les bandes de Picardie ou de Piémont, devaient ranger les légionnaires, faire serrer les rangs, et rester en serre-files, la pertuisane à la main, pour assurer l'ordre dans les manœuvres.

Le légionnaire qui se distinguait avait droit à un anneau d'or, et pouvait parvenir, par degrés, jusqu'au grade de lieutenant ; ce grade conférait la noblesse

 

Un an après cette formation, le roi se rendit successivement à Rouen, à Amiens et à Reims, pour passer en revue les légions de Normandie, de Picardie et de Champagne.

A entendre les nouveaux légionnaires, tous étaient impatients de partir en guerre ; les 6.000 Picards chantaient à la montre d'Amiens, le 20 juin 1535 :

Ne déplaise aux Normands ni à leur compagnie,

Si on donne l'honneur à ceux de Picardie :

Ce sont des gens de mise ayant barbe au menton,

Dont la plus grant partie ont tous passé les monts.

Nous servirons le Roy, comme promis avons,

En toutes ses affaires jamais ne lui fauldrons ![37]

 

Les Normands répondirent par ce rondeau martial :

De par le Roy, sont faits légionnaires

Six mil Normands, tous ses pensionnaires,

Pour le servir quand il aura besoin ;

Tous bons suppôts, ayant cure et grand soin

De lui ayder en tous ses gros affaires :

Capitaines[38], coullonnel, commissaires,

Prêts de choquer contre les adversaires,

S'ils sont requis aller soit près ou loin,

De par le Roy !

Picards et Normands promettaient un peu plus qu'ils ne devaient tenir.

 

François Ier conserva les bandes de routiers de Piémont ou de Picardie, en leur donnant le titre de vieilles bandes[39] ; de sorte que l'institution nouvelle eut au moins l'avantage de stimuler l'amour-propre de ces aventuriers aguerris, qui refusaient de tenir ni réputer pour gens de guerre les légionnaires sortis du labourage pour s'affranchir des tailles, en servant le Roy quatre ou cinq mois seulement[40].

 

EXERCICES ET MANŒUVRES DE L'INFANTERIE (1535).

 

D'après le Miroir des armes du capitaine Chantereau[41], les piquiers et les hallebardiers se formaient en carrés massifs de 4.500 hommes ; les flancs de ces carrés étaient protégés par deux colonnes profondes d'arquebusiers. Cent arquebusiers, répartis en cinq escadres, étaient envoyés en avant pour soutenir l'escarmouche ; une des escadres[42] restait en arrière des quatre autres, sans tirer, pour les remplacer au besoin.

Cette formation, qu'on appela jusqu'au règne de Louis XIII carré d'hommes ou carré de terrain selon que les rangs ou les files étaient plus ou moins serrés ou espacés, fut un fâcheux retour à la phalange macédonienne ; le canon y fit des brèches profondes, et les batailles devinrent plus meurtrières que jamais.

 

Pour rendre la légion provinciale manœuvrière, Du Bellay-Langey voulait qu'on la divisât en douze bandes de 519 combattants chacune, dont dix formeraient le corps du bataillon, et deux feraient le service d'enfants perdus2[43].

Voici le règlement qu'il imposa à l'infanterie française dans son gouvernement de Piémont :

1° — Instruction du soldat.

Le principal dans une armée est d'endurcir les soldats à la fatigue, de leur apprendre à bien manier leurs armes, à conserver leur ordonnance pour marcher ou pour combattre ; à établir le camp d'une ou de plusieurs légions. On exercera les gens de guerre le plus souvent possible, même les dimanches et fêtes ; à cet effet, les centeniers, caps d'escadre et chefs de chambre seront diligents à se réunir, eux et leurs hommes, le plus qu'ils pourront.

Les centeniers feront courir les légionnaires pour qu'ils soient lestes dans les assauts ; ils leur apprendront à lancer la pierre, le dard, la barre de fer, et à lutter pour devenir forts ; sans ces qualités, un soldat ne vaut rien. Il faut l'habituer aux pesants fardeaux, pour que, dans une entreprise imprévue, il puisse porter ses vivres de plusieurs jours sans s'embarrasser de vivandiers, et pour qu'il puisse charrier du bois, de la terre et les autres matériaux de la fortification. Il faut lui apprendre à nager, pour qu'il ne soit pas arrêté par une rivière, quand il n'y a pas de pont ni de quoi le construire.

Avant tout, chaque chef doit exercer ses gens au jeu de l'épée ; ensuite il apprendra aux piquiers, aux hallebardiers ou aux arquebusiers le maniement et l'usage de leurs armes particulières.

Dans les exercices, les légionnaires porteront le harnois de guerre au complet[44], afin d'être habitués à son poids quand il faudra faire long chemin ou demeurer longuement sous les armes.

De plus, tous devront savoir se ranger en simple ordonnance, connaître les commandements des capitaines et des sergents de bande, afin de leur obéir promptement, comprendre le son des trompettes[45], les batteries des tambourins et leurs signifiances. De même que les forçats de galères entendent ce qu'il faut faire par le seul sifflet du comite[46], le soldat doit être prompt et avisé à obéir à la batterie des tambourins, pour marcher en avant, s'arrêter, reculer, tourner le visage à droite ou à gauche.

Les soldats garderont facilement leur ordonnance, s'ils règlent leur pas sur le tambourin ; car, de tout temps, les batteries des tambourins ont donné vraies cadence et mesure pour accélérer ou retarder l'allure des gens de guerre. Les colonels veilleront à ce que tous les tambourins aient les mêmes batteries pour sonner aux champs, l'alarme, la criée de se mettre en bataille, pour avancer, reculer, faire face à droite ou à gauche, et battre en retraite ; enfin, pour tous les mouvements que la voix d'un chef ne peut transmettre aussi bien que le son de plusieurs tambourins.

2° — Instruction de la bande.

Il y aura réunion des centaines une fois par mois, des escadres tous les dimanches, et des chambres à chaque fête ; la bande se réunira tous les trois mois, et la légion deux fois par an[47].

Une bande sera réputée instruite, quand elle saura bien tenir sa place dans toutes les manœuvres, en marchant lentement ou avec diligence ; quand elle obéira promptement aux sonneries, aux signaux des enseignes*[48] et aux cris par lesquels on commande dans une bataille.

La simple ordonnance de l'infanterie, en Piémont, consiste à former chacune des 10 bandes (de 510 hommes chacune), ordonnées pour le corps du bataillon, sur 102 rangs de 5 files, puis à doubler les rangs sur 10 ou 20 files, et à les dédoubler en marchant, soit lentement soit en hâte. Pour que les hommes s'assurent mieux, on leur fera faire limasson[49], en leur recommandant de se bien tenir les uns derrière les autres.

On dressera chaque bande à prendre sa place dans le corps de la légion. Les piquiers des flancs et les arquebusiers sortiront de l'ordonnance et se mettront sur le côté ; le reste se formera sur 20 rangs de 21 files : les piquiers en avant et en arrière, les hallebardiers au milieu, sur quatre rangs.

Quant aux bandes de 1.000 hommes des légions de France, on les rangera sur 24 rangs de 25 files chacun ; les hallebardiers seront aux 9e, 12e, 13e et 16e rangs.

Le capitaine se tiendra à la tête de l'ordonnance, le lieutenant à la queue ; le sergent n'aura pas de place fixe, à moins que le capitaine ne lui en baille une : il devra toujours trotter çà et là dans les rangs, pour faire tenir bon ordre et pour transmettre les ordres du capitaine. Le conservateur de la discipline restera aussi hors rang, pour prendre garde à ceux qui faillent, et les punir ensuite selon les statuts du capitaine. Les tambourins se tiendront prêts à battre leur caisse selon le cri des trompettes du colonel, qui règleront toutes les sonneries.

 

Si on dresse l'armée en bataille parce qu'on voit l'ennemi, ou bien parce que, sans le voir, on se doute de son approche, chaque bande devra marcher sûrement et être prête à combattre. Les chefs diront à leurs soldats ce qu'il faut faire, si l'on est pris au dépourvu d'un côté ou d'un autre.

 

On simulera des actions de guerre pour montrer aux hommes comment s'engage une bataille ; comment un bataillon aborde un bataillon ennemi ;en quel lieu on doit se retirer quand on est repoussé, et par quelle troupe on doit être remplacé ; à quels signes, à quelles sonneries, à quels cris on doit obéir, et ce qu'il faut faire en entendant les cris et les sonneries ou en voyant les signes.

Ces batailles et assauts simulés feront désirer aux soldats les vrais combats ; surtout lorsqu'ils verront que les bataillons sont échelonnés de manière à se secourir mutuellement.

3° — Instruction de la légion.

Au jour fixé pour la réunion de la légion, les capitaines conduiront leurs soldats au lieu de rassemblement. Pour qu'il y ait moins de bagage[50], ils retrancheront le plus qu'ils pourront de leur attirail. Les caporaux, caps d'escadre et chefs de chambre ne seront jamais à cheval, et encore moins les légionnaires. Le capitaine et ses membres, à moins qu'ils soient malades, n'y monteront que le plus tard possible ; car, puisqu'ils ont entrepris l'état de gens de pied, il est nécessaire qu'ils le fassent entièrement.

Après avoir pourvu au bagage, les capitaines se rendront directement avec leurs gens, au son des tambourins, et non à la file comme gens défaits, vers le lieu où la montre générale doit se faire ; et cela dans le meilleur ordre, sentant leurs bons soldats et gens de bien. Ils logeront leur camp hors des villes, en un lieu où il n'y aura que la seule terre pour tout couvert.

 

A l'exemple des Romains, il faut mêler à la légion quelque cavalerie, et faire venir cette cavalerie à la montre générale pour l'exercer avec la légion ; de cette façon, cavaliers et piétons apprendront ensemble le métier des armes.

La cavalerie légionnaire se composera de deux bandes de 319 chevaux, comprenant chacune 100 hommes d'armes, 100 chevau-légers, 50 estradiots ou guetteurs et 50 arquebusiers. La bande sera commandée par un capitaine, ayant sous sa charge un lieutenant, un porte-enseigne, un guidon, un maréchal des logis, deux fourriers et quelques trompettes.

 

Les hommes d'armes suivront l'enseigne ; les chevau-légers, les estradiots et les arquebusiers suivront le guidon ; le maréchal des logis répartira les quartiers, et les fourriers marqueront les logis.

 

L'ordre de marche de la bande de cavalerie sera le suivant :

1°, les avant-coureurs ; quelques décuries[51] d'arquebusiers et d'estradiots, soutenues par autant de décuries de chevau-légers, découvriront le chemin que le capitaine aura délibéré de suivre ;

2°, le bagage ;

3°, le reste des arquebusiers et des estradiots ;

4°, le reste des chevau-légers ;

5°, les hommes d'armes.

On marchera de front, par décuries entières, à moins que la route ne soit trop étroite.

 

CAMP LÉGIONNAIRE (1535).

 

A quelque distance du lieu de réunion, le maréchal des logis et les fourriers iront reconnaître l'emplacement du camp, qu'ils établiront avec le mestre de camp[52] de la légion.

Le camp sera un grand carré de 660 pas de côté, faisant face au levant, et partagé en quatre carrés partiels de 240 pas par deux rues en croix de 60 pas de largeur. Au centre, on dressera le logis du colonel[53]. L'infanterie et la cavalerie occuperont chacune deux carrés opposés.

Chaque quartier d'infanterie contiendra six bandes, occupant chacune un rectangle de 35 pas de largeur. Le rectangle sera divisé en sept places, à intervalle de 5 pas : la première sera pour le capitaine et les membres ; les autres pour les six centaines de la bande. La tente du caporal et de ses quatre chefs d'escadre sera au milieu de la place, entourée par les tentes des huit chambres ; il y aura une ruelle de six pas entre chaque rectangle. Les fourriers traceront ces emplacements avec des cordes, sans creuser fossés ni autre chose. On fera bien d'entourer le quartier d'une petite tranchée, comme si l'ennemi était proche.

 

Chaque quartier de cavalerie sera occupé par une bande et divisé en quatre petits carrés, de 100 pas de côté, par deux rues en croix de 40 pas chacune ; le capitaine logera au milieu avec le maréchal des logis, les fourriers et les trompettes.

Les hommes d'armes occuperont deux des petits carrés opposés, et la cavalerie légère les deux autres ; les chevau-légers au levant, les estradiots et les arquebusiers à l'occident. Les petits carrés seront partagés en cinq rectangles[54], logeant chacun une décurie d'hommes d'armes ou deux décuries de cavaliers légers.

Le lieutenant et l'enseigne logeront avec les hommes d'armes, le guidon avec les chevau-légers, et les deux conducteurs avec leurs estradiots et leurs arquebusiers.

Les valets creuseront autour des quartiers une petite tranchée, qui permettra à la cavalerie de reposer plus sûrement et qui empêchera les larrons de dérober les chevaux, comme cela arrive si souvent, quand les gens de pied logent près des gens de cheval.

Entre les quartiers et le grand fossé du camp, on ménagera des espaces de 60 pas de largeur, destinés au rassemblement des bandes pour les inspections, les prises d'armes et les exercices.

La rue du milieu (Nord-Sud) sera réservée aux marchands, artisans et vivandiers qui suivent la légion.

Le camp n'aura qu'une porte au levant ; mais, à chaque extrémité, on construira un ravelin pour la défense du fossé.

Le camp d'une armée de quatre légions sera établi d'après la même méthode ; ce sera un grand carré divisé en carrés partiels d'une légion chacun[55].

Le service de sûreté sera assuré par l'établissement du guet de nuit[56], qui se gardera des surprises aussi soigneusement qu'en temps de guerre.

Au point du jour, on fera la découverte des lieux qui avoisinent le camp, comme si on se doutait de quelque embûche.

 

FORMATIONS EN BATAILLE (1535).

 

Pour la formation en bataille de sa légion mixte, Du Bellay-Langey mélange les façons des phalanges grecques, des légions romaines et des gens de guerre modernes.

Le bataillon est une phalange, composée de dix bandes d'infanterie placées, à distance de 25 pas, sur trois lignes, qui correspondent aux hastaires, aux princes et aux triaires de la légion romaine.

Les arquebusiers et les piquiers ou hallebardiers, chargés de la défense des flancs, sont mis à part ; il reste dans chaque bande du bataillon 20 rangs de 21 files — 16 rangs de piquiers, au centre desquels 4 rangs de hallebardiers gardent l'enseigne.

La première ligne est formée de cinq bandes ; les hommes y disposant de deux pas dans tous les sens, chaque bande est un rectangle de 42 pas de largeur et de 60 de profondeur.

La deuxième ligne n'a que trois bandes ; les hommes y occupent un espace double.

Dans les deux bandes de la troisième ligne, les soldats prennent un espace triple. Par ce, toutes les bandes ensemble tiennent 230 pas de large et 320 pas, depuis le premier rang du bataillon jusqu'au dernier.

Deux files de piquiers d'élite sont disposées à droite et à gauche, à cinq pas du bataillon, pour armer ses flancs.

Deux files d'arquebusiers sont placées parallèlement à ces piquiers.

Les deux bandes d'enfants perdus se composent de seize rangs d'arquebusiers et de quatre rangs de piquiers sur 16 files ; l'enseigne est au 18e rang, au milieu des piquiers.

Les deux bandes de cavalerie sont échelonnées sur les flancs de l'infanterie.

A côté des enfants perdus, les 100 hommes d'armes, sur 10 de front, sont couverts extérieurement par les 100 chevau-légers dans le même ordre, tellement que tous ensemble font un front de 20 cavaliers. Le capitaine est en avant des hommes d'armes, le lieutenant, en avant des chevau-légers.

Les estradiots et les arquebusiers à cheval sont formés en avant et à 25 pas de distance de l'escadron de cavalerie lourde.

Le colonel se tient, à son gré, au coin droit ou gauche du bataillon. Il a avec lui le sergent-major, une escadre d'escorte et quelques hommes élus[57], sachant exécuter sagement une commission d'importance. Son trompette et son tambourin-major sont toujours prêts à faire entendre sa volonté.

L'artillerie doit être mise sur le front ; à moins que la configuration du terrain ne soit telle qu'on puisse la placer sur les flancs ou ailleurs, en un lieu sûr où l'ennemi ne l'approchera pas facilement[58].

Le bagage sera établi en un lieu fort par nature ou par art, sous la garde des valets d'armée, qu'on devra choisir de telle sorte qu'ils puissent, au besoin, servir de soldats.

Quand la formation en bataille sera prise, le colonel donnera successivement le signal de la marche, du trot, du combat. Il exercera la première ligne (hastaires) à se retirer dans les rangs de la seconde (princes), et les deux premières lignes ainsi confondues à se rallier à la troisième (triaires) ; le tout, sans se mettre en désordre et sans se rompre ; les piquiers des flancs se retireront en même temps que les bandes qu'ils couvrent, et doubleront les files qui restent.

 

Pour faire converser le bataillon à droite ou à gauche, le coin droit ou gauche s'arrêtera, et les bandes qui les joignent s'avanceront assez lentement pour que celles du coin opposé ne soient pas forcées de courir ; autrement tout se confondrait.

 

Les enfants perdus, piquiers ou arquebusiers, commenceront l'escarmouche, en se mêlant à la gendarmerie. Leur office sera de combattre sans tenir ferme, et de courir çà et là, soit qu'ils chassent les ennemis, soit qu'ils en soient chassés[59]. Leurs piquiers serviront beaucoup, car ils soutiendront les arquebusiers et pourront montrer visage aux gens à cheval ou à pied ; ils auront à poursuivre les fuyards, et à forcer l'ennemi, quand ils le verront chanceler.

Si le colonel fait sonner la retraite, chaque enseigne recueillera ses gens et se remettra en simple ordonnance pour rentrer au camp.

 

Les règles données pour la formation en bataille de la légion s'appliquaient à une armée[60]. On formait trois bataillons d'infanterie, représentant l'avant-garde, la bataille et l'arrière-garde ; la cavalerie aux ailes, l'artillerie[61] sur le front, le bagage en lieu sûr.

Les lansquenets de Charles-Quint avaient à peu près l'armement et les formations que nous venons de décrire. L'infanterie espagnole[62], organisée en tercios[63] de 3.000 soldados, répartis en trois bandes de quatre compagnies chacune, était, pour les armées impériales, une réserve d'élite qui, pendant plus d'un siècle, surpassa par sa bravoure et par sa discipline toutes les infanteries de l'Europe.

 

ARTILLERIE (1535).

 

Quand le roi entend faire mettre en campagne quelque bande d'artillerie, il est besoin que le maître de l'artillerie et son lieutenant général ou l'un des commissaires[64] sachent son intention, afin que, sur ce, ils puissent dresser leur équipage, tant des pièces que de leur suite[65] ; qu'ils fassent dépêcher lettres adressantes aux capitaines des chevaux du charroi de l'artillerie, et dresser des commissions pour lever les pionniers, lesquels devront être gens de bras et de peine, ayant feu et lieu.

Partie des pionniers se doit bailler aux canonniers pour servir autour des pièces[66], les ramener quand elles ont tiré, les recharger ou aider à les braquer, et aussi, pour faire vues et fenêtres avec leurs cognées, sarpes et gouzards, s'il y a des haies, buissons et autres obstacles[67].

 

Pour une armée de 30.000 hommes, l'équipage de siège ou de campagne était, en 153S, de 30 bouches à feu, comprenant 10 canons, 4 grandes couleuvrines, 8 bâtardes et 8 moyennes, sans compter les faucons, fauconneaux et arquebuses à croc.

L'équipage était commandé par un lieutenant, délégué du grand maître, et par 4 commissaires ordinaires, ayant sous leurs ordres, outre les officiers comptables et de justice, 94 canonniers, 6 charpentiers, 4 charrons, 4 forgerons, 4 déchargeurs et 1.500 pionniers.

Le train d'artillerie se composait d'un capitaine du charroi, de 4 conducteurs ordinaires, de 7 capitaines de chevaux, de 325 charretiers et de 1.300 chevaux, menant, outre les affûts, 200 chariots ou charrettes.

Cet appel des pionniers et cette réquisition des chevaux avaient, on le voit, une certaine analogie avec la mobilisation actuelle.

 

Depuis Charles VIII la garde de l'artillerie était un privilège des Suisses ; à leur défaut, on la confiait aux lansquenets ou aux vieilles bandes françaises.

La compagnie des mineurs, créée par Pedro Navarro, était spécialement employée aux travaux de l'attaque et de la défense des places ; mais des ingénieurs, attachés aux bandes d'infanterie, concouraient pour l'avancement avec les officiers de ces bandes.

Dans les sièges, des capitaines généraux de tranchée dirigeaient les ingénieurs et leurs sapeurs.

 

Charles-Quint avait pris ou acheté dans les villes de son empire, toute l'artillerie de siège et de campagne qui pouvait suivre ses armées. Il avait ainsi plus de 50 modèles différents, depuis le mortier qui lançait une pierre de 0,m50 de diamètre, et le gros canon qui avait un boulet de 124 livres[68], jusqu'au fauconneau chargé par la culasse, tirant une plombée de trois onces.

Plusieurs ateliers d'armes portatives rivalisaient déjà, en Allemagne, avec les manufactures de Venise et de Milan. Les musées de Dresde, de Munich et d'Insprück ont conservé des modèles fort curieux d'escopettes à trois canons, et de brise-épées, ressemblant à certains modèles qui sont encore en usage.

 

L'ANNÉE 1536.

 

La lutte entre Charles-Quint et François Ier recommença en 1536.

Pendant que l'Empereur enlevait Tunis au roi des pirates, Khaïr-ed-Dyn-Barberousse, le roi de France se déclarait le protecteur des princes luthériens d'Allemagne, empruntait un million au Sultan Soliman II le Magnifique[69], et gagnait le pape Clément VII par le mariage de son fils Henri d'Orléans avec Catherine de Médicis.

Grâce à ces alliances disparates, François Ier se crut assez fort pour prendre la revanche de Pavie. Il réclama le duché de Milan, devenu vacant par la mort de François Sforza (24 octobre 1535), et, comme héritier de Louise de Savoie, il fit occuper la Bresse, la Savoie et le Piémont.

 

L'Empereur répondit à ce défi en préparant une quadruple invasion de la France, et en déclarant hautement, qu'il ferait de François Ier le plus pauvre gentilhomme de son royaume.

Le 8 mai 1536, Antonio de Leyva, assisté du marquis del Guasto, du duc d'Albe et de Fernand de Gonzague, passa la Sésia, avec 40.000 chevaux et 40.000 hommes d'infanterie. Le Piémont, moins Turin, lui fut livré par la trahison du marquis François de Saluces, lieutenant général du roi de France au delà des Alpes.

Charles-Quint vint prendre, en personne, le commandement de son avant-garde, et entra en Provence, le 25 juillet, par Nice et Saint-Laurent, pendant que le comte de Nassau envahissait la Picardie, que 12.000 lansquenets se réunissaient sur le Rhin, et qu'un corps espagnol s'apprêtait à ravager le Languedoc. L'amiral André Doria devait amener par mer l'artillerie de siège, les convois de vivres, et bloquer le port de Marseille.

 

Charles-Quint en Provence.

Le grand maître de France, Anne de Montmorency, fut chargé de tenir tête à l'Empereur, pendant que les ducs de Vendôme et de Guise défendraient leurs gouvernements de Picardie et de Champagne.

Montmorency sacrifia la Provence au salut du royaume. Il fit accepter au conseil du roi un plan de défense passive, qui consistait à refuser toute bataille ; à ne hasarder d'escarmouches, que si le succès eh était assuré à l'avance ; à ne mettre garnison que dans les deux places les plus importantes, Marseille et Arles ; à établir des camps permanents dans de fortes positions, bien remparées, puis à affamer le pays par des ravages systématiques.

Hautain, sévère, impitoyable, ayant autant d'orgueil et de confiance en lui que de dédain pour les autres, Montmorency exécuta ce plan difficile avec une résolution inexorable. Il s'établit devant Avignon, au confluent du Rhône et de la Durance, retrancha son camp de manière à le rendre inexpugnable[70], et y accumula les vivres et les munitions

François Ier amena de Lyon une seconde armée, qui vint camper sous les murs de Valence. Marseille et Arles reçurent des garnisons d'élite ; les autres places furent démantelées. Les Provençaux en état de porter les armes reçurent l'ordre de rejoindre l'armée ; les autres durent se réfugier dans les montagnes, avec les femmes, les enfants et les troupeaux. Tous les vivres qu'on ne put pas emporter furent détruits ; les moulins et les fours furent brûlés, les puits comblés.

C'était une dévastation méthodique et complète.

 

L'Empereur n'eut pas plutôt pénétré dans ce désert, qu'il comprit qu'il s'était trop hâté en distribuant à l'avance aux courtisans ses conquêtes françaises. Il comptait vivre sur le pays, et n'avait pas amené d'approvisionnements ; mais la flotte de Doria, qui aurait pu ravitailler l'armée impériale, était bien loin encore des côtes de Provence, et les Français étaient insaisissables.

Il assiégea Marseille et Arles, dans l'espoir que Montmorency et François Ier quitteraient leurs camps retranchés d'Avignon et de Valence, pour venir au secours des villes investies ; il n'en fut rien, et les garnisons firent une résistance si énergique, que l'Empereur fut obligé de lever les deux sièges (14 septembre).

Il voulut alors remonter le Rhône jusqu'à Avignon ; mais Montmorency permit à la vaillante noblesse, qu'irritait cette tactique de temporisation, d'aller faire l'escarmouche contre les Impériaux ; et aussitôt une nuée de partisans coupa leurs colonnes, enleva leurs convois, et détruisit les détachements isolés.

Deux mois après son entrée en Provence, l'Empereur dut s'en retourner, laissant dans son prétendu royaume d'Arles plus de la moitié de son armée[71], détruite par la famine et par les maladies.

Si Montmorency avait pris vigoureusement l'offensive, la revanche de Pavie était assurée, et l'orgueilleux Empereur aurait vu s'effondrer dans les plaines de la Crau la formidable puissance de la maison d'Autriche. Mais l'opiniâtreté du nouveau Fabius n'était pas du génie ; au lieu de monter à cheval il déclara sentencieusement : Qu'il fallait faire un pont d'or à l'envahisseur qui se retirait, et qu'il valait mieux laisser fuir le lion que d'affronter son désespoir.

Cependant la retraite, harcelée par les chevau-légers français et par les paysans provençaux, qui avaient à cœur de venger sur l'ennemi tous les maux dont il était cause, devint, jusqu'à Fréjus, une déroute plus désastreuse encore que celle de 1524[72].

L'Empereur alla s'embarquer à Gênes, pour ne pas affronter les railleries des princes italiens, qu'il avait quittés en triomphateur. Le marquis del Guasto, chargé de répartir les débris des troupes impériales dans les garnisons du Milanais, laissa les Français, restés maîtres de Turin, réoccuper les places les. plus importantes du Piémont.

 

L'armée impériale des Pays-Bas, qui devait conquérir la Picardie, avait été arrêtée devant Péronne[73], bravement défendue par le maréchal de Fleuranges.

La noblesse de l'arrière-ban ayant pris les armes, le courage et l'activité du duc Claude de Guise avaient improvisé la résistance sur les frontières de Champagne, pendant que le cardinal Du Bellay, lieutenant du roi dans sa capitale, organisait la défense de Paris[74].

Le comte de Nassau dut reprendre le chemin des Pays-Bas, le jour même où Charles-Quint levait le siège d'Aix ; l'armée allemande du Rhin s'était dissoute sans agir, et les paysans du Languedoc avaient rivalisé de patriotisme avec les Provençaux, pour tenir tête aux incursions des garnisons espagnoles du Roussi lion.

Sur mer, les vaillants corsaires des côtes normandes avaient fait la chasse aux galions du Pérou et pris à l'Empereur plus de 200.000 écus d'or.

 

L'année 1536 se terminait glorieusement pour nos armes ; le prisonnier de Pavie était redevenu le roi de Marignan.

Malheureusement François Ier, fatigué par l'abus des plaisirs et assombri par sa mauvaise santé, ne sut pas profiter de ce retour de fortune pour renoncer aux aventures, imposer à ses voisins une paix durable, et réparer dans son royaume les maux de la guerre ou de l'invasion. Il implora de nouveau l'alliance de Soliman, dont les janissaires[75] rivalisaient de bravoure et de discipline avec l'infanterie espagnole, et il s'aliéna ainsi ceux des princes allemands que le despotisme et l'intolérance de Charles-Quint auraient pu jeter dans les bras de la France.

 

LA GUERRE EN PIÉMONT (1542-1545).

 

Les dix dernières années du règne de François Ier appartiennent aux lettres, aux arts, aux intrigues politiques ou aux persécutions religieuses, plutôt qu'à l'art militaire[76].

Néanmoins, la tactique française fit, pendant cette période, des progrès importants, grâce à des capitaines habiles comme Guillaume de Langey, Guignes de Boutières, Pierre Strozzi, Martin du Bellay, Ludovic de Birague, Blaise de Montluc et tant d'autres, qui, sans argent, presque sans soldats, maintinrent bravement en Piémont les enseignes françaises. Aussi raconterons-nous en détail la victoire de Cérisoles, gagnée par l'armée d'Italie, et qui résume tous les progrès tactiques accomplis pendant ce long règne militaire.

 

François de Bourbon, comte d'Enghien[77], lieutenant général de François Ier en Italie, assiégeait Carignan, avec une armée de 14.000 hommes, lorsque le marquis del Guasto vint lui offrir la bataille.

 

D'après le plan d'invasion, convenu entre l'Empereur et le roi d'Angleterre, le marquis avait à s'emparer de la vallée d'Aoste, pour marcher sur Lyon par la Savoie et la Bresse, pendant que Charles-Quint envahirait la Champagne, et Henri VIII la Picardie. Les trois armées devaient ensuite se réunir sous les murs de Paris.

 

L'élite de l'infanterie française était en Piémont, et il ne restait, sur les frontières menacées, que gens nouveaux et légionnaires[78]. Le conseil du roi voulait rappeler le comte d'Enghien, ou au moins lui défendre de livrer bataille ; mais le capitaine Montluc, au nom de l'armée d'Italie, vint supplier François 1er de consentir à cette bataille[79] ; il entraîna le conseil par son éloquence martiale, fit partager au roi son ardeur et obtint congé de combattre.

 

Cérisoles (11 avril 1544).

La rencontre eut lieu, le lundi de Pâques, dans la plaine ondulée et marécageuse, située entre Cérisoles et Sommariva.

L'armée française, ordonnée en trois corps, avant-garde, bataille et arrière-garde, se déploya face au sud-est, parallèlement à la grand'route de Pignerol à Alexandrie ; elle couvrait le pont des Sablons, sur le Pô, que le marquis del Guasto voulait franchir pour pénétrer dans le pays de Saluces.

L'avant-garde, sous le seigneur de Boutières, se composait de 80 hommes d'armes, de 640 chevau-légers[80], de 4.800 hommes de pied des vieilles bandes françaises[81] et des 4.000 Suisses de M. de Saint-Julien ; elle avait 8 pièces de campagne, conduites par M. de Gaillac.

La bataille comprenait le reste de la gendarmerie de France[82] et 150 chevau-légers. Sous la cornette[83] du comte d'Enghien, se groupaient une centaine de volontaires des meilleures familles du royaume[84] ; ils avaient passé les Alpes pour servir le roi de leur épée et de leur argent, et ce fut un grand secours, car la solde était en retard, et les Suisses ne consentaient à se battre qu'à la condition d'avoir été payés.

A l'arrière-garde, le seigneur de Dampierre disposait de tous les archers à cheval des compagnies d'ordonnance, de 3.000 hommes de pied du comté de Gruyères, de 3.000 Italiens et de 8 canons.

800 arquebusiers avaient été donnés à Montluc pour faire le service d'enfants perdus.

Martin du Bellay, gouverneur de Turin, était chargé d'aller de la bataille à l'avant-garde ou à l'arrière-garde, afin de faire marcher nos gens selon que l'ennemi se gouvernerait[85].

 

L'armée impériale venait de Sommariva en trois gros bataillons de gens de pied, ayant chacun leur aile de cavalerie.

Le premier bataillon, commandé par le prince de Salerne et composé de 7.000 piétons italiens, flanqués par 700 lanciers florentins, se heurta, dès 7 heures du matin, aux enfants perdus de Montluc, sur un coteau boisé qui couvrait l'aile droite de l'armée française.

Le marquis del Guasto ordonna au prince de Salerne d'arrêter sa marche, et fit engager l'escarmouche par l'arquebuserie espagnole, pour donner au reste de ses troupes le temps d'entrer en ligne.

Le corps italien devint son aile gauche ; au centre, il mit 10.000 lansquenets, dirigés par Alisprand de Madruce, et, à l'aile droite, sous Raymon de Cardona, 6.000 vieux soldats espagnols ou allemands, qui avaient fait ensemble les expéditions de Tunis et d'Alger.

Les chevau-légers espagnols, allemands ou napolitains flanquaient l'infanterie.

Le marquis concentra toute son artillerie dans l'intervalle qui séparait les lansquenets des vétérans de l'aile droite ; 20 pièces de canons furent placées au-dessus de la route, en un lieu si avantageux que nos gens ne pouvaient marcher à elles, sans être tirés de haut en bas.

L'artillerie de l'arrière-garde française fut contrainte de déloger ; son commissaire, M. de Mailly, alla renforcer la batterie de l'avant-garde, au sommet du coteau boisé de l'aile droite.

L'escarmouche, entretenue par 4 ou 5.000 arquebusiers, tant d'un côté que de l'autre, dura l'espace de 4 ou 5 heures, pendant lesquelles Italiens et Espagnols tâchèrent de venir gagner le flanc de nos batailles, comme ils avaient fait à Pavie. Mais l'habileté de Montluc, la ferme attitude des bandes françaises, et une charge heureuse du comte d'Enghien déjouèrent les plans du marquis del Guasto.

Il y avait sur le coteau une maisonnette, en arrière de laquelle Montluc avait disposé en échiquier — avec 200 pas d'intervalle entre elles —, trois troupes d'enfants perdus, précédées par des tirailleurs[86].

Les arquebusiers espagnols, soutenus par les lanciers de Florence, enlevèrent la maisonnette après quatre heures de combat[87] ; mais un renfort de 85 salades, tous lanciers, permit à Montluc de reprendre ce poste et de rejeter, par un brusque retour offensif, arquebusiers et florentins sur l'infanterie du prince de Salerne, qui était demeurée immobile pendant cette longue escarmouche.

Il était près de midi ; le marquis del Guasto, voyant ses arquebusiers reculer, dirigea une violente canonnade contre la position française, et donna le signal d'une attaque générale sur toute la ligne de son armée.

Les 10.000 lansquenets devaient assaillir les Suisses, qui n'étaient que 4.000, pendant que les vétérans de Ramon de Cardona achèveraient la déroute des Gruyens[88] de M. de Dampierre, lesquels, étonnés avant d'avoir combattu, se fussent enfuis sans coup férir, si le comte d'Enghien ne s'était tenu à leurs côtés avec la gendarmerie et la noblesse volontaire[89].

 

Les corselets (piquiers et hallebardiers) des bandes françaises supportaient eux-mêmes avec inquiétude le feu bien dirigé des batteries impériales, auxquelles M. de Mailly répondait de son mieux du tertre de la maisonnette.

Menez-nous au combat, Monsieur ! criaient les capitaines gascons à M. de Taiz, leur colonel. Mieux vaut mourir main à main, que d'être tué à coup d'artillerie !

 

M. de Taiz, entraîné par ses soldats, marcha^ piques baissées, contre le bataillon italien, toujours immobile ; il était déjà à un quart de mille en avant des Suisses, lorsqu'il fut arrêté par Montluc, qui avait vu les lansquenets franchir le chemin pour les attaquer.

Je priai, dit Montluc, les corselets de mettre tous le genou à terre et leurs piques bas, car je voyais les Suisses derrière, couchés tout de leur long, et qui ne paraissaient pas. De là, je m'encourus à l'arquebuserie, et je dis aux capitaines Brueil et Gasquet, qui la commandaient, de se retirer peu à peu vers l'artillerie, afin de faire place aux piquiers ; puis je retournai à notre bataille française.

Les Allemands marchaient droit à nous. Je mis pied à terre, car j'avais laissé un mien laquais devant le bataillon avec ma pique.

M. de Taiz et tous ses capitaines me criaient :

Remontez à cheval, capitaine Montluc, remontez, et vous nous conduirez au combat !

Je leur répondis que si j'avais à mourir ce jour-là, je ne pouvais mourir en plus honorable lieu qu'avec eux, la pique au poing !

Je criai au capitaine La Burte, sergent-major[90], qu'il courût autour du bataillon, quand nous nous enferrerions, et qu'il criât, lui et les sergents, derrière et par les côtés :

Poussez ! soldats, poussez ! afin de nous avancer les uns les autres !

Les Allemands venaient à nous à grands pas et trot ; mais leur bataille était si nombreuse que tous ne pouvaient suivre ; nous y voyions de grandes ouvertures, et beaucoup d'enseignes restaient bien en arrière.

Tout à coup nous nous enferrâmes avec les lansquenets, et tous ceux des premiers rangs, soit du choc ou des coups, furent portés par terre.

Je pensai être le plus fin capitaine de la troupe, parce que j'avais inventé de mettre un rang d'arquebusiers entre mon premier et mon second rang de piquiers, pour tuer les capitaines ennemis[91]. Mais, comme moi, les lansquenets en avaient mis, et les leurs, de même que les nôtres, ne tirèrent qu'à longueur de pique. Là se fit une grande tuerie : il n'y avait coup qui ne portât.

Le second et le troisième rang furent cause de notre gain, car les derniers rangs les poussaient en avant[92], et, à mesure que notre bataillon avançait, les ennemis se renversaient.

Les Suisses se levèrent enfin et, furieux comme sangliers, ils donnèrent par un flanc des lansquenets, tandis que M. de Boutières attaquait l'autre flanc avec ses 80 hommes d'armes[93], et que M. de Thermes, à la tête des chevau-légers, renversait les lanciers florentins, qui voulaient nous prendre à revers[94].

Au même moment, à l'extrême gauche, M. de Dampierre, rompait, avec les archers d'ordonnance, les chevau-légers napolitains, qui faisaient épaule aux vétérans espagnols.

L'infanterie italienne[95] en voyant sa cavalerie dispersée et les lansquenets en déroute, commença à descendre le vallon et à gagner les taillis ; le prince de Salerne la rallia à grand'peine, et se mit en retraite vers Carignan.

Le marquis del Guasto suivait, avec 700 chevaux, le mouvement des lansquenets. Leur échec lui fit perdre la tête ; il tourna bride et galopa jusqu'à Asti.

A une heure, l'avant-garde française était victorieuse.

 

Cependant, les 5.000 piquiers ou arquebusiers d'élite de Ramon de Cardona avaient tourné le marais qui les séparait de notre arrière-garde, pour attaquer les gens de pied Gruyens et Italiens.

Chemin faisant, ils passèrent devant le comte d'Enghien, qui les chargea furieusement par deux fois, avec la gendarmerie et la noblesse volontaire, traversant leur bataillon d'un coin à l'autre, et ne laissant pas une enseigne debout. La charge passée, les vétérans se rallièrent, serrèrent les rangs et se ruèrent sur le bataillon des Gruyens.

Tous les capitaines ou lieutenants de ce bataillon se firent tuer au premier rang, mais leurs hommes tournèrent le dos, avant d'avoir donné un seul coup de pique.

Alors, le comte d'Enghien, qui n'avait plus cent chevaux pour soutenir le choc des Espagnols victorieux, crut la bataille perdue ; au lieu de fuir comme le marquis del Guasto, il voulait charger une troisième fois, le bataillon ennemi, pour y mourir l'épée à la main, lorsque Saint-Julien, le colonel des Suisses, vint lui apprendre le succès de l'avant-garde.

Au même moment, Ramon de Cardona, instruit de l'échec des lansquenets et de la fuite du prince de Salerne, faisait sonner la retraite.

Toute la cavalerie française, éparse sur le champ de bataille, se rallia pour charger ces braves Espagnols, qui firent tête, jusqu'à la dernière charge de poudre de leurs arquebusiers.

L'arrivée de trois compagnies italiennes d'arquebusiers à cheval, accourus de Raconigi[96], au bruit du canon, les décidèrent enfin à jeter leurs armes et à demander merci.

Les Impériaux laissaient dans la plaine de Cérisoles 12.000 morts, 3.000 prisonniers, 14 canons, leur équipage de pont et l'important convoi qui devait ravitailler Carignan. C'était une grande victoire gagnée par un général de 24 ans, et, plus heureux que Gaston de Foix, le comte d'Enghien avait triomphé de la redoutable infanterie espagnole, sans périr sous ses coups.

La gendarmerie avait renouvelé les exploits de Marignan, et l'infanterie française, victorieuse des lansquenets, inaugurait la longue période de progrès qui devait aboutir, cent ans plus tard, au triomphe définitif de Rocroy.

 

PAIX DE CRESPY (18 septembre 1544).

 

La journée de Cérisoles n'eut pas de résultats en Italie, mais elle termina glorieusement le règne militaire du roi chevalier.

François Ier, menacé jusque dans Paris par l'invasion, put appeler sur la frontière les troupes victorieuses et disputer encore à l'Empereur cette couronne que Dieu, disait-il, lui avait fait payer si chèrement !

 

L'héroïque résistance des villes de Champagne et l'activité du duc Claude de Guise triomphèrent de la haine de Charles-Quint, qui, abandonné, sans vivres et sans argent, par son allié le roi d'Angleterre, au milieu de nos provinces dévastées, fut trop heureux de signer une paix avantageuse pour lui[97].

Le traité de Crespy[98] (18 septembre 1544) mit fin à la sanglante rivalité de François Ier et de Charles-Quint ; tous deux étaient lassés, aucun n'était vaincu[99].

La France en sortait meurtrie, mais glorieuse et respectée, et, quand le Roi des gentilshommes mourut à Rambouillet, le 31 mars 1547, il sembla, à la douleur de son peuple, qu'on avait oublié ses fautes et ses revers pour ne songer qu'à Marignan et à Cérisoles !

 

 

 



[1] La Bourgogne, la Flandre, l'Artois, le Tournaisis.

[2] Une assemblée générale des notables, composée de l'élite du clergé et de la noblesse, des délégués de tous les parlements du royaume et du corps de ville de Paris, offrit solennellement au roi, le 12 décembre 1526, le corps et les biens de tous ses sujets.

[3] Champagne, Picardie, Guyenne et Milanais.

[4] Pour faire le service d'infanterie de marine :

Le comte Pétre de Navarre

Du roi a la commission

De mener sur la mer grant guerre

Et amasser des compaignons.

Le tour qu'il nous fit n'est pas bon,

Car nous sommes très-mal nourris ;

Pour l'amour du Roy l'endurons,

Puisque foy lui avons promis !

(Leroux de Lincy, Chants historiques français.)

[5] André Doria, que les Génois ont appelé le Père de la patrie, était un condottière de la mer qui servit, tour à tour, le pape, le roi de Naples, François Ier et Charles-Quint. Tant qu'il servit la France, dit Brantôme, le roi était maître de la mer aussi bien que l'Empereur le fut après lui ; voire mieux, car, qui n'est seigneur de Gênes et maître de la mer, ne peut guère bien dormir en Italie. Si l'on n'eût mécontenté ce grand capitaine, les belles conquêtes et victoires qu'il a faites et gagnées pour l'Empereur eussent été pour nous ; mais nous ne savons pas gagner les hommes, ni les entretenir quand nous les avons.

[6] Par Rimini, Sinigaglia, Ancône, Recanati, où ils firent séjour, Pescara, Lanciano et Vasto, auquel lieu il fit telle tempête que, encore que les soldats fussent frais et reposés, il en mourut plus de 300, tant de pied que de cheval, par la tourmente et les froidures. (Martin du Bellay, livre III.)

[7] Martin du Bellay.

[8] A ladite charge se trouvèrent les hommes d'armes du seigneur de Tournon, ainsi que la jeunesse française qui faisait le voyage pour son plaisir, telle que Bonnivet, Jarnac, Chastaigneraye, Cornillon, le baron de Conty et autres jusqu'au nombre de 30 ou 40. (Martin du Bellay.)

[9] Jean de Médicis, blessé mortellement d'une arquebusade devant Pavie en 1525, avait laissé un corps d'élite de 3.000 hommes de pied et de 3 guidons de gens de cheval. Son successeur, le capitaine toscan Horace Baglione, en porta l'effectif à 4.000, lesquels, pour le deuil du seigneur Jean, portaient les enseignes noires, et eux-mêmes étaient vêtus de noir ; aussi les appelait-on les bandes noires. (Montluc, chap. III.)

[10] Pedro, Navarro assiégea Melfi, le 22 avril, avec ses Gascons, les bandes noires et deux canons. La brèche ouverte, Gascons et Toscans se précipitèrent à l'assaut en rivalisant de furie, sans que les officiers pussent les retenir ; mais, longtemps exposés au feu de la place qui les prenait en flanc, ils furent repoussés avec de grandes pertes. Le soir même, un second assaut fut donné sans succès. La nuit suivante, Lautrec envoya un renfort d'artillerie, et l'on établit deux fortes batteries. Alors les nombreux paysans qui étaient dans la ville se soulevèrent contre les 600 hommes de la garnison ; à la faveur du désordre, les assiégeants pénétrèrent dans la ville, et massacrèrent indistinctement bourgeois et paysans.

Carraciolo, prince de Melfi, se retira dans le château avec ce qui lui restait de soldats ; mais il fut bientôt forcé de se rendre. Lui seul eut la vie sauve ; toute la garnison fut passée au fil de l'épée, et la ville fut mise au pillage. Les vivres qu'on trouva dans Melfi furent une grande ressource pour les Français, car leur peu de précaution les avait exposés à en manquer, même dans la Pouille où ils sont en abondance. (Guicciardini, livre XVIII ; chap. XXXII.)

L'Empereur refusa de payer la rançon du prince de Melfi, qui entra au service de François Ier, devint maréchal de France, capitaine de 100 hommes d'armes et lieutenant général en Piémont.

[11] Capoue, Mola, Acerra, Aversa et toutes les villes des environs, jusqu'à Pouzzoles, se rendirent à Lautrec, qui demeura sept jours à l'abbaye d'Acerra, à sept milles de Naples. Il avait été obligé de marcher à petites journées pour attendre les convois, retardés par la difficulté des chemins et par l'inondation des campagnes. Il lui fallait beaucoup de vivres, car il y avait, disait-on, dans son armée plus de 20.000 chevaux et de 80.000 rationnaires, dont les deux tiers, suivant la corruption qui s'est introduite de nos jours dans la milice, étaient inutiles. (Guicciardini, livre XVIII, chap. XXXIV.)

[12] La Madeleine est une grande église sur le bord de la mer, à 100 ou 200 pas de la porte de Naples. (Montluc, chap. III.)

[13] Au sommet duquel s'élevait Castel San Elmo.

[14] De cette victoire vint notre ruine : Philippino ayant envoyé les prisonniers à Gênes, à son oncle l'amiral André Doria, et le roi les voulant avoir, le sieur André ne les voulut pas rendre ; le marquis du Guast, homme fin et rusé s'il en fut jamais et qui fut un grand guerrier, sut si bien ébranler l'esprit mal content d'André Doria, qu'enfin celui-ci tourna sa robe et se rendit à l'empereur avec 12 galères. André Doria fut cause de beaucoup de pertes qui advinrent au roi, et même de la perte du royaume de Naples, de Gênes et autres malheurs. Il semblait que la mer redoutât cet homme ; voilà pourquoi il ne fallait pas, sans grande occasion, l'irriter ou le mécontenter. (Montluc, chap. III.)

[15] Et pareillement y moururent le comte de Vaudemont, le prince de Navarre (oncle d'Henri IV), les deux Tournon, les seigneurs de Nègre-Pélisse, de Laval en Dauphiné, de Gruffy, de Moriac, de Montdragon, capitaine de l'artillerie, du Croq, de la Chateigneraye, Charles de Foix, comte de Candale, Pompérant, Luppé, Cornillon, La Grutture, Maunoury, Jarnac, Louis de Bonnivet, les barons de Grammont, de Conty et de Busançais, le comte Hugues de Pepolo, le comte Wolf et une infinité d'autres, dont les cimetières et champs de là sont encore bossus. (Brantôme.)

Pedro Navarro fut fait prisonnier et étranglé dans son cachot par ordre de l'Empereur.

[16] Le sultan Soliman assiégea Vienne le 13 septembre 1529 ; mais une diversion d'André Doria en Grèce le força à lever le siège.

[17] On l'appela la Paix des Dames parce qu'elle fut négociée par Louise de Savoie, mère de François Ier, et par Marguerite d'Autriche, tante de Charles-Quint.

[18] Charles-Quint, débarqué à Gênes le 12 août 1529, reçut l'hommage du duc de Milan, François Sforza, traita avec les Vénitiens, et, après avoir mis à sac la noble cité de Florence qui avait osé lui fermer ses portes, il reçut à Bologne la couronne impériale des mains du pape Clément VII.

Nous avons vu dans la galerie des Uffizi, à Florence, une très ancienne gravure sur bois, de 9 mètres de longueur sur 0m,30 de hauteur, représentant l'entrée de Charles-Quint à Bologne le 5 novembre 1529. Ce document précise l'armement, la composition et l'ordre de marche des troupes impériales en 1529 :

6 chevaliers, armés de toutes pièces et montés sur des chevaux non bardés, ouvrent la marche ; ils ont à la main des lances ornées de longues banderoles ;

Viennent ensuite : 4 trompettes à cheval (leurs instruments ont la forme d'un S), 3 porte-étendards et 300 hommes d'armes ;

3 lieutenants de l'Empereur suivis de 6 écuyers ;

2 gros canons de siège, montés sur de lourds affûts à 4 roues ; le canonnier, son boute-feu à la main, est assis sur l'affût ;

100 pionniers (guastadori), nu-tête et sans armes, avec la pelle ou la pioche sur l'épaule ;

3 capitaines allemands à cheval, coiffés de riches toquets ornés de plumes, et le bâton de commandement sur la cuisse ;

10 pièces de campagne (2 basilics, 4 demi-basilics et 4 faucons) ;

100 pionniers tenant à la main une branche de laurier ;

Les arquebusiers allemands, sans armes défensives ; leur arquebuse, à crosse droite et à serpentin, a un canon de 0m,50 environ, dont la bouche est évasée ; longue épée avec la garde en croisière ;

Antonio de Leyva, goutteux, est porté dans une chaise par 4 soldats et escorté par des piquiers (piques de 6 mètres environ) et des hallebardiers ;

Les 3.000 lansquenets de la garnison de Milan (piquiers ou hallebardiers) sont précédés de tambourins, de fifres et de porte-enseignes ; (ces piquiers ont la salade, le halecret et les cuissards) ;

Deux cavaliers, armés de toutes pièces, portent : l'un, la grande bannière impériale avec l'aigle à deux têtes, l'autre, une bannière sur laquelle est peinte une croix latine ; trois chevaliers les escortent, la lance à la main ; sous le fer des lances, une houppe au lieu de banderole ;

400 hommes d'armes espagnols sans lances ; la plupart des chevaux sont bardés ;

25 grands seigneurs en habits de gala, n'ayant d'autres armes que l'épée ; (ils portent de grands feutres à plumes) ;

100 hommes d'armes bardés et empanachés, en superbe ordonnance ; La garde à pied de l'empereur ;

Les trompettes et les tambourins à cheval ;

Les massiers à cheval flanqués par une haie de hallebardiers ;

Le grand maréchal du palais, tenant l'épée de justice ;

L'Empereur à cheval, le sceptre à la main l'épée au côté, la couronne sur la tête, sous un dais d'or porté par quatre grands seigneurs armés de toutes pièces ;

Les pages de l'empereur ;

25 gentilshommes de Bologne ;

Le comte de Nassau et 100 hommes d'armes ;

300 arquebusiers espagnols, ayant la salade sans cuirasse (enseignes, tambourins très gros et petits fifres).

[19] Les hommes d'armes devaient porter l'armure complète (solerets, bavières entières, cuissots, cuirasse avec tassettes, gorgerin, armet à grèves, gantelets, avant-bras, goussets et grandes pièces). Les 25 gentilshommes les plus robustes de la compagnie montaient des chevaux bardés à la tête, aux flancs et au poitrail, qui avaient au moins 6 palmes et 4 doigts (1m,54) de hauteur.

[20] Les chevau-légers seront bien à cheval, auront le hausse-col et le halecret avec les tassettes jusqu'au-dessous du genou, les gantelets, les avant-bras, les grandes épaulières et une salade forte et bien couverte, à vue coupée ; leurs casaques seront aux couleurs de l'enseigne ; ils porteront l'épée large au côté, la masse à l'arçon, et la lance bien longue au poing. (Discipline militaire de Guillaume du Bellay seigneur de Langey. Galiot du Pré, Paris, 1548).

[21] Dans la platine à mèche ou à serpentin, un simple mouvement de bascule mettait la détente en communication avec le chien (serpentin), pour faire tomber la mèche enflammée sur la poudre d'amorce. En 1520, un artilleur d'Augsbourg inventa la platine à rouet, qui fut bientôt perfectionnée à Nuremberg par Wolf Danner. Une pierre à feu remplaçait la mèche dans les mâchoires du serpentin ; un ressort faisait tomber le chien sur le rouet, petite roue d'acier dentelée, qu'un second ressort faisait tourner lorsqu'on appuyait sur la détente, et le frottement de la pierre sur l'acier produisait des étincelles qui enflammaient la poudre d'amorce, contenue dans un bassinet à couvercle mobile. Il fallait, après chaque coup, remonter la platine en engageant une clef dans l'essieu du rouet pour le tourner de gauche à droite, dégager le chien et fermer le bassinet.

[22] Guillaume du Bellay vivant France était en telle félicité que tout le monde avait sur elle envie ; tout le monde s'y ralliait ; tout le monde la redoutait. Soudain, après son trépas, elle a été en mépris de tout le monde bien longuement. (Rabelais, livre IV, ch. XXVI).

[23] En avant, à droite ou à gauche.

[24] Il faudrait prendre garde à l'erreur qu'on commet aujourd'hui (1534) dans nos ordonnances, en y admettant des jeunes gens au sortir de pages ou de l'école. Tous les jeunes gentilshommes qui veulent être des bandes à cheval, sans autre exception que les princes, devraient être, à partir de dix-sept ans, arquebusiers pendant deux ou trois ans, estradiots autant, puis chevau-légers ; c'est dans ces trois conditions de soldat qu'ils apprendraient les choses nécessaires à tout bon homme de cheval. Ils auraient ainsi jeté leur feu de jeunesse, et seraient assez froids et modérés pour savoir se gouverner sagement parmi les hommes d'armes, avec lesquels ils devraient rester trois ou quatre ans sans se pouvoir licencier. Ce temps passé, ils deviendraient hommes d'armes par raison de leur fief, seraient tenus de quitter la gendarmerie et de se retirer chez eux pour répondre, jusqu'à soixante ans, à la convocation du ban ou de l'arrière-ban.

Pour qu'on ne pût pas alléguer la cherté des chevaux, le roi devrait fournir un cheval à chaque cavalier, le remplacer quand il se perd à son service, et le changer à mesure que l'arquebusier devient estradiot, chevau-léger ou homme d'armes ; car la taille et la valeur des chevaux changent avec chaque espèce de cavalerie. Les haras royaux fourniraient coursiers et roussins pour hommes d'armes, chevaux turcs, valaques, polonais, cosaques et espagnols pour chevau-légers ; barbes, maures et genets d'Espagne pour estradiots, et les plus petits pour les arquebusiers, à la condition qu'ils fussent légers et vites. (Discipline militaire, livre I, chap. XI).

[25] Livre I, chap. XII.

[26] Par ordonnance du 11 février 1533, le service du ban fut porté à 3 mois en temps de guerre ; les levées se faisaient par les soins des baillis et des officiers de justice, qui recevaient les montres. Le fief de 500 à 600 livres de revenus fournissait un homme d'armes ; le fief de 300 à 400 livres, un chevau-léger ; le fief de 200 à 300 livres, un piéton. (D'après Boutaric, chap. V.)

[27] Commentaires de Loys d'Avila. Anvers, 1550.

[28] Page 248.

[29] Il est plus profitable et plus sûr de bailler la garde de ses cités, villes et châteaux à ceux qui y possèdent des biens meubles et immeubles, qu'aux étrangers qui n'y ont rien et qui n'auraient rien à perdre si l'ennemi y entrait. (Rosier des guerres).

Je voudrais que le roi se servit des étrangers comme aides, mais qu'il ne leur donnât pas le haut bout, ni les avantages qu'ils sont accoutumés à trouver parmi nous : par exemple, d'avoir la garde de l'artillerie, de faire la bataille sans être tenus aux corvées et aux assauts, comme le sont les Français, qu'on met à l'arrière-garde comme les moins vaillants. Les étrangers sont toujours placés aux postes de confiance, comme si, sans eux, on ne devait avoir le cœur de rien entreprendre. Je ne leur envie pas l'honneur qu'on leur fait : je sais bien que les places de combat réservées aux Français sont grandement honorables, et qu'ils peuvent montrer ce qu'ils valent aussi bien à l'arrière-garde qu'au corps de bataille, et à la bataille qu'à l'avant-garde ; mais je voudrais que le roi eût de nous une si bonne opinion, qu'il nous crût capables de le bien servir autant que toute autre nation, et qu'il ne comptât pas davantage sur les Allemands et sur les Suisses. Ceux-là n'ont qu'une véritable supériorité : c'est leur bon ordre et leur obéissance aux chefs ; voilà ce qui nous manque. (Du Bellay-Langey.)

[30] Chassignet, Institutions militaires, p. 202. Paris, Victor Rozier, 1869.

[31] Boutaric cite une montre, faite le 17 juillet 1522 à Fontarabie, de 200 hommes de pied, francs-archers, sous la conduite de Jean de la Roche leur capitaine, faisant partie des 1.000 francs archers qui composent la garnison d'icelle sous la conduite de Charles Chabot.

[32] Au pays et duché de Normandie se fera et dressera une légion ; au pays et duché de Bretagne, une autre légion ; au pays de Picardie, une autre ; au pays et duché de Bourgogne, comté de Champagne et Nivernais, une autre ; au pays de Dauphiné, Provence, Lyonnais et Auvergne, une autre légion ; au pays de Languedoc, une autre ; au pays et duché de Guyenne, une autre ; qui seront en tout 42.000 hommes de pied. (Edit royal de 1534.)

8.000 pionniers devaient compléter cette levée des 50.000 hommes, renouvelée de Louis XI.

[33] Pour que les gens de pied soient moins exposés aux coups et plus mal aisés à défaire, on armera ceux qui doivent servir d'avant-mur, du halecret complet avec tassettes jusqu'au dessous du genou et bas-de-chausses de mailles, de la braye de fer, de bons avant-bras, de gantelets de mailles et d'un bon cabasset ayant la vue presque couverte ; les autres auront la chemise ou gollette de maille avec manches et gants, et le cabasset découvert. Les bâtons seront : une épée de moyenne longueur ; une courte dague, dont on se sert mieux que de l'épée dans une presse (mêlée) ; la pique, la hallebarde ou la pertuisane. Parmi les bâtons, on répartira les arquebuses, les arcs et les arbalètes. La rondelle sera aussi une très bonne pièce.

Les piquiers se diviseront en ordinaires et extraordinaires : les ordinaires auront le halecret complet et la rondelle ; ils formeront le fort des batailles. Les extraordinaires, destinés aux escarmouches, auront le halecret, les manches de mailles et de bons cabassets. Les hallebardiers auront le même armement défensif que les piquiers ordinaires.

Les arquebusiers, les archers et arbalétriers porteront la chemise de mailles avec manches et cabassets, ou, au moins, des pourpoints d'écaillés et de bonnes brigantines.

Les capitaines seront chargés de répartir et de distribuer les armes ; ils donneront les piques et hallebardes aux plus grands et aux plus forts, et, aux plus légers, les armes qui demandent à être maniées par des gens agiles.

Les armures et les bâtons donnés à chacun seront inscrits sur les contrôles des bandes, afin qu'on puisse vérifier s'ils n'ont pas été échangés ; on punira ceux qui auraient fait ce changement sans la permission du colonel. Les piquiers des flancs rempliront les vacances de, piquiers qui auraient lieu dans le bataillon. (Guillaume du Bellay, Discipline militaire, liv. I, chap. IV.)

[34] Le colonel aura un prêtre ou deux pour faire le divin service et administrer les sacrements de l'Église à ceux de là légion. Il lui faut encore un médecin, un apothicaire, un chirurgien, quelque faiseur de feux artificiels ou de poudre, et un armurier. (Discipline militaire.)

[35] Le prévôt aura un greffier avec quelques sergents ou archers et un maître des hautes œuvres.

Il y a peine de mort pour quiconque :

Machine ou commet trahison contre le roi, conseille ou prête faveur ou aide à ses ennemis ;

Parlemente avec l'ennemi ou lui envoie lettre ou message sans congé du général ;

Révèle le secret du conseil ;

N'avertit pas son supérieur de tout ce qu'il apprend concernant l'honneur et le profit du roi ou son dommage ;

Passe à l'ennemi ;

Rompt trêve ou paix, n'ayant charge expresse de le faire ;

Ayant été pris, ne s'évade pas à la première occasion, à moins qu'il n'ait donné sa foi ;

Rend aux ennemis une place qu'il a en garde, s'il n'est contraint à le faire, ou s'il n'est vraisemblable qu'un homme de bien en eût fait autant ;

Porte la main sur son supérieur, sur un prévôt ou sur quelque officier, ou en fait apparence, à moins que lesdits chefs le voulussent rapper sans bonne cause et que sa vie fût manifestement en péril ;

Tue ses soldats par caprice, alors qu'ils ne méritent aucun mauvais traitement ;

Contrevient aux proclamations des trompettes ou tambours, criées à peine de la vie ;

Essaie de se mutiner ;

Met à mort aucun, sinon en son corps défendant ;

Met le feu à maison, église ou autre chose sans le commandement du colonel ;

Fait violence à une femme ;

Prend ou profane le bien des églises autrement que par congé du général ;

Se fait enrôler dans deux bandes en même temps ;

Passe deux fois en la même montre ;

Déserte ou s'absente sans congé, même s'il rejoint la bande ;

Ne suit pas l'enseigne, ou ne va pas partout où il lui est ordonné d'aller ;

Abandonne l'enseigne ou quitte sa place de bataille ;

Ne se trouve pas au guet quand il en est commandé ou l'abandonne ;

Révèle le mot du guet à l'ennemi ou à quiconque dont puisse venir quelque mal ; Se trouve dormir faisant l'escoute (sentinelle) ;

Abandonne le lieu où il a été colloqué par le sergent de bande ou tout autre officier, soit en guet, en escoute ou autre part, sinon que celui qui l'y a mis l'en ôte ;

Ne se trouve à l'affaire si l'ennemi vient assaillir, sous couleur d'épier ou d'être aux escoutes ;

Ayant charge des escoutes ou du guet dans le camp ou en dehors, fait si mal son devoir que les ennemis le surprennent et assaillent l'armée au dépourvu ;

Abandonne la brèche, la tranchée ou le pas qu'il est chargé de défendre, bien que cet endroit soit forcé par l'ennemi ;

En entrant dans une ville prise, quitte l'enseigne pour s'amuser à saccager, avant que le général ait fait donner par ses trompettes le signal du butin ;

Ne fait son devoir de recouvrer son enseigne si elle tombe aux mains de l'ennemi ;

Fuit du combat étant en bataille rangée ; marche trop lentement à l'assaut, ou connille en quelque manière ;

Feint d'être malade au moment de combattre ou d'aller en faction ;

Voit son supérieur en danger sans le secourir ;

Détrousse les vivandiers, les marchands venant au camp, ou les partisans du roi, et principalement s'il leur dérobe armes ou chevaux ;

Malmène les bonnes gens du pays où l'on fait la guerre, soit en leurs corps, soit en leurs biens, s'ils n'ont été déclarés rebelles au roi ;

Est dégarni du harnois ou des armes pour lesquels il est enrôlé, même s'il les a perdus au jeu, ou en fuyant, ou autrement par sa faute : (ceci s'entend aussi des gens de cheval qui jouent leurs montures ou les laissent perdre, faute de soins et de pansage.)

S'éloigne, sans permission, à plus de 100 pas du quartier de sa légion ;

Reçoit dans sa loge un étranger à la légion ou une personne suspecte, sans l'avoir montrée à son supérieur ou avoir congé de lui ;

Se querelle pendant le guet ou dans une embuscade, où il est requis de demeurer coy ;

Injurie son camarade de fait ou de parole ; car des injures viennent les querelles, et des querelles les plus grands désordres dans un camp ;

Court à un débat avec d'autres armes que son épée, s'il n'est chef ou ayant office au camp ;

Cherche réparation d'une injure récente ou ancienne par autre voie que de droit ; toutefois, il peut demander le combat corps à corps, si le différend ne se peut démêler en autre sorte (point réservé à l'appréciation du général) ;

Porte un coup à son adversaire, par colère ou autrement, après qu'un tiers a crié : holà ! pour les départir ; à moins que les deux hommes n'aient bataille en camp clos, car alors, nul que le général ne doit être si hardi de crier : holà !

Emporte argent du jeu loyalement gagné par un autre, ou fait piperie et faux jeu ;

Devance sa bataille pour arriver premier au logis ou pour autre fin, ou s'écarte de la route pendant la marche ;

Rançonne son hôte ou tout autre qui n'est pas prisonnier de bonne guerre, ou demande une rançon plus forte que celle qui a été réglée entre les chefs des deux osts opposés ;

Entre dans un camp ou une place par un autre endroit que par les portes ou en escalade les murs ;

Diffère de se retirer quand les trompettes sonnent la retraite ;

Parle haut ou mène bruit pendant qu'on est en bataille, et quand tous doivent garderie silence, à moins d'être chef et officier ;

Passe un seul jour sans s'exercer plusieurs heures aux armes qu'il porte, à moins d'être embesogné ailleurs pour le service du roi ;

Fait une chose quelconque portant préjudice au service du roi ou dommageable à ceux de son parti ;

Dépite Dieu, le blasphème et maugrée à la façon des Italiens de ce temps.

Tant que les légionnaires sont sous les enseignes, le prévôt de la légion est leur juge ordinaire, tant au civil qu'au criminel, sous la haute juridiction du colonel ;

Il y a quatre formes de supplices militaires : trancher la tête, pendre et étrangler, passer par les piques, arquebuser. (Discipline militaire, livre III, ch. XV.)

[36] Le mot officier n'a pas encore la signification qu'il prendra plus tard ; il veut dire titulaire d'un office royal, petit ou grand.

[37] La chanson des Picards a de nombreux couplets. Celui-ci :

Si vous voulez savoir la fleur des capitaines

Qui pour servir le Roy ne craignent pas leurs peines,

C'est Heilly et Canis et monsieur de Douchy,

Qui en telle besogne n'ont point le cœur failli.

Nous servirons le Roy, etc.

confirme le texte de Martin du Bellay, qui désigne comme capitaines de la légion de Picardie, le seigneur de Sercu, Jean de Mailly, seigneur d'Auchy, Jean de Brebançon, seigneur de Cany, le seigneur de Saisseval et le seigneur de Heilly. A ladite montre d'Amiens, se trouvèrent toutes les dames, en la présence desquelles se dressèrent plusieurs escarmouches feintes, tant à pied qu'à cheval, tant de la gendarmerie que de la noblesse de la Cour. (Liv. IV.)

[38] Les seigneurs de Bacqueville, de La Salle, de Saint-Aubin-l'Hermite, de Saint-Aubin-Gobelet, de Cantelou-aux-deux-Amants et de Sannevelles. (Martin du Bellay.)

[39] De ça et de là les monts.

[40] Carloix, Mémoires de Vieilleville.

[41] Manuscrit écrit en 1540, et cité par le prince Napoléon-Louis Bonaparte dans ses Etudes sur l'artillerie, tome I, p. 143.

[42] Renfort des tirailleurs.

[43] Chacune des 10 bandes du bataillon sera gouvernée par un capitaine, qui aura sous lui un lieutenant, un porte-enseigne, un sergent de bande, un conservateur de la discipline, un fourrier, deux tambourins, un fifre, et 510 hommes, répartis en 6 petites bandes, commandées par 6 caporaux ou centeniers. 5 caporaux seront réservés pour le corps du bataillon, et le 6e fera le flanc ; sous chaque caporal, il y aura 4 caps d'escadre, et, sous chaque cap d'escadre, 2 dizainiers ou chefs de chambre. Ainsi, le cap d'escadre aura 20 hommes à gouverner et fera le 21e ; le caporal sera chef de 85 hommes, sa personne comprise. Les 4 premiers caporaux auront les piquiers ; le 5e. les hallebardiers ; le 6e, moitié piquiers et moitié arquebusiers. Si on a des archers et des arbalétriers (qui valent mieux que les arquebusiers en temps de pluie et dans bien d'autres cas), on donnera tous les arquebusiers à un des 3 chefs d'escadre du 6e caporal, et on mettra sous le 4e une dizaine d'archers et autant d'arbalétriers. Les deux bandes d'enfants perdus seront de 434 combattants chacune, membres et officiers compris ; elles seront divisées en 5 petites bandes, gouvernées par des caporaux ; 4 seront formées d'arquebusiers ou des gens de trait, et la 5e de piquiers, dits extraordinaires. L'effectif de la légion ainsi composée sera de 6.070 hommes. (Discipline militaire.)

Cette légion est une division d'infanterie formée de 10 bataillons de ligne, à 6 compagnies (de 4 sections), et de 2 bataillons légers. Le capitaine de bande correspond à notre chef de bataillon ; le lieutenant est un commandant en second ; le porte-enseigne l'adjudant-major ; le sergent de bande l'officier instructeur, et le fourrier l'adjudant. Le caporal est un commandant de compagnie ; l'escadre représente la section, et la chambre, l'escouade ou chambrée.

[44] Le harnois défend celui qui le porte des coups de pique, de hallebarde et d'épée, du trait, des pierres, des arbalètes et des arcs ; parfois, une arquebuse sera si mal chargée, ou si fort échauffée, ou tirée de si loin, que le harnois, pour peu qu'il soit bon, sauvera la vie de l'homme qui le porte. (Discipline militaire.)

[45] La cause qui me fait ordonner les trompettes pour les gens de pied, c'est qu'elles seront beaucoup mieux entendues que les tambourins ne pourront l'être s'il y a un grand tumulte et qu'il faille varier les sons ; dans ce cas, ce n'est que par les trompettes qu'on se gouvernera. Les Suisses, qui sont les inventeurs des tambourins, ont mis cependant en avant de leurs bataillons des trompettes pour indiquer ce que ces bataillons doivent faire. Il n'y a pas bien longtemps qu'ils se servaient de grands cors. (Discipline militaire.)

[46] Patron.

[47] Les légions provinciales étaient donc une garde nationale mobilisée.

[48] On se sert des enseignes aujourd'hui, plutôt pour faire nombre que pour servir de guide ; ce n'était pas ainsi chez les anciens. Il faut que les soldats se gouvernent selon les enseignes, et les enseignes d'après le son de la trompette du colonel. (Discipline militaire.)

[49] Changer de direction par file.

[50] Pour charrier les besognes, il suffira, par escadre, d'un cheval de bagage, qui portera deux paillasses de grosse toile et une tente pour chacune des deux chambres, avec quelque linge, pots et vaisselle, les instruments pour faire tranchées, bastions et esplanades, et une échelle démontée. Chaque chambre pourra avoir un valet ; le cap d'escadre en aura un, le caporal deux ; le caporal et ses 4 caps d'escadre auront une tente et un cheval pour la porter. Les capitaines mèneront aussi peu de chevaux et de valets que possible ; les membres en pourront avoir deux, les officiers un. Chevaux et valets devront être choisis de manière à pouvoir servir à plus d'un métier. Surtout, qu'il n'y ait personne qui traîne bahuts, coffres, charrettes ou femmes. (Discipline militaire.)

[51] De neuf en neuf, les hommes auront un chef nommé décurion ; les 50 estradiots auront un conducteur, et les arquebusiers en auront un autre ; ces deux chefs s'appelleront banderoles. Cette dénomination existait déjà, en 1473, dans l'armée de Charles le Téméraire.

[52] L'office du mestre de camp est, entre autres choses, d'aviser le lieu le plus sain pour faire camper la légion ; quand il l'a trouvé, il répartit les quartiers et ordonne les travaux de fortification. Aussi doit-il devancer la légion, afin d'avoir divisé et comparti le tout de bonne heure, avant l'arrivée des bandes. (Discipline militaire.)

[53] Ce sera un carré de 40 pas, entouré d'une tranchée moyenne, à l'intérieur de laquelle, logeront le mestre de camp, le prévôt, les autres officiers de la légion et la garde du colonel. Les volontaires, qui auront suivi le colonel pour leur plaisir, pourront loger en dehors et autour de cette tranchée. (Discipline militaire.)

[54] Chacune de ces 5 places sera assez spacieuse pour loger 100 chevaux et plus ; on y établira, en outre, 10 grandes tentes si les hommes d'armes veulent avoir chacun la leur ; les autres cavaliers logeront par deux.

[55] Les deux principales considérations du général, en posant son camp, sont de l'asseoir en lieu sain et en telle part que les ennemis ne le puissent assiéger ni lui clore le chemin des vivres et de l'eau.

Il faut que les soldats dorment à couvert sous tentes ou feuillées, et en lieu qui ait foison d'arbres, donnant ombre en été et servant pour cuire la viande.

Il y aura exercice une fois par jour ; l'exercice durera jusqu'à la sueur.

Il faut toujours avoir en son camp une provision d'un mois de vivres, à raison d'un pain par homme et par jour, et ne pas la laisser consommer sans savoir où prendre de quoi la remplacer. Il faudra punir très âprement quiconque fera outrage au plus petit vivandier. Les chevaux pourront vivre, au jour la journée, d'avoine ou d'orge, pourvu que le foin, la paille ou l'herbe ne leur manquent pas.

Les heures des repas devront être réglées ; les vivres en seront mieux épargnés, et les gens, vivant plus sobrement, seront plus paisibles, vigilants et sains qu'en mangeant et buvant toute la journée comme nous faisons, ce qui est la cause des querelles particulières, des noises et séditions qu'on voit d'ordinaire régner dans un camp français. (Discipline militaire.)

[56] Le guet est dit à la française, quand on dort tout son soûl, avec confiance d'être réveillé à temps par les escoutes. Les soldats qui font ce guet ne s'entendent qu'à jouer, à ivrogner et à dormir.

Dans un camp de 4 légions, il faut, pour le guet ordinaire de nuit, que le général députe un tiers de ses enseignes d'infanterie, afin que les soldats aient deux nuits franches : l'une de ces enseignes fera le guet autour du quartier du général ; une autre aura la garde des poudres ; deux autres seront sur la place du marché ; le maître de l'artillerie fera faire le guet par ses charretons, artisans et pionniers.

Chaque légion fournira une bande qui sera de piquet au quartier du général, pour obvier aux scandales, aux excès et larcins, qui se commettent plutôt la nuit qu'en plein jour.

Trois bandes par légion feront le guet tout le long du rempart, dans l'espace vide qui longe le quartier des troupes.

Le plus fort du guet se fera aux portes et aux quatre coins du camp ; un quart du guet veillera à son tour, de sorte qu'on le divisera en quatre veilles, qui seront signalées par la trompette du général. Les colonels veilleront à tour de rôle.

Quant aux gens de cheval, ils feront l'office de revisiter, et seront compartis à 5 nuits de ronde.

Quelques gens de cheval se tiendront le long des chemins autour du camp, pour aviser qui va et vient, qui entre au camp et qui en sort. (Discipline militaire.)

[57] Dans les manœuvres, comme dans une action réelle, la trans- mission sûre et rapide des ordres est de la plus haute importance. Le chef de bataillon se sert à cet effet de l'adjudant-major et de l'adjudant. Il peut en outre être mis à sa disposition un ou deux hommes par compagnie. (Règlement français du 12 juin 1875 sur les manœuvres de l'infanterie, titre IV, n° 99.)

[58] Il faut faire retirer l'artillerie derrière les bataillons, après qu'elle a ré une fois, afin que les bandes aient le passage droit et ouvert.

[59] Si vous voulez défendre vos batailles des coups d'artillerie qui viennent de loin, vous n'avez d'autre remède que d'aller au devant de l'artillerie ennemie, et de la surprendre avec la plus grande vitesse possible. La grosse artillerie tire trop haut et manque les gens de pied plus souvent qu'elle ne les touche ; la moindre bosse de terrain les sauve.

Aussi, en plaine, je voudrais mettre les hommes d'armes et les chevau-légers derrière les bataillons, jusqu'à ce que l'artillerie eût tiré ; car la cavalerie lourde a une ordonnance plus serrée que les arquebusiers à cheval et que les estradiots, et elle est plus facile à atteindre que les gens de pied. Contre l'artillerie, il nous faut user de la coutume des Suisses, qui est d'aller l'assaillir tête baissée, quelque part qu'ils la sachent. (Discipline militaire.)

[60] Du Bellay Langey veut que, sous le lieutenant général chef d'armée, il y ait deux capitaines généraux, l'un des gens de cheval et l'autre des piétons, un chancelier de robe longue, un maître d'artillerie ; un maréchal de camp, un général des finances et un prévôt général. (Liv. I, chap. XIX.)

[61] Le maître d'icelle doit être autour, avec ses commissaires et canonniers. (Discipline militaire.)

[62] Les soldats espagnols se sont donné et assuré, de tout temps, la gloire d'être les meilleurs de toutes les nations. Et certes, ils ont raison d'avoir cette opinion et créance, car les effets s'en sont ensuivis. L'empereur Charles, au plus fort de ses affaires et combats, quand il s'en voyait entouré seulement de 4 ou 5.000, se tenait pour invincible ; il hasarda sa personne, son empire, et tous ses biens, sous leur valeur seulement, disant que le succès de ses guerres dépendait des mèches allumées de ses arquebusiers espagnols. (Brantôme, Rodomontades espagnoles.)

[63] Chaque tercio était commandé par un maestro de campo ; nous avons emprunté aux Espagnols le titre de mestre de camp.

[64] Le Roi, pour la conduite de son artillerie, entretient plusieurs officiers tant ordinaires qu'extraordinaires, savoir :

Le grand maître et capitaine général de l'artillerie ;

Le contrôleur général et ses 13 commis, établis en chaque magasin provincial, pour acheter cuivre, étain, plomb, fer, soufre, poudre et autres matériaux ou munitions, et pour surveiller les fondeurs, char pentiers, charrons, forgerons, etc. ;

Le lieutenant général du grand maître ;

24 commissaires ordinaires ;

200 canonniers, parmi lesquels aucuns sont poudriers et gens de métier ;

Le prévôt et ses archers ;

Le maréchal des logis et les ourriers ;

L'apothicaire, le chirurgien et ses aides ;

Les maîtres fondeurs, charpentiers, charrons, fondeurs d'affûts, forgeurs de rouages, les tonneliers, les tentiers, les déchargeurs, les capitaines et les conducteurs du charroi. (Ordonnance royale du 10 février 1536)

[65] Les attelages des bouches à feu, montées sur affûts à roues, étaient de 23 chevaux pour un canon, de 17 pour une couleuvrine, de 13 pour une bâtarde, de 9 pour une moyenne, de 4 à 6 pour les faucons et fauconneaux ; un charretier conduisait 4 chevaux. L'approvisionnement, transporté sur des charrettes de réquisition, était de 200 coups pour les canons et couleuvrines, et de 250 pour les autres bouches à feu.

[66] Un canon était servi par 5 canonniers ordinaires ou extraordinaires et par 30 pionniers ; une grande couleuvrine, par 4 canonniers et 24 pionniers ; une bâtarde, par 4 canonniers et 12 pionniers ; une moyenne, par 3 canonniers et 6 pionniers ; un faucon ou fauconneau, par 2 canonniers et 4 pionniers ; l'arquebuse à croc par un canonnier.

[67] Blaise de Vigenère, Mémoire du XVIe siècle sur l'artillerie.

[68] Les Douze-Apôtres, qu'il fit fondre à Malaga, en 1535, pour l'expédition de Tunis, avaient 18 calibres de longueur et lançaient des boulets de 4-5 livres.

D'après le général Favé, les principaux types de l'artillerie de Charles-Quint étaient des canons à tourillons, lançant des boulets en fonte de fer de 40, 24, 12, 6 et 3 livres. (Histoire des progrès de l'artillerie, liv. I, chap. VI.)

[69] Soliman était un administrateur, plus encore qu'un conquérant. Il divisa l'empire ottoman en districts militaires, qui fournirent un contingent proportionné à leur étendue ; une partie des revenus du territoire fut affectée à l'entretien de l'armée, dont la discipline, l'armement et la tactique furent sévèrement réglementés.

François Ier répondit à l'ambassadeur de Venise, qui lui reprochait son alliance avec le sultan : — Je ne puis pas nier que je désire très vivement voir le turc très puissant et prêt à la guerre ; non pas pour lui, car c'est un infidèle et nous sommes chrétiens, mais pour affaiblir la puissance de l'Empereur, pour le forcer à de grosses dépenses, et pour rassurer tous les autres gouvernements contre un si grand ennemi.

[70] Son camp était environné, par dehors, d'un fossé profond, de 54 pieds de largeur, et, par dedans, d'un rempart de terre, avec des flancs et des plates-formes aux endroits requis. L'artillerie était assise et plantée, pour recevoir l'ennemi de front et pour le battre par les flancs. (Mémoires de Guillaume Du Bellay-Langey, liv. VII.)

[71] A la revue qu'il fit de son armée avant de lever le siège d'Aix, l'Empereur trouva que, du nombre de 50.000 qu'il avait, au partir de Nice, il n'en pouvait pas mettre en bataille plus de 25 ou 30.000. Les principaux gens de nom qu'il y perdit furent, Antonio de Leyva, Marc de Bastin, son parent le comte de Horn, Baptiste Gassalde et autres. La retraite fut, pour les premières journées, assez précipitante, et elle continua de cette sorte, jusqu'à ce que l'Empereur se fût vu fort éloigné de son ennemi. (Martin de Bellay.)

[72] Journellement, il était donné fâcherie aux Impériaux par les paysans, qui s'étaient armés des armes laissées par les malades et par les mourants ; lesdits paysans avaient assiégé tous les passages et détroits des chemins, démoli les ponts qui étaient sur les torrents alors impétueux, dont les ennemis se trouvaient fort travaillés.

L'Empereur, ce voyant, fit assembler force pionniers pour rhabiller les passages, et fit recueillir, au mieux qu'il put, et mettre entre l'avant-garde et l'arrière-garde tous les malades et blessés, afin de les sauver ; mais il ne sut y mettre tel ordre que, de jour en jour, il n'en demeurât grand nombre des plus faibles au long des rochers, pour attendre là que les paysans, irrités d'ire et de courroux à l'encontre d'eux, les achevassent de tuer et les missent hors de la misère où ils étaient. Pour soutenir lesdits paysans, furent envoyés les chevau-légers, lesquels serraient les ennemis de si près, qu'ils souffrirent beaucoup de la faim, parce que c'était pour eux chose malaisée que de se mettre aucunement hors du chemin pour fourrager. De manière que, depuis Aix jusqu'à Fréjus, tous les chemins étaient jonchés de morts et de malades, de harnais, lances, piques, arquebuses et autres armes, et de chevaux abandonnés qui ne se pouvaient soutenir. Hommes et chevaux étaient tous amassés en un tas, les uns parmi les autres, tant de côté que de travers, les mourants pêle-mêle avec les morts, rendant un spectacle si horrible et piteux, qu'il était misérable même pour les plus obstinés ennemis. Je parle de ce que j'ai vu, attendu le travail que j'ai pris à cette poursuite avec ma compagnie, et pareillement le seigneur Paul de Céri et le comte de Tende ; tellement qu'à mon retour à Marseille, je demeurai 15 jours sans pouvoir remonter à cheval. (Martin de Bellay).

[73] Selon une vieille chanson française.

Bourguignons avaient dit,

Par leurs fines cautelles,

Qu'ils iraient épouser

La belle Péronnelle,

Et s'en iraient,

Par le mont Saint-Quentin,

Pour assiéger la ville

Et pour la mettre à fin.

Retirez-vous arrière,

Flamands et Bourguignons

Jusqu'aux Allemagnes

Vous serez repoussés !

[74] Il assembla le prévôt des marchands et les échevins en la maison de ville, et leur remontra le danger qui leur pourrait advenir si Péronne tombait aux mains de l'ennemi ; ceux-ci offrirent : 1° de soldoyer 10.000 hommes pour autant de temps que l'affaire durerait ; 2° une fonte d'artillerie, avec grandes munitions de poudre et boulets ; 3° 50.000 pionniers, ou plus s'il était besoin, pour remparer les lieux les plus nécessaires de Paris. Le cardinal accepta seulement la fonte d'un nombre d'artillerie et le payement de 10.000 hommes (quand le besoin en serait). La finance fut soudainement levée, et la charge des 10.000 hommes fut baillée au seigneur d'Estrée. (Martin du Bellay.)

L'évêque de Troie, Carraciolo, fils du maréchal de Melfi, dressa dans Paris deux régiments, l'un d'écoliers de l'Université, l'autre de moines. Il s'en trouva de 10 à 12.000, que le cardinal du Bellay aguerrit si bien qu'ils devinrent un bon corps de ville pour faire guerre et défense. (Brantôme.)

[75] En 1362, Amurat Ier avait formé l'infanterie des janissaires avec de jeunes chrétiens, convertis de force à l'islamisme, et exercés, dès l'enfance, au maniement des armes. Sous Soliman le Magnifique, c'était une milice de plus de 60.000 combattants, répartis en bandes (ortas) de piquiers et d'arquebusiers. Le sultan Bajazet, ayant attaché la manche blanche de sa robe au bonnet d'un janissaire qui s'était distingué, tous portaient, depuis 1389, le talpack au lieu du turban.

[76] La guerre, interrompue par la trêve de Nice (18 juin 1538), recommença en 1542. François Ier, afin de conquérir les limites naturelles de la Gaule, leva plus de 120.000 hommes, qui opérèrent dans le Hainaut, le Luxembourg et le Roussillon, pendant que les galères de Barberousse venaient s'unir à la flotte française, pour menacer l'Italie impériale ; Perpignan résista, mais Landrecies, Luxembourg et Nico furent pris.

L'Empereur contracta alors avec Henri VIII une étroite alliance, afin d'attaquer la France par trois côtés.

[77] Frère d'Antoine de Bourbon, père de Henri IV.

[78] Ce qui n'était pas très rassurant ; car, l'année précédente, 10.000 légionnaires de Champagne et de Picardie, assiégés dans Luxembourg, avaient déserté en masse, abandonnant aux Impériaux cette place importante. François Ier, comme Louis XI après Guinegatte, avait cassé les capitaines et fait pendre les déserteurs ; le sentiment populaire approuva ces rigueurs, et rendit aux légionnaires le sobriquet de francs-taupins, qui avait fait disparaître sous le ridicule les francs-archers de Louis XI.

Un franc taupin un si bel homme était,

Borgne et boiteux pour mieux prendre visée,

Et si avait un fourreau sans épée,

Mais il avait les mules au talon.

Deriron, vignette sur vignon !

 

Un franc taupin un arc de fresne avait,

Tout vermoulu, la corde renouée ;

Sa flèche était de papier empennée,

Ferrée au bout d'un ergot de chapon.

Deriron, vignette sur vignon !

 

Un franc taupin chez un bonhomme était,

Pour son dîner ayant de la morue,

Il lui a dit : — Jarnigoy ! je te tue,

Si tu ne fais de la soupe à l'ognon !

Deriron, vignette sur vignon !

 

Un franc taupin de Hainaut revenait ;

Sa chausse était au talon déchirée,

Et si disait qu'il venait de l'armée,

Mais onc n'avait donné un horion.

Deriron, vignette sur vignon ! etc.

[79] Une armée de 12 à 15.000 hommes, lui dit-il, peut en affronter une de 30.000 ; car, ce n'est pas le grand nombre qui vainc, c'est le bon cœur, et, un jour de bataille, la moitié ne combat pas. Nous sommes 5 à 6.000 Gascons ; or, comptez, sire, qu'il n'est pas de soldats plus résolus que ceux-là. Il y a 13 enseignes de Suisses, qui tous vous enverront leurs noms, afin que, s'il y est quelqu'un qui ne fasse pas son devoir, il soit dégradé des armes. Voilà 9.000 hommes, Sire, qui combattront jusqu'au dernier soupir de leur vie. Quant aux Italiens et Provençaux qui sont avec M. d'Escros, et aux gens de Gruyères, je ne vous en assurerai pas, mais j'espère qu'ils feront tout aussi bien que nous quand ils nous verront rendre les mains. Vous avez en Piémont 400 hommes d'armes et 5 à 600 chevau-légers, sous quatre capitaines, MM. de Thermes, d'Aussun, Francisco Bernardino et More de Novate. Qui voulez-vous qui tue 9 ou 10.000 hommes et 1.000 ou 1.200 chevaux, tous résolus de mourir ou de vaincre ! (Commentaires de Montluc.)

[80] Sous la charge de M. de Thermes, colonel de la cavalerie légère. (Martin du Bellay.)

[81] Dont était colonel le seigneur de Taiz. Au premier rang se mirent plusieurs gentilshommes venus en poste de la cour, qui n'avaient eu moyen de recouvrer chevaux, entre autres les trois frères Bonnivet et Genlis le jeune. (Martin du Bellay.)

[82] Les compagnies d'Assier, de Crussol, de Mont-Ravel et les 180 salades du seigneur d'Aussun. (Martin du Bellay.)

[83] Portée par le seigneur de Rubempré. La cornette blanche doit se tenir à côté du lieutenant général du Roy : c'est l'enseigne du chef d'armée. (Du Bellay-Langey.)

[84] Saint-André, Châtillon, Jarnac, le vidame de Chartres, Bourdillon, Rochefort, Des Cars, Luzarches, Lussigny, Le Hunaudaye, Genlis aîné, Saint-Amand Rochechouart, et autres. Il n'y a prince au monde qui ait la noblesse plus volontaire que la nôtre ; un petit sourire du maître réchauffe les plus refroidis, et, sans crainte de changer prés, vignes et moulins en chevaux et armes, on va mourir au lit que nous appelons le lit de l'honneur. (Montluc, liv. II, chap. I.)

[85] Martin du Bellay.

[86] Je baillay, dit Montluc, 40 ou 50 arquebusiers à un mien sergent, nommé Arnaut de Saint-Clair, homme vaillant et qui savait bien prendre son parti, et je les soutenais.

[87] Parfois ils me ramenaient jusques à la maison ; d'autres fois je les ramenais jusqu'à leur bataillon : il semblait que nous jouions aux barres. (Montluc.)

[88] Les Gruyères sont voisins des Suisses, mais il n'y a pas plus de comparaison que d'un âne à un cheval d'Espagne. (Montluc.)

[89] Martin du Bellay.

[90] Le sergent-major sera obéi des capitaines, officiers et soldats, en ce qu'il commandera pour son office, et ce, sous peine, si c'est un capitaine ou officier, d'être puni arbitrairement par le colonel général ; si c'est un soldat, de demander pardon au roi, au colonel et au sergent-major devant toutes les compagnies, et d'être dépouillé et dégradé de toutes armes et banni des bandes. (Ordonnance de Gaspard de Coligny, colonel général d'infanterie française, 1547.)

[91] Les lansquenets avaient été contraints, au passage du marais, de se mettre un peu en désordre ; ils furent tirés par quelques arquebusiers à rouet, cachés derrière le premier rang des piquiers français. Ces piquiers chargèrent tous ensemble, aidés des Suisses qui donnaient par le flanc, si courageusement en tenant leurs piques par la moitié, qu'ils rompirent le grand bataillon de lansquenets. (Mémoires de Gaspard Saulx, seigneur de Tavannes.)

[92] Je ne fus jamais si habile ni si dispos, et j'avais bon besoin de l'être, car je donnai plus de trois fois du genou en terre. (Montluc.)

[93] Jamais la gendarmerie française ne fit plus de vaillance ni d'efforts que ce jour-là, car M. de Boutières et 40 hommes d'armes, ayant leurs chevaux morts, combattirent à pied plus d'une demi-heure avec la masse et le coutelas. (Carloix, chap. XLII.)

[94] Le sieur de Thermes, avec la cavalerie légère, qui était à la main droite des bandes françaises, voyant la cavalerie de Florence marcher pour donner par les flancs au bataillon des Français, à l'heure que les batailles se viendraient à joindre, ne voulut attendre cet inconvénient ; il les chargea de telle furie, qu'il les rompit et les renversa sur le bataillon du prince de Salerne. Tellement que le sieur de Thermes, pensant être suivi, donna jusqu'au milieu du bataillon italien, où son cheval fut tué et lui pris. Ladite charge servit beaucoup ; car il est apparent que, sans icelle, le prince de Salerne eut marché sur les flancs de notre bataillon de Français : il en fut empêché par la cavalerie de Florence, qui lui tomba sur les bras. (Martin du Bellay.)

[95] Ce ne sont pas les soldats qui sont mauvais en Italie, ce sont les chefs. Ces mêmes Italiens, qui se distinguent dans les duels et les combats singuliers par leur courage et leur adresse, ne font rien de bon dans les armées, parce que les chefs sont tellement insuffisants que les soldats qui savent leur métier refusent de leur obéir. (Machiavel, Le Prince.)

[96] Brantôme raconte que le capitaine florentin, Pierre Strozzi, qui devint maréchal de France, avait amené à François Ier, au camp de Marolles, en 1542, une compagnie de 200 arquebusiers à cheval, les mieux montés, les plus dorés et les mieux en point qu'on ait jamais vus ; chacun avait deux bons chevaux de légère taille, qu'on nommait alors cavalins ; ils avaient le morion doré, les manches de mailles, la plupart dorées, ainsi que les arquebuses et fourniments. Ces arquebusiers allaient souvent avec les chevau-légers et les coureurs, et y faisaient rage. Quelquefois ils s'aidaient de la pique, quand il en était besoin. C'étaient tous vieux capitaines et soldats, si bien aguerris sous les bannières et ordonnances du grand capitaine Jeannin de Médicis que, quand il fallait mettre pied à terre et combattre, il n'y avait pas besoin de commandement pour les mettre en bataille ; ils s'y rangeaient d'eux-mêmes, et savaient si bien prendre leurs places qu'on n'y trouvait rien à dire. Il y avait parmi eux le Corse San-Pétro, Jean de Turin, le capitaine calabrais Moreti, Pétro Paulo, les capitaines Bernardo, Miquel de Candio, Mazino, Jacques de Ferrare ; cette compagnie avait coûté plus de 50.000 écus à M. de Strozzi.

[97] Le vainqueur de l'Allemagne, de l'Asie, de l'Afrique, de la Gueldre et des Turcs, a borné son plus outre aux rivières de Marne et de Durance, et a fait naufrage en France avec deux grandes armées. (Mémoires de Gaspard de Saulx-Tavannes.)

[98] François Ier renonçait à Naples, à la Flandre, à l'Artois et au Tournaisis ; il s'engageait à envoyer en Hongrie, contre les Turcs, 600 lances et 10.000 hommes de pied ; l'Empereur rendait Hesdin.

La guerre avec les Anglais continua, entre Boulogne et Calais, jusqu'au mois de juin 1546. Henri VIII, vieilli, ruiné par le corps d'armée qu'il entretenait en France, consentit à la paix ; il s'engageait à rendre Boulogne dans 8 ans, moyennant 5.000.000 de livres.

[99] François Ier, à l'ouverture d'une campagne, fondait sur l'ennemi comme un torrent qui renverse tout ce qu'il rencontre ; Charles-Quint attendait pour agir que les forces de son rival commençassent à diminuer ; mais il recouvrait à la fin tout ce qu'il avait perdu, souvent même plus encore. François se laissait éblouir par l'éclat d'une entreprise ; Charles ne songeait qu'à ses résultats. François fut humain, bienfaisant, généreux ; il avait de la dignité sans orgueil, de l'affabilité sans familiarité, de la politesse sans morgue ; c'était le gentilhomme le plus accompli de son royaume, et tout homme de mérite avait accès auprès de sa personne. Ses qualités lui ont valu plus d'admirateurs, que n'en ont eu le vaste génie et la politique heureuse d'un rival, plus habile mais moins digne d'être aimé. (Robertson, Histoire de Charles-Quint.)