SOMMAIRE. Rupture avec les Suisses. — Campagne de 1511. — L'assaut de Brescia. — Reconnaissance de cavalerie. — Ravenne. — Artillerie légère. — L'année 1513. — Novare. — Invasion de la France. — La journée des éperons. — Mort de Louis XII. RUPTURE AVEC LES SUISSES. Le père du peuple était un roi économe. Il trouvait que les Suisses étaient des mercenaires altiers et indisciplinés, qui acceptaient rarement sans discussion l'ordre de marcher à l'ennemi, et qui demandaient double solde au moment de se battre[1] ; aussi, quand il s'agit de renouveler l'alliance avec les cantons, Louis XII marchanda leur pension annuelle, et refusa la grosse augmentation qu'ils réclamaient. Il voulait, en attendant que l'infanterie française eût pris son essor définitif, remplacer les Suisses par les lansquenets du Palatinat et par les montagnards des Grisons et du Valais (mai 1510). Le pape Jules II profita aussitôt de cette rupture pour faire entrer les cantons dans la Sainte ligue, et il donna aux Suisses le titre de défenseurs du Saint-Siège. Son agent Mathias Schinner, évêque de Sion, rassembla 10.000 Suisses à Bellinzona, et les poussa contre le Milanais, pendant qu'une nouvelle rébellion se préparait à Gênes, et que l'armée vénitienne se réunissait aux troupes du pape pour envahir le duché de Ferrare. Chaumont d'Amboise fit habilement face à cette triple attaque. Il envoya Yves d'Alègre au secours de la garnison de Gênes, et, pour mettre Ferrare à l'abri d'un coup de main, il donna au fidèle ami de la France, à Alphonse d'Este[2], les capitaines Clermont-Montoison, Bayard, Fontrailles et du Lude, avec 4.000 aventuriers français, et 800 Suisses levés sans l'aveu des cantons. Chaumont quitta Turin, — où le duc Charles de Savoie l'avait appelé pour fermer aux Suisses l'accès de la vallée d'Aoste —, et, avec 400 lances, les 200 gentilshommes de la maison du Roi et un petit nombre de gens de pied, il vint attendre les défenseurs du Saint siège dans la plaine de Varèse. Les Suisses n'avaient que 400 cavaliers ; 2.500 de leurs gens de pied étaient armées d'hacquebutes et 50 de grosses arquebuses à croc. Ils s'avançaient sans artillerie
et sans équipage de pont pour passer les rivières et les canaux, qui les
arrêtaient à chaque pas. Ils marchaient fort serrés, au petit pas, présentant, quand le terrain le permettait, un front de 80 à 100 hommes. Sans troupes légères, ils ne pouvaient battre la campagne pour se procurer des vivres, ni se déployer avec avantage sous le canon ennemi[3]. Chaumont, ayant fait ôter tous ferrements de moulins et tous vivres de leurs chemins[4], les côtoyait avec son artillerie sans leur offrir la bataille, et les harcelait chaque jour par de vives escarmouches. Les Suisses allèrent ainsi jusqu'à Castiglione, dans
l'espérance de se joindre à l'armée vénitienne ; mais exténués, manquant de
tout, traqués par les paysans qui tuaient leurs traînards, il leur convint bientôt de retourner en leur pays,
toujours suivis de près par les Français, qui voulaient ainsi les empêcher de
mettre le feu aux villages qu'ils traversaient (septembre 1510). CAMPAGNE DE 1511. Les Suisses revinrent plus nombreux l'année suivante. Chaumont d'Amboise était mort[5], et le nouveau vice-roi du Milanais était un prince de 21 ans, Gaston de Foix, duc de Nemours. Ce neveu de Louis XII avait fait glorieusement ses premières armes[6] sous Louis d'Ars et Bayard pendant la campagne de printemps, où Trivulce avait dispersé devant Bologne (22 mai 1511) l'armée pontificale et ses auxiliaires vénitiens[7]. Les 16.000 Suisses, venus en novembre de Bellinzona à Varèse, gagnèrent mal les 20.000 ducats que Jules II leur avait envoyés pour les décider à ce nouveau voyage. Suivis à petite distance, jusqu'aux portes de Milan, par les 500 lances et les 3.000 fantassins de Gaston de Foix, ils n'osèrent pas se hasarder loin de leurs frontières pour gagner les plaines, de peur qu'en laissant derrière eux les villes fortifiées, on ne leur coupât la retraite, une fois qu'ils se seraient engagés en rase campagne. Bientôt rebutés de cette guerre sans profit, ils retournèrent brusquement chez eux, sans avoir pris une place ni livré un combat[8]. Ils avaient compris que leur solide infanterie de ligne ne pouvait se passer ni de gendarmerie, ni d'artillerie, ni de troupes légères pour tenir la campagne, et que la réunion des éléments tactiques était la cause principale des victoires qu'ils avaient gagnées sous les bannières françaises. Les Suisses mis hors de cause, Gaston de Foix avait encore à défendre la Lombardie contre les Vénitiens et les Espagnols, que Jules II avait fait entrer dans la Sainte ligue. Bologne était assiégé par le vice-roi de Naples don Ramon de Cardona et par Pedro Navarro[9], qui, de pauvre aventurier, était devenu amiral de Castille et capitaine général de l'infanterie espagnole. Le jeune prince, malgré une tempête de neige, se porta au secours de la ville par une rapide marche de nuit et y entra, le 5 février 1512, avec 1.300 lances et 15.000 fantassins. Les Espagnols levèrent le siège ; mais, en même temps, Gaston de Foix apprenait que Brescia venait d'être enlevée à son gouverneur, Jacques du Lude, par un hardi coup de main du provéditeur Andréa Gritti, et que la garnison française était assiégée dans le château[10]. Le duc de Nemours se mit en chemin si diligemment qu'un chevaucheur, sur un courtaud de cent écus, n'eût pas parcouru plus de pays que le duc, avec toute son armée. Il fit 30 milles par jour, bien qu'on fût à la mi-février, et devança, aux environs de Valeggio, un renfort de 400 hommes d'armes et de 4.000 piétons, que la Seigneurie envoyait à son provéditeur. Bayard et Théligny conduisaient la pointe d'avant-garde. Le bon chevalier, ayant eu la fièvre toute la nuit, chevauchait sans armure, vêtu d'une robe de velours noir ; mais, quand il vit qu'il fallait combattre, il mit par-dessus sa robe le halecret d'un aventurier et, bien que la grosse troupe de l'avant-garde[11] fût encore loin, il chargea les Italiens, qui avaient mis 5 ou 6 pièces en batterie et tué l'enseigne de la compagnie Théligny. Il y eut dure et âpre rencontre qui dura un quart d'heure toujours combattant. Un renfort étant survenu à Bayard, les hommes d'armes italiens tournèrent bride, en abandonnant leur artillerie et leurs gens de pied. Gaston de Foix courut au château de Brescia pour promettre à Jacques du Lude une prompte revanche. Son armée campa sur les rampes du château, en face de la citadelle et se prépara joyeusement à l'attaque du lendemain. L'ASSAUT DE BRESCIA (17 février 1512). Le 17 février au matin, Gaston de Foix, après avoir pris conseil de ses capitaines, forma ses 12.000 hommes en colonnes d'assaut. Le seigneur de Molard conduisait la première pointe composée de ses gens de pied ; devant lui, les enfants perdus du capitaine Herigoye devaient engager l'escarmouche. Le gros d'avant-garde se composait des 2.000 lansquenets du capitaine Jacob Demps. A la bataille étaient les 7.000 piétons qui restaient, sous le commandement de Bonnet, Maugiron et du bâtard de Clèves. Le duc de Nemours et le grand sénéchal de Normandie, Louis de Brézé, flanquaient cette bataille avec les gentilshommes de la maison du roi et la plus grosse force de la gendarmerie ; tous étaient à pied, l'armet en tête et la cuirasse au dos. Yves d'Alègre, avec 300 cavaliers, garda la porte Saint-Jean, la seule que les Vénitiens n'eussent pas murée. Sur le conseil de Bayard, on flanqua également les aventuriers de la pointe de 150 hommes, d'armes que le bon chevalier voulut conduire en personne. — Je suis plus qu'assuré, dit-il, que Monseigneur de Molard et tous les gens de bien qui sont avec lui ne reculeront pas ; mais si les Vénitiens ont, comme je le crois, quelques gens d'étoffe bien connaissant la guerre, c'est à la pointe qu'ils les mettront, et pareillement leurs hacquebutiers. Or, en de telles affaires, il faut, s'il est possible, ne jamais reculer. Si, d'aventure, les gens de pied étaient repoussés sans être soutenus de gendarmerie, il y pourrait avoir gros désordre. Les hommes d'armes, dans leurs armures, supporteront bien mieux les coups d'hacquebute que les gens de pied qui sont nus[12]. Ces dispositions prises, le trompette du duc de Nemours alla sommer Brescia de se rendre[13]. Andréa Gritti répondit que la ville était de la Seigneurie, et qu'à la Seigneurie elle resterait. — Alors, messeigneurs, dit Gaston de Foix à ses capitaines, nous n'avons plus qu'à bien faire et à nous montrer gentils compagnons. Marchons, au nom de Dieu et de monseigneur Saint-Denis ! Aussitôt tambourins, trompettes et clairons sonnèrent l'assaut et l'alarme, si impétueusement qu'aux couards les cheveux dressaient en la tête, et aux hardis le cœur croissait au ventre. Molard et Hérigoye se portèrent
en avant ; ils avaient sur leur aile le gentil chevalier sans peur et sans
reproche avec sa compagnie. Ils approchèrent du premier rempart, derrière lequel les ennemis commençaient à tirer artillerie et hacquebutes, dru comme mouches. Il avait un peu pluviné, et la
rampe qui menait du château à la ville était glissante ; le duc de Nemours,
en vrai montagnard béarnais, ôta ses souliers de fer et se mit en eschapins
de chausses. Les capitaines l'imitèrent, et s'en trouvèrent mieux pour marcher à l'assaut. Cependant le bon chevalier et le seigneur de Molard combattaient furieusement au rempart, merveilleusement défendu par Andréa Gritti. Les Vénitiens fléchirent un peu ;
Bayard entra le premier dans la ville, gagna le premier fort[14] avec un millier d'hommes, et il poursuivait les fuyards,
lorsqu'il reçut dans le haut de la cuisse un si grand coup de pique que le
fer y demeura avec un bout du fût. Le sang sortait en abondance ; il lui fallut, pour ne pas mourir là sans confession, sortir de la foule avec deux de ses archers, lesquels lui étanchèrent sa plaie, au mieux qu'ils purent, avec leurs chemises, qu'ils déchirèrent et rompirent pour ce faire. Le pauvre seigneur de Molard pleura amèrement la perte de son ami ; mais d'abord il songea à le venger. Il poussa devant lui, comme un lion furieux, et le bon duc de Nemours le suivit avec sa flotte[15]. Ce renfort survenu aux
assaillants obligea les Vénitiens à abandonner la citadelle ; ils se
retirèrent vers la ville, sans avoir eu le temps de lever le pont. Ils
entrèrent pêle-mêle sur la grande place, où se tenait toute leur force,
gendarmerie et chevau-légers à cheval, avec les gens de pied en bataille bien
ordonnée. Les lansquenets et les
aventuriers français se montrèrent gentils compagnons à l'attaque de la
place. Le capitaine Bonnet se porta en avant de sa troupe de la longueur d'une pique, et marcha droit aux ennemis ; il fut très bien suivi. Le combat dura plus d'une
demi-heure. Les citadins de Brescia et leurs femmes, en jetant par les
fenêtres pierres, gros carreaux et eau bouillante, endommagèrent les
Français, plus que ne firent les gens de guerre. A la fin cependant, les Vénitiens
furent défaits. 7 ou 8.000 s'étaient endormis sur la grande place pour ne
plus se réveiller ; les autres s'enfuirent à travers les rues, mais ils
trouvèrent toutes les issues gardées et on ne leur fit pas de quartier. Andréa Gritti et le comte Louis
d'Adnogadre, avec les gens de cheval, voulurent s'échapper par la porte
Saint-Jean, et ils en firent baisser le pont ; mais, à la sortie, ils furent
assaillis par les 300 lances d'Yves d'Alègre, qui les portèrent par terre
pour la plupart. Nul n'échappa des Vénitiens, qu'il ne fût mort ou pris ; les Français n'avaient pas perdu 50 hommes. Quand il n'y eut plus à qui combattre, chacun se mit au pillage parmi les maisons. Il y eut de grosses pitiés, car en de telles affaires il se trouve toujours des méchants[16]. On estima le butin à 3 millions d'écus. La prise de Brescia[17] fut en Italie la ruine des Français, car ils y avaient tant gagné que la plupart abandonnèrent l'armée et s'en retournèrent en leur pays. On aurait eu bon soin de tous ces déserteurs la journée de Mayenne. L'ARMÉE ESPAGNOLE. Pendant le siège de Brescia, les troupes pontificales s'étaient retirées à Imola ; de là, elles donnaient la' main à l'armée espagnole concentrée à Forli. Celle-ci, fidèle au système de guerre défensive qui avait si bien réussi à Gonsalve de Cordoue pendant la campagne de 1502, se dérobait il un engagement décisif. Gaston de Foix s'avisa, pour décider les capitaines espagnols à combattre, d'aller mettre le siège devant Ravenne, la vieille ville pontificale que le Saint-Siège avait reçue de Pépin le Bref en 754. Il établit son camp entre deux petites rivières, le Ronco et le Mantone, dont le confluent forme le port de Ravenne, et il donna à cette place importante un assaut qui fut repoussé. Au bruit du canon de Ravenne, Ramon de Cardona, vice-roi de Naples, réunit en une seule colonne les troupes d'Imola et de Forli, et, le 9 avril, il marcha au secours de la place, avec 1.400 lances, 4.000 chevau-légers, 12.000 fantassins et une nombreuse artillerie. Il s'arrêta à trois milles de Ravenne et prit position sur la rive droite du Ronco, en avant du confluent de cette rivière dans le Mantone. Dans la pensée du viceroi de Naples, le voisinage de l'armée espagnole devait suffire pour empêcher Gaston de Foix de donner un nouvel assaut à Ravenne ; il employa, en conséquence, le reste de la journée du 9 avril et la nuit toute entière à entourer le front de bandière de son camp d'un fossé large et profond. Le remblai formait un long épaulement, derrière lequel il abrita son artillerie. RECONNAISSANCE OFFENSIVE DE CAVALERIE. Gaston de Foix avait de graves raisons pour brusquer l'attaque de la position ennemie : il manquait de vivres[18] ; des galères vénitiennes, croisant sur la côte, barraient le Pô et interceptaient les convois qui venaient par eau de Ferrare. Louis XII, menacé d'une invasion anglaise, croyait qu'une bataille décisive, gagnée en Italie, lui permettrait de traiter à de bonnes conditions avec le Pape, et il envoyait courrier sur courrier à son neveu pour lui ordonner de combattre. Enfin, les 2.000 lansquenets des bandes noires[19], les seuls qui n'eussent pas déserté après l'assaut de Brescia, l'élite de l'infanterie française, étaient rappelés par Maximilien. Le meilleur de leurs capitaines, Jacob Demps, venait de montrer à Bayard une lettre impériale, qui lui ordonnait d'abandonner, sur le champ, les enseignes françaises ; en noble et loyal frère d'armes, Demps consentait à ne publier cette lettre qu'après la bataille, si l'on se battait le lendemain. Le jeune général réunit son conseil de guerre ; Lautrec, La Palice, Brézé, Crussol et la plupart des capitaines se tinrent à l'opinion de Bayard, qui voulait qu'on donnât la bataille. Le bon chevalier fut chargé de faire la reconnaissance de la position ennemie[20]. Il y avait une telle émulation de vaillance entre les capitaines français, que le lieutenant de la compagnie du duc de Nemours, le baron Roger de Béarn[21] aventureux chevalier et toujours prêt à l'escarmouche, résolut, sans en rien dire, de devancer Bayard dans le camp du Ronco. Au petit jour, il alla, avec une cinquantaine de lances, dresser une chaude alarme aux Espagnols. Ceux-ci faisaient bonne garde. Deux ou trois coups de canon[22] arrêtèrent les Français devant le fossé ; et 120 armures de fer, espagnoles ou napolitaines, les chargeant à la fois, les obligèrent à reculer au pas, puis au trot, puis au galop. Heureusement, la compagnie Bayard arriva à temps, pour secourir le baron de Béarn. Le bon chevalier avait divisé ses gens en 3 bandes, qui marchaient à un jet d'arc l'une de l'autre, conformément aux instructions données la veille. Son guidon, le bâtard du Fay, avec 50 archers à cheval (pointe), avait passé le Mantone au-dessous de l'artillerie des Espagnols ; il avait pour mission de faire l'alarme dans le camp ennemi le plus avant qu'il pourrait. Son lieutenant, le capitaine Pierrepont, suivait du Fay avec 30 hommes d'armes et le reste des archers (Tête). Bayard conduisait le gros de la compagnie, qui marchait sous les enseignes du gentil duc de Lorraine. Du Fay s'arrêta pour rallier les gens d'armes du baron de Béarn et fit prévenir Bayard, qui lui manda incontinent de se replier sur Pierrepont. Le bon chevalier s'avança lui-même au galop, à la tête du 3e échelon, pour mettre toute sa compagnie ensemble. — Avant, compagnons ; secourons nos gens ! — criait-il. La cavalerie espagnole et napolitaine avait passé le Mantone à la suite des Français. Bayard la chargea impétueusement. Dès la première pointe, il fut
porté par terre cinq ou sis Espagnols ; toutefois les autres se mirent en
défense très honnêtement ; mais, à la fin, ils tournèrent le dos et
galopèrent droit au Mantone, qu'ils repassèrent en grande diligence. L'alarme était déjà dans leur camp ; de sorte que tout s'était déjà formé en bataille, gens de pied et gens de cheval. Nonobstant, le bon chevalier les mena, battant et chassant, bien au delà dudit camp, où lui et les siens firent merveilles d'armes, car ils abattirent tentes et pavillons et poussèrent par terre ce qu'ils trouvèrent[23]. Une troupe de 2 ou 300 hommes d'armes ennemis, qui venait sur son flanc pour le tourner, obligea Bayard à la retraite ; mais sa reconnaissance offensive avait réussi, puisqu'elle avait obligé les Espagnols à se former en bataille et à montrer leurs dispositions. On se prépara activement, de part et d'autre, à la bataille. du lendemain : Gaston de Foix, assisté de ses principaux capitaines, régla minutieusement l'ordre de bataille de ses troupes, en indiquant a chacune d'elles son emplacement et son rôle. Ravenne (11 avril 1512).Le jour de Pâques, de grand matin, les lansquenets franchirent en bon ordre le pont du Mantone. Les aventuriers français devaient les suivre. Mais le gentil seigneur de Molart dit à ses rustres : — Comment ! compagnons, nous sera-t-il reproché que les lansquenets aient passé plus tôt que nous du côté de l'ennemi. J'aimerais mieux perdre un œil pour mon compte ! Et tout chaussé et vêtu, il se mit au beau gué dedans l'eau, et ses gens après ; et les rustres firent si bonne diligence, qu'ils furent de l'autre côté de la rivière avant les lansquenets. L'artillerie put ainsi passer le
pont plus tôt, et se placer devant les gens de pied[24], qui tantôt se mirent en bataille ; après, passa
l'avant-garde des gens de cheval, et puis la bataille[25]. L'armée française se composait de 1.600 lances, de 18.000 hommes de pied et de l'artillerie du due de Ferrare, la plus perfectionnée de l'Europe. Gaston de Foix disposa ses troupes en croissant, pour envelopper les lignes ennemies tracées en demi-cercle. L'aile droite, appuyée au Ronco, était commandée par Louis de Brézé et par le duc de Ferrare ; elle se composait de 700 lances et de 2.000 lansquenets. 8.000 Français, des bandes de Picardie et de Gascogne, et 5.000 piétons italiens, conduits par un cadet de la maison de Mantoue, formaient le corps de bataille. Trivulce était à l'aile gauche avec 3.000 chevau-légers et les rustres du capitaine Molard. Le maréchal de La Palice, avec l'élite de la gendarmerie de France, formait la réserve, en arriéré de l'aile droite. Sur la rire gauche du Ronco, Yves d'Alègre et 400 lances tenaient en respect la garnison de Ravenne ; le capitaine Paris, avec 1.000 Écossais, observait le cours du Mantone. Avant d'engager l'action, Gaston de Foix parcourut les rangs suivi d'une brillante escorte de jeune noblesse, en priant chacun de bien faire pour l'amour de sa dame. C'était Pedro Navarre, tacticien consommé autant qu'ingénieur habile, qui avait rangé l'armée ennemie en arrière des retranchements. L'aile gauche, opposée à l'aile droite française et appuyée comme elle au Ronco, se composait des 800 hommes d'armes et des 6.000 fantassins de l'armée pontificale, sous Fabrice Colonna ; Le vice-roi de Naples, Cardona, se tenait au centre, avec 660 lances et 4.000 fantassins espagnols ; A l'aile droite, 1.000 chevau-légers et les condottieri napolitains, sous le marquis de Pescaire ; Une réserve de 400 lances et de 4.000 fantassins espagnols, sous Carvajal, formait la deuxième ligne en arrière du centre. L'artillerie des deux armées était répartie sur le front de l'infanterie. Les gros canons napolitains étaient placés derrière le retranchement ; mais Pedro Navarro, afin de pouvoir transporter l'artillerie légère d'un point à un autre de la ligne de bataille, avait monté 20 couleuvrines et 200 grosses hacquebutes à croc sur des chariots, cuirassés et hérissés d'épieux à la façon des chars de guerre des anciens. La bataille commença par une violente canonnade. Pendant trois heures, les gens de pied français, qui s'étaient avancés à découvert jusqu'à deux jets de pierre du camp ennemi, tinrent à honneur de rester debout sous le feu ; ils furent très maltraités. Tous leurs capitaines s'étant mis au premier rang, 38 sur 40 restèrent sur la place. M. de Molard, vieux routier aux guerres d'Italie, qui avait charge de 2.000 hommes de pied braves et vaillants, et Jacob Demps furent emportés par le même boulet, pendant qu'ils trinquaient ensemble devant l'ennemi. Le duc de Ferrare eut alors une inspiration tactique qui décida du gain de la bataille. Comme l'aile gauche française débordait les retranchements ennemis, il porta vers la pointe du croissant quelques couleuvrines, et prit, à la fois, d'écharpe ou à revers, l'intérieur des retranchements, les batteries et les masses profondes de l'infanterie espagnole, que Pedro Navarro, son chef, avait maintenues jusque-là couchées à. plat ventre. L'armée du pape faisait mauvaise figure sous le canon ; Fabrice Colonna fit combler le fossé qui couvrait son front, et marcha au devant de l'aile droite française, en entraînant la gendarmerie de Cardona et de Carvajal. Cette cavalerie fut aussitôt chargée par la gendarmerie française, conduite par Gaston de Foix en personne. Au même moment, les lansquenets, les bandes de Picardie et les Gascons s'élançaient à l'attaque du retranchement ; mais Pedro Navarro, faisant lever brusquement ses Espagnols, les lança contre les assaillants. La mêlée devint générale ; elle fut courte. La cavalerie espagnole et italienne, culbutée, prit la fuite, à l'exemple du vice-roi de Naples[26]. L'infanterie de Colonna, attaquée en flanc par la réserve de 400 lances de La Palice, se débanda ; son chef fut pris. On n'eut pas si bon marché de l'infanterie espagnole. Combattant, à la manière des Romains avec l'épée et le bouclier, elle avait réussi à rompre la phalange des lansquenets et elle avait mis en désordre les landes de Picardie et les hacquebutiers gascons, lorsque la gendarmerie française, accourant à la rescousse de l'infanterie, obligea les Espagnols à se replier sur jour camp Retranché[27]. Là, ceux-ci firent tête de nouveau ; les piquiers de Pedro Navarro s'entassèrent dans les passages ménagés dans Je retranchement, et les arquebusiers garnirent le parapet. Lansquenets, Picards et Gascons se ruèrent à l'assaut ; mais tous leurs efforts semblaient impuissants, lorsqu'un capitaine de lansquenets, Fabian, prenait sa pique par le travers et l'élevant à deux mains au-dessus des piques espagnoles, en rabattit brusquement quelques-unes et fit une étroite trouée, où les Français s'élancèrent en passant sur le corps du héros. Une lutte acharnée main à main, s'engagea entre les deux infanteries d'élite. Mais la gendarmerie française avait tourné les retranchements, et déjà elle chargeait la queue des batailles de Navarro ; lui-même fut pris. Alors les Espagnols vaincus se rallièrent, reformèrent leurs bataillons décimés et battirent fièrement en retraite le long de la chaussée étroite du Ronco. De distance en distance, ils s'arrêtaient pour tirer leurs arquebuses et les recharger, faisant tourner le dos aux piétons français débandés qui les approchaient de trop près. Gaston de Foix, couvert de sang, recevait les rapports de ses officiers[28], lorsqu'un de ses archers d'ordonnance vint lui dire que 2.000 gens de pied ennemis avaient échappé. Aussitôt le jeune prince s'élança, à peine suivi, à leur poursuite. Entouré par les Espagnols, désarçonné et jeté dans un fossé, il se releva l'épée au poing, et se défendit comme Roland à Roncevaux. Malgré les prières du maréchal de Lautrec, son cousin, qui criait aux Espagnols : — C'est le frère de votre reine ! Gaston de Foix fut percé de plus de vingt coups d'épée et de pique. Il mourut à vingt-trois ans, déjà couvert d'une gloire immortelle ; et l'on peut dire qu'il fut grand capitaine avant d'avoir été soldat[29]. Après Alexandre et Gaston de Foix, il n'y a, dans l'histoire des peuples, que le grand Condé et Napoléon qui aient mérité un pareil éloge. ARTILLERIE LÉGÈRE. Ainsi, depuis Fornoue, où le canon n'avait pas tué 10 hommes, l'artillerie avait pris, peu à peu, sur le champ de bataille le rôle prépondérant. Pour elle, Ravenne est une date mémorable, car c'est la première victoire qu'on ait due aux batteries légères. Pedro Navarro comprenait si bien tout le parti qu'on pouvait tirer de l'artillerie en la rendant mobile, qu'il avait disposé ses fauconneaux sur des chariots blindés pour les lancer dans la mêlée. Les capitaines français donnèrent à leurs adversaires un nouvel exemple de bravoure, en restant debout et impassibles sous le canon. Ce sera pour eux un point d'honneur pendant trois siècles et demi, jusqu'aux désastres de 1870 ; depuis, un règlement formel leur ordonne de faire coucher les hommes sous le feu de l'artillerie. Cette fois encore la gendarmerie française s'est montrée brillante, audacieuse, irrésistible ; elle fera mieux encore à Marignan ; mais le canon et l'arquebuse ont ouvert dans ses rangs des brèches irréparables : ce sont les dernières prouesses de la lance chevaleresque. — Dieu nous garde de remporter jamais pareille victoire ! s'écria Louis XII en lisant le rapport de La Palice. Je voudrais ne plus avoir un pouce de terre en Italie et pouvoir, à ce prix, rendre la vie à mon cher neveu et à tous les braves qui sont morts avec lui ! Une défaite n'aurait pas eu de plus funestes conséquences. Le pape, au lieu de traiter avec les Français, redoubla contre eux de haine et de colère ; il obtint de nouveau l'intervention des Suisses, qui donnèrent à l'armée de Venise la cohésion qui lui manquait. La Palice fut obligé d'évacuer le Milanais, et le fils de Ludovic le More, Maximilien Sforza, recouvra la couronne ducale que son père avait perdue. L'ANNÉE 1543. La Trémoïlle prit, au mois de mai 1513, le commandement de l'armée d'Italie. La campagne débuta par des succès ; Alexandrie, Verceil et Pavie furent repris sans coup férir. A l'approche des Français, Maximilien Sforza abandonna Milan, et, comme son père, il s'enferma dans Novare avec 10.000 Suisses. La Trémoïlle vint l'y assiéger, le 4 juin ; il avait 1.200 lances, 800 chevau-légers, 6.000 lansquenets, autant d'aventuriers français et gascons et plus de 100 pièces d'artillerie. C'était renouveler l'entreprise qui avait si bien réussi, en 1500, contre Ludovic le More. Mais les Suisses, cette fois, ne songèrent pas à trahir, et l'on n'essaya pas de les acheter. Ils avaient devant eux leurs rivaux détestés, les lansquenets allemands, qui leur faisaient concurrence dans le métier de mercenaires, et que Louis XII leur avait préférés. Aussi, pour montrer au roi de France combien il avait perdu au change, ils tentèrent, dans la nuit du 8 au 6 juin, une attaque audacieuse contre le camp français. Novare (6 juin 1843).La Trémoille avait été prévenu par ses coureurs albanais qu'un renfort de 8.000 Suisses était déjà entré dans Novare et qu'une nouvelle colonne importante y était attendue. Le général français crut prudent de lever le siège ; mais, sur l'avis de Trivulce, il fit la faute d'établir son camp devant Trécate, à 3 milles de Novare, sur un terrain boisé, marécageux et coupé de canaux qui gênaient les communications en empêchant les manœuvres de la cavalerie. L'armée, très fatiguée par la chaleur, s'était logée assez tard. Monsieur de La Trémoïlle avait dit, le soir, aux capitaines, qu'ils pouvaient dormir sûrement et faire bonne chère, parce que les Suisses, n'ayant pas tous leurs gens ensemble, n'étaient pas encore prêts à combattre. Toutefois, vers une heure du
matin, les Suisses vinrent, à l'ombre du petit bois qui tenait au quartier
des lansquenets, rebouter le guet des aventuriers français jusqu'au logis de
M. -de La Trémoïlle. Celui-ci eut, à grand'peine, le
loisir de se lever et de monter à cheval à demi-armé, car les Français et les
Suisses étaient déjà pêle-mêle contre son logis. L'alarme fut grande au camp ; la gendarmerie monta à cheval et se forma en désordre, pendant que les Suisses se renforçaient. Leur point d'attaque était bien choisi, car en cas d'échec ils pouvaient se retirer le long du petit bois jusqu'à Novare, sans être inquiétés par les gens de cheval. Les Suisses marchaient en deux colonnes. L'une, pour gagner l'artillerie, devait attaquer les lansquenets qui la gardaient ; l'autre devait disperser les aventuriers français, puis faire irruption dans le quartier de la gendarmerie, afin de l'empêcher de venir à la rescousse des lansquenets. Les enfants perdus de la première colonne suisse engagèrent l'attaque, main à main, avec les lansquenets ; mais Robert de la Mark, seigneur de Sedan, les chargea avec 300 hommes d'armes et les mit en fuite. Les lansquenets, qui étaient à peine 5.000 sains et en point de combattre, soutinrent bravement l'attaque du gros de la colonne suisse. Leurs 800 hacquebutiers firent merveilleusement leur devoir ; et ces deux infanteries d'élite, qui avaient le même armement, la même tactique et le même orgueil militaire, ne tardèrent pas à s'attaquer corps à corps et à se confondre dans une terrible mêlée à l'arme blanche[30]. La deuxième colonne suisse mit en fuite, presque sans combat, les aventuriers français et les hacquebutiers gascons. Les lansquenets ne furent vaincus qu'après deux heures d'une lutte acharnée, dans laquelle leur capitaine général, le sire de Fleurange, reçut 46 blessures[31] ; mais la fleur des Suisses y demeura, et plus de Suisses que de lansquenets. L'ennemi, maître de l'artillerie, la tourna contre le camp français : la première décharge fut le signal de la déroute. La gendarmerie française, formée en carré sur ce terrain inaccessible, ne pouvait charger ni à droite ni à gauche, sans écraser son infanterie mélangée avec les assaillants. Entourée, acculée, labourée par ses propres boulets, elle se mit en retraite dans la direction de Verceil. Ce fut un désastre irréparable, à la façon de Granson et de Morat. L'Italie acclama les Suisses comme ses libérateurs, et un soulèvement général des Lombards rejeta les Français au delà des Alpes. INVASION DE LA FRANCE (1513). La Trémoïlle avait été rappelé en toute hâte dans son gouvernement de Bourgogne menacé par l'invasion. L'empereur Maximilien, le roi d'Angleterre Henry VIII et le roi d'Espagne s'étaient coalisés pour attaquer les frontières françaises au nord et au midi. Au nord, l'objectif était l'Artois ; c'était la Navarre au sud. L'empereur avait donné rendez-vous au roi d'Angleterre devant cette place de Thérouanne qu'il n'avait pas su prendre, en 1469, après sa victoire de Guinegatte. C'était, pour nos ennemis, l'année des revanches. L'armée française de Picardie, réunie à Blangi-en-Ternois sous le commandement du sire de Piennes, du duc de Longueville et du maréchal de La Palice, reçut l'ordre de ravitailler Thérouanne, coûte que coûte, sans engager toutefois une bataille inégale avec les 40.000 hommes de l'armée de siège. La Journée des Éperons[32] (16 août 1513).Il fut conclu que toute la gendarmerie dresserait une alarme au camp ennemi, pendant que les Albanais iraient, au galop de leurs chevaux, jeter des vivres dans Thérouanne. Le roi d'Angleterre fut averti de ce projet par ses espions ; d'autant qu'il y en avait alors de doubles, qui servaient le parti adverse en feignant d'être bons Français. Le 16 août 1513, les capitaines du roi de France montèrent à cheval avec leurs gens d'armes. Dès le point du jour, le roi d'Angleterre avait fait mettre au haut d'un tertre 10 ou 12.000 archers anglais et 4 ou 5.000 lansquenets, avec 8 ou 10 pièces d'artillerie, pour couper le chemin à la gendarmerie française quand elle aurait passé outre. Par devant, il avait ordonné tous les gens de cheval d'Angleterre, de Bourgogne et de Hainaut pour assaillir cette gendarmerie. Il est important de rapporter une chose que peu de gens ont sue, et qui est cause qu'on a accusé, à grand tort, de lâcheté les gentilshommes de France : c'est que les capitaines avaient déclaré à leurs gens d'armes que cette course n'avait d'autre but que de ravitailler la garnison de Thérouanne, et qu'il ne s'agissait aucunement de combattre. En cas de rencontre d'une troupe ennemie, on devait, pour ne rien hasarder, revenir sur ses pas en passant, si l'on était pressé, du pas au trot et du trot au galop. Quand les Français furent à près d'une lieue de Thérouanne, l'escarmouche commença forte et rude. La gendarmerie fit très bien son devoir, jusqu'au moment où elle vit derrière elle les deux bandes de gens de pied anglais et allemands descendre de la colline d'Enguinegatte pour les enclore. Aussitôt les trompettes sonnèrent la retraite, et les gens d'armes, suivant la leçon de leurs capitaines, se mirent, le grand pas, au retour. Bientôt ils furent pressés, et passèrent au trot, puis au grand galop ; si bien que les premiers vinrent se jeter dans les batailles du seigneur de La Palice et du duc de Longueville, en si grande fureur qu'ils mirent toute l'armée en désordre[33]. Les capitaines avaient beau crier
: — Tourne, homme d'armes ! Tourne, ce n'est rien ! Chacun tâchait de rejoindre le camp de Blangi, où étaient demeurés l'artillerie et les gens de pied. Cependant Bavard, entraîné dans la déroute, retournait sur les ennemis menu et souvent avec une quinzaine d'hommes d'armes. Il essaya de défendre un petit pont où deux hommes à cheval pouvaient à peine passer de front, et il envoya un archer à La Palice pour le prévenir qu'il allait essayer d'y arrêter l'ennemi pendant une demi-heure, afin de laisser au reste de l'armée le temps de se former en bataille. Mais deux cents chevaux bourguignons passèrent le cours d'eau à quelque distance et vinrent l'assaillir par derrière. Forcé de se rendre, Bayard songea à appliquer le précepte de guerre qu'il se plaisait à répéter : Un parfait chevalier doit faire assaut de levrier, défense de sanglier et fuite de loup. Il aperçut, assis sous un petit bouquet d'arbres, un gentilhomme anglais bien en ordre, qui, exténué par la chaleur, avait ôté son armet et se reposait, sans daigner s'amuser aux prisonniers. Il piqua droit sur lui et lui vint mettre son épée sous la gorge, en lui criant : — Rends-toi, homme d'armes, ou tu es mort ! Le gentilhomme bien ébahi eut peur de mourir et dit : — Je me rends, puisque je suis pris, mais qui êtes-vous donc ! — Je suis, répondit le bon chevalier, le capitaine Bayard et je me rends à vous. Emmenez-moi, si c'est votre bon plaisir, voici mon épée ; mais ayez la courtoisie de me la rendre, si nous rencontrons en chemin des gens qui aient envie de nous tuer. Le gentilhomme le lui promit et tint parole, car en rentrant au camp de l'Empereur, il fallut jouer du couteau contre certains anglais qui voulaient égorger tous les prisonniers[34]. Ce bon tour de Bayard n'empêcha pas le peuple de France d'appeler lièvres armés les nobles hommes d'armes, qui avaient tourné le dos devant l'ennemi à la journée des éperons. MORT DE LOUIS XII. Thérouanne fut pris. Les Suisses descendirent en Bourgogne et menacèrent Dijon. Le bon roi Louis ne trouva de plus sûr moyen, pour arrêter cette triple invasion, que d'acheter la paix avec les beaux deniers, dont il était trop économe au dire des courtisans et des clercs de la basoche. Louis XII, las de la guerre, ne songeait plus qu'à en réparer les maux, lorsque la mort vint le surprendre, quelques mois après son mariage avec une jeune sœur du roi d'Angleterre (1er janvier 1515). Le peuple et l'armée le pleurèrent : Le peuple, parce qu'il avait été, en son vivant, un bon roi, sage et vertueux, qui ne l'avait foulé que par contrainte[35], et l'armée, parce que c'était un gentil prince, lequel avait fait, en son temps, beaucoup de belles choses, où pour là plupart il était en personne[36]. |
[1]
Comme les Grecs, les Suisses combattaient mal sur un
terrain coupé ; la guerre d'escarmouche leur répugnait, et ils se refusaient à
prendre part aux sièges et aux assauts. Ils comprenaient si bien que l'appui de
la cavalerie et du canon leur était indispensable, qu'ils ne voulaient pas
marcher à l'ennemi sans avoir à leurs côtés la gendarmerie française et qu'ils
s'imposaient comme soutiens et gardiens de l'artillerie.
D'ailleurs, âpres au gain, les Suisses ne perdaient jamais une occasion de réclamer l'arriéré de leur solde ou d'en demander le double quand ils se savaient indispensables : la guerre n'était pour eux qu'un métier plus lucratif que les autres. (Folard.)
[2] Gentil prince, homme de guerre de bon entendement et hardi, qui prenait tout son passe-temps et exercice à fondre de l'artillerie, à réparer et à fortifier ses places. (Fleurange.)
[3] Machiavel.
[4] Loyal Serviteur, chap. L.
[5] 11 mars 1511.
[6] Gaston de Foix était fils de Jean de Foix, vicomte de Narbonne et d'Etampes, et de Marie d'Orléans, sœur de Louis XII.
Il se déroba au roi, emmenant avec lui le prince de Talmont, fils de Louis de la Trémoïlle, pour aller à Milan, où le seigneur de Chaumont était lieutenant général. Le roi et Louis de Trémoïlle feignirent d'être courroucés de ce que les deux jeunes princes s'en étaient allés sans leur congé, mais ils leur envoyèrent or et argent avec tout ce qui était nécessaire (Jean Bouchet).
[7] Trivulce avait des intelligences dans la Bologne et voulait y entrer. Le duc d'Urbin, général de Jules II, prit position à Casalecchio, à 3 milles de la ville, entre le Reno et le canal ; mais son armée se débanda sans attendre l'attaque des Français.
Jamais on ne vit si grosse pitié de camp ; car tout le bagage y demeura, avec l'artillerie (15 pièces de gros canon), les tentes et les pavillons. Il y avait tel Français qui, à lui seul, amenait 5 ou 6 gens d'armes du pape, ses prisonniers. Un nommé La Baulme, qui avait une jambe de bois, en conduisait trois liés ensemble (Le Loyal Serviteur).
Les troupes vénitiennes, commandées par Romazotti, et qui étaient campées plus loin sur le mont Saint-Luc, se retirèrent en Romagne par les montagnes (Guicciardini, Livre IX, Chap. LXVI).
[8] Machiavel.
[9] Petit homme maigre du Val de Rancal, qui avait fait beaucoup de belles choses sur les Mores d'Espagne et au royaume de Naples ; ingénieux pour prendre places et les défendre, il s'entendait aussi pour faire mines et contre-mines. (Fleurange.)
[10] Le provéditeur fit canonner le château à merveille, et il y eut grosse brèche faite, de plus il fit soudainement dresser deux engins en manière de grue, pour approcher de la plate-forme, lesquels portaient bien chacun 100 hommes de front. (Le Loyal Serviteur.)
Les engins poliorcétiques de l'antiquité et du moyen âge étaient donc encore employés en 1512.
[11] Le gros d'avant-garde ; l'expression est encore à peu près la même.
[12] C'est-à-dire sans armes défensives.
[13] Remarquons que les trompettes remplissaient souvent le rôle de héraut ; on les considérait si peu comme des combattants qu'ils n'avaient pas d'armure, et qu'ils assistaient aux plus rudes mêlées en simples spectateurs.
[14] La première enceinte.
[15] Nous nous sommes imposé de rajeunir le texte des chroniques quand il présente des obscurités qui peuvent embarrasser certains lecteurs, mais nous conservons tous les vieux mots militaires qui perdraient à être traduits.
[16] Il suffit de se reporter à la description que Brantôme fait des lansquenets au service de la France, pour se rendre compte des atrocités qu'ils devaient commettre dans une ville prise d'assaut : Ils étaient, dit-il, pour la plupart, gens de sac et de corde, méchants garnements échappés de la justice, et surtout ; fonça étaient marqués de la fleur de lys sur l'épaule, essorillés (mais ils cachaient leurs oreilles, à dire vrai, par longs cheveux hérissés), avec barbes horribles, pour se montrer effroyables à leurs ennemis. (Brantôme, Discours sur les colonels de l'infanterie française.)
[17] La noble attitude de Bayard blessé, couvrant ses hôtes de sa protection et refusant leurs présents, est une description des mœurs chevaleresques qu'il faut lire toute entière dans le chapitre L du Loyal Serviteur. On peut se convaincre, par cette lecture, que le sentiment populaire ne s'est pas trompé en faisant du chevalier sans peur et sans reproche le type idéal de l'honneur français.
[18] Les Français sont venus, cette semaine sainte, avec toute leur armée, mettre le siège devant Ravenne. Bientôt après l'armée du pape et les Espagnols (Espaingnars), bien qu'ils ne fussent pas, à beaucoup près, en aussi grand nombre, se mirent de l'autre côté de la rivière pour secourir la dite cité. Les Vénitiens, séparés des Espagnols par une autre très grande rivière (le Pô), otèrent aux Français les vivres, qui, pour la plupart, leur venaient de Lombardie ; tellement que les Français, par nécessité ou autrement, levèrent le siège en feignant de vouloir se retirer.
(Lettre de Ferry Carondelet à Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas. — Correspondance de Louis XII. Bruxelles, 1712.)
[19] On les appelait ainsi à cause de la couleur de leurs enseignes et surtout de la cruauté avec laquelle ils faisaient la guerre.
[20] Je serais d'avis, dit le duc de Nemours à Bayard, s'il vous semble bon (car depuis longtemps déjà vous connaissez la manière de faire des Espagnols) que demain matin ils eussent par vous quelqu'escarmouche ; de sorte que vous les fassiez mettre en bataille et que vous voyez leur contenance. (Loyal Serviteur, chap. LII).
[21] Brantôme l'appelle le prince de Béarcq. D'après Petitot (Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France), c'était un bâtard de la maison de Foix, qui était baron de Ravat et vicomte de Conserans.
[22] L'un emporta le bras droit d'un fort gaillard gentilhomme appelé Bazillac, l'autre tua le cheval du seigneur de Bersac ; galant homme d'armes de la compagnie du duc de Nemours. (Loyal Serviteur.)
[23] Le Loyal Serviteur, ch. LIII.
[24] Les Français passèrent la rivière par ponts jetés de trois côtés, et prirent assez à la dépourvance les Espaignars qui se mirent incontinent au point pour combattre ; mais, avant qu'ils pussent être bien en ordre et conseiller leur fait, ils furent assez offensés de l'artillerie que les Français avaient placée fort à leur avantage, de trois côtés, au nombre de 80 pièces. (Lettre de Ferry Carondelet.)
[25] Loyal Serviteur.
[26] Il y demeura des deux côtés plus de 23.000 personnes. Les Français, au dire de tous, y ont perdu autant de gens que les autres ; toutefois ils ont gagné la bataille, parce que le vice-roy de Naples, don Ramon de Cardona, capitaine général de l'armée, voyant le grand désarroy et meurtre que faisait la dite artillerie des Français, ne combattit oncques, mais s'enfuit avec 500 lances et 7.000 piétons. (Lettre de Ferry Carondelet.)
[27] Les Suisses et les Espagnols ont une infanterie redoutable qui cependant a ses défauts : les Espagnols ne tiennent pas contre la cavalerie française, et les Suisses prennent peur quand ils ont affaire à des fantassins qui rivalisent avec eux d'opiniâtreté. A Ravenne, quand les gens de pied espagnols, couverts par leurs boucliers, se jetèrent avec leur agilité ordinaire au milieu des piques des lansquenets, ils rompirent l'infanterie allemande qui gardait le même ordre que les Suisses, et ils l'auraient mise en déroute si la gendarmerie française n'était venue fondre sur eux. (Machiavel, Le Prince.)
[28] La bataille gagnée, M. de Bavard vint au duc de Nemours, qu'il trouva tout couvert du sang et de la cervelle d'un de ses gendarmes, tué près lui d'une canonnade.
— Monseigneur, êtes-vous blessé, lui demanda-t-il ?
— Non ; mais j'en ai blessé bien d'autres, répondit le jeune prince.
— Or, Dieu soit loué, monsieur, dit Bayard ; vous avez gagné la bataille et demeurez aujourd'hui le plus honoré prince du monde. Mais ne tirez pas plus avant, et rassemblez votre gendarmerie en ce lieu. Surtout qu'on ne se mette pas au pillage, car il n'est pas temps. Le capitaine Louis d'Ars et moi allons après ces fuyants. Pour homme vivant, monsieur, ne départez point d'ici que nous ne vous venions quérir ou mandions !
[29] Guicciardini.
[30] Alors on vit, à la faveur du jour naissant, toutes les vicissitudes et les horreurs d'un combat également opiniâtre. Quelques-uns pliaient, mais bientôt ramenés, ils enfonçaient les rangs qui les avaient fait reculer. On s'avançait de part et d'autre ; on cédait, on gagnait du terrain et - les deux partis faisaient de suprêmes efforts pour résister à la fièvre de l'adversaire. On ne voyait que des morts et du sang ; tantôt les capitaines combattaient comme leurs soldats, tantôt, reprenant le commandement, ils s'empressaient de pourvoir à tout, de ranimer le courage de leurs gens, de les diriger et de ramener ceux qui pliaient. (Guicciardini, liv. XI, chap. XXXIV).
[31] Ce fut son père, Robert de la Mark, qui le découvrit au milieu des morts ; il le mit sur un cheval de bagage et le fit mener avec la gendarmerie qui s'en allait. (Fleurange, chap. XXXVII.)
[32] D'après le Loyal Serviteur, chap. LVII.
[33] Comme à Azincourt.
[34] Bayard partagea pendant quatre jours la tente de l'Anglais qui lui fit très bonne chère. Le cinquième jour, il lui dit :
— Mon gentilhomme, je voudrais bien être mené sûrement au camp du roi mon maître, car il m'ennuie déjà ici.
— Comment ! dit l'autre, mais nous n'avons pas encore parlé de votre rançon.
— Ma rançon ! La vôtre, voulez-vous dire, puisque vous êtes mon prisonnier. J'ai reçu votre foi, et, si je me suis rendu à vous, c'était pour sauver ma vie et non autrement.
L'Anglais se récria.
— Mon gentilhomme, lui dit Bayard, ou bien vous me tiendrez promesse, ou bien, quand j'en réchapperai, en quelque sorte que ce soit, j'aurai le plaisir de me battre avec vous.
L'Anglais, qui connaissait la réputation du capitaine Bayard, ne se souciait nullement de ce combat ; il en fut référé à l'empereur et au roi d'Angleterre, qui déclarèrent que les deux gentilshommes étaient quittes l'un envers l'autre. (Loyal Serviteur.)
[35] Loyal Serviteur, chap. LVIII.
[36] Fleurange, chap. XLVI.