LES FRANÇAIS EN ITALIE DE 1494 A 1559

 

CHAPITRE II. — LA GENDARMERIE DE FRANCE.

 

 

SOMMAIRE.

Bayard. — Pointe de cavalerie de Bellinzona à Novare. — Picardie et Piémont. — La Rébellion de Gênes en 1507. — Prise du Bastillon. — Combat du Promontoire. — Enseignements tactiques.

 

BAYARD.

 

Le chef de la guerre folle, le rebelle vaincu à Saint-Aubin-du-Cormier, devait être un roi belliqueux.

Mais il fut aussi un roi indulgent, économe des deniers publics, secourable aux pauvres gens, et, s'il perdit l'Italie après l'avoir de nouveau conquise, il gagna du moins le beau titre de Père du peuple.

 

Le règne de Louis XII marqua l'apogée de la gendarmerie de France.

Il y eut, à la fin du XVe siècle, entre les chevaliers des compagnies d'ordonnance, une généreuse émulation de prouesses et une soif de gloire, qui furent partagées par leurs adversaires. Les coups d'audace les plus inouïs, les défis les plus téméraires devinrent une habitude ; pour les gens de guerre de cette époque, le mot impossible n'était pas français.

L'histoire a conservé une longue liste de valeureux capitaines et de chevaliers sans reproche, parmi lesquels Bayard, Louis d'Ars, Ligny, La Palice et Gaston de Foix sont restés légendaires.

 

C'est à Fornoue que Bayard s'était fait connaître.

A la première charge, le Bon Chevalier sans peur et sans reproche s'était porté triomphalement par dessus tous, en la compagnie du gentil seigneur de Ligny son bon maître, et il avait eu deux chevaux tués sous lui. Charles VIII lui avait baillé 500 écus ; mais, en récompense, le bon chevalier lui avait présenté une enseigne de gens de cheval, qu'il avait gagnée dans la poursuite[1].

 

Pendant la campagne de 1499[2], qui nous rendit le Milanais, Bayard, appartenait encore à la compagnie d'ordonnance de Louis de Luxembourg, comte de Ligny et de Saint-Pol.

Quand Louis XII retourna en France[3], en laissant à Trivulce le gouvernement du Milanais, le Bon Chevalier demeura en Italie, parce qu'il désirait les armes sur toutes choses, et qu'il imaginait bien que le seigneur Ludovic le More, étant allé chercher secours en Allemagne, ne tarderait pas à revenir en puissance et qu'il y aurait encore à combattre.

 

Milan fut en effet surpris, le 5 février 1500.

 

Bayard tenait alors garnison à 20 milles de Milan, avec d'autres jeunes gentilshommes, qui faisaient chaque jour courses les uns sur les autres, belles à merveilles.

Un soir, il fut averti qu'il y avait dans Binasco[4] 300 chevaux italiens, qui seraient bien aisés à défaire.

Il pria ses compagnons que leur plaisir fut de les aller visiter avec lui.

Tous s'apprêtèrent de bon matin et s'en allèrent, jusqu'au nombre de 40 ou 50 hommes d'armes, pour essayer s'ils feraient quelque bonne chose.

Messire Jean Bernardin Cazachio, le capitaine de Binasco, était très-gentil chevalier, sage et avisé à la guerre. Il avait aux champs bonnes espies, qui lui apprirent comment les Français cheminaient pour le venir trouver, et il ne voulut pas attendre d'être pris au nid. Il se mit, de sa part, en ordre, et se tira hors des barrières de la ville, à portée de deux ou trois jets d'arc.

Quand le capitaine lombard eut avisé ses ennemis, il eut grande joie ; car, au peu de nombre qu'ils étaient, il pensa qu'ils ne lui feraient pas de déshonneur.

Français et Italiens commencèrent. à approcher les uns contre les autres, criant, ceux-ci :

— France ! France !

Ceux-là :

— More ! More !

et, à l'aborder, il y eut grosse et périlleuse charge, car, des deux côtés, il en fut porté à terre qui, à grand'peine, remontèrent à cheval.

Qui eût vu le bon chevalier faire faits d'armes, entamer les têtes, couper bras et jambes, l'eût pris plutôt pour un lion furieux que pour un galant damoisel.

Bref, ce combat dura une heure, sans qu'on pût dire à qui était l'avantage ; ce qui fâcha fort le bon chevalier :

— Hé ! Messeigneurs, dit-il à ses compagnons, si peu de gens nous retiendront-ils toute la journée ? Si les Lombards qui sont dans Milan en étaient avertis, pas un de nous ne se sauverait. Donc, prenons courage, je vous en supplie, et poussons-les par terre !

Aux paroles de Bayard, ses compagnons s'évertuèrent et, criant tout d'une voix :

— France ! France !

 

Ils livrèrent un âpre et merveilleux assaut aux Lombards, qui commencèrent à perdre place et à reculer, mais en se défendant très-bien.

 

En ce reculement, ils firent plus de 4 à 5 milles, tirant vers Milan, et, quand ils s'en virent si près, ils tournèrent bride ; puis, à course de cheval, ils prirent, à qui mieux mieux, la fuite vers la ville.

Les Français chassèrent tant, qu'ils furent bien près de Milan ; alors, il fut crié par un des plus anciens parmi eux, qui fort bien entendait la guerre :

— Tourne, homme d'armes, tourne !

 

A quoi chacun obéit, excepté le bon chevalier qui, tout échauffé, toujours chassait et poursuivait ses ennemis. De sorte que, pêle-mêle avec eux, il entra dans Milan et les suivit jusqu'au palais du seigneur Ludovic.

 

Comme Bayard portait les croix blanches sur ses armes, tout le monde dans la ville criait après lui :

— Pille ! pille !

Il fut environné de toute part et fait prisonnier par le capitaine Jean Bernardin Cazachio, qui le mena à son logis, et le fit désarmer.

Le seigneur Ludovic, qui avait ouï le bruit, se fit amener le prisonnier, et s'émerveilla quand il le vit si jeune[5].

 

Venez çà, mon gentilhomme, lui dit-il, et m'apprenez qui vous a amené tout seul en cette ville ?

Par ma foi ! Monseigneur, répondit Bayard, je n'y pensais pas entrer tout seul, et je croyais bien être suivi de mes compagnons ; mais ils ont mieux entendu la guerre que moi, car, s'ils m'eussent imité, ils seraient prisonniers comme je le suis. Toutefois, après mon inconvénient, je me loue de la fortune qui m'a fait tomber entre les mains d'un si bon maître que celui qui me tient, car c'est un très-vaillant et avisé chevalier.

 

Ludovic le More, en courtois et gracieux gentilhomme, fit rendre à Bayard son cheval et ses 'armes, et lui dit qu'il était libre.

 

Quand le bon chevalier fut accoutré, il sauta sur son cheval sans mettre le pied à l'étrier ; puis il demanda une lance, qui lui fut baillée, et, levant la vue de son armet, il dit au duc :

Monseigneur, je vous remercie de la courtoisie que vous m'avez faite. Dieu veuille vous le rendre !

 

Comme il se trouvait en une belle grande cour, il commença à donner de l'éperon à son cheval, lequel fit gaillardement quatre ou cinq sauts ; ensuite, il lui donna une petite course, et rompit contre terre sa lance en cinq ou six pièces.

 

Si tous les hommes d'armes de France étaient pareils à celui-ci, dit le seigneur Ludovic, j'aurais mauvais parti !

 

Ce récit du Loyal Serviteur doit être un tableau fidèle des mœurs chevaleresques en 1500, bien qu'il nous reporte au temps de Jehan Chandos et d'Eustache d'Aubrecicourt.

La tactique de combat n'a pas changé pour la cavalerie noble ; la rançon persiste malgré les ordonnances de Louis XI, et les gentilshommes ont conservé entre eux, après le combat, les traditions de générosité et de courtoisie des deux siècles précédents[6].

 

POINTE DE CAVALERIE DE BELLINZONA À NOVARE.

 

Pendant que Bayard galopait sur la route de Milan, le comte de Ligny, son capitaine, et Jean-Jacques Trivulce s'étaient repliés sur Novare.

Pour les rejoindre, le capitaine Louis d'Ars, détaché à Bellinzona avec 40 hommes d'armes et 80 archers à cheval, traversa toute l'armée ennemie et fit plus de 130 kilomètres en deux jours et deux nuits, sans perdre un seul de ces cavaliers.

 

Voici, d'après la Chronique de Jean d'Auton comment s'accomplit cette pointe hardie, que nous citons comme un exemple bon à retenir et à méditer.

 

Après avoir ravitaillé le château de Bellinzona que tenaient ses laquais[7], et fait plusieurs courses et escarmouches sur les Allemands et les Suisses, qui venaient au secours du seigneur Ludovic, le capitaine Louis d'Ars, voyant qu'il était l'heure de se retirer, ainsi qu'il lui était mandé, prit, le jour de Notre-Dame de la Chandeleur, le chemin de Côme, croyant trouver le comte de Ligny dans cette ville.

 

Il avait envoyé la veille 20 archers à cheval en avant, pour prendre le logis.

A 4 milles de Côme, ces archers apprirent que le comte de Ligny était parti dans la direction de Milan, où venaient d'entrer le seigneur Ludovic et son frère le cardinal Ascanio Sforza.

Ils tournèrent bride aussitôt pour rejoindre le quartier de leur capitaine ; mais ils s'égarèrent et, faute d'un guide, ils ne surent pas le retrouver. Alors, fort soucieux et n'en ayant d'autres nouvelles, ils pensèrent que messire Louis d'Ars avait appris la venue du seigneur Ludovic, et qu'il s'était retiré sur Milan.

Ils prirent, en conséquence, le chemin de cette ville, et restèrent à cheval toute la journée, entourés et suivis par une grosse troupe de Lombards. Ils en tuèrent plusieurs, et passèrent leur chemin malgré eux.

Ces archers firent, ce jour-là, 50 milles sans repaître, et ils en furent, à la fin, si malmenés que la plupart perdirent leurs chevaux.

Les vilains en armes leur interdisant l'entrée des villes et des villages, ils durent tenir les champs et les bois pendant trois ou quatre jours, et ils y trouvèrent peu de provisions ; d'autant que le pays était tout entier pour le seigneur Ludovic, et qu'ils ne pouvaient cheminer que la nuit.

Pensant que Milan était, comme le reste de la Lombardie, au pouvoir de l'ennemi, les 20 archers se dirigèrent sur Novare, en habits déguisés. Ils y arrivèrent tous, l'un après l'autre, lassés et fatigués, quatre ou cinq jours après Notre-Dame de la Chandeleur.

 

Louis d'Ars n'avait su que penser du retard de ses archers d'avant-garde, sinon qu'ils s'étaient égarés ou qu'ils étaient tombés dans quelque embûche des Lombards. Il se hâta donc de marcher pour en avoir des nouvelles ; mais il ne sut plus rien d'eux.

 

En tirant sur Côme, il fut averti du départ du comte de Ligny et de la venue des ennemis.

C'était l'heure de vêpres[8] et le moment de chercher logis. Toutefois, le séjour ne lui paraissant pas sain, il fit prendre à ses gens une légère repue, et il remonta à cheval pour se diriger sur Milan.

 

Toute cette nuit et le lendemain jusqu'au soir, il fut en butte, à toutes mains, aux courses et saillies que faisaient les Lombards. Mais le bon capitaine tenait ses gens en tel ordre et il conduisait son affaire si à point, que les ennemis étaient toujours reboutés et les siens dégagés ; en sorte que sa troupe ne fut pas amoindrie d'un seul cavalier.

A huit milles de Milan, Louis d'Ars apprit par des vilains que la ville s'était rebellée, que le comte-de Ligny et le seigneur Jean-Jacques Trivulce avaient pris les champs pour se retirer vers Novare.

C'était donc quatre milles de plus que les Français avaient à rebrousser pour regagner le droit chemin de Novare. Le capitaine et ses gens-passèrent à cheval, sans désemparer, toute cette journée du 3 février.

La voie était toute remplie de Lombards en armes, qui, au passage, donnaient aux Français coups et horions à tour de bras et leur faisaient le comble du pis qu'ils pouvaient.

Mais, semblables à ceux qui tombent dans la fosse qu'ils ont préparée pour la mort d'autrui, ces Lombards furent assommés et défaits dans leurs propres embûches ou détroits.

 

Je ne saurais faire le compte de ceux qui y périrent, mais les chemins, haies ou buissons, par où Louis d'Ars avait passé, étaient tellement couverts de Lombards et d'autres soudards du More, aplatis et étendus, qu'on eût pu dire que guerre affamée avait fait là sa repue.

 

Les Français, marchant toujours vers Novare, s'arrêtèrent, à l'heure de vêpres, en la bourgade de Buffalora, pour y prendre leur repas. C'était la première fois de la journée qu'ils descendaient de cheval.

A peine avaient-ils établi leurs chevaux et porté à la bouche le premier morceau de viande, que les Lombards du bourg et des environs vinrent les assaillir en si grand nombre, qu'il semblait qu'ils ne pourraient pas tenir longue bataille de dure main. Les Français remontèrent hâtivement à cheval pour gagner pays.

Les Lombards voulurent leur barrer le passage, à la sortie du village, avec piques et rançons[9]. Mais au choc, l'entreprise tourna à leur désavantage ; les Français s'y montrèrent si vigoureux, malgré les deux jours et les deux nuits de fatigue qu'ils avaient soutenus sans répit, que ceux qui les auraient vus besogner n'eussent pas pensé qu'ils avaient souffert de lasseté et de famine. Et pourtant, ils avaient fait ce jour-là, sans repaître, 80 milles de terre.

 

C'est le plus grand possible humain : car, bien qu'ils aient eu affaire à plus de 4.000 ennemis, ils avaient l'avantage en toute rencontre, et mis leurs ennemis à bas.

Il faut surtout se commémorer ce fait, que le capitaine se conduisit, entre tant de périlleuses et de mortelles embûches, de manière à ne pas perdre un seul des siens, tant il avait toujours l'œil, l'avis et la main à ceux des siens qui avaient besoin d'aide.

En somme, messire Louis d'Ars passa avec 40 hommes d'armes et 80 archers tout le travers de la duché de Milan et atteignit la rivière du Tésin, entre Milan et Novare, à deux milles de Galiate.

 

La rivière pouvait se passer à gué ; mais il était nuit, aucun Français ne connaissait le passage et les paysans avaient rompu et jeté à l'eau tous les ponts et passerelles.

Cependant un Albanais[10], qui était de la compagnie, se mit à travers le gué, et passa outre. Il se trouva, d'aventure, dans le chemin de Galiate, et fit si bien qu'il arriva à la ville, où se trouvaient le comte de Ligny et le seigneur Jean-Jacques.

Il leur raconta comment Louis d'Ars et ses gens étaient hors du détroit des montagnes et du danger des Lombards, qui leur avaient donné la chasse pendant deux jours et deux nuits sans cesse ; comment il les avait laissés, à deux milles de là, tous ensemble entre deux rivières, et que, pour l'heure, ils n'avaient défaut que de guide, avec métier de vivres et besoin de repos.

Le comte de Ligny, le seigneur Trivulce, et tous ceux qui entendirent l'Albanais eurent autant de joie au cœur, que si on leur avait fait rapport d'amis ressuscités ; ils envoyèrent aussitôt des gens au devant d'eux, pour leur montrer la passée du gué et le chemin de la ville. Ces gens rencontrèrent la troupe de Louis d'Ars, qui avait passé la rivière et marchait vers Galiate.

Elle y entra entre 6 et 7 heures du matin, et on lui fit plus joyeux accueil qu'on ne saurait le dire[11].

 

PICARDIE ET PIÉMONT.

 

Louis XI avait créé les garnisons de Picardie pour défendre les places du Nord ; Louis XII organisa les bandes de Piémont pour garder la frontière des Alpes.

Un grand changement s'était opéré dans les idées de la noblesse française : pour elle, ce n'était plus déroger que de servir parmi les gens de pied.

Aussi le roi put-il choisir les capitaines de cette nouvelle infanterie française parmi les guerriers les plus illustres[12]. Il en forma les cadres inférieurs avec les hommes d'armes démontés ou ruinés, avec les lances rompues et les cadets de Gascogne, qui, suivant la piquante expression du général Susane, étaient tous lances rompues de naissance.

Ces lances rompues, en italien lancia spezzada[13], servaient dans les bandes à pied en qualité de simples compagnons, mais ils étaient exempts des corvées et du service de garde.

 

C'étaient les principales des légions romaines.

 

Il y avait en chaque compagnie, dit le maréchal de la Vieilleville dans ses Mémoires[14], 12 lances-spessades, à 30 livres par mois, qui n'étaient sujets ni obligés à d'autres fonctions que de faire les rondes à leur tour ; ils étaient, par faveur et par mérite, exempts de passer les vingt-quatre heures en garde, et, pour armes ordinaires, ils portaient le corselet et jamais la harquebuse.

Le gentilhomme français, qui suit les bandes, dédaigne de porter hallebarde, c'est-à-dire de faire l'état de sergent. Encore moins veut-il être appelé caporal, alléguant que ce sont là charges mécaniques, car si un soldat a enfreint les ordonnances ou failli à sa faction, le sergent et le caporal sont tenus de lui mettre la main au collet, de l'attacher au carcan ou au collier, choses que le gentilhomme abhorre, surtout en notre nation française.

 

Sous l'enseigne noire à croix blanche des bandes de Piémont s'enrôlèrent, en grand nombre, les Milanais, les Napolitains et les Corses[15] du parti français et surtout les arbalétriers gascons ou basques, qui avaient, depuis la guerre de Cent ans, une réputation de fougue, de courage et d'élan irrésistibles.

 

Avec ces éléments divers il y eut, dans l'infanterie française, deux corps bien distincts : Picardie et Piémont.

Les bandes de Picardie, dressées sous le regard sévère de Louis XI, avaient appris des Suisses à conserver leurs rangs, à regarder en face les charges de la cavalerie, à lui opposer un mur inébranlable de piques, à serrer leurs files ouvertes par le choc des chevaux, et à mourir sur le terrain qui leur était confié.

C'était par excellence l'infanterie de ligne, celle des batailles rangées et des sièges en règle.

 

La formation de bataille, complète et correcte, d'un bataillon de Picardie, comprenait, au commencement du XVIe siècle, trois carrés ou redoutes :

Le premier, d'une force égale aux deux autres réunis, était le corps de bataille, le bataillon. Placé en première ligne, il se composait de piquiers et de hallebardiers sur 10 à 12 rangs de profondeur.

Les deux autres, l'avant-garde et l'arrière-garde, se tenaient en deuxième ligne et débordaient le bataillon à droite et à gauche. On les appelait aussi l'aile droite et l'aile gauche.

Des pelotons d'enfants perdus, arbalétriers ou hacquebutiers, étaient placés dans les angles des redoutes.

 

Les bandes de Picardie comptaient peu de gentilshommes ; mais leurs officiers, vieux soldats de fortune, étaient rompus à toutes les pratiques du métier, et maintenaient une discipline sévère. Les soldats, enrôlés dans le nord du royaume, n'avaient pas assez d'esprit pour être fanfarons, ni assez de délicatesse pour aimer le luxe. L'ivrognerie et la brutalité étaient leurs plus grands défauts.

Dans les bandes du Piémont il y avait, du haut en bas, une émulation prodigieuse à faire quelque chose d'éclatant, d'impossible ; c'était l'infanterie légère, celle des coups de main, des expéditions rapides, de la guerre de montagne, des surprises, des assauts ; c'était elle qui fournissait les troupes d'embarquement[16].

 

Leurs armes, dit Brantôme, étaient pour la plupart dorées et gravées. Leurs accoutrements n'étaient que soie, satin et velours.

 

Il y avait entre ces deux infanteries une émulation généreuse qui enfanta dé grandes choses.

Picardie et Piémont signifiaient encore, sous Louis XIV, les armées du Nord et celles du Midi ; et, pendant les grandes guerres de la Révolution, on put faire un curieux rapprochement, en comparant, à trois siècles de distance, l'esprit de discipline des armées du Nord et de Sambre-et-Meuse avec les allures bruyantes et maraudeuses de l'armée d'Italie.

 

LA RÉBELLION DE GÊNES EN 1507.

 

Pour rentrer en possession du royaume de Naples, Louis XII s'engagea, pendant sept ans, dans des négociations politiques et des vicissitudes militaires qui ont peu d'intérêt au point de vue tactique.

Trompé tour à tour par le roi d'Espagne, Ferdinand le Catholique, par l'empereur Maximilien et par le pape Jules II[17], qui ne chassa les barbares (c'est-à-dire les Français) de l'Italie que pour la livrer aux Espagnols, Louis XII laissa ses capitaines lutter péniblement contre Gonzalve de Cordoue avec des ressources insuffisantes.

Depuis la bataille de Novare, d'Aubigny[18], La Trémoïlle, d'Alègre, Nemours[19], La Palice, Bayard, Louis d'Ars[20] et un grand nombre d'intrépides capitaines, trop peu connus, avaient vaillamment soutenu l'honneur des armes françaises. Mais, à la fin de 1506, le royaume de Naples était de nouveau perdu pour le roi, et sa suzeraineté de Milan paraissait fort compromise.

 

La rébellion de Gênes[21] vint aggraver encore la situation des Français en Italie, et décider Louis XII à prendre en personne la direction des opérations militaires.

 

Il quitta Grenoble, le 3 avril 1407, franchit le Pas de Suze, le 11, et réunit à Alexandrie une belle armée de 80.000 hommes.

Le grand maître de France[22], Chaumont d'Amboise conduisait l'avant-garde, composée de :

4 compagnies d'ordonnance — celles de La Palice, Himbercourt, Le Gruier et Clermont-Montoison ;

2.000 chevau-légers albanais du capitaine grec Mercurio ;

5.000 Gascons, tous gens de trait, menés par le cadet de Duras[23] ;

5 bandes de piétons français, de 2.000 chacune, commandées par les capitaines Bayard, Vendenesse[24], Millaut, La Crotte et Molard ;

10.000 Suisses, conduits par La Marche de Montbazon, ayant pour lieutenant Theligny, sénéchal de Rouergue.

 

Le Roi avait gardé le commandement du corps de bataille, dont le noyau était la gendarmerie, que menaient Charles de Montpensier duc de Bourbon, La Trémoïlle, Nemours et autres gentilshommes, tant Français qu'Italiens[25], tous capitaines de 140 ou 150 hommes d'armes.

La maison du roi — comprenant les pensionnaires[26], les 200 gentilshommes, les gardes du corps écossais, les archers français, les Cent-suisses, les gardes de la porte, les archers du prévôt de l'hôtel et les 60 archers des toiles —, formait une réserve d'élite de plus de 4.000 chevaux sous le commandement de Louis de Brézé, grand sénéchal de Normandie, de Stuart d'Aubigny et de Jacques de Vendôme, vidame de Chartres[27].

L'artillerie suivait la maison du Roi.

 

Premièrement, il y avait 6 gros canons serpentins, dont 4 étaient marqués aux armes de France et de Milan, et deux aux armes de Luxembourg ; 4 coulevrines bâtardes, 9 coulevrines moyennes, 8 faucons[28], 50 hacquebutes à croc sur chevalets, bien aisées à manier, lesquelles se portaient sur le col des pionniers, jusqu'au sommet des plus hautes montagnes.

Secondement, il y avait 60 charrettes de munitions ; 26 étaient chargées des boulets à serpentins, 4 de boulets à coulevrines bâtardes, 4 de plombées pour les moyennes coulevrines et les faucons. Six charrettes de poudres, amenées de France, portaient chacune 7 ou 8 barils ; deux charrettes contenaient les forges ; trois autres, les pelles, piques et tranches ; deux, les aisseaux pour servir aux pièces ; une, le charbon pour les forges ; une, les outils de charron ; deux, les hacquebutes ; une, les outils des charpentiers ; une, les câbles et poulies ; il y avait une charrette pour les chargeurs et trois pour les tentes. En outre du convoi amené de France, on avait requis à Tortone 14 charrettes à bœufs, chargées de boulets, et 11, chargées de poudre.

Pour tirer et mener tout ce charroi, on avait pris 406 chevaux à Bourges, à Orléans et à Troyes en Champagne[29].

Le capitaine de toute cette artillerie était Paul de Busserade, seigneur de l'Espy, gentil compagnon bien sachant la guerre[30].

Il était assisté de 50 canonniers, tant ordinaires qu'extraordinaires[31], et disposait de 2.500 pionniers, les meilleurs qui fussent dans toute la Bretagne ; leur capitaine était Guillaume de la Fontaine.

Avec le train de l'artillerie, marchaient deux cents mineurs français et dauphinois, tous experts à leur métier, sous la charge de Claude du Port.

 

Dunois menait l'arrière-garde.

Elle se composait de : 5.000 gens de trait gascons, conduits par le baron de Grammont leur chef général ;

Des 4.000 aventuriers français du comte de Roussillon et du capitaine Imbaut ;

De 5.000 piétons français ou italiens, conduits par le comte de Fontrailles[32].

 

Il n'était pas besoin de tant de monde pour avoir raison des orgueilleux vilains de Gênes.

Louis XII, laissant le gros de ses forces en Lombardie, se dirigea vers les Alpes Liguriennes, par Novi, Serravalle et Fornari, avec 800 lances, 1.800 chevaulégers, 6.000 Suisses et 6.000 Français.

Les Gênois, qui gardaient les premiers passages, prirent la fuite à la vue de l'avant-garde française, et lui laissèrent le champ libre[33].

 

L'armée franchit sans obstacle le dangereux défilé de la Bocchetta, et se concentra, le 23 avril, à Ponte-Décimo.

De là, elle longea le pied des hauteurs qui se dressent à l'est de Gênes, et s'établit à 7 milles de la ville dans la vallée de la Polcevera, appuyant sa droite à l'église de Saint-Pierre d'Arena, sur le bord de la mer, et sa gauche au bourg de Rivaloro supérieur.

Le roi logea au couvent de Boschetto.

 

Les Français coupaient ainsi les défenseurs de Gênes du seul secours qu'ils pussent attendre, d'un corps détaché à l'attaque de Monaco. Ils n'avaient d'ailleurs rien à craindre du côté de la mer, car leurs vaisseaux[34] bloquaient la flotte génoise dans Spezzia et Porto-Venere.

Louis XII et les grands seigneurs de son conseil étaient donc d'habiles stratégistes en même temps que des capitaines intrépides.

 

PRISE DU BASTILLON (26 avril 1507).

 

Le jour de son arrivée à Rivaloro, l'avant-garde française attaqua un bastillon[35], que les Gênois avaient construit sur la montagne du promontoire et qu'ils avaient garni d'artillerie ; pour fermer le passage qui conduit des Alpes au Castellacio[36].

 

Le roi réunit ses capitaines pour leur demander conseil. Les uns dirent que c'était mettre l'armée en hasard ; qu'il y avait peut-être là-haut une grande puissance qu'on ne voyait pas, qui pourrait repousser nos gens, s'ils y allaient faibles, et nous faire recevoir une honte.

Les autres assurèrent que ce n'étaient que canailles qui ne résisteraient pas.

 

Bayard, que vous en semble ? demanda le roi au bon chevalier.

Sur ma foi ! sire, répondit Bayard, je ne vous en saurais que dire. Il faut aller voir ce qu'on fait là-haut. De ma part, s'il vous plaît de m'en donner congé, vous en saurez des nouvelles avant une heure, à moins que je ne sois mort ou pris.

Je vous le donne et je vous en prie, dit le roi, car vous vous entendez assez en telles affaires.

 

Bayard ne séjourna guères ; il fit sonner l'alarme, et, suivi de plus de 120 de ses amis et compagnons[37], il commença à gravir, le beau premier, la montagne.

 

Les aventuriers français le suivirent.

 

M. de Millaut, qui était un homme plus hardi que sage, et M. de la Crotte[38], commencèrent à escarmoucher avec leurs aventuriers et à escalader la hauteur.

L'escarmouche fut rude et forte, tellement que tout le demeurant de l'armée, tant Français que Suisses, y vint pour empêcher nos gens d'avoir le dessous.

Or, marchands, criait Bayard aux défenseurs de la redoute, défendez-vous avec vos aunes et laissez les piques et les lances, lesquelles vous n'avez accoutumées ![39]

 

Français et Gênois se mêlèrent de telle sorte qu'ils entrèrent ensemble dans le bastillon, que les Français gagnèrent ainsi d'assaut.

Il était merveilleux de regarder la fortification et défense dudit bastillon.

L'avant-garde des aventuriers français2[40] se logea sur la montagne et occupa le bastillon, où elle fit bon guet toute la nuit, avec l'artillerie et les munitions qu'elle y trouva[41].

Cet échec porta dans Gênes la consternation et la terreur. Les riches bourgeois, ceux que les Français appelaient le peuple gras, parlèrent aussitôt de capitulation ; mais les artisans, le peuple maigre, entraînés parle doge et parles capitaines qu'ils s'étaient donnés, résolurent de tenter un nouvel effort.

 

COMBAT DU PROMONTOIRE DE GÊNES (27 avril 1507).

 

Le lendemain, sur les 3 heures après midi, une alarme se fit dans tout le camp français, tellement que chacun courut aux armes.

Les 200 gentilshommes, les 400 archers de la garde et les Cent Suisses furent aussitôt armés et réunis autour du roi, avec les princes et les pensionnaires.

Messire François de Rochechouart sortit hors du logis royal, et vit plusieurs trompettes courant parmi l'ost et sonnant l'alarme à toute force.

Alors le roi se fit armer ; il ordonna aux archers de sa garde de monter à cheval, puis il envoya hâtivement le capitaine Mercurio avec 100 de ses Albanais devers la Lanterne, pour savoir ce que c'était, et revenir incontinent.

Les Albanais, à course de cheval, furent bientôt près des portes de Gênes, dont étaient sortis grand nombre de bourgeois, qui s'étaient portés entre les barrières de la ville et la tour de la Lanterne.

Ces bourgeois se formèrent en trois grosses routes sur le sommet de la montagne du promontoire.

A gauche était la grande escouade[42] de leurs gens, où pouvaient être 40.000 hommes et plus.

 

M. de Millaut, qui gardait le bastillon avec ses aventuriers, et les capitaines suisses, qui tenaient, de notre côté, le revers de la montagne, mirent toutes leurs gens en deux batailles de 6 à 7.000 hommes chacune, en laissant entre ces batailles un intervalle de 120 pas environ.

Dès la veille au soir, le maître de l'artillerie avait fait monter par ses pionniers, à force de bras et de câbles, six grosses pièces d'artillerie et 30 coulevrines à croc, portées sur chevalets. Huit des canonniers du roi vinrent là, pour tirer les pièces. Quelques-unes furent mises et assises, devant le front des deux batailles françaises qui étaient sur la montagne.

 

Les Gênois avaient donné l'alarme sur le quartier de la Lanterne, pour y attirer le gros de l'armée royale, pendant qu'ils déployaient toute leur puissance du côté du bastillon et de la montagne du promontoire ; mais les Français se doutèrent du stratagème et le roi y pourvut.

Armé et monté sur son coursier, Bai-gracieux, qui était moult adroit pour les armes, il sortit de son logis, accompagné de plus de 30.000 hommes armés et, sans plus attendre, il marcha tout droit où il pensait qu'était le bruit. Mais quand il vit les Gênois couvrir la montagne en 3 ou 4 grosses batailles, il fit arrêter son armée, et la rangea tout au droit du bastillon.

Puis, il tint conseil avec ses capitaines pour savoir ce qu'il y avait à faire. Comme il était près de 5 heures ilu soir, plusieurs déconseillaient la bataille, mais le roi la voulait.

 

Bah ! disait-il, nous avons encore deux bonnes heures de soleil. Je vois mon armée joyeuse et délibérée de combattre, mes gens de là haut sont tout prêts à en venir aux mains, tandis que les vilains se tiennent serrés et en crainte. Je suis sûr qu'ils tourneront le dos aussitôt qu'on les chargera un peu vivement. J'en sais quelque chose, moi qui ai vu, en mêlée[43], deux grosses routes de Gênois être défaites par une poignée de Français.

 

Ayant ainsi parlé, le roi appela Mercurio et lui dit :

Montez à cheval avec tous vos Albanais et faites une légère escarmouche sur celle des 3 batailles gênoises que vous voyez au plus près du bastillon. Laissez, au derrière de la montagne, quelqu'embûche de vos gens, les uns à pied, les autres à cheval, pour vous secourir s'il en était besoin. Après l'escarmouche, vous feindrez de vous retirer pour attirer les Gênois jusqu'à votre embûche ; là, vous leur donnerez quelque venue. Pendant ce temps, je ferai gravir la montagne à grosse puissance de gens de pied et d'hommes d'armes, pour soutenir nos gens d'en haut, et pour engager la bataille.

 

Cela dit, messire Mercurio, avec ses 100 Albanais tous bien montés et ayant en main leurs banderoles[44], se mit à gravir le chemin qui conduisait au bastillon. Plusieurs cavaliers français ou italiens l'accompagnèrent ; parmi eux, était le marquis de Mantoue, monté et armé à l'albanaise, avec François de Maugiron et un grand nombre d'autres.

Le roi porta en avant 3.000 Suisses — après avoir fait chevaliers trois de leurs capitaines — et 6.000 gens de pied français. Cette infanterie, trouvant trop long le chemin que suivait la cavalerie, se mit à monter tout au droit du bastillon et à grimper comme écureuils.

Le roi, regardant ses gens marcher ainsi allègrement et toute son armée délibérée, allait de lieu en lieu, avec face joyeuse et manière assurée, l'épée à la main, pour faire tenir chacun en son ordre.

Là sonnaient trompettes et gros tambourins des Suisses à toutes mains. Les princes et les pensionnaires[45], avec tous les hommes d'armes la lance sur la cuisse, entouraient le roi. Tristan de Sallazar, archevêque de Sens, armé de toutes pièces, monté sur un bon coursier, une grosse javeline au poing, disait :

Puisque le roi est là en personne, tous ceux des siens qui ont pouvoir de le défendre doivent se trouver en armes auprès de lui[46].

L'archevêque était suivi de 20 cavaliers le harnais au dos.

 

Les Gênois qui étaient en bataille sur le sommet de la montagne, en voyant les Français et les Suisses monter de tous côtés et marcher droit à eux, s'ébranlaient déjà pour charger les premiers assaillants, lorsque messire Mercurio, après avoir laissé en embuscade une partie de ses gens, sortit tout à coup de derrière un pli de terrain, et engagea l'escarmouche, à la vue du roi et de l'armée.

Les Gênois le reçurent à coups de trait et d'hacquebute ; quelques-uns même quittèrent leurs rangs pour charger les Albanais, piques basses.

Mais alors, ceux-ci tournèrent bride, et, piquant, du bout ferré de leurs javelines, leurs chevaux, faits et duits aux escarmouches de montagne, ils retournèrent battant, jusqu'à leur réserve, qui tint longuement l'escarmouche.

 

6 Gênois furent tués ; il y eut 2 Albanais de blessés et un mort.

 

Les Suisses, demeurés en bas avec le roi, voyant amont commencer l'escarmouche, se mirent tous à genoux et baisèrent la terre. Ils restèrent agenouillés, les bras croisés, tant qu'elle dura.

 

Cependant les deux batailles de gens de pied, envoyées par le roi, gravissaient la montagne et s'approchaient des Gênois.

Quand le capitaine Mercurio vit ce renfort à bonne distance, il poussa une dernière charge contre les Gênois de la plus prochaine bataille, puis il fit mine de se retirer avec ses chevau-légers.

Aussitôt la brigade[47] ennemie quitta le sommet de la montagne pour poursuivre les Albanais ; les autres les suivirent à la course, et tous faisaient grandes huées et cris horribles :

Accarne ! Accarne ![48]

 

On n'aurait pas entendu le tonnerre à une demi-lieue, tant était grand le bruit que faisaient les Gênois en poursuivant les Albanais.

 

Mais tout soudainement, lorsque lesdits Gênois furent assez près, on déchargea au milieu d'eux deux grosses pièces d'artillerie ; nos gens, sortant de leur embuscade, se joignirent aux deux batailles de Suisses et de piétons français ; les Albanais firent volte-face pour se rallier aux chevau-légers français ou italiens du marquis de Mantoue et du sire de Maugiron.

Tous ensemble, cavalerie et infanterie, donnèrent si rudement sur la première bataille génoise qu'elle tourna le dos. La seconde bataille, qui la suivait pour la secourir, prit peur en voyant les fuyards venir à elle, et, à leurs dos, les Français qui les tuaient à grands monceaux. Le doge Paolo (de Novi), chef de l'armée, et Jacobus Corsus de Pise, ne réussirent pas à tenir leurs gens en ordre ni à les rallier ; tout s'enfuit.

Beaucoup se laissèrent choir et roulèrent du haut en bas de la montagne ; grande occision en fut faite.

 

La poursuite fut poussée, d'un côté, jusqu'à plus de deux milles dans la montagne ; de l'autre, jusqu'aux portes de Gênes. Quelques bourgeois se défendirent[49], mais la plupart se laissèrent égorger comme moutons.

Le nombre des Gênois morts fut estimé à 1.400 hommes, celui des Français à 36 ; mais ceux-ci avaient un grand nombre de blessés.

 

Le roi, voyant qu'à l'aide de Dieu, il avait gagné la bataille et défait ses ennemis, fit asseoir son camp et ses gens d'armes autour de Gênes ; puis il s'en alla, tout armé, en l'église de l'abbaye de Boschetto où il était logé, afin de rendre grâce à Notre-Seigneur de sa victoire.

 

Gênes ouvrit ses portes le lendemain, et Louis XII se montra clément pour les révoltés.

 

ENSEIGNEMENTS TACTIQUES.

 

Dans ce récit de Jean d'Auton, les enseignements tactiques abondent. Le service de sûreté est si bien établi dans le camp français, que tout le monde est prêt à combattre, avant même que les avant-postes aient été attaqués.

 

Le roi fait reconnaître l'ennemi par le piquet de cavalerie légère, toujours prêt à monter à cheval.

Pendant cette reconnaissance, il règle en personne l'ordre préparatoire de combat, en mettant en première ligne deux fortes brigades d'infanterie, l'une suisse, l'autre française, qu'il couvre par de l'artillerie.

Ces 9.000 piétons se préparent à porter secours aux postes avancés et à leur réduit, le bastillon, pendant que la maison du roi et la gendarmerie, massées au centre, forment la réserve.

 

Comme le jour finit et que le roi de France a l'impatience de la bataille, il renouvelle, pour hâter la victoire, la vieille ruse de guerre qui a réussi tant de fois : la fuite simulée et l'embuscade de Cocherel.

 

Les 1.800 chevau-légers de l'armée se partagent en deux troupes : l'une qui attaque, l'autre qui s'abrite.

La première amuse l'ennemi par des charges en fourrageurs et des voltes brillantes, pour donner à l'infanterie le temps de gagner les flancs des bataillons gênois ; puis, quand toutes les troupes de l'attaque sont parvenues à la même hauteur, quand les canons sont braqués à la bonne place, les cavaliers albanais tournent bride brusquement et entraînent les Gênois dans le piège si habilement tendu.

 

L'artillerie de campagne est encore l'arme de la défensive ; mais elle ne tardera guère à devenir celle de l'offensive.

Enfin les aventuriers de Bayard et de Millaut, qui coupent au plus court, au signal de l'attaque, pour franchir, sous les yeux du roi, les escarpements du promontoire, inaugurent la tactique d'élan et d'intrépidité, — la tactique vraiment française, — que les mousquetaires de Turenne ou les grenadiers de Villars transmettront aux voltigeurs de Lecourbe et aux zouaves de l'Alma.

 

 

 



[1] Le Loyal Serviteur.

[2] L'armée française, rassemblée à Asti sous le commandement de La Trémoïlle, se composait de 16 compagnies d'ordonnance (1.600 lances ou 6.000 chevaux), de 5.000 Suisses, portant l'ours de Berne sur leurs enseignes, de 4.000 Gascons et de 4.000 aventuriers français, avec 58 pièces d'artillerie (bombardes, basilics, serpentines ou coulevrines).

Elle se mit en marche, le 13 août 1499, dans la direction d'Alexandrie, où le lieutenant de Ludovic Sforza, Galéas de San-Sévérino, s'était réfugié avec l'armée lombarde.

Le sac d'Alexandrie, que les capitaines français ne purent empêcher, réveilla la haine des Italiens contre les Français.

L'artillerie ayant été dans la nuit taudissée, chargée ; assise et affutée devant les fossés à un jet d'arc de la ville, malgré une pluie torrentielle qui avait rempli d'eau les tranchées, la canonnade commença au point du jour, avec un fracas si épouvantable qu'il semblait que Vulcain eût mis en besogne tous les marteaux de sa forge. Bientôt la brèche fut si largement ouverte que 300 hommes y eussent passé de front. Alors, pour combler les fossés ; serviteurs et laquais apportèrent des fagots et des ramées ; sans se soucier des pierres et des traits ; auxquels ils ne répondaient que par des sauts de joie et des gambades, car, ne demandant que le pillage, ils étaient impatients d'entendre le cri de l'assaut.

L'armée lombarde évacua la ville, que Chabannes de la Palice et Yves d'Alègre occupèrent avec leurs compagnies d'ordonnance, pendant que d'autres capitaines gardaient les portes pour empêcher les gens de pied d'entrer dans Alexandrie. Mais les gens de pied, voyant que les premiers entrés avaient mis la main aux boutiques, pénétrèrent, au nombre de 7 à 8.000, par l'ouverture des murailles, en disant qu'ils voulaient avoir leur part du butin.

Le comte de Ligny se jeta seul au devant d'eux, l'épée à la main, et les chargea à tour de bras en leur faisant défense d'aller plus loin, sous peine de la hart, pendant que le seigneur de Saint-Simon leur ordonnait, d'une fenêtre, de se retirer. Deux ou trois flèches sifflèrent aux oreilles du comte de Ligny, et les piétons passèrent fièrement devant lui, arbalètes bandées, piques ou hallebardes sur l'épaule.

Alors la licence n'eut plus de frein ; les soudards enlevaient les meubles et les marchandises ; tout ce qu'ils pouvaient prendre par force et emporter, leur semblait de loyal acquit. Pour mieux célébrer la loi cruelle de guerre, ils mirent le feu dans Alexandrie et la désolèrent comme une ville prise d'assaut.

Trivulce fit pendre les principaux auteurs de ce hutin, mais tous les gens de pied étaient prêts à commettre les mêmes excès à la première occasion. (Paul L. Jacob, bibliophile (Paul Lacroix). Histoire du XVIe siècle en France, d'après les originaux manuscrits et imprimés. Paris, L. Mame, 1834).

Il n'y a malheureusement que quatre volumes, devenus fort tares, du remarquable ouvrage de M. Lacroix ; le 5e a été détruit dans un incendie, en 1836, et le savant auteur, privé des matériaux qu'il avait réunis au prix de longues recherchés, a dû renoncer à conduire jusqu'à 1610 ce monument du XVIe siècle, qu'il avait taillé dans le marbre.

[3] Après la prise d'Alexandrie, Gênes et toutes les villes du duché de Milan se tournèrent françaises. Ludovic Sforza se réfugia à Insprück, auprès de l'empereur Maximilien, et le château de Milan capitula le 14 septembre ; Louis XII accourut de Lyon pour faire son entrée triomphale à Milan, le 6 octobre ; il traita avec bonté ses nouveaux sujets et prit, de concert avec son conseiller habituel le cardinal Georges d'Amboise, de sages mesures qui auraient fait accepter la domination française par les Lombards, si le nouveau gouverneur du Milanais, Trivulce, n'avait songé à ses amitiés et à ses rancunes particulières, plutôt qu'aux intérêts de sa patrie d'adoption.

[4] Sur le Naviglio Grande, à 16 kilomètres au sud-ouest de Milan.

[5] Bayard avait 22 ans.

[6] Les rustres à pied, en revanche, jouaient aux dés leurs prisonniers. Un homme d'armes écossais, pris par les Espagnols à Seminara, étant tombé à la merci de plusieurs gagnants, ceux-ci se disputèrent le malheureux, et finirent par le dépecer à coups de rapière ; de sorte que chacun prit sa pièce et l'emporta toute sanglante. (Manuscrit inédit de Jean d'Auton, cité par Paul Lacroix.)

[7] C'est-à-dire les gens de pied de la suite des hommes d'armes.

[8] Trois heures.

[9] Hallebarde dont le fer se termine en hameçon.

[10] Louis XII avait pris à sa solde, en 1499, quelques bandes d'estradiots, pour servir de coureurs aux compagnies d'ordonnance. Ces Albanais avaient un étrange habillement de tête, semblable à un chaperon de demoiselle ; cette coiffure était garnie intérieurement de 5 ou 6 gros papiers collés ensemble, de façon qu'une épée n'y pouvait pas faire plus de mal que sur une secrette (salade).

(Le Loyal serviteur.)

[11] Trivulce, le comte de Ligny et Louis d'Ars rejoignirent, à Mortara, les renforts que La Trémoille amena de France à la fin de février 1500, et qui se complétèrent de 10.000 Suisses. Cette armée rencontra près de Novare, le 5 avril, les forces bien supérieures de Ludovic le More ; mais les Suisses, qui étaient à la solde du duc de Milan, refusèrent de combattre leurs compatriotes du camp français, et le seigneur Ludovic, enveloppé de trahison, essaya de s'enfuir en Allemagne sous un déguisement. Livré aux Français par un soldat suisse, il fut envoyé au château de Loches, et Louis XII redevint, de nouveau, le maitre du duché de Milan.

[12] Maugiron, Vendenesse, L'Espy, La Crotte, Bayard, Normanville, Montcavray, Roussillon, Trévil, Silly, Duras, Odet, Imbaut, Blanc, desquels ni les uns, ni les autres n'avaient charge de colonel, ni le nom de mestre de camp. (Brantôme.)

[13] En français l'anspessade. Le nom d'anspessade fut conservé dans l'infanterie jusqu'en 1762 ; mais, depuis Louis XIV jusqu'à la Révolution, les volontaires de bonne maison furent désignés sous le nom de cadets gentilshommes.

[14] De 1509 à 1571.

[15] Soldats fort lestes, bien policés et curieux de leurs devoirs. (Agrippa d'Aubigné, Histoire universelle de 1550 à 1601).

[16] Général Susane.

[17] C'était ce même Julien de la Rovère qui, par haine de son prédécesseur, le pape Alexandre VI, avait attiré Charles VIII en Italie.

[18] Stuart d'Aubigny, gouverneur du Milanais, entreprit le second voyage de Naples, le 26 mai 1501, avec 900 lances, 7.000 piétons et 36 pièces d'artillerie. Il traversa Rome, où le pape Alexandre VI ratifia le traité, que Louis XII et Ferdinand le Catholique avaient signé pour le partage du royaume de Naples, donna l'assaut à Capoue et entra à Naples, pendant que son allié, le fameux capitaine espagnol Gonzalve de Cordoue, s'emparait de la Pouille et de la Calabre. Quand la guerre éclata, en juin 1502, entre les Français et les Espagnols, d'Aubigny commandait le corps insuffisant qui combattait en Calabre. Vaincu, le 21 avril 1503, à Séminara, par don Fernand d'Andrada, il fut réduit par la famine dans Angitola, et obligé à capituler.

[19] Louis d'Armagnac, duc de Nemours, nommé vice-roi de Naples en 1501, fut battu par Gonzalve de Cordoue et tué, le 28 avril 1903, à Cérignola, dans la Capitanate.

Yves d'Alègre se retira à Gaëte et Louis d'Ars à Venouze. Naples ouvrit ses portes aux Espagnols ; la garnison se retira dans les trots châteaux (de l'Œuf, Saint-Elme et le Château-Neuf) et y fit une belle défense ; mais Pedro Novarro employa la mine et obligea les Français à se rendre.

Gaëte capitula, le 1er janvier 1504, après que Gonzalve de Cordoue, favorisé par la rigueur de la saison et par la division qui régnait parmi les capitaines français, aigri par l'infortune, eut dispersé, sur les bords du Garigliano (27 décembre 1503), l'armée de secours envoyée par Louis XII.

[20] Louis d'Ars, étroitement bloqué dans Venouse, refusa toute capitulation ; quand il n'eut plus de vivres, il s'ouvrit, selon sa coutume, avec une poignée de braves, un chemin à travers les lignes espagnoles, et il regagna la France, après avoir bravé tous les dangers et franchi tous les obstacles.

[21] Gênes était, depuis 1464, une dépendance du duché de Milan, La guerre civile y régnait en permanence entre la noblesse et la bourgeoisie. Louis XII envoya une garnison qui soutint ouvertement les nobles ; le parti populaire négocia avec le pape et l'empereur et, comptant sur leur appui, il abattit les bannières fleurdelisées, proclama doge le teinturier Paolo, de Novi (15 mars 1507), et mit le siège devant les forts, occupés parles Français. Les défenseurs du Castellacio, qui s'étaient rendus par famine, furent traîtreusement égorgés ; mais le Castelleto, la citadelle et l'église fortifiée de Saint-François tinrent bon jusqu'à l'arrivée de l'armée royale.

[22] C'était le premier grand officier de la couronne, le surintendant de la maison du roi.

[23] Georges de Durfort.

[24] Jean de Chabannes, seigneur de Vendenesse, frère de La Palice ; il était fort petit de corsage, mais très-grand de courage, de sorte qu'on l'appelait ; le Petit lion muni d'un grand cœur. (Brantôme).

[25] Le duc de Ferrare, les marquis de Mantoue et de Montferrat.

[26] Les pensionnaires étaient les princes ou les seigneurs de grande maison, qui, sans être enrôlés dans une des compagnies de la maison du roi, restaient attachés à la personne du souverain et formaient son état-major.

[27] Le roi a pour sa garde 200 gentilshommes pensionnaires de sa maison, gens expérimentés qui ont bien servi dans les bandes comme porteurs d'enseignes ou de guidons, vaillants hommes qui ont mérité d'être mis autour de la personne royale. Ils portent hache, font garde et guet auprès du roi, le jour en tout temps, et la nuit quand le roi est au camp.

La première centaine est commandée par le sénéchal de Normandie, la seconde par le vidame de Chartres ; le tout représente 14 à 1500 combattants à cheval.

Les plus prochains de la personne du roi sont ensuite les 25 archers écossais du corps, vêtus d'un sayon blanc avec une couronne sur l'estomac, et couverts d'orfèvrerie du haut en bas ; ils sont sous la charge du seigneur d'Aubigny et couchent le plus près de la chambre du roi.

D'Aubigny est aussi le chef de 100 hommes d'armes écossais, qui ont pendant la nuit la garde de la porte du roi.

Après ces Écossais, viennent 400 archers français, portant hoquetons aux couleurs et devise du roi (une ruche d'abeilles avec cette suscription : non utitur aculeo rex cui paremus. notre roi n'use pas de l'aiguillon), commandés par les capitaines Gabriel de la Châtre, Savigny et Crussol.

Puis, les Cent-Suisses, dont est chef Robert de la Mark, seigneur de Fleurange et de Sedan. Ils marchent devant le roi quand il va par la ville.

36 archers de la Porte du Roi, qui la gardent pendant le jour.

36 archers du prévôt de l'hostel, qui ne bougent de la cour, portent javelines et ont sur leurs hoquetons, aux couleurs du roi, une épée en signe de justice.

Viennent après, 60 archers des toiles, qui vont à pied, ne servent qu'à tendre les toiles (tentes), et ne font le guet que quand le roi est au camp.

(Histoire des choses mémorables advenues aux règnes de Louis XII et François Ier, en France, Italie, Allemagne, Pays-Bas, depuis l'an 1499 jusqu'en l'an 1521, mise en escript par Robert de la Mark, seigneur de Fleurange et de Sedan, maréchal de France.)

[28] En 1500, on distingue dans l'artillerie française : le double courteau, pesant 7.000 livres ; le courteau, 5.500 ; la double serpentine, 5.000 ; la moyenne serpentine, 2.500 ; le faucon, 1.000.

Toutes ces pièces, en bronze et munies de tourillons, sont montées sur des affûts à rouages. A l'exception des faucons, dont le projectile est une plombée pesant 6 livres, elles lancent des boulets en fonte de fer, du poids de 42, 33, 50 ou 80 livres, suivant les dimensions du canon.

La charge de poudre pèse presque autant que le boulet.

(Traité de la guerre, manuscrit de Philippe de Clèves. Bibliothèque nationale.)

[29] Les conduiseurs du charroi étaient Odille de Doyac, capitaine, Claude de Salins et Jean Bence. (Chronique de Jean d'Auton.)

[30] Le prévôt de l'artillerie était Ferry Utel ; le contrôleur, Bernardin Bochetel ; le trésorier, maître Florimont Frotier ; les commissaires, Guérin Mauqué, Pérot d'Oignois, Etienne de Champella et Louis Benoit.

[31] Ces canonniers, parmi lesquels Jean d'Auton cite Jacques d'Aussel, Pierre de Salleneuve, Thibaut d'Archet, Lubin Foucaut, Jean Champion, Jean de Layne, Robinet Lescaut, Robin Carneu, Jean Garnier, Jean Guérin, Claude Liger et Pierre de la Rochelle, étaient les officiers, combattants de l'artillerie.

[32] On appelait coustumièrement messieurs de Bayard, de la Crotte et de Fontrailles, les chevaliers sans peur et sans reproche, qualité certes plus belle que tous les noms de seigneurie du monde. (Brantôme, Vie des hommes illustres et grands capitaines français).

Les autres capitaines cités dans les Mémoires de Fleurange sont MM. de Ravel, Robinet de Frameselle, d'Orval, le comte de Glabre et le baron de Béarn, lieutenant du duc de Nemours.

[33] Guicciardini, liv. VII, chap. 16.

[34] Huit galères, autant de galions et plusieurs flûtes ou brigantines, commandés par le brave capitaine de mer Préjean de Bidoulx.

[35] Une redoute.

[36] Guicciardini.

[37] Bayard ne fut jamais ambitieux des hautes charges militaires ; de son naturel, il aimait mieux être capitaine et soldat d'aventure, allant à la guerre et s'enfonçant aux dangers où il lui plaisait, que d'être contraint par un commandement important, et gêné de sa liberté de combattre et mener les mains quand il voulait. Il eut cet heur qu'aucun général d'armée de son temps ne fit voyages, entreprises ou conquêtes, qu'il ne fallût toujours avoir M. de Bayard avec lui. Sans Bayard, la partie était manquée, et toujours ses avis et conseils en guerre étaient suivis plutôt que les autres. L'honneur ainsi ne lui en était que plus grand, car s'il ne commandait pas à l'armée, il commandait au général.

C'était du reste l'homme du monde qui disait et rencontrait le mieux. Toujours joyeux à la guerre, il causait avec les compagnons de si bonne grâce qu'ils en oubliaient toute fatigue, tout mal et tout danger. Il était de moyenne taille, mais très-belle, fort droite et fort dispote ; bon homme de cheval, bon homme de pied. Il était un peu bizarre, haut à la main quand il fallait, et allait du sien.

D'après ce beau portrait laissé par Brantôme, il ne faut pas s'étonner que Bayard ait été toujours suivi dans ses expéditions par un grand nombre de jeunes gentilshommes, dauphinois ou autres, qui tenaient à faire avec lui leur apprentissage de la guerre.

[38] François de Daillon, seigneur de la Crotte, était le fils de M. du Lude, conseiller et favori de Louis XI.

[39] Symphorien Champier, Vie de Bayard ; 1525.

[40] C'est la réserve des avant-postes ; Jean d'Auton nous apprend qu'elle était commandée par M. de Millaut.

[41] Il est intéressant de rapprocher ce texte du Loyal Serviteur, de la relation de Guicciardini. Celui-ci nous montre Chaumont d'Amboise employant fort à propos son artillerie, et nous donne sur la contre-attaque des Gênois des détails tactiques fort importants.

Les Français commençaient à défiler vers la redoute, lorsqu'ils découvrirent un corps d'infanterie génoise qui avait gagné le sommet de la montagne par le revers opposé. La plus grande partie était ensuite descendue du côté de l'attaque et avait occupé une petite éminence située au milieu même de la montagne ; de là elle se présentait de front aux assaillants.

Chaumont détacha contre cette infanterie une troupe de gentilshommes soutenus par des aventuriers ; mais les Gênois, qui étaient supérieurs en nombre et qui avaient l'avantage du terrain, résistèrent avec vigueur. Les Français avaient attaqué la redoute sans en connaître là force, et dans leur mépris pour les artisans et les vilains qui la défendaient, ils avaient négligé les précautions nécessaires ; aussi firent-ils une perte considérable. La Palice fut blessé légèrement à la gorge.

Mais ce n'était pas cette résistance qui pouvait arrêter Chaumont ; il fit pointer contre les Gênois, qui avaient descendu la montagne, deux pièces de canon qui les prirent en flanc et les obligèrent à rejoindre le reste de leur troupe, restée sur le sommet. Les Français les y suivirent en bon ordre.

La garnison de la redoute aurait pu tenir contre le canon ; mais, craignant qu'un corps français ne se jetât entre la redoute et ceux des leurs qui occupaient la montagne, cette garnison abandonna honteusement la place.

Alors les Gênois qui avaient attaqué les Français et qui se repliaient sur la redoute, voyant cet asile leur être enlevé, regagnèrent Gênes par des chemins impraticables et à travers des précipices. Il en périt 300 environ. (Liv. VII, chap. XVI.)

Il y eut de 16 à 18.000 Gênois tués, dit Fleurange ! Voilà qui doit nous tenir en garde contre les exagérations de Robert de la Mark, qui a été un vaillant homme de guerre, mais un historien peu scrupuleux.

[42] Notons le premier emploi de ce terme, dans un ouvrage français du XVIe siècle.

[43] A Rapallo.

[44] La longue javeline ou demi-lance portant une flamme au-dessous du fer ; c'est absolument la lance moderne.

[45] Le duc Charles de Bourbon, Antoine de Lorraine duc de Calabre, François d'Orléans duc de Longueville, Jean Stuart d'Aubigny duc d'Albanie, Alphonse d'Esté duc de Ferrarej Charles de Clèves comte de Nevers, Jean Guillerme marquis de Montferrat, le comte de Vendôme, Guy de Lavait, le comte de Penthièvre, le prince de Talmont, Jacques de Bourbon comte de Roussillon, le seigneur Jean Jourdan, messire Germain de Bonneval, messire Méry de Rochechouart et plusieurs autres seigneurs de France et de Bretagne. (Jean d'Auton.)

[46] Cet archevêque était un digne émule de Guérin, évêque de Senlis, qui fut l'ordonnateur de la bataille de Bouvines.

[47] Ce mot a aujourd'hui encore la même signification qu'en 1507.

[48] Accarnare signifie en italien, entrer dans la chair.

[49] Un des Albanais de messire Mercurio coucha sa lance pour asséner un Gênois, jeune, fort et léger. Ce Gênois attendit l'Albanais, avec une rondelle dans une main et une épée dans l'autre. De sa rondelle il détourna le coup de l'Albanais, puis, soudainement, s'approcha de lui, et d'un saut le saisit à travers le corps, tellement qu'il le mit hors la selle de son cheval et le porta par force. Ils se tournoyèrent l'un sur l'autre et voiltrillèrent trois ou quatre tours. Le Gênois ne se pouvait pas bien aider de son épée, qui était longue ; l'Albanais ne pouvait rencontrer son poignard, qu'il avait derrière le dos, et qui était couvert du pan de sa longue robe. Mais à la fin, l'Albanais, qui se voyait en grand danger de sa vie, eut loisir de trouver son poignard et il en trancha la gorge du Gênois. (Jean d'Auton), Rapprocher ce combat singulier de celui de Joinville contre un Sarrazin, en 1270.