LES ARMÉES FÉODALES

 

CHAPITRE PREMIER. — LES CARLOVINGIENS

 

 

SOMMAIRE.

La cavalerie franke. — Charlemagne. — Centralisation militaire. — L'armement au Xe siècle.

 

LE CAVALIER FRANK.

 

A mesure qu'ils avaient étendu leur empire, les rois franks, obligés de guerroyer au loin, avaient augmenté leur cavalerie.

C'était facile d'ailleurs. Ils disposaient des beaux chevaux gaulois, et les invasions des peuples cavaliers, comme les Huns, les Sarrazins, les Goths et les Vandales, avaient laissé sur le sol conquis un grand nombre de cavaliers aguerris et entreprenants.

Leurs fils s'étaient enrôlés sous la bannière des leudes, et lorsque Pépin le Bref voulut s'emparer de l'Aquitaine, en 768, il put réunir, si l'on en croit les chroniqueurs, une armée de 100.000 fantassins et de 50.000 cavaliers.

 

CHARLEMAGNE.

 

Le noble frank était devenu, sous Charlemagne, un cavalier passionné.

C'est grâce à sa cavalerie d'élite que le nouvel empereur d'Occident put se porter rapidement de l'Èbre au Rhin, au Weser, ou aux Alpes, et faire face à la fois aux Saxons, aux Maures d'Espagne et aux Lombards d'Italie.

D'ailleurs, il avait, aux marches frontières, des troupes organisées et toujours prêtes à combattre, soit qu'il vînt se mettre lui-même à leur tête, soit qu'il envoyât un de ses paladins les commander.

Avec cette intelligence de la guerre qui fait les conquérants, Charlemagne dirigeait ses masses sur le centre des ennemis, si ceux-ci avait commis la faute de se morceler, ou sur leurs deux ailes, s'ils étaient formés en ligne continue. Dans ce dernier cas, il cherchait à acculer une des ailes à un obstacle insurmontable, ou bien, il se jetait sur les communications de l'adversaire, après avoir bien assuré celles de son armée.

Cette manœuvre, que Charlemagne employa successivement en Saxe, en Italie et en Espagne, fut renouvelée par Napoléon à Marengo, à Ulm et à Iéna[1].

 

CENTRALISATION MILITAIRE.

 

Les Capitulaires avaient établi dans l'armée franke une sévère discipline, et ils avaient rendu la mobilisation très-rapide, en édictant des peines graves contre le moindre retard à répondre à l'appel de l'empereur ou de ses représentants, les ducs, gouverneurs des provinces et généraux des troupes qu'elles fournissaient.

Sous la direction des ducs, les comtes administraient et commandaient une partie de territoire ; les simples bénéficiers, et les hommes libres, investis d'emplois, transmettaient les ordres des comtes.

C'était la centralisation militaire[2] assurée par une hiérarchie empruntée à la fois à l'administration romaine et aux vieilles coutumes germaines.

 

L'ARMEMENT AU Xe SIÈCLE.

 

La remarquable collection de costumes historiques, qui a été réunie au Musée d'artillerie, nous donne, d après des documents certains, l'armement successif des soldats de la France.

 

A l'époque carlovingienne, le costume est une copie dégénérée de celui des Romains. Il se compose d'une cotte d'armes à plaques de fer, rivées sur un corselet de cuir; d'une jupe de cuir plissée comme le kilt écossais ; d'un casque formé de quatre plaques de fer et posé sur un capuchon de cuir, où sont cousues des mentonnières en fer ; de chausses de cuir, maintenues par des bandes entrelacées autour des jambes[3].

 

L'épée, de 0m,90 de longueur, se porte à la ceinture; la lame, à deux tranchants, est cannelée dans toute sa longueur, la pointe est arrondie. C'est une épée de taille si bien trempée que, d'après la légende, Roland, avant de mourir, ne peut briser Durandal sur les rochers de Roncevaux.

Le bouclier rond, de 0m,50 de diamètre, est fait de bois léger, recouvert de parchemin et de lames de métal; il porte un umbo de fer, très-saillant, parfois muni d'une pointe.

 

Les chansons de geste nous donnent sur l'armement carlovingien des détails précieux.

Sous Louis le Débonnaire, un chevalier, après maintes prouesses, rend à son vieux père le cheval et les armes qu'il a reçus de lui :

Il lui amène Marchegay par la rêne dorée,

Le haubert, le blanc haume, la tranchante épée,

La targe que l'on voit moult bien enluminée,

Et la lance fourbie et moult bien façonnée.

Dans le roman des Loherains :

Begues s'apprête, à la hâte il le fit,

Lace une chausse, nul plus belle ne vit;

Sur le talon lui ont éperons mis ;

Vêt un haubert, lace un heaume bruni,

Et Béatrix lui ceint le brand (l'épée) fourbi :

Ce fut Floberge la belle au pont (garde) d'or fin....

On lui amène un destrier arabi (ardent) ;

De pleine terre est aux arçons sailli ;

L'écu au col, il a un épieu pris,

Dont le fer fut d'un vert acier bruni[4].

 

Sous les premiers Capétiens, apparaissent la cotte de mailles (broigne ou haubert) et le camail, sur lequel on met le casque conique (heaume) à nasal fixe.

Le bouclier devient l'écu, allongé en forme d'amande; on le suspend au cou à l'aide d'une lanière (guige).

Les jambes sont couvertes de mailles.

En se bardant de fer, le cavalier ne peut plus sauter en selle et il adopte l'étrier. De même, les arçons sont imposés par l'augmentation toujours croissante du chargement du cheval.

 

Nous voilà revenus, pour cinq siècles au moins, à l'armure de fer des cataphractes grecs et asiatiques.

 

Déjà la colonne Trajane nous a montré des chevaux et des cavaliers, couverts d'écaillés de métal, comme les monstres de la fable, et nous savons, par les historiens, que ces cataphractes ne pouvaient plus se mouvoir aussitôt qu'ils étaient démontés.

Lucullus s'étant aperçu, raconte Plutarque, que la cavalerie couverte de fer faisait la plus grande force de Tigrane, roi d'Arménie, fit attaquer cette cavalerie en flanc par ses cavaliers thraces et galates, en leur recommandant d'écarter, avec leurs épées, la lance des Arméniens.

Dès que ceux-ci n'agissaient plus par le choc, ils ne pouvaient plus nuire, car ils restaient murés dans leurs armures.

 

Nous lisons encore dans Tacite :

Toute la valeur des cavaliers sarmates était dans leur armement. Si leurs chevaux glissaient ou tombaient, les piques et les longues épées ne servaient plus à rien.

Le poids des armures de lames de fer ou d'un cuir très-dur, qui rendaient les chefs impénétrables aux coups, les empêchait en revanche de se relever quand ils tombaient ; alors ils étaient étouffés dans la neige qui couvrait le sol.

Les Romains, couverts d'une cuirasse légère, les renversaient, les fantassins avec le pilum, les cavaliers avec la lance, et tous les perçaient d'autant plus facilement avec leurs épées que ces Sarmates n'avaient pas de boucliers.

 

Rien ne convenait moins au caractère et aux allures de la race française qu'un armement défensif, gênant et lourd. C'était enlever au cavalier sa souplesse, sa mobilité, son élan.

Jusqu'à la fin du XIIIe siècle le vêtement de mailles, souple et relativement léger, laissa à nos chevaliers la liberté de leurs mouvements, et ils purent, pendant les croisades, rivaliser de vitesse et de furia avec les cavaliers maures ou avec les Mameluks.

L'âge de la maille fut marqué par d'éclatants succès.

 

Mais, lorsque la pesante armure allemande en plates de fer s'imposa à la noblesse française, quand il fallut, pour porter l'homme d'armes, ainsi bardé, de lourds chevaux, succombant eux-mêmes sous le poids de leur harnais, quand le chevalier ne fut plus qu'une machine de guerre sans initiative, réduite à l'immobilité et à l'impuissance par le moindre obstacle ou par un faux pas, la France put être impunément envahie, conquise, presque détruite par les archers anglais, et, depuis Crécy jusqu'à Azincourt, ses armées ne comptèrent plus leurs défaites.

 

 

 



[1] Jomini, Traité de la grande tactique.

[2] Alors se manifeste la première tentative d'organisation sous la main puissante de Charlemagne.

Germain de race et de mœurs, chrétien par la foi et Romain par la science, ce grand homme représente en lui-même la fusion qu'il aspire à réaliser dans l'occident. (Demogeot, idem, p. 38.)

[3] Musée d'artillerie. — Notice sur les costumes de guerre, de Charlemagne à Louis XIII.

[4] Demogeot, idem, pages 68 et 88.