SOMMAIRE. Les bandes franques. — Les légions de la décadence. — Aétius. — Bataille de Châlons. — L'armée de Clovis. — Tactique des Franks. — Bataille de Casilinum. LES BANDES FRANQUES. Depuis 240, les tribus germaines qui habitaient le pays compris entre le Weser, le Mein et le Rhin[1], faisaient de continuelles incursions sur le territoire gallo-romain. Tantôt combattues, tantôt tolérées, les bandes franques s'établirent, peu à peu, dans la Gaule orientale. L'empereur Julien permit, en 358, aux Franks Saliens de demeurer dans le Brabant, et aux Franks Ripuaires d'occuper les environs de Cologne. A l'époque de la grande invasion barbare de 406[2], les Franks se montrèrent d'abord les alliés fidèles du vieil Empire ; ils attaquèrent et détruisirent 20.000 Vandales sur la rive droite du Rhin. Mais ils se laissèrent bientôt déborder par le flot des envahisseurs, et ils descendirent avec lui de la Meuse à l'Escaut et de l'Escaut à la Somme. Au lieu de s'arrêter dans les cités qu'ils avaient conquises[3], au milieu des ruines qu'ils avaient amoncelées, les Franks aimaient mieux camper à l'air libre, dans l'enceinte de leurs chariots. LES LÉGIONS DE LA DÉCADENCE. Végèce[4] nous apprend ce qu'étaient devenues l'organisation militaire et la tactique romaine, entre les mains des empereurs de rencontre, revêtus de la pourpre par le caprice des prétoriens. Vers 380, la légion, de 6.100 fantassins et de 726 cavaliers, se forme en phalange, sur deux lignes de cinq cohortes. La première cohorte est au-dessus des autres et par le nombre et par la qualité des soldats, qui doivent être tous des gens bien nés et lettrés. Elle est en possession de l'aigle, enseigne générale des armées romaines. Les images de l'empereur sont aussi sous la garde de cette cohorte, dite milliaire, qui est de 1.105 fantassins et de 132 cavaliers cuirassés. C'est la tête de la légion, c'est par elle qu'on commence à former la première ligne, quand on met la légion en bataille. Les neuf autres cohortes ont
chacune 555 fantassins et 70 cavaliers ; on les appelle cohortes des cinq
cents. La troisième est composée de soldats vigoureux, parce qu'elle
occupe le centre de la première ligne, et la cinquième des plus braves, parce
qu'elle forme la gauche. Ces cohortes, divisées en cinq centuries, se rangent sur cinq rangs, formant deux lignes. Le premier rang se compose des princes,
qui ont à peu près conservé l'armement de l'ancien légionnaire ; le second
rang, des hastaires, portant la cuirasse, les javelots et la lance ; le
troisième et le quatrième, des vélites, destinés à se répandre en tirailleurs
sur le front et sur les flancs ; le cinquième rang, composé des vétérans,
forme la deuxième ligne, à quelque distance en arrière. Ce n est pas seulement par le nombre de ses soldats que la légion remporte la victoire, c'est surtout par ses machines de jet. On les place, sur le champ de bataille, derrière les pesamment armés, et ni boucliers, ni cuirasses ne sont à l'épreuve de leurs javelots. Chaque légion a son équipage de pont. Il se compose de canots faits d'un seul morceau de bois creusé, de chaînes de fer et de cordages. Pour passer les rivières, on attache les canots les uns aux autres, puis on les recouvre d'un plancher de madriers, sur lequel la cavalerie et l'infanterie peuvent marcher sans danger. La légion porte encore des crocs de fer, des faux attachées à de longues perches, des hoyaux, des pieux, des bêches, des pelles et tous les outils propres à dégauchir le bois, à le scier et à l'employer. Elle a des ouvriers pour construire ses machines et tout le matériel nécessaire à l'établissement d'un camp fortifié. Malgré cet attirail de guerre, les légions avaient perdu leur ancienne renommée ; Végèce l'avoue. On conserve encore aux troupes le nom de légions, dit-il, mais elles se sont abâtardies depuis que, par un relâchement, qui est assez ancien, la brigue a surpris les récompenses dues au mérite et depuis qu'on s'élève, par la faveur, aux grades qu'on obtenait autrefois par des services. On n'a pas remplacé les soldats libérés par congé, les morts, les déserteurs, les réformés ; tout cela fait de si grands vides dans les troupes, que si l'on n'est pas attentif à les recruter tous les ans et même tous les mois, l'armée la plus nombreuse est bientôt épuisée. Ce qui a encore contribué à dégarnir nos légions, c'est que le service y est dur, les armes pesantes, les récompenses tardives, la discipline sévère. La plupart des jeunes gens en sont effrayés et s'engagent de bonne heure dans les auxiliaires, où ils ont moins de peine et plus de récompenses. De pareilles légions ne suffisaient pas pour défendre l'Empire contre des invasions incessantes. Les Barbares, longtemps amoncelés aux frontières, percèrent çà et là ces digues impuissantes. Tantôt appelés par les empereurs, tantôt imposant leurs services, ailleurs, courant par bandes le pays qui se refermait sur leurs traces, pillards, plutôt que conquérants, ils ne subjuguaient pas la Gaule, ils la dévastaient. Le résultat n'en fut pas moins la destruction de l'Empire. Toute vie centrale s'éteignit peu à peu ; tout lien entre les diverses contrées fut détaché, sinon rompu ; tout devint local, isolé ; le monde semblait tomber dans le chaos. Le mélange confus, la formation tumultueuse des éléments d'une société nouvelle dura du Ve siècle jusqu'à la fin du VIII[5]. AÉTIUS[6]. En 451, le patrice des Gaules, Aétius fut contraint d'implorer le secours de Mérovée, chef de la ligue des Franks Saliens, contre les Huns d'Attila. Ces Tartares, venus du bas Danube, avaient brûlé Metz et pris Orléans, lorsque l'armée impériale, renforcée de tout ce qu'il y avait de guerriers dans les Gaules[7], leur livra bataille dans les plaines de Châlons-sur-Marne. Bataille de Châlons (451).Vers trois heures de l'après-midi, Attila, au centre, à la tête de ses Huns, avec les Ostrogoths à l'aile gauche et les Gépides à l'aile droite, fit donner le signal de l'attaque par les tambours tartares et les aurochs gothiques[8]. Dans l'armée d'Aétius, Théodoric. roi des Visigoths, était à l'aile droite, à côté des légions gallo-romaines. Les Franks et les autres auxiliaires formaient l'aile gauche[9]. Aétius occupa une colline qui commandait la plaine et, du haut de ce poste, il culbuta les escadrons des Huns, au moment où ils essayaient de gravir la pente. Attila ramena ses Tartares à la charge en leur criant : Ne les connaissez-vous pas, ces lâches Romains, que la poussière seule met hors de combat ! Méprisez-les : chargez les Alains, dispersez les Visigoths. Ceux-là détruits, la guerre est finie ![10] Ce furent, en effet, les Visigoths qui décidèrent la victoire, en conversant sur le centre et en prenant les Huns en flanc. Ceux-ci se rallièrent dans leur camp et y firent bonne contenance. Le massacre dura toute la nuit. Au jour, on vit que, dans cette mêlée des plus vaillantes nations du monde, il avait péri, des deux côtés, 165.000 guerriers sans compter les Franks et les Gépides, tués la veille dans un combat d'avant-garde. C'est que la lutte corps à corps, la mêlée générale avaient remplacé le va-et-vient méthodique des batailles d'autrefois. Parmi ces vaillants, aucun n'avait tourné le dos ; l'épée avait rencontré l'épée et la victoire était restée cette fois encore au plus habile, au tacticien Aétius, qui s'était assuré l'avantage de la position et qui avait exécuté une attaque inopinée sur le flanc de l'adversaire. L'ARMÉE DE CLOVIS. Après la bataille des champs catalauniques, la Gaule devait appartenir à ceux qui l'avaient défendue. Des généraux comme Aétius, qui auraient pu, à force d'habileté et de courage, la conserver à l'Empire, devenaient bien vite suspects à l'Empereur et mouraient assassinés. Les légions tremblaient devant leurs alliés barbares ; mais, ces peuples, d'origines différentes, ne purent s'entendre au sujet du partage. Le roi Clovis, élevé sur le pavois des Franks Saliens, vainquit successivement : au nord, les légions de Syagrius (Soissons) ; à l'est, les Alamans, (Tolbiac) ; au sud-est, les Burgondes (Dijon) ; au sud-ouest, les Visigoths d'Alaric (Vouglé). Pour gagner tant de batailles, pour devenir les maîtres de la Gaule, les Franks avaient conservé leurs armes nationales : La francisque et la framée ; La longue épée à deux tranchants (de 0m,60 à 0m,70), qu'on ne retrouve que dans le tombeau des chefs ; Le scramasaxe, dague courte (0m,70), lourde, à un seul tranchant, dont le dos est habituellement cannelé, et dont le pommeau supporte deux ailettes semblables aux antennes d'un papillon Le hang ou angon, courte pique qui servait à la fois de près et de loin. La pointe longue et forte était armée de plusieurs crochets tranchants et recourbés comme des hameçons. Le bois était recouvert de lames de fer dans presque toute sa longueur, de manière à ne pouvoir être brisé ni entamé à coups d'épée. Quand le hang s'était fiché dans un bouclier, il y restait suspendu, balayant la terre de son extrémité ; alors le Frank, qui l'avait jeté, s'élançait et, posant un pied sur le manche, il appuyait, de tout le poids de son corps, pour forcer l'adversaire à baisser le bras et à découvrir sa tête et sa poitrine. Quelquefois, le hang, attaché au bout d'une corde, servait de harpon. Pendant qu'un des Franks lançait le trait, un autre tenait la corde, puis, tous deux joignaient leurs efforts, soit pour désarmer leur ennemi, soit pour l'attirer lui-même par son vêtement ou par son armure[11]. Les Franks portaient des habits de toile, serrés au corps par un large ceinturon qui soutenait l'épée. Ils gardaient le bouclier rond, mais ils dédaignaient le casque. Ils relevaient et rattachaient sur le sommet du front leurs cheveux, d'un blond roux, qui formaient une espèce d'aigrette et retombaient par derrière en queue de cheval. Les rois chevelus laissaient flotter sur leurs épaules cette longue crinière. TACTIQUE DES FRANKS. Quand Théodebert alla guerroyer en Italie, en 539, la garde du roi avait seule des chevaux et portait des lances romaines. Le reste était à pied et dans un équipage assez misérable. Ils n'avaient ni cuirasses, ni
bottines garnies de fer. Un petit nombre portaient des casques, les autres combattaient
nu-tête. A cause de la chaleur, ils avaient quitté leurs justaucorps de toile
et gardaient seulement des culottes, d'étoffe ou de cuir, qui leur
descendaient jusqu'au bas des jambes. Ils n'avaient ni arc, ni fronde, ni autres armes de trait, si ce n'est le hang et la francisque[12]. In pedite robur. C'est d'infanterie que se compose l'armée de ces Germains, qui sont devenus les Franks. Quelques chefs, quelques leudes du roi ont des chevaux, mais le Frank est un fantassin. La bataille de Casilinum, gagnée, en 553, par l'eunuque Narsès, général de Justinien, démontra à ces guerriers entreprenants la nécessité d'avoir une cavalerie. L'Italie les attirait. Divisés en deux armées, comme autrefois les Cimbres et les Teutons, ils avaient ravagé l'Italie septentrionale, lorsque le Marius étrange, qui couvrait les approches de Rome, avec 18.000 mercenaires, grecs ou barbares, prit l'offensive et livra bataille aux 30.000 Franks de Bukhelin, dans les environs de Capoue. Bataille de Casilinum (553).Narsès renouvela la manœuvre qui avait donné à Annibal la victoire de Cannes. Les deux armées étaient formées en avant de leur camp. Celle des Franks s'appuyait, de chaque côté, à un bois, qu'on avait négligé de garder et de couvrir, faute de troupes légères et de cavalerie. Elle était divisée en bandes de 1.500 hommes environ, rangées sur 80 de front et 18 de profondeur[13]. C'était un moyen d'imiter à la fois la phalange et la légion. Le centre, formé en coin, devait commencer l'attaque ; les ailes s'étendaient au loin, pour ne pas être enveloppées. Vis-à-vis de ce coin, Narsès avait placé, en première ligne, un carré plein, de 4.000 légionnaires, couverts de grands boucliers, et armés de l'épée et du pilum. Au milieu de la deuxième ligne, il avait ménagé un intervalle de la largeur du carré, afin que, si celui-ci était forcé de reculer, il pût trouver sa place en arrière, sans déranger l'ordre de bataille. 2.000 cavaliers flanquaient cette deuxième ligne. En arrière du centre était une réserve d'Hérules. Les balistes, les scorpions, les onagres étaient répandus sur le front des soldats pesamment armés. Une nuée de vélites les couvrait à distance. Le coin des Franks enfonça le carré qui lui était opposé, mais il marcha lentement et en désordre ; les Hérules l'arrêtèrent. En même temps, la cavalerie impériale tournait, à la faveur des bois, les ailes de Bukelin, les rompait et venait prendre en queue la colonne d'attaque. Alors Narsès fit converser sur le centre les deux tronçons de sa deuxième ligne, et il assaillit les flancs de cette masse confuse, qui s'était aventurée, sans être soutenue, au milieu de l'armée impériale. Les Franks, enveloppés, firent une terrible résistance ; presque tous périrent. L'art militaire des anciens avait remporté à Casilinum sa dernière victoire. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Chauques, Amsibares, Chérusques, Chamaves, Celtes, Bructères, Tenctères, Attuariens et Sicambres.
[2] Invasion des Alains, des Vandales, des Marcomans et des Suèves.
[3] Cologne, Mayence, Trèves (440-441) ; Cambrai, Tournai (447).
[4] Écrivain latin de la fin du IVe siècle, qui a dédié son traité De re militari à l'empereur Valentinien II (375-392).
[5] Demogeot, Histoire de la littérature française, depuis ses origines jusqu'à nos jours.
[6] Aétius, descendant d'une des plus nobles familles de la Scythie, avait une taille moyenne, une figure noble. Il avait de la vivacité dans l'esprit, de la vigueur dans les membres. Excellent cavalier, adroit tireur, maniant bien la lance, il excellait dans les arts aussi bien qu'i la guerre. L'empereur Valentinien, devenu adulte, le tua, sans en avoir d'autre raison que de jalouser sa puissance. (Grégoire de Tours).
[7] C'étaient les Burgondes de l'Isère et du Rhône ; les Franks Saliens du bas Escaut, de la Meuse et des bouches du Rhin ; les Armoricains des bords de la mer Britannique (Manche) ; les Lètes des provinces de l'ouest ; les Saxons des environs de Bayeux ; les Sarmates, soldats auxiliaires des diverses garnisons de la Gaule ; les Bréons du lac de Constance ; les Franks ripuaires des environs de Cologne (Henri Martin, Histoire de France).
[8] Cornes de taureau sauvage.
[9] Nous n'avons pas pu, malgré nos recherches, trouver sur cette bataille des. documents suffisamment indiscutables, pour en relever le plan d'ensemble. Le lieu même où elle s'est livrée (Châlons-sur-Marne ? Méry-sur-Seine ?) est encore un sujet de savantes discussions, qui n'entrent pas dans notre cadre. Nous nous gardons de la fantaisie historique, quelque attrait qu'on puisse parfois lui trouver.
[10] Jornandès, moine et historien goth du VIe siècle.
[11] Augustin Thierry, Lettres sur l'histoire de France, d'après Procope et Agathias.
[12] Augustin Thierry, Lettres sur l'histoire de France.
[13] D'après Agathias, historien grec de 554.