SOMMAIRE. Organisation militaire. — Armement. — Tactique. ORGANISATION MILITAIRE. César, en nous racontant ses batailles contre les Germains d'Arioviste, nous a laissé de précieux renseignements sur les formations et la manière de combattre des nouveaux conquérants de la Gaule. C'est par lui que nous savons que chacun des cent cantons des Suèves fournissait, tous les ans, mille guerriers, qui portaient l'invasion chez les peuples voisins. Les autres hommes restaient à cultiver les terres, tant pour eux-mêmes que pour les coureurs d'aventures. Ceux-ci prenaient, au retour, la place des laboureurs, qui partaient en guerre l'année suivante. C'était le moyen de pourvoir aux besoins de l'agriculture et d'entretenir l'ardeur guerrière en même temps que l'habitude des armes. Les Suèves, écrit César, consomment peu de blé ; ils ne vivent que de lait, de chair et de gibier. Cette nourriture, jointe à l'extrême liberté dont ils jouissent dès leur plus tendre enfance, leur donne une taille gigantesque et une complexion robuste. Ils élèvent leurs enfants dans le mépris de tout devoir et de toute discipline. Ils sont vêtus de peaux de bêtes, mais une partie de leur corps est nue. Bien différents des Gaulois, si avides de beaux chevaux étrangers, ils ne se servent que des chevaux de leur pays, tout chétifs et tout laids qu'ils soient. Par un exercice continuel, ils les endurcissent à la fatigue et les rendent capables des plus durs travaux. Souvent, dans les batailles, ils sautent à terre pour combattre à pied ; leurs chevaux, restés au piquet où ils les ont attachés, leur assurent une retraite prompte et facile. Ils considèrent comme une
honteuse mollesse de se servir, d'une selle. L'entrée du vin est interdite
sur leur territoire, parce que le vin rend les hommes efféminés et incapables
de supporter les fatigues de la guerre. C'est une coutume constante parmi nous, disent-ils, et que nous avons reçue de nos pères, de recourir aux armes et non aux prières, pour résister à l'ennemi qui nous menace. ARMEMENT. Tacite, qui avait passé une partie de sa jeunesse au bord du Rhin, nous a décrit les mœurs, l'armement et la tactique des Germains occidentaux, c'est-à-dire des Franks. Chez eux, le fer n'est pas abondant, si l'on en juge par la nature de leurs armes. Très-peu se servent d'épées ou de grandes lances ; leurs piques (frameæ) sont garnies d'un fer étroit et court, mais tellement acéré et si facile à manier, qu'avec la même arme ils combattent, de près ou de loin, selon les circonstances. Les cavaliers n'ont que le bouclier et la framée. Les fantassins ont, en outre, des armes de jet (missilia) ; chaque homme en a plusieurs, qu'il lance à une portée prodigieuse. Ce mot missilia ne désigne-t-il pas les nombreuses haches franques, qu'on a retrouvées dans les tombes mérovingiennes et qui sont de petits merlins assez lourds, à un seul tranchant, avec un manche de bois de 0m,60 à 0m,80 de longueur ? La hache à deux tranchants, que les historiens appellent la francisque, pour l'avoir vue figurer dans un trophée de la colonne Antonine, ne serait alors qu'une exception dans l'armement mérovingien. La vraie francisque était le merlin court et pesant, que les Franks lançaient avant de mettre l'épée à la main, comme les Romains lançaient le pilum. Sidoine Apollinaire[1] nous en a fourni la preuve : Les Franks, dit-il, se font un jeu de lancer par les airs les haches rapides[2], en fixant d'avance la place où elles doivent frapper ; de faire tourner rapidement leurs boucliers ; de devancer par des bonds impétueux les projectiles échappés de leurs mains et d'arriver, avant eux, sur l'adversaire. Tacite ajoute : Les Germains sont nus ou couverts
d'une saie légère (sagulum).
Très-peu portent des cuirasses ; on voit parmi eux deux ou trois casques à
peine. C'est l'infanterie qui est leur force principale : In pedite robur. Ils choisissent, dans chaque canton, pour les placer sur leur front de bataille, cent fantassins d'élite, qui luttent de vitesse avec les chevaux. On les nomme les cent (centeni) et c'est un honneur d'en faire partie. TACTIQUE. L'ordre de bataille des Germains est le coin. Céder du terrain pour revenir ensuite à la charge est pour eux acte d'habileté plutôt que de faiblesse. Même après les défaites, ils emportent les morts. Abandonner son bouclier est le comble de la honte ; celui qui a commis cette faute perd sa place au conseil, et il lui est défendu d'assister aux sacrifices. Plusieurs, après avoir faibli dans la bataille, se sont étranglés pour échapper à l'infamie. Le roi est choisi parmi les plus nobles, les chefs parmi les plus braves ; tous doivent l'exemple à leurs soldats, et ils combattent au premier rang. C'est par l'admiration qu'ils se font obéir : Admiratione prœsunt ! Les Germains prennent dans les forêts sacrées leurs emblèmes et leurs enseignes. Autour de ces enseignes se groupent, par escadrons ou par coins, les combattants de la même famille ou de la même origine. Au combat, ils ont près d'eux tout ce qui leur est cher : mères, femmes, enfants ; ce sont là les premiers admirateurs de leurs exploits. Blessés, ils vont trouver leurs mères ou leurs femmes, qui les pansent, et, dans la mêlée, leur portent des vivres et des encouragements. Les femmes, par leurs prières, ont bien souvent ranimé leur courage. C'est pour empêcher qu'elles ne tombent aux mains de l'ennemi que les Germains disputent si ardemment la victoire. Les femmes germaines ont un caractère sacré, prophétique ; on les consulte et on leur obéit en toute circonstance. Ce culte de la femme est une des origines de la chevalerie. Les chants guerriers des Germains étaient impétueux et terribles, comme le choc de leurs armes. Quand ils s'avançaient au combat, la bouche collée contre leurs boucliers, et mugissant dans l'airain leurs hymnes militaires, l'armée romaine effrayée croyait entendre le cri sauvage des aigles et des vautours. Vaincus, ils chantaient leur chant de mort au milieu des tortures ; vainqueurs, ils célébraient leurs succès par de poétiques récits :[3] L'armée est en marche ; les
oiseaux chantent, les cigales crient, les lames belliqueuses retentissent.
Maintenant la lune errante brille sous les nuages ; maintenant s'engage
l'action qui fera couler les larmes... Alors commença le désordre du carnage ; les guerriers s'arrachaient des mains leurs boucliers creux ; les épées fendaient les os des crânes. La citadelle retentissait du bruit des coups ; le corbeau tournoyait, noir et sombre comme la feuille du saule, le fer étincelait comme si le château eût été tout en feu. Jamais je n'entendis conter bataille plus belle à voir. |
[1] Poète latin, évêque de Clermont, 472 de l'ère chrétienne.
[2] La lourde hache de la colonne Antonine, à double fer et à long manche, n'a jamais pu être une hache rapide. Lancée par le bras le plus vigoureux, elle n'irait pas à vingt mètres. Or, nous savons, par les chroniqueurs, que c'est par une portée de leur francisque que les rois mérovingiens indiquaient aux architectes goths la longueur des basiliques.
[3] J. Demogeot, Histoire de la littérature française, depuis ses origines jusqu'à nos jours (12e édition). Paris, Hachette, 1871.