SOMMAIRE. Le patriotisme gaulois. — Les Helvètes. — Bataille d'Autun. — Les Germains d'Arioviste. — Passage du Rhin. — Confins et quartiers permanents. — Expédition en Grande-Bretagne. — Ambiorix. — Vercingétorix. — Le siège d'Alésia. LE PATRIOTISME GAULOIS. Les Commentaires de César, en retraçant froidement et avec une certaine impartialité la conquête des Gaules, nous permettent d'admirer les grands efforts que fit un peuple fier, impressionnable et généreux, pour repousser le joug du conquérant. Il n'est pas de lecture plus instructive. Dans ces immenses forêts, dans ces cités rivales, mal reliées entre elles, parmi ces peuples longtemps ennemis, l'approche des Romains a réveillé l'amour de la patrie et de l'indépendance. A la nouvelle de l'invasion, les querelles de voisinage ont été oubliées ; les chefs se sont donné la main et tous les guerriers sont venus se ranger sous l'étendard du plus digne. Cependant la science de la guerre, la tactique romaine l'emportent : César et ses vétérans sont vainqueurs. Alors, on évite César pour assaillir ses lieutenants[1] ; on coupe les convois romains, on brûle les villes qui se sont lâchement déclarées pour l'étranger, et quand les divisions politiques, quand les fautes militaires, quand la légèreté inconsciente de ces héros indisciplinés, rendent la résistance impossible, un suprême effort est tenté ! Tout ce qui reste de généreux dans les Gaules ravagées et vaincues vient se grouper autour de Vercingétorix. Pour réduire Alésia, dernier rempart de l'indépendance, il faut l'affamer ; César entreprend des travaux inouïs, et, cette fois encore, l'art triomphe du désespoir. Quand la faim a arraché les derniers cris de douleur à ce peuple qui s'est donné à lui, Vercingétorix, couvert de sa plus brillante armure, vient jeter son épée aux pieds de César. C'en est fait de l'indépendance de la Gaule ; mais, pour venger le Capitole de l'insulte du Brenn, il a fallu aux Romains 338 ans ! LES HELVÈTES. 400.000 Helvètes, des environs d'Embrun, de Zurich et du lac Léman, se mirent en route, l'an 58 avant J.-C., pour aller s'établir sur les rives de l'Océan. Ces émigrants, en passant entre la Loire et la Saône, ravagèrent le territoire des Éduens, et les Éduens appelèrent César à leur secours. Ce fut là le prétexte de l'intervention romaine et de la conquête des Gaules. César accourut de la Province, avec six légions, pour livrer bataille aux Helvètes. Averti par les coureurs que les trois-quarts de l'armée ennemie avaient déjà traversé la Saône (entre Trévoux et Villefranche) sur des radeaux, ou des nacelles liées ensemble, et que l'autre quart était encore sur la rive gauche, César partit, vers la troisième veille (minuit), avec trois légions. Il marcha avec tant de diligence et de secret, qu'il surprit et tua la plus grande partie des retardataires. Le reste se réfugia dans les forêts voisines. Le combat fini, César fit jeter un pont sur la Saône, afin de poursuivre l'ennemi. Il lança contre lui toute sa cavalerie, 4.000 hommes, qu'il avait recrutés tant dans la province que chez les Éduens et leurs alliés. Cette cavalerie, trop ardente à poursuivre l'ennemi, fut contrainte de combattre dans un lieu désavantageux, et elle se retira avec perte. Les Helvètes, encouragés par un avantage qu'ils avaient remporté avec 500 chevaux, s'enhardirent à s'arrêter plus souvent et à faire escarmoucher quelquefois leur arrière-garde contre les Romains. César ne permit pas à ses troupes d'en venir aux mains avec l'ennemi ; il se contenta d'empêcher les courses et les ravages des Helvètes. Ceux-ci marchèrent environ quinze jours, en maintenant leur arrière-garde à cinq ou six milles (de 7.500 à 8.900 mètres) de notre avant-garde. César, en apprenant par ses coureurs que les Helvètes sont campés au pied d'une montagne, à huit milles (12 kilomètres) de son camp, envoie reconnaître la position ennemie, et recommande aux éclaireurs de bien examiner les alentours, la nature et l'inclinaison du terrain. Sur le rapport qu'on lui fait, il détache, vers la troisième veille, T. Labienus avec deux légions, en lui donnant pour guides les cavaliers qui ont fait la reconnaissance. Il instruit Labienus de son dessein, et lui ordonne de gagner le sommet de la montagne, en évitant surtout de se laisser voir. Deux heures après, César se met en marche, par le chemin que les ennemis ont suivi ; il envoie en avant toute sa cavalerie, précédée de troupes légères. Au point du jour, Labienus était déjà établi au sommet de la montagne. César s'était avancé jusqu'à 1.500 pas des ennemis, sans qu'ils eussent connaissance ni de son mouvement, ni de celui de Labienus, lorsqu'un faux avis du commandant des troupes légères — qui avait pris les soldats de Labienus pour des Helvètes —, arrêta le mouvement combiné et retarda la bataille. Le jour de la distribution du blé approchait et l'on n'était qu'à dix-huit, milles (26k600m) de Bibracte (Autun), la ville la plus grande et la mieux approvisionnée des Éduens. César résolut de s'en approcher pour assurer les vivres. Les Helvètes, en apprenant, par des transfuges de la cavalerie gauloise, notre marche sur Bibracte, crurent que c'était la crainte qui nous faisait reculer. Ils rebroussèrent chemin, afin de nous couper les vivres, et ils se mirent à poursuivre et à harceler notre arrière-garde. Bataille d'Autun (58 avant J.-C.).César s'arrête, porte en avant toute sa cavalerie et échelonne son infanterie sur une hauteur : A mi-côte, quatre légions de vétérans, sur trois lignes ; au sommet, deux légions de nouvelles recrues, gardant le bagage, placé dans une enceinte retranchée. Les Helvètes, qui l'avaient suivi avec tous leurs chariots, rassemblent aussi leur bagage, et, après avoir repoussé la cavalerie romaine, ils montent, en ordre serré, à l'attaque de notre première ligne. César comprend qu'il faut vaincre ou mourir. Pour ôter à ses soldats toute pensée de retraite et pour partager le péril avec eux, il renvoie tous les chevaux, sans excepter le sien ; puis, après avoir exhorté les troupes à faire leur devoir, il engage l'action. Les légions placées sur la crête rompent facilement les rangs des ennemis avec le pilum, et se précipitent au milieu d'eux l'épée à la main. Les Helvètes, dont les boucliers transpercés sont cloués ensemble, parce que la pointe des pilums s'est repliée sans qu'on ait pu l'arracher, secouent le bras pour se débarrasser de leurs boucliers, aimant mieux combattre la poitrine découverte qu'ainsi gênés. Mais alors, criblés de coups, ils lâchent pied et reculent vers une colline, située à mille pas. Les Romains les poursuivent ; mais, pendant l'escalade, un corps de réserve, de 15.000 Boïens et Tulinges[2], débouche sur le flanc des vieilles légions et s'efforce de les tourner. Les Helvètes, parvenus au sommet de la colline, voient cette manœuvre, redescendent au plus vite et renouvellent le combat de leur côté ; de sorte que les légions sont obligées de faire face, à la fois, par les deux premières lignes, contre ceux qu'ils poursuivent et, par la troisième, contre les corps qui les ont enveloppées[3]. Le combat fut longtemps opiniâtre et douteux ; enfin les Helvètes, ne pouvant soutenir l'attaque des Romains, se retirent, les uns vers la colline, où ils s'étaient repliés d'abord, les autres vers leurs bagages et leurs chariots. Pendant toute la bataille, qui dura depuis une heure jusqu'à la nuit, on ne vit jamais l'ennemi tourner le dos. On combattit même aux bagages,
pendant une partie de la nuit, parce que les Helvètes s'étaient fait un
rempart de leurs chariots, du haut desquels ils lançaient des traits.
D'autres, à travers les roues, frappaient nos gens à coups de pique et de
javeline. Les Helvètes, réduits à 130.000 hommes, firent en bon ordre leur retraite vers le Nord. César, obligé de séjourner sur le champ de bataille pour relever les blessés et enterrer les morts, n'avait pas pu les poursuivre[4]. LES GERMAINS D'ARIOVISTE. Les Helvètes vaincus, César tourne ses coups contre Arioviste, qui a passé le Rhin avec 120.000 Suèves. Pendant cinq jours de suite, César fait sortir son armée de son camp et la range en bataille ; mais Arioviste reste dans son enceinte de chariots et se contente de faire escarmoucher sa cavalerie. Les Germains entendaient très-bien cette manière de combattre ; ils avaient un corps de 6.000 chevaux et d'autant d'hommes de pied, les plus lestes et les plus braves de toute l'armée. Chaque cavalier choisissait dans la bande un fantassin, pour sa sûreté personnelle, et ces deux compagnons allaient toujours ensemble au combat. Là, les cavaliers se ralliaient aux fantassins ; ceux-ci accouraient, à leur tour, s'ils voyaient les cavaliers trop pressés. Fallait-il faire une longue marche ou une prompte retraite ? Les gens de pied étaient si bien formés par de fréquents exercices, qu'ils suivaient les chevaux à la course, en se tenant, d'une main, à la crinière. Arioviste sortit enfin de son camp et rangea ses Suèves, par nations, en sept colonnes profondes, entourées chacune d'une enceinte d'équipages et de chariots, d'où les femmes échevelées, tendant les bras, exhortaient les guerriers à ne pas les livrer aux Romains. Les légions, au signal de l'attaque, marchèrent contre les Germains, qui, de leur côté, s'avançaient si promptement, qu'on n'eut pas le temps de lancer le pilum ; on le laissa pour mettre l'épée à la main. Les Germains, selon leur coutume, se formèrent rapidement en phalange ; mais les légionnaires étaient si ardents au combat, qu'on en vit plusieurs sauter sur la phalange, et écarter les boucliers avec la main gauche, pour frapper les barbares à la gorge. L'aile gauche des Germains fut rompue par l'aile droite romaine, conduite par César, mais la gauche des Romains plia devant l'aile droite germaine et il fallut que la troisième ligne vînt rétablir le combat. Arioviste vaincu eut grand'peine à repasser le Rhin. César apprit d'Arioviste à combiner l'infanterie avec la cavalerie légère. Plus tard, en Espagne, pour suppléer à l'infériorité numérique de sa cavalerie, il choisit quatre cents jeunes gens des plus alertes, parmi ceux qui marchaient en avant des enseignes, et il les habitua, par des exercices quotidiens, à combattre entre ses cavaliers. Il obtint ce résultat, qu'à Pharsale, ses mille cavaliers, ainsi soutenus, osèrent, en rase campagne, tenir tête aux 7.000 cavaliers de Pompée. PASSAGE DU RHIN (55 avant J.-C.). Trois ans après la défaite d'Arioviste, César voulut prouver aux Sicambres que l'Empire des Romains n'avait pas, comme ils le prétendaient, le Rhin pour limite, et il fit franchir ce fleuve à ses légions. Il choisit le point de passage près de Wesel (Aliso), au confluent de la Lippe. Cette grande opération tactique mérite d'être racontée en détail. César fit joindre ensemble, à deux pieds (0m,59) de distance, deux pilots taillés en pointe, d'un pied et demi (0m,44) d'équarrissage et d'une longueur proportionnée à la profondeur du fleuve. Il les fit ensuite descendre dans l'eau avec des machines. On les enfonça, à coup de mouton, en les inclinant un peu dans le sens du courant. Vis-à-vis et à 40 pieds (12m) de distance,
en descendant le fleuve, on en plaça deux autres, joints ensemble de la même
manière ; on leur donna une inclinaison opposée au courant. Sur ces 4 pilots ainsi placés, César fit mettre une seule poutre de 2 pieds d'équarrissage (0m,59), qui s'enclavait dans l'intervalle, et qui était attachée et contenue, des deux côtés, par des chevilles de fer, opposées l'une à l'autre. De cette manière, plus les eaux avaient de violence, plus les poutres étaient resserrées et plus l'ouvrage était solide. On disposa, dans toute la largeur du fleuve, d'autres poutres semblables à la première. On posa, de l'une à l'autre, des solives, qui furent recouvertes de perches et de fascines posées en travers. César fit renforcer les pilotis, qui supportaient le pont, par des pieux inclinés, qui aidèrent l'ouvrage à lutter contre le courant. A peu de distance au-dessus du pont, d'autres pilots furent plantés pour arrêter les troncs d'arbres, ou les bateaux, que les barbares auraient pu lancer au fil de l'eau afin d'ébranler le pont ou de le rompre. Cet ouvrage fut achevé en 10 jours, à compter du moment où l'on commença à transporter les matériaux. César fit lever le pont, après une expédition victorieuse sur la rive droite du Rhin. CONFINS ET QUARTIERS PERMANENTS. César avait compris l'importance de ce grand fleuve, derrière lequel grondaient déjà de terribles menaces contre l'empire qu'il voulait fonder. Aussi fut-il le premier à en organiser la défense, à en faire la base d'opérations des armées romaines, qui combattaient en Germanie. Par son ordre, les confins rhénans se hérissèrent de castellum, qu'on relia bientôt par une ligne presque continue d'ouvrages permanents. Sur la rive droite, des têtes de pont ou des hauteurs fortifiées ; en arrière, sur la rive gauche, des vallées défendues par des travaux de seconde ligne et reliées par des routes stratégiques, et plus loin, en Gaule, des arsenaux et des manufactures d'armes et d'engins. A l'abri des murailles, les quartiers d'hiver, hiberna, pourvus de casernes, de magasins, d'hôpitaux ; puis, en avant, sur les lignes d'attaque, les camps de manœuvres, œstiva. Au milieu de ces œuvres accumulées par l'art de la guerre, vivaient les légions, les cohortes indépendantes et la cavalerie. Tout, hommes et choses, était toujours prêt. La vie entre soldats, le culte rendu au Dieu de la force et aux aigles sacrées, de rudes exercices, le voisinage de l'ennemi, une discipline de fer entretenaient parmi les légionnaires un esprit militaire, qui survécut longtemps à la décadence intérieure de l'Empire. Lorsqu'il y avait lieu d'envoyer des troupes hors des confins, on formait des détachements qui, suivant leur effectif, gardaient le numéro et le surnom de la légion, ou qui tiraient leur nom du vexillum qu'on leur donnait. Les soldats de ces détachements s'appelaient alors des vexillaires. Le centre de la légion, son dépôt, restait sur la frontière, au milieu de ses magasins. Le dépôt recevait les recrues, les exerçait et gardait toujours son titre de légion, son surnom et son numéro d'ordre. Ainsi, les confins étaient de véritables provinces habitées par des soldats, des vétérans et des auxiliaires. La population non armée y était peu nombreuse et soumise à l'autorité militaire[5]. EXPÉDITION EN GRANDE-BRETAGNE. Ce n'était pas assez d'avoir passé le Rhin, César voulut franchir la Manche. Il choisit le port de Boulogne (Portus Itius) pour le rassemblement de sa flotte, composée de quatre-vingts vaisseaux de charge (actuarium), qui lui paraissaient devoir suffire pour le transport de deux légions. Les galères furent données au questeur, aux lieutenants et aux préfets. Il y avait encore dix-huit autres vaisseaux, retenus à huit milles de là par les vents contraires ; César les destina au transport de la cavalerie. La garde du port fut confiée à Sulpicius Rufus, avec les troupes qu'il crut nécessaires. César leva l'ancre à la troisième veille (minuit) et il arriva avec sa flotte en vue des côtes de Bretagne, vers la quatrième heure du jour (10 heures du matin). Toutes les collines parurent couvertes d'hommes armés. La mer en cet endroit (près de Douvres) était tellement dominée par les hauteurs voisines, que les Bretons pouvaient facilement, de leur poste, empêcher le débarquement à coups de traits. César, en attendant les vaisseaux qui portaient sa cavalerie, manda près de lui ses lieutenants et ses tribuns, pour leur recommander de prendre, dans le combat, promptement conseil des circonstances. Dans une opération maritime, sujette à de brusques variations, il ne voulait pas que l'exécution de ses ordres souffrît le moindre retard. Le vent et la marée devinrent enfin favorables ; César donna le signal, leva l'ancre et alla mouiller, à huit milles du point de départ, sur une plage unie et découverte. Les Bretons, qui observaient les manœuvres des Romains, envoyèrent, en toute diligence, leur cavalerie et leurs chariots, en avant de leurs troupes. Ce qui retarda le plus notre débarquement, ce fut la grandeur de nos vaisseaux, qui ne pouvaient s'approcher de la côte, de sorte que nos soldats, sur cette plage inconnue, chargés de leurs armes et les mains embarrassées, avaient à la fois à sauter à la mer, à résister aux flots et à combattre les ennemis. Les Bretons étaient sur la terre ferme, et même quand ils s'avançaient un peu dans l'eau, ils marchaient, les mains libres, sur un terrain connu. Aussi lançaient-ils leurs traits avec plus d'assurance et foulaient-ils les assaillants sous les pieds de leurs chevaux. Les Romains, étonnés de toutes ces choses nouvelles pour eux, ne montraient ni leur gaieté ni leur ardeur ordinaires. Alors César fit avancer ses galères. Il leur ordonna de s'embosser sur le flanc de l'ennemi, afin de l'attaquer à coups de, fronde, de traits et de machines. Les Bretons, effrayés à la vue de ces galères et de ces machines qu'ils ne connaissaient pas, reculèrent. Le porte-enseigne de la 10e légion sauta à la mer ; les soldats le suivirent, soutenus par les chaloupes des galères et par les bateaux légers. A peine les Romains eurent-ils abordé la terre ferme, qu'ils fondirent sur les Bretons et les dispersèrent. César fut frappé de l'habileté avec laquelle les Bretons dirigeaient les chevaux et les chars. Pour combattre sur leurs chariots, ils commençaient par courir çà et là, en lançant des traits, essayant de rompre nos rangs, autant par la crainte des chevaux que par le bruit des roues. Quand ils avaient réussi à pénétrer au milieu d'une troupe de cavalerie, ils sautaient à bas de leurs chariots et combattaient à pied. Alors, les conducteurs s'écartaient un peu de la mêlée, mais ils se plaçaient assez près de. leurs maîtres pour que ceux-ci pussent facilement se réfugier vers eux, s'ils étaient trop pressés. Les Bretons unissaient ainsi la légèreté de la cavalerie à la solidité de l'infanterie. Un exercice continuel les avait si bien formés à ce genre de combat, qu'ils excellaient à contenir leurs chevaux, à modérer leur course dans une descente rapide, à les faire tourner à droite ou à gauche. Ils savaient courir sur le timon, se tenir sur le joug et, de là, remonter d'un seul bond sur leurs chariots. Les Anglais sont restés fidèles à ces traditions de la vieille Bretagne. AMBIORIX. La cinquième campagne faillit être funeste aux Romains. Pendant une absence de César (54 avant J.-C.), Ambiorix, chef des Eburons[6], attira dans une embuscade et détruisit la légion qui avait ses quartiers d'hiver entre le Rhin et la Moselle. Ensuite, renforcé par les Gaulois de la Sambre et de l'Escaut, il alla attaquer, aux environs de Cambrai, le camp de Quintus Cicéron. En une nuit, Cicéron fit construire cent vingt tours de charpente, autour de son vallum. Ambiorix l'enveloppa, en trois heures, d'un rempart de onze pieds (3m,26) de haut et d'un fossé de quinze pieds (4m,44) de largeur, qui avait 10.000 pas d'étendue. Les Gaulois avaient appris, de quelques-uns de nos soldats, avec lesquels ils avaient vécu les années précédentes, et de leurs prisonniers, l'art de construire ces ouvrages. Comme ils n'avaient point d'outils de terrassiers, ils coupaient le gazon avec leurs épées et le portaient dans leurs sayons. Les jours suivants, ils élevèrent des tours à la hauteur du vallum, et préparèrent des faux et des tortues. Le septième jour, profitant d'un grand vent, ils incendièrent, avec des balles d'argile, rougies au feu, et des dards enflammés, les baraques, couvertes de chaume, du camp romain. Puis, poussant des cris de victoire, ils firent avancer leurs tours et leurs tortues et ils montèrent à l'assaut. Les Romains tinrent ferme, et les Gaulois perdirent beaucoup de monde, parce qu'ils s'étaient trop serrés au pied du rempart et que les derniers rangs empêchaient les premiers de se dégager. Une sortie vigoureuse fit échouer l'assaut. César, averti, vint en toute hâte secourir son lieutenant. Il battit Ambiorix, et, par des ravages méthodiques, il termina la campagne à l'avantage des armes romaines. VERCINGÉTORIX. Après deux années de sourde colère et de révoltes partielles, étouffées dans le sang, les Gaulois tentèrent de secouer le joug. Les Carnutes (Chartres) donnèrent le signal d'un soulèvement général. Les étendards des cités gauloises, surmontés du sanglier national, furent apportés au fond de la vieille forêt druidique, et les envoyés de tous les peuples vinrent jurer, sur le gui sacré, haine éternelle à l'oppresseur et dévouement sans bornes à la cause de la liberté. Un jeune chef arverne, Vercingétorix, proclama dans Gergovie[7] l'indépendance des Gaules et il fut investi du commandement suprême. Son premier soin fut de faire torturer ou mutiler les lâches, les indifférents et les traîtres. Sa stratégie était de réunir toutes ses forces et d'attaquer à la fois, en l'absence de César, la province romaine et les quartiers d'hiver des légions ; sa tactique, d'éviter les batailles rangées, mais de harceler les Romains et de les empêcher de se ravitailler en interceptant leurs communications par sa nombreuse cavalerie. César, revenu d'Italie en toute hâte, concentra ses huit légions près de Langres ; puis, il vint faire irruption sur le territoire des Arvernes, afin d'obliger Vercingétorix à défendre son propre pays. Vercingétorix fit le vide autour de César, en brûlant les villes et les récoltes ; il remporta quelques avantages partiels et obligea l'armée romaine, malgré la prise d'Orléans et de Bourges, à se rapprocher de la Province. César fuit ! criaient les Gaulois ; en avant ! en avant ! Et au lieu de continuer cette guerre méthodique, qui avait déconcerté et affamé les Romains, ils obligèrent Vercingétorix à livrer bataille. Ce fut une défaite nouvelle. César, reprenant l'offensive, vint mettre le siège devant Alésia[8]. Le siège d'Alésia (52 avant J-C.).Vercingétorix s'était replié sous les murs de cette ville importante avec 80.000 fantassins et 15.000 cavaliers. César avait dix légions et 10.000 cavaliers germains. Il enveloppa la ville et l'armée de secours dans une formidable ligne de circonvallation, de 17 kilomètres de circuit, défendue par vingt-trois redoutes. Le jour, des piquets en armes étaient prêts à repousser les sorties inopinées ; la nuit, les gardes étaient doublées et les lignes couvertes, en avant, par un épais réseau de sentinelles. César fit creuser à quatre cents pas (592 mètres) de la ligne de contrevallation, du côté de la ville, un fossé de vingt pieds (5m,80) de largeur, à parois droites. Il fit creuser deux autres fossés, à quinze pieds (4m,35) en largeur et en profondeur, et il remplit, avec les eaux de l'Ozerain, le fossé intérieur, qui traversait la plaine. En arrière de ces trois fossés, il éleva un rempart de douze pieds (3m,48) de haut, garni d'un parapet à créneaux et de grosses branches fourchues (cervi), plantées sur la berme, afin d'empêcher l'escalade. Le rempart fut flanqué de tours, distantes de quatre-vingts pieds (23 mètres) les unes des autres. César fit abattre des troncs d'arbres et de très-fortes branches, dont on ôta l'écorce et qu'on aiguisa par un bout, pour en faire des pieux ; puis, dans un fossé de cinq pieds (1m,45) de profondeur, creusé devant les lignes, il fit planter ces pieux, la pointe en haut. Les pieux (cippi) étaient attachés ensemble par le pied, afin qu'on ne pût pas les arracher ; il y en avait cinq rangs liés et entrelacés, de sorte que les Gaulois, qui s'y engagèrent, ne purent en sortir sans se blesser gravement. En avant, on creusa huit rangs de trous, disposés en quinconce, à trois pieds de distance les uns des autres. Ces trous avaient trois pieds (0m,87) de profondeur, et une ouverture supérieure un peu plus large que le fond ; on y planta des pieux arrondis, gros comme la cuisse, passés au feu et pointus. L'ouverture était couverte d'herbes et de broussailles pour cacher le piège ; la pointe des pieux ne sortait que de quatre doigts au-dessus du sol. Il y en avait huit rangs à trois pieds d'intervalle ; on les appelait des lys (lilia), à cause de leur ressemblance avec cette fleur. Ce sont nos trous-de-loup. Plus en avant, on sema un grand nombre d'hameçons de fer (stimuli), fixés dans des piquets d'un pied. Ces travaux achevés, César fit construire, sur un circuit de quatorze mille pas, une ligne de contrevallation semblable à la première ; puis, il ordonna de grands fourrages et il réunit des provisions et des vivres pour un mois environ. Après une longue attente, alors que la disette sévissait dans Alésia, une armée de secours de 240.000 fantassins et de 8.000 cavaliers vint enfin camper à un mille de la contrevallation. Une attaque combinée fut dirigée contre les lignes romaines. La cavalerie gauloise, soutenue par les troupes lé- gères, engagea l'action, pendant que Vercingétorix sortait de ses remparts, à la tête de tous ceux qui, dans la ville, avaient survécu à la famine. Une charge, en escadrons serrés, des auxiliaires germains de César décida la victoire. Les légions, sortant à l'improviste des retranchements, poursuivirent les fuyards jusqu'à leur camp, et la garnison d'Alésia dut regagner ses murailles. Une double attaque de nuit fut arrêtée par les défenses accessoires des lignes romaines ; les traits des machines achevèrent la déroute. Après deux ou trois tentatives infructueuses, l'armée de secours se dispersa. Cette armée était le dernier espoir de l'indépendance des Gaules. César fut sans pitié pour le glorieux défenseur d'Alésia. Vercingétorix attendit pendant six ans, au fond d'un cachot, le triomphe de César, c'est-à-dire la hache du licteur, et le proconsul victorieux des Gaules, enrôlant les vaincus dans ses légions, devint le maître de la République romaine. |
[1] Ce sera la méthode des alliés pendant la campagne de 1813.
[2] Boïens, entre la Loire et l'Allier ; Tulinges, Badois.
[3] C'est la manœuvre qui a si mal réussi à Cannes ; mais ici les manipules sont remplacés par des cohortes plus compactes.
[4] On trouva dans le camp des Helvètes des registres écrits en grec, où étaient nominativement inscrits ceux qui, au départ, étaient en état de porter les armes, les femmes, les enfants et les vieillards. Sur 368.000 personnes, il y avait 92.000 guerriers.
[5] Charles Robert, de l'Institut, Les armées romaines et leur emplacement pendant l'Empire. Paris, Pillet, 1875.
[6] Territoire des Tongres.
[7] Ville détruite, à cinq kilomètres au sud de Clermont-Ferrand.
[8] On a exposé, dans une salle du musée de Saint-Germain, le plan en relief d'Alésia. Tous les travaux romains ou gaulois y sont figurés d'après les Commentaires de César, et d'après les dernières recherches sur la guerre des Gaules, qui a été si remarquablement mise en lumière par l'empereur Napoléon III, dans son Histoire de Jules César.