SOMMAIRE. Tactique primitive. — Bataille de Marathon. — La phalange macédonienne. — Formations et manœuvres de l'infanterie. — Cavalerie. — Corps d'élite. — Machines de guerre. TACTIQUE PRIMITIVE. La phalange idéale des tacticiens grecs était de 37.000 combattants. C'était une armée bien nombreuse pour un petit pays aussi divisé ; Alexandre fut le seul qui put la réunir[1]. Dès l'origine, ce nom de phalange se donna à un corps d'infanterie, petit ou gros, formé en ordre profond et à rangs serrés, sous le commandement d'un seul chef ou de plusieurs. On voit, dit Homère, s'avancer les phalanges des Grecs. Elles ont chacune à leur tête un chef, qu'elles suivent dans un profond silence, afin de mieux entendre ses ordres et de les exécuter plus promptement[2]. BATAILLE DE MARATHON (480 avant J.-C.). A la bataille de Marathon, l'armée grecque se composait de deux phalanges, commandées par dix généraux, qui avaient alternativement, pendant une journée, la direction des opérations. Heureusement, les Perses débarquèrent le jour où Miltiade commandait. Les deux phalanges comptaient chacune un millier de files de 8 à 12 hommes. Elles étaient séparées par un étroit intervalle, dans lequel les Perses se ruèrent en désordre. Pivotant alors sur le centre, les deux parties de l'armée grecque, dont Miltiade avait renforcé les ailes, prirent en flanc la colonne profonde des Asiatiques. Après un grand carnage, elles obligèrent l'ennemi à regagner sa flotte. C'est ainsi que les Grecs dépossédèrent les Perses de la prépondérance militaire qu'ils avaient acquise dans les guerres du grand Cyrus (558 avant J.-C.). La phalange lacédémonienne servit de modèle à toutes les armées grecques, jusqu'à ce qu'elle eut été vaincue, par les Thébains, à Leuctres et à Mantinée, ces deux filles immortelles d'Épaminondas (363 avant J.-C.). Philippe de Macédoine, élève d'Épaminondas, régla d'une manière définitive l'ordonnance de la fameuse phalange, avec laquelle il asservit les Grecs, et qu'il légua à Alexandre, pour faire la conquête de l'Asie. LA PHALANGE MACÉDONIENNE. La première subdivision de la phalange est le lochos, file de 16 hoplites, dont le lochague est le chef. Les hoplites sont des fantassins d'élite ; ils ont un casque, une cuirasse, des cnémides ou jambières, et un grand bouclier, qui couvre le corps depuis le cou jusqu'aux pieds ; ils sont armés d'une épée et d'une longue pique, la sarisse. Quatre lochos forment la tétrarchie de 64 hommes (peloton), et quatre tétrarchies, le syntagme de 256 hommes (bataillon). Le chef du syntagme, le xénage, est assisté d'un adjudant, qui transmet ses ordres, d'un porte-enseigne, qui les indique en élevant ou en abaissant son enseigne, d'un héraut, qui répète ses commandements et d'un trompette, qui donne les signaux. Le stratège (colonel) est le chef de 4 ou 5 syntagmes. La phalange simple contient 16 syntagmes d'hoplites. Ce sont ces 4.096 fantassins, pesamment armés, qui forment la première ligne. En arrière des hoplites, sur une ligne parallèle et d'égale longueur, sont rangés 2.048 peltastes, par files de 8 hommes. Le peltaste est un fantassin léger. Son bouclier est plus petit ; au lieu de cuirasse, il porte une large ceinture de fer ou de cuivre ; il n'a pas de enémides. Il est armé de l'épée et de la pique. Aux ailes de la phalange sont deux groupes de 40 cavaliers d'élite, les catophractes. Ils ont pour armes offensives l'épée et la lance, quelquefois le javelot et la hache d'arme ; ils portent au bras gauche un petit bouclier rond, au bras droit et sur les cuisses des bandes de cuir recouvertes de plaques d'étain ; ils ont aux pieds des bottes éperonnées. Devant le front des hoplites, sont répartis en tirailleurs 1.021 psylites, frondeurs ou archers. La phalange simple est, en somme, une division de 9.248 hommes. C'est l'unité stratégique des Grecs. La grande phalange est la réunion de 4 phalanges simples (sans cavalerie). Placées deux par deux, sur la même ligne, elles forment deux Diphalangarchies, séparées par un intervalle de 96 pieds[3]. Les phalanges simples sont à 48 pieds l'une de l'autre, de sorte que l'infanterie d'une armée grecque, quand elle est au complet, occupe un front de 3.264 pieds (1.009 mètres) et une profondeur de 48 pieds (15 mètres). FORMATIONS ET MANŒUVRES DE L'INFANTERIE. Les formations habituelles de la phalange sont : 1° La parade : Les hommes sont placés à trois pieds d'intervalle, dans tous les sens, la pique haute ; 2° La charge : Chaque combattant dispose d'un espace de trois pieds carrés, il porte la jambe gauche en avant et couvre, avec son bouclier, l'intervalle qui le sépare de son voisin de gauche. Les six premiers rangs abaissent leurs sarisses ; les dix autres la tiennent droite pour arrêter les traits et les pierres ; 3° La tortue (ou synaspisme) : Les hommes sont serrés étroitement ; le premier rang entrecroisé ses boucliers, pour former un mur d'airain devant le front de la phalange ; les seize autres rangs les tiennent au-dessus de leur tête. C'est la formation adoptée pour l'attaque des retranchements[4]. Pour résister à une attaque, les hoplites mettent le genou droit à terre, la lance abaissée, et ils appuient leur bouclier contre le genou gauche. Par exception, les hoplites forment quelquefois : Le rond, les peltastes au milieu ; Le croissant ; Le coin ou tête de porc, triangle de trois hommes au sommet et de trente-cinq à la base, s'appuyant sur un rectangle de huit hommes de hauteur ; Le celembolon ou tenaille, pour résister au coin. Dans une revue passée par Cyrus le Jeune, Tan 401 avant J.-C., les auxiliaires grecs sont rangés sur quatre rangs. Ils ont des casques d'airain, des tuniques de pourpre, des cnémides et des boucliers bien luisants. Cyrus fait défiler les barbares, par escadrons et par bataillons ; puis, il passe devant le front des Grecs. La reine de Cilicie le suit en litière. Quand Cyrus a passé devant toute la ligne, l'idée lui vient de donner à la reine une bonne opinion de son armée. Il arrête son char devant le centre de la phalange et il ordonne aux stratèges de faire charger, piques basses. Au signal de la trompette, le pas s'accélère et les hoplites courent vers leurs tentes en poussant de grands cris. Les barbares effrayés s'enfuient ; la reine saute à bas de sa litière, et les vivandières prennent la fuite en abandonnant leurs chariots[5]. CAVALERIE. La cavalerie se compose d'un Épitagme (unité stratégique) de 4.096 hommes, subdivisé en 64 îles (ou escadrons) de 64 combattants. L'île est l'unité tactique de la cavalerie. Elle charge en ordre serré. Cette cavalerie se compose surtout de Thessaliens, d'Étoliens et de Thraces ; il y entre fort peu do Grecs. Ses formations habituelles sont : Le carré (8 cavaliers de front) ; La colonne par quatre ; Le coin des Thraces ; Le coin renversé ; Le rhombe thessalien ; La cavalerie est répartie sur les flancs de la phalange et il y a souvent des psylites dans les intervalles des îles. Elle comprend, comme l'infanterie, trois classes de soldats : 1° Le cataphracte, bardé de fer, qui combat escorté d'un écuyer et de deux ou trois esclaves. Ce sera la lance fournie du moyen âge ; 2° Le cavalier léger, Tarentin, qui lance le javelot, tire l'épée ou manie la masse d'arme ; 3° L'archer à cheval, Thessalien, qui au besoin met pied à terre ; il engage le combat et poursuit les fuyards. C'est l'ancêtre de l'estradiot, du carabin et du dragon. CORPS D'ÉLITE. Les Grecs ont des troupes d'élite. Chez les Thébains, c'est le bataillon sacré des 300 jeunes gens, les plus agiles et les plus braves de la cité, qui doivent combattre au premier rang de la phalange. Placés à l'aile droite de l'armée grecque confédérée, ils périssent tous à Chéronée, sous les coups des Macédoniens (338 avant J.-C.). Les vétérans de Philippe sont la réserve de son armée. Au moment décisif, ils se forment en colonne serrée, en joignant les boucliers. Plus d'une fois, ils ont ressaisi la victoire compromise. Alexandre est gardé par 8 escadrons d'hétères richement armés ; ce sont les fils des plus grandes familles de la Grèce, dressés, dès leur enfance, aux exercices du corps et au maniement des armes (maison du Roi ; chevaliers-gardes). Vingt-cinq hétères sont tués au passage du Granique ; Alexandre fait élever à chacun d'eux une colonne de bronze. MACHINES DE GUERRE. L'armée d'Agathocle, celle qui brûla ses vaisseaux en abordant en Afrique, a, sous les murs de Carthage (311 avant J.-C.), des balistes, dont elle dirige les traits contre les chars ennemis. La baliste est un grand arc, monté sur un pivot. Une ouverture pour le passage du trait est pratiquée entre deux montants verticaux, assemblés par une double traverse horizontale. Deux écheveaux do nerfs tordus, fixés verticalement aux traverses, donnent la force d'impulsion. Dans chaque écheveau, s'engage le bout d'un levier, que la torsion des nerfs maintient écarté de l'axe. Les deux leviers sont réunis, à leur extrémité extérieure, par une corde résistante. Cette corde est bandée au moyen d'un moulinet, le long de la rigole, en bois ou en fer, qui contient le trait. Elle est pincée, au maximum de sa tension, par un crochet de fer. En relevant le crochet, la corde se détend, et le trait part avec une force irrésistible. C'est le canon des anciens. A Mantinée, des catapultes sont disposées dans les intervalles de la phalange. Cette machine, employée pour la première fois par Denys de Syracuse (405 avant J.-C.), lance des boules de pierre ou de métal. Sur un large plateau quadrangulaire, supportant un sommier oblique, est disposé un gros écheveau de nerfs tordus. Un fort levier (style), engagé horizontalement dans l'écheveau, est terminé par un récipient qui reçoit le projectile ; ou bien il supporte, à son extrémité, une longue fronde en corde qui, au repos, tombe verticalement. On bande le style, on lui fait prendre une position horizontale, puis on l'arrête au moyen d'un encliquetage. Si l'on fait jouer le ressort, le style reprend violemment la verticale et lance, en bombe, jusqu'à 550 mètres, des boulets de 80 kilogrammes. C'est le mortier. On avait soin de matelasser le sommier oblique, pour qu'à chaque coup le style ne fût pas rompu par le choc. Balistes et catapultes étaient portées sur des chariots attelés et pouvaient facilement être conduites d'un point à un autre de la ligne de bataille[6]. L'attaque et la défense des places n'entrant pas dans notre programme, nous donnerons seulement la nomenclature des machines de guerre, inventées par les Grecs et conservées par les Romains. C'étaient : les mantelets portatifs ou roulants, qui permettaient aux assiégeants de s'approcher du rempart à portée de trait ; La cheloné, galerie roulante, qui abritait les mineurs, et qui contenait les matières incendiaires, destinées à ouvrir la brèche ; Le bélier roulant ou tarière ; Les hélépoles, tours en charpente à plusieurs étages, avec meurtrières, pont-levis au sommet, bélier à la base ; Le corbeau démolisseur et le tollénon, inventés par Diacles, mécanicien d'Alexandre le Grand. La prise d'une ville était le plus beau fait d'armes d'un général grec, et le siège de Tyr, attaquée à la fois par terre et par mer, mit le comble à la gloire de l'armée macédonienne (333 avant J.-C.). |
[1] Nos armées ne passent pas, pour l'ordinaire, 20.000 hommes, disait un Lacédémonien ; mais à nous voir dans la mêlée, à compter les morts de nos ennemis, on dirait que nous sommes toujours plus de 100.000. (Dictionnaire de Trévoux, édit. de 1771.)
[2] Bibliothèque historique et militaire, Liskenne et Sauvan, Paris, 1849. Excellente compilation des auteurs militaires, depuis les origines de la guerre jusqu'aux temps modernes. La traduction des historiens grecs et latins est précédée d'un résumé de l'histoire militaire des anciens, auquel nous avons fait quelques emprunts. Un volume de planches contient de jolis dessins d'Ambroise Tardieu.
[3] Le pied (olympique) équivaut à 0m,309.
[4] Un grand nombre de documents très-précieux ont été empruntés à un ouvrage inédit de M. le commandant Berge, du 130e de ligne, sur l'art militaire des anciens.
[5] Xénophon, Retraite des dix mille.
[6] Le savant directeur du musée de Saint-Germain, M. Alexandre Bertrand, a reconstruit, d'après les textes anciens, ces curieuses machines. Il le a essayées et elles lui ont donné des résultats extraordinaires. Les servants arrivent très-vite à la justesse. La portée et la pénétration des projectiles sont considérables.
C'est une des nombreuses attractions de ces précieuses archives de l'histoire ancienne, où les armes offensives et défensives, trouvées dans les sépultures, dans les tumuli de la France, de l'Italie et de l'Autriche, nous révèlent, mieux que les historiens, la tactique des Romains et celle des Gaulois.