LA GUERRE ENTRE LOUIS XIII ET MARIE DE MÉDICIS

1619-1620

 

CHAPITRE III. — ORGANISATION ET DIPLOMATIE DE LA CAUSE ROYALE.

 

 

En attendant que la comtesse de Soissons vînt en Anjou donner le branle à son parti, au Louvre d'autre part s'organisait fortement contre Marie de Médicis la cause royale. A cet égard, il fallait avant tout pourvoir au fonctionnement régulier du conseil entre ses deux pôles extrêmes, à savoir : le premier prince du sang et le favori du jour. Pour se conserver ensemble en bonne harmonie à travers leurs disparités d'humeur, pour se soutenir en regard du roi qui, ayant tour à tour sanctionné l'immolation de Concini et tenu si longtemps close la prison de Vincennes, les menaçait, vu ce double souvenir, ou des antipathies collatérales ou des caprices de la faveur, il fallait à Condé et à Luynes, par là devenus si nécessaires l'un à l'autre, une constante réciprocité d'égards. En ce qui est de Luynes, le signal de l'ouverture des portes de Vincennes, qu'il avait à si grand'peine obtenu de Louis XIII, nous a déjà donné la mesure de ses avances primordiales, aussitôt suivies de la restitution à Condé de son gouvernement de Berry et de ses pensions et gages, en même temps que de son introduction au conseil ; et dans ce même conseil, en rédigeant l'acte du 9 novembre 1619, nous ne l'avons que trop vu déférer aux représailles de son impétueux allié contre Marie de Médicis. En revanche, Condé, renchérissant sur Luynes en fait d'obséquiosités, non seulement apparut comme son coryphée au jour de sa réception de duc et de pair ; mais, lorsque le fauconnier de Louis XIII et le contadin provençal osa briguer l'épée de connétable, il se fit son solliciteur d'antichambre ; et quand Mayenne eut persiflé là-dessus les impertinentes visées de Luynes, nous avons encore vu Condé envahir son grief pour embrasser intempestivement sa querelle. Enfin et surtout au profit de Luynes Condé se fit l'agent de ce qu'on peut appeler sa politique matrimoniale.

Car, pour mieux resserrer dans son économie générale la cause royale, l'ingénieux favori se forgeait à la Cour une longue chaîne d'alliances de famille scellée dans son principe aux entrailles de la coalition se résumant en ces deux noms : Condé et Luynes. Et le premier anneau de cette chaîne de sûreté était le seul, ou peu s'en faut, des représentants actuellement en vue de la haute aristocratie française qui n'eût pas encore atteint le virus insurrectionnel. Charles de Guise et de Joyeuse, fils du Balafré et gouverneur de Provence, était un brave officier mais un politique médiocre, moins loyal et plus ambitieux que le duc de Mayenne. II avait été durant la régence, et vu la signification de son nom, l'appui déclaré de la politique réactionnaire de Marie de Médicis qui, en 1605, en allant vers la Bidassoa réaliser les mariages espagnols, avait marché sous sa protection militaire, et pour laquelle, après la journée des Dupes, il hasardera encore sa vie et sacrifiera sa fortune et celle des siens. Mais d'autre part, dès le début de la régence, avait éclaté entre Charles de Guise et son oncle Mayenne une discussion de préséance où l'un s'était targué de son titre d'aîné des rejetons actuels de la branche aînée des Guise, et l'autre avait invoqué pour lui l'âge et l'expérience. En dépit des conciliations d'étiquette, il n'en avait pas fallu davantage pour déterminer dans la maison des Guise une persévérante scission qu'entretint soigneusement Luynes. A cet effet, dès que Mayenne eut tourné à l'insurrection, Luynes, enlevant en cela très adroitement à Marie de Médicis le duc de Guise, l'introduisit au conseil[1], tout en y reléguant dans les attributions purement consultatives ses frères Cadenet et Brantes, afin de n'y élargir pas trop ostensiblement sa propre représentation de famille. Dans ce même conseil, d'ailleurs, Guise entrait non pas à titre d'ennemi de la reine-mère, mais pour y personnifier la politique de la régence dans la mesure d'un utile contrepoids à Condé, en attendant Richelieu dont ce nouveau venu garderait la place. Ajoutons qu'à la Cour Charles de Guise, qui, en allié sinon très sûr au moins très influent, amenait à sa suite ses deux frères, le cardinal de Guise non encore dévoyé et le duc de Joinville, par là couvrait un peu la défection avunculaire de l'éclat d'un grand nom soutenu des plus hautes ou des plus solides attaches matrimoniales. Car Luynes, avisant jusque dans les langes de la génération nouvelle des gages d'union pour la cause royale, négociait à la fois le mariage d'une Montpensier avec le frère du roi, Gaston, et celle des deux fils du duc de Guise, Joinville et Joyeuse, avec sa propre fille et la première enfant viable issue du rapprochement conjugal de Vincennes sous le nom d'Anne-Geneviève de Bourbon[2]. Les contrats de ces deux dernières alliances furent même lus en présence du roi. Là on dit que, lorsque Charles de Guise en vint à parapher le dénouement qui liait sa race à celle des Luynes, il feignit de rêver en cherchant à se rappeler le nom qu'il portait. Mais Luynes, beaucoup plus ambitieux que susceptible, en considération du prix qu'il attachait à diviser la maison de Lorraine avala cet affront aussi imperturbablement qu'il faisait des épigrammes du duc de Mayenne.

Nous avons vu surtout dans l'insurrection ourdie sous le nom de Marie de Médicis un alliage d'aristocratie frondeuse et de réforme. C'est dire à quel point Luynes se soucia de s'attacher, en parallèle avec le chef de la maison de Lorraine, l'un des organes les plus accrédités du protestantisme. Ici surgit un personnage moins exclusivement sectaire que les ducs de Rohan, de la Trémouille et d'Aubigné, moins autonome que Duplessis-Mornay et moins suspect que le duc de Bouillon ; un personnage qui, tout aussi considérable qu'eux par l'autorité et la situation, offrait en lui un type à part de liberté dans l'obéissance, de souplesse dans la droiture et de loyauté dans l'ambition. François de Bonne, duc de Lesdiguières, fut un des plus habiles officiers d'Henri IV, au service duquel il s'était surtout signalé en réprimant tour à tour, aux deux extrémités de son cantonnement du Dauphiné, tes entreprises du duc de Savoie et les dernières éruptions de la ligue provençale. Aussi, grâce à la persévérance et au poids de ses services, grâce aussi à sa prudente fidélité et à son éloignement matériel des cabales de cour, grâce enfin à la nécessité de maintenir au pied des Alpes un illustre guerrier ménagé de longue date par la Savoie, Lesdiguières s'était assuré, sur le théâtre originaire de ses laborieux exploits, avec le titre de gouverneur, une inébranlable assiette à travers les réactions de la régence et jusqu'après la révolution de palais qui aboutit à l'avènement de Luynes. Mais ce même esprit de conduite, qui le soutint en cour jusqu'à la fin de sa longue et glorieuse carrière, lui avait, dès les premières années du règne de Louis XIII, attiré les suspicions de ses coreligionnaires. Aussi lorsqu'en 1605, après la conclusion des mariages espagnols, les protestants menacés réclamèrent pour leur sauvegarde et obtinrent la convocation d'une assemblée générale, au mépris des intentions formelles de la cour ils en transférèrent le siège originaire de Grenoble à limes, afin de soustraire leurs délibérations à la surveillance estimée vénale de Lesdiguières. Au moins ce fut à ce digne élève d'Henri IV un avertissement de ne pas franchir trop vite les derniers échelons de la faveur, afin de n'abdiquer pas par là tout crédit dans le camp de la réforme, où il figurait dans l'entremise diplomatique à côté et seulement un peu au-dessous de Duplessis-Mornay. Et en effet, par exemple en 1620, l'assemblée de Loudun ne l'admit comme garant des engagements de la cour vis-à-vis d'elle, qu'en le voyant refuser d'accepter de Luynes, comme prix d'une conversion au catholicisme, l'épée de connétable, du moins en expectative. Car Luynes, trop avisé pour braver là-dessus directement dans l'insolence de sa brigue les clameurs du public, n'osa pas de suite mettre la main pour son propre compte sur cette épée encore chaude du contact des Montmorency. Il aima mieux, en se réservant le titre nominal de l'éminente fonction héréditaire dans leur race, en assurer conditionnellement à Lesdiguières l'exercice effectif, ou, pour mieux dire, la coadjutorerie et la survivance. Mais Lesdiguières, à part même la circonspection politique de son déclinatoire, n'eût jamais consenti (et cela, bien entendu, sans l'avouer à Luynes) à n'être dans la connétablie que le lieutenant d'un ancien dresseur des pies-grièches. Seulement, une fois ses réserves là-dessus bien arrêtées pour la sauvegarde de sa dignité et de sa considération, le vieux et madré gouverneur du Dauphiné se garda bien de négliger sur tous les autres points les avances de la faveur. C'est dire qu'après avoir joui pour lui-même au Parlement de sa solennelle réception en la duché-pairie, qu'après avoir ensuite vu du meilleur ail son gendre Créqui, futur maréchal de France et ambassadeur à Rome, habilement compris dans la dernière promotion des chevaliers de l'ordre, il alla jusqu'à introduire de grand cœur sa famille dans le réseau matrimonial de Luynes par le mariage de Canaples, petit-fils de ce même Créqui, avec la nièce de l'heureux favori, Anne du Roure de Combalet. Dans cette union, d'ailleurs, les deux familles trouvaient également leur compte. Car, d'un côté, Lesdiguières y gagnait .pour son petit-fils une dot de trois cent mille francs dont deux cent mille fournis par le roi, sans compter la double survivance assurée à Canaples des dignités paternelles de maréchal de camp et de duc et pair. Quant à Luynes, il s'unissait à une maison puissante, maîtresse absolue du Dauphiné et très influente dans une province voisine, la sœur de Canaples ayant épousé le marquis de Villeroi d'Arlincourt, fils du gouverneur de Lyon ; outre que les Créqui avaient conservé un très grand crédit dans leur pays originaire de Picardie devenu le gouvernement de Luynes. Ce mariage tenait fort à cœur au favori, car il fortifiait et étendait son pouvoir. Ajoutons que la France s'en est non moins heureusement trouvée. Car cette union nous a donné en la personne de François de Créqui un des plus grands capitaines du XVIIe siècle, un de ceux qui, sous le coup de la mort de Turenne, relèveront la fortune militaire de la France et par là contribueront le plus à nous préparer la paix de Nimègue.

En dehors même de son faisceau d'alliances matrimoniales et toujours dans le vaste champ de l'aristocratie française, Luynes fixait encore dans la cause royale tout ce qui divergeait d'avec Marie de Médicis. De temps immémorial existait une profonde rivalité d'orgueil aristocratique entre Marie de Médicis qui se prétendait, en sa qualité de reine de France, mise hors de pair avec toute la noblesse italienne, et le duc de Nevers Charles de Gonzague, qui opposait dédaigneusement l'ancienne illustration des ducs de Mantoue à l'origine mercantile des Médicis. Aussi ne peut-on s'étonner de voir en 1606 le duc de Nevers figurer avec le duc de Mayenne comme promoteur de la coalition armée contre le maréchal d'Antre. Ajoutons qu'en revanche, après son avènement au pouvoir, et surtout au jour des promotions de l'ordre du Saint-Esprit, Luynes récompensa particulièrement le duc de Nevers en le traitant même beaucoup mieux que ses collatéraux les ducs de Mayenne et de Longueville. Mais, dans cette distinction calculée, il suivait l'une de ses principales tactiques consistant à semer avec la jalousie la division de famille en famille, sûr de n'exciter par là qu'en isolant dans chaque maison les mécontentements. Et, dans ce machiavélisme de ses avances, Luynes, en ce qui est du duc de Nevers, plaçait sur un fond bien riche. Car là les antipathies contre Marie de Médicis s'alliaient à de vastes rêves d'ambition qui rendaient doublement nécessaire à Charles de Gonzague l'appui du gouvernement. D'abord, en Italie, il avait à défendre dès aujourd'hui son duché de Mantoue et éventuellement la succession du duché voisin de Montferrat contre les usurpations de la Savoie ; et cela même l'éloignait encore d'une ligue où Marie de Médicis s'adjoignait comme principal complice le prince de Piémont Victor-Amédée. Mais surtout l'ami exalté du père Joseph, le gendre de la pieuse duchesse de Longueville et le fondateur de l'ordre de la Milice Chrétienne poursuivait alors le romanesque idéal d'une nouvelle croisade contre les Turcs aboutissant à l'affranchissement des Grecs et à sa propre réintégration, en sa qualité d'un descendant des Paléologue, sur le trône de Constantinople. Mais pour réaliser autant qu'on le pouvait en plein XVIIe siècle un si vaste idéal, pour y reprendre sur les exhortations du père Joseph l'œuvre de saint Pie V, il fallait, comme à la veille du combat de Lépante, rendre à toute la liberté comme à la solidarité de leur élan religieux les deux maisons de France et d'Autriche réconciliées, il est vrai, par les mariages espagnols, mais impliquées en des menaces d'une conflagration générale s'étendant, à travers la citadelle de Sedan, de l'Anjou à la Bohème. Et c'est en cela que les vues du duc de Nevers, avec l'assiette centrale de son gouvernement de Champagne, cadraient avec les calculs de Luynes pour l'établissement d'une force militaire érigée comme un glaive à deux tranchants entre les rives de la Loire et les rives de la Moselle et du Danube. Aussi, tout en acceptant de Luynes un subside de cent mille livres pour l'équipement d'une flotte destinée à la guerre sainte et pour l'entretien de son ordre de la Milice Chrétienne, le duc de Nevers se prêta avec autant de magnificence que d'enthousiasme à la concentration, dès le début de l'année 1620, des troupes de l'armée royale dans son gouvernement de Champagne.

Mais à mesure qu'on y renforçait ainsi la cause royale de tout ce qui se détournait de Marie de Médicis, il importait d'y élargir d'autant, à titre d'un lénitif nécessaire, la représentation des souvenirs de la régence, afin de n'affaiblir qu'en ménageant la reine-mère ; et c'est dans cet ordre d'idées qu'on voit figurer au conseil du Louvre, à côté du duc de Guise, le duc de Bellegarde. Roger de Larry, marquis de Bellegarde, avait été à la fois un des plus valeureux et un des plus sympathiques courtisans, et encore mieux que tout cela, un des principaux amis et confidents d'Henri IV. Aussi lorsque le héros d'Arques, d'Ivry et de Fontaine-Française eut tourné ses regards vers Marie de Médicis et résolu de l'épouser à Florence par l'intermédiaire du grand-duc, il chargea de sa procuration à son adresse le duc de Bellegarde, en même temps promu au titre de grand-écuyer de la nouvelle reine. Ce fut donc par le séduisant Bellegarde que Marie de Médicis eut le premier sourire de la France, ce fut ce cavalier accompli qui l'achemina vers sa destination conjugale. Et il n'en fallut pas davantage pour attacher Bellegarde à l'orgueilleuse princesse qui avait vu se réfléchir en lui comme l'aurore de ses triomphes. Aussi voyons-nous sous la régence Bellegarde maintenu au Louvre sur le pied d'un favori sinon aussi affiché, du moins aussi enraciné et bien plus accepté que le maréchal d'Ancre. Et voilà pourquoi à l'avènement de Luynes sa faveur surnagea, et s'accuse même en 1619 par sa promotion à la duché-pairie, en même temps que la stratégie de Luynes, en l'opposant à son allié le duc d'Épernon, le colloquait dans le conseil à côté du duc de Guise[3]. Car, d'autre part, Bellegarde était gouverneur de la Bourgogne, et la Bourgogne confinait à la Provence, au Dauphiné et à la Champagne.

A côté du duc de Bellegarde figurait en 1619 dans les promotions à la duché-pairie le maréchal de Brissac, celui-là même qui en 1691, au nom de la Ligue et en sa qualité de gouverneur de la ville de Paris assiégée par Henri IV, en avait pour son propre compte si lucrativement négocié la capitulation. Or quand en 1694 on a ainsi franchi d'un bond, avec la prestesse d'un grand seigneur avisé, tout l'intervalle séparant la Ligue d'Henri IV, on y regarde encore moins, surtout en vue des mêmes récompenses, à passer tour à tour d'Henri IV à la régence et de la régence à Luynes. En effet, déjà dès le début de la régence, en 1611, Marie de Médicis s'était rattaché le maréchal de Brissac en lui conférant en principe la dignité de duc et pair ; et en retour, en 1616, nous voyons le maréchal siéger aux conférences du traité de Loudun. Plus tard même, lorsqu'en 1619 la reine-mère détrônée vint s'installer dans son apanage angevin, le duc de Brissac lui offrit la splendide hospitalité du château portant si fièrement son nom. Et la fille des Médicis s'y récréa et s'y acclimata au point de flatter par là dangereusement, en la personne de son hôte, les plus hautes traditions de magnificence. Aussi, dans ses menées insurrectionnelles, la reine-mère trouva-t-elle dans le maréchal de Brissac sinon une complicité directe au moins de compromettantes complaisances ; et c'est ainsi quo nous l'avons vu, en sa qualité de gouverneur de Bretagne, remuer le Parlement de Rennes. Mais autant Marie de Médicis avait d'abord attiré à elle le maréchal de Brissac par la collation en principe de la duché-pairie, autant Luynes s'ingénia à la regagner de son côté en lui assurant là-dessus la régularisation et comme le rafraîchissement de son investiture. Il est vrai qu'à cet égard au présidial d'Angers, qui peut-être s'entendait secrètement avec la reine-mère pour retarder cotte satisfaction politique, la procédure n'alla pas toute seule. Mais le maréchal ne trouva là qu'une raison de plus de justifier son évolution vers Luynes ; et par là l'heureux favori, avec l'aide de Montbazon et en dépit des Vendôme, put disposer de la Bretagne aussi sûrement qu'il faisait de la Bourgogne et de la Champagne, du Dauphiné et de la Provence.

 

Tant qu'à poursuivre l'organisation de la cause royale jusqu'au point d'entamer le parti de Marie de Médicis, il importait surtout à Luynes de détacher d'elle ses plus originaires ou ses plus considérables soutenants. En ce qui est du duc d'Épernon il songea d'abord à l'embrasser dans son canevas matrimonial ; et à cet effet il lui fit parvenir par le double intermédiaire de Condé et de Duplessis-Mornay des propositions d'alliance. Mais Duplessis Mornay ne put que rapporter à Condé cette réponse très rogue : Le duc d'Épernon n'a pas de fille pour Brantes, ni Luynes de fille pour La Valette. C'était un refus péremptoire qui détermina Luynes, en fait d'affronts trop invulnérable pour s'en offenser, à ouvrir plutôt de ce côté des négociations diplomatiques par l'envoi de l'ambassadeur Lacroix-Bléré. Concurremment à cette députation, d'ailleurs, Luynes, vis-à-vis du duc d'Épernon, en feignant d'ignorer ses dernières entreprises d'autonomie, sursit aux exigences sur sa démission de la charge de colonel-général de l'infanterie française et de commandant de la place de Metz. Il lui permit d'imputer ses pensions et la solde de ses garnisons sur les recettes royales de ses divers gouvernements. Sans croire beaucoup à l'efficacité d'une entremise filiale de l'archevêque de Toulouse, mais tenant fort à l'écarter à ce prix du séjour de Paris, il remit devant ses yeux le chapeau de cardinal ; et enfin il imposa un temps d'arrêt à la marche de l'armée de Champagne. Précautions qui, dans leur concomitance avec la mission de Lacroix-Bléré, eussent été utiles au regard d'un tout autre homme que le duc d'Épernon. Mais on avait affaire ici à un plaignant de la reine-mère beaucoup plus raide que le duc de Brissac et à la fois moins ténébreux que le duc de Bouillon et moins expansif que le duc de Rohan. Aussi, tout en recevant civilement Lacroix-Bléré au milieu des réjouissances du carnaval et sans lui laisser prendre sur lui l'avantage à tirer de déclarations compromettantes, il le laissa mesurer toute l'étendue de ses forces comminatoires mises en réserve dans l'expectative de son cautionnement du traité d'Angoulême.

Encore moins convaincu de l'incorruptibilité du duc d'Épernon qu'effrayé de ses préparatifs militaires, Luynes, peu après et au moment de la circulation de l'état général, revint à la charge. Cette fois ce fut le tour du pénétrant et discret ambassadeur Thoiras, qui s'était déjà fait apprécier durant ses voyages en Anjou et qui, avec son double mandat d'exhortations et de surveillance, s'en alla relancer le duc d'Épernon jusque dans son château de Plassac : Depuis sa réconciliation avec vous, lui dit-il, Luynes s'était fié à votre amitié. Aussi ne peut-il croire les mauvais rapports qui lui reviennent sur vous. Car vous avez obtenu de lui tout ce que vous pouviez souhaiter. États, pensions, maintien dans vos charges, il vous a tout accordé. Et si vous n'êtes encore pleinement satisfait d'aussi favorables traitements, vous n'avez qu'à parler. Luynes se fait fort de vous exaucer. Mais, de grâce, séparez-vous des intérêts de la reine-mère, avec laquelle il n'y a plus d'engagements légitimes. Vous l'avez jusqu'ici si bien servie, et vous vous êtes si dignement acquitté vis-à-vis d'elle de vos promesses, que vous en avez acquis l'estime même de vos ennemis. Mais ne compromettez pas plus longtemps ces incontestables avantages pour courir au devant d'une disgrâce certaine. La reine-mère, d'ailleurs, a réalisé tout le bénéfice des clauses du traité d'Angoulême. Mais rien ne peut rassasier ce petit groupe d'ambitieux qui l'environnent, et qui lui ont sans doute persuadé qu'on lui faisait injure en ne lui restituant pas la plénitude de sa souveraineté. Pendant ces représentations qui durèrent deux jours, le duc d'Épernon se renferma dans un absolu silence interrompu seulement, durant les promenades à travers les allées de son parc, par l'exhibition affectée de quelques instruments de jardinage attestant, disait-il, l'innocence de ses occupations. Puis tout à coup, tirant à part son interlocuteur et lui montrant les dents : Vous êtes trop galant homme et avez trop conquis mon estime pour que je ne vous parle pas à cœur ouvert. Or véritablement j'ai sujet de me plaindre, soit en mon particulier, soit au nom de mes amis, de n'avoir pas reçu tout ce qu'on nous a promis. Ici le duc reprit la nomenclature de tous les manquements de parole qui constituaient ses griefs, en signalant notamment le déni du chapeau de cardinal à son fils l'archevêque de Toulouse. Et toutefois, ajoutait-il, la seule lésion de mes intérêts privés ne me fera jamais prendre les armes, à moi qui ai en horreur les maux de la guerre civile. Mais depuis que la reine-mère m'a fait l'honneur de se servir de moi pour la tirer de Blois et lui garantir l'exécution du traité d'Angoulême, l'inobservation de ce pacte à son égard m'intéresse autant et plus que Sa Majesté même. Je ne désire donc rien pour moi personnellement. Mais songez à satisfaire la reine-mère ; et alors seulement je promets à Luynes d'être, autant qu'homme du monde, son ami et son serviteur. Sur cette déclaration aussi polie que péremptoire, le marquis de Thoiras n'eut plus qu'à prendre congé de son hôte. Et Luynes se le tint pour dit à l'égard du duc d'Épernon, comme sur tant d'autres points. Car en même temps à Bordeaux le persuasif Bellesbat, tout en se défendant de ses avances, échouait près du duc de Mayenne, autant qu'à Sedan le pétulant Ruccellaï près du duc de Bouillon, ou la duchesse douairière de la Trémouille près de son fils, ou Buat près du maréchal de Châtillon[4].

 

Tant de déconvenues diplomatiques, au surplus, ne préoccupaient sérieusement le timide favori qu'en exaltant dans le conseil du Louvre, à côté de lui, l'homme en qui s'incarnait alors le génie de la guerre. A travers toute leur réciprocité de ménagements nous ne nous sommes déjà que trop aperçu qu'Henri II de Bourbon, tout en se donnant toujours comme éperdument voué au service de Luynes, se piquait un peu moins de l'obséquieuse déférence qu'il lui avait d'abord témoignée ; et sa légèreté, s'ajoutant à son arrogance naturelle, lui avait dicté plus d'une fois, en particulier et presque en public, des propos qui se ressentaient fort de la hauteur innée des Condé. Six mois après sa sortie de Vincennes, le serviteur reconnaissant était peu à peu devenu un altier protecteur. A l'entendre, c'était lui qui avait eu la première idée de tout ce qui s'était fait d'énergique ou d'habile à l'encontre de Marie de Médicis. On lui devait l'organisation et l'assiette de l'armée de Champagne, l'introduction au conseil des ducs de Guise et de Bellegarde. Il avait conçu, conseillé, mis en train, achevé tous les grands mariages qui avaient tant consolidé le pouvoir de Luynes. Il se flattait de disposer toujours des protestants et se croyait, ce qui était vrai, un grand crédit dans les parlements. Il était déchaîné contre le duc de Savoie qu'il accusait de hauteur ou de mauvaise foi. En ce qui est de la reine-mère, dont il ne croyait pouvoir trop se porter l'adversaire irréconciliable, il avait bien été d'avis de lui offrir toutes satisfactions, mais à la condition de ne lui en donner aucune de sérieuse. Que dis-je ? Après l'avoir à dessein poussée à bout par la déclaration de novembre et les promotions de l'ordre du Saint-Esprit, après avoir provoqué coup sur coup la comtesse de Soissons et le duc de Mayenne, qu'après sa fuite il serait allé lui-même poursuivre l'épée dans les reins, si on ne l'eût retenu, jusque dans son gouvernement de Guyenne, il avait annoncé la guerre. Elle aurait lieu, se disait-il ; il espérait la conduire, pour atteindre par là l'apogée de son crédit et se rendre prépondérant dans l'État. Par la guerre surtout il tiendrait à distance Marie de Médicis, dont l'inimitié lui était au Louvre une menace autant que la souveraineté de son faste une éclipse. Du même coup il écartait Richelieu, toujours inséparable d'elle, et contre qui sa haine redoublait depuis qu'il s'apercevait que Luynes l'attirait au conseil pour le lui opposer à lui-même.

Pour propager même autour de lui son impétuosité intéressée, pour communiquer ses ardeurs guerrières, Condé s'attachait à déverser ses soupçons dans le cœur de Louis XIII et de Luynes. A l'ombrageux Louis XIII il voulait persuader que Marie de Médicis visait à couronner le jeune duc d'Anjou comme au temps du maréchal d'Ancre. En ce qui est de Luynes, il s'appliquait à l'épouvanter en lui montrant la reine-mère comme complotant son assassinat, et en recueillant de partout des bruits conformes à cette accusation. Tout récemment, disait-il, ne lui avait-on pas certifié les intelligences par elle nouées à cet effet en Flandre avec le général espagnol Spinola, qui lui devait recruter à Paris des sbires prêts à l'immoler aux mânes de Concini ?

Luynes avait trop éprouvé et trop vu, depuis sa sortie de Vincennes, s'agiter dans le vide autour de lui l'humeur fiévreuse d'Henri de Bourbon pour prendre bien au sérieux les mouvements de ce donneur d'avis et de ce semeur d'alarmes. Et cependant, vu l'aggravation en Anjou des dispositions hostiles de Marie de Médicis, et vu surtout la persistance de ses préparatifs insurrectionnels, il sentait que la guerre s'imposait. Il se gardait surtout de paraitre vouloir la reculer davantage, et pour cela feignait de croire aux sinistres rapports que son collègue lui glissait dans l'oreille, afin de mieux couvrir à ses yeux tout ce qu'il lui pouvait dérober de sa tactique d'équilibre gouvernemental. Mais, une fois poussé à la guerre, il prit du moins le parti d'envoyer à Angers un ambassadeur des plus qualifiés pour négocier entre le roi et sa mère une entrevue plus effective que celle de Tours ; présupposant que si ce messager solennel ne ramenait pas à sa suite Marie de Médicis, au moins il aurait fait voir par là qu'elle seule voulait la guerre, et il l'aurait seule chargée là-dessus du blâme et de la haine des peuples.

Seulement, dès après la fuite du duc de Mayenne, qui fut le signal de l'influence à Angers de tous les grands seigneurs mécontents qu'allait bientôt suivre de près la comtesse de Soissons, il importait de hâter le plus possible l'accomplissement de cette dernière démarche diplomatique, afin de soustraire la reine-mère à l'accaparement matériel de tout ce qui s'insurgeait sous son nom, et la pouvoir à Paris surveiller de plus près. Aussi, dès après le départ de Mayenne et à la suite d'un conseil tenu là-dessus à Fontainebleau, dans la nuit du 5 avril l'on expédia secrètement vers la reine-mère le duc de Montbazon, tandis que Louis XIII en personne s'avançait jusqu'à Orléans.

Ce n'est pas que le duc de Montbazon n'ait d'abord décliné son mandat, en alléguant qu'il allait à Angers au devant des reproches que lui adresserait Marie de Médicis, après s'être vu refuser une partie de ce qu'elle avait déjà réclamé par son intermédiaire sur la route d'Angoulême à Tours, et cela sans qu'à cet égard il trouvât d'avance rien à lui répondre. Mais on lui répondit que nulle ambassade ne pouvait plaire davantage à la reine-mère que celle du loyal et généreux grand seigneur qui, après l'avoir maintes fois visitée durant sa captivité de Blois et son étape d'Angoulême et disposée à l'entrevue de Tours, l'avait encore à Tours et dans son domaine de Cousières gratifiée de la plus honorable hospitalité. Bref, tandis que Louis XIII, le 9 avril, s'acheminait de Fontainebleau à Orléans où il arrivait le 11, afin de montrer aux populations qu'il ne tenait qu'à lui de revoir sa mère, dès la matinée du 6 avril le duc de Montbazon se dirigeait en poste sur Angers.

Malheureusement pour le succès de cette nouvelle tentative de rapprochement, les soupçons se répondaient d'un camp à l'autre. Tandis qu'au Louvre le prince de Condé évoquait aux yeux de Luynes la fantasmagorie des poignards de Marie de Médicis, à Angers et à propos du double voyage de Louis XIII et du duc de Montbazon, les fanatiques du Logis Barrault désignaient partout à la reine-mère des chausse-trappes ouvertes sous ses pas. Ce double voyage, lui disaient-ils, n'était-il pas l'effet d'un complet ourdi contre sa liberté entre Condé et Luynes ? Si le roi s'avançait jusqu'à Orléans vers elle avec sa garde renforcée au moment où le duc de Montbazon l'amusait en de vains pourparlers, n'était-ce pas pour l'enlever à main armée ? Et une fois à la disposition du roi, qu'attendait-elle qu'être reléguée, suivant que prévaudrait le caprice d'un ou de l'autre de ses deux grands ennemis, au fond du gouvernement de Picardie ou dans la tour de Bourges ? A moins qu'on ne lui assigne comme un siège de représailles cette même prison de Vincennes où ont si longtemps couvé à son adresse les hostilités actuelles.

Admettons, poursuivait l'état-major de Chanteloube en envisageant par une autre face les périls que courait à Paris Marie de Médicis, et en soupçonnant à la longue les calculs qui rapprochaient Richelieu de Luynes, admettons qu'en ses calculs d'équilibre Luynes, une fois rentré en possession de Marie de Médicis, à l'encontre d'Henri de Bourbon la ménage et la protège. Par là, tout ce qu'au Louvre elle gagnera en sécurité matérielle ne le perdra-t-elle pas dd côté de la considération morale ? Car aujourd'hui votre Majesté ne peut honorablement revenir au Louvre qu'à la condition d'y contrôler l'un par l'autre Condé et Luynes. Or si, contrairement à l'attente universelle, une fois rentrée sous les mains de Luynes elle y parait dans l'impuissance d'y conjurer des iniquités qu'elle ne subit plus en victime, aux yeux du public n'en endossera-t-elle pas la complicité ? Aussi ne lui vaut-il pas mieux s'armer à distance contre le favori du jour plutôt que de n'aller accepter de ses mains que des sûretés ou illusoires ou compromettantes, en une alternative de solidarités ou de périls, d'immolation ou de servitude ?

D'aussi perfides insinuations eurent naturellement l'effet que le duc de Montbazon aurait dû encore mieux prévoir dès son départ, et que lui prédit à son passage à Saumur Duplessy-Mornay. Car l'impartial gouverneur ne lui cela point qu'il ne trouverait à Angers que de la méfiance et de l'aigreur. Et en effet, avouait-il au duc de Montbazon, après ce qui a été convenu à Tours de l'envoi à Angers d'une escorte pour ramener de là à Paris la reine-mère, n'est-il pas étrange qu'on n'y songe qu'après l'évasion du duc de Mayenne ? Et en ce qui est de ce dernier événement, n'y a-t-il pas non moins lieu de s'étonner qu'on ait pris là-dessus, dans le propre apanage de Sa Majesté, des mesures préventives sans l'en avertir ? Serait-ce donc qu'on la veut traiter en complice de l'insurrection ?

Dès son arrivée à Angers, le duc de Montbazon put vérifier les avertissements de Duplessis-Mornay en y essuyant d'entrée l'accueil épineux de la reine-mère, qui d'ailleurs à ce moment-là même traitait avec le duc de Mayenne et appelait à Angers les Soissons. Sans avouer au duc de Montbazon la simultanéité de ces agissements avec l'accueil défavorable de sa démarche, Marie de Médicis, vis-à-vis de lui, se rejeta sur les griefs inhérents à cette démarche-là même. Elle se plaignit de n'avoir pas été officiellement avertie de son ambassade, et surtout de voir le roi s'avancer vers elle à la tête d'une armée. Par là le duc de Montbazon se vit en demeure de déployer ses instructions. Le but du voyage du roi, répondit-il en remettant à Marie de Médicis une lettre de Louis XIII confirmant son mandat, et en l'étalant d'ailleurs copieusement sans gradations ni réticences, le but du voyage du roi est de témoigner à Votre Majesté son amour filial. Car il souhaite passionnément votre retour. Votre absence lui semble avoir déjà duré dix siècles. Il ne peut plus davantage patienter sans vous voir. Et cela sans toutefois vous contraindre ; mais en se conformant à vos dispositions. Aussi, une fois arrivé à Orléans, y attendra-t-il l'issue des négociations que je viens ici poursuivre en son nom. Si Votre Majesté désire revoir son fils, il s'avancera d'Orléans jusqu'à Blois, à Amboise ou à Tours pour savoir de vous ce que vous désirez, et en conséquence ou vous emmener à Paris, où vous ne devez pas d'ailleurs vous attendre à trouver une garde aussi nombreuse que du temps de votre régence, ou vous laisser librement revenir ici. Que si, au contraire, vous ne vous souciez de sortir d'Angers pour vous rapprocher de votre fils, il ne songera plus qu'à rétrograder paisiblement d'Orléans à Fontainebleau, en montrant à tous par là qu'il n'a voulu que dissiper vos ombrages et ne vous veut voir que de votre meilleur gré. Et que Votre Majesté ne s'offense pas de ce que je sois parti sans l'avertir. Car si mon voyage avait transpiré trop longtemps d'avance, on vous en eût donné bien d'autres alarmes, et il n'est rien qu'on n'eût entrepris pour l'ajourner ou le rompre. Mais, de grâce, prenez au pied de la lettre les intentions du roi sans équivoquer là-dessus ; et dédaignez hardiment toutes les interprétations contraires, qui sont toutes suspectes. Le roi commence à connaître ses affaires, au grand déplaisir des méchants. Mais de votre côté vous devez contribuer à l'affermissement de son autorité en éloignant de votre amitié ou de votre conversation ceux qui lui veulent du mal. Réfléchissez à la prise que vous donnez aux ennemis du roi et de l'État, dont vous avez éprouvé déjà les pernicieux desseins. Il ne suffit pas à votre innocence d'être séparée de leurs factions. Vous les devez encore abhorrer, et vous souvenir que vous serez entièrement perdue si vous ne contribuez pas de votre mieux à sauver par votre exemple la réputation du roi aux dépens de ceux qui exploitent vos divisions. Car on sait que les méchants vous donnent par là de mauvaises impressions des desseins que nous pourrions avoir, et qu'ils vous dépeignent notre voyage sous les plus fausses couleurs. Mais il n'a été accompli que pour votre honneur et profit, en même temps que pour le contentement du roi. Car, en ce qui est de vos satisfactions personnelles, souvenez-vous qu'à Tours vous en avez plus obtenu là-dessus en quatre jours que vous n'eussiez fait en deux ans hors la présence du roi. Ne différez donc point votre départ. Car dès que vous serez en face du roi vous aurez avec ses bonnes grâces tout ce que vous pourrez souhaiter. Ajournez jusqu'à cette heure-là l'expression de vos désirs, et alors vous verrez qu'un seul regard de vous dissipera bien des nuages. Quant à Luynes, il ne faillira jamais à ses protestations de donner sa vie pour vous rapprocher de votre fils. Vous vous rappelez quels gages il vous a déjà donnés de son dévouement en vous intéressant dans la mesure du possible à la délivrance de Condé, afin de vous ménager par là une bonne intelligence avec le prisonnier de Vincennes. Et quant aux mariages récemment accomplis à la Cour, vous y trouverez votre sûreté, vu la façon dont le duc de Guise et sa maison ont toujours vécu avec vous. Une fois donc le rapprochement opéré entre elles, Vos Majestés demeureront inséparables. Car vos intérêts sont dans le contentement du roi, et le bien de l'État git dans la réunion de la maison royale. Par là vous ôterez au monde tout prétexte de médire de votre éloignement. De grâce, croyez-en aussi les assurances du duc de Montbazon. On fait le possible pour me perdre dans votre esprit. Mais donnez-moi toujours les mêmes témoignages de votre affection, et je m'en tiendrai comme plus assuré que de tout ce que vous me pourrez dire.

Tant s'en faut que le duc de Montbazon ait fait agréer à la reine-mère sous d'aussi mielleuses formules l'objet de son message, qu'au contraire elle se récria contre ce qu'elle y percevait d'amertume. D'abord on ne lui garantissait rien sur le maintien de son séjour à Paris, où, disait-on, Luynes était trop décrié pour qu'il ne fût pas compromettant pour elle-même d'y rentrer ou d'y demeurer sous ses auspices. A part cette mauvaise défaite, et même dans la supposition de son maintien dans la capitale, rien que l'intention, témoignée par le roi et confirmée par le duc de Montbazon, d'y restreindre à Paris sa garde, inspirait une extrême méfiance à cette reine aussi timide que glorieuse. Mais la vraie cause, disait-elle, qui me retient à Angers, c'est que le roi vient à Orléans en armes, à l'instigation de Condé et de Luynes. Cela m'inspire une sérieuse appréhension qu'on n'attente à ma liberté, et cela me rend très suspects les honneurs qui m'attendent sur ma route. C'est un mauvais moyen pour me persuader d'aller retrouver le roi, que de venir au devant de moi à la tête d'une armée. Je ne juge même pas opportun que le roi passe outre, et vous supplie, monsieur l'ambassadeur, d'aller de suite arrêter sa marche, et le décider à rétrograder sur Fontainebleau. Car, en vérité, il serait étrange qu'on vint négocier avec moi l'épée à la main ! Mais d'ailleurs si l'on en vient à cette extrémité, je me montrerai d'humeur à m'opposer aux mauvais desseins de mes ennemis, et trouverai assez d'amis et de partisans pour me défendre. Au surplus je ne puis m'acheminer vers le roi sans avoir reçu d'abord pleine satisfaction sur ce qui m'a été promis à Tours, notamment en fait de subsides pécuniaires, et surtout quant au versement des soixante mille écus qu'on m'a promis pour l'acquit de mes dettes. A cet égard, les promesses de Luynes ne m'inspirent nulle confiance, puisqu'il m'a déjà trompée au mépris des garanties du prince de Piémont. Dès que je serai là-dessus exaucée, et dès que Sa Majesté aura d'autre part rebroussé chemin jusqu'à Fontainebleau, je pourrai alors, une fois remise de l'indisposition qui me retiendra ici quelques jours, à mon tour me remettre en route pour l'aller retrouver. Mais je veux que ce soit à Paris, où je pourrai, plus sûrement que nulle part ailleurs, débattre mes intérêts. C'est là d'ailleurs un lieu non suspect, où je pourrai prendre toute la France à témoin de la netteté de ma conduite[5].

Décidément, dans les ajournements de son départ, Marie de Médicis ouvrait coup sur coup trop d'échappatoires pour que le duc de Montbazon ne renonçât pas à lui seul à l'emmener ou à la pousser sur le chemin de Paris. Au sortir d'avec elle, force lui fut donc de se tourner vers celui qu'on s'habituait de plus en plus à la cour à envisager comme le souverain et bienfaisant génie de la reine-mère. Car Luynes, bien entendu sans en convenir tout haut avec lui, appréciait à Angers Richelieu bien plus équitablement qu'il ne l'avait fait à Blois, à Angoulême et à Tours. A travers les tumultueuses délibérations du Logis Barrault, il percevait ses graves accents. Il savait qu'en fait de sages conseils tout ce que Marie de Médicis était alors susceptible, sinon de suivre au moins parfois d'écouter, lui venait de l'évêque de Luçon. Aussi, dans l'hypothèse par trop prévue d'un endurcissement invincible de la reine-mère à l'égard des représentations du duc de Montbazon, auprès d'elle ce fut Richelieu qu'il jugea surtout digne d'être intéressé directement au succès de la démarche concertée à Fontainebleau. Et voilà pourquoi les instructions du duc de Montbazon contenaient un chapitre à l'adresse du prélat[6], où, il est vrai, les promesses vaguement indiquées d'un chapeau de cardinal s'alliaient à de fortes intimidations. Mais c'est que des instructions rédigées au sujet d'un voyage si solennellement débattu en plein conseil ne pouvaient passer sans la collaboration de Condé et de Luynes. Or si Luynes, à la veille du départ pour Angers de son beau-père, s'attachait à stimuler Richelieu par l'offre plus ou moins immédiatement réalisable d'une place au conseil rehaussée de l'éclat de la pourpre, ou à stimuler d'autant par là même la jalousie des alliés de Marie de Médicis afin de les détacher d'elle, en revanche Condé, en poussant la guerre à outrance, en rendait d'avance responsable l'homme que dans sa haine il solidarisait avec Marie de Médicis, afin de tirer de là contre lui des motifs de mécontentement qui, même à l'issue d'une guerre civile, l'écarteraient à jamais de la cour. Et même, en ce qui est de Luynes, les satisfactions que Condé obtint de lui dans l'élucubration des pouvoirs du duc de Montbazon s'expliquent moins encore par l'obséquiosité du favori que par son propre désir de se réserver dans ses supputations d'équilibre, après la rentrée de la reine-mère au Louvre, l'heure et le degré de l'introduction de sa créature au conseil.

De là cette complexité du langage qu'au sortir d'avec Marie de Médicis le duc de Montbazon s'en alla tenir au prélat inséparable d'elle, qu'on ne pouvait rechercher sans le haïr ou le craindre. Assurez-vous, dit-il à Richelieu en lui remettant des lettres de Luynes conformes à son langage, assurez-vous qu'il n'y a rien de grand ni de convenable à votre qualité que vous ne puissiez obtenir du roi. Votre sort est entre vos mains. Car à vous seul s'imputera tout le bien ou tout le mal que nous engendrera la crise actuelle. C'est à vous à vous affranchir là-dessus pour l'avenir de tout remords de conscience, et à établir à jamais votre réputation ou votre fortune. Il n'y a pour la reine-mère que deux moyens de justifier vis-à-vis de son fils ses bonnes intentions : ou se rendre promptement à la cour, ou publier sous votre dictée, au dedans et au dehors du royaume, le contentement qu'elle a du roi et de ceux qui l'approchent de plus près. En ne faisant ni l'un ni l'autre elle donne à sa conduite une couleur étrange, et vous qui la gouvernez si puissamment vous en portez la peine. Car vous avez négligé bien des occasions de faire agir ou parler la reine-mère en réfutation des soupçons de la cour, ou en démenti des libelles séditieux publiés sous son nom. Et cependant, malgré tout ce qu'il y avait d'inquiétant pour la cour dans son immobilité ou dans son silence, on n'a pas laissé de lui communiquer les plus graves affaires de l'État, sans qu'appelée à opiner là-dessus elle y ait daigné s'ouvrir plus que pour sa disculpation personnelle. Encore une fois on s'en prend à vous de cette mauvaise attitude de la reine-nièce. Car le roi sait que vous êtes seul au courant de toutes ses intentions. Par conséquent vous répondez de tous les événements que produiront ses démarches. Vous devez nous aider à obtenir de la reine-mère tout ce que le roi désire d'elle. Volis trouverez votre compte dans la satisfaction réciproque de Leurs Majestés ; et au contraire vous serez chargé de malédictions si elles demeurent plus longtemps sans se voir. C'est à vous à faire valoir auprès de la reine-mère l'objet de mes instructions et à lui persuader d'ajouter foi à la parole de Luynes, intéressé au repos de l'État et désirant très vivement le maintien de la bonne harmonie dans la maison royale. En y réussissant vous pouvez tout espérer de Sa Majesté, et il n'y a en votre possession nul degré d'honneur que vous ne puissiez espérer d'atteindre. Mais si les choses vont autrement qu'on ne souhaite, on vous en tendra responsable, sachant que vous possédez toute la confiance de votre souveraine. Cette confiance, d'ailleurs, rappelez-vous que c'est Luynes qui a contribué de tout son pouvoir à vous la ménager, en faisant agréer au roi votre retour d'Avignon. Car Luynes a toujours vu d'un bon œil l'autorité que vous avez conquise sur l'esprit de la reine-mère, afin que vous l'employiez à une pleine réconciliation. Représentez-vous donc tout le profit qu'elle doit retirer du voyage du roi. Donnez-lui là-dessus tous les éclaircissements nécessaires. Puisqu'elle croit en vous, vous vous en devez acquitter dignement sans risquer d'encourir nos reproches.

En écoutant ce langage tour à tour caressant et comminatoire, et en y faisant la part de la divergence et de la complexité des inspirations, Richelieu sentait plus que jamais l'embarras du rôle qu'il jouait auprès de Marie de Médicis. Il voyait bien qu'il n'y avait d'espérances pour sa fortune et en même temps pour la rétablissement de l'autorité qu'avec le roi et par le roi. Aussi réprouvait-il les conseils violents qui, au Logis Barrault, aboutissaient à la guerre civile. Mais il voyait également l'impossibilité de revenir auprès du roi autrement que par le moyen de la reine-mère, après une réconciliation entre elle et son fils dont tous deux lui sauraient gré. Et pour que tous les deux lui en fussent reconnaissants, il fallait que cette réconciliation ramenât la reine à Paris au centre de ses affaires, avec des garanties d'influence et d'autorité. En un mot, revenir s'installer avec honneur auprès du roi, sinon demeurer chez elle sans mépris ni persécution, voilà tout ce que Richelieu souhaitait et sollicitait pour sa souveraine. Une fois ceci bien articulé, et tout en dédaignant de devoir un chapeau de cardinal à d'autres qu'à celle dont il avait épousé les disgrâces, il était tout disposé à seconder les vues de la cour. Mais il évita de s'expliquer ouvertement, dans la certitude d'être désavoué par la reine-mère, vu ses engagements devenus définitifs avec le duc de Mayenne et la comtesse de Soissons. Aussi se retrancha-t-il dans cette réponse aussi ferme et aussi discrète que mesurée : Je suis assuré qu'en servant la reine-mère je ne mériterai jamais que la louange due à ceux qui font leur devoir. Car je ne lui conseillerai jamais rien que de conforme aux vues du roi et de l'État. Et cependant, en accomplissant auprès d'elle ma mission salutaire, je ne sais si je pourrai me garantir des calomnies. Mais dans ce cas soyez sûr que vos menaces, loin de m'effrayer, redoubleront en moi le courage de bien faire.

Un langage aussi imperturbablement évasif, émané de l'homme en qui s'incarnait en Anjou le salut de l'État avec celui de Marie de Médicis, avait de quoi désespérer enfin le duc de Montbazon qui, dès lors, ne songea plus qu'à battre en retraite. Mais sur la route d'Orléans et dans l'étape de Saumur s'offrait au duc de Montbazon l'homme qui, après avoir sûrement pressenti son échec, lui en pouvait du moins enseigner le remède. Le 12 avril, en effet, au sortir d'Angers l'ambassadeur déçu revit Duplessis-Mornay et l'informa de ses démarches. Il ne pouvait en Anjou s'adresser à personne d'aussi peu suspect de partialité envers Marie de Médicis. Car nous savons avec quelle rigueur, au lendemain de la fuite du duc de Mayenne, Duplessis-Mornay avait exécuté contre lui les ordres de la cour, dans la surveillance à exercer aux confins de l'apanage de la reine-mère. Et quant à sa propre ville de Saumur, grâce autant à son incorruptibilité qu'à ses travaux de défense et à ses lointains recrutements, il l'avait soustraite à la contagion insurrectionnelle. Mais surtout Duplessis-Mornay avait su tenir tête au duc de Rohan lorsqu'il vint solliciter de lui la disponibilité de sa citadelle en vue du libre passage de la Loire ; et c'est ce dont s'autorisèrent vis-à-vis du duc de Montbazon sortant d'avec Marie de Médicis ces hautes représentations qui tenaient à la fois d'un Cassandre et d'un Nestor : Il faut aviser au contentement de la reine-mère, sinon tôt ou tard vous vous en ressentirez. Le royaume est si plein de mécontents, et ceux qui le gouvernent si chargés d'envie, qu'il est temps que Luynes, parvenu à l'apogée de sa faveur, mette une borne à ses convoitises et fixe la roue de sa fortune. Il ne le peut plus sûrement qu'en s'obligeant deux reines. Il satisfera l'une en avivant à son égard la tendresse conjugale, afin qu'il nous en provienne une belle lignée royale. Il satisfera l'autre en la rattachant à son fils par les liens d'une inviolable réconciliation ; et ce sera le dernier coup porté à toutes les semences de discorde. Autrement la faveur de Luynes se rendra de plus en plus odieuse, et onéreuse au roi lui-même qui en éprouvera les incommodités. Ici je m'arrête en vous laissant deviner le reste. C'est à Luynes à éteindre les germes des guerres civiles, qui toutes aujourd'hui, sous le nom d'état ou de religion, prennent en lui leur principe. Je vous le dis non tant par égard pour Luynes, qu'en votre propre considération et en retour des affectueux sentiments que vous avez toujours eus pour moi. Frappé de la solennité fatidique de ces prédictions, qui préludaient à celles du mémorable colloque engagé l'année suivante entre Luynes et Rohan sous les murs de Montauban, et qui, pour peu que Luynes y eût survécu à l'échec qu'y essuyèrent les armes du roi, se fussent probablement réalisées par une disgrâce, le duc de Montbazon engagea et il détermina Duplessis-Mornay à les lui rédiger par écrit. Puis il revint vite retrouver le roi dès le 13 avril avec ce précieux document joint aux déclarations de Marie de Médicis, qui, de son côté, les confirmait par l'envoi parallèle de son intendant Bouthiller.

A Orléans les communications du duc de Montbazon laissèrent. Luynes trop imprévoyant dans son ambition de parvenu pour éviter les plus lointains écueils signalés sur sa route par le gouverneur de Saumur, mais en même temps trop craintif pour ne s'émouvoir pas de ses représentations d'une portée plus actuelle en faveur de la reine-mère. Aussi, de ce côté, inclinait-il de plus en plus vers des concessions, il est vrai dépréciées par la fausse démarche où aboutit le voyage d'Orléans. Car (et c'est ce qu'on s'était dit dès le départ du roi) tant qu'à venir en armes, il fallait soutenir jusqu'au bout cette démonstration, favorisée par les événements du jour. Justement cette entremise diplomatique inaugurée par Luynes au début de la guerre de Trente-Ans sur les confins de l'Allemagne était sur le point d'aboutir à la paix d'Ulm, qui y délimita le champ des conflits de religion entre l'Autriche et la Bohème. Et dès lors l'armée de Champagne, relevée du poste d'observation qui l'avait jusqu'alors attachée à nos frontières orientales, allait recouvrer la liberté de ses mouvements pour passer des rives du Rhin ou de la Moselle aux rives de la Loire. Après ce que le duc de Montbazon avait relaté des menaces de guerre civile proférées devant lui par Marie de Médicis, après ce qu'il avait perçu, bien que superficiellement, par lui-même, de ses préparatifs militaires, assez indéniables pour légitimer l'occupation de son apanage et encore trop faibles pour la retarder d'un jour, il fallait que le roi, poursuivant hardiment sa route le long de la Loire et y recueillant cette armée de Champagne, y vint fondre sur Angers, dont les portes eussent tombé d'elles-mêmes devant lui et où il eût d'emblée donné la loi à Marie de Médicis et, par là, tranché le mal dans sa racine. Mais c'était là une extrême solution qu'on ne pouvait attendre de la timidité de Luynes. Sur le rapport du duc de Montbazon, effrayé de ; bravades de Marie de Médicis, il fit aussitôt rétrograder le roi sur Paris où il rentra dès le 15 avril, tandis que derrière eux celle qu'ils n'avaient su ni attirer ni intimider, par là même à la fois s'invétérait dans ses soupçons et s'enhardissait dans sa révolte.

Une aussi malencontreuse demi-mesure eût certes encouru dès l'étape d'Orléans la réprobation de Condé, si, au lieu d'y suivre le roi, il ne l'eût quitté dès Fontainebleau pour s'en aller dans son gouvernement de Berry fortifier à tout événement ses citadelles de Bourges ou de Montrond, ou peut-être y cuver son dépit de voir à la cour la diplomatie prévaloir sur les armes. Lui qui tour à tour. durant l'assemblée de Loudun et au lendemain de la fuite du duc de Mayenne, avait tant pressé le roi de marcher ou sur Poitiers ou sur Bordeaux ; lui qui, sans avoir pu engager par là les hostilités, ne l'avait laissé du moins s'avancer vers Orléans qu'en le revêtant d'un appareil militaire en contradiction calculée avec la teneur de ses avances filiales ; certes, une fois que cet appareil de menaces eût agi au rebours des démarches du duc de Montbazon mais au gré de ses propres désirs, il n'eût pas laissé le jeune prince avec cette épée qu'il lui avait mise au côté se refroidir en si bon chemin et reculer sans coup férir, ainsi qu'il ne se fit pas faute de le redire à Luynes au cours de la campagne ajournée qui n'aboutit que quatre mois plus tard au triomphe des Ponts-de-Cé. Dés le lendemain de la fuite du duc de Mayenne, avant l'organisation militaire du parti de Marie de Médicis et avec ou sans l'aide de l'armée de Champagne, en tombant à l'improviste par le cours de la Loire et, pour ainsi dire, avec la rapidité de ce fleuve sur le siège de la révolte, il l'y eût en un tour de main étouffée dans son germe[7].

Celui qui déblatérait ainsi contre la partie manquée d'Orléans, devait brûler de s'y reprendre dès le retour du roi à Paris. Mais plus Condé au Louvre s'échauffait à prêcher la guerre, et plus Luynes tremblait pour le maintien d'un crédit que son bruyant collègue attaquait ainsi par l'endroit le plus faible, en flattant les instincts caractéristiques du jeune Louis XIII. tin fils d'Henri IV ne pouvait démentir le sang qui avait bouillonné si généreusement sur les champs de bataille d'Arques, d'Yvry et de Fontaine-Française. Aussi chez l'adolescent assis sur le trône de France entre Condé et Luynes, perçaient déjà des velléités belliqueuses. Dans l'intervalle des parties de chasse de Saint-Germain et de Fontainebleau, il jouait au soldat en brandissant une lance, en pointant son artillerie ou en traçant sur le sable des fortifications ; et, dans son éveil de puberté, il tressaillait au moindre bruit de guerre. Il est vrai que, pour l'instant, l'ennemie en vue c'était cette mère qui lui avait transmis ce noble sang de Bourbon, et qu'il aspirait à revoir s'installer près de lui, mais qu'il fallait bien combattre dès lors qu'on ne la pouvait fléchir. Aussi après s'être inutilement élancé vers elle à Tours et à Orléans, les bras ouverts et avec la tendresse filiale, il n'hésita plus à se réacheminer dès le lendemain sur Angers, avec le casque au front et le glaive à la main. Ajoutons qu'à cette humeur martiale s'alliaient déjà chez Louis XIII ces caprices et ces boutades qui, durant les vingt années du ministère de Richelieu, entretiendront nuit et jour ses angoisses pour le maintien de sa faveur, depuis la journée des Dupes jusqu'à la conspiration de Cinq-Mars. Et l'on concevra à quel point Luynes, au retour du roi à Paris coïncidant avec la réapparition de Condé, dut trembler pour lui-même. Car en fait de divertissements guerriers, et en dehors du néfaste guet-apens du 24 avril 1617, Luynes n'avait eu à offrir au jeune Louis XIII que les exploits des gerfauts et des éperviers dans les basses-cours du Louvre ; et par ailleurs il ne l'avait guère produit qu'à son désavantage, vu son bégayement et son inapplication, dans les délibérations diplomatiques du conseil. Et au contraire, l'homme dont l'impétuosité comprimée par trois ans de captivité n'avait pas encore eu tout son jeu de réaction, exaltait son pétulant collatéral en lui montrant en perspective, à travers la fumée d'un vrai champ de bataille, un reverdissement précoce des lauriers paternels. Aussi d'un jour à l'autre on pouvait se demander si Louis XIII, rebuté de Luynes autant qu'il l'avait été de Concini, ne se détournerait pas de lui pour se livrer tout entier à l'impulsion de Condé.

Pour retenir avec lui sur le terrain diplomatique ce fils de Marie de Médicis qu'on engageait trop vite et trop facilement à son gré sur les traces du vainqueur de la Ligue, Luynes, à défaut de Richelieu qu'il s'agissait justement de ramener à Paris, et dont on ne pouvait d'ici là que garder la place au conseil, s'assura du moins vis-à-vis de Condé, du plus puissant des contrepoids officieux. Dès le début de ce récit, et durant les pourparlers engagés sous les murs d'Angoulême pour la constitution de l'apanage de Marie de Médicis, nous y avons constaté l'éminente intervention du nonce Bentivoglio. Depuis l'assassinat de Concini et l'exil à Blois de Marie de Médicis, ce discret personnage s'était maintenu à la cour dans son poste de stricte observation. Mais en voyant à Angoulême Marie de Médicis à la veille d'obtenir comme gage d'amour filial et pour la sécurité de son douaire une place forte, il avait protesté contre une solution qui exposait la reine-mère, au fond mal réconciliée par la paix d'Angoulême, à lier sa cause avec celle des huguenots, outrés du rétablissement du catholicisme en Béarn. Puis, voyant la reine-mère, une fois nantie de sa citadelle angevine, réaliser ses prévisions dédaignées en accueillant malgré lui le duc de Rohan et en écoutant les députés de l'assemblée de Loudun, il avait jugé le moment venu de rentrer cette fois et de demeurer sur la scène politique, vu l'immixtion désormais flagrante de l'hérésie dans les querelles de la maison royale. Mais, pour l'efficacité de son action, au Louvre il chercha l'appui d'un groupe dont nous apercevons les éléments ralliés autour de lui dans des inféodations spirituelles de hiérarchie et de clientèle. Au premier rang c'étaient le cardinal de La Rochefoucauld, qui avait figuré avec moins d'habileté que de droiture aux négociations d'Angoulême ; le cardinal de Retz, qui dans sa récente promotion à la pourpre avait primé l'archevêque de Toulouse ; l'archevêque de Sens, qui à son titre de métropolitain du diocèse de Paris joignait un reflet du -Prestige fraternel attaché au nom de Du Perron. Après eux venaient le père de Bérulle et le père Joseph, en rapports suivis avec le nonce : Fun pour ses fondations de l'Oratoire et de Saint-Louis des Français et l'établissement des Carmélites en France ; l'autre pour sa réforme des Fontévristes et sa prédication d'une croisade. Enfin c'était le père Arnoux, confesseur de Louis XIII et de Luynes, et l'un des promoteurs de la restauration du catholicisme en Béarn.

Appuyé sur cette phalange aussi recommandable par l'éclat des titres et par le poids des services que par l'intimité de son accès, le nonce à la cour s'ingénia à incliner doucement vers sa mère le cœur du jeune prince, sans comprimer pour cela son impétuosité guerrière, mais en en détournant le cours. Par delà l'apanage de Marie de Médicis, et de la Loire aux Pyrénées, en effet s'ouvrait pour l'héritier du trône de saint Louis un plus vaste et plus naturel champ de bataille que celui qu'il avait déjà failli rencontrer à Angoulême, et que d'Orléans il avait presque entrevu sous les remparts d'Angers. Ces huguenots qui, de Saumur à Loudun et des rives de la Bidassoa aux montagnes du Béarn, avaient tour à tour menacé son avènement, entravé son mariage et exploité contre lui les rancunes maternelles, venaient de combler la mesure des provocations à son égard, en repoussant l'édit de mainlevée des biens ecclésiastiques dans l'ancien patrimoine d'Henri IV. Le parlement de Pau se refusait à enregistrer cette mesure de restauration catholique, au grand applaudissement de tout le protestantisme méridional. Et ce n'étaient certes ni le père Arnoux, dont l'édit de Béarn était l'œuvre ; ni le père de Bérulle ni le père Joseph, dont l'un envisageait la ruine de l'hérésie comme le but suprême de sa politique, et l'autre comme un préliminaire indispensable de sa croisade contre l'islamisme, qui eussent laissé passer ce défi si retentissant jeté à la face du roi très chrétien. Ils prêchaient à la cour, et d'accord avec le nonce, une nouvelle guerre de religion. Mais, pas plus que le nonce, ils n'eussent voulu que Louis XIII, en relevant le défi des huguenots, franchit la Loire sans y avoir d'abord enlevé amiablement à leur cause Marie de Médicis, pour ne l'avoir pas à combattre un seul jour dans leurs rangs. Et pour cela ils souhaitaient, avant tout engagement d'hostilités, une réconciliation plus franche, et surtout plus définitive que celle d'Angoulême et de Tours.

Toutefois un dénouement qui scindait par le seul tranchant de la diplomatie la cause de Marie de Médicis d'avec celle des sectaires devenus ses complices, allait bien mieux à Luynes, en sa qualité de pénitent du père Arnoux, qu'à son violent collègue du conseil. Condé en effet ne demandait qu'à voir devant lui, côte à côte dans la même mêlée, les adhérents de Marie de Médicis et les conspirateurs de l'assemblée de Loudun, afin d'abattre par là plus plausiblement son irréconciliable ennemie.

C'est dire qu'une fois le roi rentré à Paris, Condé eût voulu de suite, et dans le retentissement même de l'échec du duc de Montbazon, reporter sur Angers les naissantes ardeurs de Louis XIII, afin qu'au moins dans cette marche sur la Loire mise sous le jour d'une entrée en campagne, il eût paru ne reculer que pour mieux assurer de ce côté son élan. Mais le groupe du nonce réussit à faire prévaloir l'opportunité d'une revanche diplomatique, où, il est vrai, Condé et Luynes trouveraient encore tous deux leur compte. Car l'ambassadeur qu'il s'agissait de réexpédier vers Marie de Médicis devait, tout en progressant dans les voies amiables par une vraie satisfaction donnée à ses légitimes exigences, en même temps guetter, grâce au développement d'un système d'espionnage manœuvrant en contrepartie de celui de Marie de Médicis, et au besoin traverser ses préparatifs militaires. Mission, il est vrai, bien au-dessus de la portée de l'aimable mais superficiel et loquace duc de Montbazon, voué décidément aux ambassades d'apparat. Aussi lui désigna-t-on pour successeur un personnage tout aussi engageant mais bien plus retors, en la personne de Jean de Varignez, seigneur de Blainville et lieutenant du roi au baillage de Caen. Tout en plaisant au roi et à Luynes, qui l'avait récemment promu aux titres de maitre de la garde-robe et de chevalier du Saint-Esprit, il se recommandait à Marie de Médicis par sa qualité d'ancien ami du maréchal d'Ancre. Avec cela alléchant et inquisiteur, accort et délié, Blainville avait juste assez d'ouverture pour éblouir la reine-mère, sinon Richelieu, sur son mandat d'investigation, et assez de laconisme pour ménager ses avances.

Muni de cet ensemble de qualités si adaptées à l'étendue de son rôle, et nanti d'une recommandation de l'archevêque de Sens, Blainville, à peine arrivé en Anjou, s'en vint au château de Brissac, le 13 mai, offrir à Marie de Médicis son alternative préméditée d'intimidations et d'amorces. Car tout en lui déduisant les conséquences prochaines de la paix d'Ulm, au point de vue d'un renforcement de l'autorité royale, et surtout au point de vue de la disponibilité de l'armée de Champagne, il offrait à Marie de Médicis, moyennant l'abandon de son parti et son retour à Paris, une place au conseil, avec toutes ses satisfactions pécuniaires et le rétablissement de son ancienne garde du Louvre. Puis il la flatta par un de ses endroits les plus sensibles, à savoir dans son orgueil et dans une des sources vives de sa popularité de gouvernante angevine, en confirmant les franchises, qu'elle avait tant à cœur, des avocats de son présidial. Passant ensuite à Richelieu, pour le mettre de son côté dans ses négociations plus que ne l'avait fait son prédécesseur, il ajouta à l'offre du chapeau de cardinal celui du gouvernement de Nantes, avec de nouvelles lettres de Luynes tout aussi engageantes que les premières, et plus dégagées des formules de menaces dictées par Condé. Puis en inique temps, soit par lui-même, soit à l'aide d'auxiliaires tels que Marossani et Longueval, il s'attacha en Anjou, en dehors de Marie de Médicis, à espionner ses agissements insurrectionnels et l'état de ses forces, à débaucher ses serviteurs, à semer ou à entretenir dans son camp la jalousie par la divulgation de son séjour et le prolongement de ses conférences[8].

De son côté Marie de Médicis, une fois laissée à elle-même, soumit à son entourage les nouvelles offres de la cour, qui malheureusement arrivaient bien tard. Car si le duc de Montbazon avait trouvé Marie de Médicis en voie de traiter avec le duc de Mayenne une fois rendu à Bordeaux, Blainville la surprenait en pleine rédaction de l'état général et dans l'expectative de la comtesse de Soissons ; et ce n'était certes pas pour le duc de Rohan et pour l'état-major de Chanteloube l'heure des capitulations. Quant à Richelieu, Blainville accompagnait l'offre additionnelle du gouvernement de Nantes de deux lettres de Luynes, dont l'une ainsi conçue : 7 mai. Si vous n'êtes à ce coup content, je vous maudis. Car M. de Montbazon nous assure que ce que vous porte M. de Blainville vous doit satisfaire, comme n'ayant désiré de lui autre chose. Je vous conjure que s'il vous reste encore quelque chose pour vous donner la perfection à ce que vous pouvez désirer, mandez-le promptement et vous fiez en lui, en le lui disant avec franchise. Je vous proteste qu'il ne tiendra qu'à vous et que je vous accuserai devant Dieu et devant les hommes, si nous ne finissons toutes ces misères. Si homme du inonde le désire plus que moi, je veux périr. Assurément le ton pressant et l'accompagnement de cette missive, rapprochés de l'offre à Marie de Médicis d'une participation au pouvoir et de la restauration de l'effectif de son ancienne garde, sentaient l'homme trop fatigué du joug de Condé pour ne pas appeler vite à son aide un énergique ressort de réaction gouvernementale ; et de là s'ouvrait pour la reine-mère et pour Richelieu, ce semble, l'immédiate perspective à Paris d'une rentrée honorable. Mais les avances de Blainville étaient par trop soudaines, comme on le lui déclara, pour qu'on pût avec dignité le prendre au mot séance tenante. Et puis Marie de Médicis était dès lors trop livrée aux Chanteloube et aux Matthieu du Mourgues pour qu'en fait de compromis on lui pût faire entendre raison. Tout ce que Richelieu pouvait faire, c'était de prévenir une rupture définitive en remettant sur le tapis une surenchère d'exigences, afin de tirer en longueur les négociations de Brissac. Il est vrai qu'en cela il entrait à première vue dans les calculs temporisateurs de Blainville. Mais dans cette procrastination en partie double, si Blainville jouait à dérober à son redoutable interlocuteur ses démarches scrutatrices, en retour Richelieu lui donnait le change sur les préparatifs militaires. Ajoutons qu'au fond, et sans l'avouer à Blainville, Richelieu s'entendait avec lui pour entretenir la jalousie de la comtesse de Soissons, et par là l'écarter de l'Anjou, où elle ne viendrait que pour lui enlever à lui-même ou fausser la direction de son parti.

Aussi quand vint pour la reine-mère l'heure de s'expliquer sur les dernières concessions de la cour, elle refusa d'abord, au nom de Richelieu, le gouvernement de Nantes. Puis, en cela surtout docile à la leçon du prélat, elle produisit pour la première fois comme une condition préalable de son retour à Paris, cette alternative : ou l'éloignement provisoire de Luynes, ou l'acceptation des princes étrangers et surtout du duc de Savoie, comme garanties de la sécurité de son séjour au Louvre[9].

En ce qui est de ces dernières sûretés, depuis le voyage du prince Victor-Amédée à Angoulême et à Tours, la cour savait à quoi s'en tenir sur de pareilles entremises. Aussi tout en se réservant sur le chapitre de Luynes, Blainville rejeta d'emblée celui des cautionnements du dehors. Aussitôt Marie de Médicis, tout en se recommandant, comme nous avons vu, au procureur général Molé et à tous ses collègues de France, se rejeta sur l'exigence bien imprévue de la garantie des parlements qui s'interposeraient entre la mère et le fils, et se porteraient juges de leur traité ou de son exécution. C'était à peu près, dans les maximes et les mœurs du temps, et si l'on se reporte au rôle prépondérant joué par les parlements au temps de la Ligue, demander à Louis XIII sa démission, et transférer dans les parlements, avec le gouvernement de l'État, celui de la maison royale, qui appartenait au roi encore plus absolu-nient que tout le reste. Et c'est Richelieu qui, après avoir suggéré ou du moins appuyé cette demande, afin de se frayer par là le retour au pouvoir, sauf ensuite à renvoyer les magistrats devenus importuns aux procès de murs mitoyens ; c'est Richelieu qui entreprend de la justifier par cette distinction : la reine, dit-il, ne prétend pas que les parlements agissent en cette occasion par le droit de leurs charges, qui ne s'étend pas jusque-là, ruais par commandement et par commission particulière du roi. Pour lui, dans tout le cours d'un ministère de près de vingt années, il ne s'avisera pas une seule fuis de requérir des parlements une commission semblable ; et ce n'est ici de sa part qu'un essai de fronderie imaginé dans son identification relative aux vues de la reine-mère, mais qui ne tirera point en conséquence ; un moyen de procédure né pour les besoins de sa cause et destiné à tomber avec elle. Pas plus que les importants de 1613 et les frondeurs de 1648, Marie de Médicis et Richelieu ne songeaient en 1620 à fonder en France, même par voie de commission royale, l'autorité politique des parlements. Ils ne pensaient qu'à tourner contre Luynes l'instrument placé alors sous leurs mains, comme plus tard Mme de Longueville, La Rochefoucauld et Retz le tourneront contre Mazarin.

Pour en revenir à Blainville, les dernières demandes de Marie de Médicis étaient trop inattendues pour qu'il osât de lui-même y aviser ; aussi dût-il prendre congé de la reine-mère pour aller à la cour puiser de nouvelles instructions. Justement Marie de Médicis venait d'y envoyer de son côté l'écuyer Bréauté, qui confirma le rapport de Blainville. En même temps arrivaient au Louvre deux lettres de Richelieu, qui recommandaient à Luynes et à l'archevêque de Sens les exigences de sa souveraine, assez vaguement pour l'entretenir dans sa confiance sans se compromettre en cour[10].

La cour, dès lors, était en mesure de se prononcer. En ce qui est de cette caution judiciaire, après l'éclat et l'opiniâtreté des récentes remontrances du parlement de Paris sur les édits bursaux, à si grande peine étouffées par l'appareil d'un lit de justice, il va sans dire qu'elle fut aussi énergiquement récusée que celle des princes étrangers : comme si l'on avait déjà entrevu qu'en pleine Fronde ce même parlement accueillerait dans son sein, sur les fleurs de lis, l'ambassadeur d'Espagne ! Ajoutons à cela les dispositions peureuses de Luynes, qui craignait que la reine-mère ne le brouillât avec la magistrature pour le remettre en leurs mains, ainsi que lui-même l'avait fait à l'égard de la maréchale d'Ancre.

Au contraire le génie de Luynes, où se décèlent tant d'affinités avec celui de Mazarin, l'inclinait vers cette solution d'une éclipse momentanée, dans l'espoir que les soubresauts violents du gouvernement intérimaire de Condé feraient vite souhaiter son retour ; et là-dessus s'accordait avec lui, comme avec Richelieu, Duplessis-Mornay, dont Blainville avait à son tour, en sortant de Brissac, pris l'avis le 16 mai à Saumur. Là, en effet, Duplessis-Mornay l'avait retenu assez tard, et reconduit même au serein jusqu'au dernier pont de la ville, en lui réitérant, ainsi qu'il l'avait déjà fait à bien d'autres visiteurs, cette suggestion : Pour rendre à la reine-mère la place nette à son arrivée près de Sa Majesté, le roi pourrait, au préalable, enjoindre à tous les grands seigneurs attachés à sa suite, l'ordre de rentrer dans leurs gouvernements. A la faveur de cette mesure générale, justifiée jusqu'au dernier jour par les éventualités d'une guerre civile, et qui par là couvrirait vis-à-vis du public, la précaution particulièrement prise contre lui-même, Luynes regagnerait son propre gouvernement de Picardie, sauf au roi à le rappeler silencieusement, peu de jours après la réinstallation de sa mère au Louvre, et comme par une faveur dont il s'estimerait redevable à elle-même. Heureux expédient, adopté aussi de grand cœur par le duc de Montbazon, et qui, à part naine les propres calculs de Luynes, lui souriait comme une occasion du plus solide raffermissement de son pouvoir. Que dis-je ? En sens inverse on ne peut douter qu'il n'y eût jusqu'à l'envahissant Condé qui n'ait de grand cœur, sous n'importe quelle forme, embrasse l'hypothèse du départ de Luynes, en envisageant comme un seul et même événement, et son absence et sa ruine. Mais le jeune roi, chez qui s'alliait à la tendresse et à la bravoure cet instinct précoce de la dignité royale qu'il transmettra à Louis XIV, en regard d'un tel concert d'insinuations où perçait la dissonance des mobiles, tint bon pour l'inamovibilité du favori qui parfois le rebutait, mais qu'il prit à rieur de soutenir dés qu'on lui voulut imposer son exil.

Sans vouloir sacrifier un seul jour ce favori, ni subir là-dessus dans ses discussions de famille l'arbitrage de ses sujets ou l'ingérence de l'étranger, Louis XIII parla de substituer aux cautions suspectées par Marie de. Médicis la sienne propre, en s'engageant vis-à-vis de sa mère à renvoyer Luynes dès qu'il lui manquerait de fidélité ou d'égards. Cet expédient était bien impuissant à satisfaire Condé. Car autant Condé souhaitait que le départ de Luynes précédât le retour de Marie de Médicis, afin de la reléguer librement dès son arrivée dans un coin du Louvre, autant il s'impatientait, de voir une disgrâce éventuelle de son collègue reculée jusqu'après ce maudit retour. Car alors pour lui ce retour, c'était la rentrée de Marie de Médicis et de Richelieu au conseil sous les auspices de Luynes, de l'homme qui, après l'avoir suscité contre eux, les rappelait contre lui. Il est vrai que désormais la reine-mère avait paru à cet ambassadeur aux yeux d'Argus qui sortait d'avec elle trop engagée avec les Mayenne, les Rohan et les Soissons pour revenir à Paris autrement qu'à travers un champ de bataille, et qu'ainsi dans les nouvelles avances de la cour, tout ce qui n'éteindrait pas ses griefs les armerait au point de justifier contre elle une marche offensive. C'est ce qui enfin décida Condé, de guerre lasse, à laisser le 31 mai repartir Blainville, escorté toujours dits mêmes recommandations, avec l'offre de la caution royale accompagnée d'un subside de trente mille écus, moyennant l'abandon de ses alliés par la reine-mère.

Muni de ces deux gages de condescendance, et malgré les dénégations et les hochements de tête de Duplessis-Mornay sur le sucrés de son ambassade, Blainville retournait en Anjou avec un peu plus d'espoir, en homme qui s'éblouissait sur ses propres ressources, et ne s'apercevait pas qu'au château de Brissac, en fait de diplomatie, il avait trouvé son maitre. Car dans son jeu à double face, Richelieu veillait de plus en plus sur le vrai salut de Marie de Médicis. De plus en plus il s'attachait à la fois à nourrir et à maîtriser sa force, à ne suggérer et à ne recommander qu'en atténuant ses exigences, à la rendre redoutable en la maintenant innocente, à la soustraire à autant d'inquisitions que d'accaparements, à la disputer tour à tour à Blainville et aux Soissons. Tout en resserrant autour de lui, en contrepartie de la cabale de Chanteloube, l'état-major préservateur des Bouthiller, des d'Argouges et des Marillac, il avait collaboré à l'état général et en avait sauvegardé le mystère. En opposant à Blainville son exception dilatoire des garanties judiciaires dont la soudaineté l'astreignait à un surcroit d'instructions, il l'avait écarté de l'Anjou durant l'émission de ce programme de défense. Au gré de ses calculs ou de ses défiances, et dans la réciprocité des atermoiements, il se jouait de l'élasticité des heures et des jours, ou en les tirant à lui ou en les dérobant à son adversaire. C'est r' qu'éprouva Blainville dès la reprise des conférences de Brissac, au sujet de l'arrivée concomitante à Angers du cardinal de Sourdis, archevêque de Bordeaux. En sa qualité hiérarchique de métropolitain de l'évêque de Luçon, Sourdis ne pouvait se désintéresser de la haute querelle dont son suffragant s'était constitué l'arbitre. Aussi, sur rappel de Richelieu, l'énergique prélat, en embrassant ses vues lui était accouru en aide, non sans lui apporter de Bordeaux des nouvelles du duc de Mayenne, qui dès son arrivée en Guyenne l'avait saisi de ses justifications et assiégé de ses pratiques. Or c'est en vue de flairer cette primeur d'informations que Blainville, qui avait avancé de huit jours sa venue en Anjou pour la faire coïncider avec celle de l'archevêque de Sourdis, sollicita préliminairement de Richelieu les délais nécessaires, se disait-il en lui-même, pour éventer les secrets du prélat dont il jalousait en même temps l'entremise, et aussi pour attendre le retour des courriers porteurs de l'état général. Mais autant Richelieu avait amusé Blainville durant la rédaction de l'état général, autant il convenait de le presser avant la divulgation de son dispositif et de ses signataires, en même temps que de tout ce qui pouvait émaner du cardinal de Sourdis ; et c'est ce dont Richelieu ne se fit pas faute en brusquant avec lui l'entrée en matière[11].

Force fut donc à Blainville de s'exécuter en produisant ses nouvelles offres de garanties ou de subsides, accompagnées de celles de l'entretien des compagnies des gardes du corps et de chevau-légers de Marie de Médicis. Mais en même temps il se dédommagea de ses frustrations d'espionnage en apprenant lui-même à la reine-mère, pour s'en prévaloir contre elle, le désarmement de Metz, et en se déclarant instruit de son alliance avec le duc de Mayenne. Sur l'article des cautions judiciaires, en y substituant les garanties de la parole royale, Blainville dépeignit le roi très offensé de ce que sa mère y trouvait moins de sûreté que dans l'appui de ses sujets.

En réponse aux reproches de Blainville et parlant au nom de Marie de Médicis, Richelieu, quant aux garanties des parlements, prétendit y avoir sauvegardé l'autorité légitime en ne recourant qu'a un pouvoir de source royale, s'exerçant ici sous forme d'une commission royale. En ce qui était du désarmement de Metz, c'était là, disait-il, une démarche d'un caractère purement défensif ; et au surplus on allait écrire au marquis de la Valette, dévoué d'ailleurs, assurait-il, au service du roi, pour le contenir dans cette limite. Quant au duc de Mayenne, la reine-mère avait ignoré sa fuite. Mais une fois informée de celte fuite et des soupçons qui l'avaient motivée, elle avait entrepris sa défense, en se garant par là-même des conflagrations de voisinage. Puis à son tour Richelieu récrimina sur la collation à Ruccellaï de son abbaye de Champagne ; et en effet Marie de Médicis s'en était offensée au point d'en envoyer porter plainte au nonce.

Entamant ensuite le fond du débat, et couvrant l'immuable parti pris de sa souveraine des plus plausibles défaites, Richelieu repoussa d'abord à priori des offres subordonnées à l'abandon de ses alliés par la reine-mère, qui souhaitait périr plutôt que de se déshonorer par une telle trahison. Bien plus, il étendit jusqu'à ces mêmes alliés ses réclamations, en requérant pour le duc de Mayenne des satisfactions en rapport avec les défiances qui l'avaient éloigné de la cour, et pour le duc d'Épernon des arriérés de pension courus depuis l'évasion de Blois. Envisageant même les offres en elles- mêmes, au lieu d'un subside en assignations lentes à réaliser, la reine-mère eût préféré, disait-il, un versement immédiat de numéraire. Au surplus, avant de se prononcer là-dessus ainsi que sur la caution royale, Richelieu demandait, pour consulter leurs amis et vaquer en toute hypothèse à ses préparatifs du voyage à Paris, un délai de trois semaines.

C'était prendre encore là au dépourvu Blainville, étourdi sous l'accumulation des déclinatoires, et partant le renvoyer au plus vite à la source de ses pouvoirs. C'était éterniser la négociation en se débarrassant de sa surveillance. Et tout cela dans un rassurant langage par où s'insinuait un tel espoir d'accommodements qu'un ambassadeur aussi madré s'y laissa prendre, et que le 17 juin, à son retour à Paris, suivi de près de l'ambassade confirmative du second écuyer de la reine-mère Charmel, avec toute l'industrie qui venait d'échouer devant Richelieu, Blainville fit passer toute sa confiance à Luynes. Bref, dans un conseil aussitôt réuni chez le chancelier, et malgré toute l'insistance de Condé, l'on réexpédia Blainville le 13 juin avec l'octroi à la reine-mère du sursis des trois semaines, et d'une déclaration d'amnistie couvrant le seul duc d'Épernon en sa qualité du plus loyal et du plus désintéressé de ses alliés. Au surplus, on alla jusqu'à adjoindre à Blainville, dans son troisième voyage en Anjou, le duc de Montbazon, qui s'offrait à la reine-mère, même en sus de la parole royale, en étage pour la sûreté des promesses de son gendre[12]. Toute la satisfaction donnée à Condé — et en vérité, sur le rapport même de Blainville, en fait d'avances pécuniaires à la reine-mère pouvait-on aller plus loin sans soudoyer sa révolte ? —, ce fut de maintenir dans leurs limites, ainsi que Luynes en avertit Richelieu, qui d'ailleurs n'avait pas dû beaucoup insister là-dessus, les dernières concessions de la cour à titre d'ultimatum.

A peine nantie du bénéfice de son déclinatoire, Marie de Médicis posa devant son conseil pour la dernière fois la question du retour à Paris, ou pour mieux dire et définitivement la question de paix ou de guerre. A ce moment Richelieu, qui, en dépistant ou en éconduisant Blainville, avait tiré de lui tout le fond de ses pouvoirs ; Richelieu, qui avait assuré d'avance à Marie de Médicis une fois rendue à son fils la sécurité et le crédit ; Richelieu, qui, en lui traçant vers le Louvre une avenue royale, lui avait ménagé dans son apanage assez de force pour se faire raisonnablement craindre et pour en imposer dans son obéissance ; Richelieu enfin, qui par là et tout en s'épuisant à sauver malgré elle sa souveraine, avait plongé plus avant que jamais dans sa confiance, après le dernier colloque avec Blainville revint tranquillement à elle. Là, sous le bénéfice de sa puissance acquise se redressant de toute la hauteur de sa vraie mission, et lui montrant à une égale distance de Condé et de Luynes un poste à la ibis de sûreté et d'honneur, une double garantie de repos et d'influence : On ne peut, il est vrai, se dissimuler ni le préjudice qu'inspire à la France le déportement de ses favoris, ni la haine que leur audace attire sur la personne du roi. Mais, pour la guérison du royaume, il est plus facile de sonder ses plaies que d'y trouver des remèdes moins dangereux que le mal. Or en fait de remèdes, deux aujourd'hui s'offrent à Votre Majesté : son retour au Louvre, ou son éloignement de la cour. En rentrant à Paris vous vous approcherez du roi pour lui donner sans ménagement et sans nulle recherche d'intérêt personnel d'utiles conseils pour le salut du royaume. Ensuite vous parlerez hautement à Luynes, en ennemie, non pas des favoris, mais de leurs abus de pouvoir. Au contraire dans l'éloignement de la cour vous vous fortifierez militairement pour réclamer leur exil les armes à la main. Le premier de ces deux remèdes ne requiert nulle autre force que celle de la raison et du courage, et il est en lui-même légitime. Il est vrai que pour Votre Majesté, jadis privée du rang, des honneurs et de la liberté que lui avaient acquis sa naissance et ses services, la rentrée au Louvre à première vue semble encore périlleuse. Mais, outre que les serviteurs rentrés avec vous prennent sur eux les risques de leur franchise, insinuait adroitement Richelieu pour s'entretenir par cette profession de courage dans la haute estime de sa souveraine, elle-même aujourd'hui trouvera dans sa qualité mieux reconnue un infaillible préservatif ; et les pierres s'élèveront pour accabler ceux qui attenteraient à la liberté ou à la vie d'une reine qui les a si souvent hasardées pour le bien de l'État. — Pour en revenir au second remède, il offre entre autres inconvénients celui de la guerre, immense en lui-même et par son effet sur des populations qui s'en prennent également de ses ravages à ceux qui en ont été l'occasion ou le principe. Luynes, au contraire, s'y abritera sous le nom du roi dont s'autorisera sa prise d'armes ; et par là se renverseront entre vous deux les proportions actuelles de vénération et de haine. En mettant même dans une guerre tout le bon droit de votre côté, songez à la pénurie de vos finances et à la fragilité de vos citadelles. Envisagez aussi les dispositions de votre effectif. Les Français, vous le savez, sont légers et mobiles. Parmi les mécontents du jour que de fanfarons et que de vaines rodomontades ! Quant aux étrangers, dans nos querelles intestines ils ne visent qu'au démembrement de la France. Aussi en serez-vous réduite un jour à combattre, vu leur insatiabilité, une partie de vos alliés actuels. Dans leurs rangs vous comptez les huguenots. Or, ou vous combattrez jusqu'à la fin avec eux sous les mêmes drapeaux ; et par cette complicité vous perdrez votre haute renommée de reine dévouée au triomphe du catholicisme. Ou, après vous avoir poussée à la révolte, ils se tourneront contre vous, pour aller en cour se targuer utilement de cette désertion. Aujourd'hui vous vous êtes ménagé un sérieux avantage en donnant à Luynes une haute opinion de vos forces. Mais le sort des armes est journalier ; et si, comme il est à craindre, vous essuyez un désastre, vous perdrez à jamais le crédit qui commence à vous revenir. C'est une grande sagesse de n'user pas de toute sa puissance. En vous supposant même victorieuse, et partant en supposant la perte de Luynes, ne craignez-vous pas là de plus l'éternel ressentiment du roi ? D'ailleurs, en perdant Luynes n'échangez-vous pas, vu la multiplicité des accaparements qui vous assiègent, sa domination contre mille tyrannies ?Admettons enfin que les imminentes hostilités nous ramènent par un contrebalancement de forces aux négociations entamées déjà sous les murs d'Angoulême : en fait de garanties de réconciliation c'est rengager d'interminables débats entre votre Majesté suspectant la parole royale, et un souverain à votre égard désormais par trop éclairé sur les dangers de l'octroi d'une place forte.

Même en goûtant les sévères avis de Richelieu, Marie de Médicis n'était plus libre de les suivre, ou seulement de secouer les liens qui se resserraient autour d'elle. En l'un des derniers intervalles si habilement ménagés mais si criminellement exploités du séjour de Blainville en Anjou, y étaient rentrés les émissaires préposés à la diffusion de l'état général ; et de suite la reine-mère avait réexpédié de Bordeaux sur Paris Chanteloube, afin d'exhiber aux Soissons comme un signal de départ la longue liste des signataires, avec le total de leurs promesses d'effectif. En même temps, comme si, dans l'expectative d'Anne de Montafié, eût passé sur l'Anjou un souffle avant-coureur de sa venue, en cette crise aiguë où les avances de Luynes n'avaient qu'enhardi les rebelles en démasquant sa faiblesse sans rassurer sur sa franchise, et dans tout ce fond si soigneusement cultivé des attaches locales de Marie de Médicis, grondait le crescendo des invectives contre le favori du jour. Grâce aux agissements effrénés de Chanteloube et de Matthieu de Mourgues, il n'y avait pas jusqu'aux prêtres et aux moines qui n'eussent fait chorus avec les états-majors du Logis Barrault et du château de Brissac. Aussi quoi d'étonnant si le flot montant de ce toile général ait envahi la plus saine partie de l'entourage de la reine-mère, au point qu'au dernier moment Richelieu n'y ait obtenu en faveur de la paix que les deux suffrages de Marillac et du père de Suffren ? En d'autres termes, c'était dès ce jour même et sans retour le déguerpissement de Blainville.

Pour le coup c'était bien la guerre. Aussi, pour la quatrième et dernière fois depuis l'ambassade du duc de Montbazon, voilà le prince de Condé qui s'élance du fond de son palais de Bourges, de ce théâtre de ses lointaines bouderies, pour reparaître le V juillet au Louvre en dissimulant m sous de feintes explosions de colère toute sa jubilation. Car en lui-même il triomphait en voyant les événements justifier ses prédictions et suivre ses désirs. Il se voyait à la veille de commander une armée, et par là de se rendre prépondérant dans l'état. Le premier rôle dans l'état, ce rôle qu'il n'avait cessé de rêver depuis la mort d'Henri IV sous une forme ou sous une autre, la fortune le lui offrait légitimement. Grâce à l'aveugle obstination de la reine-mère, grâce aussi à la faiblesse de Luynes, il était ou il allait devenir le vengeur ou le restaurateur de l'autorité royale, il allait comme disposer de la couronne. Toutes ces idées confuses d'une grandeur extraordinaire, qui avaient toujours agité sa race et qui lui survivront, l'enflammaient des plus orgueilleuses espérances. Aussi à peine s'ouvrit au conseil du Louvre la délibération qui suivit le dernier retour de Blainville, qu'il se mit tout de bon à sonner la charge contre Marie de Médicis.

Voilà donc Luynes, dont toute la diplomatie venait de s'user entre Richelieu et Blainville, acculé aux extrémités de la guerre civile, et comme tiré de force, lui le soldat de basse-cour et d'antichambre, vers son plus mauvais terrain. Aussi, pour se retenir sur cette pente fâcheuse en y épuisant la marge des temporisations, après la phalange propitiatrice du nonce il ne lui restait plus qu'à s'accoter, aux arrière-plans du conseil, au groupe jusqu'ici très effacé des vieux ministres d'Henri IV, où survivaient seuls le chancelier Sillery et le président Jeannin. Sillery et Jeannin s'étaient trop signalés avec Villeroy dans la grande marche politique du dernier règne pour n'avoir pas encouru, malgré leur souplesse ou leur modération opposée en contraste avec la raideur de Sully, les disgrâces de la régence, et sans s'être assuré par là dans l'explosion même du meurtre de Concini le rappel de Luynes, soucieux de remettre doucement en honneur l'administration du dernier règne. Mais à l'avènement de Luynes, Henri IV n'était plus là pour guider avec la puissance du génie des vieillards doués de plus de sagesse et d'habileté que de haute initiative ; aussi en 1620 apparaissaient-ils dans la caducité de leur circonspection comme des nestors d'un autre âge à la fois désorientés et paralysés dans cette génération nouvelle qui se disputait le gouvernement de la France. Dans les délibérations du Louvre les deux négociateurs de la paix de Vervins et de la longue trêve des Provinces-Unies avec l'Espagne en étaient réduits à vivre au jour le jour, sans autre souci que de tourner ou reculer chaque difficulté nouvelle. Or, cette tactique d'atermoiements à tout prix où se réfugiaient désormais ces vétérans de la grande diplomatie du XVIe siècle, c'était justement ce qui convenait à Luynes. Aussi, sans plus rechercher dans leur sincérité que dans l'inconsistance d'Henri de Guise ce solide contrepoids de gouvernement que Richelieu seul lui pouvait fournir, il n'est sorte d'industries que Luynes n'ait tirées de Sillery et de Jeannin, durant l'année écoulée depuis la paix d'Angoulême jusqu'au troisième voyage en Anjou de Blainville, pour ajourner à chaque séance du conseil jusqu'au lendemain le signal d'une guerre civile. Mais c'est au troisième retour de Blainville que leur fertilité fut mise à la plus rude épreuve ; et Dieu sait combien de jours encore ils eussent prolongé la crise dont s'exaspérait Condé, sans un brusque et décisif coup de théâtre[13].

Depuis qu'à la querelle de la serviette s'était rattachée la fuite du duc de Mayenne, suivie de près des émigrations simultanées des ducs de Longueville et de Vendôme, Luynes n'avait plus perdu de vue la comtesse de Soissons. Car à bon droit elle lui apparaissait autrement dangereuse que ceux que tour à tour elle retenait auprès d'elle ou lançait en avant sur le chemin de Rouen ou de Bordeaux. Et plus Luynes ménageait en Richelieu un homme aussi nécessaire qu'intéressé au maintien de sa faveur, plus il en voulait à celle qui, dans sa haine subversive et dans ses rancunes matrimoniales, le solidarisait avec l'ancien prisonnier de Vincennes. Aussi à l'inverse et à son égard, dans le prolongement de ses avances de réconciliation, Luynes mettait beaucoup moins de loyauté à la satisfaire que de perfidie à l'endormir. En d'autres termes, à la fin, la liberté de la comtesse de Soissons était encore plus menacée que celle du duc de Mayenne. Condé, en effet, qui n'avait qu'à regret laissé échapper Mayenne sur la route de Bordeaux, avisait pour sa revanche et pour ses représailles personnelles, une fois qu'il avait mieux pénétré, grâce â Luynes, ses menées insurrectionnelles, l'usurpatrice abhorrée du premier degré du trône en qui il se flattait aussi d'atteindre plus directement Marie de Médicis. Et aux délibérations du Louvre, Luynes, en sa timidité, s'estimait trop heureux de racheter aux yeux de Condé tous les avantages de sa diplomatie par le sacrifice d'une commune ennemie. Or, justement en Anjou Blainville, tout en ignorant le voyage à Paris et la mission de Chanteloube, et malgré Richelieu qui ne voulait écarter de la reine-mère la comtesse de Soissons qu'en s'abstenant de trahir sa souveraine, avait néanmoins pénétré assez avant dans les ténébreux agissements d'Anne de Montafié pour y trouver prise à une tentative d'arrestation concertée entre Condé et Luynes ; non pas certes au Louvre ni à l'hôtel de Soissons, d'où leur transfert à la Bastille, à travers toute une capitale soulevée par eux-mêmes contre les favoris du jour, y provoquerait une émeute ! mais à l'hôtel bien plus proche du financier Zameth, un jour où la mère et le fils y devaient venir souper, et où un garde du corps les appréhenderait au sortir de table.

Mais la comtesse de Soissons avait, aussi bien que Luynes, ses espions, qui l'avertirent du piège dressé contre elle à l'hôtel de Zameth, au moment même où de son côté lui arrivait Chanteloube. C'en fut assez pour qu'elle crût désormais sa sécurité aussi menacée à Paris qu'elle lui semblait en Anjou garantie par les précautions militaires dé Marie de Médicis, sans compter le soulèvement de la Normandie et du Perche et les adhésions acquises à l'État général. Bref, en bénéficiant de la circulation de ce programme de la guerre civile, elle se résolut enfin à en exécuter l'une des clauses essentielles en s'acheminant sur Angers avec une escorte plus ou moins digne d'elle. C'était d'abord le grand prieur de Vendôme, à la fois agglutiné à son frère aîné, le duc de César, dans le fiel de la bâtardise, et subissant en alternance avec le duc de Mayenne la fascination calculée de celle qu'on peut appeler l'héroïne politique et galante de cette première fronde. L'ambition et l'amour inspiraient là bien mal à propos en faveur d'Anne de Montafié un homme gorgé des faveurs du roi, qu'il devait surtout à Luynes. C'était Luynes qui en 1617, il est vrai en travaillant un peu pour lui-même, puisqu'alors il visait à la main d'une Vendôme, c'était Luynes qui alors, après avoir introduit le grand prieur dans la faveur de Louis XIII, l'avait investi de l'opulente abbaye de Marmoutiers confisquée sur un frère de la maréchale d'Ancre. C'était encore Luynes qu'il l'avait promu au gouvernement du château et de la ville de Caen, réputée la plus forte place de la Normandie ; et jusqu'à travers les colloques qui aboutirent au départ des Soissons, le grand prieur avait reçu des mêmes mains le brevet d'une autre abbaye d'un revenu de dix-huit mille livres. Il est vrai que si, alors, en dépit de ses nouveaux engagements, il se garda bien de renvoyer ce nouveau titre d'avances, ce fut soi-disant pour ne pas trahir par un tel éclat le mystère de leurs projets de fuite ; mais après avoir brûlé ses vaisseaux sur la route d'Angers, à cet égard il trouva que ce qui avait été si bon à prendre était bien bon à garder. Mais nous n'en sommes encore qu'aux préparatifs d'un voyage où Anne de Montafié embarqua aussi avec elle les comtes de Nemours et de Saint-Aignan. Car depuis l'interception des dernières lettres du duc de Savoie à son adresse, le duc de Nemours avait subi à l'hôtel des Soissons la contagion des frayeurs de la Bastille. Et, quant au comte de Saint-Aignan, on ne peut assez déplorer de voir d'aussi chevaleresques ardeurs s'égarer sur les chemins de la révolte, depuis les conciliabules des soupers de Zameth jusque sous les arches ensanglantées des Ponts-de-Cé.

Cependant ces fameux conciliabules avaient accouché d'une résolution définitive ; car le 29 juin, le colonel général des Suisses Bassompierre, en entrant au Louvre pour y saluer le roi avant de rejoindre à titre de commandant en chef l'armée de Champagne, reçut un billet l'informant que les Soissons partaient la nuit suivante avec le grand prieur et Saint-Aignan ; et peu d'instants après le chevalier de l'Épinay lui confirmait cette nouvelle. Aussitôt Bassompierre alla avertir le roi, qu'il trouva dans son cabinet avec Luynes ; et ceux-ci de le mener chez la reine, qui vaquait à sa toilette et qui par conséquent tenait sa porte close, afin de s'entretenir là plus à l'aise. Ce jour-là le roi devait, en vue d'une chasse au bois de Boulogne, s'en aller coucher au château de Madrid. Mais, sur le récit de Bassompierre et sans attendre l'avis de Luynes, dans sa vivacité juvénile il parla de décommander le voyage et d'envoyer de suite mander les Soissons pour les appréhender sous ses yeux. Mais, répliquèrent Bassompierre et Luynes, il ne sied pas à Votre Majesté d'arrêter des personnages de cette qualité sur des avis douteux, et que nous ne lui fournissons que tels qu'on nous les a donnés. Il y faut regarder de plus près. Il y faut surtout de mûres délibérations. Et même, ajouta judicieusement Luynes, je conseille à Votre Majesté de n'interrompre point son voyage de Madrid de peur d'effaroucher le gibier. Qu'elle renvoie seulement ses chevau-légers, conclua-t-il avec moins de confiance que d'abandon aux imprévus de la journée. Bassompierre et moi nous ne bougerons de Paris de tout le jour, et Sa Majesté peut se reposer sur nous.

Là-dessus on attèle pour Madrid ; et dans l'après-midi Bassompierre revient au rendez-vous indiqué retrouver Luynes, qui l'emmène à son hôtel pour s'y renfermer ensemble avec son frère Cadenet, le surintendant des finances Schomberg et leurs amis Modènes et Contades. On y revient sur l'événement du jour ; car il fallait se décider. Or, Luynes, qui depuis l'audience du matin avait consommé sa dernière latitude d'atermoiements sans nul renouvellement de perspectives, à présent touchait du doigt la nécessité d'une décision capitale ; et ce trembleur se sentait comme acculé au pied du mur. Aussi Bassompierre, dont la venue coïncidait avec celle de Brantes qui, en avertissant Luynes du renvoi des chevau-légers, aggravait encore sa mise en demeure, le vit assiégé de perplexités au point que, dès qu'il aperçut son interlocuteur de la matinée : De grâce, Monsieur, s'exclama-t-il, vous qui avez donné au roi de si importantes nouvelles, que vous semble-t-il du parti à prendre là-dessus ? Dites-le moi pour que nous avisions mieux ensemble au service du roi. Luynes, ici, s'adressait à un homme de la famille des Retz des Saint-Simon, à l'un de ces beaux donneurs d'avis officieux qui, au Louvre et aux Tuileries, ont prodigué en se jouant leurs plantureux génies dans la commode irresponsabilité des consultations d'antichambre. Je ne puis que vous redire, répartit le brillant commandant en chef de l'armée de Champagne, ce que je vous ai tant de fois allégué, qu'étranger aux affaires de Sa Majesté je ne puis donner un bon conseil en l'air sur un cas où je ne vois ni le jour ni le fond. Néanmoins je vous dirai tous les avis qu'on peut suivre là-dessus. A tenir le langage des marchands c'est à prendre ou à laisser. En les laissant aller, vous pouvez ou fermer les yeux sur leur départ, ou leur signifier que le roi sait tout, et que d'ailleurs peu lui importe. A l'inverse, tant qu'à les arrêter il faut ou que le roi les mande à Madrid, et là se déclare averti de leur complot, puis s'assure de leur personne et les retienne près de lui ; ou qu'il les investisse dans leur hôtel ; ou encore qu'il les arrête, et cela ou tour à tour aux portes de la ville, ou tous à la fois à leur rendez-vous de Villepreux. Et maintenant, concluait Bassompierre en narguant son interlocuteur sur des irrésolutions que lui-même compliquait à plaisir par le foisonnement de ses aperçus, c'est à vous, Monsieur, à former là-dessus votre avis pour l'exécuter promptement et sûrement. Là-dessus Luynes, abasourdi, questionne en vain les assistants, à leur tour pétrifiés par ses propres hésitations. En vain aussi, quand à ce moment on vient de la part de la vidame d'Amiens informer Cadenet que la comtesse de Soissons est en visite chez elle, Luynes l'y envoye épier sa contenance afin de gagner encore par là quelques minutes sur les dernières heures du jour : en rentrant de son exploration, qui n'a confirmé que trop vite aux yeux de Luynes les nouvelles du matin, Cadenet retrouve tout le monde au même point. En vain aussi Bassompierre, se divertissant à voir Luynes tourner sur lui-même, et se gardant bien de choisir entre les mille expédients dont il l'a comme ébloui[14], l'aiguillonne et l'éperonne sans merci. Vous en parlez bien à votre aise, lui répondit Luynes avec moins d'efficacité que de justesse, et sur le ton familier d'un hobereau de province. Si à votre tour vous teniez la queue de la poêle, vous seriez aussi en peine que moi. De guerre lasse enfin Bassompierre, entrant dans les perplexités du favori, lui propose de mander les ministres. Par là au moins, ajouta-t-il, vous atténuerez, en la partageant avec eux, la responsabilité d'une décision. Aussi bien à tout événement vous blâmeront-ils d'avoir agi sans eux.

Luynes ne demandait qu'à voir s'ouvrir cette dernière porte ; aussi Bassompierre s'en alla-t-il vite convoquer les ministres au logis du chancelier, tout en passant chez le grand prieur qu'il observa d'aussi près, et qu'il surprit en aussi grand délit que Cadenet avait fait chez la vidame d'Amiens de la comtesse de Soissons. Comme en effet Bassompierre, en abordant ce cavalier servant de la criminelle fugitive, l'embrassait avec cette interpellation captieuse : Moi d'un côté, vous de l'autre. Y a-t-il rien de changé ? Tout est prêt, répartit étourdiment le grand prieur en croyant s'adresser à un nouveau complice, tout est prêt pour partir à onze heures du soir.

On ne sait à quel point ce redoublement de certitude acquise eût accru les tortures de Luynes, si, en rentrant chez le chancelier, Bassompierre ne l'eût trouvé déjà dans tout le soulagement d'une solution. C'est que dans l'intervalle s'y était prononcée l'antique sagesse du règne d'Henri IV, un instant relevée de son long affaissement, pour se détacher sur le désarroi général avec la lumineuse placidité de Nestor ou d'Ulysse, en la personne du président Jeannin. Secouant sa tête chenue avec une lenteur d'oracle : Laissons-les donc tranquillement aller, opina-t-il, ils seront partout moins dangereux qu'à Paris, où leur présence et leurs agissements y retiendront Sa Majesté, pressée d'entrer en campagne. D'autant plus qu'en détalant ils laisseront derrière eux ou attireront à leur suite force mécontents qui, en les suivant, nous débarrasseront de leur présence ; ou qui, dans les désagrégations de l'éloignement, se détacheront d'eux un à un pour venir à nous comme des moutons de Panurge. Au surplus, ajoutait le président Jeannin en passant des conséquences du départ des Soissons à celles de leur arrivée en Anjou, au surplus ils seront partout ailleurs plus dangereux qu'à Angers, où vous les verrez forcément introduire avec eux le tumulte et la confusion.

En attendant la réalisation des horoscopes du vieux témoin oculaire de la dissolution de la Ligue, au Louvre on apprit, à l'heure même de la libre fuite des Soissons, pour qui c'était là d'ailleurs à la fois un signal et une sauvegarde, le soulèvement de la Normandie. Tant qu'à entrer en campagne, c'était bien de ce côté qu'il fallait atteindre nos fuyards. Car en y occupant à Rouen le vieux Palais, et en y pratiquant ou en y intimidant militairement la magistrature, le duc de Longueville obéissait à sa belle-mère ; et le grand prieur, avant de s'acheminer sur son gouvernement de Caen, ainsi que l'astreignait l'État général, ou plutôt en s'y acheminant par l'Anjou, y avait expédié comme en avant-garde son lieutenant Prudent pour s'y jeter dans la citadelle. Mais de l'Anjou à la Normandie et de la Normandie à Paris, l'insurrection avait son flux et son reflux, et les dernières mesures adoptées au Louvre, lors de la tentative d'arrestation des Soissons pour les mener à la Bastille par d'autres chemins qu'à travers la capitale, ne nous en disent que trop sur les humeurs séditieuses de ce foyer des agitations de la Ligue et de la Fronde. Aussi dans le conseil qui suivit le départ des complices de Marie de Médicis et du duc de Mayenne, dans ce conseil qu'un tel événement transformait de force en un conseil de guerre, on eut encore à discuter sur cette alternative : ou marcher de suite sur la Normandie, ou se tenir à Paris sur la défensive. On eût cru cependant qu'une fois l'écoulement établi vers l'Anjou pour l'assainissement de la capitale, il ne restait plus au jeune roi, rassuré sur ses derrières, qu'à marcher de l'avant. Mais à ce moment les vieux ministres d'Henri IV opposèrent leur flegme à l'élan général beaucoup moins heureusement qu'ils ne l'avaient fait aux tergiversations de la veille. Ou plutôt ces oracles d'un jour, en redescendant de leurs trépieds, et comme sous l'accumulation des imprévus, étaient comme retombés dans la congélation de leur sagesse. Il y parut à leurs craintives dénégations sur l'opportunité du départ de Louis XIII.

Sa Majesté, disait surtout le vieux chancelier Brulart de Sillery, doit rester à Paris au centre de son gouvernement, en laissant ses généraux entrer en campagne. Paris, en effet, raisonnait-il en envisageant tout ce que les Soissons et le grand prieur lui semblaient encore laisser derrière eux, Paris regorge de brouillons et de factieux qui jusqu'ici se sont bornés à semer partout les mauvais propos et les libelles, mais qui, pour éclater, n'attendent que le départ du roi. Leurs menées, colorées du faux semblant du bien public et accompagnées de magnifiques promesses, n'ont malheureusement produit que trop d'effet, et le poison a pénétré jusque dans les cours souveraines. Il peut survenir jusque dans Paris des agitations, et même des soulèvements. Il suffirait d'une pointe audacieuse sur Paris venant d'Angers ou de Metz pour enlever cette capitale dépourvue de défense. Et il n'est pas aisé de soumettre la Normandie munie de places considérables : ici le château de Rouen, Dieppe et peut-être le Havre : et là la ville de Caen avec sa solide garnison si bien commandée. Le moindre échec nous serait fatal, ébranlerait les provinces fidèles, enhardirait les provinces révoltées. C'est toujours autour de Paris que se sont décidées les destinées de la France. Il vaut donc mieux pourvoir à la conservation de Paris qu'à celle de la Normandie. Car tant qu'on aura Paris on pourra reconquérir la Normandie ; et, au contraire, une fois Paris perdu, c'en est fait de tout le royaume.

Ces considérations étaient spécieuses, et Luynes allait lanterner là-dessus. Mais il était temps d'en finir. Ce jour-là même Condé, à qui les imprévus quotidiens laissaient à peine le temps de cuver dans son gouvernement de Berry ses exaspérations contre les tatillonnages de la diplomatie, était accouru d'une traite au Louvre tout poudreux, et piaffant et caracolant autour du roi : Je vous l'avais bien dit, s'écria-t-il par allusion au départ des Soissons rapproché de celui de Mayenne. A force de ménagements et de temporisations, on a laissé grandir le parti de la reine-mère à ce point qu'en vérité il ne reste plus qu'à ôter la couronne à Votre Majesté et à poignarder Luynes. Puis, attaquant de front l'avis du chancelier : La plus grande force de l'armée réside dans le roi. Il le faut donc opposer aux rebelles et les attaquer avant qu'ils aient le temps de se reconnaître, ainsi que d'après Villeroy Sa Majesté l'eût fait jadis avec succès contre nous-mêmes durant les troubles de la régence, ajoutait-il par allusion à l'échauffourée insurrectionnelle qui aboutit en 1614 à la paix de Sainte-Menehould. Il faut frapper d'abord un grand coup, qui raffermisse les provinces fidèles, et partout ailleurs jette l'épouvante. La Normandie est le faubourg de Paris et le comptoir et la basse-cour du Louvre. La vraie prudence, c'est d'aller défendre le Louvre à Rouen et à Caen.

Une si tranchante déclaration était pour ainsi dire le coup de l'étrier. Aussi Luynes lui-même, pressé d'abandonner de sa meilleure grâce un terrain qui lui échappait, et après n'y avoir soutenu les vieux ministres que dans la mesure où aux intermèdes diplomatiques de la guerre civile ils lui redeviendraient utiles, enfin se rallia à Condé ou plutôt s'effaça sur le passage du roi s'élançant vers la Normandie. Car depuis la fuite des Soissons on n'avait qu'à grande peine maîtrisé l'impatience du jeune Louis XIII. Aussi quand la presque unanimité du conseil eut laissé le champ libre à ses aspirations guerrières, le descendant du héros de Taillebourg, le fils du vainqueur de Coutras, d'Ivry et d'Arques et de Fontaine-Française, apparut comme dans un rayon matinal de fierté et d'allégresse. Parmi tant de hasards qui se présentent, s'écria-t-il, il faut marcher au plus grand et au plus prochain. Mon avis est donc de m'en aller tout droit en Normandie et n'attendre pas à Paris de voir mon royaume en proie et mes fidèles serviteurs opprimés. J'ai grand espoir en l'innocence de mes armes, et en ce que nia conscience ne me reproche nul manque de piété à l'endroit de la reine-mère, ou de justice envers mon peuple, ou de générosité envers les grands de mon royaume. Une aussi nette déclaration fut accueillie par d'universels applaudissements et enlevait tous les suffrages, quand un vieux serviteur d'Henri IV, le grand prévôt de Normandie Le Main de follet, vint dans le trouble de son affection le conjurer de ne pas hasarder sa personne en une entreprise plus difficile qu'on ne lui la dépeignait. Vous n'êtes pas de mon conseil, lui répartit vivement le jeune roi, et j'ai pris de plus généreuses résolutions. Sachez que, quand les chemins de Normandie seraient tout pavés d'armes, je passerai sur le ventre à tous mes ennemis, puisqu'ils n'ont nul sujet de se déclarer contre moi qui n'ai offensé personne. Vous aurez le plaisir de le voir. Je sais que vous avez trop bien servi le feu roi mon père pour ne vous en pas réjouir[15].

 

Il n'y avait dans ce male langage nulle témérité, si l'on envisage l'organisation de la cause royale poursuivie parallèlement aux préparatifs insurrectionnels et concurremment aux négociations diplomatiques avec Marie de Médicis, depuis la fuite du duc de Mayenne jusqu'à celle des Soissons. Il est vrai qu'au moment de son entrée en campagne Louis XIII n'avait guère autour de lui que ses compagnies de gardes du corps et de chevau-légers. Mais dans ce même conseil décisif du 4 juillet, Condé, dont le rôle devient prépondérant dans l'organisation et le maniement de nos forces, avait fait décréter la délivrance de commissions pour vingt mille hommes de pied et deux mille chevaux. En même temps, pour soudoyer ces recrutements, avec l'aide de l'actif et dévoué surintendant des finances Schomberg, on multipliait les impôts, notamment sous forme de créations d'offices, et on anticipait d'une année les recettes fiscales. Non que là-dessus n'aient éclaté, comme nous avons vu, les remontrances des parlements par l'avocat général Servin ; mais, pour apaiser la magistrature sans préjudice des combinaisons financières, Luynes rétablit en sa faveur l'édit de la Paulette qui lui restituait, suivant les vues d'Henri IV, le bénéfice de l'hérédité moyennant une redevance annuelle. Grâce à cette habile tactique les édits burseaux présentés à l'enregistrement des cours souveraines passèrent ; et par là bientôt on s'assura au trésor une rentrée de deux millions.

Grâce à ces subsides, Bassompierre, envoyé vers la Moselle avec le titre de commandant en chef de l'armée de Champagne, en partie débauchée lors du désarmement de Metz par le marquis de La Valette, rattacha à ce noyau essentiel, en des cadres reconstitués sous ses mains et dans les quartiers généraux de Sainte-Menehould et de Montereau, les levées opérées en Champagne et en Lorraine, qui bientôt s'élevèrent à huit mille hommes de pied et à neuf cents chevaux. Puis, outre les six mille Suisses qui nous arrivèrent, on put lever dans l'He de France trois régiments, dans la Picardie et dans le Berry huit mille hommes, et dans la Provence quatre mille hommes. En fait de cavalerie, chacune des provinces de Beauvoisis et d'Auvergne nous en fournissait une compagnie, tandis que le Rheingrave d'Alsace nous envoyait cinq cents chevaux.

Sans sortir de la Lorraine et toujours par l'organe de Bassompierre, Louis XIII, tout en y poursuivant ses levées, prévenait celles du marquis de la Valette. A cet effet il enleva décidément à son père, estimé irréconciliable depuis l'échec à Angoulême de la mission de Thoiras, et vu le rejet des dernières offres d'amnistie de Blainville, sa charge de colonel général de l'infanterie française. Puis il remit à Bassompierre, qui la transmit par Comminges au duc de Lorraine, une lettre où il le sommait de laisser chez lui le passage libre au Rheingrave d'Alsace, et surtout de s'y opposer aux recrutements du gouverneur de Metz. En vain le duc de Lorraine allégua-t-il ses anciens privilèges de neutralité qui l'autorisaient, en sa qualité de prince étranger, à prendre parti à son choix dans les conflits limitrophes. On lui répondit que, s'il pouvait à cet égard opter entre deux couronnes, au moins ne devait-il pas dans chaque royaume épouser les rebellions intestines ; et que s'il passait outre, sans égard pour ses immunités héraldiques, le roi lui-même le viendrait châtier militairement dans sa capitale. Ceci d'ailleurs se devait accomplir bien plutôt que Louis XIII alors ne le croyait lui-même. Car on n'attendra pas que trente ans plus tard le brillant et capricieux duc de Lorraine Charles IV s'érige entre la grande Mademoiselle et Condé en un condottieri de la Fronde. Il suffira qu'au début de la guerre de Trente Ans, et sans sortir de sa sphère d'ingérences les moins contestées, il se déclare contre nous en faveur de la maison d'Autriche, pour qu'enfin Louis XIII en personne vienne sur les rives de la Moselle réaliser ses menaces ; et ce jour-là s'entamera pour la France la conquête de la Lorraine.

Grâce à cette vigueur et à cette activité déployées dans l'organisation de l'armée royale, on en voit à cette date solennelle du 4 juillet se dessiner le cadre général, la physionomie et les allures. Tandis que le prince de Condé en assume le commandement en chef avec le titre de lieutenant général en s'appuyant sur son lieutenant particulier le maréchal de Praslin, et sur les quatre maréchaux de camp Bassompierre, Modène, Zameth et Mosny, tous les gouverneurs ont ordre de veiller à la sûreté de leurs places. En même temps, à l'aile droite de cette grande armée, le duc d'Elbeuf avait, pour contenir la Normandie, sept ou huit cents hommes, en se reliant à la Picardie où en sa qualité de lieutenant général Cadenet prévenait à Amiens les menées du duc de Longueville. Et, plus loin, le duc de Brissac, une fois rattaché à Luynes par la collation de la duché-pairie, en Bretagne surveillait le duc de Vendôme, et par le comte de Brûlon occupait le bassin de la Vilaine. D'autre part, à l'aile gauche l'armée de Champagne, reconstituée par Bassompierre et rendue à la liberté de ses mouvements par la conclusion de la paix d'Ulm, s'apprêtait à rejoindre le roi par Etampes et Chartres aux bords de la Loire. Et plus loin, vers l'est, le duc de Nevers et le maréchal de Vitry observaient avec Ornano les ducs de Bouillon et de la Valette, tout en s'opposant du côté du Luxembourg à l'entrée des contingents de Liège en France.

Il est vrai qu'ainsi adossé à la fois aux forces de la Normandie et de la Champagne, Louis XIII avait en face de lui le bassin de la Loire par où Marie de Médicis, même au cas d'un premier désastre, pouvait ou aller dans la zone méridionale de ses adhérences chercher son refuge, ou attirer de là vers elle des diversions ou des réserves. Mais, aux portes même de l'Anjou, Courtenvaux en Tour-raine et Duplessis-Mornay à Saumur ouvraient tour à tour au roi ou fermaient à Marie de Médicis le passage du fleuve commis à leur garde. En ce qui est de Duplessy-Mornay, ce n'est pas qu'il inspirât à la cour une pleine confiance. En dépit de son irréprochable attitude à l'égard des agissements et des décisions de l'Assemblée de Loudun, en dépit même de ce qu'au lendemain de la fuite du duc de Mayenne il avait déployé de rigoureuse vigilance aux confins méridionaux de l'apanage de la reine-mère, il s'était attiré le déplaisir de la cour par la raideur sourcilleuse et le dogmatisme de son entremise ; et il n'y avait pas jusqu'à l'impassible Luynes qu'il n'eût à la longue indisposé par le ton pris vis-à-vis de lui tout à la fois d'un Mentor et d'un Cassandre. C'est à travers d'aussi défavorables impressions qu'on se souvenait d'avoir vu, dès avant l'arrivée en Anjou de Marie  de Médicis et au lendemain de l'hymen de Christine de France, le prince de Piémont Victor-Amédée stationner à Saumur sous le couvert d'un pèlerinage au sanctuaire des Ardilliers, mais au fond pour entretenir Duplessy-Mornay de sa candidature au trône d'Allemagne vacant par le décès de l'empereur Mathias ; et il est vrai qu'en haine de l'intransigeante orthodoxie de la maison d'Autriche, Duplessis-Mornay y avait poussé ou encouragé Victor-Amédée à l'heure même où les hautes visées de la maison de Savoie se liaient, d'ailleurs sans la connivence du gouverneur de Saumur, à l'insurrection de la reine-mère. Par une suite du même semblant de complicité et depuis l'arrivée en Anjou de Marie de Médicis, on avait compté les avances prodiguées par elle au voisin qui résistait à ses intimidations. Enfin on savait Duplessy-Mornay en correspondance avec celle qui se le voulait solidariser autant qu'elle avait fait les deux maisons de Savoie et de Vendôme. Et en effet, le 4 juillet, au lendemain de sa fuite, la comtesse de Soissons adressa encore de Vendôme à Duplessis-Mornay, par l'organe de son messager Saliers, un suprême et, hâtons-nous d'ajouter, un très inutile appel. Mais c'est surtout en sa qualité de pape des Huguenots que Duplessy-Mornay avait dès le début de notre récit encouru les premiers soupçons du roi qui, dans un an et comme par un indispensable préliminaire d'une nouvelle guerre de religion, le dépossédera du château de Saumur. Et, en effet, lorsqu'en s'acheminant de Tours à Angers, en 1619, Marie de Médicis passa par Saumur, il suffit qu'à travers ses réserves Duplessy-Mornay lui ait présenté le pasteur Bouchereau et ait écouté devant elle sa harangue captieuse pour qu'on la crût son œuvre. Et en envisageant une telle démarche comme le corollaire ou le prélude des audiences données tour à tour à Champigny ou à Angers aux députés de l'Assemblée de Loudun, de quel œil ne vit-on pas le promoteur de ses conclusions insurrectionnelles, l'ardent et opiniâtre duc de Rohan, se croiser presque à la porte du château de Saumur avec Richelieu et les ducs de Montbazon et de Blainville ? Bref, Duplessis-Mornay, par une telle complexité de démarches relevée de toute la morgue de ses avertissements, s'était mis aux yeux de Luynes et entre Louis XIII et Marie de Médicis sous le jour de l'organisateur d'un tiers parti ; si bien que, avant la fuite des Soissons, à son égard les soupçons de Luynes s'étaient traduits par un long resserrement de communications. En dépit de ses suppliques réitérées, adressées à la cour par l'organe du baron de la Croix ; en dépit de tout ce qu'il prodiguait à la cour d'avis et de mémoires consultatifs, on le laissait de parti pris dans une disette absolue d'ordres ou de secours, de peur qu'à son profit il n'en dénaturât le sens ou n'en détournât l'usage. Mais ainsi livré à lui-même entre le lointain des défiances de cour et les menaces limitrophes — car trois lieues à peine le séparaient des avant-postes de l'armée insurrectionnelle —, et par là provoqué à justifier les soupçons de Louis XIII et de Luynes par l'accentuation de son autonomie, le gouverneur de Saumur dut songer à sa sûreté sans la devoir qu'à lui seul. De sa propre initiative et à ses risques (car il y mit du sien jusqu'à deux mille écus), il reprit l'œuvre d'une restauration de sa citadelle en y annexant deux portails garnis de ponts-levis. Complétant ensuite les fortifications de la ville, il éleva le long de la Loire deux fortes murailles près des portes d'Angers et de Tours ; et il refit les ponts et les barrières. Mais dans ses préparatifs de défense, l'œuvre la plus ardue du gouverneur de Saumur était sans contredit le recrutement de sa garnison. Car les levées insurrectionnelles de Marie de Médicis avaient fait le vide dans les deux provinces d'Anjou et de Poitou. Aussi Duplessy-Mornay ne put qu'à grands frais poursuivre ses racolements jusqu'en Touraine et en Berry, en Vendômois et en Normandie. Mais dès qu'il se fut assuré par là le faible contingent des trois cents hommes, il les répartit en trois compagnies sous le commandement de ses trois gendres et, grâce à l'habile maniement de cette unique ressource qui le dispensait d'armer dangereusement la bourgeoisie, il pourvut durant toute la guerre civile à la défense du château et des principales avenues de Saumur.

Pendant que Duplessy-Mornay et Courtenvaux fermaient ainsi le passage de la Loire aux alliés méridionaux de Marie de Médicis et surtout au duc d'Épernon, en Poitou et sous la vigoureuse impulsion donnée par Condé du haut de sa citadelle de Bourges, La Rochefoucauld tenait tête à Rohan en attendant que Saint-Géran le vint rejoindre avec les recrutements du Berry et du Bourbonnais. Plus loin, l'intrépide et expérimenté maréchal de Thémines, père du jeune officier sacrifié au marquis de Richelieu par Marie de Médicis, et pressé de se venger de la démolition de son château de Gourdon, favorisée l'année précédente en Agenois durant la campagne d'Angoulême par le duc de Mayenne, lui enlevait son régiment du Bourg-du-Bec d'Ambez, et il massait jusqu'aux confins de la Guyenne les contingents du Quercy que venaient renforcer Schomberg, Pompadour et Bourdeille avec ceux de la Saintonge, du Limousin et du Périgord, parallèlement opposés à d'Épernon et à Mayenne ; Joinville et Chevreuse opposés tour à tour à Mayenne à travers le Limousin et au duc de Savoie à travers le Lyonnais ; et Montmorency avec les contingents du Languedoc. Plus loin encore, et vers le sud-est du royaume, Guise et Lesdiguières, en partant l'un du Dauphiné, du Vivarais et des Cévennes, et l'autre de la Provence, avec dix ou douze mille fantassins et une nombreuse cavalerie, se devaient rejoindre à travers le Lyonnais dont répondaient le gouverneur d'Arlincourt et son fils Villeroy pour s'y joindre à Chevreuse et au frère de Bellegarde Thermes, accouru de sa lieutenance de Bourgogne afin ou de surveiller en Languedoc les dernières hésitations de Montmorency, ou d'arrêter vers la Bresse la marche des princes de Savoie s'acheminant sur Metz par les Alpes, la Bresse à Neuchâtel[16].

 

En ce qui est de l'immixtion des étrangers dans nos querelles intestines, Luynes, d'ailleurs, y avait pourvu par la diplomatie autant que par les armes. Et tout en déclinant leurs offres de cautionnement, en général il les amenait doucement à ses fins. Nous avons déjà fait voir, et Luynes avait de longue date reconnu que ces mêmes princes de Savoie, à savoir le duc Charles-Emmanuel et son fils Victor-Amédée, étaient ses plus redoutables ennemis. Il n'y avait sortes d'embarras que ne leur suscitât sous main leur ambassadeur Frésia. Tout récemment encore, un des pamphlétaires aux gages de Marie de Médicis, à propos de la condamnation judiciaire encourue par un de ses libelles lancé contre le favori du jour, avouait y avoir été poussé par cet artisan de complots dont le vrai emploi, affirmait-il comme de source certaine, était d'attirer les mécontentements de la reine-mère et des d'Épernon, des Soissons et des Mayenne, et dont il produisait même une dépêche chiffrée des plus compromettantes. De là, presque entre les cieux cours de France et de Savoie, une rupture imminente depuis le voyage à Angoulême de Victor-Amédée et qui, lors de la fuite des Soissons, au Louvre se déclara par l'expulsion de Fresia. Mais ce n'était pas assez de couper à Paris le fil des menées déloyales poursuivies sous le couvert de la diplomatie. Concurremment à cette exécution, Luynes, bien digne de faire la partie de Charles-Emmanuel, envoya en Piémont Marossani sous prétexte d'accommoder les différends entre le duc de Savoie et son voisin de Nice le comte de Bueil. Mais au fond, suppléant à l'incapacité ou à la trahison de l'ambassadeur de France à Turin Claudio Marini, il devait pénétrer les intelligences de la cour de Turin avec celle d'Angers, et rechercher par quelles mains elles passaient. D'ailleurs Marossani n'était là que l'auxiliaire d'un homme qui relevait de l'autorité d'un grand nom et du meilleur aloi de probité un rôle à la fois de surveillance et de conciliation. Nous avons vu le maréchal de Lesdiguières attacher son nom au compromis passé entre la cour et l'Assemblée de Loudun. Par une suite des mêmes sollicitudes d'arbitrage, échangeant ce premier théâtre d'entremise adapté à sa phase de transition religieuse (car nous touchons à l'abjuration de Montpellier) contre le nouveau théâtre où le conviait son assiette territoriale, Lesdiguières alla jusqu'à Turin sonder de près les dispositions de Charles-Emmanuel. Car nul ne pouvait capter plus sûrement sa confiance que le vieux gouverneur du Dauphiné. Et, en effet, quels épanchements le duc de Savoie lui pouvait-il refuser en retour de la protection d'équilibre dont ce vieil élève d'Henri IV l'avait entouré dans son marquisat de Montferrat, à travers ou plutôt malgré la régence et par la seule vertu de son autonomie, contre les envahissements de l'Espagne ? Mais dans la loyauté de son ingérence vis-à-vis de Charles-Emmanuel, Lesdiguières, en sondant ses dispositions, les voulait rectifier ; et vis-à-vis de la cour de France il en dénonçait moins l'aigreur qu'il n'en garantissait la droiture au prix d'utiles ménagements suivis de la sincère exécution des promesses datant du mariage de Christine dé France avec le prince Victor-Amédée. Il n'en fallut pas davantage pour incliner de ce côté l'oreille de Luynes, si défiant d'ailleurs à l'égard de toute autre entremise. Car on ne lui pouvait parler ni du jésuite Monod, confesseur de la reine Christine, qui eût voulu amener à la cour de France le cardinal de Savoie Maurice ; ni du comte de Moret Agaffino qui se portait caution de Frésia. Mais par contre, Luynes ne demandait qu'à complaire à un homme .trop hésitant dans son évolution religieuse, à la veille des campagnes de .Montauban et de Montpellier, pour qu'on négligeât ses ouvertures. D'ailleurs que pouvait-on refuser au glorieux maréchal à qui l'on allait jusqu'à montrer déjà l'épée de connétable ? Ajoutons qu'au Louvre on dut s'estimer trop heureux d'atténuer par l'octroi des avances proposées le fâcheux effet de l'inévitable départ de Frésia. Bref, sur les représentations de son illustre mandataire, et en attendant de plus amples satisfactions diplomatiques, on versa de suite au prince Thomas Carignan et au cardinal de Savoie les arrérages échus des pensions par eux stipulées lors du mariage de Christine[17].

Si, parmi tant d'avances ou de rigueurs et jusqu'à travers l'entremise de Lesdiguières, la maison de Savoie intriguait pour le renversement du favori qui l'avait sevrée de toutes les illusions attachées d'abord par lui-même à la communication du sang de France, on n'en devait pas moins attendre, ce semble, de la cour de Madrid, pour qui l'avènement de Luynes était la condamnation des mariages espagnols. Mais par la recherche des alliances matrimoniales avec la Savoie et l'Angleterre, Luynes, avons-nous dit, poursuivait diplomatiquement moins une œuvre de réaction que d'équilibre, moins un système d'agression que de légitime défense. Moins appliqué à prévenir dans leur principe qu'à réprimer au fur et à mesure les attentats de la maison d'Autriche, Luynes prenait son parti des mariages d'Espagne une fois consommés, en vivant au jour le jour avec cette rivale traditionnelle de la France sur un pied d'inoffensif voisinage. Aussi, de son côté, la maison d'Autriche s'accommodait de ce régime d'une timide modération. De peur de risquer dans le hasard des révolutions le retour dé ce qui s'était inauguré coutre elle sur le champ de bataille de Fontaine-Française et dans le protectorat des duchés de Clèves et de Juliers, elle n'entretenait chez nous les discordes intestines que juste assez pour les perpétuer, afin d'user par là nos forces vitales, ainsi qu'elle avait essayé sous la Ligue et ainsi qu'elle l'entreprendra sous la Fronde. Par un durable souvenir, en même temps que par une opportune interversion de ses agissements de la Ligue et par anticipation des intrigues de la Fronde, en 1620 l'Espagne au midi soudoyait l'insurrection calviniste du duc de Rohan, tout en favorisant dans les Pays-Bas, sous le couvert du général Spinola, les recrutements de Barbin à Liège et le désarmement de Metz. D'autre part, en contre-partie de ces fomentations souterraines aux deux extrémités de la France, et par un reste d'attache aux errements de la régence retournés contre celle qui avait négocié les mariages espagnols, la cour de Madrid autorisait sous main tout en se réservant de désavouer au besoin la promesse d'un secours de dix mille chevaux donnée par l'archiduc Albert à l'ambassadeur de France à Bruxelles. Mais cette tactique intéressée de bascule n'échappa point aux vieux ministres d'Henri IV et surtout à Sillery qui, d'ailleurs, là-dessus et dans sa propre atmosphère de débilitation politique, déployait beaucoup plus de flair que d'orgueil. Rendons justice à Luynes. Ce n'est certes pas lui, si inflexible à l'égard des cautionnements étrangers, qui eût, avec l'ancien négociateur de la paix de Vervins, sollicité de l'ambassadeur d'Espagne, par l'intermédiaire du nonce Bentivoglio, l'intervention directe et suivie de son gouvernement dans nos querelles intestines en faveur de Louis XIII contre Marie de Médicis, en rappelant là-dessus, comme un précédent de réciprocités, notre intervention directe dans les troubles de la Bohème en faveur de l'empereur d'Allemagne Ferdinand II. Une aussi piètre démarche était au fond un trop manifeste aveu de notre faiblesse pour n'encourager pas la cour de Madrid à notre égard dans son système d'une entremise perfidement conservatrice ou, pour mieux dire, en ses combinaisons tacitement corrosives. Aussi tout ce que les exhortations transmises de la nonciature de France par celle de Madrid au confesseur de Philippe III aboutirent de sa part, à l'adresse de celle avec qui il avait échangé au pied des Pyrénées Anne d'Autriche contre Élisabeth de France, aux exhortations pacifiques de la stérilité la plus calculée[18].

Trop faible ou trop timide, ou trop naturellement bienveillante pour exploiter ou entretenir nos divisions comme les cours de Savoie ou d'Espagne, au moins la cour de Florence fut assez habile pour y conformer le parallélisme ou l'alternance de ses avances. A cet égard d'ailleurs, ce fut pour le grand duc de Toscane une assez rude leçon que les rigueurs d'abord exercées à Blois depuis la chute de Concini contre l'entourage florentin de Marie de Médicis, et qui, après le supplice d'Éléonore Galigaï, y atteignirent coup sur coup dans leurs agences de cabales, pour les immoler ou pour les disperser, l'ambassadeur Arsini, les frères Sitti, l'archiprêtre d'Auzzo Nardï[19]. Aussi, à quelque degré qu'il ait trempé dans ces intrigues subalternes, le grand-duc, par là si sévèrement averti, les désavoua, ou s'en détacha juste assez pour renier toute complicité avec Marie de Médicis sans rompre avec elle. De là, lors des réclamations financières adressées d'Angers à Florence par l'organe des agents Ludovisi et Gamorino, le moyen terme adopté, comme nous avons vu, à l'effet de satisfaire la reine-mère sans armer ses griefs. Et même, lorsqu'après avoir tiré de l'entremise angevine de Bartholini sous la recommandation du nonce tout le parti possible, Luynes lui eut montré finalement le chemin de l'Italie, ainsi qu'il avait fait à Fresia le chemin de la Savoie, on se demanda si le grand-duc n'avait pas d'avance et de guerre lasse souscrit à cette nouvelle exécution diplomatique, en se résignant à l'impassibilité dans ses expectatives avunculaires[20].

 

Ainsi, au milieu de l'année 1620 et aux confins du royaume (sans parler de l'égoïsme britannique), toutes les puissances de l'Europe guettaient avec plus ou moins d'impassibilité, mais toutes aussi attentivement l'issue de notre querelle intestine, que va précipiter l'arrivée en Anjou des Soissons et non certes (ainsi que nous pouvons déjà l'entrevoir) à l'avantage de Marie de Médicis. Car à peine Anne de Montafié a-t-elle franchi le seuil de l'apanage transformé par elle en place d'armes, qu'à son égard se réalisèrent ces pronostics du président Jeannin qui lui avaient été, pour ainsi dire, une porte de sortie. Et en effet, en regardant de près tout ce qui, au Logis-Barrault et à l'occasion de sa venue, s'agite autour d'elle, on n'aperçoit qu'un état-major confus et bruyant, compact et mesquin ; une cohue tumultueuse échappant à tout classement de hiérarchie. On y voit se heurter tous les régimes et toutes les castes ; réformés et ligueurs, émeutiers et royalistes, hommes d'épée et d'église, pamphlétaires et agents de cabales. On y avise pêle-mêle des épaves de toutes les coalitions de la régence. Car tous ces grands seigneurs affluant aujourd'hui en Anjou, dans la lice ouverte depuis le décès d'Henri IV entre l'autorité royale en tutelle et les réactions féodales s'étaient tous, en leurs allées et venues d'un camp à l'autre, croisés dans leurs migrations de transfuges. Aussi, dans chaque courtisan déçu qui vient journellement grossir de son contingent de circonstance les rangs du parti de la reine-mère, entrevoit-on déjà, dès que sa convoitise y aura reçu sa pâture, un déserteur du lendemain. Dans cette fluctuation indisciplinée, et dans ce caquetage étourdissant, personne n'a assez d'espace et de jour pour y étaler des idées générales. En fondant tous à la fois sur les rives de la Loire avec leurs griefs de cour, les grands seigneurs en poursuivent moins le redressement qu'ils n'en effectuent la transposition sur un plus libre théâtre ; et ainsi se renouvellent en Anjou tous les conflits du Louvre. Entre les princes de sang c'est toujours la proximité du degré aux prises avec la légitimité de la naissance ; et dans toute l'étendue de cette aristocratie de rebelles, c'est l'importance des parvenus s'attaquant au prestige héréditaire. Ici les grands seigneurs se disputent les emplois militaires, et là les prélats briguent à l'envi des ambassades.

Mais les principes de division apparaissent surtout dans chaque groupe insurrectionnel. En ce qui est des Soissons, Luynes y avait réparti soigneusement les fomentations désagrégatives de jalousie, en y autorisant d'une part, à l'égard du duc de Longueville et à l'encontre de sa belle-mère et des Vendôme, l'entremise maternelle et avunculaire des Nevers ; et d'autre part, en affichant à l'encontre du grand-duc de Vendôme et au profit de son frère le grand-prieur l'offre par lui non répudiée, même après sa fuite, d'une riche abbaye s'ajoutant entre ses mains à celle de Marmoutiers. En ce qui est des Savoie, une cruelle déconvenue matrimoniale avait trop récemment indisposé et même armé le jeune Nemours contre la branche aînée de sa maison, pour qu'entre lui et le duc Charles-Emmanuel la première dissension ne ravivât pas gravement un si aigre souvenir. Et à l'autre extrémité de ce groupe quadrangulaire où s'étayait tout le parti angevin, non seulement Luynes avait détaché du duc de Mayenne son beau-frère d'Ornano par la promotion à l'Ordre du Saint-Esprit et l'offre d'un commande-nient sur nos frontières orientales. Mais dans la seule hypothèse d'une émigration méridionale de Marie de Médicis, nous avons entrevu sous les noms d'Épernon et de Mayenne un conflit de revendications entre les deux privilèges de l'initiative du protectorat et de l'inexpugnabilité du refuge. Et en suivant le développement de la propagande insurrectionnelle jusqu'aux confins de l'hétérodoxie, on croit voir se dresser déjà entre le duc de Mayenne et les protestants du Languedoc les remparts de Montauban, aussi bien qu'entre le duc d'Épernon et les huguenots de la Charente les remparts de la Rochelle. En pénétrant même jusque dans le quartier-général de la réforme, on voit la candeur, les élans chevaleresques et la franchise du duc de Rohan détonner à la fois avec la duplicité du duc de Bouillon et le désabusement d'Agrippa d'Aubigné. D'ailleurs les ducs de Rohan et de Bouillon, ces deux chefs de deux générations de protestants, ne pouvaient abdiquer l'un devant l'autre, qu'en oubliant l'antagonisme qui les avait héréditairement séparés depuis l'échec infligé par Sully au duc de Bouillon sous les murs de Sedan, jusqu'à la revanche obtenue par le duc de Bouillon sur Rohan à l'Assemblée de Saumur. Dans ce même état-major du protestantisme, Rohan, d'ailleurs, ne voyait-il pas encore s'ériger contre lui un autre principe de rivalité en la personne du duc de la Trémouille, qui venait de lui disputer la préséance aux États de Bretagne ?

Tant de germes ou tant de menaçants souvenirs de divisions ne pouvaient s'absorber que dans une haine contre Luynes assez forte et assez générale, à défaut d'un principe bien déterminé, pour soulever les masses. Mais le nom de Luynes, si malsonnant aux oreilles de la haute aristocratie ou supplantée ou négligée dans les envahissements du favoritisme, n'éveillait au cœur des populations, autres que celles de Paris, pas plus d'antipathies que d'enthousiasmes. Sa politique, une politique non pas d'initiative ou de réaction mais d'équilibre, n'était ni anguleuse comme celle de Richelieu, ni pesante comme celle de Mazarin. Il n'y avait non plus en sa timide personne rien de l'éclat offusquant d'un maréchal d'Ancre. Aussi sa mémoire était destinée à tomber bien plus dans l'indifférence que dans la réprobation ; et, si un jour on surprendra des valets jouant aux dés sur son cercueil abandonné, nul n'y viendra lacérer ses dépouilles.

Ainsi, si nulle sympathie décisive n'attirait vers le favori du jour, au moins il ne s'érigeait pas sur les degrés du trône en pierre d'achoppement. A cette date de 1620, rien n'éloignait la vraie France de ce glorieux point de ralliement qui à nos yeux, et de siècle en siècle, va de plus en plus s'y dégageant de chaque crise sociale, depuis la guerre de Cent Ans jusqu'à la Fronde. Le nom du Roi ! Voilà le talisman où adhère tout ce que Luynes a victorieusement disputé à Marie de Médicis, non pas en captant, mais en divisant de proche en proche chaque groupe social ou chaque grande famille. Ici les Condé opposés aux Soissons et aux Vendôme ; là les Nevers aux Longueville, ou les Guise, les Joinville, les Montpensier et les d'Elbeuf aux Mayenne ; ou encore les Bellegarde aux d'Épernon. A Paris, les transfuges de la cour d'Angoulême retournent leurs menaces contre le Logis-Barrault ; et au Logis-Barrault Richelieu contremine Chanteloube. Plus loin, la presque unanimité des compagnies judiciaires, ainsi que nous l'allons voir, prime décidément la faction des Bourgthroude. Et, jusqu'au sein du protestantisme, les Lesdiguières et les Duplessis-Mornay contrebalancent les Rohan et les Châtillon, les Bouillon et les La Trémouille.

Bref, c'est avec une légitime assurance qu'au lendemain de la fuite des Soissons, le jeune Louis XIII, appuyé sur la presque intégralité de nos forces vives, et les relevant de son souverain prestige, entrait en campagne contre Marie de Médicis par le chemin de la Normandie.

 

 

 



[1] Avec le titre de grand écuyer.

[2] La future duchesse de Longueville. — Pour resserrer même davantage l'union entre Condé et Luynes, on avait un instant songé au mariage de la princesse douairière d'Orange, sœur du prisonnier non encore libéré de Vincennes, ou avec Cadenet, ou avec le duc de Montbazon. Mais ce projet n'eut aucune suite.

[3] Avec qui il partageait le titre de grand officier de la couronne. — Le duc de Montbazon, il est vrai, prit ombrage de l'introduction, par son gendre au conseil, des ducs de Guise et de Bellegarde, sans doute comme y formant un élément de conciliation incompatible, avec le développement de leur représentation de famille. Son dépit même le tint quelque temps éloigné de la cour. Mais, pour l'y ramener, il suffit de l'intervention du père Arnoux.

[4] Richelieu, t. XXI, p. 195. — Pontchartrain, p. 411. — Fontenay-Mareuil, p. 146. — Mercure français, t. IV, p. 268. — La Nunz di Fr., 3, 4, 17 et 29 janvier ; 9, 16 et 23 mai ; 17, 20 et 29 juin et passim. — Vitt. Siri, pp. 82, 102, 111, 112, 149. — Arnaud d'Andilly, t. III, f° 2, 4, 9. — Mém. de Mathieu Molé, t. I, p. 232. Bibl. nat. 36, 1370 : Coppie de la seconde lettre escripte au Roy par Monsieur le duc de Mayenne de Bourdeaux, le 8 avril 1620. — Eod. : Lettre escripte par Monsieur le duc de Mayenne à Monsieur de Luynes, pour responce à celle qu'il lui avoit escrite, a dattée 8 avril 1620, p. 8. — Marillac, p. 7. — Dispacc. degl. amb. ven., 9 et 21 janvier ; 16 et 18 juin ; 14, 20 et 28 avril ; 12 mai ; 3, 7 et 9 juin ; 2, 7, 14 et 16 juillet. F. divers, 25,022 : Faultes remarquées en l'histoire de Louis 13e, p. Scipion Dupleix, p. Mons. de Bassompierre, f° 74. — Arch. des aff. étr. ; F. fr. 773, f° 12-15. — Roncoveri, pp. 307, 309. — Gramond, pp. 289-291. — Levassor, t. III, 2e partie, pp. 511, 546, 547, 564, 565 et passim. — P. Griffet, pp. 260 et 269. — Bazin, pp. 365 et 368. — Mme d'Arconville, t. III, pp. 47, 48, 50. — V. Cousin, juin 1861, pp. 248-249 ; juillet, p. 249 ; septembre, pp. 536 et 537. 540, 543. Bouillé, Hist. des ducs de Guise, pp. 385 et 387. — Girard, Vie du duc d'Epernon, pp. 347 et 349. — Le duc d'Epernon, 1554-1642, par le marquis de Dampierre. (Paris, A. Picard, 1888, in-8°), passim. — Jehan Louvet, passim. — P. Anselme, Histoire généalogique de la maison de France, t. IV, pp. 312-313.

[5] Marillac : [Le duc de Montbazon] eut prompte réponse... en voicy la substance [en grande partie.] La Reyne... est bien disposée daller trouver le Roy, pourvu que ce soit à Paris où mieux qu'ailleurs il pourra mûrement délibérer de ce qu'il aura à faire en telle occurrence, mais à condition qu'il lui plaise rebrousser chemin de sa part, dautant qu'en telle conjoncture les honneurs de luy reçeus au devant, luy estoient très-suspects. Partant que Mons. l'ambassadeur aye à repartir sur l'heure pour faire diligence telle, que le Roy ne passe point Orléans.

[6] V. Pièces justificatives n° VII.

[7] Marillac : [Par le retour du roi d'Orléans à Paris] la faveur avait perdu une infaillible occasion de meure toutes ses craintes à couvert, car sy, sans s'arrester à Orléans, elle se fût seulement laissée emporter à la diligence de Loyre aveq sa suitte, les portes d'Angers eussent été à elle, sans contredit, avant le réveil de la Reyne... Faulte que M. de Luynes vendit de faire en la perte d'une si favorable occasion. Chacun étoit d'accord qu'il reculoit pour mieux sauter. — Richelieu, pp. 43-44, 47. — Pontchartrain, pp. 411-412. — Fontenay-Mareuil, pp. 44-15. — La Nunz. de Fr., 20 novembre 1619 : 8 et 22 avril, et 6 mai 1620. — Lettres de Bentivoglio, 16 et 19 avril, et 1er mai. — Vitt. Siri, 2e partie, pp. 89-90, 92, 95, 99, 154, 163 et 180. — Ph. de Mornay, p. 259. — Arnauld d'Andilly, f° 5. — Marillac, pp. 9-11. — Dispace degl. amb. ven., 14 avril. — Fonds divers, 25 022, Faultes remarquées, etc., f° 73. — Arch. des aff. étr. F. fr. 773, f° 213 : Instructions de M. le duc de Montbazon quand il vint à Angers en 1620 (v. aux pièces justificatives, n° VIII), et f° 10, 208 et 213. — Rec. de pièces, etc., p. Matth. de Mourgues : Lumières pour l'hist. de France, p. 31. — Roncoveri, p. 306 et passim. — Gramond, pp. 283 et 281. — Dupleix, pp. 123, 133 et 134. — Levassor, t. III, 1re partie, pp. 417, 470, 471, 476 et 542. — Griffet, pp. 255 et 256 — Bazin, pp. 363 et 364. — Mme d'Arconville, t. III, pp. 32, 38, 39, 40. — V. Cousin, octobre 1861, p. 254. — Vie du Cardinal de Richelieu, pp. 62-64. — Avenel, p. 102. — Arch. nat., cartons de l'Oratoire, p. 19.

[8] Marillac : Cet ambassadeur [Blainville] nourry à la cour dès le berceau, et partant accort et subtil, avait pour principal ordre la reconnoissance des desseins de la Revue et de ses forces, le débauchement de ses serviteurs, la jalousie de ses amys et alliez, par son séjour, et ses conférences, faisoit aller sa négociation en longueur, débitoit ses marchandises à diverses fois, et vouloit passer partial de la Reyne, comme son obligé de vieux temps et véritable serviteur de son maître.

[9] Peut-être aussi Marie de Médicis avait-elle en vue les archiducs des Pays-Bas. — Marie de Médicis avait même invoqué, dans cette partie de la noblesse de France encore fidèle au roi, la caution du duc de Guise. Mais il déclina hautement cette entremise et dès lors de ce côté la reine-mère n'insista plus.

[10] V. pièces justificatives n° IX.

[11] Marillac : Blainville, jaloux de la négociation [du cardinal de Sourdis], et prétendant en profiter, avait avancé son retour de sept ou huit journées, porteur, se disait-il, de meilleures nouvelles, ou plutôt impatient d'en savoir de tous les deux costez, il eût bien voulu, pour gagner du temps, attendre à parler que les courriers envoyez par la Reyne vers ses amys, sur le sujet de son premier voyage, eussent revenuz. Mais Monsr de Lusson n'en fut pas d'accord, l'attente eut esté trop longue, et le séjour d'un sy bon espion trop dangereux... Blainville eut toujours un meilleur esprit que le sien en teste ; ce fust aveq Monsr de Lusson qu'il eut à lutter, et partout il emporta bien moins de nouvelles qu'il n'en laissa.

[12] Marillac : [Durant le deuxième voyage à Angers de Blainville], il ne fut pas assez habile homme pour empescher que ceux mesmes qui l'avoient envoyé n'en eussent de la jalousie. C'est ce qui amena le bon duc de Montbazon assez tost après luy, non comme plus fin, mais comme son espion, et pour servir à son gendre d'ostage vers la Reyne, des conclusions qu'il ne prétendoit jamais ajuster. En dépit de ce que nous avance ici Marillac, eu égard au peu d'habileté dont le duc de Montbazon avait fait preuve dans la dernière ambassade. il nous semble difficile qu'on l'ait adjoint à celle de Blainville, à un autre titre qu'à celui d'un loyal et considérable otage.

[13] Richelieu, pp. 46-47, 50, 65. 91-92. — Lettres du Cardinal de Richelieu (publ. Avenel), pp. 588 642 et 649. — Pontchartrain, pp. 411-414. — Bassompierre, p. 130. — Fontenay-Mareuil, p. 146. — La nunz. di Fr., 22 avril ; 13 et 20 mai ; 3, 17 et 20 juin ; 13 et 29 juillet 1620. — Lettres du cardinal Bentivoglio, 17 mai. — Merc. fr., t. IV, pp. 271 et passim. — Vitt. Siri, pp. 87, 89, 93, 95, 99, 103-104. 106-111, 115-119, 137-138. 189. 300. — Lettres et mém. de Ph. de Mornay, t. IV, 3 et 10 juin. 10 juillet et passim. — Vie de messire Philippe de Mornay, pp. 525-526, 531. — Journal d'A. d'Andilly, n° 6, 9 et 10. — F. Colbert, 98, pp. 68, 70-71. — Marillac, pp. 5-6, 9, 13, 15, 18, 21, 22, 23, 24. — Dispacc. degl. amb. ven., 6, 12 et 20 mai ; 23 juin. — Propositions del signor de Bleuville alla Regina Madre et sue disposti cavale e tradotte del francise allegata, n° 101 du 26 mai. et 9, 17 et 23 juin. — Arch. des aff. étr., F. fr., n° 272, f° 244, 249-252 ; 773, f° 1, 11 et 19, 50. (Pièces justificatives n° X) ; 54, 56, 64, 205-209, 213-216. — Roncoveri, pp. 307-309, 311-312, 317. — Malingre, p. 610.

[14] Sans qu'on puisse d'ailleurs, à cet égard et avec Levassor, soupçonner d'aucune connivence avec les Soissons l'incorruptible officier de l'armée de Champagne.

[15] Richelieu, pp. 66-67. — Pontchartrain, pp. 413-416. — Bassompierre, pp. 130-132. — Fontenay-Mareuil, p. 147. — La nunz. di Fr., 6 et 20 mai, 1er juillet. — Merc. fr., pp. 281-284, 322, 368. — Vitt. Siri, pp. 105-106, 130, 135, 151-152. 156-157, 162, 202. — A. d'Andilly, f° 10. — Bibi. nat, LB. 36, 1431. — Marillac, p. 26. — Dispacc. degl. amb. ven., 23 juin, 2 et 7 juillet, 4 et 22 août. — Ludocici Iterarium, p. 3. — Extrait des véritables relations de ce qui s'est passé de jour en jour au passage du Roy (Société des bibliophiles normands, Rouen, 1859, p. 15.) — Le voyage du Roy en Normendie (eod.). Annexe au précédent écrit ou extrait des véritables relations de ce qui s'est passé de jour en jour au voyage du Roy, pp. 15-18. — Roncovert, pp 307-312, 316-17. — Gramond, pp. 291-292. — Malingre, pp. 620, 621-623. — Dupleix, p. 134. — Levassor, pp. 547, 575-576. — Griffet, pp. 250, 259. 260. — H. Martin, p. 160. — Dareste, p. 651. — Mme d'Arconville, pp. 51-52. 55-57. — Vie du cardinal-duc de Richelieu, pp. 61, 75. — V. Cousin, 1861, septembre, pp. 563, 564 et passim ; octobre, pp. 627, 629, 635 ; novembre, pp. 714-15 ; mai 1862, p. 305. — Hist. du parlement de Rouen, p. Floquet, pp. 347-349.

[16] Pontchartrain, pp. 112-413, 415. — Bassompierre, pp. 130, 132-134, 136-138. 155. — Fontenay-Mareuil, pp. 147-148. — Rohan, p. 516. — La Nunz. di Fr., 28 mai, 21 juin, 15 juillet. — Mercure fr., pp. 275 et 281. — Vitt. Siri, pp. 300-301. — A. d'Andilly, f° 11 et 14. Lb., 36, 1434 et 1436 passim — F. fr., divers, 250,022, f° 74 ; n° 3811, f° 36 et 61 et 3819, f° 1 et 2. — F. Colbert, Housseau, t. XXX, passim. — Dispacc. degl. amb. ven., 7, 14 et 28 avril, 22 juillet. — Arch. des aff. étr., n° 773, f° 64 et 87. — Matth. de Mourgues. Rim., p. 20 — Ludovici XIII Itin., pp. 7 et 8. — Roncoveri, pp. 316-317. — Matth. de Mourgues, Romonstr., etc., p 20. — Gramond, p. 285. — Dupleix, p. 134. — Malingre, pp. 624, 641. Levassor, pp. 510, 562, 565, 576, 583. — Griffet, p. 360. — Bazin, p. 336. — Mme d'Arconville, p. 56. — Vie du cardinal-duc de Richelieu, p. 711. — V. Cousin, juin, p. 349 ; septembre, p. 540 : novembre, pp. 711. 712-715. — Lettres et Mém. de Ph. de Mornay, pp. 312-313, 375-376, 378-379, 381, 386, 387, 389, 533, 578, 628, 645. — Vie de messire Philippes de Mornay, pp. 532-539.

[17] La Nunz. di Fr., 17 juin, 1er et 9 juillet, 11 août 1620. — Vitt. Siri, pp. 111, 113-116. — Dispacc. degl. amb. ven., 31 mars, 24 juin. — Levassor, pp. 510 et 515. — V. Cousin, septembre 536.

[18] La nunz. di Fr., 27 mars, 10 et 24 avril, 8 et 22 mai, 17 juin, 29 juillet, allegata des 22, 23 et 30 mai. — Vitt. Siri, pp. 114-115, 127, 132-135, 141, 144, 177, 178. — Ronconveri, p. 282. — Levassor, p. 545.

[19] En exceptant, ce semble, de leurs rigoureuses exécutions l'entremise par trop inoffensive du P. Augustin-Etienne Arbino, provincial de Toscane et aumônier de la Grande-Duchesse, et qui correspondait en chiffres avec Richelieu.

[20] Richelieu, pp. 45 et 69. — La Nunz. di Fr., 2 et 7 janvier, 12 et 26 février, 25 mars, 14 avril, 3 juin, 5 août et passim. — Vitt. Siri, pp. 130, 131, 135, 140, 257. — Marillac, p. 15. — Arch. des aff. ét., n° 772, n° 119 et F. fr. 773, f° 182.