RECONSTITUER le décor de Versailles autour de la figure historique la plus séduisante et la plus célèbre est une tâche qui doit retenir quelque temps l'historien de ce palais. Mais, pour traiter dans son ensemble la question des appartements de Marie-Antoinette, il convient de remonter aux dernières années de Louis XV et d'ajouter un supplément à l'étude des travaux exécutés pendant son règne. On établira ensuite la succession des créations charmantes que la Reine a ajoutées à celles des règnes précédents et qui servent à faire mieux connaître l'intimité de sa vie. Le mariage projeté du Dauphin avec une archiduchesse d'Autriche fit comprendre parmi les travaux de 1769 et 1770 la restauration des deux appartements, situés l'un au-dessous de l'autre, qu'on destinait aux futurs époux. Le manque de fonds fut alors, sur ce point comme sur tant d'autres, l'occasion de retards continuels. Les entrepreneurs des Bâtiments du Roi menaçaient sans cesse de quitter les chantiers, s'ils ne recevaient de quoi payer leurs ouvriers. Pour tous les ouvrages commencés à cette date à Compiègne, à Fontainebleau et à Versailles, notamment pour la salle de spectacle nécessaire aux fêtes du mariage, on voyait se produire les mêmes réclamations. Au 31 décembre 1769, le menuisier des deux appartements n'y avait pas encore mis ses hommes. M. de Marigny finissait par obtenir de l'abbé Terray un acompte de 10.000 livres pour empêcher l'abandon des travaux. Comme le Roi l'avait craint, l'appartement de la jeune Dauphine n'était pas prêt pour la recevoir à son arrivée, et il fallut l'installer au rez-de-chaussée, avec tous les ennuis du provisoire. Une complication survint dans la chambre à coucher des reines, où l'on s'aperçut que le plafond menaçait ruine. Lécuyer écrit à M. de Marigny, le 21 juillet 1770 : En faisant une ronde sur les ouvrages et après avoir eu bien examiné le plafond de la pièce qui doit faire la chambre à coucher de Madame la Dauphine, où l'on avait commencé à y mettre des gratteurs, j'ai cru devoir les faire cesser, pour éviter un travail inutile, n'étant pas possible d'éviter de refaire à neuf ce plafond, les peintures, sculptures et plâtres s'en trouvant absolument usés et pourris. C'est une dépense de 50.000 livres au moins, autant qu'il est possible d'en juger, que l'on pourrait faire à l'aise pendant le courant de cette année et les trois premiers mois de la prochaine, cette princesse se trouvant bien de l'appartement du bas qu'elle occupe actuellement. Marigny note sur le rapport : Mettre sous les yeux du Roi, et Sa Majesté ordonne aussitôt la réfection entière du plafond de Gabriel. Parmi les projets présentés, celui qu'on adopte conserve en place, sans toucher à leur bordure, les peintures en camaïeu de Boucher[1]. C'est sur les instances de Gabriel lui-même que les grandes lignes de son ancien ouvrage sont maintenues ; car, un moment, il fut question d'un plafond plat, carré et entièrement blanc, avec une frise dorée et une simple rose au milieu. Marie-Antoinette, consultée et conseillée, comme on dit déjà, par ses entours, accueille le projet le plus promptement réalisable. Sa réponse est un ordre, niais un ordre fâcheux, que Gabriel ne semble pas se presser d'exécuter. On comprend l'impatience de la jeune Dauphine désireuse de prendre possession de la chambre royale ; on excuse aussi celle des darnes de sa maison, et notamment de la comtesse de Noailles, sa darne d'honneur, dont le service est à la fois compliqué et amoindri par une installation insuffisante. Mais on partage les soucis d'artiste de Gabriel, qui repousse un projet mesquin, indigne de l'importance de la pièce et mal accordé avec l'ensemble du grand appartement. On trouve ces hésitations dans les rapports adressés à M. de Marigny, sur les travaux alors poursuivis dans le service de Versailles : 8 août 1770. — Monsieur, .... Les nouvelles cuisines de Trianon sont aussi bien qu'il est possible et j'espère qu'on pourra en faire usage au retour de Compiègne. Les bains du Roi sont aussi très bien, y travaillant avec toute la diligence possible, ainsi qu'à ceux de Monseigneur le Dauphin et aux Petits Cabinets de Madame la Dauphine. — Quant au plafond de la chambre à coucher de cette princesse, qui était celle de la Reine, pour lequel je vous ai demandé en dernier lieu 4 à 5.000 livres par mois, quoique M. de Montucla me demande un état de proposition de cette somme pour le premier payement, il ne m'est pas possible de le lui donner que je ne sache si on le fera avec tous les ornements qui y sont ou si on n'y observera qu'une riche frise avec une rose au milieu, ce qui coûterait beaucoup moins et serait plus tôt fait. Madame la comtesse de Noailles l'a proposé à Madame la Dauphine, qui est de son avis ; je viens d'en écrire à Ni. Gabriel pour en savoir la décision avant d'y faire commencer. 19 août. — Monsieur, .... J'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint le détail pour les ornements et dorures du plafond de la Chambre à coucher de Madame la Dauphine, que M. Gabriel a chargé le sieur Rousseau et le sieur Brancour de lui faire, par lequel vous verrez que ma demande de 50.000 livres n'était point trop forte... L'on va meubler la chambre des bains de Madame la Dauphine, et les peintres ainsi que les doreurs achèvent ses Cabinets ; ceux de Monseigneur le Dauphin vont bien aussi.... 3 septembre. — .... Monseigneur le Dauphin et Madame la Dauphine sont on ne peut plus contents de leurs appartements. Ils ont demandé pourquoi on ne travaillait pas au plafond de la chambre à coucher en question. M. Gabriel étant toujours dans le sentiment de le rétablir dans le même goût qu'il est, pour être uniforme à ceux des pièces qui y joignent, au lieu de le faire plat avec une frise dorée au pourtour comme on l'a proposé, n'attend que vos ordres sur cela. A ce qu'il m'a dit, il est très important que vous vouliez bien les lui donner au plus tôt pour profiter du reste de la belle saison, d'autant que cette princesse sera obligée de coucher dans cette chambre le jour du mariage de Monseigneur le comte de Provence. J'ai eu l'honneur de vous en écrire le to du mois dernier et qu'il fallait six mois pour le faire[2]. Cependant Marie-Antoinette perd patience ; dès cette
époque apparaît en elle ce caractère emporté qui n'admet aucune résistance.
Comme elle veut occuper sa chambre, elle accepte le plafond blanc, mais à la
condition qu'il soit fini sur-le-champ. Elle en fait écrire par la comtesse
de Noailles au directeur général, sur un ton qui n'admet point de réplique.
Celui-ci ordonne à Gabriel de commencer ce plafond avec le moins de dépense
possible ; mais il adresse en même temps à la dame d'honneur, pour excuser
auprès de la Dauphine les retards de son service, une réponse émue et d'un
grand accent de sincérité, où il révèle que la caisse des Bâtiments est vide
et que les entrepreneurs sont entravés par les dettes et la misère : J'ose espérer, ajoute-t-il, que, quand Madame la Dauphine sera informée de cette situation des
Bâtiments du Roi, elle voudra bien ne point imputer un retardement qui a été
uniquement l'effet de circonstances qu'il n'est pas en mon pouvoir de faire
cesser. Le document n'est pas à l'honneur du régime financier de Louis
XV ; mais M. de Marigny n'exagère pas une détresse qui, à plusieurs reprises,
l'hiver suivant, menacera d'arrêter tout travail chez la Dauphine. Que deviennent en cette affaire les intérêts de l'art ? Placé entre sa conscience d'architecte du Roi et les ordres de son chef appuyés sur la volonté de la Dauphine, Gabriel pourrait être embarrassé. Il n'hésite pas à envoyer au directeur général, alors à Ménars, la lettre suivante, qui fait bien connaître, avec son ton moitié officiel, moitié familier, le caractère du vieil architecte : 26 septembre 1770. — Monsieur, J'ai reçu la seconde lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 20 de ce mois au sujet du plafond à restaurer dans la chambre de la Reine destinée à Madame la Dauphine. Vous y paraissez surpris que, dans une presse telle que celle où sont les Bâtiments du Roi, je m'occupe de projets qui tendent à en augmenter la dépense. Cela n'a pas été mon idée ni mon but, j'en suis bien éloigné, puisque je suis une des parties souffrantes de la disette de fonds. Mais j'aurais cru être coupable envers vous de ne vous pas proposer, sur une réparation totale, les moyens les plus convenables aux lieux où elle se fait et dont tous les accessoires, jusqu'aux antichambres, sont au plus riche et traités en peinture. Je désirais aussi écarter un projet d'un plafond tout carré et tout blanc, proposé par les alentours du prince et de la princesse, qui aurait produit une prodigieuse dissonance. Vous vous refusez à cette proposition, Monsieur, et appuyez votre jugement de l'impossibilité d'y réussir assez à temps et d'obtenir les fonds nécessaires. Il n'y a rien à répondre à cet argument ; il nous prouve que vous continuez à sentir notre malaise. Mais il m'est nécessaire que vous ne croyez pas que je cherche et inspire la dépense. Je ne fais ni l'un ni l'autre ; mais je ne proposerai jamais, par aucune considération, de faire mal quand on peut faire bien, et mon système est qu'il vaut mieux ne rien faire. Vous m'avez donné carte blanche sur la salle [de l'Opéra], et vous avez été content ; si j'eusse été gêné, elle n'eût pas eu le même succès. Je vous demande en grâce, Monsieur, d'accueillir la dernière proposition que vous a faite M. Lécuyer pendant mon absence, de rétablir le plafond comme il était. Au moins, quand on le verra de même, il sera moins critiqué et ce sera toujours dans vos vues d'économie. .... Si ma santé peut se rétablir d'ici au premier du mois, je partirai pour Chanteloup où j'arriverai le 2. J'y séjournerai le 3 et le 4, et le 5 je passerai par Ménars, ainsi que vous me l'avez permis, d'où je me rendrai à Paris et de suite à Fontainebleau. Je prends la liberté de vous demander le temps que vous y arriverez. Je suis avec un profond respect, Monsieur... Marigny est enfin désarmé par la ténacité de l'artiste -,
la lettre porte, en effet, cette apostille : En
conséquence des représentations contenues dans cette lettre et d'une à peu
près de même date de M. Lécuyer, convenant de la dissonance que ferait un
plafond simple avec les riches plafonds du reste de l'appartement, M. le
directeur général a agréé verbalement que celui dont il s'agit fût rétabli
comme il était précédemment. Les sculptures du plafond de la Reine ont donc été refaites entièrement par Antoine Rousseau. Seul est conservé l'encadrement des quatre Boucher avec son chantournement rocaille. Dans la spirale de caissons peints, qui tourne au centre de la pièce, l'écusson du Roi et de la Reine a été remplacé par une rosace ; le treillis, qui couvre les voussures, contient alternativement une rose et une fleur de lys. Les principaux morceaux de sculpture sont aux angles[3]. Rousseau s'est peut-être inspiré de la décoration primitive, où l'on voyait des espèces de sphinx qui soutenaient un globe aux armes de France. Des couples de sphinx sont à deux angles de la pièce actuelle, mais dans une disposition différente ; les monstres féminins aux grandes ailes sont couchés auprès d'une vasque dressée sur la corniche ; ils tiennent la patte sur une boule, aux armes de France et de Navarre. Sur la vasque posent les serres d'une aigle éployée à deux têtes, au-dessus de laquelle deux amours volent et soutiennent une couronne. Aux autres angles, des lions remplacent les sphinx et flanquent un trépied supportant un double écusson aux armes des deux royaumes ; les amours et la couronne surmontent l'écusson. Ces arrangements sont enveloppés dans une ample draperie à plis frangés, qui dissimule l'arête de la voûte tout en équilibrant ces groupes compliqués. La place d'honneur surprenante accordée, dans la maison de Louis XIV, à l'aigle d'Autriche quatre fois répétée marque l'importance attribuée à l'alliance nouvelle, dont la Dauphine fut à Versailles le gage vivant. Marie-Antoinette avait trouvé, en s'installant dans l'appartement de la Reine, les cabinets intérieurs tels que les avait laissés Marie Leczinska. Elle les fit transformer suivant ses fantaisies, et on lui doit l'ensemble précieux que nous avons conservé. L'ordre dans lequel ces travaux s'accomplissent ne peut être établi que par une minutieuse confrontation des plans, des comptes d'entrepreneurs et des rapports d'architectes. Dès 1772, Gabriel est aux prises avec les exigences impérieuses de la petite Dauphine. Il s'agit d'abord d'une bibliothèque, pour laquelle sa dame d'honneur, la comtesse de Noailles, se contenterait de simples tablettes ; Marie-Antoinette ne l'entend pas ainsi et, trouvant les tablettes posées, les fait démolir sous ses yeux. Elle veut sans retard des armoires fermées, des glaces, de la sculpture. Ce n'est point à coup sûr par goût pour les livres ; mais, en ce moment, on fait des bibliothèques pour le comte et la comtesse de Provence, on en projette pour la comtesse d'Artois ; comme chacune de Mesdames possède une pièce de ce genre, la Dauphine tient à avoir la sienne. Il faut qu'elle puisse s'y retirer, pour lire, par devoir, ces graves ouvrages historiques ou moraux, désignés à sa paresse par l'abbé de Vermond, et dont l'Impératrice sa mère recevra l'édifiante énumération. L'emplacement choisi d'abord est l'atelier de peinture de la feue Reine. Gabriel, qui prévoit une dépense dépassant 15.000 livres, prend ses précautions pour les obtenir, en adressant à Marigny la note suivante, du 11 septembre 1772, à mettre sous les yeux du Roi au premier travail : Monsieur, Madame la Dauphine a dit à M. Lécuyer, dés avant le voyage de Compiègne, de lui former une bibliothèque dans un cabinet près de sa chambre. La crainte de faire un objet de dépense, dont les fonds auraient été difficiles à obtenir, et la nécessité de faire cette besogne pendant ce voyage ont fait simplifier l'ouvrage[4], de sorte qu'on s'est contenté de faire des montants et des tablettes. Madame la Dauphine, n'ayant pas trouvé cela de son goût, a fait tout démolir en sa présence. Il y a deux jours qu'elle me fit aller chez elle pour m'expliquer ses intentions ; elle veut un corps d'armoires avec des glaces et de la sculpture. Je viens en conséquence d'en faire le projet et je vais me mettre à portée d'en connaître la dépense. Comme Madame la Dauphine m'a dit qu'elle voulait jouir de cette bibliothèque au retour de Fontainebleau, je l'ai suppliée de recommander à M. le contrôleur général, la première fois qu'elle le verrait, de faire les fonds que l'on lui demanderait à ce sujet. M. Lécuyer et moi nous nous portons en avant pour remplir les vues de Madame la Dauphine ; mais nous arrêterons, si les fonds ne viennent pas. J'espère que vous ne blâmerez point cette précaution de notre part, qui anticipe des ordres que nous aurions dû attendre de vous. Je suis avec un très profond respect, Monsieur...[5] Louis XV ne savait rien refuser à la Dauphine ; malgré les embarras du Trésor, la bibliothèque fut accordée et s'acheva, en août 1773, en même temps que celle de la comtesse de Provence[6]. Au début du règne de Louis XVI, Marie-Antoinette est trop prise par ses créations de Trianon pour s'occuper en même temps des appartements de Versailles. Elle y exige quelques commodités, des aménagements secondaires, et rien de plus[7]. Mais en 1779, alors que son jardin est fini et déjà l'intéresse moins, elle commence le remaniement général de ses Cabinets. Ce n'est plus au vieux Gabriel qu'elle s'adresse, c'est à son propre architecte Richard Mique, intendant et contrôleur général de ses bâtiments, à qui elle a assuré le titre, sinon les fonctions complètes, de Premier architecte du Roi. Le directeur des Bâtiments est alors le comte d'Angiviller, qui a cherché à limiter les dépenses de Trianon ou tout au moins à en régulariser l'ordonnancement et qui a dû peu à peu céder devant Mique, l'homme de confiance de la Reine, jaloux de ses droits et de ses prérogatives. Le premier gros travail demandé à M. d'Angiviller pour les cabinets de Versailles est la réfection de la bibliothèque de Gabriel devenue insuffisante. M. Campan, à qui la Reine laisse toute liberté de choisir les livres à son goût, en a acheté un grand nombre, et ne sait où les mettre ; il faut refaire entièrement la pièce, ce qui coûtera encore 15.000 livres. Un ordre du directeur à Mique, du 4 mai 1775, donne la date de ces projets : Vous trouverez ci-joint, Monsieur, un plan ou plutôt un simple croquis d'établissement à faire pour augmenter la bibliothèque de la Reine, suivant ses désirs indiqués aux inspecteurs par M. Campan ; il paraît qu'on sera obligé d'établir en cuivre l'encadrement des glaces qui vitreront cette bibliothèque, parce que des panneaux de bois ne soutiendraient pas le poids des glaces ; mais avant tout il s'agit de disposer le projet de la manière qui sera tout à la fois et plus agréable et plus commode pour Sa Majesté, à laquelle en conséquence vous aurez agréable de soumettre lé projet que je vous prie de former[8]. Les travaux commencent pendant le séjour de la Cour à Marly, en même temps que ceux d'une niche de glaces, qui paraît être celle du grand cabinet intérieur[9]. La Reine les surveille de près, comme le montre un rapport du 26 octobre adressé à M. d'Angiviller par l'inspecteur Heurtier, chargé du département de Versailles : Monsieur le comte, La Reine est venue ce matin à Versailles ; elle est montée en arrivant à son appartement, où elle a vu M. Le Roy. Sa Majesté lui a témoigné sa satisfaction sur la bonne posture où elle a trouvé les travaux de ses cabinets intérieurs, et M. Le Roy lui a répondu que vous aviez donné les ordres les plus positifs pour que les travaux qui l'intéressent fussent absolument terminés pour le retour de Marly, et que l'on avait mis à l'exécution de vos ordres tout le zèle et toute l'activité possibles. Elle en a paru très persuadée et très satisfaite. M. Le Roy a prévenu la Reine que les glaces de la nouvelle niche ne pourraient être posées qu'après les fêtes, parce que ces glaces, qui sont extraordinairement grandes, étaient brutes lorsqu'elles ont été demandées à la manufacture et que, quelque diligence que Von ait mise à les polir et à les mettre au tain, il n'est pas possible qu'elles soient prêtes avant mardi prochain. Sa Majesté a répondu que cela lui était indifférent, puisque le meuble de son nouveau cabinet ne serait pas fait non plus pour le retour[10]. La sculpture de la bibliothèque était confiée à Rousseau et la dorure à Dutems. On utilisait une partie de la menuiserie ancienne, les tablettes, les fonds et les côtés des armoires. Tout paraissait prèt à poser en 1780. Mique écrit au comte d'Angiviller, le 14 juin, qu'on attend pour cela une absence prolongée de la Cour. Mais l'année suivante, à peine le travail terminé, la disposition générale est remise en question. La bibliothèque a été dessinée avec deux portes se faisant face, l'une donnant dans la pièce des femmes de la Reine, l'autre dans un cabinet qu'elle fait faire derrière sa chambre et qui sera sa méridienne. Elle tient à rendre les deux pièces nouvelles indépendantes l'une de l'autre, ce qui oblige à rejeter sur le côté la porte de la bibliothèque. M. d'Angiviller apprend par un rapport de son inspecteur les volontés royales : Monsieur le comte, J'ai l'honneur de vous adresser le plan du nouveau cabinet à faire pour la Reine, auquel j'ai joint celui de la bibliothèque de Sa Majesté. Comme ce nouveau cabinet nécessitera un changement de porte dans la bibliothèque et que je me suis rappelé que M. Mique est chargé du soin d'en faire une nouvelle, qui peut-être sera posée ainsi que le cabinet pendant le voyage de Marly, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous en prévenir afin que M. Mique ait le temps de faire les dispositions de la bibliothèque en conséquence de ce percement. J'ai l'honneur de vous observer, Monsieur le comte, que j'ai fait à Sa Majesté toutes les représentations possibles et convenables pour que ce changement de porte n'ait pas lieu, mais que Sa Majesté, informée que la porte existait, avait voulu qu'elle fût ouverte, désirant que le passage de sa chambre à coucher fût commun à sa bibliothèque et à son nouveau cabinet, et ne voulant pas que l'on passe par son cabinet pour aller à la bibliothèque, Sa Majesté désirant être seule quand Elle le jugera à propos, sans gêner son service et sans en être gênée. Un autre rapport, du 15 mai 1781, annonce l'achèvement des travaux et témoigne en même temps des difficultés qui s'élevaient sans cesse entre l'architecte de la Reine et les agents directs de M. d'Angiviller : J'ai l'honneur de rendre compte à M. le directeur général que la Reine m'a envoyé dire, par un des garçons de sa chambre, qu'elle voulait absolument que ses travaux fussent terminés dimanche matin pour son arrivée et que j'ai répondu que tout ce qui m'était confié serait fini suivant les intentions de Sa Majesté, mais qu'il devait voir M. Mique relativement à la bibliothèque, parce qu'il avait seul connaissance de cette besogne. J'ai dit la même chose au sieur Campan que j'ai rencontré l'instant d'après. J'ai l'honneur de représenter à M. le directeur général que les inspecteurs du Château, en surveillant la pose de la bibliothèque concurremment avec les autres travaux, ne peuvent cependant en presser l'exécution avec la même célérité, parce qu'ils n'ont pas de plans de cette besogne et qu'ils ne peuvent deviner les intentions de M. Mique pour tous les objets de détail[11]. Le bibliothécaire de la Reine, mari d'une première femme de chambre ayant dirigé toute cette construction, s'est fait attribuer pour récompense, au prix d'estimation, les matériaux inutilisés de l'ancienne bibliothèque[12]. Un billet de lui complétera l'histoire de la pièce, en nommant l'auteur des fausses reliures qui couvrent les portes : J'ai l'honneur, écrit-il le 11 décembre 1781, de saluer M. Heurtier et de lui envoyer le mémoire de l'ouvrage que Martial, relieur de la Reine, a fait aux portes de la bibliothèque de la Reine. Le relevé de la quantité des dos présenté — 169 in-folio et in-4° et 150 in-8° ou in-12, les premiers à 15 s. pièce de main d'œuvre, et les in-8° ou in-12, à 10 s. pièce — me paraît un prix très conforme en proportion à celui dont j'ai sa soumission pour les reliures. J'observe à M. Heurtier que cet ouvrier n'est pas à son aise, que je paye comptant pour les ouvrages de la Reine et qu'il n'est pas en état d'attendre. En halant son payement, M. Heurtier féra une bonne œuvre et obligera son très humble serviteur[13]. C'est le même Martial qui exécutera en 1783, toujours sous la direction de Campan, les dos de livres qui décorent la bibliothèque supplémentaire installée à ce moment dans l'ancienne pièce des femmes de la Reine. Aucune fantaisie particulière n'a présidé au choix des ouvrages fictifs, dont les titres s'alignent pour l'œil avec ceux des livres véritables. La petite méridienne octogone, établie en 1781, vient remplacer un escalier créé par Gabriel pour l'installation de Marie-Antoinette dauphine et qui a desservi depuis lors les cabinets intérieurs. Il est curieux de noter que cette méridienne reprend la forme d'une pièce de Marie Leczinska, que porte le plan de Blondel de 1755, où la niche elle-même se retrouve. C'était alors un délicieux réduit sculpté par Verberckt, comme on peut se le figurer par des dessins de 1746, où se voient un capricieux chantournement au chambranle de la niche et de jolies portes surmontées d'encadrements ovales pour des peintures de Coypel. Le nouveau cabinet présente assurément un chef-d'œuvre équivalent dans le style Louis XVI, et la création de Mique ne le cède point à celle de Gabriel. Les Comptes donnent le nom des frères Rousseau pour la sculpture, de l'atelier de la veuve Forestier pour la ciselure ; ce sont les seuls à travailler à Versailles à cette époque[14]. Ils achèvent leurs ouvrages en 1781. Les glaces au tain pour les pans coupés et les glaces sans tain pour les portes arrivent de la manufacture royale, le 13 avril ; les grandes glaces viennent, le 20 mai, garnir la niche, ce n'est qu'au mois de septembre que la jolie pièce peut servir à la Reine[15]. Désormais dans ce réduit, où le décor multiplie les emblèmes de la beauté et qui semble inviter à toutes les coquetteries, Marie-Antoinette essaiera ses coiffures, choisira ses bijoux et ses étoffes, étudiera les divers ajustements de sa parure ; c'est là qu'elle tiendra avec Rose Bertin les fameuses conférences, dont la marchande de modes tirera tant de vanité. Les fleurs, les boutons et le feuillage du rosier font le motif principal du décor, comme au petit boudoir de Trianon composé par Mique dans le même goût[16]. Les chutes de roses encadrent tous les panneaux, et la dorure du bois est si parfaite qu'elles y semblent des appliques de bronze. On les retrouve, ciselées véritablement, le long des glaces sans tain des deux portes, et l'ouvrage de l'atelier Forestier s'y montre à peine plus fin que celui de l'atelier Rousseau. Plusieurs détails semblables dans le bois et le cuivre piquent la curiosité. Au bas des glaces figure un aigle entre la massue d'Hercule et le miroir d'Omphale ; au bas des boiseries, un paon faisant la roue entre un glaive et une quenouille ; il y a des couronnes de roses tressées, des cœurs percés de flèches ; et tous ces emblèmes d'amour et de séduction féminine sont surmontés quatre fois par un dauphin entouré de lys. Le poisson héraldique, dans l'art français, désigne presque toujours des objets à l'usage d'un Dauphin ou d'une Dauphine ; sa présence n'est ici qu'un témoignage de reconnaissance de la nation pour la jeune reine qui a comblé ses espérances. Lorsque le fils aîné de Louis XVI vint au monde dans la chambre royale de Versailles, le 22 octobre 1781, toute la France feta sa naissance, longtemps attendue, avec un enthousiasme extraordinaire. La Reine y retrouva presque pour un temps sa popularité d'autrefois. On ne peut s'étonner que l'aigle et le dauphin aient été choisis pour rappeler un tel événement dans l'intimité de ses intérieurs. Le plus important ouvrage des Cabinets fut celui de l'année 1783. Les prévisions de travaux portaient : Le cabinet intérieur de la Reine à refaire en totalité ; un supplément à la bibliothèque. Ce supplément transformait la petite pièce basse, servant jusqu'à présent aux femmes qui annoncent dans l'intérieur de la Reine. Celle-ci donnait, en effet, ses audiences privées dans le cabinet doré, fait pour Marie Leczinska, et les personnes admises chez elle y pénétraient par une porte aujourd'hui dissimulée derrière une des tapisseries de l'antichambre du grand-couvert [salle 117][17]. Toute cette partie de l'appartement changea d'aspect en 1783, et le cabinet intérieur de la Reine, décoré suivant le style le plus nouveau, prit l'aspect qu'il a conservé. Tant de souvenirs le recommandent à nous, qu'il est vraiment intéressant d'en reconstituer l'histoire. N'est-ce point là que Marie-Antoinette recevait sa société particulière, chantait avec Grétry, posait pour Madame Vigée-Le Brun ? N'est-ce point là que Madame de Polignac et, à la fin, Madame de Tourzel lui amenaient ses enfants, qui furent la tendre occupation de sa vie ? C'est dans ce joli décor, au milieu des fleurs, toujours renouvelées dans les vases, parmi ses boîtes, ses miniatures et tous ses objets familiers, qu'on évoque aisément son image ; on l'y voit mieux vivre qu'à Trianon même. Richard Mique est certainement l'architecte du cabinet doré. Des dessins élégants, mais un peu
secs, fournis par le service de Versailles le 28 mai 1783, furent écartés au
profit des siens[18]. Rousseau le
fils eut à les traduire en sculpture et, comme Marie-Antoinette exigeait
toujours d'être servie sur le champ, il y occupa aussitôt une quantité
d'ouvriers. Il s'agissait d'achever le cabinet avant que la Cour ne revînt de
Fontainebleau, et, comme beaucoup d'autres ouvrages dans le Château
absorbaient l'activité des entrepreneurs, l'inspecteur Heurtier écrit, le 10
octobre : Les travaux des appartements de l'Œil-de-Bœuf,
du cabinet intérieur de la Reine, des appartements de M. le Dauphin, de
Madame Royale, des enfants de M. le comte d'Artois et de Madame Élisabeth
sont très considérables et nécessiteront de la part des inspecteurs et des
entrepreneurs une activité incroyable pour pouvoir être terminés à temps.
A ce moment, les démolitions du cabinet sont faites,
le plafond dudit cabinet est refait ; partie des lambris qui doivent être
posés sont commencés à blanchir ; le supplément de la bibliothèque est très
avancé de poser. Mais le doreur et aussi Rousseau, qui paye à mesure
ses sculpteurs, sont dans l'obligation de réclamer des acomptes. Les
inspecteurs de Versailles sollicitent sans cesse M. d'Angiviller en faveur
d'artistes surchargés de dettes et cependant si dévoués à leur besogne : Les entrepreneurs et nous, écrit l'un d'eux, le 22
octobre, redoublons d'activité pour le cabinet
particulier de la Reine. Les sieurs Rousseau et Dutems, à eux deux seulement,
ont de 220 à 230 ouvriers, et l'atelier général en compose (sic) environ
450. L'on a commencé dès la semaine dernière à veiller, afin de gagner le
plus de temps possible, et il n'y a que ce moyen pour arriver au but,
c'est-à-dire pour finir avant le retour de Fontainebleau. Heurtier annonce en même temps : Vous pouvez être tranquille, Monsieur le comte, sur le
nouveau cabinet de la Reine. Je crois pouvoir vous assurer qu'il sera fait,
ainsi que tous les autres travaux que vous avez ordonnés. Il est en très bon train.
J'ai cru pouvoir assurer M. Rousseau que vous connaissiez sa situation et
qu'il serait secouru avant la fin de la semaine. L'ordonnance que M. Dutems a
reçue ne lui a servi à rien, parce qu'il n'en pourra toucher le montant que
dans le courant de la semaine prochaine ; mais sa situation m'inquiète moins
que celle du sieur Rousseau. Cette situation s'aggrave si fort et les
engagements des Bâtiments sont si mal tenus par le Trésor, que les plaintes
des entrepreneurs deviennent gênantes : Je ne
dissimule pas à M. le directeur général, écrit bientôt Heurtier, que je
crains présentement de les rencontrer sur les travaux, après les assurances
positives que j'avais pris sur moi de leur donner qu'ils seraient promptement
secourus[19].
Marie-Antoinette ne se doutait pas de cette misère, quand elle prenait possession
de son beau salon. L'art qui l'inspire n'est déjà plus celui qu'enrichissait d'élégances discrètes le génie renouvelé de Gabriel. D'autres idées y apparaissent et les motifs classiques s'y développent dans un style voisin de celui auquel l'Empire donnera son nom. Les panneaux bas, où des amours se balancent sur des guirlandes de fleurs et la porte, que surmonte une toile d'Oudry[20], avec ses enroulements de rinceaux, ses cornes d'abondance reliées par un fil de perles, ses couronnes traversées par des flèches, sont encore de la sculpture Louis XVI très caractérisée ; mais, sous la précieuse dorure de Dutems, les huit grands panneaux, qui font l'essentiel de la décoration, abondent en motifs neufs ou traités de manière nouvelle. L'écusson aux trois fleurs de lys, l'aigle éployée, le coq, le dauphin même, assurent que ces panneaux n'ont pu être composés que pour Marie-Antoinette ; et pourtant les trépieds fumants aux formes riches et variées, les sphinx ailés, les socles à palmettes, d'autres détails encore surprennent quelque peu à cause de la date des travaux : ils n'en sont que plus intéressants pour l'histoire de l'art. Les fauteuils, le canapé, l'écran commandés pour cette pièce reproduisaient dans le travail du bois plusieurs motifs des Rousseau, et attestaient l'unité de l'ensemble qu'on avait voulu créer. D'admirables têtes de femmes aux cheveux tressés sont fixées aux montants de marbre rouge de la cheminée, dont les bronzes ont été confiés aux artistes toujours occupés par la veuve Forestier[21] ; et le travail du métal n'est pas sans rappeler l'évolution des formes affirmée dans le bois. Nous trouvons ainsi l'atelier Rousseau à l'origine du style qui va l'emporter sous le Directoire et l'Empire, comme nous l'avons vu jadis, au temps du chef de la famille, contribuer pour sa part à la transformation du style Louis XV. Le cabinet doré de Marie-Antoinette fournit une des leçons les plus instructives que l'on puisse prendre à Versailles sur la succession chronologique des styles français, dont les essais et les innovations paraissent un hommage au goût exercé de nos reines et de nos rois. Les Cabinets de la Reine sont placés entre de petits étages entresolés destinés au service, dont la distribution se trouve presque entièrement détruite. Le page d'Hézecques put les visiter après le 6 octobre, et parcourut un labyrinthe de passages, où se montrait encore le désordre d'un départ précipité : Je pénétrai ainsi, dit-il, dans une foule de petits appartements dépendant de celui de la Reine et dont je ne soupçonnais pas même l'existence ; la plupart étaient sombres, n'ayant de jour que sur de petites cours ; ils étaient simplement meublés, presque tous en glaces et en boiseries. Je n'y vis de remarquable qu'un beau tableau de Madame Le Brun ; c'était M. le Dauphin, accompagné de sa sœur, donnant une grappe de raisin à une chèvre. Cette multiplicité de pièces de service, qui n'était pas connue hors de l'intérieur et qu'il est, en effet, impossible de soupçonner des Grands Appartements, a donné lieu à d'injurieuses insinuations du baron de Besenval ; un passage de ses mémoires, jadis exploité contre Marie-Antoinette, appelle une observation topographique. La veille du jour de mars 1778, où devait avoir lieu le
duel entre le comte d'Artois et le duc de Bourbon, la Reine, qui voulait
entretenir Besenval dans le plus grand secret, pour lui communiquer les
intentions de Louis XVI au sujet de son frère, l'envoya chercher par Campan,
au lever du Roi. Voici comment le baron indique le lieu de cette entrevue.
Campan, dit-il, me fit passer par plusieurs portes
et plusieurs escaliers, qui m'étaient entièrement inconnus... Nous nous trouvâmes à la hauteur des toits, dans un
corridor fort sale, vis-à-vis d'une vilaine petite porte... Campan m'introduisit, par une issue détournée, dans une
chambre où il y avait un billard, que je connaissais, pour y avoir souvent
joué avec la Reine, ensuite, dans une autre que je ne connaissais point,
simplement, mais commodément meublée. Je fus étonné, non pas que la Reine eût
désiré tant de facilités, mais qu'elle eût osé se les procurer. En
relevant la perfidie de cette phrase, Madame Campan donne d'autres détails : Il [Besenval] n'avait pu avoir occasion de connaitre l'existence de cet
appartement, composé d'une très petite antichambre, d'une chambre à coucher
et d'un cabinet ; depuis que la Reine occupait le sien, il était destiné à
loger la dame d'honneur de Sa Majesté, dans le cas de couches ou de maladie,
et servait à cet usage, lorsque la Reine faisait ses couches. Il était si
important que personne ne sût que la Reine eût parlé au baron avant le
combat, qu'elle avait imaginé de se rendre par son intérieur dans le petit
appartement où M. Campan devait le conduire[22]. Il est possible
d'en reconnaitre l'emplacement, à côté de l'ancien billard de la Reine, dans
les pièces placées au-dessus des cabinets qui communiquent avec l'Œil-de-Bœuf.
Au reste, l'existence de cet appartement était si peu mystérieuse que le duc
de Croy lui-même, qui ne vivait pas à la Cour, savait que Marie-Antoinette
l'avait réservé à son frère, l'empereur Joseph II, à son arrivée à Versailles
: La Reine, lui ayant fait voir son appartement,
obtint de lui, non sans grande peine, qu'il prendrait la clef de
l'appartement de l'entresol au-dessus d'elle ; mais il voulut coucher, quand
il viendrait, chez Touchet le baigneur[23]. Qui oserait
s'arrêter aux insinuations de Besenval ? Aucun texte du temps ne décrit la vie de Marie-Antoinette dans ses Cabinets ; à peine si quelque récit d'audience particulière l'évoque un instant au milieu ces étroites pièces encombrées de meubles charmants, où s'écoulent tant d'heures de ses journées. L'écrivain Bouilly y est introduit par Grétry, son futur beau-père, il est présenté à la Reine, au moment où elle revient de la Chapelle, se débarrassant, en entrant dans son salon de musique, d'un pouf de velours noir qu'elle avait sur la tête — c'était son diadème favori —, quittant aussitôt une ample mantille de dentelle noire, qui couvrait la taille la plus majestueuse et le cou le plus ravissant[24]. On nous montre plus souvent la souveraine traversant les Grands Appartements, avec sa démarche fière et balancée, ou donnant audience dans sa chambre selon l'étiquette traditionnelle. La marquise de La Tour-du-Pin, qui raconte si joliment la journée de sa présentation, narre avec le même détail le cérémonial de la cour du dimanche Les femmes se rendaient, quelques minutes avant midi, dans le salon qui précédait la chambre de la Reine. On ne s'asseyait pas, à l'exception des dames âgées, fort respectées alors, et des jeunes femmes soupçonnées d'être grosses. Il y avait toujours au moins quarante personnes et souvent beaucoup plus. Quelquefois nous étions très pressées les unes contre les autres, à cause de ces grands paniers qui tenaient beaucoup de place. Ordinairement, Madame la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison, arrivait et entrait immédiatement dans la chambre à coucher où la Reine faisait sa toilette. Le plus souvent, elle était arrivée avant que Sa Majesté la commençât... Au bout de quelques minutes, un huissier s'avançait à la porte de la chambre et appelait à haute voix : Le service ! Alors les dames du palais de semaine, au nombre de quatre, celles venues pour faire leur cour dans l'intervalle de leurs semaines, ce qui était de coutume constante, et les jeunes dames appelées à faire plus tard partie du service du palais, comme la comtesse de Maillé, née Fitz-James, la comtesse Mathieu de Montmorency et moi, entraient également. Aussitôt que la Reine nous avait dit bonjour à toutes individuellement avec beaucoup de grâce et de bienveillance, on ouvrait la porte, et tout le monde était introduit. On se rangeait à droite et à gauche de l'appartement, de manière que la porte restât libre et qu'il n'y eût personne dans le milieu de la chambre. Bien des fois, quand il y avait beaucoup de dames, on était sur deux ou trois rangs. Mais les premières arrivées se retiraient adroitement vers la porte du salon de jeu [Salon de la Paix], par où la Reine devait passer pour aller à la messe. Dans ce salon étaient admis souvent quelques hommes privilégiés, déjà reçus en audience particulière auparavant ou qui présentaient des étrangers... L'audience du dimanche matin.., se prolongeait jusqu'à midi quarante minutes. La porte s'ouvrait alors et l'huissier annonçait : Le Roi ! La Reine, toujours vêtue d'un habit de cour, s'avançait vers lui avec un air charmant, bienveillant et respectueux. Le Roi faisait des signes de tête à droite et à gauche, parlait à quelques femmes qu'il connaissait, mais jamais aux jeunes... A une heure moins un quart, on se mettait en mouvement pour aller à la messe. Le Premier gentilhomme de la Chambre d'année, le capitaine des gardes de quartier et plusieurs autres officiers des gardes prenaient les devants, le capitaine des gardes le plus près du Roi. Puis venaient le Roi et la Reine marchant l'un à côté de l'autre, et assez lentement pour dire un mot en passant aux nombreux courtisans qui faisaient la haie tout le long de la Galerie. Souvent la Reine parlait à des étrangères qui lui avaient été présentées en particulier, à des artistes, à des gens de lettres. Un signe de tête ou un sourire gracieux était compté et ménagé avec discernement. Derrière, venaient les darnes selon leur rang. C'était un grand art que de savoir marcher dans ce vaste appartement, sans accrocher la longue queue de la robe de la dame qui vous précédait. Il ne fallait pas lever les pieds une seule fois, mais les glisser sur le parquet, toujours très luisant, jusqu'à ce qu'on eût traversé le Salon d'Hercule[25]. Marie-Antoinette satisfait surtout à Trianon, puis à Saint-Cloud, son goût de détruire ou changer les anciens décors ; cependant, le grand appartement royal n'y échappe pas entièrement. Elle ne peut guère toucher à la chambre, dont le plafond vient d'être modifié au temps de son mariage ; elle y veut seulement un parquet neuf, puis, en 1783, le remplacement de la cheminée de Vassé, qui servit à Marie Leczinska, par une autre dont les bronzes sont de nouveau style[26]. Mais la pièce voisine, le grand cabinet ou Salon des nobles, subit en 1785 une totale réfection. Il a conservé jusqu'alors un revêtement de marbres de couleur, analogue à celui de la Salle des gardes, et ce décor, qui remonte à Louis XIV, est de ceux qui déplaisent le plus à Marie-Antoinette. Aussitôt son cabinet intérieur terminé, elle en demande le changement, à l'occasion de la naissance du duc de Normandie. L'inspecteur Heurtier établit les dessins d'un revêtement tout en boiseries, dont le devis s'élève à 50.245 livres[27] ; mais il s'efface devant Mique, qui ne manque pas de réclamer ses droits. Une lettre de celui-ci à M. d'Angiviller, du 12 février 1785, donne des détails précis sur l'état qu'il s'agit de remplacer et sur le décor qu'on y substitue : Monsieur le comte, Ayant eu besoin de quelques mesures particulières et voulant vérifier celles qui m'ont été données du Cabinet des nobles de la Reine, Sa Majesté voulut savoir pourquoi je les faisais prendre ; j'ai répondu que j'avais reçu vos ordres, Monsieur le comte, pour vous donner un projet d'arrangement de ce cabinet ; et sur la question que la Reine m'a faite comment on pourrait arranger cette pièce, je lui ai répondu ce qui suit : Pour décorer convenablement ce cabinet et mettre de l'accord dans toutes les parties, il ne faudrait pas sortir du genre avec lequel son plafond a été traité ; les lambris qui couvriraient les murs devraient être de marbres en compartiments avec des moulures et ornements analogues à ceux du plafond, ainsi que des tableaux qui y auraient rapport, et quelques glaces n'y feraient que bien, ne fût-ce que pour les effets qui pourraient en résulter. C'est de cette manière que devrait être la décoration de cette pièce, si la dépense n'en devait pas souffrir, quand les grandes constructions projetées pour le Château auront lieu. Cependant, sans une dépense immense, l'on peut arranger cette pièce très proprement : 1° en substituant au lambris de marbres en compartiments une tapisserie d'étoffe unie encadrée, si l'on veut, de galons brodés d'or ; — 2° en faisant redorer le plafond, la corniche et les deux portes de l'enfilade, en or de deux couleurs, dont une serait or-vert appliqué sur quelques parties d'ornements, ce qui les détacherait les uns des autres et les rendraient moins lourds que d'une seule couleur d'or ; les deux autres portes feintes dans le fond de cette pièce seraient supprimées ; — 3° en établissant une cheminée de marbre blanc ou bleu turquin, ornée de bronzes dorés, avec une glace au-dessus et ornements aussi dorés, composés dans le genre qui convient à la décoration dont on a parlé ci-devant, et afin qu'elle puisse servir en tout temps ; — 4° en établissant aussi une seconde glace vis-à-vis de celle de la cheminée, et pareille en tous points, et une troisième semblable à celle-ci sur le trumeau entre les deux croisées. [Divers] inconvénients doivent déterminer à abandonner la quatrième glace, sauf à laisser en sa place le tableau qui y est actuellement... ; — 5° enfin le lambris d'appui, qui est de marbre, pourrait rester tel qu'il est, et il ne s'agirait que de lui donner son lustre en le repolissant. La première décoration aurait séduit, sans les inconvénients que la dépense aurait à souffrir, lors des grandes constructions projetées pour le Château ; aussi la Reine s'est bornée à la seconde et dernière décoration ; mais Sa Majesté ne veut pas qu'on travaille chez Elle avant le voyage de Fontainebleau. — Je vais, Monsieur le comte, continuer mes calculs et dans peu j'aurai l'honneur de vous présenter le tout...[28] Si l'architecte eût été tout à fait libre d'agir à sa guise, il eût maintenu un décor de marbre, en l'égayant par des glaces ; c'était le genre qui s'accordait le mieux avec le plafond de Michel Corneille et les stucs de son encadrement, Mais la dépense était grande et il fallait prévoir qu'on changerait encore le salon dans les grands travaux destinés à transformer tout le centre du Château et particulièrement les appartements. La pièce fut donc simplement boisée, et l'on prit soin seulement d'égayer les dorures par l'usage de deux espèces d'or. Les ors du plafond furent rajeunis de la même manière et quelques ornements s'y ajoutèrent. Gouthière exécuta les bronzes d'une cheminée, qui a été retirée sous Louis-Philippe. Les panneaux, les chambranles, la bordure d'une glace témoignent que ce grand salon fut économiquement décoré. Marie-Antoinette, qui ne portait aucun respect à l'art de Louis XIV, eût souhaité que l'on culbutât tout le décor intérieur de Versailles comme celui de ses jardins. Un curieux rapport, du 3 novembre 1786, révèle l'incroyable projet-des bouleversements conçus pour lui plaire : Je sais, à n'en pouvoir douter, écrit Heurtier à M. d'Angiviller, que Sa Majesté est persuadée que la campagne prochaine sera employée à nettoyer, réparer et embellir, autant qu'il sera possible, son appartement. En conséquence, l'inspecteur général propose ses idées pour satisfaire la Reine et son entourage, et fait connaître au directeur des Bâtiments ce que Sa Majesté désire sans vouloir le témoigner. Dans la Salle de jeu, où le cercle est toujours trop nombreux, la chaleur échauffe les marbres et les fait couler. Il faudrait la revêtir de boiseries, et couvrir les peintures par un plafond mobile. Tel est le sort réservé au Salon de la Paix et au glorieux plafond de Le Brun. La chambre à coucher n'a besoin que de boiseries neuves, parce que celles qui existent et dont Sa Majesté demande la dorure sont tout à fait usées. Ces boiseries ne forment pas par elles-mêmes un objet considérable, la majeure partie de la pièce étant en étoffe. Le plafond est tout entier à redorer... Là, sous le prétexte d'un peu d'usure, toute l'œuvre de Verberckt est menacée. Pour l'antichambre, c'est encore le plafond que l'on veut sacrifier : Les boiseries de la pièce du grand couvert sont faites de l'année dernière ; il y aurait à couvrir le plafond, comme au Salon de jeu[29]. Evidemment, ces étranges desseins ne sont pas sans être combattus ; mais n'est-il pas surprenant qu'ils puissent être formulés, et ne concordent-ils pas, d'une façon inquiétante, avec ces projets des architectes du temps, qui jetaient bas sans scrupule le château de Louis XIV presque entier ? La Reine trouvait un coin de Versailles où elle pouvait poursuivre en toute liberté son jeu de démolition et d'arrangement d'intérieurs nouveaux. Dans ce rez-de-chaussée continuellement remanié pour des installations de princesses, elle se faisait attribuer, après la mort de Madame Sophie, l'appartement que cette tante si effacée avait occupé. S'étendant de la cour de Marbre à la terrasse, il comprenait le vestibule situé sous la Chambre de Louis XIV, les pièces au-dessous du Cabinet du Conseil et la partie de la Galerie Basse y correspondant. De nombreux escaliers, des passages, des entresols desservaient ce logis, qui devint le Petit Appartement de la Reine, le seul que ce nom ait alors désigné. Marie-Antoinette, qui put en jouir dès la fin de 1783, s'y trouvait par un côté voisine de Madame Victoire, par l'autre de Monsieur, son beau-frère. Ce Petit Appartement, qu'elle agrandit un peu avec le temps, fut pour elle l'occasion de travaux sans fin, dont rien n'est demeuré en place. Quelques panneaux isolés, qui en proviennent, prouvent que les frères Rousseau y traitèrent les boiseries aussi soigneusement qu'aux Cabinets du premier étage. La Reine eut ici des salons charmants, une chambre à coucher, une bibliothèque et des bains de marbre placés au fond de la cour du Château, sous la Chambre de parade[30]. Un des rapports relatifs à l'installation mérite d'être transcrit, car il apporte un témoignage sur le caractère de Marie-Antoinette et sur ses relations avec les gens appelés à travailler pour elle. Heurtier écrit à M. d'Angiviller, le 8 novembre 1785 : Ce voyage-ci a été cruel pour les entrepreneurs et pour leurs surveillants. Les ouvriers ont été très rares, et tous ceux qu'on a pu avoir ont été la moitié du temps en déroute. Il y a eu telle semaine où, dans un atelier de soixante ouvriers, on n'en a jamais pu rassembler vingt. Pour comble de malheur, il nous est arrivé hier soir un ordre exprès de la Reine, dont le sieur Bonnefoy était porteur, pour changer tout le cabinet de stuc de Sa Majesté, autrefois la bibliothèque de Madame Sophie. L'intention de la Reine était, suivant la lettre apportée par le sieur Bonnefoy, qu'on supprimât toutes les armoires encastrées dans les stucs pour en faire des renfoncements masqués par des glaces blanches, à l'effet de placer des lumières qui pussent éclairer indirectement ce cabinet, en passant à travers des gazes de diverses couleurs. On s'est mis, comme de raison, à cette besogne avec le plus vif empressement ; on a passé partie de la nuit à détruire les armoires, qu'on n'a pu arracher que par morceaux et en dégradant plusieurs parties de stuc adhérentes à ces armoires. Aujourd'hui un nouveau courrier a apporté un nouvel ordre, au moyen duquel tout doit rester en place ou y être remis pour le retour de la Reine.... Il y a de quoi perdre la tête ![31] La création des Petits Appartements s'explique par l'ennui que pouvait ressentir Marie-Antoinette dans ses Cabinets sans air et sans lumière, éclairés sur d'étroites cours intérieures. C'était prendre possession de la partie la plus gaie du Château. Elle commença par y placer Madame Royale, peu après le départ de Madame de Guéméné et l'attribution à Madame de Polignac de la charge de gouvernante des Enfants de France. Celle-ci a gardé le Dauphin et Madame de Mackau, sous-gouvernante, est venue habiter avec Madame Royale le Petit Appartement de la Reine, qui a pu tenir ainsi tout auprès d'elle cette fille dont elle avait à cœur de surveiller l'éducation. Plus tard, quand le Dauphin fut établi avec son gouverneur dans l'appartement quitté par Monsieur, la Reine resta davantage dans celui qui lui permettait d'être voisine de son fils, et c'est à ce moment qu'elle y fit établir sa nouvelle salle de bains, beaucoup plus grande que celle des Cabinets du premier étage. En 1789, elle y ordonnait encore des réparations importantes, ce qui semble indiquer qu'elle se disposait à l'habiter plus complètement. La journée révolutionnaire du 6 octobre mit fin à ces projets, en l'arrachant pour jamais à ces intérieurs qu'elle avait pris tant de soin à disposer. Ils sont mentionnés dans les dépositions faites devant le Châtelet de Paris sur l'envahissement du Château. Il ne semble pas qu'ils en aient souffert, non plus que le grand appartement de la Reine, où la populace n'eut pas le temps de pénétrer. Cependant le gentilhomme qui fut réveiller en hâte Madame de Tourzel, pour lui dire de porter le petit Dauphin chez le Roi, déclare que le peuple, qui était alors sur la terrasse... près les fenêtres, criait : C'est là que demeure le Dauphin ! Il eût été d'autant plus facile d'entrer chez la Reine par le rez-de-chaussée que les gardes du Dauphin, qui surveillaient aussi le Petit Appartement, avaient dû, au moment où leur salle fut forcée, remonter dans l'Œil-de-Bœuf par les escaliers dérobés[32]. Il est encore question des intérieurs de Marie-Antoinette dans un document daté du 31 janvier 1791. Ce jour-là, la section parisienne des Champs-Élysées, émue d'une dénonciation faite au Club des Jacobins sur les projets de fuite ou d'enlèvement du Roi, a dépêché des délégués à Versailles pour vérifier qu'il ne s'y fait point de préparatifs suspects. Le procès-verbal de leur visite au Château, indique l'état des appartements royaux abandonnés depuis plus de quinze mois, et qui n'ont plus que des tableaux et des glaces, avec des poules posés pour l'hiver. La Grande Galerie est échafaudée dans l'intérieur, pour les restaurations du plafond. L'appartement de l'épouse du Roi se trouve entièrement démeublé, et il ne reste dans la chambre à coucher que la balustrade du lit et les peintures des trumeaux, représentant l'Impératrice mère et Joseph II, son fils. Dans les Petits Appartements, tout est reblanchi à neuf ; les bronzes en sont précieux et nouvellement dorés ; les glaces des boudoirs et autres cabinets sont toutes en place ; la salle des bains est remise à neuf ; la bibliothèque est sans livres ; quelques feuilles de musique garnissent les tablettes[33]. Telle est la dernière description de Versailles, alors que Louis XVI règne encore. |
[1] Les beaux projets du plafond de la Reine sont aux Archives Nationales, O1 1773. Ils sont en couleur et portent la date du 29 août 1770. Un d'eux comporte une grande peinture centrale ayant pour sujet le char d'Apollon. Le même carton contient un plan détaillé de Gabriel, pour l'installation de la Dauphine dans l'appartement et les cabinets de Marie Leczinska.
[2] Archives Nationales, O1 1800. Ce dossier comprend la pièce suivante dressée par Lécuyer, le 19 août 1770 :
État de ce qu'il en coûtera pour refaire tous les ornements et figures du plafond de la chambre de Madame la Dauphine, à l'exception des quatre cartels sur les faces à conserver, qui sont en carton et fort bons, — suivant les détails très justes des sr Rousseau et Brancour, ce dernier avant opéré sur l'ancien mémoire, qui a été arrêté et payé il y a plusieurs années. — Au sr Rousseau, pour les sculptures et architectures en carton : 16.400 l. ; en maçonnerie, échafauds, menuiserie, serrurerie, charbon et lumière : 4.600 l. (21.000 livres). — Au Sr Brancour, en dorures neuves et raccordement des anciennes : 20.650 l. ; dorures neuves sur plusieurs portes et croisées, grattage, charbon, lumière et autres : 5.000 l. (25.650 livres). — Au sr Vernet, pour différentes peintures à faire et à rétablir, 4.000 livres. — Total : 50.650 livres. — Lesdits Rousseau et Brancour demandent six mois, pour faire les ouvrages ci-dessus, et 8.000 livres tous les mois à commencer à la fin de celui-ci, ne pouvant s'en charger qu'autant que ces conditions auront lieu.
[3] La présence, à côté des armes de France, des armes de Navarre, que Soulié a prises pour celles d'Autriche (t. II, p. 168), lui a fait croire que les hauts-reliefs des angles remonteraient à l'époque de Louis XIV et au plafond fait pour la reine Marie-Thérèse. Nous avons vu que le plafond a été refait en 1735 pour la fille du roi de Pologne, et il eût été naturel de penser que l'aigle bicéphale introduite dans les angles se rattachait à la dauphine Marie-Antoinette. L'ameublement de la chambre royale est décrit, d'après les anciens inventaires, dans mon étude sur Le Mobilier de Marie-Antoinette (Gazette des Beaux-Arts de 1896, t. II, p. 89-102).
[4] On devait cette économie à la dame d'honneur de la Dauphine. Lécuyer l'apprend à Marigny, dans son rapport du 10 septembre 1772 : Au commencement de cette année, Madame la Dauphine ayant désiré une bibliothèque, je dis à Madame la comtesse de Noailles qui m'en parla que c'était une dépense de dix millions au moins ; ce prix lui en parut trop cher apparemment, n'ayant plus été question que de tablettes unies seulement.
[5] Archives Nationales, O1 1069. Le devis de Gabriel, du r6 septembre 1772, monte à 15.127 livres. La sculpture y est comprise pour 4.500 livres ; les impressions et dorures des bordures des glaces sont comptées pour 700 livres ; si l'on dorait le tout, il en coûterait plus de 3.000 livres.
[6] Rapport de Lécuyer, du 22 août 1773 : Les lieux à l'anglaise de Madame la Dauphine sont faits, ainsi que la dorure de sa bibliothèque et celle de Madame la comtesse de Provence (O1 1804)
[7] Le billard de la Reine fut fait dans l'été de 1776 ; on remit à neuf en 1777 son cabinet de toilette (près de l'Œil-de-Bœuf) et sa garde-robe à chaise (O1 1802).
[8] Archives Nationales, O1 1773. Une note de service du directeur général figure, sous la même date, dans un autre dossier (O1 1804) : Je renvoie à M. Mique les élévations de la Bibliothèque de la Reine, en le chargeant de vérifier précisément ce que Sa Majesté désire, et de former en conséquence les plans ainsi que le devis, dont la dépense mérite d'être spéculée avec attention, et d'autant plus qu'elle est assurément inévitable ; d'ailleurs, M. Mique étant particulièrement à portée de s'assurer des désirs de la Reine, c'est une raison de plus de lui confier cette partie. A la lettre de M. d'Angiviller est jointe la note suivante : Pour la Bibliothèque de la Reine, on fera tous les bâtis avec les parquets de derrière du dessus de la corniche seulement, les autres anciens qui sont en place devant resservir ainsi que les côtés, tablettes et fonds. La corniche sera sculptée, c'est-à-dire les deux membres du haut seulement, et ne passera pas sur les croisées. Elle sera retournée en saillie sur les armoires entre les deux susdites croisées. — Nota. Cette besogne a été ordonnée par M. Heurtier, le 20 avril 1779 ; elle est entièrement faite ainsi que le modèle pour donner au fondeur. M. Rousseau a entre les mains la corniche pour la sculpture.
[9] Cette niche vient s'adjoindre au cabinet de Marie Leczinska, qui semble jusqu'alors conservé. Les nouveaux lieux à l'anglaise ont remplacé l'oratoire de la bonne Reine. La salle de bains existe déjà à cette époque, ouvrant seulement sur la petite antichambre et sans communication directe avec la pièce des femmes de la Reine, qui deviendra en 1783 bibliothèque de supplément. La chambre de bains voisine, aujourd'hui tendue de soie jaune, est celle où la princesse de Lamballe, comme surintendante de la Maison de la Reine, a dormi pendant les premières couches de Marie-Antoinette.
[10] Archives Nationales, O1 1802. Lettre de Mique du 14 juin 1780 à M. d'Angiviller : Après avoir reçu vos ordres pour la bibliothèque de la Reine et vous avoir présenté le modèle de l'assemblage et des châssis, l'exécution s'en est suivie au point que le tout est actuellement entre les mains du doreur, pour les parties qui doivent être dorées. Cette bibliothèque, dont M. Campan me paraît être chargé pour ce qu'elle contient, [ne devant être] posée que pendant une absence suffisante de la Cour, Sa Majesté a bien voulu m'en parler de cette manière ces jours derniers. (O1 1803). Au mois d'août, Mique demande un atelier au Château pour son doreur : Monsieur le Comte, M. Dutems aurait besoin d'un endroit pour achever de dorer la bibliothèque de la Reine ; il serait même nécessaire de l'assembler avant qu'elle soit à demeure, de manière qu'on pût la mettre en place sans avoir à y retoucher, dans la première absence que Sa Majesté fera. Pour cet effet, M. le Comte, je ne vois que la salle des gardes attenant au foyer de l'Opéra, dans laquelle le menuisier et le serrurier iront sous votre agrément assembler cette bibliothèque. Dutems ne reçoit en 1781 qu'un acompte de 3.000 livres ; mais ses paiements pour 1783, année de l'exécution du cabinet doré de Marie-Antoinette, dépassent la somme de 50.000 livres (O1 242412, O1 2424 16 et 17). Il lui reste dû au 31 décembre l'énorme somme de 146.152 livres (O1 1764 B).
[11] Rapports de l'inspecteur Heurtier du 8 avril et du 15 mai 1781 (Archives Nationales, O1 1806).
[12] Campan écrit, le 20 avril 1781, au comte d'Angiviller : Les principes de M. le directeur général étant qu'il soit fait par MM. les intendants des Bâtiments du Roi une estimation des ouvrages de menuiserie ou autres que l'on détruit et refait au Château et qu'ils soient vendus au compte de Sa Majesté, Campan prie M. le comte d'Angiviller de le recevoir pour adjudicataire, selon l'estimation de MM. les Intendants, de la décomposition de la Bibliothèque de la Reine dont Sa Majesté a ordonné la reconstruction. Ce mémoire de Campan est du 20 avril 1781. Les matériaux de la bibliothèque lui furent accordés au prix d'estimation de 1.866 livres 18 sols (Archives Nationales, O1 1806).
[13] Une lettre de Campan, du 11 février 1784, à M. d'Angiviller, fait connaître que le mémoire de Martial pour la nouvelle bibliothèque a été vérifié par les jurés du bureau des relieurs de Paris (Archives Nationales, O1 1807).
[14] Archives Nationales, O1 242412, O1 242417. Les noms sont certains ; mais il est impossible de connaître le prix exact des ouvrages, la comptabilité étant devenue très sommaire dans les registres consèrvés pour la fin du règne et les désignations de lieux n'y figurant plus. Les frères Rousseau n'ont été payés de leurs travaux de 1781 qu'au cours des années suivantes, sans spécification. Pour la ciselure de la même année, on trouve des acomptes, montant à la somme de 19.673 livres versés à la veuve Forestier, mais seulement en 1785 et 1786. Au 31 décembre 1783, la dette générale des Bâtiments envers l'atelier Forestier ne s'élevait pas à moins de 103.224 livres (O1 1748).
[15] V. Nolhac, Versailles au temps de Marie-Antoinette, Versailles, 1889, p. 40. On trouve un état de 64 glaces blanches pour la nouvelle bibliothèque, signé de Mique le 25 mars 1781, et un état de 6 glaces au tain pour le nouveau cabinet, signé de Heurtier le 24 avril. Une bordure de glace surmontée d'une coquille entourée de roses, aujourd'hui posée dans la bibliothèque de supplément, porte cette inscription : Bordure d'une cheminée d'un cabinet de chez la Reine, du 30 avril 1781. Les états mensuels de situation des travaux mentionnent la bibliothèque et le cabinet jusqu'au mois d'août (O1 1806).
[16] Le petit cabinet de Trianon est de 1787 (G. Desjardins, Le Petit-Trianon, p. 322). Le chiffre MA rappelle celui que l'atelier Forestier a ciselé pour les verrous de la méridienne de Versailles. On lit dans un état des travaux de Trianon pour 1788 : La Reine ayant en 87 fait changer une partie de la boiserie de son cabinet pour qu'il fût décoré en arabesques, ors présume qu'Elle ordonnera le même changement pour sa chambre à coucher, dans laquelle on doit mettre un nouveau lit, que l'on brode à Lyon.
[17] Ces indications, jointes à l'existence d'un escalier adossé à l'escalier Fleury et montant directement aux Cabinets de la Reine, expliquent l'accès des intérieurs. On peut reconstituer notamment la scène fameuse de l'expulsion de Lauzun racontée par Madame Campan qui prétend y avoir assisté. Lauzun est entré par la première antichambre [salle 117] et la petite antichambre sombre dans la pièce basse, par où les femmes de chambre l'ont introduit au cabinet doré. Peu de temps après, la Reine rouvre la porte et dit : Sortez, Monsieur ! Madame Campan, qui est dans la pièce des femmes de chambre, voit Lauzun s'incliner profondément et disparaître par la porte à gauche de la cheminée, tandis que Marie-Antoinette, sur le seuil de son cabinet, jette son ordre irrité : Jamais cet homme n'entrera chez moi. (Mémoires, t. I, p. 168).
[18] Ces dessins, probablement de Heurtier, sont dans le carton O1 1773. Ceux de la niche de glaces et du côté de la cheminée ont été reproduits dans la Gazette des Beaux-Arts de 1896, t. II, p. 89 et 93. Combien-plus intéressants seraient les dessins des frères Rousseau, tels que celui qu'on rencontrait dans un de leurs recueils avec ce titre : Elévation du côté de la porte du nouveau cabinet de la Reine, 4 août 1783. (Cité par A. de Champeaux, Histoire de la peinture décorative, Paris, 1890, p. 284).
[19] Rapports de Le Roy et de Heurtier à M. d'Angiviller (O1 1807). Dutems estime à 11.000 livres le travail du cabinet particulier à dorer d'or fort taillé bruni rechampi au blanc de plomb.
[20] L'Ananas dans un pot, qu'un singulier choix de la Reine a fixé au-dessus de la porte, est signé J. B. Oudry, 1733 (Engerand, Inventaire des tableaux commandés. p. 376).
[21] L'attribution à Gouthière des bronzes de la cheminée, acceptée par M. Jacques Robiquet (Gouthière, p. 161 et planche VIII), n'est pas soutenable ; l'artiste, entrepreneur de Fontainebleau, n'a travaillé pour Versailles que tout à fait exceptionnellement. — Les Comptes des Bâtiments mentionnent pour 1783 des paiements aux frères Rousseau s'élevant au total de 16.206 livres. Le doreur Gobert reçoit 2.731 livres ; le travail de l'atelier Forestier est moins précisé (Archives Nationales, O1 2424 16 et 17). Un devis général, datant de 1782, des ouvrages du grand cabinet de la Reine indique les prévisions suivantes : sculpture, Rousseau, 10.000 livres ; dorure, Dutems, 20.000 livres ; marbrerie, Dropsy, 1.000 livres ; bronzes, veuve Forestier et veuve Gobert, 72.000 livres. La menuiserie est comptée pour 7.500 livres ; la serrurerie pour 3.200 livres et la fourniture de glaces pour 9.800 livres (O1 1770). Le total de la dépense prévue monte à 63.800 livres, chiffre qu'il est intéressant de relever en présence de l'œuvre accomplie.
[22] Hézecques, Souvenirs d'un page, p. 154. Mémoires du baron de Besenval, Paris, 1821, t. II, p. 59-60. Mémoires de Madame Campan, t. I, p. 188. Le billard, où conduisait un escalier spécial, était au-dessus de la méridienne et de la chaise de la Reine.
[23] Croÿ, t. IV, p. 9 (19 avril 1777). Le duc raconte au même passage les allées et venues de l'Empereur que la Reine conduisit chez le Roi par l'Œil-de-Bœuf, où il n'y avait personne, chez Madame, par le petit escalier, chez la comtesse d'Artois et chez Mesdames ; il décrit ensuite le singulier dîner avec Louis XVI dans la chambre de la Reine, devant le lit, qui fut un demi grand-couvert, la porte restant à moitié ouverte, tant pour le service que pour qu'on pût voir.
[24] J.-A. Bouilly, Mes récapitulations, Paris, 1836, t. I, p. 243.
[25] Marquise de la Tour-du-Pin, t. I, p. 112-115. Le témoin décrit ensuite le retour de la messe, la rentrée dans la chambre de la Reine, le dîner au grand-couvert, etc.
[26] Archives Nationales, O1 1770. Travaux de 1782 et de 1783.
[27] Les dessins de Heurtier pour le Salon des nobles sont au carton O1 1773. Une lettre du 22 janvier 1785 les accompagnait (O1 1804). Heurtier demandait que ses dessins ne fussent pas communiqués à Mique, qui ne manquerait pas de réclamer cette besogne comme devant lui être attribuée toute entière, puisqu'il s'agissait de l'intérieur et du service direct de la Reine. Ce document atteste les rivalités qui divisaient le service des Bâtiments pour tous les travaux de Marie-Antoinette.
[28] Archives Nationales, O1 1804. Dans un projet de travaux pour 1786, on trouve 70.000 livres réservées au grand appartement de la Reine. Il s'agit de redorer les plafonds des trois pièces et de remplacer les lambris de marbre de l'antichambre par de la menuiserie.
[29] C'était une fâcheuse idée que de réduire encore une pièce comme l'antichambre du grand-couvert, rétrécie par les estrades des musiciens et déjà fort insuffisante pour la circulation des spectateurs, lorsque le Roi mangeait en public avec la Reine. Un curieux récit, fait par le duc de Croÿ de la présence de Joseph II au grand-couvert, marque bien ces inconvénients et décrit la brillante foule entassée dans cette pièce : Je n'ai jamais vu tant de monde. Le spectacle de l'amphithéâtre, tout en haut, de la musique et des gradins très élevés partout, était au plus superbe que le permet la salle qui, pour de pareils jours, mériterait d'être mieux. L'Empereur, qu'on dévorait des yeux, fut tout le repas debout à l'endroit où se mettent les courtisans... Le Roi dut lui demander si celle de Vienne n'était pas mieux disposée. Il répondit poliment qu'elle était mieux tournée pour l'objet, mais qu'il n'y en avait qu'une et qu'à Versailles il y avait à choisir. (Croÿ, t. IV, p. 23. Cf. Marquise de La Tour-du-Pin, p. 116.)
[30] Hézecques, Souvenirs d'un page, p. 19. Un plan de 1787 montre une baignoire de la Reine dans la partie de la salle 33 qui touche au vestibule. En 1788, les registres des magasins mentionnent la nouvelle pièce des bains du Petit Appartement de la Reine ; en novembre, la porte d'entrée du cabinet de stuc de la Reine à sa salle de bains. Les Petits Appartements sont appelés quelquefois l'appartement des bains de la Reine. V. Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 28-34. Les Petits Appartements n'ont pas été détruits par la Révolution ; on en trouve les dispositions presque intactes sur les plans de la Restauration. Louis-Philippe les a démolis pour faire son musée et a dispersé les merveilles d'art Louis XVI, qui y demeuraient encore.
[31] Archives Nationales, O1 1805. Les élévations coloriées de la bibliothèque de Madame Sophie, toute revêtue d'un décor stuqué, sont dans le carton O1 1774.
[32] Abrégé de la procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles dans la journée du 6 octobre 1789, Paris, 1790, p. 51 et 77 (dépositions du comte de Sainte-Aulaire et de M. de Miomandre de Châteauneuf, garde du Roi). La déposition d'Etienne fruitier de la Reine (p. 16) établit péremptoirement qu'aucun émeutier n'est parvenu jusqu'à la chambre à coucher de Marie-Antoinette. Mme Campan et le comte d'Hézecques le disent aussi. Les indications contraires qu'on trouve dans les mémoires de Mme de La Rochejacquelein et de Mme de Tourzel, et qu'ont adoptées la plupart des historiens, proviennent d'une confusion de souvenirs avec les journées du 20 juin et du 10 août aux Tuileries.
[33] Rapport des commissaires envoyés à Versailles par la section des Champs-Elysées, le 31 janvier 1791. Sept pages in-8°, de l'imprimerie de Langlois fils.