HISTOIRE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES

VERSAILLES AU XVIIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE CINQUIÈME. — VERSAILLES SOUS LOUIS XVI.

 

 

À L'AVÈNEMENT de Louis XVI, commence pour les Bâtiments du Roi une administration nouvelle. Les difficultés financières du règne précédent, devenues inextricables, et l'opposition faites par l'abbé Terray à toutes les demandes dé Marigny ont compliqué la vie du frère de Madame de Pompadour, porté à cette direction en des temps plus heureux. Il a obtenu de Louis XV la permission de se retirer, et sa charge s'est trouvée en fait réunie momentanément au contrôle général des finances. Terray l'exerce pour y pratiquer des économies et les Bâtiments ne sont plus qu'un simple bureau de son service. Ils reprennent leur importance avec Charles de Flahault La Billarderie, comte d'Angiviller. Cet ancien gentilhomme de la manche des Enfants de France, alors intendant du Jardin du Roi et survivancier de Buffon, est nommé directeur et ordonnateur général des Bâtiments, le 29 août 1774, grâce à l'amitié de Turgot et à la confiance du jeune roi. Mais un changement plus considérable encore se produit par la retraite de Gabriel. Le premier architecte la sollicite du Roi au commencement de 1775 ; il reçoit le titre d'honoraire et ne conserve plus que ses fonctions, il est vrai assez importantes, de directeur de l'Académie royale d'Architecture.

Jusqu'à sa mort, survenue le 4 janvier 1782, et malgré que l'état de sa santé le rendît vers la fin incapable d'aucun travail, le vieil artiste demeura entouré de déférence et ses projets sur Versailles furent à peu près respectés. Le successeur éphémère que la protection de Marie-Antoinette imposa au choix de M. d'Angiviller, Richard Mique, vit les fonctions de Premier architecte supprimées, dès la fin de 1778, dans une réorganisation des services[1]. Mais le goût de l'architecte lorrain, resté puissant sur l'esprit de la Reine, ne s'accommodait nullement des idées de Gabriel. Quand celui-ci disparut, personne ne se gêna plus pour critiquer sa reconstruction des cours et proposer l'abandon de ses plans. L'auteur du Petit-Trianon n'avait mémo pas vu achever entièrement l'aile dont il avait posé les premières assises. Des gravures de 1783 nous apprennent où en était l'ouvrage à cette date ; elles rappellent une expérience fameuse de MM. de Montgolfier, qui eut lieu, le 19 septembre, dans l'avant-cour du Château. Une immense foule assista au gonflement et au départ d'un aérostat au chiffre du Roi, avec une cage contenant des animaux ; chacun put constater ce jour-là, en regardant l'aile neuve, que l'on élevait encore des matériaux sur le haut de l'édifice et qu'aucune appropriation intérieure n'était commencée[2]. La masse était peut-être trop imposante pour qu'on songeât à l'abattre ; mais on pouvait la faire entrer dans un arrangement différent, élargissant encore les proportions des façades. Louis XVI, qui aimait dessiner et eût sans doute, en d'autres temps, aimé bâtir, agréa l'idée d'un nouvel agrandissement de Versailles.

Dès le mois de février 1783, l'architecte Le Roy, inspecteur du Château, remit au travail royal un projet complet en cinq feuilles, qui ne laissait pas subsister grand chose de celui de Gabriel. Ce fut ensuite Pierre-Adrien Paris, nommé dessinateur du Cabinet du Roi en 1778, à son retour de Rome, qui a laissé de nombreuses compositions pour les fêtes de la Cour et les décors de l'Opéra de Versailles. L'annotation suivante de 1785 accompagne ses plans de reconstruction du Château : Le projet m'avait été ordonné par mon auguste et excellent maître, le roi Louis XVI de sainte mémoire. On ne devait conserver de l'ancien Château que la façade et les Grands Appartements sur le jardin, avec l'aile neuve construite sous Louis XV. Le hasard fit que je me rencontrai exactement avec l'idée que le Roi en avait tracée au bout de sa plume ; circonstances très satisfaisantes pour moi et qui montraient combien ce prince avait des idées justes, puisqu'elles s'étaient rencontrées avec celles d'un architecte[3]. Beaucoup plus tard, Fontaine mentionnant, sans indiquer de date, le projet de Louis XVI et de M. d'Angiviller, donne la liste des architectes consultés, qui sont les plus renommés de l'époque : MM. Peyre l'aîné, Peyre le jeune, Boullé, Heurtier, Mique, Paris, Potain, Huvé, furent invités à présenter des projets d'amélioration et de reconstruction. En résultat, les projets, les dessins, fruits du concours d'un aussi grand nombre d'hommes à talents, sont restés sans exécution déposés dans les archives de la Couronne. Fontaine en fit une étude spéciale, lorsque Napoléon songea à venir habiter Versailles, et tous ceux qui lui parurent estimables furent réunis par ses soins dans un album, où les noms de l'Empereur et de l'Impératrice ont été substitués à ceux du Roi et de la Reine[4].

Ces projets, auxquels il faut ajouter celui de Le Roy, intéressent au plus haut degré l'histoire de l'architecture. Leurs traits communs sont l'utilisation de trois grands morceaux, que personne ne pense à sacrifier, la Galerie, la Chapelle, l'Opéra, et l'abandon formel des plans de Gabriel, jugés par tous insuffisants. Le morceau déjà exécuté, remanié dans son décor, changé dans ses distributions, trouve place à grand peine dans les façades nouvelles. Le projet de P.-A. Paris, qui eut le plus de chance d'être adopté et fut en somme le plus raisonnable, avance la façade centrale à l'alignement de la petite cour de la Chapelle. Mais plusieurs autres ne respectent nullement l'ensemble fameux donnant sur les jardins. Le Roy, par exemple, ne garde intacts que deux salons seulement de chaque côté des Grands Appartements, outre ceux de la Guerre et de la Paix[5] ; après le troisième, tout un bâtiment carré vient occuper un morceau du jardin, à l'angle rentrant des façades, ce qui rompt assurément la monotonie de leur ligne si allongée, mais exige du même coup le remaniement total des parterres du Nord et du Midi. Le projet comporte huit cours, de construction entièrement nouvelle. La cour Royale conserve quelque chose des dispositions de Gabriel ; toutefois, les ailes des Ministres sont rebâties, soudées au Château par des passages voûtés et prolongées vers les avenues de la place d'Armes, où s'élèvent des fontaines et un obélisque. La Chapelle se trouve masquée. A l'intérieur, s'édifient deux énormes escaliers, d'une seule montée, symétriquement placés sur la cour Royale ; celui du Roi fait disparaître, entre autres destructions, le Salon d'Hercule et le Salon de la Chapelle, dont le mur est reporté plus loin et qui devient un grand vestibule à colonnes, prolongeant l'architecture de l'escalier. Le vestibule de l'escalier de la Reine donne accès à la salle de comédie, qui occupe, le long de la cour des Princes, un emplacement symétrique à la Chapelle et que presque tous les plans lui réserveront. En somme, dans ce château devenu colossal, la circulation de l'étage royal paraît incommode ; la multiplicité des salons ne répond à aucun besoin, et aucune belle idée d'art n'annonce un dédommagement pour tant de sacrifices accomplis.

Le projet de Peyre le jeune enchérit encore sur les proportions du précédent. L'élargissement sur les jardins est à peu près quatre fois plus vaste, et c'est la façade même du corps du Château qui se trouve prolongée, de chaque côté, d'une longueur presque égale à celle de la Galerie de Mansart. Il n'y a plus que trois cours fermées, dites des Princes, Royale et des Ambassadeurs. Quatre escaliers monumentaux se développent à l'intérieur, au lieu des deux que présentent la plupart des projets. C'est du côté de l'arrivée que les transformations sont le plus étonnantes. Peyre construit autour d'une immense avant-cour deux colonnades demi-circulaires, inspirées de celles de Bernin à Saint-Pierre de Rome, et auxquelles ne manquent pas même les fontaines ; les piétons peuvent s'élever de la place d'Armes par un double et majestueux degré. La forme et l'ampleur des colonnades ont l'avantage inattendu de s'accorder avec les anciennes Écuries. Mais ce sont là jeux d'architectes magnifiques, dont le moindre inconvénient, à supposer que les finances de la monarchie en eussent permis la folie, était de détruire les grands parterres de Le Nôtre et toutes les perspectives de Mansart.

 

La cour de Louis XVI, où l'on rêve de coûteuses reconstructions sans oser les entreprendre, obtient du moins cette petite salle de spectacle, dont on a toujours regretté l'absence et qu'il convient d'établir après la salle de l'Opéra. Elle doit être réservée à la comédie et à l'opéra-comique, c'est-à-dire aux représentations ordinaires du Château, qui ont lieu trois fois la semaine[6]. On accorde ainsi satisfaction à un besoin légitime, la vieille salle de la cour des Princes, qui date de Louis XIV, étant d'une incommodité évidente[7] ; mais, comme tous les projets des architectes sur Versailles restent en suspens, on s'arrête à une installation provisoire, à une petite salle de bois et de carton, du genre de celles dont Marie-Antoinette aime à se servir pour danser à Trianon, comme à Marly et à Versailles. L'idée vient d'elle assurément, car en ces matières son avis est prépondérant. Depuis longtemps, elle se plaint de ne pouvoir donner assez d'éclat à ses bals, dans la petite salle qui a suffi à ceux de Louis XV, aux dernières années du règne. Il est entendu à Versailles, à cette époque, qu'une salle de théâtre, grande ou petite, peut toujours se transformer en salle de bal, et le décor s'y trouve aisément plus gai qu'en aucun des anciens salons. Il arrive aussi qu'un théâtre soit dressé dans l'appartement de Marie-Antoinette ; Papillon de la Ferté parle plus d'une fois des fantaisies de sa souveraine, à l'occasion des divertissements du carnaval : La petite salle de spectacle, écrit-il un jour, n'ayant pas été trouvée suffisante pour l'exécution des ballets de bal, la Reine a ordonné que l'on préparât le grand Salon d'Hercule, ce qui a été fait avec une promptitude incroyable... Il y avait à ce bal une cour nombreuse et beaucoup de danseurs. Au reste, je ne sais si le résultat de ces plaisirs amusera beaucoup M. le directeur général des Finances[8].

L'ordre de construire une nouvelle Comédie est donné dans l'automne de 1785, quelques semaines après le scandale du Collier. On utilise, dans l'aile neuve, l'espace resté vide où Gabriel a rêvé son grand escalier. Diverses dispositions sont essayées, divers décors étudiés. Les plans et les mémoires sont vus par le Roi, le 6 novembre, pour que Sa Majesté puisse se décider sur la distribution des loges et des places. Il s'est produit naturellement des sollicitations nombreuses et des compétitions, dont maint dossier garde témoignage. Les loges, desservies par des degrés commodes, sont au nombre d'une trentaine. Il y a, à l'étage du parquet, neuf loges basses à donner, outre celles du Roi et de la Reine. Aux premières, qui sont à la hauteur du Salon d'Hercule, est la grande loge du service du Roi, communiquant avec le foyer de Sa Majesté et une porte d'arrivée percée dans le Salon de l'Abondance ; à droite, sont les loges de Madame et de la comtesse d'Artois, trois loges à donner journellement et celle des Premiers gentilshommes, où les pages ont leur place et qui s'ouvre sur la scène ; à gauche, sont les loges de Madame Élisabeth et du service de la Reine, trois loges à donner et celle du capitaine des gardes. Les secondes loges, dont la grande au-dessus du Roi est réservée aux ministres, sont attribuées : à droite, au grand chambellan, au grand maître de la garde-robe, à l'intendant du garde-meuble, au premier chirurgien, aux premières femmes de la Reine ; à gauche, au grand écuyer, à l'intendant des Menus, au premier médecin, aux premiers valets de chambre du Roi, au commissaire de la Maison du Roi[9]. Cette salle est à peine plus grande que celle de la Reine à Trianon, et la décoration n'est que de peinture en arabesques. La direction en a été confiée à Hubert Robert, qu'on ne s'attendait guère à voir assumer un tel rôle et qui fait travailler sous ses ordres Deleuse et Lagrenée : M. Lagrenée, écrit le peintre des ruines à M. d'Angiviller, peint tout ce qui concerne la figure, et moi je trace le grand et dirige toute la partie des arabesques et le ton général de la décoration[10]. L'excellent homme insistait pour faire donner un acompte à Deleuse et l'excuser du retard apporté aux travaux, qui s'exécutaient à Paris. Les châsses furent mis en place au mois de décembre. Cette salle contenait peu de monde ; mais le théâtre était vaste et pouvait se prêter à la représentation des opéras les plus embarrassés de machines et d'acteurs. Toutes les dépendances de la salle étaient commodes et la décoration intérieure magnifique. Les loges étaient garnies de draperies en moire bleue, celle où se plaçait la famille royale était grillée et située au rez-de-chaussée. Toutes les personnes à qui leurs charges ne donnaient point entrée au spectacle se faisaient inscrire pour avoir des billets chez le capitaine des gardes, lequel à raison de sa place devait répondre à toutes les personnes qui approchaient le Roi... Chaque représentation était assez dispendieuse, car on fournissait les voitures aux acteurs pour venir de Paris, et toute la salle, même le théâtre, était éclairée en bougies. On y avait chaque semaine la tragédie, la comédie et l'opéra-comique, dont la musique de la Chapelle composait l'orchestre. Le Roi y assistait régulièrement, quand on jouait des pièces de Molière, qui le faisaient beaucoup rire, ou quelque tragédie des auteurs les plus célèbres ; au fond, il n'aimait guère que les pièces modernes. Quant à la Reine, elle était fidèle à la musique et, les jours d'opéra, elle ne manquait jamais de s'y trouver[11]. Le grand opéra se donnait cinq ou six fois chaque hiver et, comme les représentations dans la grande salle de Gabriel étaient fort coûteuses, la nouvelle dut suffire à tous les besoins de la Cour, pendant les années qui précédèrent la Révolution.

Les bals finirent en 1787 ; c'était le Roi qui les offrait à la Reine, les mercredis de chaque semaine, depuis le commencement de l'année jusqu'au Carême. Ils ne furent point transportés dans la nouvelle salle de comédie ; on continua à employer celle de la cour des Princes, mais en l'agrandissant sur le jardin : On y ajoutait plusieurs de ces pavillons de bois conservés à l'hôtel des Menus-Plaisirs et qui, dressés en peu d'instants, décorés en quelques heures, formaient des palais ambulants. La famille royale y accédait par un escalier de bois, aboutissant aux degrés extérieurs qu'on voit vers l'angle rentrant des façades du Château. Le comte d'Hézecques a décrit avec complaisance ces bals extrêmement brillants, où il faisait ses débuts de page : On était d'abord dans un bosquet de verdure garni de statues et de buissons de roses et terminé par un temple ouvert où était le billard... A droite, de petites allées conduisaient dans la salle de danse et dans celle du jeu... La salle de bal était un carré long, dans lequel on descendait par quelques marches ; tout autour régnait une galerie, qui laissait la liberté de circuler sans nuire à la danse, qu'on pouvait examiner entre les colonnes... Le buffet... terminait la perspective de la salle de jeu ; il était placé dans une demi-rotonde... Quatre coquilles de marbre contenaient des jets d'eau, qui jaillissaient toute la nuit et répandaient une douce fraîcheur dans la salle de danse, tandis que de nombreux tuyaux de calorifères échauffaient les autres appartements... A minuit, on servait le souper dans l'ancienne salle de comédie ; chaque table était d'une douzaine de couverts, et l'on s'y réunissait avec sa société...[12] On a des plans complets de ces installations charmantes, où se déployait le goût des artistes des Menus.

 

Sous Louis XVI, les intérieurs du Roi ne se modifient guère. Il continue à se servir des admirables salons créés sous le règne précédent, et auxquels Louis XV a réuni déjà les nouvelles salles à manger, substituées à l'appartement de Madame Adélaïde. Tout l'hiver, les jours de chasse, Louis XVI à son tour donne à souper, sur les neuf heures, à la famille royale et à ses compagnons de la journée, auxquels se joignent quelques invités. Les pièces réservées à cet usage sont devenues une dépendance des Petits Appartements, et l'on s'habitue désormais à leur en donner le nom[13]. Dans la salle d'angle, qui sert de salle à manger, a lieu vers Noël, pendant une quinzaine de jours, l'exposition des produits de Sèvres, ce qui la fait appeler le Salon des Porcelaines. Tout le monde s'empressait d'aller les admirer et d'en acheter. La Cour faisait beaucoup de présents, et le Roi s'amusait à voir déballer ces porcelaines et à considérer la foule des acheteurs. Pendant la durée de l'exposition, les soupers de Louis XVI ont lieu dans les premiers cabinets voisins de la chambre à coucher, et c'est ainsi que le duc de Croÿ revenant à la Cour au début du règne nouveau, y retrouve les anciennes habitudes :

C'était où mangeait, il y avait trente ans, le feu Roi. Mais ce qui me frappa beaucoup, c'est de me trouver dans la même chambre et à la même place où j'avais vu, un an et demi devant, ce terrible spectacle de l'Extrême-Onction. La chambre qui était celle où couchait le Roi était bien la même, hors un beau meuble neuf qu'on y avait mis, et que le Roi couchait dans l'alcôve, l'autre étant mort dans son petit lit rouge au milieu de la chambre... Non seulement la Reine, Madame de Lamballe et ses dames, mais Monsieur et Madame, M. le comte et Madame la comtesse d'Artois, M. le duc et Madame la duchesse de Chartres et leurs dames v étaient, de sorte qu'il y avait seize dames, qui seules furent à la grande table avec le Roi et ses deux frères. M. le duc de Chartres vint à la nôtre dans l'autre pièce, où nous étions dix-sept hommes... Le Roi, à son ordinaire, badina, chercha à ricaner sur chacun... J'aurais bien désiré un meilleur ton pour lui, mais c'était avec tant de bonté et d'affabilité qu'on ne pouvait s'empêcher de l'aimer... Pendant qu'on jouait, le prince de Soubise me mena encore voir très longtemps les porcelaines ; c'est un coup d'œil admirable... A la fin des parties, nous revînmes autour de celle de la Reine, qui nous montra ses diamants et de belles boucles d'oreilles qu'elle aurait bien voulu acheter ; mais elle les cachait au Roi, ce qui me lit voir qu'il tenait bon sur la dépense.

 

Racontant un autre souper, le duc de Croÿ déclare qu'il trouvait tout cela beaucoup plus séant et mieux entendu que dans l'ancien temps... Le Roi était au mieux, très gai, parlant, polissonnant, mais réellement très aimable. Quand les parties se prolongeaient trop longtemps, les convives qui ne jouaient pas montaient chez le comte et la comtesse de Maurepas, qui logeaient tout à côté, dans les Cabinets, et rassemblaient toute la bonne compagnie, ce qui était commode et agréable[14].

Les soupers sont organisés par le service des Petits Appartements, que dirige Thierry de Ville-d'Avray et, sous ses ordres depuis 1783, le secrétaire de la cassette Séguret. La cuisine est faite dans les cabinets du second étage. Il n'y a aucune étiquette ; le Roi est servi par des garçons du Château, et les dignitaires de la Couronne, qui se trouvent presque toujours invités, n'ont aucune fonction à remplir et sont de simples convives. Chaque semaine, le Roi donne un petit souper et un grand souper. Le premier n'admet que quinze à vingt élus, appelés à haute voix à l'Œil-de-Bœuf, après l'ordre, par l'huissier qui lit une liste. L'appel terminé, le Roi se rend avec toute la société dans le salon des Petits Appartements, très sobrement meublé, avec un lustre en bougies, un canapé, quelques fauteuils, quelques sièges courants, le tout en tapisserie dans le genre antique. Le contrôleur de bouche annonce aussitôt ; le Roi passe dans la salle à manger et n'indique de place qu'aux convives qui doivent s'asseoir à ses côtés. Monsieur est toujours en face de lui, tenant le dé de la conversation ; le comte d'Artois, qui soupe rarement, parce qu'il ne dîne qu'à cinq heures, vient toujours faire une apparition, tournant autour de la table et disant à chacun un mot gracieux ou jovial : Comme entre hommes on ne se gêne guère, les propos plus que gais et même lestes s'y glissaient souvent ; mais le Roi manquait rarement de les arrêter, lorsque la présence de quelque jeune seigneur exigeait un peu plus de retenue. Au bout d'une heure ou une heure et demie, le Roi se lève, prend son café dans la salle à manger, poursuivant parfois d'interminables propos sur la chasse du jour. Pendant ce temps, les convives s'entassent dans le salon ; Monsieur a arrangé la partie de whist, le comte d'Artois est au billard ; quant à Louis XVI, il fait un trictrac à un écu la fiche ; c'est le plus gros jeu qu'il se permette.

Les jours de grand souper, où vient la Reine, les invitations de dames sont faites par ses pages, qu'elle envoie à Paris, après avoir vu la liste du Roi au moment du départ pour la chasse. Les dames, invitées ainsi au dernier moment, sont celles dont les maris sont du souper du soir. Il y a parfois jusqu'à cinquante convives et même davantage, ce qui exige une seconde table. Toutes les dames, ainsi que la Reine, se placent à celle du Roi, où souvent les seuls hommes sont le Roi et Monsieur. Quelquefois un prince étranger est invité ; quand Joseph II est venu à Versailles, il ne s'est point assis et s'est contenté d'assister au brillant spectacle, appuyé sur le fauteuil du Roi. Beaucoup de seigneurs ne soupent pas ou viennent au buffet manger un morceau ; les chasseurs, dès l'entrée, se précipitent à la petite table, où ils sont assurés qu'ils ne manqueront de rien et où la Reine leur fait envoyer ce qu'il y a de meilleur. Il faut convenir, écrira Séguret[15], qu'il était difficile de porter plus loin l'art de la gastronomie, et la chère délicieuse des Petits Appartements était presque passée en proverbe.

 

C'est dans cette partie du Château que se crée, dès l'avènement de Louis XVI, l'œuvre la plus considérable que son règne ajoute au trésor de Versailles, la bibliothèque. D'une curiosité moins étendue que son grand-père Louis XV, il aime cependant avec passion l'étude et les livres. Il veut avoir au premier étage et sous sa main ces recueils d'histoire, ces ouvrages géographiques, pour lesquels il a une prédilection. Parmi les premiers ordres donnés à Gabriel, pour mettre en état l'appartement où vient de mourir Louis XV et changer la destination de certains locaux[16], le jeune roi demande l'installation d'une bibliothèque dans le salon qui précède celui des Porcelaines. L'architecte transmet en ces termes l'ordre de son maître : Sa Majesté ayant ordonné qu'il soit fait un corps de bibliothèque dans la pièce de compagnie des Petits Appartements au plain-pied du grand, et désirant qu'elle soit faite pendant le voyage de Compiègne, il convient de faire dès à présent la démolition de tout le lambris qui existe, et faire tracer diligemment sur le parquet tout le plan, pour faire toutes les épaisseurs des bois, de tracer sur le mur toutes les élévations, pour y régler quelques parties de sculptures, et mettre à portée M. Lécuyer d'ordonner toutes les ferrures et autres ouvrages de bronze qu'il conviendra, et les mesures des glaces qui seront nécessaires Les sieurs Clicot et Rousseau se chargent de la menuiserie et de la sculpture et promettent diligence. — A Versailles, ce 10 juin 1774.

La bibliothèque de Louis XVI n'est pas seulement la dernière œuvre de Gabriel ; c'est aussi la dernière à laquelle a pris part le vieil Antoine Rousseau, qui termine sa vie à Versailles. A vrai dire, l'ouvrage de sculpture est déjà exécuté de la main ou sous la direction de ses deux fils, qui vont lui succéder dans tous les travaux des Bâtiments du Roi. L'aîné, Jean-Antoine, sera le véritable directeur de l'atelier parisien, sis au faubourg Saint-Denis, et c'est à lui que s'adresseront les ordres de M. d'Angiviller ; mais il travaillera souvent sur les dessins de son cadet, Jean-Siméon, dit Rousseau de la Rothière, du nom d'une terre champenoise, et adonné plus spécialement à la peinture. L'Almanach de Versailles de 1780 distinguera la spécialité de chaque frère, en indiquant Rousseau l'aîné comme sculpteur ordinaire de la Reine, et Rousseau de la Rothière comme peintre et décorateur de la Reine. Il reste quelques œuvres de peinture et de sculpture faites en commun par les frères Rousseau, et ce sont peut-être les plus délicates de ce moment de l'art français, où s'essaient des formules nouvelles du décor d'appartement[17] ; la bibliothèque de Louis XVI, qui ne comporte que du bois sculpté, indique déjà comment se transforme le travail des sculpteurs attitrés du Château.

Aux angles de la pièce, des panneaux incurvés présentent des trophées' d'une composition originale[18]. On y voit le livre de la Henriade joint à une trompette de Renommée et à deux plumes d'écrivain ; un volume de Rollin, avec une plume encore et une épée à la romaine ; la rustique cornemuse avec le bâton recourbé ; l'urne et le flambeau funéraires ; le tambour de basque et les castagnettes ; la corbeille, la houlette et le chapeau de berger ; la coiffure de Mercure et le caducée posés sur un livre de commerce, auquel est ajouté le nom inattendu de Bossuet, peut-être pour rappeler la religion omise entièrement dans ces symboles ; le globe céleste et la lunette d'approche ; enfin les emblèmes de la peinture, de la sculpture, de la musique et aussi de la poésie dramatique, rappelée par le masque, le thyrse et les marottes corniques. L'invention des menus détails est exquise, tels que ces légers bouquets de fleurs des champs attachés par des rubans où tiennent encore tant de jolis objets. Les armoires sont séparées par d'autres chutes de bouquets, aux fleurs superbes, roses, dahlias, pavots, marguerites et soleils. Le roi Louis XVI apprécia-t-il comme il convenait la prodigieuse ingéniosité de ses artistes ? sut-il examiner à loisir leur travail varié à l'infini ? ou se contenta-t-il de lever parfois les yeux vers les deux panneaux au-dessus des glaces, où il voyait, d'un côté, Apollon appuyé sur sa lyre, de l'autre la France recevant l'hommage des génies des Arts ? Il goûtait davantage, en connaisseur de la technique du métal, les bronzes appliqués au marbre blanc de la cheminée où il se chauffait l'hiver. Cette cheminée introduit dans l'histoire de Versailles le nom de deux excellents artistes, Boizot et Gouthière. On l'avait exécutée pour le Salon de Diane à Fontainebleau, deux ou trois ans auparavant. Boizot avait fait les modèles et sculpté les deux cariatides enfantines de marbre ; leur draperie de bronze, leur gaine de feuilles d'acanthe, la frise de branches de rose étaient l'œuvre de Gouthière, qui avait l'entreprise de tous les travaux de ciselure et dorure du château de Fontainebleau[19]. Gabriel, trouvant la cheminée déjà prête, la fit transporter à Versailles dans la nouvelle bibliothèque du Roi.

Ce fut la pièce favorite de Louis XVI. Il y étudiait sur un petit bureau placé dans l'embrasure de la fenêtre... se reposait de son travail en regardant les gens qui traversaient les cours ; et les curieux... pouvaient se convaincre, aux livres usés gisant sur le parquet, à la quantité de papiers épars de tous côtés, que Louis XVI ne passait pas son temps à forger, à s'enivrer ou à battre ses gens, comme ses vils ennemis ont voulu le faire croire. Au milieu de la bibliothèque était une vaste table de bois d'acajou, d'un seul morceau, qui portait les groupes de La Fontaine, Boileau, Racine, La Bruyère, etc. Ces statuettes, en biscuit de Sèvres, faisaient partie de séries historiques alors commandées par le Roi. Dans cette pièce ou dans les cabinets voisins figuraient beaucoup d'objets d'art choisis par Louis XVI, dont un certain nombre ont été rapportés à Versailles, par exemple les précieux tableaux de chasse peints à Sèvres sur porcelaine tendre, d'après les compositions d'Oudry rajeunies pour la nouvelle cour, les fines gouaches de Van Blarenberghe, représentant les batailles du règne de Louis XV et de la guerre d'Amérique, une statuette équestre en biscuit de Frédéric II, roi de Prusse. On voyait aussi, dans le cabinet de la pendule de Passemant, le modèle en bronze de la statue de la place Louis XV, par Bouchardon, et les quatre dessus de porte du cabinet étaient les portraits de Louis XV, de Marie Leczinska, du Dauphin, père du Roi, et de Marie-Josèphe de Saxe[20].

Les autres travaux accomplis, au cours du règne, dans les intérieurs de Louis XVI n'ont pour la plupart qu'un intérêt de commodité. En 1775, on établit une communication par les entresols entre l'appartement du Roi et celui de la Reine, permettant à Louis XVI de se rendre chez sa femme sans traverser l'Œil-de-Bœuf, plein de monde à toute heure, ce qui lui cause parfois une insupportable gêne. C'est un couloir fort long, éclairé aux lampes, qui passe sous la Chambre de parade et aboutit, par un escalier encore existant, tout auprès de la chambre de la Reine. Les souverains avaient exigé une exécution rapide de ce travail compliqué, qu'on fit pendant les fêtes  du Sacre et qui donna les plus discrètes facilités à leur vie conjugale. On l'appelait à la Cour le passage du Roi[21]. A l'étage des anciens Petits Cabinets, Louis XVI apporta divers changements[22]. Il y tenait une suite de cartes de géographie, des plans en relief, des modèles de vaisseaux, un petit observatoire, et il passait de là dans les combles du Château, où était sa promenade favorite. Il lui arrivait aussi d'ouvrir la porte de communication des cuisines des Petits Appartements et de causer avec bonté avec le premier venu qui se trouvait là, fût-ce un marmiton. Tout à fait sous les toits, était cette fameuse forge, où Madame de Bombelles introduisit un jour la baronne d'Oberkirch, en lui faisant visiter les Petits Cabinets du Roi : Je les trouvai, dit la baronne, moins beaux et moins ornés que ceux de la Reine. Louis XVI a des goûts simples ; ils percent dans tout ce qui l'entoure. Nous montâmes par un escalier dérobé jusqu'à un réduit qu'il s'est créé dans les combles et où il travaille à la serrurerie, ce qui l'amuse infiniment ; il y a plusieurs pièces remplies des outils nécessaires[23]. Le Roi appelait ces pièces son atelier de mécanique. Il y martelait le fer avec l'entrepreneur des Bâtiments Gamain ; mais les ouvrages intéressants s'y faisaient sous la direction de Poux-Landry, excellent serrurier et mécanicien, capable de cultiver plus habilement qu'un Gamain les dispositions du royal élève[24]. Soulavie, visitant la forge en 1792, y trouvera deux enclumes, mille outils en fer, différentes serrures ordinaires, mais fines et parfaites, des serrures à secret, des serrures ornées de cuivre doré, témoignages d'un travail attentif et intelligent[25].

L'art a été intéressé une fois encore aux aménagements ordonnés chez Louis XVI, lorsqu'on y fit sa nouvelle garde-robe, qui est le plus bel ouvrage à Versailles des frères Rousseau[26]. La bibliothèque, qui fut le premier, date de 1774 ; le cabinet de garde-robe, de 1788, est une petite pièce tout intime, qui ne permet plus de concevoir des compositions à grande échelle. Cependant le goût est resté le même ; le travail du bois, rehaussé par la plus habile dorure, atteste une perfection maintenue ; par dessus tout, l'imagination inventive se révèle avec les mêmes ressources. Il est intéressant de joindre à ces observations des indications historiques précises sur ces beaux travaux, qui suffiraient à faire connaître la manière d'un atelier, aussi bien qu'à assurer la gloire d'un artiste.

Dissimulée dans la boiserie de l'alcôve de la chambre où couche le Roi, s'ouvre la porte du cabinet de garde-robe. Sous Louis XV, c'est une étroite pièce à six pans, qui prend jour sur le balcon de la cour des Cerfs, et Louis XVI conserve longtemps ce cabinet, flanqué de placards et réservé aux usages privés de son service. Pour quelle raison se décide-t-il à l'élargir, à le rendre carré et à commander pour l'orner une délicate sculpture ? Est-ce parce que les Rousseau, ayant beaucoup travaillé pour Marie-Antoinette, ont sollicité la faveur de montrer chez le Roi un de leurs nouveaux ouvrages ? On ne s'explique guère que, pour une pièce aussi retirée, une aussi forte dépense de luxe soit engagée, en 1788, au moment des pires embarras financiers. La date est cependant certaine[27] ; le cabinet de garde-robe a reçu sa dorure du sieur Dutems dans l'été de 1789, et c'est la dernière œuvre d'art que le dix-huitième siècle ait produite dans Versailles.

La boiserie présente, sur quelques pieds carrés, une accumulation de symboles. D'innombrables motifs se disposent dans l'uniformité d'un dessin général et se répartissent en six panneaux, divisés chacun en trois compositions. Le seul motif commun est l'écusson fleurdelysé, entouré du sceptre, de la main de justice et du collier du Saint-Esprit, au sommet des compositions centrales. Ce sont, en effet, les préoccupations d'un souverain français que résume ce revêtement d'or, quotidiennement placé sous les yeux du Roi, et chaque morceau rappelle les objets de son gouvernement. Voici l'Agriculture, avec tous les instruments aratoires, charrue, herse, bêche, râteau, faux et faucilles, van et tamis, cuve de vendange et gerbe de blé ; voici le Commerce, avec ses diverses balances, des grues, des tonnes, des ballots ; voici la Marine et la Guerre, avec les plus ingénieux trophées, des proues, des voiles et des cordages, un canon et ses boulets ; voici un panneau consacré aux Arts, dont les vieux emblèmes semblent rajeunis, où l'on voit par exemple le torse du Vatican chargé des outils du sculpteur ; enfin un panneau des Sciences, le plus curieux par sa nouveauté, groupant des instruments de précision qui n'ont guère l'habitude d'entrer dans un décor, tels que le sextant, le thermomètre, la machine pneumatique, inventant l'arrangement le plus pittoresque pour présenter le disque électrique et ses étincelles, introduisant même, parmi les menus accessoires des rinceaux fleuris, quatre petites montgolfières, qui achèvent de fixer une date et d'évoquer les principales recherches scientifiques de l'époque.

Ces sculptures, que met en valeur une dorure singulièrement habile, semblent des appliques de bronze ciselé d'un travail aussi pur que les véritables bronzes de la pièce. Ceux-ci se présentent, en collection précieuse, aux espagnolettes des fenêtres et sur les diverses faces de la cheminée de marbre rouge veiné. Aux ordinaires enroulements des bandeaux, dont l'exécution rappelle le plus fin style de Gouthière, se joignent, sur les côtés, des branches de chêne et des guirlandes de fleurs naturelles, où l'on a mêlé, pour tenir les pincettes et la pelle à feu, les anneaux d'un serpent enroulé autour d'une cordelière. Quel magnifique artiste a réalisé pour Louis XVI ces dernières merveilles ? Les Comptes ne le nomment point et ne font même pas mention d'un travail exécuté à cette date pour les appartements royaux. Mais aucune hésitation n'est possible, puisque partout se révèle la main de Gouthière, collaborateur habituel des frères Rousseau. Il est permis de croire qu'on a transporté ici la cheminée des bains du Roi, ciselée par lui quelques années auparavant[28] ; ainsi son œuvre s'ajoute à celle des sculpteurs, comme pour résumer la perfection de l'art de Versailles à la veille de la Révolution.

 

Quelques appartements historiques doivent être désignés pour préciser les récits relatifs au règne de Louis XVI. Les emplacements peuvent en être retrouvés, mais non la décoration, qui a presque partout disparu. Les Enfants de France vivaient au bout de l'aile du Midi, au rez-de-chaussée ouvrant sur la terrasse, qui domine le parterre. C'était, dans le Château, une partie retirée et bien exposée, que sa tranquillité et sa salubrité avaient fait choisir depuis longtemps pour l'éducation des petits princes[29]. A l'époque de l'arrivée de Marie-Antoinette à Versailles, elle était réservée à ses jeunes belles-sœurs, Mesdames Clotilde et Elisabeth. Cette dernière était encore dans l'appartement en 1778, avec la princesse de Guéméné, gouvernante des Enfants de France, qui y tenait son cercle et y donnait des fêtes recherchées. A ce moment, la Reine était grosse et l'on attendait la naissance d'un Dauphin ; Marie-Antoinette parlait de lui foire habiter ce rez-de-chaussée : A la manière dont on les élève à cette heure [les enfants], écrivait-elle à Marie-Thérèse[30], ils sont bien moins gênés ; on ne les emmaillote pas...., et du moment qu'ils peuvent être à l'air, on les y accoutume petit à petit et ils finissent par y être presque toujours. Je crois que c'est la manière la plus saine et la meilleure de les élever. Le mien logera en bas, avec une petite grille qui le séparera du reste de la terrasse, ce qui même pourra lui apprendre plus tôt à marcher que sur les parquets. Le premier enfant fut Madame Royale, qui reçut à son tour les soins de Madame de Guéméné. Elle y resta jusqu'au début de 1783, où une installation lui fut préparée dans les Petits Appartements de la Reine. Le Dauphin fut porté chez les Enfants de France, le 22 octobre 1782, jour de sa naissance, et son frère le duc de Normandie l'y rejoignit, le 27 mars 1785. Le Dauphin en sortit en 1787, pour passer aux hommes. C'est de l'appartement de l'aile du Midi qu'il est question dans les Mémoires secrets, à propos d'un petit terrain contigu, où le public pouvait voir, tous les matins, le jeune fils de Louis XVI se livrer aux travaux du jardinage sous la direction du Roi lui-même. Ce royal jardinet, qui faisait la satisfaction des économistes, était pris sur la partie haute de la terrasse de l'Orangerie[31].

Quand la princesse de Guéméné dut donner sa démission de la charge de gouvernante, la duchesse de Polignac, nommée à sa place, vint habiter l'appartement de l'aile, aux premiers jours de novembre 1782. On réserva au mari un petit logement comprenant antichambre, cabinet et chambre à coucher. La chambre de la gouvernante était séparée de celle du Dauphin par une porte de glace sans tain, qui permettait de voir de l'une dans l'autre[32]. Parmi les pièces de Madame de Polignac, on trouve désignés une bibliothèque, un salon frais, un salon d'hiver. On avait élevé, dès l'été de 1782, à l'extrémité de l'aile, au-dessus de la Petite Orangerie, une de ces constructions provisoires de bois, qu'on se permettait alors d'ajouter au Château et dont la salle des bals de la Reine, installée à l'angle rentrant de la terrasse dit midi, est la plus fameuse. Le salon d'hiver de la gouvernante des Enfants de France avait la forme d'une galerie. Le chevalier de l'Isle, écrivant au prince de Ligne que leur amie, Madame de Polignac, recevait toute la France, les mardis, mercredis et jeudis, ajoutait : On habite durant les trois jours, outre le salon toujours comble, la serre chaude dont on a fait une galerie, au bout de laquelle est un billard. La galerie de bois fut, jusqu'à la fin, le coin des réunions intimes de la duchesse. Le duc de Lévis les décrit ainsi : Tout le reste de la semaine, elle menait une véritable vie de château. Une douzaine de personnes formaient, avec sa famille, sa société ; il y régnait une aimable liberté. On se rassemblait dans une grande salle de bois construite à l'extrémité de cette aile du Palais qui regarde l'Orangerie au fond, il y avait un billard, à droite un piano, à gauche une table de quinze. On y jouait et on faisait de la musique, on causait ; jamais il n'était question d'intrigues ou de tracasseries, pas plus que si l'on eût été à cent lieues de la capitale et de la Cour. Je me rappelle avec un plaisir mêlé de regrets les agréables soirées que j'y ai passées, pendant les deux hivers qui ont précédé la Révolution[33]. En 1783, la Reine commenç.ait déjà à ne plus venir aussi familièrement qu'autrefois chez Madame de Polignac elle se dégoûtait de cette société, où beaucoup de gens lui déplaisaient et que la favorite ne voulut pas lui sacrifier. M. de Lévis, qui est fort renseigné, ne nous apprend-il pas en ternies clairs, à propos des démarches qui firent nommer gouvernante la duchesse, que la Reine ne l'aimait plus à cette époque ?

La partie du Château où il faut placer une intimité fameuse n'est autre que la Vieille Aile de la cour des Princes, beaucoup plus voisine de l'appartement de la Reine. Tout au début, la comtesse Jules paraît avoir été logée dans celui de Madame de Maintenon ; l'occupant, qui était alors le maréchal duc de Duras et qu'on délogeait quelquefois pour les besoins de la Cour[34], a pu se prêter aisément au caprice de sa souveraine[35]. Tôt après, le comte Jules de Polignac, nominé au mois d'août 1776 survivancier du premier écuyer de la Reine, a déjà en cette qualité quatre pièces au premier étage, retirées de l'appartement du duc d'Aumont[36]. Quand le vieux Premier gentilhomme se décide à quitter la Cour pour habiter uniquement son hôtel de Paris, au milieu de ses collections, le reste de son logement de Versailles, soit dix pièces encore, est donné à Madame de- Polignac. C'est sans doute au moment où le Roi augmenta considérablement la situation de celle-ci, en créant son mari duc héréditaire, en septembre 1780. Une anecdote du mois de mars 1778, racontée par Besenval, nous montre les Polignac logés encore fort à l'étroit ; l'influence de la favorite n'en était pas moins grande, puisque c'est là qu'elle obtenait de l'amitié de la Reine tant de grâces pour elle et pour ses amis, et qu'elle était, par exemple, assez puissante pour faire appeler au ministère M. de Castries et M. de Ségur[37]. A partir de 1780, la duchesse put tenir au Château un état plus brillant. Bien qu'au premier étage de la Vieille Aile les pièces fussent rétrécies par des cloisons nombreuses, il n'y avait pas de logement plus enviable pour une personne de la Cour. Il était situé entre celui du maréchal duc de Duras, Premier gentilhomme de la Chambre, qui y avait remplacé le comte de Clermont, et celui du duc de Penthièvre, occupant le premier étage du pavillon du bout de l'aile[38]. Il avait vue d'un côté sur la cour Royale, où aboutissait tout le mouvement de Versailles. Pour se rendre chez la Reine, il suffisait de traverser la salle des Cent-Suisses et la grande salle des gardes ; on pouvait même éviter la salle des Cent-Suisses, en passant par un petit cabinet dépendant de la garde-robe de la Reine. Ce trajet était fait presque tous les jours par Marie-Antoinette, qu'on voyait se rendre chez son amie, pour y passer la soirée, accompagnée par un seul page, et revenir de même, à travers les pièces où sommeillaient à demi les gardes du Château.

L'appartement de la Vieille Aile semblait destiné à l'intimité de la Reine. Après Madame de Polignac, elle y plaça Madame d'Ossun, chez qui elle ne tarda pas à prendre ses habitudes. Geneviève de Gramont, comtesse d'Ossun, nommée dame d'atours dès 1781, reçut l'attribution de .ce logement au mois d'avril 1783[39]. Au mois de juin 1784, la baronne d'Oberkirch, notant dans son journal les souvenirs de sa présentation, parle du jeu de la Reine et de sa nouvelle amie : Nous avions la comtesse d'Ossun, sœur du duc de Guiche, dame d'atours de la Reine et qui devint plus tard son amie, chez laquelle Sa Majesté allait chaque jour, quand le salon des Polignac commença à lui déplaire[40]. Le comte de La Marck fait connaître le charme que trouva Marie-Antoinette dans la société d'une femme modeste et vertueuse, qui devait payer cette faveur de la mort sur l'échafaud : La Reine, raconte-t-il[41], s'éloigna insensiblement du salon de Madame de Polignac et prit l'habitude d'aller souvent et familièrement chez Madame la comtesse d'Ossun, sa dame d'atours, dont le logement était très près de l'appartement de la Reine ; elle y venait Miner avec quatre ou cinq personnes ; elle y arrangeait de petits concerts, dans lesquels elle chantait ; enfin, elle montrait là plus d'aisance et de gaîté qu'elle n'en avait jamais laissé apercevoir chez Madame de Polignac.

Ces détails se rapportent aux dernières années du règne et mettent bien en contraste deux époques différentes, à tous les points de vue, de la vie de Marie-Antoinette. L'intimité avec la duchesse de Polignac parut se renouer dans le malheur, aux derniers temps de Versailles. La gouvernante allait se trouver rapprochée de la Reine par un nouveau changement d'appartement ; mais ce fut pour quelques jours à peine, car bientôt les événements les séparèrent pour toujours. Après la mort du premier Dauphin au château de Meudon, le 4 juin 1789, Madame de Polignac se transporta avec le duc de Normandie, devenu Dauphin, au rez-de-chaussée du corps du Château ; elle prit avec son mari le logement du duc et de la duchesse d'Harcourt. La gouvernante s'y trouvait lors de la manifestation populaire du 15 juillet : La Reine, écrit Madame Campan, me remit les clefs des portes intérieures qui conduisaient chez M. le Dauphin et m'ordonna d'aller trouver la duchesse de Polignac, et de lui dire qu'elle demandait son fils et m'avait chargée de le conduire moi-même dans ses Cabinets, où elle l'attendait pour le montrer au peuple. Madame de Polignac vit dans cet ordre imprévu l'annonce qu'on allait lui enlever le Dauphin et se mit à pleurer en le remettant aux mains de la femme de chambre. Le lendemain, les Polignac quittaient le Château ; leur impopularité était devenue un danger pour eux comme pour la Reine. On peut accepter comme vraie la scène racontée par Diane de Polignac et confirmée par Madame Campan : la Reine faisant appeler les Jules, à huit heures du soir, le 16 juillet, et les suppliant de partir dans la nuit même ; les préparatifs faits à la hâte ; le billet d'adieu de la Reine apporté vers minuit ; enfin ce départ qui ressemble à une fuite, le duc et la duchesse, leur fille, la duchesse de Guiche, et leur sœur, la comtesse Diane, abandonnant dans les ténèbres ce Versailles où ils ont si brillamment vécu[42].

La place laissée vide par Madame de Polignac est aussitôt occupée par la marquise de Tourzel, qui s'installe au Château aux premiers jours d'août. Il y a une nouvelle distribution de l'appartement, qui est destiné à la fois au Dauphin, à Madame Royale et à Madame de Tourzel. La nouvelle gouvernante a auprès d'elle sa dernière fille, Pauline, plus tard comtesse de Béarn, logée dans un entresol qui prend jour sur la cour du Dauphin. La chambre de la jeune fille était située sous les fenêtres du cabinet de la Reine et, lorsqu'elles étaient ouvertes, on pouvait entendre tout ce qu'elle disait, par exemple ses entretiens avec le Roi. Il y a, à ce sujet, une jolie réponse de Marie-Antoinette, prévenue de cet inconvénient par Madame de Tourzel : Qu'importe ? Je n'ai rien à craindre, quand mes plus secrètes pensées tomberaient dans le cœur de notre chère Pauline[43]. Le séjour de ces fidèles amies ne dura que quelques semaines ; le 6 octobre, la marquise suivait la famille royale aux Tuileries.

Comment ne pas essayer de retrouver l'appartement de la princesse de Lamballe ? La surintendante de la Maison de la Reine occupa d'abord douze pièces et onze entresols, situés au premier étage à l'angle de l'aile du Midi et donnant sur la cour de Monsieur et la rue de la Surintendance. De la rue, on doit chercher au deuxième étage les fenêtres de la princesse. L'appartement était celui du duc de Penthièvre, qui l'avait abandonné à sa belle-fille pour en accepter un dans la cour Royale, au pavillon de la Vieille Aile. Elle s'y établit, lorsqu'elle accepta la charge offerte par l'amitié de la Reine, le 16 septembre 1775 ; elle y faisait faire de grands changements à la fin de l'année suivante, et Mercy prétend même qu'elle en tirait prétexte pour ne pas tenir maison cet hiver-là. Elle s'y trouvait peu éloignée de Madame de Guéméné, qui habitait au bout de l'aile du Midi, sur le parterre, l'appartement des Enfants de France. Cette partie du Château était donc alors très fréquentée par Marie-Antoinette ; l'ambassadeur de Marie-Thérèse ne cesse de se plaindre des soirées qu'elle passe dans le salon de la gouvernante ou dans celui de la surintendante, chez qui l'on joue toujours très gros jeu[44].

La princesse de Lamballe quitte cet appartement en 1780, au moment où Madame Elisabeth et sa dame d'honneur, Diane de Polignac, s'installent dans celui du duc d'Orléans, tout voisin[45]. Elle est remplacée par le petit duc d'Angoulême, fils aîné du comte d'Artois, et elle descend dans l'appartement placé au-dessous de celui qu'elle abandonne et qui est composé de la même façon. On y trouve salon, petit salon, boudoir, bibliothèque, chambre à coucher, antichambres, salle à manger, garde-robe, bains, chambre de la dame d'honneur et entresols. A cette époque, Marie-Antoinette n'a plus ses habitudes chez la princesse. Plus tard, quand le comte de Provence et Madame viennent s'établir dans l'aile du Midi, Madame de Lamballe cède sa place à Madame. Elle reçoit, le 29 décembre 1786, un appartement à côté de celui de Madame la duchesse de Bourbon, donnant sur la galerie basse des Princes. On peut en chercher l'emplacement dans les salles 71 et 72, desservies par la galerie de pierre ; elles sont de plain-pied avec la terrasse et se divisaient autrefois, ainsi que le vestibule voisin, par des cloisons et des entresols. Cette installation, toute proche de celle de la duchesse de Bourbon [salles 67 à 70], fut la troisième qu'eut au Château Madame de Lamballe. Ce n'était, d'ailleurs, qu'un pied-à-terre, lorsque l'appelaient auprès de la Reine les obligations de sa charge. L'amitié royale refroidie ne l'attirait plus ; elle vivait d'ordinaire à la campagne, auprès de son beau-père, le vénérable duc de Penthièvre et, quand elle venait à Versailles, elle avait, rue des Bons-Enfants, son habitation particulière à l'hôtel du Maine[46].

Monsieur, comte de Provence, habita l'appartement du Dauphin, à partir de son mariage, célébré le 14 mai 1771, et Madame eut celui de la Dauphine, que Marie-Antoinette avait occupé quelques mois à son arrivée à Versailles. La seule œuvre d'art qui reste de cette époque est une petite salle de bains en boiseries, sur la cour du Dauphin, qui est probablement un ouvrage des frères Rousseau ; sur des écussons suspendus, entre des branches d'olivier, à un ruban auquel s'attachent des bouquets, on lit en chiffres diversement enlacés les lettres M J L S, qui se rapportent à Marie-Josèphe-Louise de Savoie, comtesse de Provence[47]. L'appartement provisoirement laissé à Monsieur et à Madame fut destiné au Dauphin, dès que celui-ci eut cinq ans et sortit des mains de Madame de Polignac pour être confié à ses gouverneurs et sous-gouverneurs. La plupart des pièces de Madame servirent à loger le duc d'Harcourt, gouverneur, et sa famille, qui y restèrent jusqu'en juin 1789.

Dès le mois de novembre 1786, il est question du nouvel appartement de  Monsieur et du nouvel appartement de Madame, à l'extrémité de l'aile du Midi ou aile des Princes ; l'un est celui qu'habitaient les petits ducs d'Angoulême et de Berry, qu'on envoie dans l'aile du Nord, l'autre est abandonné par la princesse de Lamballe[48]. Au pavillon de Provence, Madame avait vue sur la rue et sur la petite cour de Monsieur ; son appartement était à un niveau plus bas que celui du parterre, réservé à son mari et communiquant de même avec le corps du Château par la galerie basse des Princes[49]. Il ne reste plus chez Madame que quelques panneaux de portes et une glace d'époque Louis XVI ; mais le Château a conservé le bel escalier de Monsieur, qui dessert tous les étages du pavillon de Provence et rappelle l'installation du frère aîné de Louis XVI à la veille de la Révolution[50].

A partir de 1787, on vit très souvent la famille royale dans cette partie du Château, car elle se réunissait chez Madame tous les soirs, à neuf heures précises... pour le souper ; on y mangeait le fameux potage aux petits oiseaux, qu'elle préparait elle-même. Chacun y faisait porter ses mets, auxquels on mettait la dernière main dans de petites cuisines à portée de l'appartement de Madame. — Excepté les jours où il donnait à souper chez lui, le Roi n'y manquait pas un seul jour... Aussitôt que le Roi était arrivé, chacun prenait sa place ; tout le service se retirait et les portes se fermaient sur eux. On avait placé à la portée de chaque convive tout ce qui était nécessaire pour qu'il pût se servir lui-même... Si on ne peut rien dire précisément de ce qui se passait ou ce qui se disait dans cette auguste réunion de famille, on peut conjecturer cependant, par les grands éclats de rire qu'on entendait fréquemment, qu'elle n'était rien moins que triste[51]. La Reine qui avait dîné tard, à quatre ou cinq heures, ne dépliait pas souvent sa serviette, et brodait et cousait, tout en causant. A onze heures, le Roi sonnait, le service entrait et chacun se retirait dans ses appartements. Ces habitudes toutes bourgeoises de Louis XVI et de sa famille prirent fin aux premiers troubles révolutionnaires. On l'apprend en juillet 1789, quelques jours avant le renvoi de Necker et la prise de la Bastille, par la lettre d'une dame qui a trouvé à la Cour bien des changements. C'est chez la Reine qu'on se réunit, et les raisons en sont assez significatives : La famille royale ne mange plus chez Madame, comme c'était l'usage, parce que l'appartement de Madame est trop isolé et trop loin des secours, et puis donne sur la rue. Depuis tous les trains, on prend de grandes précautions. La famille royale mange actuellement chez la Reine, où il n'y a rien à craindre assurément, puisqu'il [l'appartement] est entouré de gardes du corps[52]. Les journées d'octobre devaient justifier ces précautions et montrer que le Roi n'était même pas en sûreté dans sa maison.

 

L'aile du Midi était toujours réservée aux princes. L'exposition plus aérée, la vue plus étendue dont on jouit de ce côté, faisaient que toute la famille royale y logeait de préférence ; mais il y avait aussi, dit le comte d'Hézecques, bien des seigneurs de la Cour qui y habitaient. Quoique les appartements qu'ils y occupaient fussent sombres et incommodes, étant situés sous les combles, ils les trouvaient toujours plus agréables, pour passer quelques jours à la Cour, que les hôtels qu'ils avaient en ville. Obligés par leur charge d'être au Château plusieurs fois par jour, ils n'avaient que des galeries à traverser, sans être obligés de faire atteler leurs équipages qui restaient, ainsi que leurs cuisines, dans leurs hôtels. Ces observations peuvent s'appliquer non seulement à l'aile des Princes, mais à l'ensemble des logements accordés à Versailles et administrés par le grand maréchal des logis.

Le comte et la comtesse d'Artois jouissaient des deux tiers du premier étage, à partir de l'escalier des Princes[53]. Le reste de l'aile fut habité jusqu'en 1780 par le duc d'Orléans et son fils, le duc de Chartres, qui le cédèrent alors à Madame Elisabeth et à sa dame d'honneur, Diane de Polignac. Le duc d'Orléans ne paraît pas avoir gardé de logement au Château. Le duc de Chartres se transporta dans l'appartement du duc de Créquy et la duchesse dans celui de Madame de Marsan ; ils se trouvaient l'un et l'autre à l'extrémité de l'aile du Midi, dans les bâtiments aux façades de brique et de pierre, qui ont une entrée sur la petite cour des Princes[54]. La mort de son père au château de Sainte-Assise, le 18 novembre 1785, changea le nom du duc de Chartres et fit appeler pavillon d'Orléans celui qu'il habitait à Versailles. L'appartement du duc d'Orléans et celui de la duchesse étaient desservis par l'escalier intérieur du pavillon, et le second communiquait aussi, par le palier de l'escalier des Princes, avec la salle des Cent-Suisses, qui menait aux parties du Château habitées par le Roi et la Reine. De l'autre côté de la petite cour des Princes, était l'appartement des Polignac, occupé après eux par la comtesse d'Ossun, d'où Marie-Antoinette a dû quelquefois regarder les fenêtres du méchant cousin devenu son mortel ennemi[55].

Le duc d'Orléans, surtout dans les derniers temps, venait le moins possible à la Cour. Le premier prince du sang ne pouvait pourtant se dispenser d'y paraître et, dans ce cas, il se servait plus volontiers de sa maison de la rue des Hôtels — aujourd'hui rue Colbert —, laissant probablement à la duchesse l'usage d'un appartement dédaigné. Il se montra au Château un instant, et seulement comme député aux Etats, le 6 octobre 1789. Beaucoup de témoins, échauffés par l'émotion des événements ou la passion de parti, voulurent le voir ce jour-là en plusieurs endroits de Versailles, au milieu de la populace qui l'envahissait ; la procédure ouverte au Châtelet est pleine de ces calomnies souvent involontaires, auxquelles il a répondu sans réplique[56]. Mais les émissaires de la faction d'Orléans se trouvaient partout, pendant les tragiques journées, et l'on peut admettre que l'appartement de leur maître fournissait un excellent poste d'observation, au milieu du Château et au point même où les premiers groupes y pénétrèrent par la grille de la cour des Princes.

 

La grande journée révolutionnaire, qui fut la dernière du Versailles royal, changea instantanément l'aspect de la ville et du Château. La Cour tout entière, ses serviteurs, ses fournisseurs, accompagnèrent le Roi à Paris. Le soir du départ, des centaines de voitures chargées de malles et de meubles franchissaient les grilles des cours, et l'on entendait se fermer partout les volets et les contrevents. Beaucoup de mobilier fut envoyé aux Tuileries dans les jours qui suivirent. Louis XVI avait dit, en montant en carrosse, au ministre de la guerre La Tour-du-Pin : Vous restez le maître ici ; tâchez de me sauver mon pauvre Versailles[57]. Le Château ne courait point de danger à cette époque ; mais il était déjà voué à l'abandon. Dans ses salons peu à peu démeublés ne restaient plus comme ornements que les œuvres de peinture et de sculpture, que les étrangers continuaient à visiter. La solitude, écrivait Halem, règne maintenant dans l'intérieur ; tout ce qui garnissait les chambres a été enlevé, emballé, mis dans un garde-meuble, et les Versaillais en concluent que la Cour ne reviendra plus. M. d'Angiviller comptait profiter de l'absence de la Cour pour entreprendre le grand travail de reconstruction auquel il voulait attacher son nom. En attendant, il donnait suite à un rapport du peintre Du Rameau, qui venait de faire connaître l'état de dégradation des peintures décoratives de la Chapelle et des Grands Appartements. La restauration commença en 1790 par celles de la Galerie des Glaces, et Du Rameau eut le temps d'achever l'ouvrage pour la grande composition de Le Brun sur la Prise de Gand[58]. Ce devait être à Versailles la dernière commande importante des Bâtiments du Roi. En 1792, l'administration des Bâtiments et Monuments nationaux, qui conserve d'ailleurs le personnel ancien, n'aura plus guère à ordonner que l'enlèvement et la destruction des emblèmes de la tyrannie.

 

 

 



[1] Lorsque Richard Mique obtint la charge de Premier architecte, le 21 mars 1775, avec promesse de celle de Directeur de l'Académie à la mort de Gabriel, il portait déjà le titre d'intendant et contrôleur général des Bâtiments de la Reine ; il le garda jusqu'à la Révolution et le paya de sa tète, sous la Terreur. Mique n'eut jamais la situation prépondérante de Gabriel, et il arriva donc, après des difficultés assez vives avec M. d'Angiviller, que celui-ci profita de la réorganisation générale de ses services, faite au mois de septembre 1776 (Almanach de Versailles de 1777), pour supprimer la charge de Premier architecte. Il ne laissait à Mique que des fonctions d'intendant général, que remplissaient avec lui Soufflot et Hazon. Mique n'exerça sans contrôle son action que sur les résidences et les appartements de Marie-Antoinette ; partout ailleurs, ses projets furent contrecarrés en sous-main par les agents des Bâtiments et par leur chef. (Sur le rôle de Mique, voir G. Desjardins, Le Petit Trianon, Versailles, 1885, p. 82, et Nolhac, Le Trianon de Marie-Antoinette, Paris, 1914, p. 61).

[2] Deux gravures anonymes représentent l'expérience des frères Montgolfier dans l'avant-cour. On peut les voir reproduites, l'une au second volume de l'Histoire des rues de Versailles de Le Roi, édition de 1868, l'autre dans notre édition illustrée de La Reine Marie-Antoinette, Paris, 1890. Celle-ci donne un aspect singulier des façades et montre le fronton de l'aile neuve dépourvu de toute sculpture ; la première indique des échafaudages devant le bâtiment et une grue à la hauteur de la toiture.

[3] Inventaire des richesses d'art de la France. Province ; monuments civils, t. II, p. 251, 252. Cinq plans au lavis, de P.-A. Paris, pour la reconstruction de Versailles et quatre dessins au crayon se rapportant à son projet sont à la Bibliothèque de Besançon. La collection Paris contient d'autres pièces intéressant les plaisirs de la Cour, les théâtres, les bals de la Reine, la salle des États-Généraux.

[4] Palais de Versailles ; Domaine de la Couronne, 1836, p. 8. L'album réuni en 1811 et contenant les projets de l'époque Louis XVI, notamment ceux de Heurtier et de Paris, se trouve aux bureaux de l'architecte du Château. Un projet de Boullée est entre les mains de M. Destailleur. Celui de Peyre le jeune est gravé dans les Œuvres d'architecture d'Ant. Fr. Peyre, publiées par Percier et Fontaine en 1818.

[5] Le projet de Le Roy, en cinq plans bien complets, est conservé à la Bibliothèque de Versailles.

[6] V. un rapport au Roi intitulé : Projet de construction d'une petite salle de spectacle. On a eu un moment l'idée de l'édifier au milieu de la grande salle de Gabriel, les représentations d'opéra étant assez rares et le démontage de la construction intérieure pouvant s'exécuter très vite (Archives Nationales, O1 1785).

[7] On trouve, dans les bons du Roi donnés au travail de Marigny, cette décision de Louis XV qui prévoit l'état actuel des lieux : Le Roi a décidé que, lorsqu'on ôterait la Comédie, le passage public serait restitué. Le 20 mars 1769. (O1 1069).

[8] Ce bal est du 25 février 1778. Journal de Papillon de la Ferté, p. 416, 420, 424.

[9] Les plans et dessins de la salle de Comédie sont aux Archives Nationales, O1 1789. Divers croquis à l'aquarelle, y compris celui d'Hubert Robert, indiquent l'écusson de France sur la grande loge du Roi. A proximité des petites loges du parquet est un foyer spécial pour la Reine.

[10] Archives Nationales, O1 1785. La lettre d'Hubert Robert est du 9 novembre 1785.

[11] La description de la salle est donnée par le comte d'Hézecques, Souvenirs d'un page, p. 219. Les autres détails viennent d'un secrétaire de la cassette, dont on a publié, dans la revue L'Université catholique, quelques souvenirs tirés à part : Les mémoires de M. de Séguret, Lyon, 1897, p. 25.

[12] Hézecques, p. 224-227. V. aux Archives Nationales, O1 1774, un Plan de la salle de bal provisoire exécutée sur la terrasse du midi du Château, au carnaval de l'année 1787. L'architecte Paris a laissé à la Bibliothèque de Besançon les aquarelles représentant la décoration d'une salle à manger pour les bals de la Reine et une série de plans au lavis et au trait des locaux à organiser pour les fêtes du carnaval, à Versailles, en 1779 et 1786.

[13] Le Premier valet de chambre Thierry de Ville-d'Avray, qui avait la charge de commissaire général de la Maison du Roi au département des meubles de la Couronne, écrit à M. d'Angiviller un billet, où il est question de l'ancien Cabinet des médailles : Versailles, ce 16 mai 1785. — Je vais d'ici un mois, Monsieur le comte, faire placer un meuble d'été neuf dans la Chambre du Roi à Versailles ; le fonds en est blanc et je crains que quelques parties de dorures écaillées dans l'alcôve de Sa Majesté ou trois noires ne fassent un mauvais effet ; je vous prie de donner des ordres à ce sujet. — Le salon des Petits Cabinets à Versailles sera aussi meublé cet automne d'un brocart couleur de feu et or. Cette pièce, toute petite qu'elle est, est celle où le Roi réunit dans ses soupers d'hiver toutes les dames de la Cour et tous les grands du royaume ; cependant la glace et les bordures de la cheminée sont en mauvais état, et je crois que la boiserie aurait besoin d'être dorée pour bien s'accorder avec un ameublement neuf. Voulez-vous bien vous en faire rendre compte ?

[14] Croÿ, t. III, p. 224 et 251.

[15] Les mémoires de M. de Séguret, p. 35-38. Cf. S. Mercier, Tableau de Paris, 1782, t. IV, p. 253.

[16] On trouvera dans Versailles sous Louis XV, p. 223-227, le curieux État des ouvrages ordonnés par Sa Majesté pendant le voyage de Compiègne, 1774, signé par Gabriel et daté de Versailles, le 7 juin. Quelques détails doivent être relevés ici : ... A l'égard de l'appartement du Roi, l'intention de Sa Majesté étant que l'on remédie aux pièces qui ont pu contracter du venin, il convient de lessiver la pièce du Conseil, en conserver les fonds autant que faire se pourra, pour être blanchie. En faire de même de la pièce de la Pendule et de la petite antichambre des Chiens et la petite salle à manger. Quant à la petite chambre à coucher, il convient de remettre un parquet neuf, refaire le plafond qui est lézardé, lessiver et regratter au vif les corniches et lambris pour être blanchis et réparés pendant Compiègne et être dorés ensuite, quand Sa Majesté l'ordonnera... Nettoyer les dorures du cabinet particulier du Roi, l'ancienne chaise percée et le cabinet ensuite près les bains... — Le petit cabinet du Roi, la pièce à pans derrière et cabinet ensuite formant la chambre des bains, la dorure étant solide, il convient la réparer et faire le réchampissage des fonds. Les pièces ensuite, dont l'une sera destinée à former bibliothèque, seront blanchies sur les fonds et réparées. — Les petites pièces qui doublent la Grande Galerie et corridor de communication conduisant à l'ancienne salle à manger, les dorures en seront supprimées et le tout remis en blanc... Louis XVI règle, en même temps, l'installation du comte et de la comtesse de Provence — l'intention de Sa Majesté étant de placer Madame dans l'appartement du Dauphin, et Monsieur dans celui qu'il occupe — et dispose de l'étage de Madame du Barry.

[17] Les frères Rousseau sont assurément les auteurs du petit boudoir de Marie-Antoinette à Fontainebleau, où domine le travail du peintre, et de celui de la marquise de Serilly, aujourd'hui au Musée de South-Kensington, dont les motifs de peinture sont inspirés librement de l'art romain. V. Lady Dilke, dans la Gazette des Beaux-Arts de 1898, t. II, p. 5. Pour les travaux du Roi, les Comptes de 1774 mentionnent des paiements à Rousseau père et fils ; à partir de l'année suivante, on n'y trouve plus que Rousseau fils. L'Almanach de Versailles fait figurer les Rousseau à l'article des Bâtiments de la Reine à partir de 1780. Dès 1779, on y trouve Dutems, comme peintre et doreur, et Le Riche, comme peintre décorateur ; celui-ci est l'auteur des peintures du Belvédère du Petit-Trianon.

[18] Les acomptes aux Rousseau père et fils s'élèvent à la somme de 12.000 livres pour 5774 ; mais dès lors les paiements sont relevés sans désignation des ouvrages (Archives Nationales, O1 2278 A).

[19] On lit dans un mémoire pour Gouthière adressé à M. d'Angiviller, le 1er mars 1786 : Il a exécuté les bronzes et il a fait la dorure de la cheminée du salon de Diane, actuellement reportée dans la bibliothèque du Roi à Versailles, ainsi que toutes les autres parties de ce salon, d'après les modèles que le sieur Boizot, sculpteur de l'Académie, fut chargé de faire. Il a suivi exactement les ordres qu'il a reçus à cet effet de M. Gabriel et il est en état d'en justifier par les lettres de cet architecte. (J. Robiquet, Gouthière, sa vie, son œuvre, Paris, 1912, p. 103 et pl. VI.)

[20] Hézecques, p. 554-157. Les plaques de Sèvres de Louis XVI, que nous avons récemment replacées dans les Cabinets, sont assurément ces petits tableaux de chasse où le Roi, sa suite et les paysages étaient de la plus parfaite ressemblance. Le page de Louis XVI ne nomme pas Van Blarenberghe ; mais il décrit ces tableaux peints avec tant de soin qu'on y distinguait parfaitement les uniformes ; la bataille de Fontenoy, la prise de Berg-op-Zoom dans la nuit, et le siège de York-Town attachaient surtout par les détails, les effets de lumière et la beauté du paysage.

[21] M. d'Angiviller donne à Heurtier, le 2 juin 1775, l'ordre d'établir le passage : ... Ce qui exigera de votre part des soins d'une toute autre importance, c'est cette communication à établir entre les appartements du Roi et de la Reine d'après les instructions que vous avez déjà sur le local. Le Roi m'a ordonné précisément cet établissement et la Reine, calculant la possibilité par son désir, veut trouver l'ouvrage terminé au retour de Reims. Ne négligez aucun des soins possibles pour y parvenir, afin que, s'ils ne suffisent pas, on puisse du moins reconnaître que rien n'aura été omis. (Archives Nationales, O1 1803). En 1781, Heurtier annonce à son chef que le Roi a ordonné la construction d'un petit degré pour établir une nouvelle communication de l'intérieur de la Reine à son corridor particulier ; ce degré prendra de la chambre des femmes de la Reine la plus près de PC-EH-de-Bœuf et descendra dans le corridor au-dessous. Tous ces accès, du côté de la Reine, existent encore ; les premiers aménagements du Musée ont fait disparaître les autres vestiges du passage du Roi.

[22] En 1777, les bains du Roi sont transportés dans sa pièce du tour ; en 1783, on arrange une nouvelle pièce de la cassette et on refait la cheminée de l'Œil-de-Bœuf ; en 1784, Dutems dore à neuf, sur l'ordre de Louis XVI, un de ses petits cabinets particuliers, qui ci-devant faisait les anciens bains de Louis XV (Archives Nationales, O1 242419). S'il s'agit, comme on peut le croire, des bains décorés par Antoine Rousseau, on voit à quelle époque remontent la dorure verte et la bronzure qui s'y remarquent. Ce genre de travail s'observe aussi dans la Salle des nobles de la Reine, dont le plafond est remanié et doré à la même époque.

[23] Hézecques, p. 156. Baronne d'Oberkirch, Mémoires, t. I, p. 210 (année 1782).

[24] Aux comptes de Versailles, les entrepreneurs de serrurerie Colin Gamain et Nicolas Gamain reçoivent régulièrement des sommes considérables. François Gamain adresse une supplique à M. d'Angiviller, en avril 1784, pour être autorisé à prendre un associé, parce que les travaux des Petits Cabinets de Sa Majesté, exigeant plus que jamais son assiduité, le mettent dans le cas de ne pouvoir seul répondre aux ordres de Mrs les inspecteurs du Château et des dehors (O1 1807).

[25] Soulavie, Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI, t. II, p. 47. V. l'étude sur Louis XVI serrurier, où M. Eug. Welvert a mis en lumière le rôle de Poux-Landry de 1780 à 1789 (En feuilletant de vieux papiers, Paris, 1912).

[26] Archives Nationales, O1 242419, 24. Les acomptes payés aux Rousseau atteignent à peine 10.000 livres, les paiements étant tous en retard de plusieurs années. On peut ajouter à leurs œuvres de Versailles, d'après le style des fragments conservés, la pièce de l'appartement de Monsieur, qui occupait la partie sud de la Galerie Basse, et dont les volets seuls sont gardés, et l'admirable bibliothèque, dont quelques armoires et panneaux sont utilisés à la Bibliothèque de la ville et qui paraissent provenir du Petit Appartement de Marie-Antoinette au rez-de-chaussée. Les têtes et rinceaux dorés à plusieurs ors, qui entouraient les inscriptions d'Apollon et des Muses, sont parmi les plus beaux morceaux de la sculpture décorative du siècle.

[27] Les plans jusqu'en 1788 montrent l'ancienne forme du cabinet. Heurtier écrit, le 18 juin 1788 : J'ai l'honneur de rendre compte à M. le directeur général que les travaux de la nouvelle garde-robe du Roi ont été cause qu'on s'est aperçu que le plancher au-dessous du lit du Roi était vermoulu. Sa Majesté, qui s'est aperçue Elle-même du mauvais état de ce plancher, a donné ordre, hier matin, au moment de son départ pour Rambouillet, de refaire ce plancher à neuf. Cette addition de besogne n'est pas par elle-même fort importante ; elle privera seulement pendant quelque temps le Roi de l'usage de sa chambre à coucher (Archives Nationales, O1 1806).

[28] Gouthière n'est pas le ciseleur de Versailles, mais celui de Fontainebleau. Dans son mémoire du 1er mars 1786 adressé à M. d'Angiviller, on lit : Le sieur Gouthière... a encore l'honneur d'observer à M. le comte qu'il vient de faire, conjointement avec les sieurs Rousseau frères, sculpteurs du Roi, les bronzes de la cheminée de la salle des bains du Roi à Versailles, de celle de la Salle des nobles de l'appartement de la Reine et ceux du foyer de la Reine à l'Opéra (J. Robiquet, Gouthière, p. 104). La cheminée de la salle des nobles paraît être celle qui est déposée dans les ateliers du service d'architecture.

[29] Les plans manuscrits montrent l'appartement des Enfants de France occupant à peu près l'emplacement des salles 70 à 80 du Musée (non toute l'aile, comme le dit Soulié, t. I, p. 485). En 1755, Blondel le marque de même, en donnant à la gouvernante, Madame de Marsan, tout ce qui est devenu la salle de Marengo.

[30] Lettre du 12 juin 1778 (Recueil d'Arneth et Geffroy, t. III, p. 213).

[31] Mémoires secrets de la République des lettres, t. XXIX, p. 30 (au 17 mai 1785). La petite Madame Sophie, quatrième enfant de Louis XVI, née le 9 juillet 1786, meurt dans les appartements des Enfants de France, le 19 juin 1787.

[32] Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 58 (avec les textes des registres des magasins).

[33] Lettres inédites sur la Cour de France, dans les Tableaux de genre et d'histoire de Barrière, Paris, 1828, p. 286. Duc de Lévis, Souvenirs et portraits, p. 133. Les Goncourt ont décrit à tort l'appartement de l'aile du Midi comme celui où la Reine passait sa vie chez Madame de Polignac. Cette intimité se place à la Vieille Aile, à laquelle aucun chroniqueur moderne n'a pensé.

[34] M. le prince de Condé a occupé, pendant le séjour de M. le comte du Nord, l'appartement de M. le maréchal de Duras, Premier gentilhomme de la Chambre du Roi. Le prince de Condé prêta son appartement au grand-duc Paul de Russie et à la grande-duchesse Marie, pendant le séjour qu'ils firent à Versailles, au printemps de 1782 (Revue de l'histoire de Versailles de 1902, p. 57).

[35] Madame Campan, dont les souvenirs sont souvent incertains, écrit sur les débuts de cette faveur : La comtesse Jules fut longtemps sans tenir un grand état à la Cour ; la Reine se borna à lui donner un très bel appartement au haut de l'Escalier de marbre (Mémoires, t. I, p. 143). Tilly parle aussi de ce logement au haut du grand escalier (Mémoires, Paris, 1828, t. I, p. 144). Un seul appartement correspond à cette indication, celui de Madame de Maintenon. Or, les plans et états de logements permettent d'en suivre sans interruption les occupants, depuis l'année 1735, où nous y trouvons le comte de Clermont, jusqu'à l'année 1789, où il est habité par le maréchal duc de Duras, qui y a remplacé le comte de Clermont. Le comte d'Hézecques, qui y a vu M. de Duras, le désigne par les mêmes mots que Tilly et Madame Campan, l'appartement situé au haut de l'Escalier de marbre (Souvenirs d'un page, p. 209). Mais, de même que le comte de Clermont prêtait son appartement à Marie Leczinska pour y loger le roi Stanislas, on peut supposer que le duc de Duras l'a prêté à Marie-Antoinette pour avoir tout auprès d'elle la comtesse Jules. Les pièces d'archives n'apportent rien sur ce point, que j'avais cru pouvoir nier dans ma première étude du sujet (Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 53). En tout cas, l'installation de Madame de Polignac dans l'appartement Maintenon n'a pu être que tout à fait provisoire.

[36] Cet appartement de la Vieille Aile, qui fut celui du cardinal de Fleury, était occupe en 1755 par le duc de Villequier, père du duc d'Aumont et son prédécesseur dans la charge de Premier gentilhomme. Sur l'état des logements de 1770, il est composé de 13 pièces, dont 9 à cheminées ; le duc d'Aumont le partage vers ce moment avec M. de Rochechouart, plus tard avec M. de Polignac.

[37] Besenval mentionne, à cette occasion, les réunions du soir chez la duchesse de Polignac (Mémoires, t. II, p. 109). L'anecdote de 1778 est à la p. 61.

[38] Le pavillon à colonnade logeait au premier étage, en 1770, le prince de Conti et, de 1777 à 1789, le duc de Penthièvre. D'après le plan reproduit dans Versailles au temps de Marie-Antoinette, un balcon régnait sur le côté de la Cour des Princes, et l'appartement Polignac était desservi commodément d'un côté par l'escalier du duc de Penthièvre, placé dans le bout de l'aile, de l'autre par deux escaliers plus petits, dont l'un servait aussi à M. de Duras. Dans le comble, se trouvaient des pièces étroites et très basses, qui étaient attribuées à la comtesse de Polastron, belle-sœur de la duchesse de Polignac. Après 1781 et jusqu'à la Révolution, le comte de Vaudreuil habite aussi la Vieille Aile, dans l'entresol de la salle du Conseil privé, sous l'appartement Polignac. On voit toute la société de la Reine réunie dans le même coin du Château. La Vieille Aile, déjà défigurée et destinée à une transformation totale, ne conserve plus de cette époque que quelques revêtements de boiserie très simple et deux petites cheminées demeurées en place.

[39] Madame d'Ossun n'entre pas immédiatement dans l'appartement de la Vieille Aile, car le chevalier de l'Isle, écrit le 1er juin 1783 : La Reine a pour son été trois princesses de Hesse-Darmstadt qu'elle aime fort et qu'elle loge ici dans l'ancien appartement de Madame de Polignac ; elles sont accompagnées de leur frère, le prince Georges. (Lettres, dans les Tableaux cités de Barrière, p. 297). Sur le séjour de ces amies de la Reine à Versailles, voir le recueil des Lettres de Marie-Antoinette, publié par le marquis de Beaucourt et M. de la Rocheterie, t. II, p. 21.

[40] Mémoires de la baronne d'Oberkirch, t. II, p. 114.

[41] Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de la Marck, publiée par M. de Bacourt, Paris, 1851, t. I, p. 41.

[42] Mémoires sur la vie et le caractère de Madame la duchesse de Polignac, Hambourg, 1796. Campan, Mémoires, t. 11, p. 47.

[43] Mémoires de Madame la duchesse de Tourzel, publiés par le duc des Cars, Paris, 1883, t. I, p. 3 et 15. Comtesse de Béarn, Souvenirs de quarante ans, Paris, 1861, p. 32. La seule mention que fasse Mme de Tourzel de son appartement se rapporte à la matinée du 6 octobre : Je me levai précipitamment et je portai sur le champ Mgr le Dauphin chez le Roi, qui était alors avec la Reine... Ne voyant point avec moi Madame [Royale], que je n'avais eu que le temps de faire avertir, elle descendit chez elle, par le petit escalier intérieur qui y communiquait par mon appartement, et y trouvant mes filles, qui y avaient passé la nuit, elle les rassura, leur dit de monter chez le Roi, et y conduisit Madame, avec une fermeté et une dignité remarquables en un pareil moment. (Il est curieux que Mme de Tourzel enregistre ici la fausse tradition, inspirée par la journée du 10 août aux Tuileries, sur l'entrée des émeutiers dans la chambre de la Reine et les coups de pique donnés dans son lit).

[44] Recueil d'Arneth et Geffroy, t. II, p. 398, 427, 521, 537.

[45] Travaux de novembre 1780 : L'appartement de Mme la princesse de Lamballe est très avancé ; les grandes pièces sont finies (Archives Nationales, O1 1764 B).

[46] Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 65-67, 95. L'appartement de Mme de Lamballe doit être celui qu'occupe, sur le plan de 1755, Mlle de Charolais. Un registre de magasins parle, en novembre 1787, du petit appartement, à côté de celui de Mme la duchesse de Bourbon, que le prince du Nord (sic) a occupé. Ce ne peut être celui qu'ont habité, au printemps de 1782, le grand-duc Paul et la grande-duchesse Marie, voyageant sous le nom de comte et comtesse du Nord. L'appartement mis à leur disposition, et que Mme d'Oberkirch mentionne sans dire où il se trouvait situé (t. I, p. 272), était celui du prince de Condé dans l'Aile du nord (Revue de l'histoire de Versailles, 1902, p. 57).

[47] Le Château sous Louis XV, p. 154.

[48] Le 15 janvier et le 5 février 1787, on reçoit de la Manufacture de glaces celles qui sont destinées aux deux appartements, auxquels on travaille pendant les trois premiers mois de l'année. Aussitôt après, on s'occupe d'installer le Dauphin, qui s'y trouve au mois d'avril (Registres des magasins).

[49] Ces appartements du comte et de la comtesse de Provence, habités avant eux par Madame de Lamballe, ont été transformés pour servir au président de la Chambre des députés. On a détruit alors les belles boiseries en chêne naturel de la bibliothèque de Monsieur, pour établir un escalier de service (Dussieux, t. II, p. 8).

[50] L'escalier du pavillon de Provence a été refait, au moins partiellement, en 1788, comme l'atteste le rapport suivant, daté du 24 avril et curieux par les indications qu'il contient sur les travaux et les goûts de Louis XVI : J'ai l'honneur de rendre compte à M. le directeur général que le Roi m'a ordonné il y a quelque temps de lui lever exactement toutes les mesures de la cage du degré de Monsieur et Madame à l'extrémité de la galerie des Princes ; qu'ensuite Sa Majesté a projeté Elle-même un nouveau degré beaucoup plus commode que celui qui existe pour les abords des appartements de Monsieur et Madame, et qu'enfin Elle m'a remis le projet de ce nouveau degré tout étudié avec ordre de dire à M. le directeur général qu'Elle désirerait qu'on s'occupât de le tailler d'avance, afin de pouvoir le mettre en place pendant le voyage que la Cour doit faire cette année à Fontainebleau. J'aurai l'honneur de remettre incessamment à M. le directeur général une copie conforme des plans que Sa Majesté a faits. Une autre pièce mentionne les plans étudiés et mis au net par Sa Majesté Elle-même. (Archives Nationales, O1 1806).

[51] Hézecques, Souvenirs d'un page, p. 58. Les mémoires de M. de Séguret, p. 18. La bouche de Madame, celle de la comtesse d'Artois et la cuisine de Mme de Polignac étaient, à la fin du règne, dans le bâtiment de l'ancienne Surintendance, situé en face de l'Hôtel de la Guerre.

[52] Lettre de la marquise de Lostanges, écrite en juillet 1789 (Revue historique, t. CXVI, 1912, p. 304). La visiteuse ajoute ces indications : Nous avons trouvé une salle des gardes du corps de plus dans le Salon d'Hercule, et une salle des Cent-Suisses immédiatement après, dans le salon de la Chapelle. On garde de tous les côtés l'appartement royal, ce qui n'empêchera pas l'événement du 6 octobre.

[53] M. le comte et Madame la comtesse d'Artois occupaient... avec Madame Elisabeth tout le premier étage de l'aile droite du Château qui donnait sur l'Orangerie, dans la galerie appelée galerie des Princes. Ces appartements, quoique vastes, ne l'étaient pas tant que plusieurs cabinets ne tirassent leur jour de la galerie et ne fussent très obscurs (Hézecques, p. 63 ; cf. p. 146). La marquise de La Tour-du-Pin mentionne le logement de sa tante, la princesse d'Hénin, donnant sur le parc, très haut au-dessus de la galerie des Princes. (Journal d'une femme de cinquante ans, Paris, 1913, t. I, p. 179, 223, 228).

[54] Au rez-de-chaussée, au-dessus de l'appartement d'Orléans, était logé le duc de Coigny, qui avait son entrée sur la cour des Princes (Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 96).

[55] Le premier étage du pavillon d'Orléans contient encore une pièce avec sa boiserie du XVIIIe siècle. Il en existait d'autres, avant les destructions accomplies pour installer les, services de la Chambre des députés, en 1875 ; Nepveu en avait fait, en 1834, sept charmants dessins offerts par lui au roi Louis-Philippe : Le Roi, écrivait-il, à chacune de ses visites revoit les appartements [du pavillon d'Orléans] avec un intérêt particulier, en se rappelant plusieurs souvenirs de son enfance. L'architecte croyait même que le duc de Chartres y était né en 1773. Louis-Philippe est né au Palais-Royal ; mais il avait habité mainte fois sans doute, avec Mme de Genlis, les appartements du Château, auxquels se rattachaient ses souvenirs de l'ancien Versailles.

[56] On trouve indiqués dans Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 73, la plupart des libelles contre le duc d'Orléans nés des journées d'octobre, de l'action criminelle du Châtelet et de l'enquête dont le député Chabroud fut le rapporteur. La réponse du prince est intitulée Mémoire justificatif pour Louis-Philippe d'Orléans, écrit et publié par lui-même, en réponse à la procédure du Châtelet, Paris, 1790.

[57] Marquise de La Tour-du-Pin, Journal d'une femme de cinquante ans, t. I, p. 232. Dans le récit que fait l'auteur des journées d'octobre, d'utiles précisions topographiques sont à recueillir, notamment sur la petite porte de la rue du Grand-Commun, par où pénétrèrent les femmes qui envahirent les logements des ministres (dans la soirée du 5), et la disposition des grilles de la Surintendance et de la cour des Princes, qui furent l'une ouverte, l'autre forcée par les deux cents premiers envahisseurs du Château (le matin du 6). Un témoignage presque aussi précieux se trouve dans les Mémoires de la marquise de La Rochejacquelein, Paris, 1889, p. 85 et suivantes.

[58] J'ai publié le mémoire de Du Rameau, daté de 1788, dans le t. VIII (1916) des Archives de l'art français. Cf. Journal des Débats du 29 octobre 1814, et Vaysse de Villiers, Itinéraire descriptif, Ville de Versailles, Paris, 1822, p. 108. En 1791, les frères Rousseau ont dû revisser à neuf tous les trophées et ornements des escaliers, des appartements, et de la Grande Galerie, et épousseter ladite Galerie, après la pose au plafond du tableau par Mr Du Rameau (Archives nationales, O1 1765).