L'HISTOIRE anecdotique de la Cour au dix-huitième siècle exige, pour être suivie avec clarté, une connaissance exacte des intérieurs royaux. Ce qui en reste à Versailles permet, par bonheur, de reconstituer avec une entière précision le cadre de la vie intime des princes, lorsqu'on peut fixer la destination des pièces principales et les distributions nouvelles qu'ils ont ordonnées. Nous avons sous les yeux, pour cette partie du Château, l'état où la Révolution l'a trouvée. Ces appartements, qui marquent nettement les variations du style français au cours du siècle, ne sont pas seulement un charmant musée de la décoration française ; c'est le lieu où s'évoquent tous les souvenirs de Louis XV et de Louis XVI. Le successeur de Louis XIV en a établi la disposition générale, après des modifications fréquentes, dont il était difficile de se faire une idée sans avoir retrouvé les ordres datés, reconnu les désignations, superposé les plans, et dont les traces se devinent encore dans les détails de ce bel ensemble. Louis XV, par son désir de changement et les nécessités diverses de son service, a imposé à ses architectes un remaniement continuel de ses intérieurs ; dès 1738, il a commencé la destruction de ceux de Louis XIV, et cette destruction une fois entreprise a fait disparaître en quelques années tous leurs vestiges. Nous nous figurons à grand peine les Cabinets fameux du Grand Roi ; pour les souverains du dix-huitième siècle, au contraire, nous trouvons dans Versailles le témoignage de leurs goûts personnels et le décor presque intact de leur existence. L'origine des premiers travaux, qui allaient si vite entraîner la transformation complète des pièces au nord de la cour de Marbre, est indiquée par quelques passages du journal du duc de Luynes, source de renseignements abondante et fort mal utilisée sur cette époque de Versailles. Le mari de la dame d'honneur de Marie Leczinska écrit, le 26 novembre 1737 : On ne peut trop parler des marques de bonté qui viennent du Roi... Il y a quelques jours que le Roi, parlant à son souper du grand froid qu'il faisait ici dans sa chambre à coucher, qui l'obligeait même de passer quelquefois dans son Cabinet, lorsqu'il se lève le matin avant que l'on soit entré chez lui, j'eus l'honneur de lui dire que, puisqu'il trouvait son Cabinet plus chaud, il me semblait qu'il en pourrait faire usage plus souvent. C'est sur cela qu'il me répondit : Lorsque je me lève avant que l'on soit entré, j'allume mon feu moi-même et je n'ai besoin d'appeler personne. Si je passais dans mon Cabinet, il faudrait appeler ; il faut laisser dormir ces pauvres gens, je les en empêche assez souvent. Le duc de Luynes revient, le mois suivant, sur les inconvénients de la chambre à propos d'un rhume de Louis XV : Comme sa chambre est extrêmement froide, on a tendu un lit dans le Cabinet de glaces [Cabinet du Conseil] et c'est là qu'il couche ; il entend la messe dans le même cabinet, l'autel entre les deux croisées[1]. La chambre où mourut Louis XIV était donc aussi incommode que majestueuse, et il n'est pas surprenant que son successeur, après une longue expérience, ait songé à s'en assurer une plus habitable et plus aisée à chauffer en cas de maladie. Tel est au moins la raison officielle ; la raison secrète pourrait être de rapprocher le Roi de ses Petits Appartements et de Madame de Mailly, dont la faveur commence précisément à cette époque. En tout cas, après l'installation d'une chambre à coucher nouvelle faisant partie de l'appartement privé, Louis XV dut continuer à remplir dans l'ancienne toutes les obligations royales imposées par l'étiquette. Celles des audiences publiques n'avaient rien de gênant, ni celles du petit couvert, tant qu'il consentit à manger dans la chambre ; tous les courtisans y entraient pour le voir dîner et souper, et il se retirait ensuite dans son Cabinet, où ne le suivaient que les entrées particulières[2]. Il n'en était pas de même pour le lever et le coucher ; pour la première fonction notamment, il devait être fort incommode au souverain de quitter en robe de chambre la pièce où il avait dormi, pour gagner, en traversant le Cabinet du Conseil, celle où allaient se présenter les entrées successives. On ne croirait pas à tant de rigueur, si l'on n'en trouvait la mention dans nombre de récits. Le plus piquant est sans doute celui où Dufort de Cheverny, introducteur des Ambassadeurs, conte un tardif coucher de Louis XV après une heure du matin : Le Roi, après avoir fait son coucher en public, se relève, passe par son Cabinet, entre dans sa vraie chambre et referme la porte...[3] Il y a donc quelques confusions à éviter, si l'on veut se figurer exactement les scènes. Dans les relations postérieures à 1738, la désignation chambre du Roi s'applique presque toujours à la chambre de Louis XIV, qu'on appelle aussi de ce dernier nom ou encore chambre parée, chambre de parade et grande chambre du Roi, tandis que la chambre de Louis XV est ordinairement désignée comme la nouvelle chambre ou la petite chambre[4]. L'emplacement choisi pour établir cette nouvelle chambre à coucher du Roi fut le Cabinet du billard, où l'on exposait encore, comme sous Louis XIV, de précieux tableaux de la collection royale et qui servait aussi aux petits chiens de Sa Majesté '. Il donnait accès à un salon carré servant d'antichambre pour l'escalier privé qui prenait jour sur la cour des Cerfs ; à ce salon faisait suite une pièce divisée en deux parties, dite Cabinet des Agates, éclairée par les dernières fenêtres de la cour de Marbre. Piganiol, dont les diverses éditions subirent au cours du règne, pour les Cabinets du Roi, de grandes révisions de texte, marque la destination nouvelle du Cabinet du billard : Toute cette décoration a été changée en 1738, par le dessein que le Roi Louis XV a pris de faire de ce cabinet sa chambre à coucher. Dès le mois de février de cette année, on a commencé à l'agrandir, en le poussant en saillie sur la petite cour qui sépare l'aile du vieux Château d'avec celle du nouveau, qui sont l'une et l'autre du côté nord[5]. Le mur de la pièce était encore ici celui de Louis XIII ou bâti sur le même emplacement ; la création de l'alcôve et d'une petite garde-robe attenante le reporta plus loin dans la cour des Cerfs, et lui donna des proportions assez spacieuses pour faire une chambre à coucher commode et propre à recevoir une décoration importante. L'usage des Bâtiments était d'exécuter les grands travaux pendant les voyages de la Cour. Elle fit séjour, cette année-là, à Compiègne, à Marly et à Fontainebleau, d'où le Roi revint le 21 novembre. Dès le printemps, il couchait dans la chambre neuve. Les comptes de 1738 font connaître l'auteur des boiseries de la pièce ; un seul sculpteur y tient une place suffisante pour qu'on puisse les lui attribuer ; c'est Jacques Verberckt, qui reçoit plus de 17.000 livres pour divers ouvrages non détaillés[6]. On peut croire que son œuvre a subi quelque altération, car la Chambre de Louis XV, telle qu'elle est venue jusqu'à nous, diffère un peu de la description faite par La Martinière. Il montre l'alcôve ouverte entre deux pilastres, aux angles du flanc desquels on remarque des palmiers qui s'élèvent et se recourbent en cintre, en s'étendant le long de la traverse d'en haut ; cette traverse est chantournée et les armes du Roi sont sculptées dans son milieu... Le reste de la chambre est décorée de lambris qui montent jusque sous la corniche... [qui] sous le plafond se contourne en cintre et s'unit à un cadre qui forme des milieux et des angles, avec des chantournements dans lesquels sont placées des manières de cartouches, qui renferment des chiffres et de petits bas-reliefs assortis aux autres décorations[7]. A plusieurs reprises, les ornements de plâtre du plafond subirent des retouches ; en 1755, la construction du Cabinet du Conseil entraîna la réfection du mur contenant la cheminée ; on déposa le balustre de l'alcôve, le parquet et une partie des boiseries, qui furent d'ailleurs, exactement reposées[8]. Est-ce en ce moment ou plus tard que disparurent les tiges de palmier et la traverse chantournée de l'alcôve ? Ces détails ajoutaient à la beauté de la pièce, meublée avec la plus grande richesse et où se trouvaient placés, au-dessus des quatre portes, de précieux tableaux renfermés dans de riches cadres,... le portrait de François Ier par le Titien, ceux de Catherine de Valois, par Rubens, de Marie de Médicis, par Van Dyck, de Don Juan d'Autriche, par Antoine More[9]. Ces tableaux, dont le premier seul s'identifie aisément, se voyaient encore, au moment de la Révolution, au-dessus des portes de la pièce où Louis XV était mort. Louis XVI y coucha jusqu'au 6 octobre, fit refaire la garde-robe voisine et songea à remettre au goût moderne la chambre de son grand-père ; la pénurie du trésor royal paraît avoir sauvé l'ouvrage de Verberckt. L'art de ce maître triomphe avec plus d'éclat dans les Cabinets qui suivent la Chambre du Roi. Ils ont été transformés en même temps qu'elle, et le plan général des travaux exécutés en 1738 montre que leur forme définitive est arrêtée et ne changera plus que pour des détails[10]. Le premier cabinet sur la cour de Marbre reçoit alors une disposition qu'il gardera jusqu'en 1760 et qui lui fait donner pendant longtemps, dans l'usage de la Cour, le nom de Cabinet ovale. Le 28 décembre 1744, par exemple, lors du contrat de mariage du duc de Penthièvre que le Roi signe dans l'Œil-de-Bœuf, la Reine et les princesses arrivent par la Galerie, tandis que seules pénètrent par la Chambre du Roi Madame et Mademoiselle de Modène : Elles attendaient, dit Luynes, dans le Cabinet ovale du Roi, qui est avant sa nouvelle chambre du côté de dégagement. Le 16 juin 1746, M. et Madame de Machault présentèrent au Roi, dans son Cabinet ovale, la layette de Madame la Dauphine[11]. Le Cabinet n'était ovale que d'un seul côté et La Martinière le décrit ainsi : On continue de parcourir l'appartement par un grand cabinet, éclairé de trois croisées ouvertes sur la cour de Marbre : la cheminée est dans le milieu du côté opposé ; elle est ornée de glaces, qui sont au-dessus du chambranle de marbre de brèche violette avec des ornements travaillés dans le marbre même. Dans la face de l'entrée, il y a un pareil trémeau de glaces. Il y a plusieurs portes entre deux ; on en voit une d'une partie circulaire arrêtée par des pilastres aux angles à celles des croisées ; quatre trémeaux garnissent les espaces entre les chambranles ; toutes les décorations sont aussi richement ornées que celles de la chambre d'où nous sortons. Sur les cinq portes vraies ou fausses, il y a cinq tableaux, dont quatre sont du Poussin et le cinquième est le Mariage de sainte Catherine, par Alexandre Véronèse. Dans les deux parties circulaires aux côtés du fond, il y a une curiosité particulière dans son espèce, qui consiste dans des cadrans ingénieusement ajustés dans les ornements ; ces cadrans marquent par des mouvements placés derrière les lambris, l'un le lever et le coucher du soleil, l'autre le lever et le coucher de la lune de tous les jours. Ils sont du prieur de Saint-Cyr, qui a fait plusieurs beaux ouvrages de cette nature pour le Roi[12]. Derrière les riches panneaux où s'ajustaient ces cadrans, se dissimulaient deux placards profonds, qui contenaient les mouvements ; l'un deux s'éclairait par une barbacane encore existante, ouverte sur la cour de Marbre. Le Cabinet ovale de Louis XV, appelé aussi Grand Cabinet[13] et Cabinet des pendules, porta le nom de Cabinet de la Pendule, qui lui est resté, lorsqu'on y plaça, au mois de janvier 1754, l'horloge astronomique conçue par Passemant, ingénieur du Roi, exécutée par l'horloger Dauthiau et dont le bronze est signé de Caffiéri. Elle fut présentée au Roi à Choisy, le 10 octobre 1753, et le duc de Luynes la décrit au moment de son installation à Versailles : J'ai vu aujourd'hui chez le Roi la pendule de Passemant... Elle est dans une boite de bronze doré très riche et bien travaillée ; elle est surmontée d'un globe de cristal contenant le soleil et toutes les planètes comme dans une sphère, suivant le système de Copernic. Les planètes font toutes leur mouvement régulièrement, comme elles le font dans le ciel. Vers le milieu de la boite sont des ouvertures où l'on voit l'année, le jour de la semaine, le mois et le quantième dudit mois et le quartier de la lune. Cette pendule est placée dans le Cabinet ovale après la chambre à coucher, auprès de la ligne méridienne[14]. Elle fut posée en 1760 sur le massif revêtu de marbre, où on la voit encore. Le cabinet préféré de Louis XV faisait l'angle de la cour de Marbre et de la cour Royale, et sa double exposition lui procurait une jolie vue. Sa Majesté, écrit Luynes en 1741, se tient presque toujours dans le cabinet qui est au bout du Cabinet ovale. Il est indiqué au premier plan de Blondel comme ayant servi, à un certain moment, de salle à manger des Cabinets, avant que la pièce à cet usage fût établie sur la cour des Cerfs. Blondel dit, dans le corps de sa description, qu'il est devenu ensuite un Salon de jeu ; plus tard encore, ce sera le Cabinet de travail, et le grand bureau de Riesener y sera placé. Le Conseil s'y tint en 1755 et 1756 ; de là vient que Bernis le désigne, en 1757, comme ancien Cabinet du Roi[15]. Sa proximité de l'escalier intérieur le rendait commode pour les réunions du Conseil, quand le salon habituel ne pouvait servir ; ce fut le cas pour le moment où, Louis XV gardant le lit après l'attentat de Damiens, le Cabinet du Roi n'était qu'un passage et se trouvait encombré par les services médicaux et les entrées. Au temps où Dufort de Cheverny était introducteur des Ambassadeurs, il désignait toujours la pièce d'angle comme le Cabinet intérieur ou le Cabinet intime ; il donne ce dernier nom en deux anecdotes, que leur intérêt topographique permet de rapporter ici et dont la seconde révèle la vérité sur l'attitude du Roi à la mort de Madame de Pompadour : Un jour, à Versailles, Villepail [écuyer de la Petite Ecurie] accompagnait le Roi à son débotter ; lorsqu'il fut fini, le Roi se leva et traversant son Cabinet, sa vraie chambre à coucher, passa dans la pièce avant son Cabinet intime et descendit chez Madame de Pompadour. Dès qu'il fut parti, l'intérieur devint une arène de polissonneries entre Bontemps et Villepail ; ce dernier, qui avait son fouet de poste, s'en servit et, voyant Bontemps le fouet de chasse du Roi, s'enfuit par l'escalier. Bontemps se poste derrière la porte de la vraie chambre à coucher et s'enveloppe dans la portière, le fouet sur l'épaule. Il n'est pas un quart d'heure en faction que le Roi, qui avait donné rendez-vous à M. d'Argenson pour travailler, arrive précipitamment. Cet étourdi de Bontemps ne reconnaît pas la marche du Roi, se développe de la portière, le fouet en l'air, et reste pétrifié. Le Roi le devine, le prend par l'oreille et le traîne ainsi deux ou trois pieds.... [Il] ne le laissa que quand il fut las de le secouer et de rire. [1764] Champlost, premier valet de chambre, était alors de service et couchait dans la même chambre que le Roi. Un cordon de sonnette, passé dans son bras et tenant au lit du Roi, était le signal si dans la nuit le Roi avait besoin de lui. Le Roi dormait peu et se levait aussitôt éveillé, pour se dérober même à son intérieur et passer dans son Cabinet. Enfin, le jour de l'enterrement de la Marquise arriva. Le Roi, par les ordres de qui tout se faisait, savait l'heure. Il était six heures du soir, en hiver, et par un temps d'ouragan épouvantable... Le Roi prend Champlost par le bras ; arrivé à la porte de glaces du Cabinet intime — donnant sur le balcon qui fait face à l'avenue de la cour —, il lui fait fermer la porte d'entrée et se met avec lui en dehors sur le balcon. Il garde un silence religieux, voit le convoi enfiler l'avenue et, malgré le mauvais temps et l'injure de l'air auxquels il paraissait insensible, il le suit des yeux jusqu'à ce qu'il perde de vue tout l'enterrement. Il rentre alors dans l'appartement ; deux grosses larmes coulaient encore le long de ses joues, et il ne dit à Champlost que ce peu de mots : Voilà les seuls devoirs que j'aie pu lui rendre ![16] Le Cabinet intérieur du Roi a eu, au cours du règne de Louis XV, plusieurs formes différentes. La première description date de 1741 : Rentrons dans le grand Cabinet [Cabinet ovale, salle 127], pour en sortir par une porte prise dans la ligne circulaire du fond, afin d'en examiner un second qui est à l'encoignure du pavillon du bout de l'aile sur la grande cour. Ce cabinet a une croisée en face de la porte et une autre dans le retour. Il y a deux pans... ; c'est dans l'un de ces pans qu'on a placé la cheminée de marbre de gruyote, laquelle est ornée de sculpture comme les autres ; les glaces qui en font un des ornements sont renfermées dans de riches bordures. L'autre pan est décoré d'un trémeau de glace avec une magnifique commode dessous. Ces pans sont coupés par une grande porte qui entre dans le Salon ovale. Ce second cabinet n'a que des lambris d'appui, ornés de pilastres et de panneaux richement sculptés... Au-dessus des lambris... on tend des tapisseries de damas cramoisi bordé de galons d'or, sur lesquelles on met des tableaux des plus grands maîtres. On les arrange par symétrie ; ils sont au nombre de vingt-sept, dont six du Guide[17]. Nous connaissons quelques-uns des tableaux maintenus dans ce salon sous Louis XV et le beau meuble qui l'ornait ; c'est le médailler, en forme de commode, du Cabinet des Médailles de Paris. Les étoffes qui tendent ce riche cabinet disparaissent en 1753 pour faire place à des panneaux de boiserie de Verberckt. M. de Vandières écrit à Portail, garde des tableaux du Roi, le 24 juin : J'écris, Monsieur, à M. Lécuyer de faire travailler pendant le voyage de Fontainebleau à la boiserie du Cabinet à pans du Roi et d'en faire transporter les tableaux au Cabinet de la Surintendance. Vous aurez agréable de vous transporter sur les lieux, lors du déplacement de ces tableaux et de donner toute votre attention à ce qu'ils soient transportés avec toutes les précautions possibles. Gabriel avait fourni, à l'occasion de ce travail, un premier devis mis sous les yeux du Roi[18]. Les travaux de menuiserie et de sculpture commencèrent aussitôt, mais sans qu'on pût prévoir l'achèvement dans le délai fixé : La sculpture qu'on y fait, écrivait le contrôleur Lécuyer, demande du temps pour la bien traiter. Bien d'autres travaux se poursuivaient à cette date dans le Château, et peu d'années donnèrent plus de besogne intérieure au service des Bâtiments. Parmi les installations faites pour la famille royale, la principale était celle de l'appartement de Madame Adélaïde, joignant celui du Roi et pris sur l'Escalier des Ambassadeurs récemment détruit[19]. Les lambris du Cabinet d'angle, posés pendant le voyage de Fontainebleau de 1753, furent terminés pendant celui de 1754 : Le sieur Pollevert, dit un rapport d'octobre au directeur général, travaille avec toute la diligence possible à la dorure du Cabinet à pans du Roi et à rechampir celui en deçà, ainsi qu'à sa chambre à coucher. Au moyen de 10.000 livres, Monsieur, que vous venez d'avoir la bonté de lui ordonner, il est en état de répondre avec vivacité aux ouvrages qui lui sont ordonnés. — La dorure du Cabinet à pans, dit le rapport de novembre, sera entièrement achevée demain, et lundi messieurs du Château pourront y mettre les frotteurs et les meubles ensuite. Enfin, le 11 décembre : Le Roi ayant trouvé, en arrivant de Fontainebleau, que les bras de son Cabinet à pans ne répondaient pas à l'éclat de la dorure neuve des lambris de cette pièce, je les ai fait dorer et Sa Majesté en a paru contente[20]. La première modification que subit ce cabinet entraîna la suppression des pans coupés, l'installation de la cheminée à la place de la porte donnant sur l'arrière-cabinet et l'établissement de la communication par une porte prise dans la boiserie. C'est l'état qui existe encore ; les plans de 1755 ne l'indiquent point, mais il figure sur ceux de 1760. A cette date, une autre transformation s'accomplit ; elle se lie aux travaux du grand Cabinet des Pendules, qui perd alors sa forme ovale et prend, ainsi que le Cabinet d'angle, sa disposition définitive. Marigny, qui donne l'ordre des travaux le 5 mai 1760, et les fait poursuivre jour et nuit pendant le mois d'octobre, a décidé d'employer tout le vieux, c'est-à-dire de conserver le plus possible des panneaux anciens. Au Cabinet d'angle, on n'a qu'un côté à refaire ; pour le Cabinet des Pendules, l'ouvrage est plus considérable. A la place de la porte est une glace devant laquelle est mise l'horloge de Passemant ; les placards-cabinets disparaissent en même temps que les cadrans et sont remplacés par des portes de glaces. On a eu sous la main, pour diriger les raccords et exécuter la sculpture nouvelle, l'artiste qui avait décoré en 1738 le Cabinet ovale. Verberckt reçoit, pour ce travail et celui qu'exige le Cabinet d'angle, la somme de 5.500 livres. La frise a été nécessairement refaite, mais en maintenant avec habileté le style ancien ; c'est une suite élégante de rocailles, guirlandes, envolées d'oiseaux, où des amours se groupent deux à deux ; aux cartouches des coins, sont des figures allégoriques, dont l'une tient un caducée et un livre avec les mots : Vive le Roi ! Au Cabinet d'angle, un autre artiste a travaillé en 1760, à côté de Verberckt. Les deux bas-reliefs au-dessus des portes neuves présentant les attributs des Arts, une palette, un chapiteau, etc., révèlent la main d'Antoine Rousseau[21]. Le reste de la boiserie est parfaitement homogène et d'une exceptionnelle beauté. Les glaces sont encadrées de tiges de palmier enguirlandées et de montants, où la fleur de lys à mi-hauteur est accompagnée de petits trophées pacifiques et rustiques ; ces motifs s'équilibrent, sans se répéter, et sont surmontés d'enfants tenant des guirlandes. Les enfants font, d'ailleurs, le sujet général de la décoration ; on les retrouve dans les médaillons du centre des neuf panneaux, dont les sept plus grands sont d'importants bas-reliefs. Ils jouent à la bascule, aux bulles de savon, tressent des guirlandes, vendangent, s'amusent avec un dauphin ou un petit chien ; une des plus jolies scènes traite avec originalité le motif classique du Bouc aux enfants. C'est l'enfance déjà qui anime les panneaux du Cabinet de la Pendule et ceux, plus étroits, de la Chambre du Roi ; mais les ouvrages du Cabinet intérieur sont beaucoup plus intéressants, d'une invention plus délicate, d'une facture plus large, et l'on peut mesurer les progrès accomplis par l'atelier de Verberckt, depuis l'époque où ce genre de travail lui était confié pour la première fois à la Chambre de la Reine. Le Cabinet intérieur se complétait par un arrière-cabinet ou cabinet particulier du Roi [salle 131]. Il contenait le grand et le petit bureau, où Louis XV avait pris l'habitude de travailler, et il remplaçait le Salon ovale de Louis XIV, disparu après 1752 avec la Petite Galerie. En 1755, s'acheva la dorure de ce petit cabinet à pans sur la cour ; la partie à gauche de la fenêtre fut occupée par un réduit contenant la chaise percée. Le remaniement du cabinet voisin, en 1760, changea l'entrée de l'arrière-cabinet ; c'est alors que Louis XV fit établir dans la profondeur de la boiserie une série de tablettes destinées à supporter des cartons. Elles ont survécu aux remaniements ultérieurs de cette petite pièce[22] et attestent l'exactitude des renseignements de Blondel, indiquant ici un arrière-cabinet servant de retraite à Sa Majesté, où elle tient ses papiers et où elle écrit, ordonne et reçoit ses dépêches. C'est donc le siège mystérieux du secret du Roi et de son travail, continué pendant tant d'années, avec le prince de Conty et le comte de Broglie. Louis XV a, dans ses Cabinets, une salle à manger, qu'il
ne faut pas confondre avec celle des Petits Appartements au second étage et
que les mémoires mentionnent de façon distincte. C'est là qu'ont lieu,
pendant la première partie du règne, les soupers qui suivent le retour de la
chasse et qui seront transportés dans l'autre salle à manger au temps de la
faveur de Madame de Pompadour. Ces soupers procurent une faveur très
recherchée ; on regarde l'honneur de souper dans les
Cabinets comme égal à celui de monter dans les carrosses. C'est après
avoir donné l'ordre que le Roi fait faire la liste des privilégiés appelés
dans ses Cabinets. Le duc de Luynes note, en février 1737, un souper du Roi :
Il y soupe presque toujours au moins une fois la
semaine. Ces soupers commencent ordinairement à sept heures ou sept heures et
demie. Ceux qui veulent se présenter pour avoir l'honneur de souper avec Sa
Majesté entrent dans le Cabinet [salle
125], s'ils ont les entrées, sinon demeurent
dans la Chambre à la porte du Cabinet. Le Roi sort un moment de son Cabinet,
regarde ceux qui se présentent et rentre aussitôt pour faire faire la liste.
L'huissier nomme ceux qui sont sur cette liste, lesquels entrent à mesure
qu'ils sont appelés et vont se mettre à table aussitôt. Ces soupers durent
ordinairement jusqu'à minuit ou environ ; ils ne se font presque jamais que
les jours de chasse[23]. Voici
l'étiquette qui règne aux soupers de Louis XV et au jeu qui les suit : Les jours que les dames soupent avec le Roi, Sa Majesté
après souper joue dans son Cabinet ovale. Les dames qui n'ont pas l'honneur
d'y souper viennent après, en grand habit. Les dames mangent en grand habit
avec le Roi. Toutes les princesses toujours ; une dame d'honneur pour toutes
les princesses, quatre dames et huit hommes. La table de vingt couverts. M.
le duc de Gesvres laisse entrer tous les hommes connus dans le Cabinet, en le
faisant demander. Tous ceux qui veulent jouer, jouent. Il fait donner des
tables, fait les honneurs, fait asseoir les dames qui ne sont pas titrées.
Les officiers des gardes du corps, ni des gardes françaises, n'y entrent pas[24]. La salle à manger des Cabinets change plusieurs fois d'emplacement. Elle occupe encore le cabinet d'angle, lorsque le Roi, en 1750, ordonne à Tournehem des travaux qui ont pour objet de la déplacer, mais sur lesquels il ne donne pas d'abord d'indications précises : Le Roi me dit dimanche, écrit le directeur-général à son agent, qu'il n'y avait qu'à défaire ses bains à Versailles ; à quoi lui ayant demandé s'il n'en aurait plus, et m'ayant répondu qu'il ne se baignerait pas, sans doute il a besoin de cette pièce pour autre chose dont il ne m'a pas parlé. Ainsi il faut s'en tenir à ses ordres et à faire défaire lesdits bains ; c'est ce que je vous prie de faire au plus tôt. Ces bains particuliers du Roi étaient dans le petit bâtiment de la cour des Cerfs ; on construisit à la place une salle à manger, avec une antichambre pour les buffets. Le travail préparé en novembre 1750 s'achevait en octobre 1751, en même temps que l'appartement neuf de Madame de Pompadour. Un ordre de Tournehem du mois d'août de l'année suivante, établit la distinction entre la salle à manger des Petits Appartements, où auront lieu plus tard les soupers les plus intimes, et celle d'en bas ou des Cabinets : Vous ferez, Monsieur, pendant le voyage de Fontainebleau, mettre en couleur de vernis — le fond blanc et les moulures en petit vert tendre — le nouveau cabinet du Roi près la salle à manger des Petits Appartements, rétablir les menuiseries défectueuses de la salle à manger et nettoyer les vernis. Vous ferez faire aussi, dans la petite salle à manger du Roi neuve en bas, deux bas d'armoire, avec leur dessus de marbre pareil à celui de la cheminée, dans les deux écoinçons de la croisée qui donne sur la petite terrasse. La pièce ainsi créée est agrandie dès 1754 ; en août, on y travaille jour et nuit, afin qu'elle soit prête pour le retour de la Cour en même temps que les ouvrages pour Mesdames ; suivant l'habitude des travaux d'alors, la dorure n'est terminée que l'été suivant[25]. Située au cœur de l'appartement royal, cette salle à manger donnait aux invités de Louis XV une flatteuse impression d'intimité ; on le devine dans les souvenirs du duc de Croÿ, qui s'étend toujours avec complaisance sur les soupers de son maître. Voici, par exemple, comment il narre la faveur qu'il a reçue en février 1756, c'est-à-dire à l'époque où Madame de Pompadour, nommée dame du Palais de la Reine, se convertissait et se mettait à faire maigre. On assiste vraiment à la scène, tant le narrateur met de précision aux détails, tous importants à ses yeux : Le 21 au soir, Madame de Pompadour devant avoir parlé au Roi pour me faire souper sans chasser — comme étant plus occupé à travailler pour son service —, je me présentai à l'ordre [dans le Cabinet du Roi]. Le prince de Soubise avait promis d'en parler aussi à la marquise, ainsi que le prince de Tingry, qui me fit tenir auprès de lui, parce que le Roi perçant la foule venait toujours lui dire un mot et cela pour voir tout le monde, M. de Tingry se mettant exprès bien loin. Il y avait un monde affreux et bien des chasseurs. Je fus appelé et nous nous trouvâmes trente-trois au souper. Il fallut deux petites tables... Je remarquai que la marquise était à l'ordinaire auprès du Roi, fort parée et comme à l'ordinaire fort gaie. L'on ne s'apercevait d'aucun changement dans l'extérieur, hors que c'était un samedi et qu'elle faisait maigre. On soupait alors dans une nouvelle salle à manger de niveau à l'appartement du Roi [salle 129], et l'on se tenait dans son dernier cabinet [salle 130], qui faisait le bout de la petite galerie [salle 127], et contre son dernier arrière-cabinet [salle 131], qui était ouvert et où on voyait son bureau et tous ses répertoires et catalogues sur tous les états et grades ou charges, et tout rempli de livres et d'instruments, surtout la belle pendule. Il y avait aussi de belles fleurs. J'aurais bien voulu fouiller dans tout cela quelques heures. Mes connaissances dans les arbustes, qui étaient ma folie du jour, me servirent. On en parla et je me trouvai fort libre et badinant avec la marquise. Enfin, j'étais parvenu à une des choses que je désirais, qui était de souper là sans chasser et avec liberté, sans être tout à fait confondu dans la foule des chasseurs, et étant bien et librement avec tout le monde[26]. On voit par ce récit ce que sont devenus les anciens soupers des Petits Cabinets donnés auparavant au second étage ou dans l'appartement des maîtresses. Le changement introduit dans les intérieurs de Louis XV par le nouveau rôle de Madame de Pompadour explique ces arrangements beaucoup plus décents. La salle à manger du Roi est, dit Blondel, décorée à la moderne et ornée de tableaux relatifs à Cornus, nouvellement exécutés par nos plus habiles peintres. A la place de ces tableaux, Louis XVI fera plus tard accrocher des plaques peintes de Sèvres, d'après les chasses royales d'Oudry. Ce sera toujours la salle à manger particulière, et l'on y verra, sous des tables vitrées... les pièces de la vaisselle d'or du Roi, aussi précieuse par le travail que par la matière. Mais il existe alors, depuis 1769, une autre salle à manger royale au même étage des Cabinets ; c'est celle des salles neuves reprises par Louis XV sur Madame Adélaïde, et elle sert, pendant la fin de son règne et le règne suivant, aux soupers de chasse, dont l'usage n'est jamais interrompu. A côté de la salle à manger est aujourd'hui une pièce carrée, dite cabinet des Chiens, qui a servi à loger, sous Louis XV, les petits chiens de la Chambre du Roi. Elle a une délicieuse frise représentant des chasses et des bordures de dessus de porte qui datent de Louis XIV. Cette pièce est seulement de 1738 et occupe l'ancienne place de l'escalier des Cabinets, dont elle est devenue l'antichambre. On y entre du Cabinet de la Pendule ; elle est revêtue, dit Blondel, d'ancienne menuiserie, qui encastre plusieurs tableaux et dans laquelle sont pratiquées plusieurs loges et banquettes pour les chiens du Roi. Le cabinet ou antichambre des Chiens ouvre sur un degré particulier, qui monte depuis le bas et qui a son entrée par le vestibule qu'on prend sur la cour de Marbre. Cette antichambre est éclairée sur la petite cour intérieure et sa croisée sort sur un balcon autour de cette petite cour, pour la commodité du service et afin d'éviter de passer par le grand Cabinet et par la Chambre du Roi. C'est par ce degré que le Roi sort ordinairement pour monter en carrosse dans la grande cour, sans traverser tout l'appartement pour venir au degré de la Reine. Il y a même une petite salle des gardes au bas, près le vestibule, pour que les deux côtés par lesquels on entre chez le Roi soient gardés[27]. Le degré du Roi que Versailles a conservé sous sa dernière forme a une extrême importance dans la journée royale. C'est celui que prend Sa Majesté pour presque toutes ses sorties officielles ou privées, l'escalier de Marbre ou degré de la Reine étant beaucoup trop éloigné des cabinets qu'il habite. On reconnaît encore, sur la cour de Marbre, la fenêtre qui a remplacé la porte où débouchait le passage de l'escalier privé ; mais, quand il allait en voiture, le Roi traversait plutôt la petite salle des gardes, placée sous le Cabinet d'angle, et sortait par la porte donnant sur la cour Royale, où son carrosse était rangé au bas des degrés. Un récit de Luynes nous fait assister à une sortie exceptionnelle de Louis XV ; il s'agit de son départ pour l'armée, le matin du 29 mai 1747, à l'insu de Marie Leczinska : Le Roi a donné l'ordre que ses carrosses n'entrassent point dans la petite cour du Château, pour ne point éveiller la Reine, qui couche dans un appartement dont les fenêtres donnent sur cette petite cour [appartement de Madame de Maintenon]. A quatre heures et demie, le Roi s'est habillé dans le Cabinet du Conseil, a descendu l'escalier de derrière de son appartement et traversé la nouvelle salle des gardes, près la voûte de la Chapelle ; il a été dans la grande cour qu'on appelle cour des Ministres, qu'il a traversée presque tout entière à pied... En octobre de la même année, un mémoire du duc de Gesvres, premier gentilhomme en exercice, mentionne tous ces dégagements ; il s'agit d'une audience exceptionnellement privée, et comme secrète, accordée dans le Cabinet de la Pendule au prétendant Charles-Edouard, peu de mois avant son arrestation et son expulsion de France : Audience particulière du prince Charles-Edouard d'Angleterre, fils aîné du roi Jacques Stuart. — Ce prince me fit avertir. J'allai le recevoir à la porte sur l'escalier du cabinet des Chiens. Il était suivi de MM. de Bouillon, de Turenne, et de trois de ses grands officiers. Le Roi était dans son grand Cabinet. Je marchais devant le prince. Tout ce qui l'avait suivi ressortit et resta dans le cabinet des Chiens. Le premier valet de chambre garda la porte de ce côté là et ne resta pas dans le grand Cabinet. Je restai dans le Cabinet à la porte, du côté de la Chambre, où il n'y avait personne. La conversation finie, j'ouvris la porte que gardait le premier valet de chambre et je conduisis le prince jusqu'à l'escalier. — Le même jour, ce prince alla chez M. le Dauphin. Je le fis entrer par les derrières. Mgr le Dauphin lui donna audience dans son cabinet. Tout ce qui l'avait suivi chez le Roi, qui n'était pas resté, resta à l'audience de M. le Dauphin. Je reconduisis le prince jusqu'à la porte de ces derrières, qui donne dans la galerie et par laquelle il était entré[28]. C'est à la sortie de la petite salle des gardes de la cour de Marbre que Louis XV a été frappé par Damiens. La narration de Croÿ, moins connue que celles de Luynes et de Bernis, enlève toute incertitude aux circonstances de cet épisode : Vers six heures du soir, par un temps assez clair quoique couvert, la lune étant pleine et y avant des flambeaux qui éblouissaient, le Roi voulait retourner à Trianon où tout le monde était resté. Comme il descendait la dernière marche de la petite salle des gardes pour monter en carrosse, étant appuyé sur son grand et premier écuyer le duc d'Ayen, et M. le Dauphin le suivant, et le capitaine des Cent Suisses marchant devant, la garniture bien faite, un homme s'élance entre deux gardes qu'il fait tourner, l'un à droite, l'autre à gauche, fait tourner aussi un officier des gardes en le poussant vivement, et vient un peu par derrière frapper de toute sa force le Roi au côté droit, avec un couteau à canif, et si fort que le bout du couteau fait pencher le Roi en avant, et lui fait dire : Duc d'Ayen, on vient de me donner un coup de poing. L'homme exécute cela avec tant de promptitude qu'il rentre par la trouée qu'il a faite avant que ceux qu'il a presque culbutés soient remis, et personne ne voit le coup, tant à cause des flambeaux, que parce qu'on regardait à ses pieds à la dernière marche. Sur le propos du Roi, le maréchal de Richelieu, qui était aussi derrière, dit : Qu'est-ce que c'est que cet homme avec son chapeau ? Le Roi tourna la tête, et voyant que c'était du côté où il avait senti le coup, et y avant porté la main qu'il avait retirée pleine de sang, dit : Je suis blessé ! Qu'on arrête cet homme et qu'on ne le tue pas. Un valet de pied, qui tenait la portière, voit couler du sang et s'écrie : Le Roi est blessé ! On saute au collet de l'homme et le Roi retourne sur ses pas. On veut l'emporter, il dit : Non, j'ai encore la force de monter ; et il remonte effectivement son escalier, ayant jusque-là marqué beaucoup de courage et de présence d'esprit[29]. L'escalier à rampe de fer au chiffre du Roi, qui rappelle ce dramatique souvenir, en évoque beaucoup d'autres dans la vie de Louis XV. Il suffira de dire qu'il donne accès aux Petits Appartements du second étage, qui devinrent à la fin du règne l'appartement de Madame du Barry. Il a porté, outre le nom d'escalier intérieur ou de petit escalier du Roi, celui plus familier d'escalier des Chiens. Cette désignation fut employée jusqu'à la fin, puisqu'elle figure dans une anecdote de la disgrâce du Garde des sceaux, en septembre 1788 : Le jour de sa retraite, M. de Lamoignon, n'osant traverser la Galerie, passa par le petit escalier nommé escalier des Chiens ; cette fuite et le passage qui l'a favorisée ont donné lieu à plusieurs plaisanteries[30]. La transformation du Cabinet du Roi ou du Conseil date de l'année 1755. C'est le plus important des changements accomplis dans l'appartement intérieur sous Louis XV. Par son double caractère, en effet, ce salon placé entre les deux chambres à coucher, celle de parade et la véritable, tient un rôle continuel dans la vie du Château. La plupart des actes publics du Roi s'y passent, et beaucoup d'étiquettes privées y sont établies. On comprend mieux l'importance des travaux exécutés au Cabinet du Roi et l'intérêt qu'ils présentent, par les textes sur le cérémonial de Versailles, qui apprennent à quels usages cette pièce est destinée. C'est là que Louis XV travaille avec les ministres, chacun d'eux ayant son jour auprès de lui, et qu'il tient le Conseil d'Etat, le Conseil des dépêches, le Conseil des finances[31]. C'est là qu'il donne audience particulière aux princes régnants, aux ambassadeurs à leur première visite, aux envoyés extraordinaires[32]. C'est là qu'ont lieu la cérémonie de la remise de la calotte aux nouveaux cardinaux, leurs remerciements après la remise de la barrette faite à la Chapelle[33], les fiançailles des princes du sang[34], la signature du Roi aux contrats de mariage[35], le serment des maréchaux de France, des grands officiers de la Couronne et des charges de la Cour[36]. C'est là que sont reçues les remontrances du Parlement[37], celles de la Cour des Comptes et de la Cour des aides[38], et que sont accordées aux gens du Roi leurs audiences particulières. Celles du premier président, au moment des querelles du Parlement avec la couronne, sont toujours vivement commentées[39]. Celles de l'archevêque de Paris n'ont pas moins d'importance, lors des conflits de la bulle Unigenitus et des refus de sacrements, et c'est encore dans le Cabinet que le Roi reçoit le prélat, ainsi que les députations du Clergé[40] ; il s'agit presque toujours d'audiences particulières, car les audiences publiques, qui comportent harangues, ont lieu, aussi bien pour le Clergé que pour les Cours supérieures, la Ville, l'Université, dans la Chambre du lit qui précède le Cabinet[41]. La vie de la Cour de France semble tourner tout entière autour du Cabinet du Roi. On y tient les chapitres de l'Ordre, les réceptions et la réunion du premier janvier, qui précède la mise en marche de la procession des Cordons bleus se rendant à la Chapelle par l'Escalier des Ambassadeurs. La Cour y défile, les femmes après les hommes, pour présenter au Roi les félicitations d'usage, lors des événements heureux de la famille royale, les condoléances, lors des deuils[42] ; ces révérences sont continuées ensuite chez ; la Reine et chez le Dauphin, la Dauphine et Mesdames. C'est enfin au Cabinet du Roi, et non ailleurs, que se font les présentations à Sa Majesté des femmes de condition, qui seront ensuite présentées à la Reine[43]. Si l'on s'en tient aux habitudes quotidiennes du Roi, on comprend mieux encore l'importance du Cabinet. Sans rafler du travail qui l'oblige à y demeurer une partie de sa journée, on voit qu'il s'y habille après le lever, qui a lieu dans la grande Chambre, et, au moment où il y passe, les entrées de la Chambre ne sont pas autorisées à l'accompagner, cette faveur étant réservée aux entrées du Cabinet. C'est la qu'a lieu le débotter, au moment duquel le Roi appelle aux soupers des Cabinets[44]. C'est là qu'il donne l'ordre du Cabinet aux capitaines des gardes et des Cent-Suisses, au premier maître d'hôtel, et, d'une façon générale, tous ses ordres particuliers, même aux personnes qui n'ont pas d'entrées[45]. Ajoutons qu'au début du règne Louis XV y joue quelquefois en petit comité[46]. Un grand nombre d'anecdotes du dix-huitième siècle se placent dans le Cabinet. Le Roi, par exemple, y fait venir le maréchal de Belle-Isle, quelques heures après son retour de la campagne de Bohème ; il y reçoit, ainsi que le Dauphin, la Toison d'Or des mains de l'ambassadeur d'Espagne ; on y assiste à des scènes attendrissantes à l'instant du départ de Madame Elisabeth pour l'Espagne, où elle va épouser l'infant Don Philippe[47] ; Louis XV y entend la messe, avec la Reine, le Dauphin et Mesdames, au moment où vient d'expirer la Dauphine ; la famille royale s'y réunit encore à la mort de Madame Henriette, les dames de la Reine attendant dans la Chambre du Roi, et le reste de la Cour dans l'Œil-de-Bœuf[48]. Quant aux présentations, il en est que l'histoire enregistre. Dans l'ancien Cabinet de Louis XIV furent présentées Madame de la Tournelle, comme duchesse de Châteauroux, et Madame de Pompadour ; dans le Cabinet, tel qu'il est aujourd'hui, fut présentée Madame du Barry[49]. Au temps de Louis XVI, outre tant de mariages et de cérémonies mentionnées dans la Gazette de France, on peut rappeler un épisode important de la réunion des Etats-Généraux. Le 2 mai 1789, les députés furent admis à défiler devant le Roi, dans la Chambre de parade ; ils arrivaient de la Galerie, entraient par le Cabinet du Roi et ressortaient par l'Œil-de-Bœuf[50]. Le Cabinet du Roi ou du Conseil, où depuis 1701 l'on se rendait par la Chambre, prenait jour par deux fenêtres sur la cour de Marbre. La décoration qu'il présentait durant la première partie du règne de Louis XV est rappelée par le nom de Cabinet de glaces, qui est souvent employé[51]. Elle fut refaite entièrement pendant l'été et l'automne de 1748. L'année suivante, selon l'habitude des Bâtiments du Roi, on dora les boiseries, et cette mise à neuf d'une pièce aussi importante excita la curiosité de la Cour[52]. Toutefois sa disposition générale n'était point changée. Elle communiquait, comme l'indiquent les plans de Demortain, de Dubois, de Blondel, avec le Cabinet du billard, élargi en 1738 sur la cour des Cerfs et devenu alors la nouvelle chambre à coucher ; elle communiquait également avec le Cabinet des perruques, qui s'éclairait sur la cour des Cerfs et avait une sortie, qu'on nommait porte de glaces, au point même où aujourd'hui encore une porte de glaces s'ouvre sur la Grande Galerie[53]. Le Cabinet des perruques avait une porte sur le billard et un quatrième dégagement sur la garde-robe du Roi. Cette garde-robe formait un passage, conservé le long du mur de la Galerie et aboutissant au Salon d'Apollon, où se trouvait le Trône et qu'on appelait Chambre du Dais ou Salle à estrade. Le dimanche, le Roi se rendant à la Chapelle pour la messe passait par la porte de glaces et la Galerie ; mais, quand il y allait pour le salut, il passait par la garde-robe, puis par une jolie pièce dite Cabinet doré, et gagnait les appartements par la salle du Trône[54]. Nous connaissons par La Martinière la décoration du Cabinet du Roi, telle qu'elle exista jusqu'en 1748 : Après cette chambre, on va dans un cabinet où le Roi tient ses conseils. Il a 28 pieds de long sur 26 ; il est éclairé par deux croisées sur la cour de Marbre, fermées en arrière voussures dedans ; il y a une troisième croisée feinte, remplie de glaces pour figurer avec les autres. Il y a quatre portes, l'une pour venir de la Chambre, l'autre vis-à-vis, à côté de la cheminée ; la troisième, qui est de l'autre côté de la cheminée, est feinte et sert d'armoire ; la quatrième symétrise avec celle de l'entrée, et s'ouvre dans la ruelle du lit du Roi pour que Sa Majesté puisse entendre la messe qui se dit dans le Cabinet, sur un autel postiche, les jours que le Roi garde sa chambre. Le fond opposé aux croisées est décoré de deux grands panneaux dans les angles : ils sont taillés dans toute la hauteur d'ornements arabesques ; ces panneaux sont coupés par une grande bordure, cintrée en anse de panier par le haut ; elle contient des glaces qui remplissent tout cet espace. La cheminée est de marbre de gruyotte, avec des consoles aux angles et un travers cintré orné de bronze doré au feu ; il v a un grand trémeau de glaces dessus, et dans le côté opposé on en voit un autre qui fait la symétrie : tout le reste du pourtour, hors les quatre portes et les croisées, est aussi rempli de glaces. La corniche sous le cintre est richement ornée de consoles et de métopes, et le cintre qui s'élève au-dessus de la corniche a un grand cadre ovale dans son milieu, en forme de cordon taillé de fleurs et d'autres ornements convenables, qui renferme une calotte. Il y a quatre tableaux qui servent de dessus de porte, dont trois du Poussin et un du Lanfranc. La porte à côté de la cheminée conduit à une petite pièce [Cabinet des perruques] qui tire son jour de la petite cour. Lorsque le Roi va à la messe, il passe par cette pièce pour en sortir par une porte qui le mène droit dans la Galerie. Cette petite pièce communique encore à de petits cabinets particuliers et commodes, par où on va à une des pièces du Grand Appartement sur le jardin. Elle est décorée avec de riches lambris qui renferment six trumeaux de glaces. Il y a des tableaux du Bassan sur trois portes. Le Cabinet des perruques était réputé appartement particulier du Roi et les entrées du Cabinet elles-mêmes n'y avaient point accès. Le gouverneur du Château, M. de Noailles, n'était admis à le traverser que par une tolérance, sur laquelle nous renseigne un passage de Luynes intéressant à divers titres : 6 janvier 1741. Il a été décidé que M. le comte de Noailles n'aurait pas les entrées de la Chambre, mais qu'il garderait le passe-partout[55], dont cependant il ne pourrait se servir que pour traverser d'un côté le Cabinet des perruques et le Cabinet des glaces, lorsqu'il viendrait par la porte qui donne dans la Galerie ; et de l'autre [côté de l'escalier particulier du Roi], la première antichambre [pièce des Chiens], le Cabinet ovale, la chambre à coucher du Roi et le Cabinet des glaces, mais sans pouvoir s'y arrêter. Cet arrangement est constaté par un bon du Roi. M. le maréchal de Noailles avait ce passe-partout, mais par tolérance ; et même, quoiqu'il entre dans le Cabinet des perruques, le Roi y étant — droit que ne donnent point les entrées de la Chambre, ni même celles des Quatorze, qui sont à proprement parler les entrées du Cabinet —, il est toujours convenu que c'était sans droit. Par cet arrangement-ci, M. de la Trémoille, à ce que l'on m'a dit, prétend avoir gagné son procès à cause de la réduction aux entrées de la Chambre ; mais un passe-partout ci-devant toléré, et présentement confirmé par un bon, paraît une prérogative bien grande, d'autant plus qu'en passant si près du lieu où le Roi est — Sa Majesté se tenant presque toujours dans le cabinet qui est au bout du Cabinet ovale —, il est aisé d'être souvent arrêté par le Roi même, comme cela est déjà arrivé depuis. Lorsque le Roi est dans ce cabinet [salle 130], les premiers gentilshommes de la Chambre, à ce qu'on m'a assuré, n'y entrent point ; mais pour avertir Sa Majesté, ils appellent le premier valet de chambre, lorsqu'il y a quelque occasion. Il est indispensable, pour reconstituer la vie de Versailles, d'avoir des précisions sur ces entrées, déjà mentionnées sans cesse dans Saint-Simon. L'étiquette des entrées chez le Roi avait subi, sous Louis XV, quelques légères modifications[56]. Les extraits suivants du journal de Luynes en font connaître le fonctionnement, tout en ajoutant divers détails à nos observations topographiques : Compiègne, 29 juillet 1740. J'ai appris ces jours-ci que ce qui fut décidé l'année passée par rapport à M. de Gramont [le duc, colonel du régiment des gardes françaises] a été confirmé cette année[57]. Le Roi se poudre ici, comme je l'ai marqué déjà, dans le cabinet qui est après sa chambre, au lieu qu'à Versailles il se poudre dans ce qu'on appelle le Cabinet des perruques ; mais ici le débotter se fait dans la Chambre, au lieu qu'à Versailles c'est dans le Cabinet de glaces. M. de Gramont, qui a l'entrée des Quatorze, entre dans le Cabinet de glaces et n'entre pas dans le Cabinet des perruques ; de même ici il entre dans la Chambre et n'entre point à la poudre du Roi, qui est dans le cabinet après la Chambre. Cependant, quand ce n'est point le moment où le Roi se poudre, l'entrée des Quatorze entre dans ce cabinet comme dans le Cabinet de glaces de Versailles. Mais, dans le fond, tout cela revient au même ; le Roi faisant ici son débotter dans la chambre, les courtisans qui n'ont pas d'entrées restent dans l'antichambre, au lieu qu'à Versailles ils restent dans la Chambre ; et lorsque le Roi est dans son Cabinet et que les entrées des Quatorze y entrent, les courtisans restent dans la Chambre ici comme à Versailles. Versailles, 21 janvier 1745. Il y eut avant-hier un changement par rapport aux entrées chez le Roi. Il y a cinq espèces d'entrées chez le Roi : les entrées familières, celles des Premiers gentilshommes de la Chambre, les premières entrées, les entrées de la Chambre, qu'on appelle celles des Quatorze et qui sont proprement celles du Cabinet, et les entrées de la Chambre. Celles -ci, après le lever, entrent dans le Cabinet de glaces ou Cabinet du Conseil, et, comme le Roi passe de là par le Cabinet des perruques, ensuite par la porte de glaces, pour aller à la messe, les entrées de la Chambre suivent sa Majesté par le même chemin. Au retour de la messe, le Roi rentre par la porte de glaces, et les entrées de la Chambre y rentraient aussi. Avant-hier, il leur fut dit qu'ils ne rentreraient plus par cette porte au retour de la messe et qu'il fallait faire le tour par la Chambre du Roi. Cet arrangement est fondé vraisemblablement sur ce que les entrées de la Chambre, même celles du Cabinet, n'ont point droit d'entrer dans le Cabinet des perruques, et que le Roi en allant à la messe est sûrement sorti de son appartement ; au lieu qu'en rentrant, il pourrait arriver qu'il restât dans le Cabinet des perruques. A l'égard de l'heure du salut..., le Roi passe par une porte qui donne dans la pièce du Trône ; il n'est suivi que par son capitaine des gardes et par les grandes entrées. Les entrées de la Chambre et du Cabinet faisaient le tour par la Galerie pour rentrer par la porte de glaces ; apparemment qu'aujourd'hui elles feront le grand tour pour rentrer par l'Œil-de-Bœuf. 5 avril 1754. Les entrées de la Chambre ne font aucune différence au coucher. Au lever, elles entrent un moment avant les courtisans, quand on appelle la Chambre, lorsque le Roi sort de son prie-Dieu pour entrer dans son Cabinet de glaces. Les entrées de la Chambre entrent dans ce cabinet ; elles suivent le Roi par la porte de glaces lorsqu'il va à la messe, et rentrent aussi par cette même porte, mais seulement à sa suite. Le même droit d'entrées par la porte de glaces à la suite du Roi subsiste pour l'heure du sermon et des vêpres ; mais, pour les saluts, le Roi passe par sa garde-robe et ses cabinets, et, sortant et rentrant par la petite porte qui est dans la pièce du Trône, non seulement elles ne suivent pas le Roi par cette petite porte, mais même elles ne rentrent point alors par la porte de glaces ; elles ne rentrent dans le Cabinet qu'en faisant le tour par l'Œil-de-Bœuf et la Chambre. Elles entrent aussi au débotter, mais non pas à l'heure de l'ordre le soir ; c'est alors une entrée particulière, entrée de charges, charges qu'ont le grand aumônier, le premier aumônier, les quatre capitaines des gardes, le capitaine des Cent-Suisses, les deux commandants des gendarmes et chevau-légers, le grand écuyer et le premier écuyer. Il y en a peut-être encore quelques autres que j'oublie, mais peu de gens ont ces entrées[58]. Le prince de Croÿ, qui obtient les entrées de la Chambre en 1763, ajoute quelques traits vifs et une précision intéressante. Le duc de Duras ouvre la porte du Cabinet et le pousse à l'intérieur, en disant à l'huissier du Cabinet : Le Roi accorde les entrées de la Chambre à M. le prince de Croÿ. — Et ce fut là toute la cérémonie. Le Roi n'y était pas ; nous restâmes longtemps à l'attendre. On s'asseoit, chose commode, puisqu'on ne s'asseoit pas dans la Chambre de devant. Il n'y avait presque que des princes du sang ou des ministres, ce qui rend cela très agréable et très commode pour faire ses affaires, d'autant qu'il n'y avait que cinq ou six personnes dans le royaume qui eussent cette grâce sans l'avoir par charge ; de sorte que je n'étais jamais flatté de sortir de la foule du public qui attend dans la Chambre, car, quoique cela s'appelle les entrées de la Chambre, c'est celles du Cabinet, et bien supérieures aux simples entrées de la Chambre, qui ne consistent qu'à faire entrer un peu glua tôt au lever public... Le Roi étant passé pour la messe, je rentrai au Cabinet avec lui, où je le vis jouer ou causer avec tous ses enfants, où il est charmant, étant le meilleur papa du monde... Je causai un peu avec les maréchaux d'Estrées et de Soubise et, voyant qu'on allait appeler pour le Conseil, je sortis fort aise, sans me laisser emporter d'avoir joui de cette agréable grâce[59]. La faveur était donc de celles par où se laissait emporter la vanité de courtisans moins raisonnables que M. de Croÿ. La porte de glaces donnant sur la Galerie, et qui était considérée comme l'accès des appartements intérieurs du Roi[60], paraît dans beaucoup de récits du temps de Louis XV. En voici deux de caractère différent : 2 janvier 1741. Aujourd'hui il y a eu, suivant l'usage, la messe de Requiem pour les chevaliers morts dans le courant de l'année. Le Roi, pour ces cérémonies, met une perruque naturelle. Une heure et demie après, le Roi étant déjà hors de table, Madame de Mailly et Madame de Vintimille ont passé dans la Galerie, venant de chez elles avec trois ou quatre hommes qui les suivaient ; Madame de Mailly s'est arrêtée à la porte de glaces, qui donne chez le Roi, et s'y est assise. Quelqu'un qui était présent a cru qu'elle se trouvait mal ; elle lui a dit que non, mais qu'elle était au désespoir, qu'elle craignait d'être arrivée trop tard, que le Roi lui avait donné rendez-vous pour qu'elle pût le voir en perruque. Sur ce, un des hommes a fait le tour et a averti M. le duc de Rochechouart [premier gentilhomme de la Chambre], lequel est venu aussitôt à la porte de glaces et a dit à Madame de Mailly qu'il était bien tard, mais qu'il allait le dire au Roi. Madame de Mailly a attendu encore un moment ; le Roi est venu à la porte de glaces, mais avec ses cheveux, sans perruque ; après avoir paru et parlé un moment, il est rentré disant qu'il allait revenir ; il avait donné ordre que sa perruque fût toute prête, car dans l'instant même il est ressorti avec sa perruque sur la tête. 22 février 1749. Les harengères sont dans l'usage de venir haranguer le Roi dans les occasions importantes ; elles vinrent donc hier dans plusieurs carrosses de louage ; elles étaient vingt-quatre. Celle qui portait la parole est une Madame Renard. Elles furent présentées par M. le duc de Gesvres, comme gouverneur de la ville de Paris. Le Roi s'avança à la porte de son Cabinet, du côté de la Galerie ; on ouvrit les deux battants de la porte de glaces ; Madame Renard demeura dans la Galerie contre la porte, et ce fut là qu'elle harangua le Roi... La Reine en sortant de table aperçut dans son grand cabinet une multitude de femmes, qu'elle fut étonnée de voir entrer, car elle ne savait pas ce que c'était...[61] La plus grande partie de la journée de Louis XV à Versailles s'écoulait dans son Cabinet. Dufort de Cheverny a donné la liste des personnes qui s'y trouvaient admises au temps de Madame de Pompadour, et qui formaient l'intérieur du Cabinet. Il a raconté aussi les scènes familières qui s'y passaient, en la présence du Roi ou en son absence. Une des plus singulières est l'aventure du chat, dont le récit commence ainsi : Le Cabinet n'était composé presque que de jeunes gens, tous fort gais, ce qui plaisait au Roi, qui causait avec eux de préférence. Nous attendions tous le coucher du Roi, occasion pour ceux qui le pouvaient de se montrer assidûment. Le Roi avait un chat matou angora blanc, d'une grosseur prodigieuse, très doux et très familier ; il couchait dans le Cabinet du Conseil, sur un coussin de damas cramoisi, au milieu de la cheminée. Le Roi rentrait toujours à minuit et demi des Petits Appartements...[62] Quantité d'anecdotes sur le Cabinet confirment, par des exemples variés, son rôle de pièce essentielle dans la vie du Roi. Le travail avec les ministres l'y retient longtemps. On trouve des journées fort occupées, comme celle que note Luynes, le 3 mars 1755 : Hier dimanche, le Roi travailla avec M. de Mirepoix, deux ou trois fois avec M. le prince de Conty, tint Conseil d'État, travailla avec M. de Séchelles et outre cela avec M. le garde des Sceaux[63]. Quelques années auparavant, ses longues présences dans son Cabinet laissaient place à des médisances de cour, dont il faut admettre l'exactitude, puisqu'on les trouve sous la plume d'un aussi sérieux témoin : Le travail des ministres avec le Roi se fait dans le Cabinet de Sa Majesté ; quelquefois, après le travail, le Roi passe dans sa garde-robe, et monte tout de suite, par un escalier dérobé, chez Madame de la Tournelle. Après y avoir demeuré quelque temps, il redescend par le même escalier, rentre dans son Cabinet, ou le ministre l'attend ; et comme le Roi sort du Cabinet suivi du ministre, on croit souvent que c'est la fin du travail[64]. Plus tard Louis XV pourra monter de même chez Madame de Pompadour ou chez Madame du Barry par le même passage Je la garde-robe ; il se rendra aussi dans sa bibliothèque, située au-dessus du Cabinet du Conseil[65], et de là, par un autre passage direct et secret, dans la chambre à coucher de l'appartement situé au-dessus du sien. C'est pendant le Conseil et dans son Cabinet que la mort du cardinal de Fleury est annoncée à Louis XV : On croyait depuis deux ou trois jours que M. le Cardinal mourait à tout moment ; cependant il n'est mort qu'aujourd'hui. Le Roi était au Conseil des finances, auquel les ministres n'assistent point. L'usage est que, lorsque le Roi travaille seul avec quelques ministres, le premier valet de chambre reste dans la Chambre ; lorsqu'il y a Conseil, personne n'y reste. Le Conseil était près de finir ; M. de Maurepas et M. Amelot ont demandé à entrer dans la Chambre ; le conseil étant fini, le Roi a été lui-même, sur-le-champ, ouvrir la porte du Cabinet. Ordinairement c'est quelqu'un de ceux du Conseil qui va ouvrir ; mais le Roi avait entendu la voix de M. de Maurepas et les avait vu passer tous deux dans la cour. Les deux ministres ont rendu compte à Sa Majesté de la mort de M. le Cardinal. Ceux qui étaient au Conseil se sont approchés di Roi un moment après ; après quoi, Sa Majesté est entrée dans sa garde-robe et a fermé la porte sur lui avec force[66]. Animons encore le Cabinet du Roi et la partie du Château où il est placé par d'autres souvenirs empruntés au duc de Luynes. Voici le chapitre du Saint-Esprit. où le duc fut reçu chevalier de l'Ordre : 2 février 1748. Hier ce fut la cérémonie des chevaliers de l'Ordre. Nous ne fûmes reçus que cinq. Les cinq nouveaux chevaliers se rendirent à dix heures et demie dans la Chambre du Roi, en habit de novices. Dès que le Roi fut habillé, on fit entrer dans le Cabinet les anciens chevaliers qui n'ont point d'entrées et les officiers de l'Ordre. Nous restâmes pendant ce temps tous cinq dans la Chambre du Roi, mais ce temps fut fort court. M. l'abbé de Pomponne y fit son rapport, mais apparemment qu'il le fit en peu de mots, car, après tout au plus cinq minutes, l'huissier de l'Ordre m'appela le premier. Le Roi était debout, vers le milieu de la table du Conseil, entre cette table et la porte ; je me mis à genoux, le Roi tira son épée, dont il me donna suivant l'usage sur les deux épaules, ensuite l'accolade ; c'est la cérémonie usitée pour les chevaliers de Saint-Michel. Comme le Roi est debout, on est à genoux sans carreau. La même cérémonie se fit ensuite pour M. de Maubourg. M. de Ségur, M. de Bulkley et M. de Puisieux, l'un après l'autre. Ces quatre messieurs ne mirent qu'un genou en terre ; moi, je m'étais mis à deux genoux. Immédiatement après, le héraut de l'Ordre fit l'appel de tous les chevaliers à portée de se trouver à la cérémonie ; il y en avait quelques-uns absents. On nomma entre autre M. le duc de Châtillon : il n'a pas la permission de venir à la Cour. L'appel fait, on se mit en marche[67]. Les premières révérences dont on va lire le récit sont celles qui suivirent la mort de Madame Henriette (Madame), survenue le 17 février 1752 ; les secondes eurent lieu pour la naissance du duc de Berry, plus tard dauphin et roi (Louis XVI) : 27 février 1752. Le 22, mardi, furent les révérences. L'heure était donnée pour les hommes après la messe du Roi, et pour les femmes, à cinq heures. La porte qui donne de l'antichambre du Roi dans l'Œil-de-Bœuf, que l'on ouvre toujours quand le lever est fait, est restée fermée, parce que c'est dans l'Œil-de-Bœuf que les hommes en manteaux se sont assemblés. Il y avait un monde prodigieux, hommes titrés et non titrés, des conseillers d'Etat, des maîtres des requêtes, tous en manteau et point en robes. Mesdames, qui étaient chez le Roi, sont sorties pour aller chez la Reine. M. le Dauphin était déjà entré chez le Roi, accompagné de presque tous ses menins ; il était suivi par tous les princes du sang, excepté M. le comte de Charolais, qui est incommodé et a fait prier le Roi de vouloir bien recevoir ses excuses. Les princes du sang avaient été prendre M. le Dauphin chez lui. M. le duc d'Orléans était suivi de toute sa maison, qu'il a présentée aujourd'hui. Tout le monde était en pleureuses et en manteau long ; quelques-uns avaient des rabats et d'autres des cravates, gants noirs, crêpe pendant, etc. ; beaucoup de gens avaient des écuyers ou valets de chambre pour porter leur manteau ; ceux qui les portaient et qui n'étaient point gens de livrée avaient des habits noirs. M. de Saint-Aignan, M. de Beauvilliers et quelques autres avaient un homme en manteau. Le Roi était debout dans le Cabinet de glace. On avait ôté la table du Conseil. Immédiatement après les 'rinces du sang, tout le monde est entré sans distinction. Les quatre premiers qui sont entrés chez le Roi étaient quatre ducs... Après avoir passé devant le Roi, on est entré dans le Cabinet des perruques et de là dans la Galerie. Là, tout le monde a attendu que M. le Dauphin, suivi des princes du sang, se rendit chez la Reine. La Reine était dans son fauteuil, dans son grand cabinet [salle 116], comme aux grandes audiences ; Madame de Luynes et les dames du Palais étaient en mantes. M. le Dauphin et les princes du sang sont restés chez la Reine pendant tout le temps des révérences. On a passé par le salon de la Reine [Salon de la Paix] ; on a traversé sa chambre et, après avoir fait la révérence à Sa Majesté, on a été tout de suite attendre M. le Dauphin chez lui... 25 août 1754. Hier, le Roi reçut des révérences, mais seulement des dames ; les gens de la Cour se présentèrent devant lui, mais ne passèrent point l'un après l'autre comme les dames ; il y en eut cependant qui tirent des révérences chez M. le duc de Bourgogne, entrant par une porte et sortant par l'autre. Pour les dames, elles allèrent chez le Roi, chez la Reine et chez toute la famille royale[68]. Les dames de Mesdames avaient fait leur cour le matin, dans le Cabinet, au retour de la messe, à la suite de Mesdames ; elles étaient obligées de se trouver chez Mesdames pour attendre le moment des révérences ; ainsi il n'y en eut que deux qui allèrent chez le Roi. Ce fut à une heure après-midi que se firent les révérences ; c'était dans le Cabinet du Conseil, on avait ôté la table. Les dames entraient de la Chambre dans le Cabinet et ressortaient dans la Galerie. Le Roi était debout. Mgr le Dauphin ni Mesdames n'étaient point avec lui. Comme le Roi attendait, ce fut Madame de Brancas, Madame de Lauraguais, la grande Madame de Brancas, qui passèrent les trois premières, suivies des dames de Madame la Dauphine ; ensuite Mesdames de Luynes, de Villars et de Chevreuse, qui avaient été obligées de rester chez la Reine pour l'audience dont je parlerai, arrivèrent suivies des dames de la Reine, et après elles toutes les dames qui se trouvèrent ici, les princesses de Rohan douairière, de Turenne et de Brionne, précédées et suivies de plusieurs autres. J'étais dans le Cabinet du Roi, je comptais les dames qui passaient ; il n'y en eut que soixante-sept[69]. Les présentations fourniraient matière à des citations nombreuses : Cela se faisait au souper, du temps du feu Roi ; présentement, c'est dans le Cabinet du Roi, ordinairement sur les cinq ou six heures de l'après-midi. Il en était de même lors d'une prise de tabouret chez la Reine. Voici, par exemple, le détail de la cérémonie qui a lieu dans le Cabinet du Roi, puis dans la Chambre de la Reine, au moment où Madame de la Tournelle devient duchesse de Châteauroux, le 22 octobre 1743 : La présentation a été faite. Il y avait huit dames, cinq assises, savoir : Mesdames de Lauraguais, de Châteauroux, Madame la maréchale de Duras, Mesdames les duchesses d'Aiguillon et d'Agénois, et trois debout, Mesdames de Flavacourt, de Maurepas et de Rubempré. La présentation s'est faite une demi-heure après le débotter. Le Roi a fait attendre ces dames environ un demi-quart d'heure ; elles se sont assises dans la Chambre du Roi ; ensuite M. de Gesvres les a averties. Madame de Lauraguais est entrée la première dans le Cabinet ; au bout d'un temps fort court, le Roi s'est levé[70]. Elles ont été de là chez la Reine ; là, il n'a point été question de présentation, ni de baiser la robe, mais seulement de prendre le tabouret. La Reine s'est d'abord approchée de Madame de la Tournelle et lui a dit : Madame, je vous fais compliment sur la grâce que le Roi vous a accordée ; ensuite elle s'est assise. Madame de Lauraguais et Madame de Châteauroux se sont assises à la gauche de la Reine, Madame de Luynes à la droite, ensuite Madame de Duras, Mesdames d'Aiguillon et d'Agénois. Les trois darnes debout sont entrées. Il n'y avait pas une seule dame du palais de la Reine ; c'était un quart d'heure avant la comédie. La Reine s'est levée au bout de fort peu de temps, et elles sont allées chez M. le Dauphin et chez Mesdames. On connaît le récit de la présentation de Madame de Pompadour : Il y avait un monde prodigieux dans l'Antichambre et la Chambre du Roi, mais assez peu dans le Cabinet ; la conversation fut fort courte et l'embarras très grand de part et d'autre...[71] Voici enfin le cérémonial d'une audience de députation du Parlement, pour présenter des remontrances, et le récit de l'audience particulière où le premier président fut appelé d'urgence par le Roi, pendant l'exil de la Grand'Chambre à Soissons : 21 mars 1748. Le premier président vint hier après dîner avec MM. les présidents Molé et de Rosambo, Le Roi manda le Conseil des dépêches ; on fit entrer les trois présidents dans le Cabinet où se tenait le Conseil ; ils y furent un quart d'heure, d'où ils repassèrent dans l'Œil-de-Bœuf pour y attendre la fin du Conseil, pendant lequel M. de Maurepas sortit deux fois pour leur parler ; et lorsque le Conseil fut levé, on les fit encore entrer dans le Cabinet ; il y fut remis à M. le premier président une lettre écrite, sur la table même du Conseil, de la main de M. le chancelier. Les trois présidents étant sortis du Cabinet, ils attendirent quelque temps dans la Chambre du Roi, et demandèrent à parler à M. de Maurepas, qui sortit exprès du Cabinet. 6 juin 1754. Immédiatement après M. Rouillé [secrétaire d'État de la Marine], Sa Majesté donna une audience de cinq quarts d'heure tête à tête à M. le premier président du Parlement de Paris. Personne n'avait ici la moindre idée de l'arrivée de M. le premier président... Il arriva [de Soissons] entre sept et huit heures du soir ; il n'alla point descendre chez M. le chancelier, qui était sorti de chez le Roi une heure auparavant ; il vint tout droit chez le Roi. Il y avait ordre de le faire entrer dans le cabinet du premier valet de chambre, qui donne dans l'Œil-de-Bœuf[72] ; le Roi avait donné ordre qu'on l'avertit. Il est vraisemblable que le travail de M. Rouillé fut un peu abrégé ; ce qui est certain, c'est que M. le premier président entra dans le Cabinet du Roi à huit heures un quart, qu'il y resta plus d'une heure seul avec Sa Majesté, et on remarqua qu'il sortit du Cabinet les larmes aux yeux. Le Roi demeura seul un petit quart d'heure environ, après que le premier président fût sorti. Mgr le Dauphin entra ensuite dans le Cabinet du Roi, et il était environ dix heures quand le Roi se mit à table au Grand Couvert[73]. Toutes ces scènes se placent dans l'ancien Cabinet du Roi. En 1755, le décor va changer et le nouveau cabinet 'élargira de tout l'emplacement du Cabinet des perruques. Luynes en fournit la date certaine, en écrivant du château de Dampierre, le 3 juin 1755 : Dès le lendemain que le Roi fut parti pour Marly, on commença à démeubler le Cabinet du Conseil, et on a travaillé aussitôt à exécuter le projet de joindre ce cabinet avec celui qu'on appelle des perruques, parce que c'était là que le Roi avait coutume de se poudrer. — Les entrées de la Chambre n'entraient point dans ce dernier cabinet. — La cheminée placée dans le mur de refend qui séparait ces deux cabinets va être portée dans le gros mur qui sépare de la Grande Galerie ; elle sera vis-à-vis les fenêtres qui donnent sur la cour de Marbre, et la grande glace qui était dans cette place, du côté de la Grande Galerie, sera portée dans le Cabinet des perruques et se trouvera en face du mur qui sépare le Cabinet du Conseil d'avec la chambre à balustre. Louis XV suit ces travaux avec intérêt et quitte Compiègne-pour venir les voir. Le duc de Luynes note à Versailles, le 4 août : Le Roi est arrivé ici à midi et demi, comme il l'avait dit ; il a entré aussitôt chez Madame la Dauphine, où toute la famille royale était rassemblée.... Ensuite il a traversé la cour, pour aller voir ses bâtiments. Le Cabinet du Conseil est fait pour ce qui regarde la maçonnerie ; il sera tapissé pour le retour et servira de passage. Le Roi, après avoir tout vu, a entré dans sa garde-robe, où il a resté près d'une demi-heure. Mgr le Dauphin et tout ce qui s'est trouvé dans Versailles l'a attendu dans le cabinet où il couche. M. Rouillé y était ; le Roi, en rentrant dans ce cabinet, lui a donné des. lettres ; n'y ayant ici aucun bureau, M. Rouillé a dit qu'il les allait envoyer à. Compiègne. Aussitôt le Roi a descendu et a monté dans son carrosse, et Mgr le Dauphin a été se mettre à table. Enfin, le 24 août, la Cour étant revenue à Versailles,
l'achèvement des gros-travaux est constatée, et nous apprenons en même temps
d'autres détails : L'ancien, mur du Cabinet du
Conseil, du côté de la cour des Cerfs, est démoli et reporté huit : ou neuf
pieds plus avant vers cette cour. La cheminée qui était dans ce mur a été
portée dans le mur mitoyen avec la Galerie ; et dans la place où était cette
cheminée on a fait une grande porte-fenêtre, qui entre sur une terrasse
donnant sur cette petite cour des Cerfs. Ce changement met dans la nécessité
de refaire toutes les dorures de ce cabinet ; mais, cet ouvrage ne pouvant
être terminé dans ce moment, on s'est contenté de fermer l'ouverture de la
nouvelle fenêtre et de mettre des tapisseries dans le Cabinet du Conseil et
dans la pièce d'après, qui faisait la nouvelle chambre à coucher du Roi. Ces
deux pièces ne servent plus que de passage. C'est là que l'ont attend le
moment d'entrer dans le Cabinet ovale qui est réputé Cabinet du Conseil,
quoique le Roi y couche [salle 127] ; mais le Conseil ne se tient point dans ce Cabinet ovale
; il se tient dans le cabinet qui est au delà [salle 130][74]. Le nouveau salon ainsi créé, et dont les larges proportions indiquent l'importance, resta pendant quelque temps inachevé. Blondel, qui rédige précisément à la fin de l'année sa description de Versailles, le constate en ces termes : Les lambris et la sculpture qui ornent cette pièce ne sont pas encore dorés, ni les tableaux qu'on y voyait anciennement, posés en place. On y remarque seulement une assez belle cheminée de marbre sanguin enrichie de bronze doré d'or moulu, de grandes glaces, des meubles de goût, etc.[75]. La plus grande partie de la menuiserie avait été posée dès le mois de septembre. On ne la dora que l'année suivante, pendant le séjour à Fontainebleau. Nous savons, par les rapports du contrôleur de Versailles à M. de Marigny, que ces travaux, conduits en même temps que d'autres dans la chambre à coucher, furent terminés le 14 novembre 1756 : Au moyen de quinze doreurs d'augmentation qui sont venus, dont j'ai eu l'honneur de vous informer, Monsieur, nous sommes parvenus à finir entièrement les dorures du Cabinet du Conseil et de la chambre à coucher du Roi, ce que le sieur Pollevert [peintre] regardait comme impossible. Actuellement, on pose les glaces et les bronzes de ces deux pièces, et je compte pouvoir les remettre demain après-midi à messieurs du Garde-Meuble. Le nouveau Cabinet du Roi a donc pu servir à partir de l'hiver de 1756. Peu de morceaux de Versailles auront désormais, on le voit, une histoire aussi certaine. Les Comptes des Bâtiments la complètent encore : le Roi a fixé, en février 1755, la dépense à 120.000 livres, auxquelles il ajoute 20.000 livres de supplément, sur l'exercice suivant[76]. Le Cabinet est mentionné à presque tous les chapitres : maçonnerie, menuiserie, vitrerie, serrurerie, peinture et dorure, marbrerie. Gamain l'aîné ne touche pas moins de 5.900 livres pour ouvrages de serrurerie qu'il a faits au Cabinet du Conseil ; Pollevert, peintre et doreur, reçoit en quatre paiements, dont le dernier est de 1758, 23.400 livres pour ouvrages de grosse peinture et dorure qu'il a faits au Cabinet du Conseil. Les fondeurs et doreurs, qui ont fourni pour la même pièce des ouvrages de bronze doré et d'or moulu, sont Le Blanc, payé 1.800 livres, et Gobert, payé 4.200 livres. La grande cheminée de marbre sanguin, n'est point de ce moment ; on a simplement transporté la cheminée de l'ancien cabinet commandée par M. de Tournehem, en 1748[77]. Le nom des sculpteurs de ce salon est attesté par les Comptes : alors que, pour ses ouvrages, un seul paiement de 1.000 livres est fait à Verberckt, on verse au sieur Rousseau, autre sculpteur, en huit paiements échelonnés du 4 mai 1755 au 1er avril 1758, une somme de 21.000 livres[78]. Le Cabinet du Roi est donc l'œuvre d'un sculpteur nouveau, préféré cette fois à Verberckt, qui occupait jusqu'alors à Versailles une place tout à fait prépondérante. Cet artiste est Jules-Antoine Rousseau, né à Versailles en 1710 d'Alexandre Rousseau, de Corbeil, sculpteur employé au Château vers la fin du règne de Louis XIV ; il aura lui-même des fils, qui lui succèderont dans ses travaux. On peut juger du talent de ce maître injustement oublié par la merveille du Cabinet du Roi. L'éclat conservé des dorures et leur extrême richesse apprennent au visiteur qu'il entre dans une des importantes pièces de Versailles, et tout d'abord l'harmonie de la décoration semble parfaite. Quelques parties cependant diffèrent de l'ensemble : l'encadrement des deux grandes glaces rappelle l'art de Verberckt ; les chambranles des portes et fenêtres semblent des morceaux utilisés de la décoration antérieure ; enfin les quatre portes à double battant, qu'on pourrait attribuer à Dugoulon et qui sont d'ailleurs identiques à celles de la Chambre de Louis XIV, paraissent provenir de l'ancien Cabinet. On trouve donc ici un bon exemple de cet usage des Bâtiments de faire servir le plus possible, dans les pièces en remaniement, les parties anciennes qui pouvaient y trouver une place ; mesure d'économie et de sagesse, dont l'art n'avait jamais à se plaindre, grâce à la sûreté de goût d'un Gabriel. L'ouvrage d'Antoine Rousseau comprend avant tout trois grands panneaux sculptés, dont deux avoisinent la cheminée et dont le troisième, moins large, y fait face. Leur composition s'accorde avec la destination officielle du salon. Des doubles coquilles d'or qui les surmontent, descendent des guirlandes de fleurs et un trophée d'armes à la romaine entouré de lauriers, auquel est suspendu un médaillon encadré de branches d'olivier. L'un des médaillons rappelle le travail du Roi en temps de paix : un génie enfant, nu et debout sous un portique, tient une balance ; un autre retient un : chien sous son bras et un troisième porte un livre et un miroir, tandis qu'à leurs pieds se tord un serpent. Il y faut voir sans doute les symboles de la fidélité et de la sincérité que le souverain doit rencontrer parmi les ministres qui le conseillent. Le second médaillon représente la guerre : sous une tente dressée devant un rempart, un génie debout semble méditer ; deux autres l'accompagnent, l'un assis sur des livres, l'autre sur un affût de canon. Dans le troisième médaillon, soutenu par un trophée, jouent quatre petits génies parmi des attributs marins, tandis qu'un vaisseau à deux mâts passe, les voiles gonflées ; l'importance de la marine dans les conseils du Roi, à la veille de la guerre avec l'Angleterre, est ingénieusement évoquée par cette sculpture. Quatre panneaux moins larges et quatre du même dessin, mais plus étroits encore, présentent dans leur motif central la main de justice et le sceptre fleurdelysé réunis par une couronne ; les trophées guerriers sont formés de drapeaux, de trompettes, de tambours, de canons, de tonnes à boulets. Huit autres petits panneaux enlacent deux tiges d'olivier presque sans feuillage, qui montent en soutenant un globe terrestre, sur lequel s'appuie un soleil dans une lyre. C'est le seul souvenir des arts dans cette ornementation inspirée par de sévères sujets. Le chiffre royal aux L enlacés, y figure sept fois, au-dessus des portes de glaces vraies ou feintes, dans la voussure des fenêtres et à l'entrée de la chambre de Louis XV ; l'écusson de France couronne les trumeaux de glaces entre deux cornes d'abondance ; enfin, la fleur de lys est aux quatre angles de la frise semée de trophées. Le plafond est blanc, ayant au centre un cadre doré rectangulaire, qui semble attendre, ainsi que les retombées de la voûte, des peintures décoratives. Tout l'ensemble des Cabinets du Roi, à la date des travaux du nouveau Conseil, se trouve mentionné dans une note du duc de Gesvres, qui fait connaître l'organisation provisoire des intérieurs. Une sérieuse perturbation s'y trouvait apportée alors par la séparation de la nouvelle chambre et de l'ancienne, où avaient lieu le lever et le coucher, et par la suppression momentanée d'une pièce aussi importante que le Cabinet. Peu de textes initient avec plus de précision à la mécanique de la vie du Roi et à l'ordonnance des services, qui se transportaient de résidence en résidence, prêtant parfois au même local, par une fiction d'étiquette, diverses destinations dont le fonctionnement de la Cour avait besoin : Le Roi faisant travailler à son
Grand Appartement a couché dans la pièce où est la grande pendule. Après sa
chambre à coucher, il y a un carré qu'on appelle le cabinet des Chiens [salle 128], qui a
tenu lieu d'Œil-de-Bœuf ; j'y ai mis, après que la garde-robe a été entrée
dans la Chambre du Roi, un huissier pour le garder, car avant cela les
garçons le gardent. Il n'y entre que les grandes entrées et le service de la
garde-robe. Quand l'huissier de la Chambre est dans cette pièce, les entrées
de la Chambre et le service de la Chambre y entrent, mais les courtisans
restent sur l'escalier ou dans la cour de Marbre. Après le lever du Roi, les huissiers de la Chambre du Roi vont garder la salle du Trône [Salon d'Apollon], qui devient Chambre du Roi, et l'huissier du Cabinet s'empare de la porte de cette pièce où le Roi couche, et alors cette pièce devient Cabinet du Conseil, où les personnes qui ont des entrées du Cabinet du Conseil entrent. Quand le Roi sort de son arrière-cabinet [salle 131], alors tout le monde sort de cette pièce, qui devient Cabinet des perruques. Quand le Roi est poudré et accommodé, il entre dans l'intérieur ; alors cela redevient Cabinet du Conseil, et ceux qui ont attendu dans la pièce des Chiens restent dans cette pièce où le Roi couche, laquelle change à tout moment de dénomination. Quand le Roi va à la messe le matin, les grandes entrées et tout son service font le tour et vont l'attendre dans le Trône ; le Roi passe par un petit corridor intérieur, où il y a une porte qui donne dans la pièce du Trône. Il n'y a que le grand chambellan, le premier gentilhomme de la Chambre et le capitaine des gardes qui ont l'honneur de le suivre, et les princes du sang qui s'y trouvent. On présente tous ceux qui veulent
être présentés dans la salle du Trône ; on ne présente pas dans la chambre où
le Roi couche. Quand le Roi soupe dans les Cabinets, il donne l'ordre dans la
pièce des Chiens. Quand Sa Majesté soupe au grand couvert [dans la salle 117, aux appartements de la Reine], il passe par le petit corridor intérieur, il donne
l'ordre dans le Trône et va par la Galerie chez la Reine ; un huissier de la
Chambre marche avec deux flambeaux d'huissier devant le Roi, depuis la
chambre où il couche jusque chez la Reine, passant par le corridor et le
ramenant de même. Les personnes qui ont l'honneur de suivre le Roi ne passent
dans le corridor qu'à sa suite ; la porte est toujours fermée à double tour
quand le Roi y a passé. Quand la Reine vient le matin chez le Roi, elle passe
par cette porte ; aussitôt qu'on l'a averti, le premier valet de chambre va
ouvrir la porte. La Reine s'en retourne comme elle est venue, sans personne à
sa suite ; un premier valet de chambre porte sa queue. Mgr le Dauphin passe
par les cours, quand il vient au lever du Roi. Mesdames ont suivi le Roi un
jour en revenant de la messe, ont passé par le corridor à sa suite, leurs
dames d'honneur les suivant et rien de plus. Quand le Roi va le soir chez
Madame la Dauphine, et qu'il fait beau, il passe par les cours avec son
appareil ordinaire. Quand il pleut, il passe par la salle du Trône, traverse
les Appartements, descend par le petit escalier accompagné de son capitaine
des gardes et de tout ce qui le suit quand il va au grand-couvert[79]. Ce curieux morceau montre que, pendant les travaux de 1755-56, le Cabinet de la pendule remplit, suivant les heures, l'office de Chambre à coucher du Roi, celui de Cabinet du Conseil et celui de Cabinet des perruques ; ce dernier semblait indispensable, à cause de la place qu'il avait tenu jusque là dans la journée des souverains. Les mêmes locaux apparaissent en divers récits historiques, particulièrement pour l'attentat de Damiens et la maladie de Louis XV, qui s'ensuivit. A cette date, le salon décoré par Rousseau eût un rôle considérable. Voici, par exemple, quelques mots de la narration faite par le cardinal de Bernis, alors ministre, de la dramatique journée du 5 janvier 1757 : En entrant dans le Cabinet du Roi, j'aperçus l'Extrême-Onction sur la table et des prêtres en surplis ; tel est le premier objet qui frappa ma vue. Les ministres, qui n'avaient pas les grandes entrées étaient rassemblés dans le Cabinet ; le maréchal de Belle-Isle et M. d'Argenson étaient seuls dans la chambre de Sa Majesté avec la famille royale... Une heure après être arrivé dans le Cabinet du Roi, je fus frappé de l'oisiveté dans laquelle on laissait les ministres ei de la liberté que chacun avait de voir le scélérat qui avait frappé le Roi d'un coup de canif.... M. le Dauphin sortit et, en m'adressant la parole ainsi qu'à MM. de Moras et de Paulmy, il nous demanda si nous pensions qu'il fût nécessaire d'assembler le Conseil. Eh ! sans doute, monseigneur, répondis-je ; jamais il n'a été plus indispensable de l'appeler. — Mais, continua le Dauphin, les autres ministres ne sont pas ici. — Donnez vos ordres, monseigneur, et ils s'y rendront. M. le Dauphin rentra dans la chambre du Roi, prit les ordres de Sa Majesté pour assembler les ministres et les donna au maréchal de Richelieu, gentilhomme de la Chambre en exercice. Le Conseil assemblé dans l'arrière-cabinet du Roi, M. le Dauphin exposa l'objet sur lequel le Conseil avait à délibérer[80]. Dufort de Cheverny, autre témoin en mesure de bien voir, fournit avec précision sur les mêmes incidents des renseignements qu'on peut contrôler par ceux que donne Bernis ; ils prennent leur intérêt de l'exacte connaissance des lieux : Je montai dans le Cabinet du Roi ; c'était ma place. J'y trouvai le service personnel comme médecins et chirurgiens... C'était une nuée d'habits noirs à n'en plus finir ; toutes les pièces en étaient pleines. Le Roi couché dans sa vraie chambre à coucher, derrière son Cabinet, enfermé entre ses quatre rideaux, n'ouvrait la bouche que pour demander des choses indifférentes... Le canif à deux lames était encore sur la cheminée du Conseil ; nous le maniâmes tous... Le Dauphin et toute la famille jouaient le rôle qui convenait ; à poste fixe dans le Cabinet, ils donnaient des ordres pour empêcher qu'on ne troublât la tranquillité du Roi... Le Cabinet, inondé de tous les curieux qui avaient leurs entrées, fût vidé des inutiles... Je vis Caterby [huissier du Cabinet] recevoir l'ordre de M. de Richelieu, auquel M. le Dauphin venait de dire un mot. Il s'avança à l'oreille de Marigny, qui s'éclipsa à l'instant ; comme il était peu aimé, tous en furent ravis... C'est une grande cérémonie que le bouillon qu'on donne à un roi malade ; toutes les trois heures, il arrive à l'heure dite ; Il est déposé sur la table de marbre, gardé par le premier maitre d'hôtel, goûté par l'échanson et le médecin. L'huissier annonce le bouillon du Roi ; on ouvre la porte de la Chambre, ceux qui sont dans le Cabinet le suivent. Le premier médecin, le premier gentilhomme se trouvent dans la Chambre. Nous suivîmes ; le Roi était couché dans ses doubles rideaux, la chambre fort éclairée, le lit fort noir ; nous ne vîmes que son bras qu'il avança ; il n'ouvrit pas la bouche, et l'huissier de dire : Messieurs retirez-vous. ... Cependant le Roi commençait à se lever et paraissait dans son Cabinet, choisissant le temps où il y avait le moins de monde. Le train de l'intérieur de ses pièces recommença ; Mesdames et la Dauphine venaient avec leur suite avant la messe, allaient à la Chapelle et revenaient après faire leur cour, jusqu'à ce que le Roi leur eût fait un signe. Alors chaque personne de la famille royale s'avançait, lui baisait les mains ; il l'embrassait et tous s'en allaient avec leur suite, qui en passant faisait une révérence au Roi. Ces tristes étiquettes durèrent plus de douze jours[81]. Plus d'un détail encore vaudrait d'être recueilli. Luynes montre une députation des États de Bretagne reçue dans la chambre, le 10 janvier ; le Roi répond de son lit, dont les rideaux de pied sont ouverts. Le même jour il voit les ministres étrangers et, le lendemain, les dames, au nombre de cent-soixante-trois : Le Roi les reçut dans son Cabinet, en robe de chambre, frisé et poudré ; il était assis dans son fauteuil, la jambe droite sur un tabouret. Monseigneur le Dauphin y était [avec la Dauphine et Mesdames]. On entrait par la porte du côté de l'Œil-de-Bœuf, et on sortait par la porte de glaces. Puis, un après-midi, à l'heure du diner, Louis XV convalescent quitte brusquement son fils et la compagnie et, sans vouloir être suivi, descend pour faire sa première visite à Madame de Pompadour. Au retour, ce n'était plus le même homme ; il avait le sourire sur les lèvres et causait sans humeur... une seule conversation... avait guéri son esprit plus malade que tout le reste. L'appartement de Louis XV se compléta, à la fin du règne, par de nouvelles pièces joignant son arrière-cabinet, qui y apportèrent de notables commodités. Elles furent d'abord créées pour Madame Adélaïde, lorsque celle-ci vint loger tout auprès de son père dans la partie du Château où venaient d'être démolis l'Escalier des Ambassadeurs et la Petite Galerie. Le seul salon conservé de la princesse a d'importantes boiseries de Verberckt, faites à deux époques différentes, les premières au moment de l'installation de 1753, les autres en 1767, lorsqu'on agrandit la pièce par une sorte d'alcôve[82]. Les fleurs formaient tout le motif de l'ancien décor. Aux montants des glaces courent des guirlandes d'un caprice charmant ; roses, lilas, narcisses, marguerites, anémones s'y enlacent. Huit panneaux étroits se terminent dans le haut par des vases de fleurs, en bas par des guirlandes sortant d'une coupe. Les quatre grands panneaux plus récents sont d'un dessin assez chargé. L'un, avec des poissons pris au filet, groupe les instruments de la pêche ; un autre, ceux du jardinage, l'arrosoir, le râteau, la corbeille, la serpe, le plantoir, et la simplicité de ces objets fait valoir la grâce qui les assemble. De petits médaillons, portant des envolées, montrent des scènes de pêche et de jardinage. Deux panneaux sont dédiés à la musique ; on y voit le violon avec son archet, la cornemuse, la mandoline, des flûtes, des clarinettes, des castagnettes et un tambour de basque. Des cahiers de musique accompagnent ces instruments ingénieusement choisis pour rappeler les goûts de Madame Adélaïde. C'est ici, en effet, que la princesse étudiait le chant avec Beaumarchais et que le jeune Mozart, pendant la visite de ses parents à Versailles, en décembre 1763, fut admis à l'honneur de jouer du clavecin devant Mesdames. Le sculpteur, chargé d'indiquer la destination de la pièce, a su mettre d'accord ses travaux des deux époques, pas assez cependant pour qu'on sente qu'à quinze .années de distance il a modifié sa manière. Les grands panneaux du cabinet de musique sont, d'ailleurs, les dernières œuvres de Verberckt qu'on retrouve à Versailles ; le vaillant ornemaniste est mort en 1771. Louis XV reprit, dès 1769, cette admirable pièce et tout l'appartement de Madame Adélaïde, qu'il envoya .rejoindre ses sœurs au rez-de-chaussée ; cet agrandissement lui permit de rétablir au premier étage les soupers des Cabinets, longtemps donnés au second, dans les Petits Appartements. La décision précède de peu la présentation de Madame du Barry, qui devait les occuper. Le plan des ouvrages pour les nouvelles salles à manger du Roi a été approuvé par lui le 4 mars 1769, et les travaux ont aussitôt commencé. Le cabinet de jeu remplace la chambre à coucher de Madame Adélaïde [salle 133], la salle à manger à l'angle du pavillon [salle 134] s'est agrandie pour servir aux soupers royaux ; une deuxième pièce pour salle à manger est à l'emplacement de l'ancien Cabinet des Médailles, et il s'établit en cet endroit du Château, par le Salon de Vénus, un accès aux Cabinets du Roi. Louis XV se sert de cette installation dès l'hiver suivant, comme l'atteste un rapport du mois de novembre à M. de Marigny : Le Roi, en arrivant ici le 15, a été visiter les nouvelles pièces de son appartement, dont il a été très content. Il nous a donné une quinzaine de jours pour achever toutes les parties qui n'ont pu l'être en aussi peu de temps, ce qui nous met à notre aise. Mesdames ne l'ont pas moins été des leurs avec juste raison... Malheureusement que la dépense en est énorme dans un temps bien opposé. Nous retrouverons ces salles neuves utilisées sous Louis XVI. A cette tardive installation se rattache encore une précieuse œuvre d'art du temps de Louis XV. Ce sont les derniers bains du Roi, qui prennent en 1773 la place d'un arrière-cabinet de Madame Adélaïde. Le travail fut évalué par Gabriel à 12.000 livres, dont 2.000 pour la menuiserie, 3.000 pour la sculpture, 2.400 pour la dorure[83]. Le doreur est Brancour, qui parait avoir essayé, à cette occasion, des effets nouveaux du mélange des ors. Le sculpteur est Antoine Rousseau, alors le plus occupé des entrepreneurs et dont l'atelier, à ce moment même, s'emploie à la fois à la chambre de la Dauphine, aux bains du Dauphin, aux appartements de Mesdames, bientôt après chez Madame du Barry et chez le comte et la comtesse de Provence. Aucun de ces ouvrages, presque tous détruits, n'a pu être plus soigné que le délicieux cabinet qu'une heureuse fortune nous garde intact. Il est boisé de neuf panneaux, qui portent aux angles des dauphins enroulés à des tiges de roseaux et présentent au centre un bas-relief ovale, encadré de roseaux encore et de narcisses. Ce sont d'ingénieuses scènes de bain, de pêche ou de chasse aquatique. Dix-sept petites compositions rectangulaires semblent moins soignées ; mais la plus charmante fantaisie s'applique aux sculptures de l'ébrasement et des volets de la fenêtre. Des objets de la toilette masculine y sont curieusement réunis ; un bas-relief représente un ciel nocturne parsemé d'étoiles et de nuages et traversé par un vol de chouettes et de chauve-souris, motif qui semble inspiré des laques chinoises. Partout se retrouve le mélange de l'or mat et de l'or bruni, et les roseaux sont même dorés en or vert. L'histoire de la décoration française doit noter avec soin les singularités du cabinet de bains de Louis XV. Le nom d'Antoine Rousseau appelle aussi une observation nécessaire. Ce maître n'est déjà plus seul à diriger les ouvrages qui lui sont confiés ; quatre ans plus tard, apparaîtront dans les comptes des mentions de paiement aux sieurs Rousseau père et fils ; avant cette association officielle, il est certain que le père a fait travailler avec lui ses enfants, et cette collaboration a dû être particulièrement étroite dans une œuvre où se révèlent de plusieurs façons le goût et la pratique d'un art nouveau. Au temps de Louis XV, on appelait, dans le langage de la Cour, Petits Cabinets ou Petits Appartements la partie des intérieurs du Roi située au-dessus des Cabinets et qui, remaniée à bien des reprises, exhaussée, agrandie sans cesse, formait deux ou trois étages superposés. De ces trois étages, où s'enchevêtraient les passages et les escaliers de toute sorte, il ne reste plus que celui qui est à la hauteur des combles de la cour de Marbre et tout le côté Ouest de la cour des Cerfs, le seul de cette cour intérieure qui soit demeuré à peu près intact. Depuis 1722, le Roi avait fait aménager peu à peu ces Petits Cabinets selon des fantaisies successives. Il y eut sa bibliothèque, sa collection de cartes géographiques, ses ateliers pour dessiner et pour tourner, ses cuisines particulières, ses offices, sa distillerie, sa confiturerie, une salle de bains et, sur une des terrasses supérieures, des volières remplies d'oiseaux rares. Ce fut surtout pour lui un domaine d'absolue intimité, et l'on définissait assez bien sa pensée, quand on y découvrait une suite de réduits délicieux accessibles à ses seuls confidents, qui, sans être absolument séparés de son palais, n'y avaient cependant de communication que ce qu'il en fallait nécessairement pour le service. Ils faisaient partie de ces nids à rats, dont le marquis d'Argenson reprochait à son maître d'encombrer les maisons royales et qu'il disait coûter plus cher que les bâtiments de Louis XIV ; nous savons, par un compte de Gabriel, que la dépense pour ceux de Versailles s'élevait déjà, en 1737, à près de six cent mille livres[84]. L'art, en un tel siècle, devait s'associer étroitement à ces caprices, et l'on regrette d'en retrouver si peu de traces dans des lieux que trop de causes ont contribué à défigurer. La décoration, partout fort soignée, s'accommodait des usages nouveaux : La plus grande partie de ces pièces, écrit La Martinière en 1741, est décorée de lambris de menuiserie, ornés de sculpture d'un goût délicat proportionné au peu de hauteur. Le travail en est exquis ; les cheminées, de marbre rare, sont de forme singulière avec des glaces au-dessus, ainsi qu'a d'autres trémeaux..... Rien n'est doré que les moulures des glaces, les ornements de dessus les cheminées, ceux des trémeaux et les bordures de plusieurs tableaux ; tout le reste des lambris est peint de différentes couleurs tendres appliquées avec un vernis particulier fait exprès, qui se polit et se rend brillant par le mélange de huit ou dix couches les unes sur les autres. Ce vernis était celui d'Etienne Martin, ces sculptures celles de Verberckt. Les tableaux étaient, dans la salle à manger, le Déjeuner d'huitres de J.-F. De Troy et le Déjeuner de jambon de Lancret, aujourd'hui au Musée Condé ; dans la galerie dite petite galerie d'en haut, se voyait la suite curieuse des chasses exotiques, peintes par De Troy, Boucher, Carle Vanloo, Parrocel, Lancret et Pater. Toute cette peinture, appropriée à merveille à des appartements où le Roi donna assez longtemps ses soupers des jours de chasse, fut enlevée, lorsqu'on les aménagea pour loger la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, après la mort du fils de Louis XV. Les vernis colorés des pièces situées sur la cour de Marbre disparurent à leur tour et firent place à la dorure, quand cette partie des Petits Cabinets devint l'appartement de Madame du Barry[85]. Toute la vie de Louis XV à Versailles se passe dans les intérieurs qui viennent d'être décrits. On y doit joindre la chambre du lit ou chambre de parade ; mais l'usage qu'il en fait se réduit au cérémonial du lever et du coucher et d'ordinaire, le reste de la journée, il n'y, paraît plus. L'ancienne chambre de Louis XIV demeure l'entrée principale du Cabinet du Roi et sert, à certaines heures, comme de troisième antichambre à l'appartement du souverain. L'étiquette s'y montre rigoureuse et les usages de respect envers le lit et la nef royale y sont observés[86]. Le cérémonial des audiences est fixé par les registres des Premiers gentilshommes de la Chambre et le duc de Luynes en rapporte continuellement le détail dans son journal. Voici deux des textes qui pourraient animer ce décor par le souvenir des anciens usages ; le premier raconte l'audience du nonce Durini, à son arrivé en France ; le second, les harangues prononcées à l'occasion de la paix d'Aix-la-Chapelle : Le 26 avril 1746, M. le Nonce eut audience du Roi dans sa Chambre et entra dans les balustres. M. le Cardinal de Tencin s'était mis dans les balustres ; n'y devant pas être on le fit sortir. Le premier valet de chambre était appuyé sur le balustre, à gauche en dehors. M. d'Argenson, secrétaire d'État des Affaires Etrangères, était à droite appuyé sur le balustre en dehors. M. le Nonce entra dans le balustre ; M. le prince de Guise qui le menait n'y entra pas. Il y avait M. le duc de Bouillon et M. le duc d'Aumont dans le balustre du Roi derrière le fauteuil, et Messieurs les princes du sang à droite et à gauche du fauteuil. Le capitaine des Gardes en dehors du balustre. — M. le Dauphin donna le même jour audience à M. le Nonce dans la ruelle de son lit. Tout s'y passa comme chez le Roi ; il n'y avait point là de capitaine des Gardes[87]. Aujourd'hui (21 février 1749), le Roi a reçu les harangues des Cours supérieures : le Parlement, M. le premier président de Maupeou portait la parole ; la Chambre des Comptes, c'est M. de Nicolaï, premier président qui a parlé ; la Cour des Aides, c'est M. de Blancménil, premier président de cette Cour, qui a harangué le Roi ; et la Cour des Monnaies, c'est M. Choppin de Gonzangré qui a porté la parole. Cette après-dînée, le Roi a eu les harangues du Grand Conseil ; c'est M. Poultier qui a parlé ; il préside cette année au Grand Conseil. Ensuite l'Université ; c'est toujours le recteur qui parle ; celui-ci s'appelle Amelin. La dernière de toutes les harangues était celle de l'Académie ; elle a été faite par M. de Richelieu. — L'usage est que le secrétaire d'Etat de la Maison du Roi aille chercher le Parlement, la Chambre des Comptes, la Cour des Aides et le Grand Conseil jusque dans le lieu où ils s'assemblent ; la Ville, la Cour des Monnaies, l'Université et l'Académie, seulement jusqu'à la porte de la Chambre du Roi. Il les reconduit jusqu'aux mêmes lieux où ; ils les a pris. Le Roi reçoit toutes ces visites dans sa chambre ; il est assis dans son fauteuil, le dos tourné à la cheminée et son chapeau sur sa tête. Le capitaine des Gardes, le Grand Chambellan derrière le fauteuil ; M. le Chancelier, à la droite du fauteuil. M. le Dauphin a assisté aux harangues ; il était à la droite du Roi, un peu en avant de M. le Chancelier. Après la harangue de l'Académie, M. de Richelieu a nommé au Roi, suivant l'usage, tous les Académiciens qui étaient présents ; on les nomme suivant l'ancienneté de leur réception ; il n'est point question d'autre rang. Il y en avait en tout vingt-trois[88]. Les révérences faites au Roi à l'occasion de la naissance
de son petit-fils, le comte de Provence, le 17 novembre 1755, ont lieu dans
le Cabinet ; mais le feu d'artifice de réjouissance est vu par Louis XV et sa
famille de la Chambre de parade. Voici une note du duc de Gesvres, applicable
sans doute aux cas du même genre : Le Roi reçut
l'après-midi les visites de toutes les princesses et dames de la Cour, qui passèrent
par devant Sa Majesté, qui était debout dans son Cabinet du Conseil. J'en avais
fait ranger la table. On entrait par l'appartement du Roi et on en sortait
par la Galerie. Les hommes ne passèrent point et ne firent point de
révérences. Il y eut, le soir, un bouquet d'artifice ; j'allai chercher la
Reine, quand il fut prêt à tirer. Le Roi vit le feu de dedans sa grande
chambre. J'avais fait éteindre toutes les bougies. La Reine, Monseigneur le
Dauphin et Mesdames étaient dans cette même chambre, et Monseigneur le duc de
Bourgogne dans le Cabinet du Conseil. Toutes les dames et les hommes virent
le feu de l'appartement du Roi ; il était à l'esplanade [place d'Armes]. La décoration de la Chambre datait de Louis XIV ; mais les deux cheminées qui s'y trouvent furent ordonnées à Gabriel par M. de Marigny, au mois de mars 1758. Sous Louis XIV, il n'y avait qu'une cheminée à droite, dans le mur du Cabinet du Roi, et c'était la plus belle de Versailles ; Gabriel déclare dans un rapport qu'elle est d'un marbre ancien qui ne se trouve plus depuis longtemps. Ce marbre, approchant de la brèche violette, ne put être assorti suffisamment, lorsque le Roi, qui avait eu froid pendant sa toilette, demanda qu'on lui fit une seconde cheminée. On prit le parti d'en établir deux nouvelles pour lesquelles l'entrepreneur Trouard fournit le marbre et Philippe Caffieri les bronzes. Ces bronzes assez ordinaires s'inspirent d'un motif ancien. L'arrangement ne fut définitif qu'en 1761[89]. Les tableaux placés de chaque côté du lit, et qu'on
retirait pendant l'été, n'avaient pas changé depuis Louis XIV. C'est un témoignage
du respect avec lequel on conservait la chambre du Grand Roi. Les bordures,
d'un poids énorme, étaient retenues sur les tapisseries par des écrous fixés
dans le mur ; comme on les déplaçait tous les ans, elles étaient assez
fatiguées et les vis manquaient de solidité. En 1759, Portail, garde des
tableaux du Roi, fit faire des bordures plus légères avec une sculpture de
style nouveau[90].
L'ameublement ne pouvait être conservé comme le décor mural. Celui de la grande Chambre du Roi en hiver est ainsi décrit
dans l'inventaire du Garde-Meuble de 1776 : Deux
pièces de tapisserie de velours cramoisi, ensemble de seize lez sur douze
pieds quatre pouces de haut.... Un riche
ameublement de velours cramoisi brodé d'or, consistant en un lit à impérial
et à colonnades, complet de ses étoffes avec entour de gros de Tours cramoisi
garni de franges... Deux fauteuils, douze
pliants, deux écrans, deux carreaux. Un beau lustre en cristal de roche à
douze bobèches... Une pendule à répétition
ayant dix-huit pouces de haut, à cadran d'émail et d'argent doré... Quatre portières des Saisons fond or[91]. L'ameublement
d'été, moins important que celui d'hiver, était de brocart de Lyon à fond
violet et cramoisi. Louis XV ne mourut pas dans la même chambre que Louis XIV et, pendant sa maladie comme au dernier jour, cette pièce ne fut qu'un passage. Le drame se jouait derrière la porte du Cabinet du Conseil ; mais, dans la Chambre de parade ainsi que dans l'Œil-de-Bœuf, se pressait une foule avide de nouvelles. Le 9 mai, dit le duc de Croÿ, à huit heures du soir, les ministres et tout ce qui avait les entrées se rassembla dans la Chambre du grand lit, où régnait un morne silence. Nous vîmes passer un prêtre en surplis, et nous apprîmes que les saintes huiles venaient de passer par l'autre côté. A huit heures trois quarts, on nous fit entrer ; il n'est pas possible de peindre ce terrible spectacle-là... Ce qu'on voyait du Conseil dans la Chambre du Roi, au milieu d'une quantité de cierges, parmi les prêtres à genoux, c'était le malade, sur son lit de camp au milieu de la pièce, avec un masque comme de bronze, grossi par les croûtes de son mal, comme une tête de more, de nègre, cuivrée et enflée. Un chapelain lui faisait baiser un grand crucifix ; l'évêque de Senlis disait à haute voix les oraisons et donnait les onctions. L'assistance était plus curieuse qu'émue ; en général, plus d'étiquette que de sentiment. Au moment où le Roi expira, le duc de Bouillon, grand chambellan, fit l'annonce à la porte de l'Œil-de-Bœuf ; l'huissier du Cabinet laissa entrer auprès du corps les assistants qui le demandèrent ; puis tout l'appartement fut évacué et l'Œil-de-Bœuf fermé. Le duc de la Vrillière, le duc d'Aumont, premier gentilhomme, M. de Marchais, premier valet de chambre, avec les intendants du Mobilier et des Menus, se réunirent dans le Cabinet intérieur et placèrent les scellés partout. Tous les volets furent clos et les prières des morts commencèrent. Le lendemain, eut lieu un embaumement sommaire et le cercueil fut posé sur deux tréteaux, couverts du poêle de la couronne, et sur un carreau la couronne couverte d'un crêpe. Tout se passa sans cérémonie, suivant l'usage pratiqué pour les princes qui meurent de la petite vérole ; il n'y eut ni l'exposition publique, ni les messes dites sur quatre autels autour du corps, ni les chants solennels, qui avaient entouré pendant huit jours la dépouille du feu Roi dans le Salon de Mercure. Le 12 mai, à sept heures du soir, le premier aumônier avec M. de Dreux, grand maitre des cérémonies, le clergé de la Chapelle et des deux paroisses, les Récollets et les Feuillants entrèrent dans la chambre funéraire pour la levez. du corps. M. le duc d'Aumont, en grand manteau de deuil, était dans le Cabinet du Conseil, ainsi que M. le duc d'Ayen, capitaine des gardes du corps... Après les prières ordinaires... le cercueil a été porté jusqu'à la porte de la salle des gardes par huit valets de chambre du Roi et deux valets tapissiers, qui étaient en grand deuil ; quatorze gardes du corps l'ont porté de leur salle jusqu'au bas du grand escalier, où les valets de pied l'ont mis dans le carrosse. La grille de la cour Royale se trouvait tendue de noir dans toute la façade, avec l'écusson de France le long de la tenture. Les gardes françaises et suisses étaient sous les armes et battaient aux champs. Il y avait une garniture de gardes du corps et, le long de la cour de Marbre, un détachement de cinquante gardes du corps à cheval tenant chacun un flambeau...[92] Le clergé suivit, jusqu'à la place d'Armes seulement, le convoi partant pour Saint-Denis, très différent de celui qui avait accompagné, soixante ans plus tôt, dans toute la pompe de la monarchie, avec la Maison du Roi et les grands officiers de la Couronne, le cercueil de Louis XIV. |
[1] Luynes, t. I, p. 402, 428. A côté du Cabinet du Conseil, le duc de Luynes mentionne le billard : Le Roi jouait dans ce même cabinet de glace où il est actuellement malade. Pendant ce temps M. de Turenne, ayant envie de jouer au billard qui est attenant ledit cabinet, fit allumer les bougies pour jouer... La suite est une anecdote de cour qui n'intéresse pas notre sujet.
[2] Pour les audiences publiques, voir plus loin. L'usage du petit couvert dans la chambre n'est peut-être que de la première partie du règne : Hier, le Roi recommença à dîner dans sa chambre, comme il a coutume de faire quand il se porte bien (Luynes, t. II, p. 18, au 19 janvier 1738. Cf. sur le dîner de Louis XV et son régime, t. II, p. 8, 80).
[3] Mémoires du comte Dufort de Cheverny, publiés par R. de Crèvecœur, Paris, 1886, t. I, p. 262. Aujourd'hui Sa Majesté a pris médecine et a dîné à trois heures, à son petit couvert, dans son ancienne chambre. C'est toujours dans cette ancienne chambre que se fait le lever et le coucher, quoique le Roi couche dans la nouvelle (Luynes, t. II, p. 412, au 22 avril 1739). Sur les diverses désignations de la pièce, v. Luynes, t. IX, p. 294 ; t. XIII, p. 400 ; t. XIV, p. 257, 264, 305 ; t. XV, p. 28. Cheverny appelle la chambre de 1738 la vraie chambre à coucher (t. I, p. 101 ; cf. p. 262).
[4] Blondel, Architecture françoise, t. IV, p. 123. Le plan gravé de Demortain, levé en 1714 ou 1715, désigne seulement ce cabinet [salle 126] comme chambre des chiens du Roi, précédant le salon du petit escalier du Roi [salle 127 en partie] et la pièce en deux parties dite cabinets des agates et bijoux [salles 127 en partie et 130]. Un plan des Archives Nationales (O1 1770) appelle la future chambre de Louis XV pièce du billard et des chiens. Un garde du corps a l'emploi de gouverneur des petits chiens de la Chambre du Roi, avec 1.000 livres d'appointements (Luynes, t. I, p. 362).
[5] Ce texte figure encore dans le Piganiol de 1764, t. I, p. 271. En 1741, on a le témoignage de La Martinière, t. VI, p. 100. Un plan détaillé des constructions sur la cour des Cerfs, où les parties neuves sont teintées en rouge, est aux Archives Nationales (O1 1771).
[6] Pour les paiements faits à Verberckt à cette époque, voir Le Château sous Louis XV, p. 10, 11. Ceux de 1738 montent exactement à 17.529 livres 9 sols 8 deniers. On peut désigner presque aussi sûrement l'auteur des bronzes ciselés qui ornaient la chambre de Louis XV, car il y a des paiements assez importants, en 1738 et 1739, au sieur Caffiéry, sculpteur fondeur, pour ouvrages de bronze doré d'or moulu faits et fournis pour les appartements du Roi et les petits appartements du Roi. On trouve au même chapitre mention de travaux faits à Versailles par le doreur Héron et le fondeur-ciseleur Le Blanc (Archives Nationales, O1 2238, 2239).
[7] Grand dictionnaire géographique, Paris, 1741, t. VI ; art. Versailles. L'édition de 1768, p. 118, supprime le passage aux angles ... son milieu, ce qui indique comme accompli le remaniement de l'entrée de l'alcôve.
[8] Rapport de Lécuyer, contrôleur du Château, à M. de Marigny, du 14 août 1754 : Le plafond de la chambre à coucher, ainsi que celui de la pièce suivante, ayant été raccommodés plusieurs fois et ne valant plus rien, j'en fais refaire à neuf les plâtres, qui n'est qu'un fort médiocre ouvrage, en ayant conservé les ornements et les roses ; au moyen de la saison favorable, ils vont sécher, et pendant Fontainebleau on les blanchira. Rapport du 26 septembre 1755 : Toutes les parties de menuiserie de la chambre du Roi qui avaient été levées pour la construction du mur neuf sont entièrement reposées et un grand nombre d'ouvriers sont à gratter la dorure de cette pièce pour la pouvoir blanchir avant le retour de Fontainebleau et la dorer à neuf pendant le Compiègne prochain, au moyen de quoi S. M. pourra y coucher à son arrivée. (Archives Nationales, O1 1799).
[9] Le texte de La Martinière cité ici porte Catherine de Médicis au lieu de Catherine de Valois, donné par D'Hézecques (Souvenirs d'un page, p. 154). Ce tableau paraît être le portrait d'Elisabeth de France, fille de Henri IV et reine d'Espagne, aujourd'hui au Louvre, dont les dimensions sont analogues à celles du François Ier de Titien.
[10] Tous les cabinets voisins de la nouvelle chambre ont été modifiés en même temps. C'est de ce moment que datent les premiers grands changements des Cabinets de Louis XIV, encore intacts sur le plan manuscrit de Dubois, levé en 1732 (Bibliothèque de la ville de Versailles). Ce remaniement est attesté par un beau plan partiel de l'étage de l'appartement du Roi en 1738, qui supplée assez heureusement au silence des mémoires et à la rareté des pièces d'archives pour cette époque (Archives Nationales, O1 1771). Il porte au lavis rouge les parties nouvelles qui sont à exécuter en même temps que l'agrandissement du billard, qui devient la chambre à coucher, et que la construction de l'alcôve et de la petite garde-robe adjacente. Ce plan comporte la transformation de toute l'aile droite de la cour de Marbre. Le cabinet ovale [plus tard de la Pendule, salle 127] est constituée par la démolition d'un mur séparant les deux cabinets qui suivent le billard et le remplacement par un mur des arcades ouvrant sur le cabinet des bijoux [salle 130] ; l'escalier particulier du Roi, qui faisait le dégagement de ses Cabinets, disparaît pour faire place à une antichambre [salle 128] et l'escalier se trouve reporté plus loin (sur l'emplacement de la salle 129). Le plan à grande échelle de Blondel donne cette disposition.
[11] Luynes, t, VI, p. 197 ; t. VII, p. 330. Il ne faut pas confondre ce cabinet, ovale d'un seul côté, avec le salon ovale de Louis XIV, sur l'emplacement de l'arrière-cabinet (131, t. II, p. 184). Tout ce qu'on lit dans Luynes sur le cabinet ovale se rapporte à cette pièce allongée [aujourd'hui salle 127], qu'on retrouve avec son ancienne forme dans tous les plans manuscrits des Bâtiments jusqu'en 1760, et sur les deux plans de Blondel.
[12] La Martinière, éd. de 1768, t. VI, p. 119. La cheminée décrite est celle qui existe encore et qui date, par conséquent, de 1738. Les tableaux de Poussin sont nommés par Piganiol ; ce sont Moïse foulant aux pieds la couronne de Pharaon, Moïse changeant sa verge en serpent, La Sainte Famille et Les pasteurs d'Arcadie, tous au Musée du Louvre. Le tableau d'Alessandro Véronèse aurait figuré au dessus de la porte de milieu ouvrant alors sur le cabinet d'angle. — Un dessin des Archives Nationales (reproduit dans Le Château sous Louis XV, p. 189) montre la disposition de ce côté cintré de la pièce, avec les cadrans du prieur de Saint-Cyr entre deux larges panneaux très ornés. Les talents de ce prieur sont mentionnés par Luynes, au 3 mai 1741 (t. III, p. 385) : Il avait fait en dernier lieu deux pendules, qui sont dans le nouveau Cabinet ovale du Roi.
[13] La désignation de Cabinet du Conseil qu'offre le plan de Blondel ne s'applique qu'à la période des travaux de 1775-1756, où une perturbation inévitable se produisit dans l'organisation des intérieurs du Roi. Le Cabinet de la Pendule fut alors Cabinet du Roi ou du Conseil au point de vue de l'étiquette des entrées ; le conseil lui-même se tint dans le cabinet d'angle, au moins lorsque Luynes écrivait, le 24 août 1755 : Le Conseil ne se tient point dans ce cabinet ovale ; il se tient dans le cabinet qui est au delà. Sur ces dispositions transitoires, voir la note du duc de Gesvres citée plus loin, et qui montre que, pendant la construction du nouveau Cabinet du Roi, le Cabinet de la Pendule remplit au cours de la journée, suivant les heures, le triple office de Chambre à coucher du Roi, de Cabinet du Conseil et de Cabinet des perruques.
[14] Luynes, t. XIII, p. 142 (28 janvier 1753). Cf. t. XIII, p. 90, 141. Le cabinet, appelé quelquefois encore cabinet ovale (Luynes, t. XIV, p. 242, 264 ; t. XV, p. 424), est désigné aussi sous le nom de Cabinet des pendules ; ce pluriel vient des deux cadrans qu'on voit ajustés dans la boiserie ovale jusqu'au moment où celle-ci disparaît. Le massif où sera placé en 1760 le chef-d'œuvre mécanique de Passemant existe encore. Soulié et Dussieux donnent des indications inexactes sur l'installation de cette pièce unique, plus tard exceptée de la vente révolutionnaire et transportée au Garde-Meuble, d'où elle a été tirée pour reprendre son ancienne place à Versailles.
[15] Mémoires et lettres du cardinal de Bernis, éd. Frédéric Masson, t. I, p. 359. Luynes, t. III, p. 301 ; t. XIII, p. 399. Le Château sous Louis XV, p. 62.
[16] Dufort de Cheverny, t. I, p. 100 et 324. L'attitude de Louis XV pendant le convoi funèbre de Mme de Pompadour, toute contraire à la légende accréditée, est notée par un autre témoin oculaire, le valet de chambre Benjamin de La Borde (v. le texte signalé par M. Maurice Tourneux, dans la Revue de l'Histoire de Versailles, t. V, 1903, p. 27, et dans l'édition illustrée de Louis XV et Madame de Pompadour, Paris, 1902, p. 200).
[17] La Martiniere, édition de 1741, t. VI, p. 101. Parmi les tableaux, l'auteur indique la Sainte Famille de Raphaël, le portrait d'Erasme par Holbein et, du même artiste, Cromel (sic) tenant une petite croix dans la main droite [portrait de Wyatt, dit de Thomas More], etc. — En 1739, on trouve au journal du Garde-Meuble de la Couronne, cité par Molinier (Histoire des arts décoratifs, t III, p. 127) : Livré pour servir dans le Cabinet aux tableaux avant la Petite Galerie, à Versailles, un beau et riche médaillier en forme de commode. En 1755, le même document mentionne le cabinet de retraite du Roi [arrière-cabinet] et la pièce où est le médaillier.
[18] Etat de la dépense à faire pour boiser et dorer les parties qui sont en étoffe du Cabinet à pans du Roi. Savoir : menuiserie, 960 livres ; sculpture, 1860 l. ; dorure et rechampissage, 700 l. ; réparations aux autres parties dudit cabinet, 450 l. Total : 3.970 livres. A Versailles, le 11 juin 1753. Gabriel (Archives Nationales, O1 1810). Les quatre dessins de Gabriel, datés du même jour et revêtus de l'ordre de M. de Vandières, sont à la Bibliothèque de la ville de Versailles (fonds Couderc).
[19] Voir, dans Le Château sous Louis XV, p. 65-66, les rapports du mois de juillet 1753 sur les travaux de Versailles.
[20] Archives Nationales, O1 1798.
[21] Rousseau reçoit précisément 1.600 livres à la date de 1760 (O1 2260). Des trophées de musique du même goût, dans le petit cabinet de la chaise tout voisin, sont certainement de lui ; on y voit une mandoline et un tambourin de Provence.
[22] Le dernier remaniement de l'ancien Cabinet du Roi date de l'avènement de Louis XVI. Voir, pour l'histoire de la pièce et des passages voisins, les plans et documents cités dans Le Château sous Louis XV, p. 72-74. La garde-robe de la chaise, qui s'est ouverte pendant quelques temps sur un escalier, a donné lieu jusqu'à nos jours à une légende singulière. Par une confusion inexplicable, le roi Louis-Philippe et son historiographe Vatout faisaient de ces pièces l'appartement de Madame de Maintenon et avaient fait cacher les tablettes de Louis XV par le grand portrait en pied de la marquise. Le réduit de la chaise de Louis XV, devenu le confessionnal de Louis XIV, recevait un ameublement religieux et conforme à la tradition qu'il s'agissait d'établir pour l'amusement des badauds. J.-A. Le Roi, qui a démontré l'erreur relative à l'appartement Maintenon, conservait encore à ce cabinet la désignation de confessionnal de Louis XVI. (Mémoires de la Société des Sciences morales de Seine-et-Oise, t. II, 1849). J'ai dû jadis faire disparaître les traces de cette persistante sottise, en retirant de ce cabinet de la chaise un prie-Dieu et un bénitier mis par Louis-Philippe.
[23] Luynes, t. I, p. 169, t. II, p. 202-204, 214, 289, 295, 309, etc. Il ne faut pas confondre ces soupers réguliers chez le Roi avec ceux, plus intimes, qui eurent lieu en haut, dans les petits cabinets, et commencèrent en 1738 pour Madame de Mailly (Luynes, t. II, p. 181).
[24] Registre des Premiers gentilshommes de la Chambre, année 1735 (Archives Nationales, O1 822, p. 45).
[25] Les correspondances des Bâtiments et d'autres mentionnées dans Le Château sous Louis XV, p. 59, sont aux Archives Nationales, O1 1798, 1799, 1810. L'état des ouvrages du 15 juillet 1755 dit que les doreurs travaillent avec toute la diligence possible à la nouvelle salle à manger du Roi et son petit cabinet à pans pour que Sa Majesté puisse en jouir à son retour. On posait en 1756 la menuiserie de la pièce des buffets. J'ai replacé dans la salle, à défaut de la vaisselle d'or dont parle le comte d'Hézecques, les précieuses plaques de Sèvres qu'y tenait Louis XVI.
[26] Croÿ, t. I, p. 343. Voici un autre récit de souper, dans l'hiver de 1758, au moment où le prince multiplie ses démarches pour obtenir le cordon bleu : Quatre jours avant la Chandeleur, je me présentai pour le souper chez le Roi, où je soupai pour la seule fois de l'hiver. On était de plain-pied avec sa chambre. Après souper, le Roi étant allé chez ses enfants à l'ordinaire, la Marquise tira, à l'ordinaire, le prince de Tingry dans l'ancien cabinet du Roi qui était tout ouvert. Je vis que l'on y allait décider la promotion des cordons. Cela fut long, et ils se disputaient. Je fus tenté cent fois de brusquer et d'y aller plaider ma cause, sous quelque prétexte.... Le prince de Tingry revenu, je le menai dans la pièce de la Pendule lui demander mon sort. Il me dit qu'il n'y en avait pas... Je lui chantai pouille... (t. I, p. 418). Ce détail des lieux est maintenant fort clair.
[27] Le plan des travaux de 1738 est aux Archives Nationales, O1 1772. Les plans de Demortain et de Dubois (1732) montrent le petit escalier du Roi, sur l'emplacement où celui de Blondel (1742) porte l'antichambre. L'escalier est alors au nord de l'antichambre, pris en partie sur l'emplacement de la salle 129 ; il est transporté à l'est sur le second plan de Blondel (1755), où il s'arrête encore au premier étage. L'antichambre des Chiens échappe, au cours du règne, aux transformations qui ne cessent de s'accomplir autour d'elle. — Blondel, Architecture françoise, t. IV, p. 124. La Martinière, éd. de 1768, t. VI, p. 120. La petite salle des gardes marquée sur tous les plans du rez-de-chaussée est aujourd'hui la salle 27, sous le cabinet d'angle 130. Elle a été faite dans l'hiver de 1746-47 pour servir de passage au Roi, quand il montait en carrosse ou en descendait ; un rapport du 3 décembre dit qu'on y baisse le terrain, pour que les marches, par lesquelles Sa Majesté descendra en cas de pluie pour monter dans son carrosse, n'excèdent pas les murs dans la cour (O1 1810). C'est dans la salle des gardes d'en-bas que Damiens fut amené et appliqué à la question, aussitôt après son attentat contre Louis XV.
[28] Archives Nationales, O1 825 ; Registre des Premiers gentilshommes de la Chambre, p. 21. Luynes omet de mentionner cette audience.
[29] Croÿ, t. I, p. 364. On trouve dans les registres des Premiers gentilshommes de nombreuses mentions des cabinets intérieurs du Roi et de leurs accès. J'ai publié dans Le Château sous Louis XV, p. 55, le récit de la courte maladie du Roi à la suite d'une chute de cheval en forêt de Saint-Germain, le 4 février 1769. Les récits de la dernière maladie les évoquent de même à chaque instant. A la fin du règne n'avaient accès par le cabinet des Chiens, outre les entrées particulières, que les capitaines des gardes, les Premiers gentilshommes, le gouverneur de Versailles et les Premiers valets de chambre (Récit de 1771. Archives Nationales, O1 3258, p. 46).
[30] Correspondance secrète, éd. Lescure, t. II, p. 289. Après les journées d'octobre, pour assurer la sécurité de l'appartement royal, on mit des portes grillées à l'escalier du Roi : Par ordre de Sa Majesté depuis qu'elle est à Paris, la construction des deux grilles ouvrantes, dont une posée au pied dudit escalier par la petite salle des gardes du corps du Roi, et l'autre donnant du côté de la cour des Cerfs (Archives Nationales, O1 1807).
[31] V. divers passages de Luynes, où l'indication topographique est intéressante : t. II, p. 7 ; t. XI, p. 144 ; t. XII, p. 48, etc. Sur les conseils du Roi, voir les appendices d'A. de Boislisle, au t. V de son Saint-Simon. Le Conseil privé ou des parties se tenait dans une salle du rez-de-chaussée de la Vieille Aile ; on l'appelait proprement la Salle du Conseil. Cf. Boislisle, t. IV, p. 417.
[32] Princes, v. Luynes, t. IX, p. 59 ; t. XI, p. 110 ; t. XIV, p. 23. Ambassadeurs, v. Luynes, t. III, p. 430 ; t. IX, p. 448. Envoyés extraordinaires, v. Luynes, t. II, p. 70, t. XII, p. 110.
[33] Luynes, t. II, p. 116, 381 ; t. XV, p. 28, 105. Sur la remise de la calotte au cardinal de Tencin, v. Argenson, t. II, p. 99. L'audience du camérier qui apporte la barrette au cardinal de Tavannes est du 7 juin 1756 : Le Roi avait donné l'ordre à onze heures du matin. L'introducteur des Ambassadeurs a conduit le camérier en rochet et en camail dans le Cabinet du Roi. Le Roi était dans son fauteuil, ayant son bureau à droite et la cheminée derrière lui. Cette audience est regardée comme audience publique et on laisse entrer tout le monde dans le Cabinet... (Luynes, t. XV, p. 103).
[34] Luynes, t. III, p. 19. Comme l'espace fait défaut, c'est l'Œil-de-Bœuf qui sert pour ces cérémonies et pour quelques autres ; mais l'étiquette du Cabinet s'y trouve en vigueur : La Reine entra par la porte de glace dans le cabinet de l'Œil-de-Bœuf. La pièce de l'Œil-de-Bœuf est d'ordinaire l'antichambre du Roi ; mais pour ce moment-là elle devient Cabinet du Roi, les huissiers et les flambeaux de la Reine n'y pouvant entrer (t. III, p. 19, août 1739). La signature [du contrat de mariage du duc de Penthièvre] s'est faite dans l'Œil-de-Bœuf, qui était devenu Cabinet du Roi pour ce moment-là. Il y avait une table dans le fond, du côté de la cheminée ; le Roi était au bout de la table, à droite, du côté de la Galerie ; ensuite M. le Dauphin, M. le duc d'Orléans... (t. VI, p. 197, décembre 1744 ; cf. t. XII, p. 430). D'autres pièces, telles que le cabinet ovale, pouvaient aussi devenir provisoirement Cabinet du Roi (t. XIV, p. 169 ; t. XV, p. 424). De même, le Cabinet pouvait être transformé en Chambre ; aussitôt l'étiquette de la Chambre y régnait (t. II, p. 8). V. un récit détaillé du contrat et des fiançailles du duc de Chartres et de Louise-Henriette de Bourbon-Conty, célébrées dans l'Œil-de-Bœuf, le 16 décembre 1743, au registre des Archives Nationales, O1 822, p. 199.
[35] Luynes, t. III, p. 420 ; t. V, p. 204. Voici un exemple de signatures immédiatement suivies d'une cérémonie différente : .... Ces signatures [aux contrats de mariage du comte de Montmorency et du président d'Aligre] se sont faites après le lever, dans le Cabinet, à l'ordinaire. M. de Maurepas a présenté la plume ; tous les parents étaient à la signature. Immédiatement après, tout le monde étant encore dans le Cabinet, le Roi s'est mis dans son fauteuil, près la cheminée, le dos tourné au mur de la Galerie ; on a apporté un carreau sur lequel s'est mis M. le duc de Fleury, sans épée ; le Roi son chapeau sur la tête. M. de Maurepas a lu le serment, après quoi le Roi s'est levé (t. III, p. 420). Le duc de Fleury venait d'être nommé Premier gentilhomme de la Chambre.
[36] Luynes, t. III, p. 420 ; t. XII, p. 445 ; t. XIII, p. 135, 266 ; t. XV, p. 416. Les présentations des intendants de province, des présidents et vice-présidents des Etats, ont lieu dans le Cabinet, dans la supposition que le Roi peut avoir des ordres particuliers à leur donner (t. XIII, p. 27).
[37] Luynes, t. II, p. 172, t. VIII p. 475 ; t. X, p. 279 ; t. XI, p. 489 ; t. XII, p. 411, t. XIV, p. 341, 481 ; t. XVI, p. 144,
[38] Luynes, t. XV, p. 235. Les remontrances et les harangues sont précédées d'une audience, où les délégués du Parlement ou des autres cours viennent demander son jour au Roi. Voici un des nombreux passages qu'on pourrait rappeler : Du 11 février 1749, MM. les gens du Roi des Cours supérieures eurent audience de S. M. dans son Cabinet ; ils venaient prendre ses ordres pour le jour qu'elle voudrait donner aux Cours supérieures pour les harangues au sujet de la paix. Le Roi, qui était debout au bout de la table du côté des fenêtres, leur donna jour au premier vendredi de carême (t. IX, p. 313). Les harangues, étant en audience publique, furent faites dans la Chambre du Roi. V. le récit et le cérémonial, t. IX, p. 338.
[39] Luynes, t. XIII, p. 272 ; t. XIV, p. 94, 107. Les députés du parlement de Rouen sont reçus, le 3 mai 1756, l'audience interrompant un Conseil des dépêches, repris après leur départ (t. XV, p. 50). Audiences de Messieurs de la Grand'Chambre, au cours des conflits de 1756 (t. XV, p. 292, 299, 306).
[40] Luynes, t. XII, p. 48, 184.
[41] Voici quelques renvois relatifs au cérémonial des audiences publiques, qui permettront d'animer de souvenirs, pour le règne de Louis XV, la grande chambre de Louis XIV : t. II, p. 222 ; t. IX, p. 339, 468 ; t. XI, p. 148, 163, 172, 202, 323 ; t. XIII, p. 45, 254, 344 ; t. XIV, p. 118, 166, 288, 320, 459 ; t. XV, p. 382 ; t. XVI, p. 157 ; t. XVII, p. 85. Comme c'était grande audience le Roi la donna dans sa chambre, dans son fauteuil, le dos tourné à la cheminée (t. XI, p. 202). Autres faits dans la même chambre : t. IX, p. 279 ; t. X, p. 370 ; t. XIV, p. 306, etc.
[42] Luynes, t. VIII, p. 437 ; t. IX, p. 274, 307, 419 ; t. X, p. 261, 207 ; t. XIII, p. 52, 322 ; t. XIV, p. 306 ; t. XVI, p. 206 ; t. VII, p. 372 ; t. VIII, p. 165 ; t. XI, p. 423.
[43] Il est surprenant que la pièce des présentations ait été complètement oubliée après la Révolution. Dussieux la plaçait dans la salle 130. Cf. Luynes, t. I, p. 355 ; t. V, p. 166 ; t. VII, p, 196 ; t. X, p. 231, 409 ; t. XII, p. 359 ; t. XIII, p. 323 ; t. XIV, p. 118, 288, 319. Une présentation sous Louis XV est racontée par Mme de Genlis, Mémoires, Paris, 1825, t. I, p. 268.
[44] Luynes, t. VI, p. 407 ; t. VIII, p. 325. Cf. Campan, Mémoires, Paris, 1823, t. I, p. 15.
[45] M. le duc de Boufflers prit congé dans le Cabinet ; il va tenir les Etats de Flandre. M. de Boufflers n'a point d'entrées, mais c'est l'usage de prendre congé dans le Cabinet pour tous ceux qui vont tenir les Etats, de même qu'en partant pour quelque autre commission où l'on est censé pouvoir recevoir des ordres particuliers du Roi (Luynes, t. VIII, p. 251).
[46] Luynes, t. I, p. 429 ; t. II, p. 42. Plus tard, Louis XV écrit dans le cabinet 131 et joue plus volontiers dans le cabinet 130 (d'après Blondel, t. IV, p. 123). Relevons encore ces mentions du Cabinet dans les premiers volumes de Luynes : t. 1, p. 216, 221, 243, 250, 263, 269, 292, 402, 428, 431 ; t. II, P. 5, 7, 43, 213, 228, 391, 413, 424 ; t. III, p. 217, 301, 409 ; t. IV, p. 71, 74, 169, 239, 241, etc.
[47] Luynes, t. IV, p. 424 (3 mars 1743) ; t. II, p. 391 ; t. III, p. 36, 38.
[48] Luynes, t. VII, p. 351 ; t. XI, p. 404.
[49] La première présentation (pour le tabouret) est du 22 octobre 1743 (Luynes, t. V, p. 166) ; la seconde, du 14 septembre 1745 (t. VII, p. 60) ; la troisième, du 22 avril 1769. Une pièce aussi importante, et qui était destinée à contenir le grand nombre de personnes appelées par certaines audiences ou présentations, n'aurait dû en aucun cas être identifiée avec le cabinet d'angle [salle 130 du Musée]. L'erreur a pourtant eu cours jusqu'à l'époque de mes premières recherches, ce qui rendait incompréhensible sur place la lecture des récits du temps.
[50] Le plus intéressant récit de la journée est celui d'un député d'Auvergne, cité par Francisque Mège, Gaultier de Biauzat, sa vie et sa correspondance, Clermont-Ferrand, 1890, p. 21.
[51] Ces trois désignations et une quatrième, chambre du Conseil, sont dans les textes contemporains. Le duc de Luynes les a en même temps dans l'esprit, car il les emploie indifféremment au cours de la même année. V. par exemple, pour 1754, t. XIII, p. 143, 147, 278, 399.
[52] Les rapports du contrôleur Lécuyer à Le Normant de Tournehem, qui révèlent les remaniements du Cabinet en 1748 (Archives Nationales, O1 1810) sont publiés dans Le Château sous Louis XV, p. 20. Luynes les note, le 12 août : J'ai passé par Versailles ; j'y ai vu le nouveau plafond du Cabinet du Conseil, qui est fini et qui est trois pieds plus bas que l'autre. On a gratté et reblanchi tout ce qu'il y avait de dorure dans ce cabinet et on la refera à neuf pendant le voyage de Fontainebleau (t. IX, p. 76). On y installa aussi une belle cheminée à bronzes dorés. En juillet 1749, Lécuyer mentionne la dorure du Cabinet du Conseil, à laquelle on travaille fête et dimanche, depuis quatre heures du matin jusqu'à huit heures du soir ; et le 11 août : Nombre de personnes sont venues voir le Cabinet du Conseil et sont parties ensuite pour Compiègne.... L'on achève de poser les glaces du Cabinet et j'espère qu'on commencera à le meubler mercredi matin (Archives Nationales, O1 1797).
[53] Un seul texte suffit à préciser la succession des pièces ici établie. Le 11 janvier 1742, a lieu la réception de l'ambassadeur Turc dans la Grande Galerie : Les hommes de la Cour.... étaient entrés par l'Œil-de-Bœuf, de là dans la Chambre du Roi, le Cabinet du Conseil, le Cabinet des perruques et la porte de glace (Luynes, t. IV, p. 70).
[54] Plusieurs textes cités plus loin mentionneront les divers dégagements. Luynes y fait allusion dans ce passage : Ce matin, l'ambassadeur Turc a pris son audience de congé ; c'était dans la Chambre du Trône... Le Roi, après la messe, est rentré à l'ordinaire dans son cabinet, d'où il est sorti peu de temps après par la petite porte qui donne dans la Chambre du Trône... (t. IV, p. 169, 12 juin 1742).
[55] Sur le passe-partout et les entrées de la Chambre, que M. de Noailles croyait avoir par un droit attaché à sa charge, v. Luynes, t. I, p. 251. Cf., sur les entrées de faveur dans les cabinets par derrière accordées à M. d'O. Saint-Simon, éd. Boislisle, t. III, p. 365. — Luynes fait connaitre quels princes ont la faveur du passe-partout, à propos de celui qui est donné au duc de Penthièvre, le 17 mars 1738 (t, II, p. 66).
[56] On trouvera publiés dans Le Château sous Louis XV, p. 269, un mémoire des Premiers valets de chambre sur le service de Louis XV, et p. 93, un règlement pour les entrées, fixé par le Roi le 10 mars 1727 dont voici le début :
Le Roi, voulant arranger les entrées, a ordonné ce qui suit : — Quand Sa Majesté aura donné l'ordre le matin après son lever, dans son Cabinet, tout le monde sortira. L'huissier restera à la porte en dehors du côté de la Chambre, ainsi que cela se pratiquait du temps du feu Roi, et il en sera usé de même toutes les fois que le Roi rentrera dans son Cabinet, soit après la messe, soit après son diner et son souper, et enfin dans toutes les autres occasions ; tout le monde sortira ; l'huissier passera dans la Chambre à la porte du Cabinet, et il n'y restera que les grandes entrées. — Quand le Roi voudra du monde, on fera entrer l'huissier dans le Cabinet et il demandera pour tout le monde au Premier gentilhomme de la Chambre et en son absence au Premier valet de chambre, à l'exception du Grand Aumônier, — du Grand Écuyer, — du Premier Aumônier, du Capitaine des Gardes du corps, — du capitaine des Cent-Suisses,— du Premier Écuyer, du capitaine lieutenant des Gendarmes, — du capitaine lieutenant des Chevau-légers, — du colonel des Gardes françaises, — des Ministres, — des Secrétaires d'État, et des personnes qui ont les premières entrées, — lesquelles entreront sans demander, quand l'huissier sera en dedans du Cabinet. — Lorsque le Conseil ou le travail finira, le Premier gentilhomme de la Chambre et les grandes entrées entreront ; l'huissier restera dans la Chambre jusqu'à ce qu'on le fasse appeler.
[57] Luynes, t. II, p. 469 (Compiègne, 22 juillet 1739) : Il y eut, il y a quelques jours, ici, une dispute de M. le duc de Gramont à l'occasion des entrées. A Versailles, au débotter, lorsque le Roi est habillé dans le Cabinet du Conseil, il passe dans le Cabinet des perruques pour se poudrer ; alors tout le monde sort, hors les entrées du Cabinet qu'on appelle les entrées des Quatorze, lesquelles restent dans le Cabinet du Conseil. Ici l'usage n'est pas de même. Le Roi se débotte dans sa chambre et s'y poudre. M. de Gramont ne voulut pas sortir de la chambre dans le moment de la poudre, quoiqu'on l'eût averti...
[58] Luynes, t. III, p. 301, 216 ; t. VI, p. 275 ; t. XIII, p. 218. Renvoyons encore les curieux aux t. I, p. 262 ; t. V, p. 359 ; t. VI, p. 372 ; t. IX, p. 294, 318 ; t. XI, p. 323 ; t. XIV, p. 168, etc., et citons un passage relatif aux dames : 25 décembre 1752. Mme de Maillebois [dame d'honneur de Mesdames] jouit continuellement de ses grandes entrées chez le Roi, lorsqu'elle va à la suite de Mesdames ; elle reste dans le Cabinet des perruques pendant que le Roi se poudre, de même que les dames d'honneur et d'atours de Madame la Dauphine et de Mesdames ; car les dames d'honneur et d'atours de ces princesses ont les grandes entrées comme celles de la Reine (t. XII, p. 219 ; cf. t. I, p. 161).
[59] Croÿ, t. II, p. 90 (3 juillet 1763).
[60] Luynes, t. III, p. 409 ; t. IV, p. 71, 74 ; t. VII, p. 383 ; t. XVII, p. 83.
[61] Luynes, t. III, p. 298 ; t. IX, p. 340. — On pourrait rappeler ce que raconte Madame Campan du guet-apens dont aurait été victime Mademoiselle de Romans, menée à Versailles, sous le prétexte de voir le Château : Elle fut conduite entre quatre et cinq heures de l'après-midi dans la Galerie des glaces, moment où les Grands Appartements étaient toujours très solitaires. Le Bel, qui les attendait, ouvrit la porte de glace qui donnait de la Galerie dans le Cabinet du Roi, et invita Mademoiselle de Romans à venir en admirer les beautés... Elle accepta ; la porte de glace se referma sur elle... (Mémoires, t. III, p. 30). Ces souvenirs se rapporteraient à l'année 1761.
[62] Dufort de Cheverny, t. I, p. 124, (où on peut lire la suite de l'histoire). Cf. t. I, p. 10, 179-189, 228, 262, 295, 297.
[63] Luynes, t. XIV, p. 57. Sur le travail mystérieux de Louis XV avec le prince de Conty, V. t. XIII, p. 424, et les t. XIII et XIV. Le prince arrivait au Cabinet par les garde-robes. A propos du travail du Roi, y. cette note du mois de juin 1737 ; Lorsque le Roi est au Conseil ou au travail dans son Cabinet, il ne reste personne dans sa Chambre, et, quand le Conseil ou le travail est fini, un de ceux qui sont dans le Cabinet sort, et l'huissier appelle alors le Premier gentilhomme de la Chambre ou le Premier valet de chambre ; mais, si le grand chambellan se trouve à la porte de la Chambre, on l'appelle le premier et il entre avant le Premier gentilhomme de la Chambre (t. I, p. 269).
[64] Luynes, t. V, p. 104 (2 août 1743).
[65] Plans de la bibliothèque et de l'étage des Petits Appartements, aux Archives Nationales (O1 1773). Le passage, détruit du côté de la bibliothèque, est visible du côté de l'appartement à droite de la cheminée de la chambre ; il a été transformé en placard.
[66] Luynes, t. IV, p. 396 (29 janvier 1743).
[67] Luynes, t. VIII, p. 437. Cette scène se passe dans l'ancien Cabinet ; dans le nouveau, rien n'est changé au cérémonial. Voici un détail du chapitre du 1er janvier 1757 : Il y avait dans le Cabinet du Roi un grand nombre de chevaliers de l'Ordre qui ont les entrées ; ils étaient autour de la table du Conseil attendant les ordres du Roi, et le Roi était debout derrière son fauteuil comme à l'ordinaire ; le Roi ne voulut point parler que tous les chevaliers ne fussent entrés ; il dit qu'il y en avait beaucoup dans sa Chambre et qu'il fallait les appeler (t. XV, p. 353).
[68] Quand il y avait beaucoup de monde aux révérences, l'encombrement était grand dans les étroits passages du rez-de-chaussée. Voici ce que Luynes raconte des révérences faites au Dauphin et à la Dauphine, le 11 décembre 1757, à l'occasion de la mort de la reine de Pologne : Il y eut plus de cent dames qui firent la révérence. Ce grand nombre, avec l'embarras des mantes, le désagrément très grand pour les femmes de passer par des corridors et de petites cours sans avoir leurs gens avec elles, ensuite la multitude des domestiques et des flambeaux, et le prodigieux nombre de gens inutiles que la curiosité seule y avait amenés, firent une confusion et un embarras insupportable (t. XVI, p. 369).
[69] Luynes, t. XI, p. 422 ; t. XIII, p. 321. Cf. le récit des révérences des dames, pour féliciter le Roi d'avoir échapper à l'attentat de Damiens : 11 janvier 1757. Il les a vues à neuf heures ; on en a compté 163, dont 42 du service. Le Roi les reçut dans son Cabinet, en robe de chambre, frisé et poudré ; il était assis dans son fauteuil, la jambe droite sur un tabouret. Mgr le Dauphin y était. Madame la Dauphine et Mesdames étaient dans le Cabinet. On entrait par la porte du côté de l'Œil-de-Bœuf, et on sortait par la porte de glace.
[70] Luynes ajoute en note : Mme de Châteauroux n'a point été saluée par le Roi. Ce n'est point l'usage. Le Roi ne salue les dames que la première fois qu'elles lui sont présentées, ou bien dans le cas du départ pour un long voyage ou du retour. Encore même ces saluts à l'occasion des voyages ne se pratiquent presque plus. Mais, pour le tabouret, le Roi n'a jamais salué. [Pour le salut et les usages du tabouret, cf. t. 1, p. 64 ; t. II, p. 174 ; t. III, p. 23G ; t. X, p. 231, 409, etc. Argenson, t. VI, p. 389.] On sait même qu'autrefois le tabouret se prenait au souper du Roi... ; la dame titrée se tenait debout, et le Roi lui disait : Madame, assoyez-vous. [T.XII, p. 359 : Les femmes titrées... prenaient leur tabouret au grand couvert. Cet usage... ne fut changé qu'à l'occasion de Mme de Gontaut (Gramont)... lorsque son mari devint duc, en 1733...] Pour la formule et l'usage sous Louis XIV, cf. t. III, p. 236 ; t. IV, p. 193 ; t. VI, p. 432 ; t. VII, p. 196 ; et Saint-Simon, éd. Boislisle, t. II, p. 275.
[71] Luynes, t. V, p. 166, t. VII, p. 60, 196.
[72] C'est ici une occasion de mentionner ce cabinet, dont on ne s'est pas occupé et qui paraît assez souvent dans Luynes. Les plans ne permettent pas d'assigner à ce local une autre place que l'entrée des Cabinets de la Reine sur l'Œil-de-Bœuf. Il y a, d'ailleurs, deux passages plus explicites que voici. Les deux députés du Parlement, qui ont apporté les remontrances le z6 mai 1751, se sont retirés et sont entrés dans la petite chambre du Premier valet de chambre du Roi, qui est dans le passage qui va chez la Reine (t. XI, p. 145). En 1738, le Roi descend plusieurs fois par jour chez M. le Dauphin ; il passe par un petit escalier qui est auprès de la garde-robe du Premier valet de la chambre. Il n'y a que le Premier gentilhomme de la Chambre, le capitaine des gardes et les entrées familières qui aient droit de suivre le Roi par cet escalier (t. II, p. 34). Blondel, d'autre part, nous apprend que le logement du Premier valet de chambre de Sa Majesté est contenu au-dessus de la pièce de communication de l'appartement de la Reine avec celui du Roi (t. IV, p. 122). Le petit escalier, par où descend le Roi, est donc l'escalier tournant dit autrefois de la Journée des Dupes.
[73] Luynes, t. VII, p. 475 ; t. XIII, p. 271. Cf. des récits du 25 mars (t. XIV, p. 94), du 8 avril (t. XIV, p. 107) et du 18 décembre 1755 (t. XIV, p. 341). On lit au 8 avril : M. le premier président vint ici hier. Il attendit longtemps dans le cabinet du Premier valet de chambre. Tout ce qu'on sait jusqu'à présent, c'est qu'il a été sept minutes chez le Roi, la porte fermée, mais que l'audience que le Roi lui a donnée n'a été que de trois minutes.
[74] Luynes, t. XIV, p. 168, 218, 242. Ce n'est pas, à proprement parler, le mur de l'ancien Cabinet du Conseil qui a été repoussé ; on l'a détruit, et c'est le mur extérieur du Cabinet des perruques, l'ancien mur de la construction de Louis XIII, qui a été rapproché du centre du Château et mis à l'alignement du mur septentrional du Cabinet de la pendule. Le résultat a été d'allonger la garde-robe le long de la Grande Galerie, d'en reporter l'entrée au point où elle est aujourd'hui, tout à côté de la porte de glace, de remplacer les deux fenêtres qui s'ouvraient sur la cour des Cerfs par une fenêtre unique, enfin de constituer devant cette fenêtre une étroite terrasse, qui existe encore. Un plan complet des remaniements de 1755 montre nettement l'ensemble des travaux neufs (Archives Nationales, O1 1771). Ces travaux comportèrent la réfection du mur entre la petite chambre à coucher et le Cabinet du Roi, et une ouverture de la garde-robe de l'alcôve sur la petite terrasse.
[75] Architecture françoise, t. IV, p. 123 (avec d'autres détails).
[76] Archives Nationales, O1 2255, 2256.
[77] Le Château sous Louis XV, p. 20, n. 2 ; p. 38, n. 4. La pendule placée en 1756 est payée 6.500 livres à Gallien, qui l'a dessinée, fondue et ciselée sur l'ordre des Menus. Elle représente la France, gouvernée par la Sagesse et couronnée par la Victoire, qui accorde sa protection aux Arts (Courajod, Livre-Journal de Lazare Duvaux, p. CXV). Luynes en parle au t. XV, p. 313.
[78] Archives Nationales, O1 2255-2258. Les sculptures du Cabinet du Conseil étaient considérées, depuis Dussieux (t. I, p. 312), et sans autre raison qu'une date imaginaire de sa construction, comme le plus bel échantillon du style de Robert de Cotte, alors que la pièce est postérieure de vingt ans à la mort de l'architecte. L'œuvre est la plus ancienne d'Antoine Rousseau qui soit conservée à Versailles. J'ai attiré jadis l'attention sur cet artiste oublié, indiqué ses travaux et esquissé sa première notice biographique, d'après les registres de l'État civil de Versailles, dans la Gazette des Beaux-Arts de 1895, t. II, p. 273.
[79] Transcrit par Luynes, t. XIV, p. 168 (3 juin 1755). Cf. Archives Nationales, O1 822, p. 351.
[80] Mémoires du cardinal de Bernis, éd. Masson, t. I, p. 353, 357, 35g. La réunion du Conseil se tient dans la pièce qui est par delà la pièce où est la pendule [salle 30] (Luynes, t. XV, p.359).
[81] Dufort de Cheverny, t. I, p. 179, 181, 186. La suite du dernier passage cité raconte agréablement comment le Roi quitte le Cabinet pour la première fois, en descendant chez Madame de Pompadour.
[82] Le Château sous Louis XV, p. 80-85. En 1767, Verberckt réclame 2.000 livres sur le cabinet de Madame Adélaïde.
[83] Le Château sous Louis XV, p. 226-230.
[84] Argenson, t. V, p. 464 ; t. VI, p. 90, 92. Luynes, t. I, p. 274. F.-V. Toussaint, Anecdotes curieuses de la Cour de France, éd. Paul Fould, Paris, 1908, p. 83.
[85] L'histoire artistique et anecdotique des Petits Cabinets, établie en dehors de toute légende, d'après les textes contemporains et les dossiers des Archives Nationales, se trouve dans Le Château sous Louis XV, p. 173-201 et 214-226. Je me borne à y renvoyer le lecteur. Sur l'appartement Du Barry, on doit consulter aussi le chapitre V de Madame du Barry d'après les documents authentiques, par Claude Saint-André, Paris, 1909.
[86] Voir notamment le passage de Luynes sur une difficulté soulevée par les valets de chambre à propos des aumôniers (t. I, p. 139, au 1er décembre 1739). Autres passages du même tome sur l'étiquette de la Chambre du Roi, p. 262-263, 269-270, 279, 431.
[87] Archives Nationales, O1 822, p. 227. Luynes, t. IX, p. 338. La note du duc de Gesvres citée plus loin est au t. XIV de Luynes, p. 205.
[88] Avant d'être amenés dans la Chambre par l'escalier de Marbre, les compagnies attendaient dans les locaux du rez-de-chaussée de la Vieille Aile, où elles avaient accès par la cour des Princes. Leur voyage de 1749 est mentionné au registre des consignes des Suisses du Roi (Bibliothèque de la ville de Versailles), qui donne également le nom des anciennes pièces où il était d'usage de les recevoir :
Etat des salles destinées pour
les Compagnies qui sont venues complimenter le Roi sur la Paix.
Le matin : Le Parlement, Salle
des Ambassadeurs ; La Chambre des Comptes, Salle du Conseil ; La Cour des
Aides, Salle des Parties ; La Cour des Monnaies, Salle du Grand-Maître ; La
Ville, A l'appartement de M. le gouverneur de Paris..
L'après-midi : Le Grand-Conseil, Salle des Ambassadeurs ; L'Université, Salle du Conseil ; L'Académie française, Salle des Parties.
[89] V. le dossier de cette affaire dans Le Château sous Louis XV, p. 99.
[90] Lettre de Portail à Marigny, juillet 1759 (Le Château sous Louis XV, p. 100). La bordure nouvelle, de style Louis XVI, entoure aujourd'hui le David du Dominiquin, placé dans les Grands Appartements. Le Saint-Jean, faussement attribué à Raphaël, est au musée de Marseille.
[91] Archives Nationales, O1 3457. L'État du mobilier de 1787 décrit le meuble de la Chambre de parade au moment de la Révolution : Un grand et riche meuble de brocart fabriqué en largeur d'une aune, dessin à cartouche, or frisé et or filé, liséré broché vert, sur fond cramoisi. Le lit est à la duchesse, de 13 pieds de hauteur de colonnes au chevet, l'impérial en voussures sculpté et doré, le dehors orné d'une riche corniche, surmonté de casques, têtes et dépouilles de lion, branches de lauriers et attributs militaires, enfants tenant des couronnes, ledit impérial surmonté d'une voussure en dôme terminé par une couronne royale posée sur un carreau. — La couchette a parmi ses ornements des têtes de lion, avec des haches d'armes et couronnes de laurier aux pieds de devant, faisceaux de piques à ceux du chevet, le chantourné orné de boucliers et cornes d'abondance..., le tout sculpté et doré.
[92] Croÿ, t. III, p. 103, 104. Vicomte de Grouchy, Morts et funérailles royales, Paris, 1901, p. 151-153.