HISTOIRE DU CHÂTEAU DE VERSAILLES

VERSAILLES AU XVIIIe SIÈCLE

 

CHAPITRE PREMIER. — VERSAILLES SOUS LOUIS XV.

 

 

Louis XIV avait mis près de cinquante ans à construire, à perfectionner, à parer des merveilles de tous les arts la maison définitive de la royauté française. Jamais le monde n'avait vu pareil ouvrage, et nulle demeure souveraine ne soutenait la comparaison avec celle que le Grand Roi bâtissait pour glorifier sa mémoire et loger ses descendants. Les splendeurs de la Cour, dont elle faisait le cadre, devaient, dans la pensée de celui qui les avait réglées, durer autant que la France elle-même. Elles survécurent à peine trois quarts de siècle. La Révolution bouleversa en un instant ce spectacle magnifique, chassa les acteurs, renversa le brillant décor. La scène seule resta debout ; elle atteste encore, par les débris de sa grandeur, ce que signifia la création de Louis XIV et ce qu'un tel rêve eut d'immortel.

Le premier septembre 1715, le Roi mourut dans sa chambre placée au milieu du Château, qui figurait, pour l'imagination de ses sujets, le centre visible de la monarchie. Ses derniers jours y firent admirer la fermeté du prince et l'humilité du chrétien. Louis XV ne put jamais oublier l'instant où, tout enfant, amené auprès du lit royal, il reçut la bénédiction de son aïeul et ses paroles suprêmes : Mignon, vous allez être un grand roi ; mais tout votre bonheur dépendra d'être soumis à Dieu et du soin que vous aurez de soulager vos peuples. Il faut pour cela que vous évitiez, autant que voue le pourrez, de faire la guerre ; c'est la ruine des peuples. Ne suivez pas le mauvais exemple que je vous ai donné en cela ; j'ai souvent entrepris la guerre trop légèrement et l'ai soutenue par vanité... Soyez un prince pacifique... C'étaient des conseils bien différents que suggéraient à Versailles les orgueilleux plafonds. Le petit Roi, d'ailleurs, n'y passa point son enfance. Le 9 septembre, jour où le corps de Louis XIV etait emmené à Saint-Denis, la Cour se transporta à Vincennes, dont l'air était jugé meilleur que celui de Versailles par les médecins de Paris et dont le château se trouvait tout meublé. Le Régent eut ainsi le temps de faire aménager les Tuileries, que le Roi vint habiter à partir du 30 décembre.

Versailles fut abandonné par la Cour pendant près de sept ans. D'abord presque déserte, la ville retrouva assez vite des habitants nouveaux, grâce à l'exemption de la taille, à la modicité des loyers et aussi au prix des vivres, qui y sont meilleur marché qu'à Paris. On faisait jouer les eaux tous les quinze jours et les ambassadeurs, qui venaient voir le Château et les jardins, attiraient beaucoup de compagnie[1]. Mais peu d'événements méritent d'être rappelés. Le plus notable est le séjour du tzar Pierre le Grand, au mois de mai 1717. Il habita trois jours l'ancien appartement de la Reine, occupé en dernier lieu par la duchesse de Bourgogne[2] ; pendant un second voyage, il logea à Trianon-sous-bois. Les nouvellistes rapportent qu'il se promena en calèche dans les parcs, en gondole sur le Canal, assista au jeu des eaux, visita la Ménagerie, le château de Clagny, Marly, le grand aqueduc et la Machine ; il fut aussi à Saint-Germain, au Val, à Saint-Cyr. On le vit examiner les jets d'eau, les cascades et les statues avec une attention surprenante[3]. Il serait curieux de savoir ce qu'un tel prince apprécia de préférence dans les maisons de Louis XIV ; il ne leur consacra pas moins d'une douzaine de jours, passés hors de Paris à les parcourir, et l'on sait comme il se plut à s'en inspirer dans les bâtiments et les jardins qu'il ordonna à Petrograd.

Le retour de la Cour n'eut lieu que lei 5 juin 1722, à la grande joie de la population de Versailles, qui s'était fâcheusement ressentie de son absence : Le Roi revint à Versailles, note le commissaire Narbonne, pour y faire son séjour habituel. Dans son carrosse se trouvaient Mgr le Duc d'Orléans, régent, M. le duc de Chartres, son fils, M. le duc de Bourbon, chargé de son éducation à la place du duc du Maine, à qui elle fut ôtée, M. le maréchal de Villeroy, son gouverneur, et l'évêque de Fréjus, son précepteur. Le Roi arriva sur les cinq heures du soir et, en descendant de carrosse, il alla d'abord à la Chapelle faire sa prière et se rendit ensuite à son appartement. Les bourgeois de Versailles avaient eu l'idée de faire tirer un feu d'artifice pour célébrer l'arrivée du Roi... mais, Son Altesse Royale [le Régent] ne l'ayant pas jugé convenable, le feu d'artifice n'eut pas lieu[4].

La ville reprit de l'animation, vit augmenter sa population et renaître son commerce. Au Château, qui n'avait jamais cessé d'être entretenu, divers aménagement nouveaux furent nécessaires. Les plus intéressants se firent chez le Roi ; on consacra à sa commodité et à son divertissement, dans le comble de l'appartement privé, quelques pièces auxquelles plus tard devaient s'en ajouter tant d'autres. Les premières dépenses de ces installations remontent précisément à 1722[5]. En 1723, le sculpteur Hardy pose sur les murs de la petite cour, autour de laquelle se développent les Cabinets du Roi, vingt-quatre têtes de cerfs en plâtre, pour une somme de 1.550 livres ; et cette commande assez singulière donne l'explication véritable de la désignation attribuée jusqu'à nos jours à la fameuse cour des Cerfs[6]. Cette décoration de fantaisie porte la première atteinte au décor sévère de Louis XIV ; mais elle se borne à une partie retirée du Château, où le public ne pénètre pas.

Louis XV amenait à Versailles la petite Infante, âgée de cinq ans, qu'on avait demandée pour lui en mariage et qu'il devait bientôt renvoyer à son oncle Philippe V. Le Roi et l'Infante, dit Saint-Simon, occupèrent les appartements du feu Roi et de la feue Reine, et le maréchal de Villeroy fut logé dans les derrières des Cabinets du Roi. Le cardinal Dubois eut toute la Surintendance entière pour lui seul, comme M. Colbert l'avait eue et après lui M. de Louvois... M. le duc d'Orléans prit l'appartement de feu Monseigneur en bas, et Madame la duchesse d'Orléans demeura dans celui qu'elle avait en haut auprès du sien et qui resta vide[7].

Le Régent habita donc l'appartement du rez-de-chaussée, qu'avaient eu aussi le duc de Bourgogne, puis le duc et la duchesse de Berry ; il avait été jadis celui de Monseigneur et devait redevenir, au cours du siècle, celui du Dauphin. C'est dans cette partie du Château qu'on doit évoquer le gouvernement du duc d'Orléans et ses plaisirs pendant les dix-huit derniers mois de sa vie. On l'avait restaurée avec soin en 1722, et le sieur Baudrey avait réparé les marqueteries des fameux cabinets de Boulle. La chambre à coucher, qui fut celle du duc de Bourgogne, restait à l'emplacement où l'on créa depuis deux petites pièces, dont l'une fut la bibliothèque du Dauphin. Le grand cabinet était la belle pièce d'angle à six fenêtres, sous le Salon de la Paix [salle 51] ; La Martinière l'a vu décoré de lambris très riches, dorés en plein, qui renfermaient en symétrie des tableaux originaux des différents maîtres anciens, le tout mêlé de consoles qui portaient aussi des porcelaines ; le plafond de ce cabinet était peint par La Fosse. Saint-Simon en fait une autre description, d'ailleurs peu exacte, lorsqu'il raconte le piège tendu au maréchal de Villeroy, arrêté par La Fare, capitaine des gardes du Régent, et d'Artagnan, capitaine des mousquetaires gris : Au delà de la chambre à coucher de M. le duc d'Orléans, était un grand et beau cabinet, à quatre fenêtres (sic) sur le jardin et de plein pied à deux marches près, deux en face en entrant, deux sur le côté vis-à-vis de la cheminée, et toutes ces fenêtres s'ouvraient en portes depuis le haut jusqu'au parquet. Ce cabinet faisait le coin, où les gens de la Cour attendaient, et en retour était un cabinet joignant [salle 50], où M. le duc d'Orléans travaillait et faisait entrer les gens les plus distingués qui avaient à lui parler[8]. C'est par une porte-fenêtre de ce salon que Villeroy, jeté dans une chaise à porteurs, fut entraîné par les mousquetaires et mené hors des jardins, vers la route de Saint-Cyr.

Le cabinet de travail du Régent est celui où le prince mourut subitement, auprès de la duchesse de Phalaris, le 2 décembre 1723. On peut encore citer le récit de Saint-Simon, qui marque la disposition des lieux : La Falari... redoubla ses cris. Voyant que personne ne répondait, elle appuya comme elle put ce pauvre prince sur les deux bras contigus des deux fauteuils, courut dans le grand cabinet, dans la chambre, dans les antichambres, sans trouver qui que ce soit, enfin dans la cour et dans la Galerie Basse[9]. La pièce, qui rappelle ce souvenir tragique, servit aussi de cabinet de travail à M. le Duc, qui succéda au Régent dans son appartement comme au ministère[10]. Les travaux de 1747, qui la transformèrent en chambre à coucher pour le Dauphin, fils de Louis XV, en firent disparaître l'ancien décor, comme dans toutes les pièces voisines.

Le directeur général des Bâtiments du Roi, qui ordonna la nouvelle installation de la Cour, était le duc d'Antin, fils unique du marquis de Montespan et de la marquise. Il avait reçu cette charge à la mort de Mansart, étant encore marquis d'Antin ; elle lui arrivait un peu diminuée, puisque son prédécesseur portait le titre de surintendant. L'ambitieux courtisan montra pourtant des transports de joie, raconte Saint-Simon, et déclara que c'était à ce coup que le sort était levé, qu'il n'était plus en peine de sa fortune ; il eut toutes les entrées qu'avait Mansart, il les élargit même, et bientôt il sut subjuguer le Roi et l'amuser. Le personnage, fait duc et pair en 1711, n'eut pas l'occasion de se distinguer sous Louis XIV et d'enrichir Versailles de morceaux assez importants pour faire honneur à son administration. Le règne de Louis XV allait, au moins une fois, le lui permettre. Il décida de terminer, sur un plan digne du feu Roi, la vaste pièce inachevée construite par Mansart et Robert de Cotte et qui faisait communiquer les Grands Appartements avec le salon de la Chapelle. Cette pièce de majestueuses dimensions, alors éclairée par trois fenêtres sur les jardins et quatre sur la cour de la Chapelle[11], n'avait reçu qu'une décoration provisoire. Louis XIV en voulait faire une salle de fêtes pour agrandir et compléter les Appartements, et on avait préparé dans cette pensée une provision de marbres de couleur, qui restait inutilisée[12]. Le projet ajoutait au Château une grande pièce pour les bals ; comme, d'autre part, il servait au passage continuel de la Cour et des souverains se rendant à la Chapelle, aucun emplacement ne justifiait mieux d'amples et magnifiques travaux.

La direction architecturale du futur Salon d'Hercule est assumée par Robert de Cotte, Premier architecte du Roi, qui a pour principal collaborateur Jacques Gabriel, neveu par sa mère du grand Mansart, chargé depuis 1709 du contrôle des dedans de Versailles. Jacques Gabriel doit obtenir, en décembre 1734, à la retraite de Robert de Cotte, la charge de Premier architecte et, à sa mort, la direction de l'Académie royale d'Architecture. Ils trouvent, pour assurer les nouveaux ouvrages, des artistes qui ont fait leurs débuts aux dernières années du règne de Louis XIV et donnent à présent la pleine mesure de leur talent. C'est Antoine Vassé, le sculpteur toulonnais, élève et collaborateur de Puget, qui mène dès l'année 1729 l'ensemble de la décoration du salon de marbre ou nouveau salon près de la Chapelle. L'artiste est un de ces maîtres instruits dans toutes les parties de leur art, qui traitent indifféremment le plâtre, le marbre ou le bronze. Les Comptes des Bâtiments du Roi mentionnent de lui les ouvrages les plus divers ; on l'a vu travailler aux boiseries et aux petits bronzes qui ornent l'édifice religieux de Mansart, et il vient d'obtenir la faveur de placer, dans une niche du salon qui le précède, un marbre important, qui représente la Gloire[13]. Robert de Cotte a pu juger mieux que personne de l'admirable souplesse de Vassé. Les documents enregistrent avec régularité, durant cette année et les suivantes, les acomptes à lui payés pour travaux de marbre, de plomb et d'étain, pour vingt bases de pilastres et autant de chapiteaux de bronze doré, pour les ouvrages de bronze de la cheminée, etc.[14] Les sculptures en bois et en stuc, comprenant les fines consoles dorées de la corniche, les petits trophées alternés de paix ou de guerre, et l'immense cadre aux Armes de France, occupant toute la paroi du fond, sont l'œuvre d'un anversois fixé en France, Jacques Verberckt. Ancien associé de Dugoulon et Goupil pour la sculpture en bois dans les maisons royales, il travaille depuis quelque temps à Versailles, où il doit obtenir bientôt une place prépondérante[15]. Les portes dorées qui flanquent la cheminée sont de style Louis XIV ; placées à l'époque où Robert de Cotte ordonnait le salon de pierre, elles contrastent avec les ornementations nouvelles adoptées déjà et dont certaines formules, comme celles des cartouches ailés, auront une assez longue fortune.

Le plus beau morceau de cette décoration est la grande cheminée de marbre d'Antin, venant des nouvelles carrières ouvertes dans les Pyrénées depuis quelques années, dont le travers qui est d'une seule pièce a dix pieds de longueur ; les jambages sont ornés de grosses têtes de lion, avec des pattes entrelacées qui tombent au-dessous. Au milieu du cintre... on voit une tête d'Hercule sur un cartouche, d'où naissent des espèces de cornets qui répandent des fleurs et des fruits. On remarque au-dessus un attique avec deux consoles qui supportent un grand tableau ; on aperçoit dans le milieu un trophée de carquois et d'une rondache sur laquelle on a exprimé un des travaux d'Hercule. On peut être satisfait du bon goût de ces différents ornements de bronze doré au feu, qui sont de Vassé, sculpteur très habile en ornements. Cette description de La Martinière indique l'importance accordée par les contemporains à la partie ornementale du Salon d'Hercule[16]. Au-dessus de la cheminée est un tableau attribué à Paul Véronèse, Eliézer et Rebecca, que remplacera au dix-neuvième siècle un Louis XIV à cheval couronné par la Victoire, de Pierre Mignard[17]. En face, est installée dans la bordure de Vassé la plus importante toile du maître vénitien que possède alors la collection royale ; c'est le Repas chez Simon le Pharisien, offert à Louis XIV en 1664 par la République de Venise. Mais Blondel, parlant de l'admirable plafond, qui vient compléter cet ensemble, n'hésite pas à déclarer que les ouvrages même de Paul Véronèse, placés dans cette pièce, ne servent encore qu'à relever l'éclat de cette merveille de l'art. C'est, en effet, la composition de l'Apothéose d'Hercule qui est ici le morceau principal ; et, de même que le décor monumental s'harmonise, malgré ses nouveautés de détail, avec le style général de Versailles, le plafond de François Le Moyne continue, par ses nobles proportions, l'ensemble des plafonds du Château, tout en révélant, dès qu'on l'analyse, un art profondément éloigné de celui de Charles Le Brun et de son école.

Le grand peintre, qui a laissé les modèles les plus purs de la décoration mythologique à la française et a formé le talent de Boucher et de tant d'autres disciples, venait d'achever pour Versailles plusieurs œuvres importantes, quand le duc d'Antin se décida à lui confier la voûte du nouveau salon. Il avait peint, à son retour d'Italie, un panneau pour l'hôtel du Grand-Maître, Aurore et Céphale, puis, en 1727, un tableau d'autel, Saint Louis en extase, destiné à la paroisse du quartier neuf, dite nouvelle église du Parc-aux-Cerfs. Au Château, Le Moyne avait été chargé de l'ovale du Salon de la Paix, commandé en 1728 et placé, en juillet 1729, sur la cheminée du mur adossé à la chambre de la Reine. On paya 7.000 livres pour ce morceau, dont les allégories un peu subtiles avaient le mérite de s'appliquer exactement aux premiers événements de la vie de Louis XV : Il représente, écrit le comte de Caylus, le Roi tenant de la main gauche un gouvernail, en foulant aux pieds la figure du Luxe, et présentant de la main droite une branche d'olivier à l'Europe, qui paraît environnée des attributs qui la distinguent des autres parties du monde... Sur un plan plus éloigné, on voit le temple de Janus ; la Discorde fait des efforts pour en ouvrir les portes. Minerve, assise sur un nuage, étend le bras vers le temple et donne ordre à Mercure, symbole de la négociation, de voler pour s'opposer aux efforts de la Discorde... La Piété présente à l'Europe deux enfants, que la Fécondité tient dans ses bras et que l'Europe regarde avec d'autant plus de satisfaction que ce sont les deux princesses, filles ainées du Roi [Mesdames Elisabeth et Henriette]. Le devant du tableau est orné des Génies des Arts et du Commerce, enfants de la Paix 1[18]. Cette peinture, gravée par Cars, reste un morceau tout à fait charmant du décor royal de Versailles.

De plus hautes ambitions émurent l'artiste, quand on lui livra l'énorme surface du plafond, sur lequel, dès la fin de l'hiver de 1732, étaient marouflées les immenses toiles qu'il aurait à peindre. Il se hâta de jeter ses idées sur le papier, rêvant d'abord de représenter la Gloire de la Monarchie française établie et soutenue par les belles actions de nos plus grands rois. Au centre devaient apparaître Clovis, Charlemagne, saint Louis et Henri le Grand, jouissant du séjour de l'immortalité. Les quatre côtés, en forme d'éventails, auraient contenu les hauts faits de ces princes, pour lesquels la nation entière conservera toujours une mémoire pleine d'admiration, de reconnaissance et de respect. On aimerait trouver dans Versailles une commémoration nationale de cette importance. Le peintre Donat Nonnotte a vu ce projet, pour lequel son maître Le Moyne inclinait beaucoup ; mais, soit que la nouveauté de ne faire qu'un seul morceau dans une si grande étendue plut davantage, ou que, par des raisons particulières au surintendant, un sujet de la fable fût plus de son goût, il choisit l'Apothéose d'Hercule, dont le vrai sens allégorique est sans contredit la Vertu héroïque récompensée[19]. Il y avait des raisons à ce choix, qui permettent d'écarter l'opinion de Voltaire sur une flatterie peu vraisemblable envers Hercule de Fleury, cardinal et premier ministre[20]. Depuis que Le Brun avait projeté de célébrer Louis XIV sous la forme d'Hercule, au plafond de la Grande Galerie, et exécuté de nombreux dessins sur ce sujet, cette allégorie hantait la pensée des surintendants. L'occasion semblait bonne de réaliser au moins le principal motif, conçu par le peintre du Grand Roi, et de ne pas priver plus longtemps Versailles d'une glorification d'Hercule.

François Le Moyne, aussi consciencieux artiste que son prédécesseur et enflammé par la rivalité glorieuse qu'on lui proposait, avait multiplié les esquisses et les études de tout genre. Il monta sur les échafaudages du salon, le 14 mai 1733, et commença ce jour-là à tracer à la craie ses premières figures, Nous savons par le récit du peintre Nonnotte, qui collabora aux parties secondaires de l'ouvrage, quelles vicissitudes accablèrent son maître et les difficultés cruelles qu'il rencontra. Il se fit un jeu de compenser par des habiletés techniques les irrégularités que présentait l'éclairage de la voûte ; mais, ayant dû reconnaître une erreur initiale dans les proportions de ses premiers groupes, il n'hésita pas à recouvrir entièrement le travail de trois mois pour recommencer environ quarante figures déjà esquissées. L'ébauche générale une fois terminée, et les ornements d'architecture confiés à des peintres de pratique, Le Moyne se mit à exécuter de sa main toute la peinture, en commençant par le côté de la cheminée et en prodiguant l'outremer dans le ciel, de façon à alléger le ton et à lui faire percer la voûte, au point que cela fit voir qu'il n'y a rien dans tout le Château qui fasse autant d'illusion. Le travail s'avançait ; les princes, les grands seigneurs, les amateurs montaient, pour en venir juger, dans l'atelier suspendu et ne ménageaient pas les compliments au peintre. Le duc d'Antin, malgré ses infirmités, voulut plusieurs fois le voir travailler ; il reçut aussi l'affable visite du roi Stanislas, beau-père de Sa Majesté, venu de Chambord pour passer quelques jours à Versailles et qui s'entretint avec lui en connaisseur et comme ferait un artiste avec son ami.

L'année 1736, raconte Nonnotte, mit le comble à la gloire de M. Le Moyne et aux faveurs du Roi qui lui avaient été réservées. La place de Premier peintre de Sa Majesté était vacante depuis le mois de novembre 1733, et elle ne fut remplie que le 26 septembre 1736. Ce jour-là, le Roi, allant à la messe comme à l'accoutumée, vit l'ouvrage de M. Le Moyne avec un air de satisfaction qui annonçait le bonheur de l'artiste. Au retour, le Roi s'arrêta de nouveau et, plein de la bonté qui fait son caractère, il lui déclara lui-même qu'il le nommait son Premier peintre. Une récompense si flatteuse et si honorable fut accordée comme le serait le bâton de maréchal à un officier qui serait sur la brèche ; ce sont les termes dans lesquels un seigneur qui suivait le Roi fit son compliment à M. Le Moyne[21]. Le peintre atteignait le sommet le plus élevé où les artistes d'alors pussent prétendre ; mais il demeurait tourmenté de scrupules de métier, aussi aigri par la discussion que surexcité par les éloges. A peine eût-il son brevet, qu'il tomba dans une profonde mélancolie et donna les signes du délire de la persécution. La mort de son protecteur, le duc d'Antin, et le surmenage excessif de -ces quatre années furent assurément pour beaucoup dans ce malheur ; on accusa même la façon de travailler très gênante, le corps renversé, que l'emplacement avait imposée à l'artiste. C'est, en tout cas, une pure légende qui attribue l'origine de sa folie à l'insuffisance de la récompense reçue, car les témoignages de son entourage la démentent. Malgré son goût pour l'économie, le cardinal de Fleury n'avait point eu l'idée de lésiner sur le paiement d'un ouvrage qui intéressait si fort l'honneur de son maître. Le Moyne eut 55.000 livres de gratification, dont il avait reçu 12.000 par les excédants régulièrement compris dans ses rôles de dépenses, et sa pension de Premier peintre allait ajouter 3.200 livres à ses revenus. Quoi qu'il en fût, abandonné à. des idées sombres, vivant seul et mal soigné, le pauvre artiste succomba. On le trouva mourant en son logis, au matin du 4 juin 1737 ; il baignait dans le sang, s'étant par neuf fois traversé le corps de son épée. Ce fut une perte singulière pour l'École française que la mort prématurée du peintre qui s'annonçait comme son chef et qui, à quarante-neuf ans, dans sa composition de Versailles, avait révélé les ressources de son génie.

Le siècle s'émerveilla devant la beauté du plafond du Salon d'Hercule, et Voltaire résuma en ces mots l'éloge universel : Il n'y a guère dans l'Europe de plus vaste ouvrage de peinture que le plafond de Le Moyne, et je ne sais s'il y en a de plus beau. C'était rejeter au second rang l'œuvre même de Charles Le Brun ; et le cardinal de Fleury l'entendait ainsi, quand il disait : J'ai toujours pensé que ce morceau gâterait toutes les peintures de Versailles[22]. Pour la première fois, on renonçait aux surcharges du stuc ornemental, à la division par encadrements de la surface à recouvrir, à tous ces usages imposés jusqu'alors par l'art italien dans nos maisons royales. La seule peinture se chargeait d'occuper toute la voûte et d'y créer les perspectives des nuages et de l'azur. L'équilibre de l'ensemble et le recul des figures aériennes étaient assurés par un motif très simple d'architecture peinte courant au-dessus de la corniche c'est une sorte de balustrade de marbre blanc veiné rehaussé d'or, que coupent des panneaux de brèche violette et des cartouches dorés. A ces cartouches, où sont représentés les travaux d'Hercule, s'enlace une lourde guirlande de feuilles de chêne soutenue par des génies, tandis que de grandes figures assises aux quatre angles symbolisent les vertus du héros. C'est au-delà de ce décor, qui semble couronner les parois du salon, que se développe l'immense scène allégorique jetée dans les profondeurs du ciel.

L'effort n'a peut-être jamais été renouvelé d'une composition réunissant cent quarante-deux figures mythologiques, admirablement liées et toutes d'un symbolisme assez clair pour être aisément compris[23]. Hercule a conquis l'immortalité par ses périlleux exploits et les services qu'il a rendus aux hommes, et c'est la récompense d'une vertu sans seconde qui lui est offerte parmi les splendeurs de l'Olympe. Il arrive au pied du trône du maître des dieux, sur un char tiré par les génies de la Vertu, précipitant derrière lui les monstres et les Vices. Afin de lui faire accueil, la majesté des Immortels s'assemble dans les nuées ; mais la grâce surtout y sourit avec la jeunesse des dieux, des demi-dieux et des déesses toujours belles. Est-il une plus parfaite image de l'âge heureux que l'Hébé couronnée de roses présentée au héros par Jupiter, comme le prix délicieux de ses travaux ? Partout l'œil se repose sur des groupes d'un grand style et d'un caprice charmant, tels que celui de l'Aurore cheminant au milieu des étoiles, que personnifient de souriantes jeunes femmes, Zéphyre et Flore s'entretenant tendrement parmi les fleurs nées de leurs soupirs, Pandore et Diane invitant Cornus, dieu des banquets, à se disposer pour la fête, ou le chœur des Muses au seuil du Temple de Mémoire, s'apprêtant à exécuter le concert qu'ordonne un Apollon juvénile et radieux.

Il semblerait que l'artiste a dû rêver dans la paix d'une solitude bienfaisante l'épanouissement de tant de symboles de félicité. Comment croire qu'ils furent exprimés, au contraire, au prix de difficultés infinies, avec des reprises douloureuses, imposées au maître par son excès de conscience et qui ont épuisé ses forces avant l'heure ! L'œuvre reste du moins une des plus importantes de la peinture française. Pour la première fois peut-être depuis la Renaissance, elle présente une vaste décoration sans reliefs de stuc, sans divisions par compartiments, et dont la seule peinture suffit à remplir tout l'espace ; en même temps, elle atteste la rupture accomplie avec la dernière survivance de l'École de Le Brun et le triomphe définitif des coloristes instruits aux exemples de Venise et des Flandres. Ce n'est pas sans raison que les tableaux admis sur les murs du Salon d'Hercule furent choisis parmi ceux de Véronèse. La composition lumineuse de notre Le Moyne, équilibrée sans effort, pleine sans encombrement, renoue les fortes traditions des Vénitiens et n'y sacrifie rien des qualités nationales ; elle met en œuvre déjà toutes les ressources de la peinture décorative du siècle, et l'art même d'un Tiepolo ne la dépassera point.

 

Les Grands Appartements du Roi, qui aboutissent au Salon d'Hercule, n'ont point été modifiés au dix-huitième siècle. Il n'en fut pas de même des Grands Appartements de la Reine, où s'exécuta le deuxième travail important de l'intérieur de Versailles, lorsqu'on refit, à l'usage de Marie Leczinska, la chambre à coucher occupée successivement par la reine Marie-Thérèse, la dauphine de Bavière et la duchesse de Bourgogne.

En 1735, Ange-Jacques Gabriel travaillait depuis longtemps avec son père et se préparait à lui succéder dans sa charge de Premier architecte. C'est à lui que fut demandé le projet destiné à remplacer le décor mural de la Chambre de la Reine, qui datait de Le Vau et qu'accompagnait un plafond peint par Gilbert de Sève. Il existe deux beaux dessins lavés en couleur, qui sont certainement de Gabriel le fils et dont l'un porte sa date : Elévation du côté de la cheminée de la Chambre de la Reine, comme elle est résolue de faire lambrisser en 1735[24]. Revêtus du bon du Roi, ces dessins représentent le projet adopté pour ce grand travail. Les trois trumeaux de glaces de la pièce, dont un seul subsiste, étaient surmontés de la couronne royale et entourés de tiges de palmier, laissant dans le haut de la bordure la place d'un portrait ovale. Le palmier se retrouve au-dessus des portes, dans l'encadrement des tableaux ; mais les déplorables arrangements du musée de Louis-Philippe ont exigé la destruction des parois latérales[25]. La belle cheminée ornée des bronzes de Vassé avait déjà été remplacée au temps de Marie-Antoinette[26]. Le fond de la pièce, où se voient encore les pitons ayant soutenu le lit, était recouvert de tapisseries ou d'une tenture, qui revenait sur les angles jusqu'au balustre doré. Les fragments de boiseries restés en place donnent une idée de la richesse de décoration déployée dans cette chambre principale de l'appartement de la Reine.

Le travail des sculptures offre la plus grande ressemblance avec celui de Jacques Verberckt dans les Cabinets de Louis XV et dans sa chambre à coucher, qui date de 1738. Mais ce sont les Comptes des Bâtiments qui fournissent la preuve d'une attribution certaine à cet artiste. Verberckt reçoit, pour ses ouvrages de 1735, la somme de 20.021 livres et, pour ceux de l'année suivante, 29.328 livres, alors que le seul des sculpteurs en plâtre et bois, dont le compte vaille d'être cité après lui, n'est porté que pour 9.193 livres sur 1735 et 3.344 livres sur 1736[27]. Le sculpteur anversois, qui s'est déjà fait connaître par des travaux dans la bibliothèque du Roi et aux petits appartements du second étage, prend à cette heure la première place parmi les décorateurs de Versailles. On petit supposer que les belles boiseries de la Chambre de Marie Leczinska, le plus ancien ensemble qui reste de cet artiste, ont servi sa réputation et achevé d'accréditer son talent auprès de l'administration des Bâtiments.

Les tableaux en dessus de portes, dont la bordure est remarquée par La Martinière comme de forme singulière, furent ordonnés dès l'année précédente à deux peintres en renom. Les Comptes de 1734 mentionnent, en effet, ce payement du 25 avril 1735 : Au sieur Natoire, pour un tableau allégorique représentant la Jeunesse et la Vertu présentant les deux princesses à la France, qu'il a fait pour l'appartement de la Reine, 1.800 livres. Au sieur Detroyes pour un tableau allégorique représentant la Gloire qui s'empare des Enfants de France, qu'il a fait pour id., 1.800 livres. Les tableaux sont signés par les deux peintres avec la date de 1734. Dans celui de Natoire, placé du côté du Salon de la Paix, figurent Mesdames Elisabeth et Henriette, nées jumelles le 14 août 1727 et par conséquent, âgées de sept ans. L'une s'appuie sur la France au manteau fleurdelysé ; l'autre est soutenue par la Jeunesse à genoux, ayant près d'elle le génie de la Vertu. Dans la composition de Jean-François De Troy, il y a trois enfants, parmi lesquels on reconnaît à son costume le Dauphin, né en 1729 ; la Gloire l'amène par la main aux pieds de la France assise et tenant près d'elle les autres enfants. Ce tableau, d'une coloration chaude et où l'éclat des étoffes fait penser aux peintres vénitiens, est parmi les meilleurs de l'artiste.

Un troisième peintre, Boucher, a travaillé dans cette chambre, mais seulement au plafond, où quatre compositions en camaïeu sont de lui. Elles représentent, portées chacune sur des nuages, la Charité entourée d'enfants, l'Abondance répandant des fruits autour d'elle, la Fidélité auprès d'un autel et tenant un cœur enflammé, la Prudence avec un miroir où s'enroule un serpent. Ces morceaux peu connus ont pu subir quelque restauration, lors des réparations du plafond, mais ils gardent le charme du maître. Les Bâtiments ont donné, en 1738, au sieur Boucher, pour son payement de quatre tableaux en grisaille, qu'il a faits pour la Chambre de la Reine en 1735, 1.000 livres[28]. Ils remplaçaient ceux où Gilbert de Sève avait peint des reines illustres : Didon bâtissant Carthage, Nitocris, reine d'Assyrie (sic), faisant construire un pont sur l'Euphrate ; Rhodope, reine d'Egypte, élevant une des Pyramides ; enfin, sujet moins édifiant, un festin de Cléopâtre avec Antoine. Ces ouvrages avaient fort noirci ; d'ailleurs, les vertueuses figures de Boucher convenaient mieux que ces compositions pompeuses au caractère de Marie Leczinska. Les camaïeux furent encadrés de bordures chantournées ovales, couronnées d'un cartouche avec une tête au-dessus et soutenues par deux enfants de carton sculptés, assis sur la corniche, avec des palmes et des festons. Ces bordures sont intactes et, du décor de 1735, reste encore cette coupole, qui s'élève en perspective dans le haut du plafond, remplie par une mosaïque tournante, garnie de roses fleuronnées[29], et qui avait remplacé le Soleil, accompagné des Heures, de Gilbert de Sève. Le reste du plafond a subi de grands changements et n'a pris son aspect actuel qu'en 1770, lorsque la Dauphine Marie-Antoinette est venue occuper la chambre royale.

L'œuvre de Gabriel et de Verberckt, hardiment inspirée d'un goût nouveau, devait trouver des résistances. On lui préféra dédaigneusement la chambre que Mansart avait faite pour Louis XIV et qui fournissait, à Versailles même, une fort intéressante comparaison. L'écho de ces critiques se retrouve, en 1748, dans le morceau suivant : Que les architectes du dernier siècle en savaient davantage ! Quoi de plus auguste que la chambre de parade du Roi à Versailles ! Tout y est d'une simplicité sublime ; en la voyant, on se croit au milieu de l'ancienne Rome, dans le palais des Césars. On n'a rien fait de notre temps qui en approche, et ceux qui ont été chargés de la décoration de celle de la Reine eussent mieux fait de s'en tenir à copier exactement ce qu'on venait de détruire. Quand une chose semblable a reçu l'approbation générale des connaisseurs, ne devrait-on pas chercher à la perpétuer ? Ne serait-ce pas dommage, si la nécessité obligeait de refaire la chambre de parade du Roi, qu'on substituât d'autres pensées à celles de ce superbe morceau ? .... Nos modernes, prodigues en ornements, sont de médiocres décorateurs ![30] Gabriel allait fournir d'abondantes preuves, pendant toute la première période de ses travaux, du parti qu'on pouvait tirer de cette décoration tant discutée et qui n'est autre chose que le grand style Louis XV de la bonne époque.

L'administration du duc d'Antin ordonna une dernière grande commande de sculpture qui fut destinée à la Chapelle et distribuée à un groupe d'artistes, pour la plupart jeunes pensionnaires du Roi, revenant de Rome avec un commencement de réputation. Il s'agissait de remplacer par des bas-reliefs de bronze, représentant des scènes de la vie des Saints, ceux de plâtre placés provisoirement sur les petits autels en 1710, et qui s'y trouvaient encore[31]. C'était, dans le noble édifice, le seul détail laissé inachevé par Robert de Cotte, et la direction des Bâtiments, tenant pour règle la continuité des desseins, avait pour mission d'assurer l'achèvement des entreprises commencées. On doit voir dans la commande de 1734 un nouvel exemple de ce travail collectif périodiquement réparti entre plusieurs mains et destiné à se fondre dans l'unité rigoureuse d'un ensemble. Mais les choses avaient changé, depuis le temps où les sculpteurs employés à la Chapelle de Versailles travaillaient sous une telle discipline et avec des façons si pareilles qu'il restait difficile, et presque impossible, de distinguer les ouvrages de chacun d'eux. La personnalité des artistes commençait à s'affirmer davantage ; nul ne voulait plus restreindre les droits de son imagination et les recherches originales de son métier ; et la parure charmante, mais inégale, qui s'apprêtait pour notre Chapelle, allait déployer, au milieu de sa riche décoration partout sagement réglée, une variété d'inspiration qui ne s'y trouvait pas prévue.

La commande du duc d'Antin s'exécuta avec lenteur. Les sculpteurs n'avaient pas reçu la fourniture du bronze, lorsque le directeur des Bâtiments mourut, le 2 novembre 1736. Les premiers acomptes, datés de 1737, appartiennent à l'administration de son successeur, Philibert Orry, qui prit fin le 6 décembre 1745, les travaux n'étant point terminés. Les bas-reliefs ne furent posés qu'au commencement de l'année 1747, sous la direction de Le Normant de Tournehem. Si l'on songe que les premiers modèles destinés à garnir les autels remontent à l'époque où fut entreprise la décoration de la Chapelle, on constate qu'on avait mis quarante ans à terminer l'unique partie qui y fût restée en suspens. Nous y avons gagné l'introduction de plusieurs morceaux excellents et d'un sentiment moins monotone, qui n'altèrent en rien l'harmonie générale et viennent seulement souligner la transformation de l'art.

Il y a six autels dans les bas-côtés, outre les deux de l'étage des tribunes, l'un à la chapelle de la Vierge, l'autre dédié à sainte Thérèse. Au-dessous du crucifix qu'accompagnent les délicieux angelots de bronze de Cayot, variés pour chaque autel, une double bordure de marbre et de bronze contient des bas-reliefs fondus à cire perdue. On trouve, dans le bas-côté de droite, Sainte Adélaïde quittant saint Odilon, abbé de Cluny, par Adam l'ainé, le seul signé de nos bas-reliefs (Lamb. Sigisb. Adam natu maior invenit et fecit, 1742) ; Sainte Anne instruisant la Vierge, fondu par les soins de Verberckt ; Saint Charles Borromée demandant, dans une procession solennelle, la cessation de la peste de Milan, par Bouchardon ; dans le bas-côté de gauche, le Martyre de sainte Victoire, par Nicolas-Sébastien Adam, dit le cadet ; Saint Louis servant les pauvres, à l'autel de la chapelle dédiés à saint Louis, bas-relief fondu par les soins de deux des frères Slodtz, Sébastien-Antoine et Paul-Ambroise ; le Martyre de saint Philippe, par Ladatte. Le bas-relief représentant la Mort de sainte Thérèse, entourée de ses compagnes, est de Vinache, et celui de la Visitation, qui est au devant de l'autel de la Vierge, de Guillaume Coustou le fils. Ces attributions sont celles que permettent de vérifier les documents d'archives[32]. Il est aisé de voir que deux de ces bas-reliefs offrent avec les autres des différences de style considérables et se réclament plutôt de l'art de la fin du règne de Louis XIV. On peut penser que Verberckt et les frères Slodtz n'ont fait qu'assurer l'exécution en bronze de deux des plâtres anciennement posés, l'un, celui de l'autel de sainte Anne, modelé par Cayot, l'autre, celui de saint Louis, modelé par Sébastien Slodtz le père. La froideur est surtout sensible dans ce dernier, où le roi, en culotte courte et manteau fleurdelysé, apporte des aliments à trois pauvres attablés, tandis que des serviteurs s'empressent et que des pages admirent cet acte de charité, rappelant peut-être la cérémonie royale qui avait lieu à Versailles, le jeudi saint. Les six autres bas-reliefs, d'une composition bien plus riche et plus vivante, nous font voir comment, en ce moment du dix-huitième siècle, des éléments pittoresques et d'un réalisme moins discret qu'autrefois prennent place dans le bas-relief décoratif.

Les deux Adam ont traité avec une imagination presque picturale les beaux sujets qui leur étaient offerts. Dans le bas-relief consacré à sainte Adélaïde, reine d'Italie, puis impératrice d'Allemagne, et patronne de la duchesse de Bourgogne, mère de Louis XV, le contraste est fortement marqué entre le groupe de la reine agenouillée avec ses suivantes et celui que forment, sur le seuil de l'abbaye, saint Odilon entouré de ses moines. Le Martyre de sainte Victoire, qu'Adam le jeune exposa deux fois au Salon, le plâtre en 1737, le bronze en 1743, fut regardé par les contemporains comme son œuvre la meilleure. La scène mouvementée qu'il a conçue justifie cette opinion ; au milieu la vierge chrétienne, qui a refusé de sacrifier à Jupiter, vient de se frapper du glaive ; sa grâce et sa faiblesse sont mises en valeur par les figures de violence qui l'entourent, le bourreau qui la délie de ses cordes, le grand-prêtre qui lui montre d'un geste impérieux la statue du dieu, dont seul le pied apparaît sur le socle, l'esclave qui maintient auprès de l'autel un taureau furieux ; dans le fond du tableau de bronze, apparaissent les terrasses d'un palais. Pour une composition plus paisible, la Procession de la peste de Milan, Bouchardon n'a pas été moins bien inspiré ; l'ardeur extasiée de l'archevêque chantant des prières, la noble démarche du clergé richement vêtu qui soutient ou précède le dais, l'aspect lamentable des suppliants, forment une scène d'une majesté émouvante et d'une curieuse vérité. On a le dessin d'un premier projet, et le plâtre de Bouchardon parut au Salon de 1739, à côté du modèle en terre-cuite de sa statue fameuse de l'Amour se taillant un arc dans la massue d'Hercule. La Visitation de Guillaume Coustou le fils, de qui ce fut l'œuvre de début à son retour de Rome, et la Mort de sainte Thérèse de Vinache ne sauraient être comparées à d'aussi brillants chefs-d'œuvre ; mais le premier bas-relief se recommande par la distinction des figures principales, le second, par la sincérité de l'émotion. Il n'y a guère que le Saint Philippe de Ladatte qu'on puisse trouver médiocre, avec l'expression grimaçante des visages et la surabondance des draperies, qui exagèrent et défigurent le style dramatique des Adam.

 

Un ensemble de sculpture, plus considérable encore que les bronzes de la Chapelle, est installé dans les jardins de Versailles. Ce sont les grands ouvrages de plomb du Bassin de Neptune. Cette commande, postérieure à la précédente, quoique terminée avant elle, paraît être la première à l'exécution de laquelle préside Philibert Orry, qui succède au duc d'Antin en 1736. Mais elle a été préparée, en 1735, par un concours pour la composition centrale, le Triomphe de Neptune, où fut préféré le projet de Lambert-Sigisbert Adam. C'est aux Comptes des Bâtiments de 1737 que figure le paiement des trois modèles de la pièce de Neptune commandés à Edme Bouchardon, à Adam l'aîné et à Jean-Baptiste Lemoine. En 1738, les acomptes donnés aux artistes indiquent que l'ouvrage en plomb se trouve déjà en cours d'exécution, et les parfaits paiements sont de l'année 1742 pour Adam et pour Lemoine ; le premier reçoit 30.000 livres pour l'ensemble où figurent Neptune et Amphitrite ; le second, 13.500 livres pour son groupe de l'Océan, d'importance égale à celui de Protée, par Bouchardon[33]. C'est celui-ci qui a été terminé le premier, si l'on s'en tient aux inscriptions ainsi conçues : Edmundus Bouchardon faciebat A° Di 1739. — Jean Bap. Lemoine faciebat 1740. — Lat Sigisbertus Adam natu maior int et fecit 1740[34].

Le Triomphe de Neptune est un morceau d'une importance exceptionnelle, et la description qu'en donna le Mercure de France, au cahier de janvier 174 !, témoigne de l'intérêt qu'il inspira aux contemporains. Même sous Louis XIV, on n'avait pas osé entreprendre une aussi vaste fonte de plomb[35]. Les figures ont quatre mètres de proportions et l'ensemble quatorze mètres de long. Sigisbert Adam ne l'a point exécuté seul ; il était associé à son frère Nicolas-Sébastien, qui l'aida à son retour de Rome, et le jeune François-Gaspard Adam prit une part assez active dans la pratique du modèle des nombreux accessoires qui décorent ce groupe. Dès le début des travaux, les sculpteurs se plaignirent de ne pas recevoir à temps l'argent qui permettait de payer leurs ouvriers. Le groupe mis en place, Sigisbert Adam ne cessa de réclamer auprès du directeur général, fournissant un mémoire de 45.000 livres et prétendant n'y trouver aucun bénéfice. Son dernier placet paraît faire appel à une gratification du Roi, qui se contenta de lui accorder une pension de 500 livres, pour marquer sa satisfaction du travail de Neptune[36]. Ce chef-d'œuvre des artistes lorrains soutient la comparaison avec un autre triomphe marin, celui d'Apollon par Tubi, placé à l'extrémité des jardins.

Une véritable reconstruction du Bassin de Neptune avait précédé les travaux des sculpteurs. Elle fut achevée au mois d'août 1741, et les eaux jouèrent le de ce mois, devant le Roi et la Cour, après une interruption de plusieurs années[37]. Ce grand ouvrage était annoncé au public par Piganiol de la Force, dans son édition de 1738 ; il y rappelait fort exactement les projets de Louis XIV sur le Bassin de Neptune : On vient de rebâtir la tablette qui domine sur ce bassin, et on l'a construite avec plus de solidité et avec des ornements d'architecture et de sculpture qu'elle n'avait pas auparavant. Dès le vivant du roi Louis XIV, on avait formé le dessein d'orner ce bassin de quelques morceaux de sculpture qui fissent connaître que c'était ici le triomphe de Neptune ; mais ce projet n'a point eu d'exécution. Dans la face de cette tablette, sont trois massifs de fondement ou plateaux, sur lesquels seront des groupes de figures de métal bronzé, qui représenteront Neptune accompagné d'Amphitrite, de néréides, de tritons, de chevaux et de monstres marins. Les modèles de tous ces groupes sont fixés et il ne reste plus qu'à les jeter en fonte, ce qui sera incessamment exécuté[38]. Le remaniement architectural complet, exécuté par Jacques Gabriel, fut entrepris dès 1733. A ce moment commença la réfection du chêneau supérieur, dont les plombs étaient en mauvais état, et des canalisations qui n'avaient pas moins souffert. Les trois gradins de pierre, dont Mansart avait encadré la partie circulaire, furent remplacés par une simple margelle. On restaura les vases, vasques et coquilles de plomb, que leurs armatures oxydées laissaient s'affaisser et se fendre. Le long mur fut reconstruit entièrement ; mais le décor se trouva renouvelé surtout par l'addition de ces plateaux, presque à fleur d'eau, sur lesquels se posèrent les groupes colossaux de plomb doré.

A la distance où ils sont placés, ils produisent un effet grandiose. Ils sont cependant de valeur inégale ; le morceau un peu maniéré de J.-B. Lemoine se ressent de la jeunesse du sculpteur et de l'influence italienne qu'il subissait encore. C'est le groupe de droite, qui représente l'Océan dans la nudité d'un jeune dieu, étendu sur un monstre marin ; sous l'énorme coquillage qui les porte, apparaissent d'autres têtes du troupeau de Neptune, dont Protée est le gardien. Sur le plateau de gauche, se voit Protée lui-même, vieillard couché sur une licorne, entouré de poissons et de plantes de mer. Au centre du bassin, supporté par le dos d'un monstre dont la gueule jette une ample nappe d'eau, est le couple des grandes divinités ; Neptune, presque nu, brandit le trident sur les flots ; Amphitrite, gracieusement étendue, avec un enfant auprès d'elle, reçoit des mains d'une néréide une branche de corail, qui symbolise les richesses des eaux. Une vache marine, un cheval cabré que dompte un triton, occupent encore le vaste plateau, que deux dauphins soulèvent, tandis qu'un triton puissant nage au-devant ; sonnant de la conque.

A ces grands ouvrages, disposés pour servir de motifs aux gerbes jaillissantes des eaux, s'ajoutent de chaque côté du bassin deux Amours chevauchant des dragons géants. Bouchardon, qui est l'auteur de ces groupes et les a signés comme le Protée, y interprète l'enfance, en dépit de ses proportions colossales, dans le sentiment gracieux du dix-huitième siècle. Les mains potelées nouent une écharpe au col du monstre, qui se redresse avec vigueur, bat le sol de sa queue, essaie de se débarrasser du petit cavalier ; mais celui-ci soutient l'effort en souriant et maîtrise avec aisance la bête en furie. Malgré le style accusé du temps, particulièrement sensible en ces derniers morceaux, la nouvelle décoration du Bassin de Neptune prend place sans disparate auprès de l'ancienne. Réalisant une pensée d'autrefois au milieu d'un siècle bien différent de celui qui l'a conçue, elle s'y adapte aisément, parce que le sens de la grandeur n'est point perdu. Nul exemple n'enseigne mieux la continuité de l'art français et la manière dont les générations les plus diverses enrichissaient tour à tour le trésor national, en restant fidèles aux principes essentiels de notre génie.

 

 

 



[1] Rapport du 16 novembre 1724, adressé par le commissaire de police Pierre Narbonne au comte de Maurepas (Narbonne, Journal des règnes de Louis XIV et Louis XV, éd. J.-A. Le Roi, Versailles, 1866, p. 112). Le duc d'Antin donne, en 1717, des ordres pour la propreté de Versailles (Archives Nationales, O1 11298, p. 159).

[2] Le Czar alla l'après-dinée [du 24 mai] à Versailles, où il demeurera quelques jours. Il descendit au Grand Degré de marbre [escalier des Ambassadeurs] ; il parut surpris de la Galerie et de la Chapelle. On lui a préparé l'appartement de Madame la Dauphine, et il couchera dans la communication que Mgr le duc de Bourgogne avait faite de l'antichambre du Roi à cet appartement (Journal du marquis de Dangeau, t. XVII, p. 95). Cette communication, dont il est question au tome II de cette Histoire, p. 211, devint plus tard les cabinets de la Reine.

[3] Pierre-le-Grand séjourna à Versailles du 24 au 27 mai 1717 ; à Trianon, dans l'appartement de Trianon-sous-Bois, du 3 au 12 juin : Le 12, il quitta ces lieux enchantés pour revenir à Paris. Il passa par Versailles, où il dîna. Avant de se mettre à table, il vit tous les appartements et le Cabinet des Curiosités, qui est auprès de la pièce de la Chapelle ; on lui montra les médailles et les coquillages. Les livres curieux et les estampes magnifiques des anciens ballets du Roi l'occupèrent plus agréablement que tout autre chose. Il descendit à la Grande et à la Petite Écurie ; il vit travailler, dans l'une et dans l'autre, plusieurs chevaux que les écuyers montèrent en sa présence. Il monta en carrosse sur les cinq heures. (Mercure de France, juin 1717. Cf. Gazette, 1717, p. 276, 288, 300).

[4] Narbonne, Journal, p. 68. Le commissaire donne le nombre des habitants de la ville au moment du retour du Roi. lis sont 24.995, dont 4.000 dans le Château et son enceinte, princes, seigneurs, officiers et domestiques, 400 à la Grande Écurie, 400 à la Petite Écurie, 1.500 au Grand-Commun, etc. Les divers corps de la garde du Roi comptent pour 1.434 habitants. Ces chiffres s'élèveront progressivement au cours du siècle.

[5] Archives Nationales, O1 2222, fol. 299. Nolhac, Le Château de Versailles sous Louis XV, Paris, 1898, p. 173-179.

[6] Blondel dit que la cour des Cerfs est ainsi nommée à cause d'un assez grand nombre de têtes de ces animaux sculptées et coloriées avec soin et dont les bois seulement sont naturels. En 1720, le sculpteur Hardy est payé tant d'une tête de daim et d'une de cerf, qu'il a faites en plâtre et posées dans la cour des Cerfs du Château de Versailles, que des moules et creux d'icelles qu'il a aussi faits (Archives Nationales, O1 2223, O1 2229).

[7] Saint-Simon, éd. Chéruel, t. XIX, p. 318. Le duc et la duchesse d'Orléans habitaient jusqu'alors au premier étage de l'aile du Midi, dite aile des Princes.

[8] Saint-Simon, t. XII, p. 400. Cf. Duclos, Mémoires secrets, éd. Petitot, t. I, p. 507.

[9] Saint-Simon, t. XIII, p. 86. Narbonne, Journal, p. 70.

[10] Saint-Simon parle de l'appartement bas de Monseigneur, où M. le duc d'Orléans était mort et que M. le Duc avait eu ensuite (t. XVI, p. 260) ; et Villars nous apprend, en mars 1728, que le Roi donna à M. le duc d'Orléans l'appartement qu'avait M. le Duc (Mémoires du maréchal de Villars, éd. Vogüé, t. V, p. 124).

[11] Les travaux ont commencé en 1712. L'état des ouvrages à faire pour cette année prévoit une dépense de 80.000 livres pour la décoration de marbre, sculpture et dorure du nouveau salon près de la Chapelle (Archives Nationales, O1 1795).

[12] Il n'y a plus que trois fenêtres du côté de la cour de la Chapelle, depuis que l'aile de Gabriel, plus large, a remplacé celle de Le Vau ; l'équilibre architectural du Salon d'Hercule y a gagné. Cet élargissement était, d'ailleurs, prévu dans les plans de reconstruction de Mansart.

[13] L'installation des figures de la Gloire tenant le portrait de Louis XV, par Vassé, et de la Magnanimité, par Bousseau, est de 1730, d'après un feuillet descriptif détaché d'un album du Roi (Cabinet des Estampes, V a 364).

[14] Les paiements à Vassé pour le Salon d'Hercule vont de 1729 au 18 juillet 1736. Le détail n'est donné que pour les ouvrages de bronze doré d'or moulu qu'il a faits pour la cheminée du Salon de marbre près la Chapelle et qui ont été payés 9.230 livres (Archives Nationales, O1 2236). Ils comprennent l'admirable tête d'Hercule au centre de la cheminée et probablement le cadre qui la surmonte. Le marbrier du salon est Claude Tarlé.

[15] La première mention que j'ai rencontrée du sieur Verberckt, en association avec les anciens sculpteurs des Bâtiments, est de l'année 1730, pour travaux à Versailles dans l'appartement de la Reine. Une mention plus précise est faite, au 20 octobre 1732, pour des travaux de Marly (O1 2230, 2231). En 1733, Verberckt travaille encore avec Le Goupil ; en 1734, son nom paraît tout seul dans les diverses maisons royales où fonctionne son atelier (O1 2233, 2234). Jacques Verberckt a dans Jal une biographie complète. Né à Anvers en 1704, venu de bonne heure à Paris, où il s'est marié deux fois, la seconde fois en 1735 avec la fille du sculpteur Le Goupil, nommé lui-même sculpteur du Roi, logé au Louvre, il a été agréé à l'Académie royale de peinture et de sculpture, le 31 janvier 1733.

[16] Bruzen de La Martinière, Grand dictionnaire géographique, Paris, 1741, t. VI ; art. Versailles.

[17] Le portrait de Louis XIV, jadis au Salon de l'Abondance, fut retrouvé par l'anglais Craufurd dans une de ces échoppes parisiennes que la Révolution avait remplies à vil prix d'objets précieux ; au retour de Louis XVIII, cet amateur l'offrit au Roi. (V. la notice de Barrière sur Craufurd, en tête des Mémoires de Madame du Haussez, éd. Didot, p. 27, où le tableau est attribué à Le Brun).

[18] Archives Nationales, O1 2229. Fernand Engerand, Inventaire des tableaux commandés et achetés par la direction des Bâtiments du Roi (1709-1792), Paris, 1901, p. 280. Éloge de Le Moyne par le comte de Caylus, lu à l'Académie royale le 6 juillet 1748, dans les Vies des Premiers Peintres du Roi depuis M. Le Brun jusqu'à présent, Paris, 1752, t. II, p. 102.

[19] Vie manuscrite de François Le Moyne, par D. Nonnotte, publiée par Jules Gauthier dans le vol. XXVI de la Réunion des Sociétés des Beaux-Arts, Paris, 1902, p. 528-529.

[20] Voici comment est formulée la légende dans le Siècle de Louis XIV : Cette apothéose d'Hercule était une flatterie pour le cardinal Hercule de Fleury, qui n'avait rien. de commun avec l'Hercule de la Fable. Il eut mieux valu, dans le salon d'un roi de France, représenter l'apothéose de Henri IV. (Œuvres de Voltaire, éd. Beuchot, t. XIX, p. 230).

[21] Nonnotte, l. c., p. 534. Le sculpteur Vassé n'assista pas à l'inauguration définitive du Salon d'Hercule ; il était mort le premier janvier 1736, âgé de cinquante-trois ans.

[22] Œuvres de Voltaire, éd. Beuchot, t. XX, p. 330 (Siècle de Louis XIV). Nonnotte, l. c., p. 531.

[23] Lépicié a composé un livret explicatif au moment de l'achèvement de son œuvre (huit pages imprimées par J. Collombat, réimprimées en 1752, à la suite du discours de Caylus, et par A. de Montaiglon dans la Revue universelle des Arts, t. XIV, p. 197). Le peintre comprenait ainsi son sujet : L'amour de la Vertu élève l'homme au-dessus de lui-même et le rend supérieur aux travaux les plus difficiles et les plus périlleux. Les obstacles s'évanouissent à la vue des intérêts de son Roi et de sa patrie ; soutenu par l'honneur et conduit par la fidélité, il arrive par ses actions à l'immortalité. L'apothéose d'Hercule nous a paru propre à développer cette pensée. Ce Héros, pendant le cours de sa vie, ne fut occupé qu'à s'immortaliser par des actions vertueuses et héroïques ; et Jupiter, dont il avait été l'image sur la terre, couronne ses travaux dans le ciel par le don de la Divinité dont il lui fait part...

[24] Archives Nationales, O1 1773. Ces dessins ont été reproduits dans la Gazette des Beaux-Arts de 1896, t. II, p. 39, dans Le Château sous Louis XV, p. 103, et dans le livre du comte de Fels, Ange-Jacques Gabriel, 1698-1782, Paris, 1912, p. 176.

[25] La destruction de la chambre de la Reine en 1834 est racontée, d'après les papiers de Nepveu qui avait essayé de s'y opposer, dans la Gazette des Beaux-Arts citée, p. 49, et Le Château sous Louis XV, p. 116. On a retrouvé, dans les magasins du service d'architecture, les quatre panneaux étroits qui entouraient les glaces démolies ; deux ont pu être restaurés pour compléter une partie importante du décor sacrifié si fâcheusement par Louis-Philippe.

[26] La cheminée avait été posée en 1725 (Archives Nationales, O1 2225).

[27] Archives Nationales, O1 2235-2236. Le second sculpteur se nomme Gervais.

[28] Archives Nationales, 01 2235. V. André Michel, Fr. Boucher, Paris, 1889, p. 34 ; Nolhac, Fr. Boucher, premier peintre du Roi, Paris, 1907, p. 22 ; et les reproductions des peintures de l'artiste aux en-têtes des chapitres de La reine Marie Leczinska, Paris, 1900.

[29] La Martinière ajoute qu'au milieu de la mosaïque est un écusson des armes du Roi et de la Reine qui en font la pointe ; cet écusson n'a pas été conservé. Les dessins de Gabriel montrent aux angles des voussures des griffons ailés. Pour les remaniements du plafond dus à Rousseau, v. plus loin, p. 136.

[30] Saint-Yves, Observations sur les arts, Leyde, 1748, p. 137.

[31] Sous Louis XIV, les autels devaient être dédiés à saint Louis, à sainte Thérèse, patronne de la Reine, à sainte Anne, patronne de la Reine-Mère, à N.-D. des Victoires, patronne de Madame La Dauphine, à saint Philippe, patron du roi d'Espagne, à saint Charles, patron de Mgr le duc de Berry, à Sainte Adélaïde, patronne de Madame la duchesse de Bourgogne, enfin à saint Denis et à sainte Geneviève, patrons de la France et du diocèse de Paris. Ainsi s'expliquent les choix maintenus pour la plupart sous Louis XV. Les sculpteurs désignés furent Sébastien Slodtz (pour l'autel de saint Louis), P. Le Pautre, Chauveau, Vassé et Cayot, chargé des bas-reliefs de quatre autels. La question des bas-reliefs de bronze de la Chapelle a été débrouillée de la façon la plus claire par M. Louis Deshairs, dans un article de la Revue de l'art ancien et moderne, t. XIX, 1906, p. 217-230.

[32] La diversité du style des bas-reliefs est frappante. M. Deshairs observe, à ce propos, que le paiement réduit du morceau des Slodtz ne saurait être celui d'une œuvre originale spécialement commandée à ces artistes. Je peux appuyer sa remarque sur le bas-relief attribué à tort à Verberckt, par un parfait paiement fait au sculpteur de 3.700 livres, le 6 mars 1747, sur les fonds du département de Choisy, pour les bas-reliefs (sic) de la Chapelle de Versailles et aussi d'autres travaux exécutés à Choisy (Archives Nationales, O1 2244, fol. 292 ; 2246, fol. 228). Les Comptes des Bâtiments font connaitre le prix exact payé à tous les autres auteurs des bas-reliefs posés en 1747, sur lesquels ils ont reçu leurs premiers acomptes dés 1743 (O1 2243). Deux ouvrages sont l'objet d'un paiement moins important, ce sont les bas-reliefs de Guillaume Coustou le fils, de dimensions moins grandes que les autres, et celui de Claude Francin, exécuté peut-être d'après le modèle de Pierre Le Pautre, pour l'autel de la Communion adossé au maître-autel et enlevé par Gabriel, quand on a mis en face la chapelle du Sacré-Cœur. Voici la liste définitive, dressée le 16 février 1747, des paiements faits le 6 mars de la même année :

Au sieur Bouchardon sculpteur, 2.911 livres 8 sols, pour faire avec 2.000 à lui ordonnés à-compte, savoir 500 livres sur l'exercice 1737, 500 livres sur l'exercice 1739, 500 livres sur l'exercice 1742 et 500 livres sur l'exercice 1744, le parfait payement de 4.911 livres 8 sols, à quoi monte un bas-relief représentant saint Charles, qui dans une procession solennelle demande à Dieu la cessation de la peste qui affligeait la ville de Milan, qu'il a fait et posé à un des autels de la Chapelle du Château de Versailles, pendant la présente année 1747, suivant un mémoire certifié, déduction faite sur ledit mémoire de 13S livres 12 sols pour bronze provenant des magasins du Roi et resté audit sieur Bouchardon. — Aux sieurs Slodtz, 2.642 livres 10 sols..., pour trois bas-reliefs représentant saint Louis servant les pauvres, adorant la Vraie Croix et pansant les blessés, qu'il a (sic) faits et exposés à un des autels de la Chapelle... — Au sieur Adam l'aîné, 4.077 livres 6 sols..., pour un bas-relief représentant sainte Adélaïde, et deux petits vases, faits et exposés à un des autels de la Chapelle... — Au sieur Adam le jeune, 4.305 livres 18 sols..., pour un bas-relief représentant le martyre de sainte Victoire... — Au sieur Ladatte, 4.027 livres 6 sols..., pour un bas-relief représentant le martyre de saint Philippe... —Au sieur Vinache, 4.940 livres 6 sols..., pour un modèle de mausolée de feu M. le cardinal de Fleury et un bas-relief en bronze représentant la mort de sainte Thérèse... Au sieur Francin, 1.680 livres..., pour un bas-relief en bronze représentant les trois Maries venant au tombeau pour embaumer le corps de Notre-Seigneur... — Au sieur Coustou, 2.275 livres..., pour un bas-relief représentant la Visitation de la Sainte Vierge... (Archives Nationales, O1 2247, fol. 335 et suiv.).

[33] Archives Nationales, O1 2237-2242. Les modèles de Neptune paraissent avoir été payés aux sculpteurs 2.500 livres. Celui d'Adam a été seul exposé au Salon de 1737. Le parfait paiement de Bouchardon doit se confondre dans ceux qui règlent les nombreux ouvrages faits par cet artiste pour le service du Roi. D'après un mémoire écrit de sa main, ses groupes furent commencés le 4 juin 1736, finis le 9 octobre 1739 (A. Roserot, Bouchardon, Paris, 1910, p. 46).

[34] Cette inscription est gravée deux fois, sur la queue d'une baleine et au bas d'un pli de la grande coquille.

[35] La fonte générale des ouvrages de Neptune est due à Monthéan. Le Triomphe de Neptune a employé pour 115.510 livres de plomb ; le groupe de l'Océan, 63.831 livres ; celui de Protée et les deux dragons de Bouchardon, 73.350 livres. Au total, la comptabilité des Bâtiments enregistre une fourniture de 249.691 livres de plomb. Il faut y joindre environ 60.000 livres de vieux plomb pour la canalisation et les réparations des vases et coquilles (Alfred Leclerc, Le Bassin de Neptune à Versailles, Versailles, 1899, p. 27).

[36] Adam écrit, le 25 décembre 1742, à Philibert Orry : Monseigneur, Plaise à Votre Grandeur d'accorder à Sigisbert Adam, à la fin de cette année 1742, le parfait payement du groupe de Neptune, qu'il a composé et exécuté à Versailles dont la somme totale est partagée entre deux frères associés pour cet ouvrage. Il a fait des représentations l'année dernière à Votre Grandeur à ce sujet ; il laisse à Votre Grandeur le tout entre ses mains, s'il lui plait d'accorder telle gratification qu'il lui plaira en achevant le parfait payement. Jusqu'à présent, il n'a pu parvenir à payer les dettes, à beaucoup près, dans lesquelles ce grand ouvrage l'a jeté, qui a été achevé en 1740. Il prie Votre Grandeur de lui faire la grâce d'y faire attention pour le tirer de ses engagements. Ce morceau, qui a été approuvé de Sa Majesté, de toute la Cour et du public, donne lieu au suppliant d'espérer des bontés de Votre Grandeur à récompenser les arts par les dons répandus pour les encourager. Il ne cesse de travailler continuellement pour le Roi et compose de temps en temps quelque chose de nouveau à la gloire de Sa Majesté, n'y ayant personne de plus attaché que lui, en perfectionnant bien ses ouvrages. Son intention est de pouvoir pousser la sculpture en marbre et en bronze à un degré de perfection et de légèreté où on n'ait pas encore atteint... (Nouvelles Archives de l'Art français, t. VIII, p. 170). Il ne faut pas prendre trop au sérieux les doléances de cet artiste, non plus que ses prétentions au premier rang dans l'école française.

[37] Le Roi est sorti à cinq heures et demie, en calèches, et a mis pied à terre au Dragon. Cette pièce, une des plus belles qu'il y ait ici, n'avait pas été entièrement achevée sous Louis XIV. Le Roi y avait déjà fait travailler ; mais en dernier lieu il y avait un ouvrage considérable à y faire et on demandait 500.000 livres, tant pour les réparations que pour les augmentations ; cette somme à été réduite à 100.000 écus par M. le contrôleur général, et on l'a fait jouer aujourd'hui pour la première fois (Luynes, Mémoires, t. III, p. 451).

[38] Cf. Histoire du Château de Versailles, t. II, p. 56, et le travail cité d'Alfred Leclerc, où l'on trouvera tous les détails sur la seconde reconstruction du Bassin de Neptune, terminée en 1889.