AUTOUR DE LA REINE

 

L'AILE DES PRINCES.

 

 

MONSIEUR, comte de Provence, frère du Roi, habita l'appartement du Dauphin, à partir de son mariage, célébré le 14 mai 1771, et Madame eut celui de la Dauphine, que Marie-Antoinette avait occupé quelques mois à son arrivée à Versailles. La seule œuvre d'art qui reste de cette époque est une petite salle de bains en boiseries, sur la cour du Dauphin, qui est probablement un ouvrage des frères Rousseau ; sur des écussons suspendus, entre des branches d'olivier, à un ruban auquel s'attachent des bouquets, on lit en chiffres diversement enlacés les lettres M J L S, qui se rapportent à Marie-Josèphe-Louise de Savoie, comtesse de Provence[1]. L'appartement provisoirement laissé à Monsieur et à Madame fut destiné au Dauphin, dès que celui-ci eut cinq ans et sortit des mains de Mme de Polignac pour être confié à ses gouverneurs et sous-gouverneurs. La plupart des pièces de Madame servirent à loger le duc d'Harcourt, gouverneur, et sa famille, qui y restèrent jusqu'en juin 1789.

Dès le mois de novembre 1786, il est question du nouvel appartement de Monsieur et du nouvel appartement de Madame, à l'extrémité de l'aile du Midi ou aile des Princes ; l'un est celui qu'habitaient les petits ducs d'Angoulême et de Berry, qu'on envoie dans l'aile du Nord, l'autre est abandonné par la princesse de Lamballe[2]. Au pavillon de Provence, Madame avait vue sur la rue et sur la petite cour de Monsieur ; son appartement était à un niveau plus bas que celui du parterre, réservé à son mari et communiquant de même avec le corps du Château par la galerie basse des Princes[3]. Il ne reste plus chez Madame que quelques panneaux de portes et une glace d'époque Louis XVI ; mais Versailles a conservé le bel escalier de Monsieur, qui dessert tous les étages du pavillon de Provence et rappelle l'installation du frère aîné de Louis XVI à la veille de la Révolution[4].

A partir de 1787, on vit très souvent la famille royale dans cette partie du Château, car elle se réunissait chez Madame tous les soirs, à neuf heures précises... pour le souper ; on y mangeait le fameux potage aux petits oiseaux, qu'elle préparait elle-même. Chacun y faisait porter ses mets, auxquels on mettait la dernière main dans de petites cuisines à portée de l'appartement de Madame. — Excepté les jours où il donnait à souper chez lui, le Roi n'y manquait pas un seul jour.... Aussitôt que le Roi était arrivé, chacun prenait sa place ; tout le service se retirait et les portes se fermaient sur eux. On avait placé à la portée de chaque convive tout ce qui était nécessaire pour qu'il pût se servir lui-même... Si on ne peut rien dire, précisément de ce qui se passait ou de ce qui se disait dans cette auguste réunion de famille, on peut conjecturer cependant, par les grands éclats de rire qu'on entendait fréquemment, qu'elle n'était rien moins que triste[5]. La Reine qui avait dîné tard, à quatre ou cinq heures, ne dépliait pas souvent sa serviette, et brodait et cousait, tout en causant. A onze heures, le Roi sonnait, le service entrait et chacun se retirait dans ses appartements.

Ces habitudes bourgeoises de Louis XVI et de sa famille prirent fin aux premiers troubles révolutionnaires. On l'apprend en juillet 1789, quelques jours avant le renvoi de Necker et la prise de la Bastille, par la lettre d'une dame qui a trouvé à la Cour bien des changements. C'est chez la Reine qu'on se réunit, et les raisons en sont assez significatives : La famille royale ne mange plus chez Madame, comme c'était l'usage, parce que l'appartement de Madame est trop isolé et trop loin des secours, et donne sur la rue. Depuis tous les trains, on prend de grandes précautions. La famille royale mange actuellement chez la Reine, où il n'y a rien à craindre, puisqu'il — l'appartement — est entouré de gardes du corps[6]. Les journées d'octobre devaient justifier ces précautions et montrer que le Roi n'était même pas en sûreté dans sa maison.

 

L'aile du Midi était toujours réservée aux princes. L'exposition plus aérée, la vue plus étendue dont on jouit de ce côté, faisaient que toute la famille royale y logeait de préférence ; mais il y avait aussi, dit le comte d'Hézecques, bien des seigneurs de la Cour qui y habitaient. Quoique les appartements qu'ils y occupaient fussent sombres et incommodes, étant situés sous les combles, ils les trouvaient toujours plus agréables, pour passer quelques jours à la Cour, que les hôtels qu'ils avaient en ville. Obligés par leur charge d'être au Château plusieurs fois par jour, ils n'avaient que des galeries à traverser, sans être obligés de faire atteler leurs équipages qui restaient, ainsi que leurs cuisines, dans leurs hôtels. Ces observations peuvent s'appliquer non seulement à l'aile des Princes, mais à l'ensemble des logements accordés par le Roi et mis sous la surveillance du grand maréchal des logis.

Le comte et la comtesse d'Artois jouissaient des deux tiers du premier étage, à partir de l'escalier des Princes[7]. Le reste de l'aile fut habité jusqu'en 1780 par le duc d'Orléans et son fils, le duc de Chartres, qui le cédèrent alors à Madame Elisabeth et à sa dame d'honneur, Diane de Polignac. Le duc d'Orléans ne paraît pas avoir gardé de logement au Château. Le duc de Chartres se transporta dans l'appartement du duc de Créquy et la duchesse dans celui de Mme de Marsan ; ils se trouvaient l'un et l'autre à l'extrémité de l'aile du Midi, dans les bâtiments aux façades de brique et de pierre, qui ont une entrée sur la petite cour des Princes[8]. La mort de son père au château de Sainte-Assise, le 18 novembre 1785, changea le nom du duc de Chartres et fit appeler pavillon d'Orléans celui qu'il habitait à Versailles. L'appartement du duc d'Orléans et celui de la duchesse étaient desservis par l'escalier intérieur du pavillon, et le second communiquait aussi, par le palier de l'escalier des Princes, avec la salle des Cent-Suisses, qui menait aux parties du Château habitées par le Roi et la Reine. De l'autre côté de la petite cour des Princes, était l'appartement des Polignac, occupé après eux par la comtesse d'Ossun, d'où Marie-Antoinette a dû quelquefois regarder les fenêtres de ce cousin devenu son mortel ennemi[9].

Le duc d'Orléans, surtout dans les derniers temps, venait le moins possible à la Cour. Le premier prince du sang ne pouvait pourtant se dispenser d'y paraître et, dans ce cas, il se servait plus volontiers de sa maison de la rue des Hôtels — aujourd'hui rue Colbert —, laissant probablement à la duchesse l'usage d'un appartement dédaigné. Il se montra au Château un instant, et seulement comme député aux Etats, le 6 octobre 1789. Beaucoup de témoins, échauffés par l'émotion des événements ou la passion de parti, voulurent le voir ce jour-là en plusieurs endroits de Versailles, au milieu de la populace qui l'envahissait ; la procédure ouverte au Châtelet est pleine de ces calomnies souvent involontaires, auxquelles il a répondu sans réplique[10]. Mais les émissaires de la faction d'Orléans se trouvaient partout, pendant les tragiques journées, et l'on peut admettre que l'appartement de leur maître fournissait un excellent poste d'observation au milieu du Château et au point même où les premiers groupes y pénétrèrent par la grille de la cour des Princes.

 

Comment ne pas essayer de retrouver l'appartement de la princesse de Lamballe ? Il se trouvait précisément dans l'aile des Princes. La surintendante de la Maison de la Reine occupa d'abord douze pièces et onze d'entresol, situées au premier étage et donnant sur la cour de Monsieur et la rue de la Surintendance. De la rue, on doit chercher au deuxième étage les fenêtres de la princesse. L'appartement était celui du duc de Penthièvre, qui l'avait abandonné à sa belle-fille pour en accepter un dans la cour Royale, au pavillon de la Vieille Aile. Elle s'y établit, lorsqu'elle accepta la charge offerte par l'amitié de la Reine, le 16 septembre 1775 ; elle y faisait faire de grands changements à la fin de l'année suivante, et Mercy prétend même qu'elle en tirait prétexte pour ne pas tenir maison cet hiver-là. Elle s'y trouvait peu éloignée de Mme de Guéméné, qui habitait au bout de l'aile du Midi, sur le parterre, l'appartement des Enfants de France. Cette partie du Château était donc alors très fréquentée par Marie-Antoinette ; l'ambassadeur de Marie-Thérèse ne cesse de se plaindre des soirées qu'elle passe dans le salon de la gouvernante ou dans celui de la surintendante, chez qui l'on joue toujours très gros jeu[11].

La princesse de Lamballe quitte cet appartement en 1780, au moment où Madame Elisabeth et sa darne d'honneur, Diane de Polignac, s'installent dans celui du duc d'Orléans tout voisin[12]. Elle est remplacée par le petit duc d'Angoulême, fils aîné du comte d'Artois, et elle descend dans l'appartement placé au-dessous de celui qu'elle abandonne et qui est composé de la même façon. On y trouve salon, petit salon, boudoir, bibliothèque, chambre à coucher, antichambres, salle à manger, garde-robe, bains, chambre de la dame d'honneur et entresols. A cette époque, Marie-Antoinette, n'a plus ses habitudes chez la princesse. Plus tard, quand le comte de Provence et Madame viennent s'établir dans l'aile du Midi, Mme de Lamballe cède sa place à Madame. Elle reçoit, le 29 décembre 1786, un appartement à côté de celui de Mme la duchesse de Bourbon, donnant sur la galerie basse des Princes. On peut en chercher l'emplacement dans les salles 71 et 72, desservies par la galerie de pierre ; elles sont de plain-pied avec la terrasse et se divisaient autrefois, ainsi que le vestibule voisin par des cloisons et des entresols. Cette installation, toute proche de celle de la duchesse de Bourbon (salles 67 à 70), fut la troisième qu'eut au Château Mme de Lamballe[13]. Ce n'était, d'ailleurs, qu'un pied-à-terre, lorsque l'appelaient auprès de la Reine les obligations de sa charge. L'amitié royale refroidie ne l'attirait plus ; elle vivait d'ordinaire à la campagne, auprès de son beau-père, le vénérable duc de Penthièvre et, quand elle venait à Versailles, elle avait, rue des Bons-Enfants, son habitation particulière à l'hôtel du Maine.

Tout ce rez-de-chaussée de l'aile des Princes a été défiguré par Louis-Philippe, qui ne pouvait attacher de souvenirs bien chers à aucun des appartements qu'il renfermait. Les campagnes d'Italie depuis 1796 et la suite de l'histoire militaire de Napoléon y sont seules évoquées aujourd'hui avec les tableaux commandés par l'empereur et réunis par le roi-citoyen pour l'organisation de son musée. Quant aux installations du premier étage qu'on vient de rappeler, elles ont fait place à la Galerie des Batailles. Louis-Philippe n'avait épargné, dans cette partie du Château, que le pied-à-terre de ses parents, d'où il avait été mêlé, dans son adolescence, comme fils aîné du premier prince du sang, aux splendeurs de l'ancien Versailles.

 

 

 



[1] Nolhac, Le Château sous Louis XV, p. 154.

[2] Le 15 janvier et le 5 février 1787, on reçoit de la Manufacture de glaces celles qui sont destinées aux deux appartements, auxquels on travaille pendant les trois premiers mois de l'année. Aussitôt après, on s'occupe d'installer le Dauphin, qui s'y trouve au mois d'avril (Registres des magasins).

[3] Ces appartements du comte et de la comtesse de Provence, habités avant eux par la princesse de Lamballe, ont été transformés pour servir au président de la Chambre des députés. On a détruit alors les belles boiseries en chêne naturel de la bibliothèque de Monsieur, pour établir un escalier de service (Dussieux, t. II, p. 8).

[4] L'escalier du pavillon de Provence a été refait, au moins partiellement, en 1788, comme l'atteste le rapport suivant, daté du 24 avril et curieux par les indications qu'il contient sur les travaux et les goûts de Louis XVI : J'ai l'honneur de rendre compte à M. le directeur général que le Roi m'a ordonné, il y a quelque temps, de lui lever exactement toutes les mesures de la cage du degré de Monsieur et Madame à l'extrémité de la galerie des Princes ; qu'ensuite Sa Majesté a projeté Elle-même un nouveau degré beaucoup plus commode que celui qui existe pour les abords des appartements de Monsieur et Madame, et qu'enfin Elle m'a remis le projet de ce nouveau degré tout étudié avec ordre de dire à M. le directeur général qu'elle désirerait qu'on s'occupât de le tailler d'avance, afin de pouvoir le mettre en place pendant le voyage que la Cour doit faire cette année à Fontainebleau. J'aurai l'honneur de remettre incessamment à M. le directeur général une copie conforme des plans que Sa Majesté a faits. Une autre pièce mentionne les plans étudiés et mis au net par Sa Majesté Elle-même. (Archives nationales, O1 1806).

[5] Hézecques, Souvenirs d'un page, p. 58. Les mémoires de M. de Séguret, p. 18. La bouche de Madame, celle de la comtesse d'Artois et la cuisine de Mme de Polignac étaient, à la fin du règne, dans le bâtiment de l'ancienne Surintendance, situé en face de l'Hôtel de la Guerre.

[6] Lettre de la marquise de Lostanges, écrite en juillet 1789 (Revue historique, t. CXVI, 1912, p. 304). La visiteuse ajoute ces indications : Nous avons trouvé une salle des gardes du corps de plus dans le Salon d'Hercule, et une salle des Cent-Suisses immédiatement après, dans le salon de la Chapelle. On garde de tous les côtés l'appartement royal, ce qui n'empêchera pas l'événement du 6 octobre.

[7] M. le comte et Mme la comtesse d'Artois occupaient... avec Madame Elisabeth tout le premier étage de l'aile droite du Château qui donnait sur l'Orangerie, dans la galerie appelée galerie des Princes. Ces appartements, quoique vastes, ne l'étaient pas tant que plusieurs cabinets ne tirassent leur jour de la galerie et ne fussent très obscurs (Hézecques, p. 63 ; cf. p. 146). La marquise de La Tour-du-Pin mentionne le logement de sa tante, la princesse d'Hénin, donnant sur le parc, très haut au-dessus de la galerie des Princes. (Journal d'une femme de cinquante ans, Paris, 1913, t. I, p. 179, 223, 228.)

[8] Au rez-de-chaussée, au-dessus de l'appartement d'Orléans, était logé le duc de Coigny, qui avait son entrée sur la cour des Princes (Nolhac, Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 96).

[9] Le premier étage du pavillon d'Orléans contient encore une pièce avec sa boiserie du XVIIIe siècle. Il en existait d'autres, avant les destructions accomplies pour installer les services de la Chambre des députés, en 1875 ; Nepveu en avait fait, en 1834, sept charmants dessins offerts par lui au roi Louis-Philippe : Le Roi, écrivait-il, à chacune de ses visites revoit les appartements (du pavillon d'Orléans) avec un intérêt particulier, en se rappelant plusieurs souvenirs de son enfance. L'architecte croyait même que le duc de Chartres y était né en 1773. Louis-Philippe est né au Palais-Royal ; mais il avait habité maintes fois sans doute, avec Mme de Genlis, les appartements du Château, auxquels se rattachaient ses souvenirs de l'ancien Versailles.

[10] On trouve indiqués dans Versailles au temps de Marie-Antoinette, p. 73, la plupart des libelles contre le duc d'Orléans nés des journées d'octobre, de l'action criminelle du Châtelet et de l'enquête dont le député Chabroud fut le rapporteur. La réponse du prince est intitulée : Mémoire justificatif pour Louis-Philippe d'Orléans, écrit et publié par lui-même, en réponse d la procédure du Chatelet, Paris, 1790.

[11] Recueil d'Arneth et Geffroy, t. II, p. 398, 427, 521, 537.

[12] Travaux de novembre 1780 : L'appartement de Mme la princesse de Lamballe est très avancé ; les grandes pièces sont finies (Archives nationales, O1 1764E).

[13] L'appartement de Mme de Lamballe doit être celui qu'occupe, sur le plan de 1755, Mlle de Charolais. Un registre de magasins parle, en novembre 1787, du petit appartement, à côté de celui de Mme la duchesse de Bourbon, que le prince du Nord (sic) a occupé. Ce ne peut être celui qu'ont habité, au printemps de 1782, le grand-duc Paul et la grande-duchesse Marie, voyageant sous le nom de comte et comtesse du Nord. L'appartement mis à leur disposition, et que Mme d'Oberkirch mentionne sans dire où il se trouvait situé (t. I, p. 272), était celui du prince de Condé dans l'Aile du Nord (Revue de l'histoire de Versailles, 1902, p. 57).