AUTOUR DE LA REINE

 

LES IMAGES DE LOUIS XVII.

 

 

ON ne pourra plus traiter de cette sempiternelle question Louis XVII, qui ne lasse jamais les lecteurs, sans recourir à l'in-folio plein de documents que François Laurentie a publié, à la veille de la guerre où il devait mourir en héros. Il s'y trouve notamment tout un dossier nouveau sur le décès du 8 juin 1795, avec les assurances d'identité accumulées par les médecins, les commissaires, les témoins les plus divers. Si la foi des évasionnistes, comme on dit en jargon spécial, résiste à la production de ces pièces, dont l'absence jus- qu'à présent servait leur thèse, c'est qu'il y a une vertu secrète dans les légendes qui les rend impénétrables à la vérité.

L'histoire, aujourd'hui, orne volontiers ses livres d'une illustration qui la fait vivante. Elle aime depuis peu réunir les portraits et les estampes à des fac-similés très fidèles de documents d'archives, tirés sur des papiers anciens et donnant l'aspect des originaux. Les pièces officielles ou les correspondances intimes ainsi reproduites font participer le lecteur à l'excitation légère de l'érudit découvrant et déchiffrant les textes et lui donnent l'illusion d'être lui-même en présence du carton ou de la liasse qu'on a dépouillé pour lui. Personne n'a plus fait qu'André Marty pour développer dans le public le goût de cette vérité et encourager les écrivains d'histoire à enrichir de cette parure des livres que recommandait jadis leur seule austérité. Mais jamais pareille collection n'a été réunie sur un sujet d'aussi universelle curiosité.

Voici l'acte de baptême du duc de Normandie, dressé à Versailles le 27 mars 1785, où a signé, avec toute la famille royale, le cardinal de Rohan, grand aumônier de France, à la veille de l'Affaire du Collier ; voici les cahiers des Tuileries, où apprend à écrire le petit Louis-Charles, devenu Dauphin par la mort de son frère aîné ; voici la lettre qu'adresse Louis XVI au président de l'Assemblée législative pour l'informer qu'il a nommé un gouverneur à son fils, afin de lui enseigner l'amour de l'humanité et toutes les vertus qui conviennent au Roy d'un peuple libre ; voici le livre de blanchissage des prisonniers du Temple, sur papier bleu, écrit par le fidèle Cléry ; les lettres confiées par la Reine à M. de Jarjayes pour les oncles du petit Roi ; l'arrêté du Comité de salut public décidant que le jeune Louis, fils de Capet, sera séparé de sa mère et placé dans un appartement à part, le mieux défendu de tout le local du Temple, avec les noms de Hérault, Couthon, Danton, Barère et les autres ; les interrogatoires de l'enfant avant le procès de sa mère, paraphés par Chomette et Hébert. Mais ici toutes les pages ne sont pas reproduites ; il manque celle où s'étale l'ignoble accusation dont la Reine appela à toutes les mères, et où la signature du petit Louis-Charles Capet semble bien pitoyable. Il se dégage de tout ce dossier, que complètent des pièces sur les projets d'évasion et sur la mort, une émotion que les mêmes documents, transcrits en caractères d'imprimerie, ne donneraient pas.

Les portraits, vrais ou faux, de Louis XVII sont abondants. On est surpris de la quantité des premiers, évocateurs d'une aussi courte vie. On s'étonne moins du nombre des seconds. Toute image d'enfant de l'époque, non identifiée, donne à son possesseur, s'il est doué d'imagination, l'idée qu'il possède un Louis XVII. C'est le phénomène qui a produit, dans l'iconographie du XVIIIe siècle, tant de Pompadour apocryphes et de Marie-Antoinette invraisemblables, sans parler bien entendu des filles de Louis XV, par Nattier, que la récente popularité des Nattier de Versailles a multipliées. Il faut avoir vu, par devoir ou par courtoisie, quelques centaines de ces images, pour savoir avec quelle aisance la tradition d'une famille ou d'un musée travaille, sur le moindre indice, à multiplier les effigies historiques.

J'ai confiance dans la méthode de François Laurentie et j'ai connu la délicatesse de ses scrupules ; je n'assurerais pas cependant que sa liste d'exclus soit toujours assez rigoureuse, et qu'il n'ait pas donné asile, par exemple, sous le nom de Louis XVII, à quelque portrait de son frère, le premier Dauphin. D'autre part, il ne faut point s'étonner de quelques contradictions dans des images de provenance également sérieuse. Devant la figure humaine, l'interprétation des arts est étrangement diverse et, plus l'artiste est doué d'une vision forte, plus il risque d'accentuer à l'excès le caractère qui l'a vraiment frappé. Lorsqu'il s'agit d'un enfant, dont les traits se transforment si vite et parfois d'une année à l'autre, que de chances d'erreur ! Ajoutons qu'avec Louis XVII les artistes n'ont pas travaillé facilement ; s'il y a eu, aux Tuileries, le loisir de quelques séances accordé aux peintres ou aux modeleurs, les croquis pris au Temple, avant ou après la séquestration du petit prisonnier, n'ont donné lieu qu'à des images de souvenir.

Il résulte pourtant des portraits assurés un signalement physique assez précis pour écarter, dès à présent, plus d'une découverte dont nous pourrions être menacés dans l'avenir. Voici ceux auxquels il me semble qu'on doit s'attacher : une aquarelle coloriée de L.-A. Brun, ce peintre de la Reine que Fournier-Sarlovèze a révélé ; le buste de Deseine mutilé par les vandales du 10 août et recueilli au musée de Versailles ; un médaillon de biscuit provenant de Mme de Tourzel ; la peinture de Kucharski faite pour elle et le pastel du même peintre, qu'on croyait jadis de Mme Vigée-Le Brun ; une peinture ovale attribuée à Boilly ; le curieux portrait anonyme en petit savoyard, une calotte rouge sur la tête ; le crayon aux deux couleurs de Louis Capet fait par le citoyen Lucas. Si l'on accepte encore quelques miniatures, et si l'on écarte des images authentiques, mais trop idéalisées, voici comment nous apparaît le fils de Marie-Antoinette.

Il n'a rien d'un Bourbon ; il est tout entier, suivant le mot familier de nos provinces, du côté de sa mère. Il tient d'elle le teint coloré, les cheveux blonds, les yeux bleus, pas très grands et assez écartés. Le nez droit est retroussé tout au bout ; les pommettes sont légèrement saillantes. La lèvre autrichienne s'indique, sans exagération ; la mâchoire est forte et le menton se creuse d'une fossette. L'oreille est trop grande, presque difforme ; de là, dans les portraits officiels ou simplement bienveillants — sur le buste de Deseine, par exemple, exécuté pour la Reine et mis au Salon de 1791 —, le soin de dissimuler entièrement l'oreille sous les cheveux répandus. On cache aussi le front, dont quelques études de profil indiquent nettement la fuite brusque. C'est celui de Marie-Antoinette, qui donnait tant de souci à Vienne au coiffeur parisien chargé d'embellir l'archiduchesse, au moment où elle allait partir pour sa nouvelle patrie, ce front que Léonard ornera de tant d'artifices, mais qu'indiquent toute l'iconographie de la Reine et particulièrement ses médailles.

Sans être tout à fait un joli enfant, le Dauphin est de ceux dont les mères se font gloire. Mais il est de tempérament scrofuleux ; sa courte réserve de santé s'épuisera vite. Dès le temps de Versailles, il exige des soins particuliers. En le confiant à Mme de Tourzel, après la mort de son frère, en juin 1789, Marie-Antoinette, mère attentive et prudente, ne manque pas d'indiquer à la gouvernante certaines précautions nécessaires. On sent chez elle une prédilection pour ce second fils, alors que Louis XVI avait mis tout son orgueil dans le premier. Elle le croit alors fort et bien portant. Elle ne parait s'inquiéter que de ses nerfs très délicats, qui le rendent peureux et le font tressauter au moindre bruit auquel il n'est pas accoutumé. Cependant, on reconnaît des prescriptions significatives de médecins : Il a besoin pour sa santé d'être beaucoup à l'air, et je crois qu'il vaut mieux le laisser jouer et travailler à la terre sur la terrasse que de le mener promener plus loin ; l'exercice que les petits enfants prennent en courant et en jouant à l'air est plus sain que de les forcer à marcher, ce qui souvent leur fatigue les reins. Au reste, à quatre ans et demi, le Dauphin est gai, étourdi, violent dans ses colères et tendre dans ses caresses. L'observation maternelle du caractère est perspicace : Il a un amour-propre démesuré qui, en le conduisant bien, peut tourner un jour à son avantage... Il est très indiscret, il répète aisément ce qu'il a entendu dire et souvent, sans vouloir mentir, il y ajoute ce que son imagination lui a fait voir ; c'est son plus grand défaut et sur lequel il faut bien le corriger. Mais il est bon enfant et, avec de la sensibilité et en même temps de la fermeté, sans être trop sévère, on fera de lui ce qu'on voudra.

Il semble bien que l'éducation ait produit un charmant petit dauphin, d'une mine gracieuse, d'un esprit naturel qui se montre en reparties vives, et d'une véritable bonté de cœur. Tous les témoignages assurent que Marie-Antoinette a réussi son œuvre, qu'elle a vraiment commencé à élever un roi. Il faudra, pour la détruire, l'intervention du dernier précepteur, le savetier Simon. Il fera bientôt d'un enfant sensible et gai, et qui a résisté aux chagrins du Temple, un petit être apeuré et taciturne, qu'on voit des journées entières accroupi dans l'angle d'un sordide cachot, sans air, sans lumière, avec la vermine sur son pauvre corps. L'aimable prince, dont la Reine était si fière, n'est plus qu'un rachitique, aux chairs bouffies, couvert de tumeurs scrofuleuses, que ses jambes ne soutiennent plus et que la mort vient délivrer, le 20 prairial an III, au temps où les fleurs embaument les parterres de Trianon.

 

LE DAUPHIN (LOUIS XVII), d'après DESEINE.